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A-1287-84
Affaire intéressant la compétence conférée à la Commission du tarif par le paragraphe 47(1) de la Loi sur les douanes
et
L'appel 2157 interjeté devant la Commission du tarif par CAE Metal Abrasive Division of Canadi- an Bronze Company Limited (appelante)
et
Sous-ministre du Revenu national pour les Doua- nes et l'Accise (intimé)
et
Eaton & Yale Ltd. et Dofasco Inc. (intervenantes)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Ryan— Ottawa, 10 décembre 1984; 22 février 1985.
Douanes et accise Délégation du pouvoir du sous-minis- tre de déterminer de nouveau la classification tarifaire de la grenaille d'acier en vertu de l'art. 46(4)d) de la Loi sur les douanes Appel interjeté devant la Commission du tarif Renvoi devant la Cour d'appel fédérale relativement à la compétence de la Commission de connaître de l'appel et à la question de savoir si le sous-ministre peut déléguer le pouvoir que lui confère l'art. 46(4) Ni les termes ni la portée ni le but de l'art. 46 ne permettent d'écarter la règle générale d'interprétation voulant que le pouvoir discrétionnaire soit exercé personnellement La progression des recours en appel accordés à l'importateur permet de conclure qu'il a le droit de faire examiner par le sous-ministre en personne sa demande
visant à obtenir une nouvelle classification La décision du sous-ministre ne revêt pas «un caractère administratif Distinction faite entre l'espèce et l'affaire Ahmad c. La Com mission de la Fonction publique, 11974J 2 C.F. 644 (C.A.) Réponses négatives aux questions faisant l'objet du renvoi Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 46, 47 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2" Supp.), chap. 10, art. 28(4) Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 6(5), 31.
Contrôle judiciaire Demandes de réexamen Douanes
et accise Renvoi en vertu de l'art. 28(4) de la Loi sur la
Cour fédérale Délégation du pouvoir du sous-ministre de déterminer de nouveau la classification tarifaire en vertu de l'art. 46(4)d) de la Loi sur les douanes Appel interjeté
devant la Commission du tarif Renvoi à la Cour d'appel fédérale pour déterminer si la Commission est compétente pour connaître de l'appel et si le sous-ministre peut déléguer le
pouvoir que lui confère l'art. 46(4) Réponses négatives aux questions Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2" Supp.), chap. 10, art. 28(4) Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 46, 47.
Lois Interprétation Délégation du pouvoir du sous- ministre de déterminer de nouveau la classification tarifaire en
vertu de l'art. 46(4)d) de la Loi sur les douanes Distinction faite entre l'espèce et l'affaire R. v. Huculak (1969), 69 W.W.R. 238 (C.A. Sask.) L'art. 23(3) de la Loi d'interpré- tation dispose qu'un texte législatif qui autorise un fonction- naire public à accomplir quelque chose autorise aussi, à cet égard, la personne qui occupe un poste de délégué auprès de ce fonctionnaire public L'art. 23(3) n'a pas pour effet d'autori- ser un fonctionnaire public à désigner «son propre délégué», sans égard au poste qu'il occupe, et à lui déléguer les pouvoirs que lui confère la loi Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 2(1), 23(2) (mod. par S.R.C. 1970 (2 » Supp.),
chap. 29, art. l), (3) Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 46(4)d).
La classification tarifaire de la grenaille d'acier a été déter- minée au moment de l'entrée. Le sous-ministre aurait procédé à une nouvelle détermination en vertu de l'alinéa 46(4)d) de la Loi sur les douanes. L'alinéa 46(4)d) permet au sous-ministre de déterminer de nouveau la classification tarifaire d'effets quelconques dans les cas autres que ceux prévus aux alinéas a), b) et c). La décision n'a pas été rendue personnellement par le sous-ministre, mais par le directeur de la Classification des produits mécaniques, agricoles et électriques à qui le sous- ministre avait délégué, au moyen d'une note, son pouvoir d'accomplir certains actes prévus au paragraphe 46(4). Il a été fait appel de cette décision devant la Commission du tarif, laquelle a renvoyé devant la Cour d'appel fédérale, en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, les questions suivantes: a) la Commission du tarif est-elle compétente pour statuer sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 47(1) de la Loi sur les douanes lorsque la décision visée n'a pas été rendue personnellement par le sous-ministre? b) le sous-minis- tre a-t-il le droit de déléguer le pouvoir que lui confère le paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes? Il s'agit de déterminer s'il y a lieu d'appliquer en l'espèce les conclusions de l'arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [19741 2 C.F. 644 (C.A.), selon lesquelles il semble que le pouvoir conféré à un sous-ministre peut être délégué suivant deux conditions. La question se pose donc de savoir si la Loi sur les douanes indique qu'un tel pouvoir ne peut être délégué et si le pouvoir conféré au sous-ministre par le paragraphe 46(4) est de nature purement administrative. Finalement, il a été soutenu que le paragraphe 23(3) de la Loi d'interprétation permet réellement au sous-ministre de déléguer son pouvoir de rendre une décision en vertu du paragraphe 46(4).
Arrêt (les juges Heald et Mahoney y souscrivant en partie), on devrait répondre aux deux questions par la négative.
Le juge Ryan: Dans l'affaire R. v. Huculak (1969), 69 W.W.R. 238 (C.A. Sask.) il a été décidé que le mot «délégué» désignait une personne nommée pour en remplacer une autre et autorisée à agir à sa place. Dans cette affaire, la personne qui a effectivement signé le décret en conseil était, de par son titre même, une personne qui occupait un poste qu'on pourrait qualifier de «poste de délégué». Les mots «délégué» ou «deputy» ne comprennent pas une personne qui est autorisée par un fonctionnaire public à agir en son nom par voie de délégation mais qui n'occupe pas un poste de fonctionnaire public qui puisse à juste titre être qualifié de «délégué» du fonctionnaire public en question. Le paragraphe 23(3) de la Loi d'interpréta- tion n'a pas pour effet d'autoriser un fonctionnaire public à désigner son propre «délégué» et à lui déléguer les pouvoirs que lui accorde la loi, et ce, sans égard au poste qu'occupe cette
personne au sein de la Fonction publique. Le paragraphe 23(3) a l'effet suivant: si un texte législatif autorise un fonctionnaire public à accomplir un acte, ce texte de loi doit être interprété comme autorisant les personnes qui occupent un poste de délégué auprès de ce fonctionnaire public à accomplir l'acte ou la chose en question.
L'appelante a invoqué l'arrêt Carltona, Ltd. v. Works Comrs., [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.), qui se fondait sur le principe selon lequel les fonctions conférées aux ministres sont si variées qu'aucun ministre ne pourrait personnellement les remplir, et sur le principe voulant que le ministre soit responsa- ble devant le Parlement. L'appelante a aussi cité l'arrêt R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, il a été déclaré que la règle générale d'interprétation selon laquelle une personne doit exer- cer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie pouvait être modifiée par les termes, la portée et le but d'un programme administratif donné. Ces arrêts ont trait à l'exercice de pouvoirs au nom de ministres. Dans l'arrêt Ahmad, la décision de renvoyer un employé n'en était pas une qui exigeait l'attention personnelle du sous-chef. Selon l'arrêt Ahmad, le pouvoir conféré par un texte de loi à un sous-minis- tre comporte en lui-même une présomption suivant laquelle les actes que le sous-ministre est autorisé à exécuter peuvent l'être par des fonctionnaires de son ministère. Il s'agit-là, à tout le moins, d'un motif subsidiaire de la décision de la Cour sur la question de la «délégation». Cette présomption est soumise à la question de savoir s'il existe une «indication contraire expresse ou implicite» dans le texte de loi, et si le pouvoir conféré revêt un caractère administratif. Même s'il faut en tenir compte, la présomption de l'arrêt Ahmad n'est pas décisive.
Les termes, la portée et le but du mécanisme administratif établi en vertu de l'article 46, sont cruciaux pour déterminer si le sous-ministre doit exercer son pouvoir personnellement. L'ar- ticle 46 crée un mécanisme administratif pour la détermination de la classification tarifaire et l'estimation de la valeur imposa- ble d'effets importés. La classification tarifaire est déterminée au port d'entrée. L'importateur peut demander qu'une nouvelle détermination soit d'abord faite par un appréciateur fédéral des douanes, puis par le sous-ministre. Cette progression des recours nous amène à conclure que l'importateur a le droit de faire examiner sa demande par le sous-ministre en personne. La règle générale d'interprétation selon laquelle une personne devrait exercer personnellement un pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, n'est pas écartée par les termes, la portée et le but de l'article.
Une décision rendue par le sous-ministre en vertu du para- graphe 46(4) n'est pas une décision qui revêt «un caractère administratif». La demande visée au paragraphe 46(3) est formulée par écrit. L'importateur fait des observations. La décision du sous-ministre, s'il fait droit à la demande, procure des avantages à l'importateur. La décision du sous-ministre n'a pas pour but de mettre en oeuvre une politique. Il doit appliquer le numéro tarifaire ou les dispositions pertinentes de la Loi. La question de savoir si l'appréciateur a commis une erreur consti- tue un litige. Sa décision comporte un «élément judiciaire» important et peut avoir des conséquences sérieuses pour l'importateur.
La Commission du tarif a fait valoir que la maxime expres- sio unius est exclusio alterius s'appliquait. Comme d'autres articles de la Loi sur les douanes et d'autres textes législatifs
autorisent expressément la délégation de pouvoir, le législateur aurait prévu un pouvoir semblable dans la Loi sur les douanes s'il avait voulu autoriser le sous-ministre à déléguer les pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 46(4). Ces arguments ne sont pas convaincants.
Le juge Heald: Les vues exprimées par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Ahmad ne constituent pas un motif subsi- diaire de la décision de la Cour sur la «question de la déléga- tion«. On peut faire une distinction entre l'affaire Ahmad et l'espèce, puisque dans le premier cas, le sous-chef avait délégué ses pouvoirs en vertu du paragraphe 6(5) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. La déclaration selon laquelle l'avis demandé n'avait pas à faire l'objet de l'attention personnelle du sous-chef constituait un obiter dictum.
Le juge Mahoney: Il n'est pas nécessaire de déterminer si la reconnaissance du droit implicite d'un sous-ministre de délé- guer ses pouvoirs au même titre qu'un ministre constituait un obiter dictum ou un motif subsidiaire de la décision. Dans l'affaire Ahmad, la reconnaissance se fondait sur les principes appliqués dans l'affaire Carltona. Contrairement à un ministre, un sous-ministre n'est pas responsable devant le Parlement.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.); R. v. Huculak (1969), 69 W.W.R. 238 (C.A. Sask.); Carltona, Ltd. v. Works Comrs., [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.); R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238.
DÉCISION EXAMINÉE:
Vine v. National Dock Labour Board, [ 1957] A.C. 488 (H.L.).
DÉCISION CITÉE:
Ramawad c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immi- gration, [ 1978] 2 R.C.S. 375.
AVOCATS:
Michael A. Kelen pour la Commission du tarif.
T. B. Smith, c.r. et Michael Ciavaglia pour le procureur général du Canada.
John D. Richard, c.r. et Richard Dearden pour CAE Metal Abrasive Division of Cana- dian Bronze Company Limited.
PROCUREURS:
Michael A. Kelen, Ottawa, pour la Commis sion du tarif.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour CAE Metal Abrasive Division of Canadian Bronze Company Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai lu le projet de motifs de jugement qu'a rédigé mon collègue le juge Ryan. Je m'associe à la décision qu'il propose. Je souscris également aux motifs qu'il formule à l'appui de sa décision, à l'exception d'une réserve que j'aimerais formuler brièvement.
Cette réserve concerne l'opinion qu'exprime le juge Ryan lorsqu'il dit que les vues exprimées par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Ahmad [Ahmad c. La Commission de la Fonction publi- que, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.)] constituaient à tout le moins un motif subsidiaire de la décision de la Cour sur la «question de la délégation» qui se posait dans cette affaire. En toute déférence, je ne partage pas son opinion. Je suis d'avis que les faits de l'affaire Ahmad sont différents de ceux de la présente espèce. Ainsi que le fait observer le juge Ryan, le sous-chef avait délégué ses pouvoirs en vertu du paragraphe 6(5) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32], qui autorisait cette délégation. Après avoir mentionné le paragraphe 6(5) et l'acte de déléga- tion déposé en preuve dans cette affaire-là, le juge en chef a déclaré, à la page 650:
A mon avis, quoique cet acte eût pu être mieux rédigé, il confère au directeur le pouvoir approprié pour formuler un avis sur l'incompétence du requérant, préalable à une recommanda- tion prévue à l'article 31. (Comparer avec l'arrêt Mungoni c. Attorney General of Northern Rhodesia [ 1960] A.C. 336.)
J'estime que ce passage constitue le fondement et la raison déterminante de la décision du juge en chef. Il faut considérer comme un obiter dictum l'opinion, relevée par le juge Ryan dans le passage qu'il a cité, qu'a exprimée plus loin le juge en chef lorsqu'il s'est dit d'avis qu'en tout état de cause l'avis demandé «n'avait pas à faire l'objet de l'at- tention personnelle du sous-chef et pouvait émaner des fonctionnaires habilités du Ministère ...», étant donné qu'il n'était pas nécessaire que le juge en chef se prononce sur cette question pour tran- cher le litige. C'est pourquoi cette opinion ne me paraît pas convaincante, compte tenu des faits de la présente espèce parce que la loi ici en cause
n'autorise pas expressément le sous-ministre à déléguer ses pouvoirs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: J'ai eu l'avantage de lire le projet de motifs de jugement du juge Ryan. Je m'associe à la décision qu'il propose et, à une exception près, souscris entièrement aux motifs qu'il a rédigés. Je préfère ne pas me prononcer de façon catégorique sur la question de savoir si la reconnaissance du droit implicite d'un sous-minis- tre de déléguer ses pouvoirs au même titre qu'un ministre constituait un obiter dictum ou un motif subsidiaire de la décision de cette Cour dans l'arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publi- que, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.), car je ne crois pas que cela soit nécessaire dans le cas qui nous occupe.
Suivant l'arrêt Ahmad, cette reconnaissance repose sur les principes appliqués dans certaines décisions, et notamment dans l'arrêt Carltona, Ltd. v. Works Comrs., [1943] 2 All E.R. 560. Sauf erreur, ces principes reposent, quant à eux, sur deux postulats qu'on peut résumer de la façon suivante: un ministre est constitutionnellement res- ponsable des actes des personnes dont il doit répondre devant le Parlement et, en second lieu, il est impossible pour un ministre d'exercer person- nellement tous ses pouvoirs. Peu importe ce qu'on peut penser du second postulat, je ne suis aucune- ment convaincu que le premier s'applique aux sous-ministres, que ce soit de façon évidente ou par déduction logique.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Il s'agit d'un renvoi à cette Cour ordonné par la Commission du tarif en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédé- rale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]. Ce para- graphe est ainsi rédigé:
28....
(4) Un office, une commission ou un autre tribunal fédéral auxquels s'applique le paragraphe (1) peut, à tout stade de ses procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audition et
jugement, toute question de droit, de compétence ou de prati- que et procédure.
La Commission demande à la Cour de décider si le sous-ministre du Revenu national pour les Douanes et l'Accise, que nous appelerons désor- mais «le sous-ministre», peut déléguer à des fonc- tionnaires de son Ministère le pouvoir de détermi- ner de nouveau la classification tarifaire de biens importés, que lui confère le paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes [S.R.C. 1970, chap. C-40], ou s'il est tenu d'exercer ce pouvoir personnellement.
Il est raisonnablement bien établi qu'à quelques rares exceptions près, les pouvoirs conférés à un ministre de la Couronne par un texte de loi expli- cite peuvent être exercés par les fonctionnaires de ce ministre. Par ailleurs, dans l'arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [ 1974] 2 C.F. 644 (C.A.), cette Cour a déclaré qu'en l'ab- sence d'indications contraires dans la loi, les pou- voirs conférés expressément à un sous-ministre par un texte de loi peuvent également être exercés par les fonctionnaires du ministère, à condition que la décision qu'il était autorisé à rendre revête un caractère administratif. Une des questions à résou- dre dans la présente affaire est celle de savoir s'il faut suivre l'arrêt Ahmad.
Toutefois, même si nous décidions de suivre l'arrêt Ahmad, il nous faudrait quand même nous demander s'il existe dans la Loi sur les douanes, une «indication contraire expresse ou implicite» qui obligerait le sous-ministre à prendre la décision personnellement. On a fait valoir, au cours des débats, que tel était le cas et qu'il ressortait de l'économie de l'article 46 de la Loi sur les douanes qu'une intention contraire existait. On a également prétendu que le pouvoir que confère le paragraphe 46(4) au sous-ministre n'est pas de nature pure- ment administrative, mais que son exercice est soumis à un processus quasi judiciaire.
Une des parties a prétendu que le paragraphe 23(3) de la Loi d'interprétation [S.R.C. 1970, chap. I-23] donne en lui-même au sous-ministre l'autorisation nécessaire pour déléguer ses pou- voirs, ainsi qu'il l'a fait.
On a importé de la grenaille d'acier au Canada. Les effets en question semblent avoir fait l'objet d'une détermination de classification tarifaire au moment de leur déclaration en douane. Par la
suite, une décision a été rendue le 2 mai 1984. Suivant sa formulation, elle émanait du sous- ministre et était rendue en vertu de l'alinéa 46(4)d) de la Loi sur les douanes. On y lit notam- ment ce qui suit:
[TRADUCTION] Le Ministère a reçu des renseignements sup- plémentaires sur les procédés de fabrication et les méthodes de commercialisation de la grenaille d'acier. En conséquence, le sous-ministre a procédé, en vertu de l'alinéa 46(4)d) de la Loi sur les douanes, à une nouvelle détermination de la classifica tion tarifaire de la grenaille d'acier et l'a classifiée sous le numéro tarifaire 46600-1.
L'alinéa 46(4)d) de la Loi autorise le sous- ministre à déterminer de nouveau la classification tarifaire de tout effet lorsque «il juge opportun de le faire, dans les deux ans de la date de déclaration en douane de ces effets», sauf dans les cas prévus aux alinéas a), b) et c).
La décision porte la signature du «directeur de la Classification des produits mécaniques, agrico- les, électriques et primaires de la Division des programmes tarifaires, J. T. Vachon».
Cette décision a été portée en appel devant la Commission du tarif en vertu du paragraphe 47(1) de la Loi sur les douanes. L'appel a été interjeté par CAE Metal Abrasive Division of Canadian Bronze Company Limited, que nous appelerons désormais «CAE». Ce n'est pas CAE qui était l'importateur. Par contre, CAE était le seul fabri- cant de grenaille d'acier au Canada. Je tiens pour acquis qu'elle a interjeté appel à titre de personne lésée.
La Commission du tarif a mis en doute sa propre compétence à connaître de l'appel, compte tenu du fait qu'il semblait que le sous-ministre n'avait pas procédé personnellement à la nouvelle détermination. C'est pourquoi la Commission a renvoyé certaines questions à l'examen de cette Cour. Le renvoi est formulé dans les termes suivants:
[TRADUCTION]
RENVOI
1. Le 16 octobre 1984, il a été établi en preuve, à l'audition de l'appel 2157 interjeté devant la Commission du tarif à l'encontre de la décision que le sous-ministre du Revenu natio nal pour les Douanes et l'Accise (le sous-ministre) a rendue le 2 mai 1984 en vertu du paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes,
a) que le sous-ministre n'a ni rendu, ni examiné, ni signé personnellement la décision qui fait l'objet du présent appel;
b) que la décision qui fait l'objet du présent appel a été rendue par le directeur de la Classification des produits mécaniques, agricoles et électriques de la Division des programmes tarifaires du ministère du Revenu national, Douanes et Accise, M. J. T. Vachon, sans que celui-ci consulte le sous-ministre; et
c) que, par note de service du 25 novembre 1983, le sous-ministre avait autorisé les personnes occupant cer- tains postes à Douanes Canada, y compris le poste occupé par M. Vachon, à exécuter en son nom certains des pouvoirs et fonctions que lui conférait le paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes en matière de nouvelle détermination de classification tarifaire à l'égard des effets qui relèvent du Service, à l'exclusion de toute nouvelle détermination de classification tarifaire effec- tuée en vertu de la liste .C» du Tarif des douanes.
2. La Commission du tarif n'est pas convaincue que la loi reconnaît au sous-ministre le droit de déléguer les pouvoirs que le paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes lui confère en matière de nouvelle détermination de classification tarifaire d'effets. Elle a donc ajourné l'audition de l'appel et a ordonné que les questions de droit et de compétence soulevées soient renvoyées devant la Cour d'appel fédérale pour audition et jugement, conformément au paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale.
3. En conséquence, la Commission du tarif renvoie les ques tions suivantes à la Cour d'appel fédérale, en vertu du paragra- phe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, pour que la Cour instruise et juge l'affaire à la lumière du dossier du présent appel et notamment de la preuve et des pièces qui ont été versées au dossier:
a) La Commission du tarif a-t-elle compétence pour ins- truire et juger un appel interjeté conformément au paragraphe 47(1) de la Loi sur les douanes à l'encontre d'une décision du sous-ministre du Revenu national pour les Douanes et l'Accise, lorsqu'il est évident que la décision n'a été ni rendue, ni examinée, ni signée par le sous-ministre personnellement?
b) La common law ou la loi reconnaissent-elles au sous- ministre le droit de déléguer au directeur de la Classifi cation des produits mécaniques, agricoles et électriques de la Division des programmes tarifaires à Revenu Canada, Douanes et Accise, les pouvoirs que le paragra- phe 46(4) de la Loi sur les douanes lui confère en matière de nouvelle détermination de classification tari- faire d'effets?
Il convient de reproduire l'article 46 et le para- graphe 47(1) de la Loi sur les douanes.
46. (1) Sous réserve du présent article, une détermination de la classification tarifaire ou une estimation de la valeur imposa- ble d'effets quelconques, faite au moment de leur déclaration en douane, est définitive et péremptoire, à moins que l'importa- teur, dans les quatre-vingt-dix jours de la date de déclaration en douane, ne fasse une demande écrite, selon la forme et de la manière prescrites, à un appréciateur fédéral des douanes en vue d'une nouvelle détermination ou estimation.
(2) Un appréciateur fédéral des douanes peut déterminer de nouveau la classification tarifaire ou établir de nouveau l'esti- mation de la valeur imposable d'effets quelconques, faite au moment de leur déclaration en douane,
a) conformément à une demande prévue par le paragraphe (1), ou
b) en tout autre cas il juge opportun de le faire, dans les deux ans de la date de déclaration en douane.
(3) Sous réserve du paragraphe (4), une décision d'un appré- ciateur fédéral des douanes prévue par le présent article est définitive et péremptoire, à moins que l'importateur, dans les quatre-vingt-dix jours de la date de la décision, ne fasse une demande écrite au sous-ministre, selon la forme et de la manière prescrites, en vue d'une nouvelle détermination ou estimation.
(4) Le sous-ministre peut déterminer de nouveau la classifi cation tarifaire, ou établir de nouveau l'estimation de la valeur imposable, d'effets quelconques
a) en conformité d'une demande prévue par le paragraphe (3),
b) à toute époque, si l'importateur a fait une fausse représen- tation ou commis quelque fraude en faisant la déclaration en douane de ces effets,
c) à toute époque, pour donner suite à une décision de la Commission du tarif, de la Cour fédérale du Canada ou de la Cour suprême du Canada en ce qui regarde ces effets, et
d) en tout autre cas il juge opportun de le faire, dans les deux ans de la date de déclaration en douane de ces effets.
(5) Lorsque la classification tarifaire d'effets a été détermi- née de nouveau, ou que la valeur imposable d'effets a été estimée de nouveau, en vertu du présent article,
a) l'importateur doit payer tout droit additionnel ou toute taxe additionnelle exigible à l'égard des effets, ou
b) il doit être versé un remboursement de la totalité ou d'une partie des droits ou taxes payés à l'égard des effets, conformément à la nouvelle détermination ou estimation.
(6) Au présent article, l'expression «prescrit. signifie prescrit par les règlements du gouverneur en conseil.
47. (1) Une personne qui se croit lésée par une décision du sous-ministre,
a) sur la classification tarifaire ou la valeur imposable,
b) établie selon l'article 45, ou
c) sur la question de savoir si quelque drawback de droits douaniers est payable ou sur le taux d'un tel drawback,
peut appeler de la décision à la Commission du tarif en déposant par écrit un avis d'appel entre les mains du secrétaire de la Commission du tarif dans les soixante jours qui suivent la date à laquelle la décision a été rendue.
Par une note de service portant la date du 25 novembre 1983, le sous-ministre a entrepris d'au- toriser certains fonctionnaires occupant certains postes au sein de Douanes et Accise Canada ou exerçant les fonctions de ces postes, d'exercer en son nom les pouvoirs et fonctions que lui confère le paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes. La note de service est ainsi libellée:
[TRADUCTION] Objet: Paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes
J'autorise les personnes qui occupent les postes ci-après énumérés ou qui en exercent les fonctions, d'exécuter, en mon nom, les pouvoirs et fonctions dont le sous-ministre est investi en vertu du paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes, conformément aux modalités suivantes:
Le sous-ministre adjoint responsable des programmes des doua- nes est autorisé à établir de nouveau l'estimation de la valeur imposable de tout bien ou de déterminer de nouveau leur classification tarifaire, y compris le pouvoir de déterminer de nouveau la classification tarifaire des effets classés sous la liste «C» du Tarif des douanes;
Le directeur général du Service de politique opérationnelle et de mise au point des systèmes est autorisé à déterminer de nouveau la classification tarifaire des armes offensives classées sous la liste «C» du Tarif des douanes;
Le directeur général de la Division des programmes tarifaires est autorisé à déterminer de nouveau la classification tarifaire de tout effet, sauf ceux qui sont classés sous la liste «C» du Tarif des douanes;
Le directeur général de la Division des programmes de cotisa- tion est autorisé à établir de nouveau l'estimation de la valeur imposable de tout effet;
Le directeur de la Classification des produits mécaniques, agricoles et électriques de la Division des programmes tarifaires est autorisé à déterminer de nouveau la classification tarifaire des effets qui relèvent du Service, sauf ceux qui sont classés sous la liste «C» du Tarif des douanes;
Le directeur de la Classification des marchandises industrielles et de consommation de la Division des programmes tarifaires est autorisé à déterminer à nouveau la classification tarifaire des effets qui relèvent du Service, à l'exclusion de ceux qui sont classés sous la liste «C> du Tarif des douanes.
J'autorise également les personnes susmentionnées à infor mer les personnes concernées des décisions qu'elles rendront en vertu du paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes.
Le signataire de la décision qui a été portée en appel devant la Commission du tarif, M. Vachon, prétendait manifestement agir en vertu de cette note de service.
M. Vachon a témoigné devant la Commission du tarif. Il a déclaré qu'il était [TRADUCTION] «directeur au Service de la classification tarifaire, à Douanes Canada ...» et qu'il occupait ce poste depuis environ cinq ans. Il a déclaré avoir rendu cette décision [TRADUCTION] «sans avoir eu l'avantage de connaître l'avis du sous-ministre». Il a également déclaré avoir mis le sous-ministre au courant de la décision après en avoir avisé les intéressés. M. Vachon a également affirmé qu'il y avait plus de 2 000 demandes de nouvelle détermi- nation en cours en matière de classification tari-
faire et que dans son champ de compétence [TRA- DUCTION] «environ 1 000 décisions avaient été rendues dans les six derniers mois». 11 a également déclaré: [TRADUCTION] «le sous-ministre a donné des instructions à l'égard des catégories de cas qu'il préfère examiner et décider personnellement. Il a délégué ses pouvoirs dans d'autres cas.»
L'avocat de CAE a soutenu qu'il faut donner une réponse affirmative aux questions qui font l'objet du présent renvoi. Il a fait valoir que le paragraphe 23(3) de la Loi d'interprétation donne au sous-ministre le pouvoir de désigner Jean T. Vachon comme délégué aux fins de rendre les décisions prévues au paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes et que le sous-ministre a effective- ment exercé ce pouvoir.
Les paragraphes 23(2) [mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 29, art. 1] et 23(3) de la Loi d'interprétation sont ainsi libellés:
23....
(2) Les mots qui donnent à un ministre de la Couronne l'ordre ou l'autorisation d'accomplir un acte ou une chose ou qui, de quelque autre manière, lui sont applicables en raison de son titre officiel comprennent un ministre agissant pour lui ou, si le poste est vacant, un ministre désigné pour remplir ce poste, en exécution ou sous le régime d'un décret du conseil, de même que ses successeurs à la charge en question et son ou leur délégué, mais rien au présent paragraphe ne peut s'interpréter comme permettant à un délégué d'exercer quelque pouvoir, conféré à un ministre, d'établir un règlement défini dans la Loi sur les textes réglementaires.
(3) Les mots qui donnent à tout autre fonctionnaire public l'ordre ou l'autorisation d'accomplir un acte ou une chose ou qui, de quelque autre manière, lui sont applicables en raison de son titre officiel, comprennent ses successeurs à la charge et son ou leur délégué.
Voici la version anglaise de ses dispositions:
23....
(2) Words directing or empowering a Minister of the Crown to do an act or thing, or otherwise applying to him by his name of office, include a Minister acting for him, or, if the office is vacant, a Minister designated to act in the office by or under the authority of an order in council, and also his successors in the office, and his or their deputy, but nothing in this subsec tion shall be construed to authorize a deputy to exercise any authority conferred upon a Minister to make a regulation as defined in the Statutory Instruments Act.
(3) Words directing or empowering any other public officer to do any act or thing, or otherwise applying to him by his name of office, include his successors in the office and his or their deputy.
Suivant la définition qu'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi d'interprétation «fonctionnaire public» comprend notamment «toute personne dans la fonction publique du Canada ... autorisée par un texte législatif ou sous son régime à accomplir un acte ou une chose ...» Ce terme comprend donc un sous-ministre.
L'avocat a prétendu que le mot «délégué» est employé au paragraphe 23(3) dans le sens que lui a attribué le juge en chef Culliton dans l'arrêt R. v. Huculak (1969), 69 W.W.R. 238 (C.A. Sask.). Voici ce qu'a déclaré le juge en chef Culliton, à la page 240.
[TRADUCTION] Pour appliquer le paragraphe 656(2) du Code criminel, il faut donner effet aux dispositions pertinentes de la Loi d'interprétation. Accepter l'argument de l'appelant reviendrait à ignorer les mots «son délégué légitimement nommé. qui se trouvent au paragraphe précédent. A mon avis, le mot «délégué. doit, dans le contexte dans lequel il est employé à ce paragraphe, être interprété selon son sens courant et s'entendre de toute personne désignée pour en remplacer une autre et autorisée à agir pour elle et à sa place. Ainsi, en l'absence de tout indice permettant de croire à une limitation des pouvoirs du greffier adjoint du Conseil privé, je dois conclure que celui-ci est le délégué légitimement nommé du greffier du Conseil privé. Par conséquent, suivant les disposi tions de la Loi d'interprétation, la copie du décret de commuta tion de peine, dûment certifiée par le greffier adjoint du Conseil privé, satisfait aux exigences du par. 656(2) du Code criminel.
Dans l'affaire Huculak, la peine de l'appelant avait été commuée en une peine d'emprisonne- ment. L'appelant était détenu dans un pénitencier en vertu d'un décret du conseil qui avait été signé par le greffier adjoint et non par le greffier du Conseil privé. L'appelant prétendait qu'il était détenu illégalement parce que le greffier du Con- seil privé n'avait pas certifié le décret du conseil, contrairement aux exigences des dispositions appli- cables du Code criminel. Ainsi que je l'ai déjà souligné, cet argument a été rejeté.
Dans l'affaire Huculak, il semble que la per- sonne qui avait effectivement signé le décret du conseil était, de par son titre même, une personne qui occupait un poste qu'on pourrait à juste titre qualifier de «poste de délégué». Je doute fort que le mot «délégué» du texte français ou le mot «deputy» du texte anglais soient assez larges pour englober les personnes qui sont autorisées par un fonction- naire public à agir en son nom par voie de déléga-
tion mais qui n'occupent pas de postes de fonction- naires publics qui puissent à juste titre être qualifiés de postes de «délégué» du fonctionnaire public concerné. Je ne crois pas que le paragraphe 23(3) de la Loi d'interprétation ait pour effet d'autoriser un fonctionnaire public à désigner son propre «délégué» et à lui déléguer les pouvoirs que lui accorde la loi, et ce, sans égard au poste qu'occupe cette personne au sein de la fonction publique. Il me semble que, pour les fins qui nous occupent, le paragraphe 23(3) a l'effet suivant: si un texte législatif autorise un fonctionnaire public, par exemple, un sous-ministre, à accomplir un acte ou une chose, ce texte de loi doit être interprété comme autorisant les personnes qui occupent un poste de délégué auprès de ce fonctionnaire public à accomplir l'acte ou la chose en question.
L'avocat de CAE a déclaré que si l'argument qu'il fonde sur la Loi d'interprétation était rejeté, il lui paraîtrait impossible de soutenir que la Loi sur les douanes autorisait en elle-même, expressé- ment ou implicitement, le sous-ministre à déléguer ses pouvoirs.
Contrairement à CAE, l'avocat du procureur général n'a pas invoqué la Loi d'interprétation. Il fait reposer son argumentation sur des considéra- tions plus larges. Il prétend que le sous-ministre n'est pas tenu d'agir personnellement et qu'il a le pouvoir de décider qui des fonctionnaires de son ministère pourra exercer les pouvoirs dont il est investi aux termes du paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes. Si j'ai bien compris son argumen tation, c'est la note de service signée par le sous- ministre le 25 novembre 1983 qui constitue cette décision. Elle ne comporte pas de délégation de pouvoirs. Il s'agit d'un document qui met en place une entente qui concerne l'administration interne du Ministère.
Au nombre des décisions qu'il a invoquées, l'avocat a cité l'arrêt Carltona, Ltd. v. Works Comrs., [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.), dans lequel lord Greene a déclaré, à la page 563:
[TRADUCTION] Dans le régime d'administration publique de ce pays, les fonctions qui sont conférées aux ministres bon droit du point de vue constitutionnel puisque les ministres sont constitutionnellement responsables) sont si variées qu'aucun ministre ne pourrait jamais personnellement les remplir. Pour prendre l'exemple du cas présent, chaque ministère a sans aucun doute soumis des milliers de réquisitions dans ce pays. On ne peut pas supposer que ce règlement impliquait que, dans
chaque cas, le ministre en personne devait s'occuper de l'af- faire. Les tâches imposées aux ministres et les pouvoirs qui leur sont conférés sont normalement exercés sous leur autorité par les fonctionnaires responsables du ministère. S'il en était autre- ment, tout l'appareil de l'État serait paralysé. Constitutionnel- lement, la décision d'un tel fonctionnaire représente naturelle- ment la décision du ministre. Le ministre est responsable. C'est lui qui doit répondre devant le Parlement de tout ce que ses fonctionnaires ont fait sous son autorité et si, pour une affaire importante, il a choisi un fonctionnaire subalterne dont on ne peut s'attendre qu'il exécute le travail avec compétence, le ministre devra en répondre devant le Parlement. Tout le sys- tème d'organisation et d'administration ministérielles s'appuie sur l'idée qu'étant responsables devant le Parlement, les minis- tres feront en sorte que les tâches importantes soient confiées à des fonctionnaires expérimentés. S'il ne le font pas, c'est au Parlement qu'on devra se plaindre de leurs agissements.
Dans les présents motifs, je désignerai ce pas sage sous le nom du «principe de l'arrêt Carltona».
L'avocat a également cité le passage suivant des motifs du jugement du juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, aux pages 245 et 246:
Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delagatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le professeur Willis dans »Delegatus Non Potest Delegare», (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 la p. 264:
[TRADUCTION] . .. dans leur application du principe delega- tus non potest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'interpré- tation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot «personnellement», et adopter l'interprétation qui convient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en prati- que, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans aucun doute d'y voir l'expression «ou toute personne autorisée par lui».
Voir aussi S. A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, 3' éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même: Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works. De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'abouti- rait qu'au chaos administratif et à l'incurie.
D'après ce que j'en comprends, le principe de l'arrêt Carltona repose sur deux éléments. Le pre mier volet consiste à dire que «les fonctions qui sont conférées aux ministres bon droit du point de vue constitutionnel puisque les ministres sont constitutionnellement responsables) sont si variées qu'aucun ministre ne pourrait jamais personnelle- ment les remplir.» L'autre volet veut que les minis- tres de la Couronne soient personnellement respon- sables devant le Parlement. «Constitutionnelle- ment, la décision d'un tel fonctionnaire représente naturellement la décision du ministre. Le ministre est responsable. C'est lui qui doit répondre devant le Parlement ...»
Dans l'arrêt Harrison, le juge Dickson a égale- ment fait allusion aux deux aspects du principe, savoir, le nombre et la variété des fonctions des ministres du gouvernement et leur obligation de rendre compte de leurs actes devant le Parlement.
Dans son traité intitulé Administrative Law (4 e éd., 1977), H. W. R. Wade déclare la page 314] que [TRADUCTION] «les fonctionnaires tirent leur pouvoir d'agir au nom de leurs ministres d'une règle de droit générale ...» [C'est moi qui souli- gne.] Je cite ce passage au long, parce que j'estime qu'il est très utile:
[TRADUCTION] Au sens strict, il n'y a pas de délégation de pouvoir dans ces cas. Pour qu'il y ait délégation, il faut un acte distinct par lequel une personne est investie d'un pouvoir qu'elle n'était pas jusqu'alors apte à exercer. Par contre, les fonction- naires tirent leur pouvoir d'agir au nom de leurs ministres d'une règle de droit générale et non d'un acte de délégation particu- lier. Légalement et constitutionnellement, l'acte accompli par le fonctionnaire est l'acte du ministre et n'a pas besoin d'être autorisé de façon spécifique avant d'être accompli, ni d'être ratifié par la suite. Même lorsque la loi confère expressément au ministre l'autorité de déléguer ses pouvoirs, celui-ci ne s'en sert pas dans le cadre de ses relations avec ses propres fonction- naires. De telles formalités juridiques seraient déplacées au sein d'un ministère du gouvernement, comme en témoigne la cou- tume du Parlement de conférer des pouvoirs à des ministres en leurs noms propres. La situation est bien sûr différente lorsque le fonctionnaire est investi du pouvoir d'agir en son nom propre plutôt qu'au nom du ministre. Ainsi, le pouvoir des inspecteurs de statuer sur certains appels en matière d'aménagement doit leur être délégué par le ministre au moyen d'un texte réglemen- taire, ainsi que le prévoit la Loi. [C'est moi qui souligne.]
Les passages tirés des arrêts Carltona et Harri- son, de même que l'extrait du traité de Wade concernent tous l'exercice de pouvoirs au nom de ministres de la Couronne et non l'exercice de
pouvoirs par des fonctionnaires pour le compte d'autres fonctionnaires. D'ailleurs, Wade fait la distinction pour les cas un fonctionnaire est investi du pouvoir d'agir en son propre nom.
L'avocat nous a cependant cité un passage des motifs du jugement prononcés par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.), dans lequel le principe de l'arrêt Carltona semble avoir été élargi de façon à inclure les sous-minis- tres. Ce passage se trouve à la page 651:
Il serait tout à fait impossible au sous-chef d'un ministère important dans un gouvernement moderne de s'occuper person- nellement de toutes les questions de ce genre, quelles qu'impor- tantes qu'elles puissent être pour les personnes concernées. C'est la raison d'être de l'organisation ministérielle et, à mon avis, il en découle nécessairement, en l'absence d'indication contraire expresse ou implicite, que les pouvoirs des ministres et des sous-ministres, dans la mesure ils revêtent un caractère administratif, sont exercés en leur nom par les instances de leur ministère. Dans quelle mesure les fonctionnaires peuvent ou doivent agir ainsi dans des cas particuliers est une question qui relève de l'organisation interne et les tiers n'ont pas qualité pour contester les pouvoirs d'un fonctionnaire dans un cas particulier.
Dans l'arrêt Ahmad, un sous-chef avait délégué le pouvoir que lui conférait l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique de recom- mander le renvoi d'un employé lorsqu'il était d'avis que celui-ci n'avait pas la compétence voulue pour exercer les fonctions de son poste. Le sous-chef avait délégué ses pouvoirs à un des directeurs du service du personnel et ce dernier les avaient exer- cés. La délégation avait été effectuée en vertu d'une disposition de la Loi qui permettait une telle délégation. La Cour a statué que la délégation était valide. Le juge en chef a toutefois fait remar- quer, aux pages 650 et 651:
En tout cas, toute question d'autorisation légale spéciale mise à part, je pense que cet avis n'avait pas à faire l'objet de l'attention personnelle du sous-chef et pouvait émaner des fonctionnaires habilités du Ministère sur la base des principes appliqués dans des affaires telles que Carltona, Ltd. c. Comrs. of Works.
Le juge en chef a ensuite cité le passage du jugement de lord Greene dans l'arrêt Carltona que j'ai déjà cité puis a élargi la portée de l'arrêt Carltona de façon à englober les sous-ministres.
En supposant que l'extrait de l'arrêt Ahmad soit bien fondé, il semblerait que la Cour doive consi- dérer que les pouvoirs conférés par un texte de loi à un sous-ministre comportent en eux-mêmes une
présomption suivant laquelle les actes que le sous- ministre est autorisé à exécuter peuvent être exé- cutés, non seulement par lui-même, mais égale- ment par les fonctionnaires responsables de son ministère. J'ajouterais que je considère que le pas sage tiré de l'arrêt Ahmad constitue à tout le moins un motif subsidiaire de la décision de la Cour sur la «question de la délégation» qui se posait dans cette affaire. Ainsi donc, pour les besoins des présents motifs, je tiens pour acquis que la «présomption de l'arrêt Ahmad» s'applique. En tout état de cause, si je devais arriver à la conclusion que le sous-ministre ne peut déléguer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 46(4) même avec l'appui de cette présomption, je ne vois pas comment je pourrais conclure qu'il a ce pou- voir si on écarte cette présomption.
Quoi qu'il en soit, la présomption qui permet à un sous-ministre d'exercer les pouvoirs que lui accorde la loi par le truchement des fonctionnaires de son ministère demeure, suivant l'arrêt Ahmad même, soumise à une «indication contraire expresse ou implicite» dans le texte de loi; de plus, la présomption ne joue que si les pouvoirs conférés «revêtent un caractère administratif».
En dernière analyse, j'estime que ce qui consti- tue le facteur déterminant pour décider si le sous- ministre doit exercer personnellement les pouvoirs que lui confère l'article 46, ce sont, pour reprendre la formulation de l'arrêt Harrison, «les termes, la portée ou le but ...» du programme administratif créé par l'article 46. La «présomption de l'arrêt Ahmad» est un élément dont il faut tenir compte pour trancher le litige, mais elle ne saurait en elle-même être décisive.
L'article 46 de la Loi sur les douanes crée un mécanisme administratif qui concerne la détermi- nation de la classification tarifiaire et l'estimation de la valeur imposable d'effets importés. Toutes les deux constituent des caractéristiques essentielles du système des douanes et revêtent une très grande importance pour les importateurs. Le processus de classification et d'estimation soulève à l'occasion d'épineuses questions d'interprétation, des ques tions mixtes de fait et de droit.
Les déterminations de classification tarifaire et les estimations de valeur imposable d'effets qui sont faites au moment de leur déclaration en
douane sont définitives et péremptoires, à moins que l'importateur, dans les quatre-vingt-dix jours de la date de déclaration en douane, ne fasse une demande écrite, selon la forme et de la manière prescrites, à un appréciateur fédéral des douanes en vue d'une nouvelle détermination ou estimation. En réponse à la demande de l'importateur, l'appré- ciateur fédéral des douanes peut déterminer de nouveau la classification tarifaire ou établir de nouveau l'estimation de la valeur imposable des biens en question. Cependant, la nouvelle détermi- nation et la nouvelle estimation ne sont pas néces- sairement définitives. L'importateur dispose d'un recours supplémentaire. Il peut demander au sous- ministre de faire une nouvelle détermination ou une nouvelle estimation.
Cette progression des recours est significative pour les fins du présent appel. Elle nous amène à conclure que l'importateur a le droit de faire exa miner sa demande par le sous-ministre en per- sonne, et non par un fonctionnaire que le sous- ministre a autorisé à agir en son nom. En vertu du paragraphe 46(3), l'importateur a le droit de pré- senter sa demande au premier des hauts fonction- naires administratifs du Ministère, le sous-minis- tre. Il a déjà eu droit à une nouvelle détermination ou à une nouvelle estimation par un fonctionnaire subalterne, l'appréciateur fédéral des douanes. Ce qu'il demande, c'est une nouvelle détermination ou une nouvelle estimation par le plus haut fonction- naire administratif du Ministère.
Je ne méconnais pas le fait que la formulation de la décision qui a été portée en appel devant la Commission du tarif indique qu'il s'agit d'une décision prise en vertu de l'alinéa 46(4)d) et non en vertu de l'alinéa 46(4)a). Si ce n'était que de l'alinéa 46(4)d), il serait plus facile de prétendre que le sous-ministre peut déléguer ses pouvoirs à d'autres fonctionnaires, étant donné qu'en vertu de cet alinéa, le sous-ministre peut agir de sa propre initiative; il n'agit pas en réponse à une requête par laquelle une personne formule une demande. Quoi qu'il en soit, pour délimiter le sens du pouvoir que lui confère l'alinéa 46(4)d), il faut lire celui-ci dans son contexte.
Le contexte qui nous intéresse est celui de l'arti- cle 46 dans son entier. J'ai, du moins je l'espère, démontré que l'importateur qui a demandé avec succès une nouvelle détermination ou une nouvelle
estimation à un appréciateur fédéral des douanes a le droit de demander au sous-ministre qu'il fasse personnellement une nouvelle détermination ou une nouvelle estimation. J'ajouterais que son droit est identique, même lorsque l'appréciateur fédéral des douanes a, en vertu de l'alinéa 46(2)b), déter- miné une nouvelle classification ou établi une nou- velle estimation de sa propre initiative. Il serait étrange, à mon sens, qu'en dépit de son droit à une décision personnelle en vertu de l'alinéa 46(4)a), l'importateur soit soumis à une «décision prise par délégation» sous le régime de l'alinéa 46(4)d). Cela ne peut certainement pas être l'intention du législateur. J'ajouterais que la présence de l'alinéa 46(4)b) dans ce paragraphe indique que le sous- ministre doit agir personnellement dans les cas visés par le paragraphe 46(4). Ce dernier autorise le sous-ministre à faire une nouvelle détermination ou une nouvelle estimation «à toute époque, si l'importateur a fait une fausse représentation ou commis quelque fraude en faisant la déclaration en douane de ces effets». L'exercice de ce pouvoir particulier de déterminer ou d'estimer à nouveau n'est pas limité aux deux ans qui suivent la date de la déclaration en douane et est dévolu en termes explicites au sous-ministre. Celui-ci ne peut exer- cer ce pouvoir que si l'importateur a fait une fausse représentation ou commis une fraude, c'est-à-dire seulement dans des cas très sérieux. On comprend donc que les pouvoirs visés par cet alinéa soient réservés au plus haut fonctionnaire administratif du Ministère.
Je suis convaincu qu'il résulte de l'économie de l'article 46 et du rapprochement de toutes les parties de cet article, que le législateur a voulu que le sous-ministre intervienne personnellement lors- qu'il exerce un des pouvoirs que lui accordent les dispositions de cet article, et qu'il s'occupe person- nellement des cas qui lui sont soumis: voir, à cet égard, les commentaires du juge Pratte dans l'arrêt Ramawad c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 R.C.S. 375, aux pages 381 et 382. I1 est difficile de prétendre, pour reprendre l'arrêt Harrison, que les termes, la portée ou le but de cet article fassent exception à la «règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie».
On a également prétendu que les décisions que le sous-ministre rend en vertu de l'alinéa 46(4)a) ne sont pas des décisions qui revêtent «un caractère administratif» mais qu'il s'agit de décisions judi- ciaires ou quasi judiciaires. Cet argument n'est pas dénué de valeur. Les demandes visées par le para- graphe 46(3) doivent être faites par écrit et doi- vent contenir les raisons et les motifs de la demande. Si le sous-ministre fait droit à la demande et procède à une nouvelle détermination ou à une nouvelle estimation, il doit certainement tenir compte des modalités de la requête pour parvenir à sa décision. En ce sens, l'importateur a le droit de faire des observations au sous-ministre et c'est ce qu'il fait. La décision du sous-ministre, si celui-ci accueille sa demande, peut conférer un avantage important à l'importateur: les droits qui ont été antérieurement imposés peuvent être réduits ou éliminés. En outre, la décision du sous- ministre ne doit pas être prise en vue de mettre en oeuvre une politique. Lorsqu'il procède à une nou- velle détermination, le sous-ministre doit appliquer les prescriptions du Tarif des douanes à la question en litige ou lorsqu'il fait une nouvelle estimation, il doit appliquer les dispositions pertinentes du texte de loi qui concernent l'estimation de la valeur imposable. Il y a alors, de toute évidence, une affaire en litige, un lis, au sens large. Le litige consiste à déterminer si l'appréciateur fédéral des douanes a commis une erreur dans sa détermina- tion de la classification tarifaire ou dans son esti mation de la valeur imposable.
J'admets, bien sûr, que, sous le régime de l'ali- néa 46(4)d), ce n'est pas par suite d'une demande de l'importateur que le sous-ministre agit. Il n'en demeure pas moins qu'il doit aussi rendre sa décision, non en appliquant une politique, mais en appliquant le numéro tarifaire ou les dispositions législatives pertinentes eu égard aux circonstances. La décision qu'il rend comporte un «élément judi- ciaire» important et peut avoir des conséquences sérieuses pour l'importateur.
J'ai la conviction que les décisions que rend le sous-ministre en vertu du paragraphe 46(4) ne sont pas des décisions qui «revêtent un caractère administratif», suivant le sens que l'arrêt Ahmad me semble avoir donné à cette expression. Dans Ahmad, la décision attaquée, la recommandation de renvoi d'un employé, était, malgré son impor-
tance pour cet employé, une décision qui relevait de l'administration interne du Ministère. Elle n'était pas en elle-même concluante sur la question de savoir si l'employé devait être renvoyé. Mani- festement elle revêtait «un caractère administra- tif».
Je ne crois pas que, du seul fait qu'une décision comporte un aspect quasi judiciaire, il s'ensuive nécessairement qu'elle ne peut revêtir «un carac- tère administratif». A cet égard, le vicomte Kil- muir a déclaré, dans l'arrêt Vine v. National Dock Labour Board, [1957] A.C. 488 (H.L.), à la page 499:
[TRADUCTION] Je ne suis pas disposé à dire qu'on ne peut déléguer des fonctions quasi judiciaires, et ce, parce que la présence du qualificatif «quasi» signifie que les fonctions qui portent cette étiquette peuvent aller de celles qui sont presque exclusivement judiciaires à celles qui ne comportent qu'un élément judiciaire négligeable ...
Les décisions prises en vertu du paragraphe 46(4) peuvent dépendre autant d'importantes questions de droit que de fait. L'«aspect juridique» peut être non pas négligeable, mais déterminant.
L'avocat de la Commission du tarif a également invoqué la maxime expressio unius est exclusio alterius pour appuyer son argument selon lequel le sous-ministre ne peut pas déléguer ses pouvoirs. L'avocat a appelé l'attention de la Cour sur les pouvoirs de délégation dont le Ministre est investi en vertu des articles 162 et 163 de la Loi sur les douanes. Il a avancé que, étant donné que ces articles autorisent expressément le Ministre à délé- guer ses pouvoirs, il est légitime de conclure que le paragraphe 46(4) ne peut être interprété comme contenant un pouvoir implicite de délégation. On a également fait valoir que, étant donné que d'autres lois, notamment la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] et la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, autorisent expressé- ment le sous-ministre à déléguer ses pouvoirs, on peut supposer que le législateur aurait prévu un pouvoir semblable dans la Loi sur les douanes s'il avait voulu autoriser le sous-ministre à déléguer les pouvoirs qu'il lui accorde au paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes. J'avoue que je ne trouve pas ces arguments convaincants.
Pour tous les motifs que j'ai donnés, je suis d'avis de répondre négativement à la question 3a)
du renvoi. Par conséquent, je suis d'avis de répon- dre également à la question 3b) par la négative.
Je désire toutefois faire une observation d'ordre général. Il faut, évidemment, se rappeler qu'il est loisible au sous-ministre de recourir au personnel de son Ministère pour exercer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 46(4) et pour effectuer ses nouvelles déterminations et nouvelles estimations. Il n'est pas obligé de tout faire lui-même.
Je termine en faisant une dernière observation, même si cela n'est pas nécessaire pour répondre aux questions posées dans le renvoi. Il me semble qu'il pourrait bien résulter du rapprochement du paragraphe 46(4) de la Loi sur les douanes et du paragraphe 23(3) de la Loi d'interprétation, que les fonctionnaires du Ministère qui occupent des postes qu'on pourrait à juste titre qualifier de postes de «délégués» du sous-ministre, seraient autorisés à exercer les pouvoirs dont est investi le sous-ministre en vertu du paragraphe 46(4). 11 pourrait, par exemple, s'agir du «sous-ministre adjoint.»
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