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T-2014-85
Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, Benson & Hedges (Canada) Inc., Imperial Tobacco Limited, RJR -Macdonald Inc. et Roth- mans of Pall Mall Canada Limited (requérants)
c.
Conseil national de commercialisation des pro- duits de ferme (intimé)
Division de première instance, juge Cullen— Ottawa, 24 et 25 septembre; Vancouver, 3 octobre 1985.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Audiences publiques tenues par l'intimé L'intimé a limité sa compé- tence L'intimé a irrégulièrement eu en sa possession des éléments de preuve après la clôture de l'audience Omission de se conformer à une obligation imposée par la justice naturelle Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, chap. 65, art. 8(3),(5), 9.
L'intimé a tenu, dans les quatre villes les plus directement touchées, des audiences publiques relativement à une enquête sur le bien-fondé de la création d'un office national de commer cialisation du tabac jaune. Lorsque le Conseil requérant (C.C.F.P.T.) a cherché à obliger l'intimé à ordonner à la Commission ontarienne du tabac de produire une importante étude sur le coût de production, l'intimé a répondu que sa politique déclarée quant à la procédure l'empêchait de le faire. L'intimé a affirmé avec fermeté qu'il ne pouvait exiger la comparution de témoins ni la production de documents. L'in- timé et la Commission ontarienne ont également maintenu qu'à l'époque en cause le rapport n'était pas terminé. Cependant, après la clôture des audiences publiques, l'intimé a eu en sa possession une copie de l'étude effectuée et n'a pas informé les requérants de ce fait.
La présente demande vise à obtenir une série de brefs de prérogative afin d'obliger la reprise d'une audience publique et la production en preuve de l'étude sur le coût de production.
Jugement: la demande est accueillie.
Étant donné les pouvoirs prévus au paragraphe 8(5) de la Loi, il ne fait aucun doute que le Conseil aurait pu légalement exiger la production de l'étude sur le coût de production effectuée en 1983 ainsi que des renseignements utilisés pour sa rédaction. Et si le rapport n'était pas prêt lorsque le Conseil requérant en a demandé la production pour la première fois, l'intimé possédait le pouvoir de reporter l'audience jusqu'à ce que ledit rapport soit prêt, d'exiger sa production et la compa- rution des personnes qui l'ont préparé.
Il faut rejeter l'argument suivant lequel, si une audience ne revêt pas un caractère accusatoire mais constitue plutôt une audience ayant pour but de recueillir les faits au cours de laquelle les parties sont encouragées à produire tous les élé- ments de preuve qu'elles souhaitent, on ne peut ordonner aux parties de produire ces éléments de preuve. Sont en présence des parties qui sont en désaccord, qui ont le droit de contre- interroger les témoins, d'examiner les documents produits et ensuite, de faire valoir leurs arguments.
Le fait de refuser d'exiger la production d'un rapport lorsque cet élément de preuve pourrait être crucial pour les délibéra- tions du Conseil constitue un cas évident le Conseil limite sa propre compétence.
En outre, alors que le Conseil a demandé à chacune des quatre compagnies requérantes de fournir des renseignements détaillés, il n'en a pas fait de même pour la Commission ontarienne.
Le dernier élément apparent d'inéquité est attribuable au fait que, après la clôture des audiences publiques, l'intimé a eu en sa possession une copie de l'étude mais n'a jamais eu l'intention de révéler ce fait ni de reprendre les audiences de manière à permettre aux requérants de la contester.
Il est évident que l'intimé ne devrait laisser aucun élément de preuve de côté lorsque l'on considère que les renseignements qu'il recueille, la décision qu'il prend et les recommandations qu'il fait au Ministre ont une influence sur la liberté du marché et sur l'avenir de l'industrie du tabac au Canada et signifient, si la création d'un office est approuvé, des frais additionnels de plusieurs millions de dollars pour les requérants et, en fin de compte, pour le consommateur. Il est clair qu'on a omis de se conformer à une obligation imposée par la justice naturelle.
I1 reste à déterminer si la Cour est légalement autorisée à exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder les brefs de préro- gative demandés. Si l'intimé n'était qu'un office recueillant des faits, les requérants ne pourraient avoir recours aux brefs de prérogative. L'intimé rend cependant des décisions qui auront un effet sur les parties. Il recueille des faits, étudie des données, rend des décisions et, finalement, fait des recommandations au Ministre. Le juge Pigeon a dit dans l'arrêt Saulnier c. Com mission de police du Québec: « ... quand je me rappelle que le seul but de ces rapports est de présenter des faits et des recommandations d'après lesquels normalement le Ministre agira, l'argument qu'aucun droit n'a été défini et que rien n'a été décidé est pur sophisme.»
La décision du Conseil peut, par conséquent, faire l'objet d'un contrôle judiciaire.
Au point de vue juridique, il importe peu que l'intimé se soit fondé ou non sur l'étude en cause.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Re Green, Michaels & Associates Ltd. et al. and Public Utilities Board (1979), 94 D.L.R. (3d) 641 (C.S. Alb., Div. d'appel); Van Hul and Honkoop et al. v. P.E.I. Tobacco Commodity Marketing Board (1985), 51 Nfld.
& P.E.I.R. 124 (C.S.Î.-P: E.); Nordenfelt v. Maxim Nordenfelt Guns and Ammunition Company, [1984] A.C. 535 (H.L.); Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572; (1975), 57 D.L.R. (3d) 545; Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1; Trapp v Mackie, [1979] 1 All ER 489 (H.L.); Edwards et al. v. Alta. Assn. of Archi tects et al., [1975] 3 W.W.R. 38 (C.S. Alb.); Estate & Trust Agencies (1927) Ld. v. Singapore Improvement Trust, [1937] A.C. 898 (P.C.); Re Doyle et Commission
sur les pratiques restrictives du commerce et autres (1984), 6 D.L.R. (4th) 407 (C.F. Appel); Mehr v. Law Society of Upper Canada, [1955] R.C.S. 344.
DÉCISION CITÉE:
Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12; (1964), 47 D.L.R. (2d) 226.
AVOCATS:
Michael A. Kelen pour le requérant le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac. John B. Claxton, c.r., pour la requérante Benson & Hedges (Canada) Inc.
Simon V. Potter pour la requérante Imperial Tobacco Limited.
Georges R. Thibaudeau pour la requérante RJR-Macdonald Inc.
Frank K. Roberts, c.r., pour la requérante Rothmans of Pall Mall (Canada) Limited. Brian J. Saunders, David Byer pour l'intimé le Conseil national de commercialisation des produits de ferme.
François Lemieux, James H. Smellie, David Wilson pour la Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune et la Tobacco Commodity Marketing Board de l' Île -du-Prince-Edouard.
PROCUREURS:
Michael Kelen, Ottawa, pour le requérant le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac.
Lafleur, Brown, de Grandpré, Montréal, pour la requérante Benson & Hedges (Canada) Inc.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour la requé- rante Imperial Tobacco Limited.
Doheny MacKenzie, Montréal, pour la requé- rante RJR-Macdonald Inc.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto, pour la requérante Rothmans of Pall Mall (Canada) Limited.
Le sous -procureur général du Canada pour l'intimé le Conseil national de commercialisa tion des produits de ferme.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour la Commis sion ontarienne de commercialisation du tabac jaune et la Tobacco Commodity Marke ting Board de l'Île -du-Prince-Edouard.
Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour Simcoe Leaf Tobacco Co. Ltd., Dibrell Bro thers of Canada Ltd. et Standard Commercial Tobacco Company of Canada Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: La présente demande vise à obtenir une série de brefs de prérogative qui auront pour effet d'obliger la reprise d'une audience publique et la production en preuve d'une étude sur le coût de production effectuée par Touche, Ross en 1983, relativement à une enquête sur le bien-fondé de la création d'un office national de commercialisation du tabac jaune.
Le 15 octobre 1984, la Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune (la Commis sion ontarienne du tabac) a présenté à l'intimé un document de 64 pages proposant la création, en vertu des dispositions de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme [S.C. 1970-71-72, chap. 65] (la Loi), d'un office cana- dien de commercialisation du tabac jaune.
Aux environs du 12 février 1985, la Commission ontarienne du tabac et la Tobacco Commodity Marketing Board de l'Île-du-Prince -Edouard ont ajouté un appendice à la proposition et l'ont pré- senté à l'intimé. Cet appendice porte notamment que les planteurs de tabac de l'Ontario reçoivent pour leur produit un prix inférieur à la somme du coût de production et d'un bénéfice raisonnable et que les planteurs de tabac ont retenu les services de Touche, Ross & Associés pour effectuer «une évaluation indépendante» de la question. L'appen- dice porte plus précisément:
[TRADUCTION] La Commission ontarienne a retenu les services de Touche, Ross & Associés pour effectuer une évaluation indépendante de la question. Touche, Ross & Associés a conclu que les planteurs de tabac jaune de l'Ontario ont reçu en 1983 un prix moyen minimum qui était inférieur au coût de produc tion de leur récolte plus un bénéfice raisonnable.
Vers le 7 janvier 1985, l'intimé a publié dans la Gazette du Canada, dans des journaux et dans des journaux agricoles un avis d'audience publique concernant l'enquête susmentionnée. L'enquête devait avoir une portée assez générale. L'avis indi- quait notamment:
L'audience a pour objet de déterminer le bien-fondé de la création d'un office et de savoir si la production et la commer cialisation du tabac seraient mieux servies par le recours à un
office créé en vertu de l'article 18 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme.
Pour atteindre cet objectif, le jury du Conseil devra inclure les éléments suivants dans son enquête:
a) une évaluation de la situation actuelle des producteurs canadiens de tabac et des effets potentiels que l'établis- sement d'un office national pourrait avoir sur eux;
b) une analyse des problèmes actuels du secteur du tabac et des effets potentiellement stabilisateurs et bénéfiques que la création d'un office pourrait avoir;
c) une détermination de la possibilité d'assurer que sous la régie d'un office, les consommateurs seront sûrs d'obte- nir un approvisionnement régulier de produits de qualité à un prix raisonnable;
d) le degré de collaboration fédérale-provinciale requise pour appliquer le plan de commercialisation proposé;
e) une étude des conditions, des assertions et de l'avant- projet de commercialisation contenus dans le projet actuellement à l'étude;
f) une évaluation de la situation pour savoir s'il faudrait imposer des restrictions sur les activités d'un office de commercialisation du tabac ou sur l'un ou l'autre des pouvoirs conférés par les dispositions de l'article 23 de la Loi.
L'avis d'audience invitait les personnes intéres- sées à faire parvenir leurs présentations par écrit au plus le tard le ler mars 1985, et quelque 61 présentations de ce genre ont été déposées. Parmi celles-ci, on trouvait la présentation des requé- rants. Le Conseil canadien des fabricants des pro- duits du tabac (C.C.F.P.T.) est une société cana- dienne sans but lucratif constituée en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes [S.R.C. 1970, chap. C-32]. Le C.C.F.P.T. a été admis à l'audience publique tenue par l'intimé en qualité d'intervenant et de mandataire de ses quatre com- pagnies membres: Benson & Hedges (Canada) Inc., Imperial Tobacco Limited, RJR -Macdonald Inc. et Rothmans of Pall Mali Canada Limited. Ces quatre compagnies achètent, soit directement soit par l'intermédiaire de leurs responsables des achats, pratiquement tout le tabac cultivé au Canada et fabriquent plus de 98%® des cigarettes et du tabac à cigarette vendus au Canada.
Dans sa présentation à l'intimé, en date du Zef mars 1985, la Commission ontarienne du tabac mentionnait comme premier élément que [TRA- DUCTION] «les planteurs de l'Ontario ont réalisé des recettes inférieures au coût de production du tabac au cours de huit des neuf dernières années».
Les requérants ont remis à l'intimé un exposé très complet et, comme le dit le secrétaire du
C.C.F.P.T., M. Christopher Seymour, dans son affidavit déposé à l'appui de la demande, il s'agis- sait d'une présentation [TRADUCTION] «analysant les problèmes actuels de l'industrie du tabac et remettant en cause l'allégation suivant laquelle les producteurs de tabac de l'Ontario ne reçoivent pas pour leur tabac un prix égal à la somme du coût de production du tabac plus un bénéfice raisonnable».
M. Seymour souligne également que [TRADUC- TION] «L'intimé a demandé à chacune des quatre compagnies de tabac de fournir des renseigne- ments détaillés avant et pendant l'audience publi- que (c'est moi qui souligne). Les compagnies ont recueilli lesdits renseignements et les ont remis à l'intimé comme il le leur avait demandé.»
Les audiences ont été tenues à London (Onta- rio), à Charlottetown (Î. -P. -E.), à Montréal (Québec) et à Ottawa (Ontario) du 16 avril 1985 au 31 mai 1985.
Il semblerait ressortir de l'affidavit de M. Sey- mour que les règles de la justice naturelle ont été suivies. Un avis d'audience publique a été publié dans divers périodiques; 61 parties ont présenté des exposés; les audiences ont été tenues dans les quatre villes les plus directement concernées et, comme le dit M. Seymour au paragraphe 13 de son affidavit:
[TRADUCTION] Tout au cours de l'audience publique tenue devant le jury d'enquête, la Commission ontarienne du tabac et les requérants étaient représentés par des avocats; la preuve a été administrée à l'aide des questions qui ont été posées à des dizaines de témoins, qui avaient prêté serment de dire la vérité, et de leurs réponses à celles-ci; l'avocat de la Commission ontarienne du tabac a présenté sa preuve et les avocats des requérants ont procédé au contre-interrogatoire des témoins. En réponse, les avocats des requérants ont cité des témoins dûment assermentés qui ont été à leur tour contre-interrogés par l'avo- cat de la Commission ontarienne du tabac et par d'autres intervenants. Le jury d'enquête a tenu ses audiences publiques conformément aux «Règles de procédure du Conseil national de commercialisation des produits de ferme relatives à la tenue d'audiences en vertu de l'article 8 de la Loi».
Selon les requérants, toutefois, il y a eu déni de justice naturelle parce que l'intimé a excédé sa compétence, a violé les règles de la justice natu- relle et n'a pas rempli son obligation d'agir équita- blement. Les requérants ont soutenu que l'intimé a limité sa compétence et a manqué à son obligation d'informer les parties.
La Loi prévoit que la tenue d'une audience publique est obligatoire lorsqu'une enquête est ordonnée. Conformément au paragraphe 8(3) de la Loi, le président du Conseil a nommé des membres du Conseil pour qu'ils tiennent les audiences publi- ques au nom de celui-ci, et le jury ainsi constitué possédait tous les pouvoirs d'une commission formée en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes [S.R.C. 1970, chap. I-13]. (Voir le para- graphe 8(5) de la Loi.) Ce jury fait rapport au Conseil. L'article 9 de la Loi exige que le Conseil publie un avis de toute audience publique, et il indique la marche à suivre pour ce faire. L'article 10 prévoit que le Conseil ou le jury «peut établir des règles relatives à la conduite des audiences publiques».
Il ne fait aucun doute que le Conseil ou le jury était habilité à exiger la comparution de témoins et la production de documents. La Loi sur les enquê- tes prévoit aussi une sanction pour les personnes qui omettent de respecter les pouvoirs du Conseil ou du jury. Incidemment, les règles de procédure du Conseil national de commercialisation des pro- duits de ferme sont très complètes en ce qui con- cerne la tenue des audiences, et j'y reviendrai plus loin.
J'ai souligné plus haut la phrase suivante tirée de l'appendice ajouté à la demande originale: [TRADUCTION] «et que les producteurs de tabac ont retenu les services de Touche, Ross & Associés pour effectuer une évaluation indépendante de la question».
Même si l'intimé et la Commission ontarienne du tabac ont maintenu que le rapport de Touche, Ross & Associés n'a pas été terminé avant le 25 juin 1985, la Commission ontarienne du tabac était prête à déclarer catégoriquement le 12 février 1985 que [TRADUCTION] «Touche, Ross & Asso- ciés a conclu que les planteurs de tabac jaune de l'Ontario ont reçu en 1983 un prix moyen mini mum qui était inférieur au coût de production de leur récolte plus un bénéfice raisonnable».
Les requérants sont arrivés à une conclusion tout à fait contraire dans leur exposé. Il n'est donc pas étonnant que le premier jour de l'audience tenue à London, le 16 avril 1985, le C.C.F.P.T. ait présenté une requête en vue d'obtenir une ordon- nance exigeant:
[TRADUCTION] ... que la Commission ontarienne produise l'étude sur le coût de production effectuée par Touche, Ross, à temps pour permettre aux fabricants de l'examiner aux fins de la présente enquête.
C'est alors que s'est produit un événement inha- bituel, à mon avis. Sans se prononcer sur la requête, le président a laissé entendre à l'avocat de la Commission ontarienne de commercialisation que [TRADUCTION] «le problème pourrait être résolu en partie si vous (il s'adressait alors à l'avocat de la Commission ontarienne du tabac) vouliez bien examiner la possibilité de retirer de votre présentation cette phrase (le renvoi à l'étude COP effectuée en 1983 par Touche, Ross). Elle représente un moyen d'obliger les autres parties concernées à essayer de deviner ce que vous vouliez dire. Elle est mentionnée dans la déclaration d'in- suffisance ...»
Il n'était donc pas étonnant que l'avocat de la Commission ontarienne du tabac ait informé ver- balement le jury d'enquête qu'il radiait son renvoi à l'étude COP de 1983 dans l'appendice joint à la proposition. Pour être juste, il faut dire qu'après avoir pris cette mesure, l'avocat de la Commission ontarienne du tabac a déclaré: [TRADUCTION] «Toutefois, M. le président, puisque nous fondons les déclarations et les suggestions contenues dans la proposition sur deux études qui ont été déposées en preuve et sur les mises à jour effectuées par la Commission ontarienne en ce qui concerne l'écart coût/prix, je suis disposé à déposer devant le jury sous la cote O.B.4 les chiffres pour l'année 1983 calculés par la Commission ontarienne sur le fon- dement de l'étude Fisher. En un sens, cela élimine la nécessité de faire un renvoi à 1983 et comprend ce qui servait de fondement à notre déclaration quant à 1983 pour ce qui est de l'écart prix/coût ... Il s'agit des coûts mis à jour selon Fisher.» La Commission ontarienne du tabac était aussi d'avis que l'étude n'était pas terminée et qu'elle prendrait fin en juin 1985, quelque temps après la clôture des audiences.
La situation prend une tournure inattendue, à la O. Henry, car avant le commencement des audien ces publiques, l'intimé avait envoyé à la Commis sion ontarienne du tabac un «avis d'insuffisance» portant que ses documents étaient insuffisants parce qu'elle n'avait pas fourni de copie de l'Étude COP effectuée en 1983 (c'est moi qui souligne).
Les requérants ont essayé d'adopter une autre méthode en déposant devant le jury d'enquête une requête qui a été entendue le 10 mai 1985 et qui visait à obtenir une ordonnance enjoignant à la Commission ontarienne du tabac de produire tous les documents utilisés par Touche, Ross pour cal- culer un coût de production pour 1983. La requête a été rejetée et le jury d'enquête a refusé de contraindre la production de ces éléments de preuve.
Dans sa décision le jury soulignait que [TRA- DUCTION] «personne ne fait l'objet d'un procès dans ces procédures. Il n'y a ni demandeurs ni défendeurs. Cette audience a pour but de recueillir les faits, et les parties qui y participent sont encou ragées à produire tous les arguments et les élé- ments de preuve qu'elles souhaitent (c'est moi qui souligne) soumettre au jury, et elles peuvent être contre-interrogées sous serment>. Ce n'est pas tout à fait exact. Comme je l'ai déjà dit plus haut, malgré un exposé très complet que les requérants étaient manifestement disposés à invoquer à l'ap- pui de leur position, l'intimé a exigé que les quatre compagnies de tabac produisent, avant et pendant l'audience publique, des renseignements détaillés et les compagnies ont recueilli lesdits renseigne-
ments et les ont remis à l'intimé! -
Si on examine les règles de procédure du Con- seil, signées par son président, on trouve ce qui suit à la Règle 43:
A moins d'ordre contraire du Conseil, l'ordre de comparution à une audience publique est le suivant:
a) le requérant;
b) le répondant;
c) les intervenants;
d) les autres personnes intéressées; et
e) le requérant en réplique.
S'il n'y a ni demandeurs ni défendeurs il y a certainement, par contre, des requérants, des répondants, des intervenants et un droit de répli- que conféré au requérant. Sont en présence des parties qui sont en désaccord, qui ont droit de contre-interroger les témoins et d'examiner les documents écrits produits et ensuite, de faire valoir leurs arguments.
Les Règles de procédure du Conseil contiennent aussi une rubrique intitulée:
Ordonnances et décisions
44. Le Conseil peut approuver, rejeter ou modifier une requête, en tout ou en partie, ou, plus généralement, rendre des ordon- nances ou des décisions quant aux questions et aux conclusions reliées, à l'objet de l'audience, qu'une requête ait été présentée ou non, et il peut accorder tout redressement en plus ou en remplacement de celui demandé, qu'il estime juste et raisonna- ble dans les circonstances.
45. Le Conseil peut donner verbalement ou par écrit les motifs de ses ordonnances ou de ses décisions.
46. Toute décision du Conseil entre en vigueur le jour elle est rendue, à moins d'indication contraire dans la décision.
Un dernier développement en ce qui concerne l'Étude COP effectuée en 1983 est allégué par M. Seymour dans son affidavit et corroboré dans l'af- fidavit de Robin M. R. Smith, agronome de la ville de Vancouver. Dans son affidavit, M. Seymour déclare qu'il a été informé par Robin Smith, et qu'il [TRADUCTION] «le croi[t], que l'Étude COP effectuée en 1983 par Touche, Ross et Associés, intitulée "Cost of Production of Ontario Flue - Cured Tobacco" (Étude sur le coût de production du tabac jaune en Ontario) et datée de juin 1985, a été remise à l'intimé après la clôture des audien ces publiques.» M. Smith affirme dans son affidavit:
[TRADUCTION] 1. Je suis un expert des renseignements sur le coût de production (C.O.P.) des produits de ferme, et j'ai comparu en qualité d'expert sur le C.O.P. à une audience publique du Conseil national de commercialisation des produits de ferme (C.N.C.P.F.) relativement à une enquête sur l'oppor- tunité de la création d'un office national de commercialisation du tabac.
2. En tant qu'expert du C.O.P., je communique périodiquement avec des personnes travaillant pour le C.N.C.P.F. J'ai eu des discussions avec Harry E. Halliwell, conseiller en économie du C.N.C.P.F., et il a admis que le C.N.C.P.F. a obtenu l'étude sur le coût de production effectuée en 1983 par Touche, Ross et Associés intitulée «Cost of Production of Ontario Flue -Cured Tobacco» et datée de juin 1985, après la clôture des audiences publiques.
M. Seymour laisse entendre dans son affidavit que le rapport [TRADUCTION] «a été remis» alors que M. Smith suggère pour sa part dans son affidavit qu'il a été [TRADUCTION] «obtenu». Plus loin, la preuve indique (pièce 6, affidavit de M. Seymour) que l'avocat des fabricants de produits du tabac a écrit au président du Conseil pour lui faire savoir que ses clients avaient appris que l'Étude COP de 1983 avait été [TRADUCTION] «soumise» (pour reprendre les termes de l'avocat) au C.N.C.P.F., et pour lui en demander une copie [TRADUCTION] «la lettre explicative des planteurs
ontariens adressée au C.N.C.P.F. devant suivre l'envoi de l'étude». (Pour reprendre encore une fois les termes de l'avocat.) Il a aussi demandé la reprise de l'audience de manière à ce que les fabricants de produits du tabac puissent présenter leurs arguments quant à ladite étude.
Même s'il n'y a pas eu de réponse écrite à cette lettre, la preuve indique que M. Harry Halliwell, un haut fonctionnaire du C.N.C.P.F., a informé l'avocat des fabricants de produits du tabac qu'une décision de reprendre l'audience publique ne pour- rait pas être prise avant la tenue d'une réunion de l'intimé et qu'elle ne pourrait probablement pas avoir lieu avant la date envisagée pour la remise du rapport de l'intimé au ministre de l'Agriculture. Il n'y a ni démenti ni confirmation de la réception de l'Etude COP de 1983. Il me semble toutefois que si l'intimé ne possédait pas le rapport, le président ou M. Halliwell aurait pu le dire ouvertement et qu'il n'aurait pas été nécessaire d'examiner la pos- sibilité de reprendre l'audience, puisque la demande reposait uniquement sur la possession du rapport par l'intimé après la clôture des audiences publiques. Les faits sont assez simples.
Étant donné les pouvoirs prévus au paragraphe 8(5) de la Loi, il ne fait aucun doute que le jury aurait pu légalement exiger la production de l'Étude COP de 1983 et des renseignements utili- sés pour sa rédaction. Si le rapport n'était pas prêt en juin 1985, le jury possédait tous les pouvoirs nécessaires pour reporter l'audience jusqu'à ce que ledit rapport soit prêt et ensuite, pour exiger sa production et la comparution des personnes qui, chez Touche, Ross, l'avaient préparé. Cependant, le jury n'a pu prendre de telles mesures en raison de sa politique déclarée quant à la procédure. En refusant d'exiger la production des renseignements utilisés pour la préparation de l'Étude COP de 1983, le président du jury a dit dans sa décision:
[TRADUCTION] Toutes les parties ont reçu un traitement égal à cet égard, et les demandes antérieures visant à obtenir la comparution des parties et la production de la preuve ont été rejetées.
Le jury s'est placé lui-même dans une situation difficile parce que cette politique l'empêchait d'ob- tenir un rapport sur lequel le président a fait les observations suivantes:
[TRADUCTION] Le Conseil et les fabricants ne s'entendent pas quant à la question de savoir si les travaux effectués sur l'étude des coûts de production pour 1983 sont pertinents pour les
présentes procédures. Le jury est d'avis que tout renseignement qui illustrerait comment l'office projeté fonctionnerait pour le bénéfice des producteurs ou des consommateurs serait utile dans ses délibérations ... Pour les motifs déjà indiqués, le jury déplore la décision de la Commission ontarienne (c'est-à-dire de ne pas présenter des arguments fondés sur l'Étude de 1983 et de refuser de répondre à toute question sur cette Étude) et estime que cette omission constitue une occasion manquée de contribuer de manière significative à atteindre son objectif qui est d'aider le jury à comprendre comment l'office projeté permettrait d'améliorer la situation dans l'industrie du tabac.
Le jury a toutefois pour politique de laisser les parties choisir les arguments et les preuves corroborantes qu'elles souhaitent présenter à l'audience. (C'est moi qui souligne.)
Peut-il exister un cas plus évident de jury limi- tant sa propre compétence? De son propre aveu, il estimait que l'étude [TRADUCTION] «contribuer- [ait] de manière significative à atteindre son objectif».
Dans Re Green, Michaels & Associates Ltd. et al. and Public Utilities Board (1979), 94 D.L.R. (3d) 641 (C.S. Alb., Div. d'appel), le juge d'appel Clement a dit, après avoir commenté le pouvoir de la Commission d'établir des directives, à la page 654:
[TRADUCTION] En affirmant ceci, j'exclus toutefois les direc tives qui auraient pour effet de déterminer à l'avance l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Des directives de ce genre consti- tueraient manifestement une restriction invalide apportée au pouvoir discrétionnaire si elles étaient appliquées.
En l'espèce, le jury était déterminé à ne pas exiger la comparution de témoins et la production de documents. Cela étant déterminé à l'avance, les requérants ou l'intimé étaient en mesure de pro- duire des éléments de preuve pouvant être cruciaux pour les délibérations du jury.
De plus, il ne peut faire aucun doute qu'il y a eu inéquité réelle et apparente. La suggestion par le président de supprimer de l'appendice le renvoi à l'Étude COP de 1983 est selon moi inappropriée. La «politique déclarée» du jury, qui lui liait les mains de sorte qu'il ne pouvait obtenir une étude qui, croyait-il, «contribuerait de manière significa- tive», était sûrement injuste pour ceux qui étaient au courant de l'étude mais ne pouvaient l'obtenir, ni recevoir de réponses à leurs questions, ni procé- der à des contre-interrogatoires et ni présenter des contre-preuves.
Encore une fois, même si la présentation des fabricants de produits du tabac était très complète, lorsque le jury a demandé aux quatre compagnies de tabac, avant et pendant l'audience publique, de
lui fournir des renseignements détaillés, [TRADUC- TION] «les compagnies ont recueilli les renseigne- ments demandés et les ont remis à l'intimé comme il le leur avait demandé». Il ne semble pas que la même méthode ait été suivie quant à la Commis sion ontarienne du tabac.
Le dernier élément apparent d'inéquité était cependant que, après la clôture des audiences publiques, l'intimé avait en sa possession une copie de l'étude effectuée par Touche, Ross et n'avait pas l'intention d'informer les parties de ce fait, ni aucune intention de reprendre l'audience de manière à permettre aux fabricants de produits du tabac de «s'y attaquer».
Le rapport qui devait être présenté au Ministre a-t-il eu un effet direct ou indirect sur les droits de l'intimé? Voici ce que dit le juge McQuaid, dans Van Hul and Honkoop et al. v. P.E.I. Tobacco Commodity Marketing Board (1985), 51 Nfld. & P.E.I.R. 124 (C.S.Î.-P.-E.), sur le droit au libre marché [aux pages 129 et 130], après avoir com menté puis mentionné les remarques du lord juge Macnaghten dans Nordenfelt v. Maxim Norden- felt Guns and Ammunition Company, [1894] A.C. 535 (H.L.):
[TRADUCTION] Bien qu'en quelque sorte étranger au climat socio-économique dans lequel nous vivons actuellement, le prin- cipe fondamental de l'économie de marché repose sur un marché libre, que ne restreint aucune réglementation gouverne- mentale. Lorsqu'on considère les implications de tout plan de mise en marché, dont l'objet est le contrôle ou la réglementa- tion de la liberté du marché, il faut toujours commencer par un principe fondamental et travailler à partir de celui-ci.
Cette démarche a été confirmée, notamment, par la Cour d'appel de notre province dans son arrêt Re Prince Edward Island Retail Gasoline Dealers Association (1982), 37 Nfld. & P.E.I.R. 46; 104 A.P.R. 46. Voici un extrait de cette décision, à la p. 50:
«Le principe de common law applicable a été clairement énoncé dans la décision classique Nordenfelt v. Maxim Nor- denfelt Guns and Ammunition Co., [1894] A. C. 535, dans laquelle lord juge Macnaughten a dit:
"Le public a intérêt à ce que chacun exerce son métier librement; l'individu aussi. Toute entrave à la liberté d'ac- tion commerciale, et toutes les restrictions commerciales elles-mêmes, si rien ne vient s'y ajouter, sont contraires à l'ordre public et donc nulles. C'est la règle générale. Mais il y a des exceptions: la limitation du commerce et l'entrave à la liberté individuelle d'action peuvent être justifiées par les faits de l'espèce."
«L'autorité législative peut toujours restreindre ce principe général de common law par législation lorsqu'elle estime appropriée de le faire, et ainsi limiter la liberté d'action individuelle. Toutefois, toute loi qui prétend modifier ce qui
jusqu'alors faisait partie de la common law, comme le droit de commercer librement, doit indiquer clairement et distinc- tement cette intervention, et en l'absence de déclaration d'intention précise et sans ambiguïté dans la loi, on ne peut présumer que, par déduction ou autrement, la common law doit être modifiée. (Craies on Statute Law (5' éd.), p. 114-115; p. 310; Leach v. Rex, [1912] A.C. 305, à la p. 311).»
Cela exige donc une interprétation stricte et étroite, par opposition à une interprétation libérale et large, de toute loi dont l'objet apparent est la limitation du principe de common law du libre marché. Il y a bien sûr un corollaire à cela: lorsque l'organe exécutif du gouvernement, le Conseil exécutif, cherche, par décret, à adopter des règlements ou à déléguer des pouvoirs et des attributions, en application des dispositions d'une législa- tion, il doit être clairement perçu comme agissant strictement dans les limites étroites de cette législation, interprétée stricte- ment. Et il s'ensuit, avec plus de rigueur encore, que tout tribunal administratif auquel un pouvoir ou une autorité a été délégué par l'organe exécutif, n'exerce que les attributions limitées dont il a été investi, dans les limites de la législation habilitante. Il n'y a pas de présomption légale en faveur du droit pour un tribunal administratif d'imposer son autorité à l'individu; lorsque celle-ci est mise en cause, c'est le tribunal en question qui a la charge de montrer qu'il agit clairement non seulement dans le cadre des pouvoirs que confère la loi, mais aussi, tout aussi clairement, dans celui des attributions qui lui sont déléguées.
Compte tenu de cette conception correcte de l'économie de marché et des restrictions prévues par la loi, l'intimé a une responsabilité très impor- tante dans cette situation. L'avenir de l'industrie du tabac est peut-être en jeu et la manière dont ce secteur fonctionnera dans l'avenir sera probable- ment déterminée par l'intimé grâce aux renseigne- ments ou aux faits qu'il recueille, aux décisions qu'il prend et aux recommandations qu'il fait au Ministre.
Les requérants devront débourser plusieurs mil lions de dollars en frais additionnels si la création de l'office est approuvée et, évidemment, c'est le consommateur qui paiera en fin de compte ces frais ou une bonne partie de ceux-ci. Le consom- mateur pourrait aussi être touché si le prix mon- dial était sensiblement moins élévé que le prix fixé par l'office car alors, tous les contribuables cana- diens, qu'ils soient fumeurs ou non-fumeurs, devraient contribuer au paiement de subventions. Je mentionne ce fait pour faire ressortir qu'aucun élément de preuve revêtant une «importance signi- ficative» ne devrait être laissé de côté; en fait, l'intimé devrait exiger leur production.
Étant donné que nous traitons en l'espèce de pouvoirs conférés par la loi, aucune cour ne peut ni
ne veut substituer ses décisions à celles de l'intimé. Mais lorsqu'on a omis de se conformer à une obligation imposée par la justice naturelle, ou lors- qu'un tribunal n'a pas rempli son obligation d'agir équitablement, a limité sa compétence ou encore, a refusé d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés, il incombe à la Cour de l'indiquer et de prendre ses responsabilités. En l'espace, étant donné que le jury a limité ses pouvoirs bien avant la tenue de l'audience, qu'il n'a pas utilisé les pouvoirs qui lui ont été conférés par le législateur, qu'il a exigé d'un participant et non de l'autre la production de renseignements détaillés, qu'il a recommandé une marche à suivre à l'avocat de la Commission onta- rienne du tabac, et qu'il a eu en sa possession, après la clôture de l'audience, le rapport préparé par Touche, Ross, et a omis d'en informer les parties ou de reprendre l'audience, il est clair qu'il s'agit d'un cas une obligation imposée par la justice naturelle n'a pas été remplie.
Même si, comme je l'ai dit plus haut, les brefs de prérogative sont accordés à la discrétion de la Cour, celle-ci doit être convaincue qu'elle est léga- lement autorisée à exercer ledit pouvoir discrétion- naire. L'ouvrage intitulé Administrative Law Cases, Text, and Materials rédigé par J. M. Evans, H. N. Janisch, D. J. Mullan et R. C. B. Risk et publié en 1980 par Emond-Montgomery Limited, porte à la page 857:
[TRADUCTION] ... le recours au mandamus pour obtenir le respect des règles de la justice naturelle est un phénomène commun.
De la même manière en ce qui concerne le certiorari, nous voyons se développer ce que l'avo- cat des requérants a appelé [TRADUCTION] «l'effet Saulnier», faisant allusion à l'arrêt Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572; (1975), 57 D.L.R. (3d) 545 la Cour suprême a établi une distinction entre cet arrêt et l'arrêt Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12; (1964), 47 D.L.R. (2d) 226.
Dans l'arrêt Saulnier, le juge Pigeon a approuvé et cité à la page 579 R.C.S.; 550 D.L.R. le juge- ment dissident du juge d'appel Rinfret:
[TRADUCTION] Je crois que le cas de Lafleur se distingue clairement de celui que l'on examine actuellement. Dans Lafleur, la Cour suprême avait à considérer la Loi de l'impôt sur le revenu fédérale—ici il s'agit d'une loi du Québec. Dans cette affaire-là, on devait décider de l'application de la doctrine audi alteram partem: en l'espèce, l'art. 24 de la Loi l'énonce
expressément. Enfin on y mentionnait la page 229] que [TRADUCTION] « ... l'appelant n'a aucun pouvoir de définir les droits et obligations de cette personne (l'intimé)». A mon avis, l'appelante (c.-à-d. la commission) a précisément agi en ce sens.
L'appelante a rendu une décision qui peut nuire beaucoup à la réputation et l'avenir de l'intimé sinon les détruire. Quand je lis les premier et quatrième considérants et les conclusions de la sixième recommandation et quand je me rappelle que le seul but de ces rapports est de présenter des faits et des recomman- dations d'après lesquels normalement le Ministre agira, l'argu- ment qu'aucun droit n'a été défini et que rien n'a été décidé est pur sophisme.
Dans l'arrêt Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1, le juge Pigeon dit aux pages 132 et 133 R.C.S.; 11 et 12 D.L.R.:
Dans l'arrêt Saulnier, on demandait un bref d'évocation, équivalant à un bref de certiorari, en vertu de l'art. 846 du C.p.c. L'article 24 de la Loi de police, 1968 (Qué.), c. 17, énonce comme suit le devoir de la Commission de police d'agir de façon judiciaire:
La Commission ne peut, dans ses rapports, blâmer la conduite d'une personne ou recommander que des sanctions soient prises contre elle à moins de l'avoir entendue sur les faits qui donnent lieu à un tel blâme ou à une telle recom- mandation. Toutefois cette obligation cesse si cette personne a été invitée à se présenter devant la Commission dans un délai raisonnable et si elle a refusé ou négligé de le faire. Cette invitation est signifiée de la même façon qu'une assi gnation en vertu du Code de procédure civile.
Cependant, la majorité de la Cour d'appel avait jugé que la Commission n'était pas tenue d'agir de façon judiciaire, en se fondant sur l'opinion de cette Cour dans l'arrêt Guay c. Lafleur ([(1964), 47 D.L.R. (2d) 226 à la p. 228], [1965] R.C.S. 12), à la p. 18:
[TRADUCTION] ... la maxime «audi alteram partent» ne s'applique pas à un agent d'administration dont la fonction consiste simplement à recueillir des renseignements et à faire un rapport et qui n'a aucunement le pouvoir d'imputer une responsabilité ni de rendre une décision portant atteinte aux droits des parties.
Cette Cour a statué à l'unanimité que le rôle de la Commission de police ne se limite pas à recueillir des renseignements et faire un rapport mais que ce rapport qui peut avoir des suites, portait atteinte aux droits du requérant. L'examen judiciaire a été accordé non seulement parce qu'il existait un devoir d'agir de façon judiciaire mais également parce que la décision portait atteinte aux droits du requérant. Au risque de me répéter, cela ne signifie pas que chaque fois qu'une décision porte atteinte aux droits d'un requérant, il existe un devoir d'agir de façon judiciaire.
Les éléments nécessaires pour un contrôle judi- ciaire sont aussi énoncés dans l'affaire Trapp y Mackie, [ 1979] 1 All ER 489 (H.L.).
Je cite également le sommaire de l'arrêt Edwards et al. v. Alta. Assn. of Architects et al., [1975] 3 W.W.R. 38 (C.S. Alb.):
[TRADUCTION] Le conseil de l'association intimée a décidé que son comité d'orientation professionnelle «procédera à une audience en bonne et due forme» au sujet d'une plainte portée contre les requérants qui sont membres de l'associa- tion. Le conseil n'a toutefois pas suivi certaines procédures énoncées dans les règlements internes de l'association qui prévoyaient clairement qu'elles devaient oligatoirement être suivies avant la tenue d'une audience en bonne et due forme. Les requérants ont présenté une demande afin d'obtenir une ordonnance interdisant la tenue de l'audience ordonnée par le conseil et on a prétendu qu'il n'y avait pas lieu d'accorder une ordonnance de prohibition parce que le comité d'orienta- tion professionnelle n'était pas habilité à rendre une décision finale sur les droits des requérants.
Jugement: les recommandations du comité d'orientation profes- sionnelle faites au conseil à la suite de la tenue d'une audience en bonne et due forme avaient une telle importance qu'on pouvait affirmer sans se tromper que le comité «s'était prononcé» sur les droits des membres dont le comportement faisait l'objet de l'enquête; en outre, le comité avait l'obliga- tion d'agir de façon judiciaire.
Tout comme l'avocat en l'espèce, l'avocat de l'Association avait fait valoir avec vigueur que la page 48]:
[TRADUCTION] ... il n'y a pas lieu à une ordonnance de prohibition parce que le comité d'orientation professionnelle n'est pas habilité, lorsqu'il agit en vertu de la procédure de plainte ou autrement, à rendre une décision finale sur les droits des requérants.
Le jugement cite et approuve lord Maugham dans l'affaire Estate & Trust Agencies (1927) Ld. v. Singapore Improvement Trust, [1937] A.C. 898 (P.C.), à la page 917:
[TRADUCTION] Une procédure n'en demeure pas moins une procédure judiciaire qui peut faire l'objet d'une ordonnance de prohibition ou d'un certiorari parce qu'elle doit être approuvée ou confirmée par une autre autorité.
Les redressements demandés sont laissés au pou- voir d'appréciation de la Cour. Si l'intimé n'était qu'un office recueillant des faits, les requérants ne pourraient avoir recours aux brefs de prérogative. De plus, si on accepte le point de vue de l'avocat de l'intimé, le rôle de l'intimé est tout au plus de recueillir des faits et de faire des recommanda- tions, et parce qu'il ne rend aucune décision finale, les brefs sont sans objet.
Il est évident cependant que l'intimé rend des décisions qui auront un effet sur les parties. À mon avis, l'intimé recueille des renseignements ou des faits, étudie ces données, rend des décisions et
transmet ensuite ses recommandations au Minis- tre. Tout le monde s'entend pour dire que si la Commission ontarienne du tabac peut démontrer à la satisfaction de l'intimé que le prix reçu par les fermiers est inférieur au coût de production de sa récolte plus un bénéfice raisonnable, ce fait servira de fondement à une recommandation au ministre de l'Agriculture.
Dans l'arrêt Re Doyle et Commission sur les pratiques restrictives du commerce et autres (1984), 6 D.L.R. (4th) 407, une décision de la Cour d'appel fédérale, le juge Le Dain dit [aux pages 410 et 411]:
Ainsi, la Commission estime que quatre des cinq alléga- tions de fraude particulières présentées par l'inspecteur sont fondées. Cela suffit, comme le mentionne l'article 114(27) de la Loi sur les corporations canadiennes, «dans l'intérêt du public», à «demander au Ministre d'engager, de continuer ou de régler des procédures au nom de la compagnie dont les affaires et l'administration ont fait l'objet de l'examen et du rapport», soit Javelin International Limitée.
La question se pose de savoir si la nature et l'effet du rapport de la Commission, ainsi qu'il ressort du passage précédent et des dispositions législatives, font qu'il s'agit d'une décision au sens de l'art. 28. Si tel est le cas, il est incontestable et, à mon avis, indubitable, qu'il s'agit, en vertu de la disposition législa- tive prévoyant expressément la tenue d'une audition, notam- ment le droit à un procureur, d'une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Cette Cour a, dans des causes portant sur la distinction entre la décision finale qu'un tribunal est tenu de rendre dans l'exer- cice ou le prétendu exercice de sa compétence ou de ses pouvoirs et d'autres décisions ou positions qu'elle a prises dans l'exercice de sa compétence ou lorsqu'elle refuse de l'exercer, examiné le sens du mot «décision» employé à l'art. 28, mise à part la condition qu'il s'agisse d'une décision qui doit être soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Elle a jugé que c'est seulement la décision finale qui est une décision au sens de l'article 28. Les précédents importants sont: Le procureur général du Canada c. Cylien (1973), 43 D.L.R. (3d) 590, [1973] C.F. 1166; Re B.C. Provincial Council United Fishermen & Allied Workers Union and B.C. Packers Ltd. et al. (1973), 45 D.L.R. (3d) 372, [1973] C.F. 1194 sub nom. B.C. Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail, 1 N.R. 201 et In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Company Ltd., [1974] 1 C.F. 22, 1 N.R. 422. Le juge Heald a récemment résumé l'incidence de cette jurisprudence dans l'affaire Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Brewe ries of Canada Ltd. et autre (1982), 142 D.L.R. (3d) 548, la p. 552, 69 C.P.R. (2d) 136, la p. 140, 45 N.R. 126, il dit ceci:
D'après cette jurisprudence, la Cour d'appel fédérale a com- pétence pour examiner, en vertu de l'article 28, seulement les ordonnances ou décisions finales, finales en ce sens que la décision ou ordonnance en question est celle que le tribunal a le pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou obliga tions juridiques.
Je considère le membre de phrase «d'où découlent des droits ou obligations juridiques» comme renvoyant aux propos tenus dans la jurisprudence antérieure selon laquelle la décision doit avoir pour effet juridique de trancher la question dont est saisi le tribunal et de lier ce dernier parce qu'il n'a plus de pouvoirs à exercer à cet égard, et aussi à ceux selon lesquels les opinions d'un tribunal quant aux limites de sa compétence ou de ses pouvoirs ne sont pas des décisions au sens de l'art. 28, parce qu'elles sont dépourvues d'effet juridique. Le critère ou principe que je tire de cette jurisprudence, aux fins du présent litige, est qu'une décision au sens de l'art. 28 est celle qui a l'effet juridique d'une décision obligatoire. La nature précise de l'effet juridique n'est pas pertinente pour trancher la question de savoir s'il s'agit d'une décision. C'est un des facteurs dont il faut tenir compte pour trancher la question de savoir si la décision est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Voir Le ministre du Revenu national c. Coo pers and Lybrand (1978), 92 D.L.R. (3d) 1, [1979] 1 R.C.S. 495, [1978] C.T.C. 829. La disposition législative prévoyant expressément la tenue d'une audition constitue certainement un autre facteur et, comme je l'ai laissé entendre, il s'agit d'un facteur décisif en l'espèce. Mais l'exigence d'une audition ou d'une procédure équitable ne signifie pas nécessairement que ce qui est en cause est une décision ayant l'effet juridique d'une décision obligatoire: voir In re Pergamon Press Ltd., [1971] 1 Ch. 388, une telle procédure a été jugée nécessaire dans une enquête sur les affaires d'une compagnie, bien qu'il ait été reconnu que cette enquête n'entraînait pas de décision.
Le fait pour la Commission de conclure en l'espèce à une fraude ne constitue pas, à mon avis, une décision qui a en soi l'effet juridique d'une décision obligatoire. De par elle-même, cette conclusion n'engendre aucun effet juridique. Elle ne lie personne. Elle n'a rien de décisif. C'est cette décision, toutefois, qui a amené la Commission à décider qu'il était dans l'intérêt public de demander au Ministre, en vertu du paragraphe 114(27), d'engager, de continuer ou de régler des procédures au nom de la compagnie. Cette décision, à laquelle a donné suite la requête, a, selon moi, l'effet juridique d'une décision obliga- toire. Elle a pour effet juridique de permettre au Ministre d'exercer les pouvoirs qu'il tient de ce paragraphe, et elle est obligatoire et définitive à cet égard, à moins d'être annulée à la suite d'un contrôle judiciaire. (C'est moi qui souligne.)
L'avocat d'un des requérants a déclaré: [TRA- DUCTION] «Dans des affaires de ce genre, la jus tice la plus simple et la plus élémentaire exige que le jury permette aux intervenants d'examiner l'étude». Il ne s'agit pas d'une règle de procédure, mais d'une règle fondamentale de notre droit. Il a demandé pour la forme [TRADUCTION] «Comment se fait-il que quelqu'un (l'intimé) puisse la verser au dossier sans que les autres parties puissent la
consulter?»
En l'espèce, l'effet sur les requérants est direct. Une décision et une recommandation en faveur de la création d'un office leur coûtera, comme indiqué plus haut, plusieurs millions de dollars de plus.
L'intimé, et maintenant cette Cour, représentent leur seul recours avant que le gouverneur en con- seil se prononce.
L'avocat d'un autre des requérants pose le pro- blème de la manière suivante: [TRADUCTION] «La Loi rend obligatoire la tenue d'une audience publi- que lorsqu'une enquête doit être faite; cela exige que l'intimé procède et agisse équitablement.» Selon lui, le jury n'a pas agi équitablement et a commis les erreurs suivantes:
1. La suggestion du président de rayer le renvoi à l'étude.
2. Le refus de se prononcer sur la première requête.
3. Le rejet de la deuxième requête.
4. Le refus d'accorder un subpoena ou de reporter l'audience.
5. La possession du rapport après la clôture de l'audience.
6. Le refus de reprendre l'audience.
L'avocat a exposé l'affaire d'une manière très succincte et correcte.
Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimé qui a affirmé que l'enquête ne se limitait pas à l'au- dience mais que, dans le cas présent, cette impor- tante étude était cruciale pour la décision que le jury devait rendre et qu'il était inapproprié et injuste, compte tenu des circonstances, de ne pas faire ce que proposaient les requérants, c'est-à-dire exiger la production de ladite étude lorsqu'elle serait terminée en reprenant tout simplement l'au- dience. De plus, il est un peu exagéré de laisser entendre que ces audiences ne constituent pas des débats contradictoires. Et s'il est vrai que le Minis- tre peut décider de créer un office et de ne pas tenir d'audience publique, une fois que la tenue d'une enquête est ordonnée, l'intimé possède de larges pouvoirs et il ne devrait pas les limiter comme il l'a fait en l'espèce.
Comme la preuve l'indique clairement, les droits des requérants sont touchés, et ils pourraient l'être de manière importante. Qui peut vraiment nier que les requérants subiront un préjudice si l'intimé décide d'approuver la demande de la Commission ontarienne du tabac et fait cette recommandation au ministre de l'Agriculture?
L'intimé s'est-il fondé sur l'étude? Qu'il l'ait fait ou non importe peu, et le droit est très clair sur ce point. Dans l'affaire Mehr v. Law Society of Upper Canada, [1955] R.C.S. 344, le juge Cart- wright dit à la page 350:
[TRADUCTION] Le juge d'appel Laidlaw qui a prononcé le jugement unanime de la Cour d'appel s'est exprimé comme suit:—([1954] O.R. 337 342)
On peut répondre en un mot à l'objection formulée à l'encontre de la déclaration faite conjointement par M. et Mn' Hsiung. Le rapport du Comité indique que: «Le Comité n'a attaché aucune conséquence à ces déclarations à cause de l'absence des Hsiung et de l'impossibilité de les contre-inter- roger». La Cour accepte cet énoncé concluant.
En toute déférence, il m'est impossible de souscrire à ces passages. A mon avis, ils contredisent directement le langage utilisé par lord Eldon dans l'affaire Walker v. Frobisher ((1801), 6 Ves. 70, la p. 72; 31 E.R. 943) qui a été approuvé dans le jugement rendu à l'unanimité par cette Cour dans l'affaire Szilard v. Szasz ([1955] R.C.S. 3) et prononcé par mon collègue Rand le 1" novembre 1954:—
Mais l'arbitre a juré que cela (le fait d'entendre d'autres personnes) n'a eu aucun effet sur sa sentence. Je le crois. C'est un homme très respectable. Mais, malgré tout mon respect, je ne peux faire ce que je n'arrive pas à concilier avec des principes généraux. Un juge ne peut déterminer lui- même si des éléments de preuve admis à tort ont eu un effet sur lui. La sentence peut avoir rendu justice, mais en raison des principes généraux, elle ne peut être maintenue.
Un autre point: les requérants en l'espèce ne cherchent pas à empêcher la tenue des audiences de l'intimé ou à les retarder indûment et inutile- ment, mais ils veulent être certains que [TRADUC- TION] «les audiences sont complètes et méritent le respect des gens ordinaires».
Je statue que la présente demande est accueillie, que l'audience devra être reprise, que l'intimé devra obliger la Commission ontarienne du tabac à fournir l'Etude sur le coût de production effectuée par Touche, Ross et Associés en 1983, que les parties devront en être avisées et qu'il faudra leur donner l'occasion, si elles le désirent, de procéder à des interrogatoires et des contre-interrogatoires, de présenter des contre-preuves et de faire valoir leurs positions respectives comme le prévoient les Règles de procédure de l'intimé. Il sera seulement néces- saire d'aviser les parties à la présente demande, même si les autres parties qui ont participé aux audiences tenues à London (Ontario), Charlotte- town (Î.-P.-E.), à Montréal (Québec) et à Ottawa (Ontario) sont libres de demander qu'il leur soit donné l'occasion de se faire entendre devant l'intimé.
Les requérants ont droit aux dépens.
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