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T-3000-83
Airport Taxicab (Malton) Association (demande- resse)
c.
Ministre des Transports (défendeur)
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 22 avril; Ottawa, 26 avril 1985.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions Demande visant à empêcher le défendeur de créer un service commun de répartition à un aéroport Le rejet de la requête en radiation présentée sur le fondement de la Règle 419(1)a) ne signifie pas qu'il existe «une question sérieuse à trancher» L'argument suivant lequel les pratiques de la direction de l'aéroport sont discriminatoires est faible Répartition des inconvénients Préjudice irréparable Le préjudice que subira la demanderesse résultera de son impossibilité à s'en- gager dans des activités interdites par l'art. 7 du Règlement L'octroi de dommages-intérêts n'est pas suffisant pour réparer le préjudice que subira le défendeur par suite de la sollicita- tion du public et des plaintes qu'il pourra porter Demande rejetée Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)a) Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement, DORS/79-373, art. 4(1),(2),(3), 6(1),(2)b), 7a),b) Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3.
Aéronautique Une association de taxis cherche à obtenir une injonction afin d'empêcher le ministre des Transports de créer un service commun de répartition pour les taxis et les limousines à l'aéroport international Pearson La confusion sur le quai était due à la concurrence pour obtenir des clients L'industrie n'a pas coopéré à l'exploitation d'un système de répartition conjoint Le directeur de l'aéroport a-t-il exercé d'une manière non discriminatoire sa discrétion quant à l'at- tribution d'un espace sur le quai et quant à la délivrance de permis? La répartition des taxis aux aéroports relève-t-elle de la compétence du fédéral ou de celle des provinces? Le préjudice que subira le Ministre si les voyageurs se plaignent d'être sollicités de toutes parts ne peut être réparé par l'octroi de dommages-intérêts Injonction interlocutoire refusée Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement, DORS/79-373, art. 4(1),(2),(3), 6(1),(2)b), 7a),b) Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs La réparti- tion des limousines et des taxis à l'aéroport est-elle une activité qui fait partie intégrante de l'exploitation de limousi nes et de taxis et relève-t-elle, par conséquent, de la compé- tence des provinces? Le législateur fédéral ne perd pas sa compétence de réglementer cette activité si une telle réglemen- tation est nécessairement accessoire à la réglementation de l'aéroport.
La demanderesse cherche à obtenir par la présente demande une injonction interlocutoire interdisant au défendeur de créer un service commun de répartition pour les taxis et les limousi nes desservant l'aéroport international Pearson. Les propriétai- res de taxis et de limousines exploitaient des systèmes distincts de répartition. Ils ne se contentaient pas d'accepter les deman-
des courantes de services pour leurs compagnies respectives mais ils sollicitaient activement les clients. A la suite de plaintes du public sur la conduite des répartiteurs concurrents, on s'est entendu pour fournir un service commun. La situation s'est néanmoins détériorée et le système de deux répartiteurs a été rétabli.
Jugement: la demande est rejetée.
Il est bien établi que pour qu'un tribunal accorde une injonc- tion interlocutoire (1) il doit être convaincu qu'il existe une question sérieuse à trancher et (2) la répartition des inconvé- nients doit jouer en faveur du requérant.
Le rejet par le juge Muldoon d'une requête présentée confor- mément à la Règle 419(1)a) afin de faire radier la déclaration parce qu'elle ne révélait aucune cause raisonnable d'action ne permettait pas de présumer automatiquement qu'il existait une «question sérieuse à trancher». La demanderesse soutient que le directeur de l'aéroport doit exercer d'une manière non discrimi- natoire la discrétion dont il jouit pour attribuer un espace sur le quai et délivrer des permis aux exploitants. Néanmoins, comme le juge Muldoon l'a fait remarquer, «suivant les dispositions de la Loi sur l'aéronautique ... le défendeur est entièrement "responsable" des aéroports». Le Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement témoigne égale- ment de la discrétion absolue dont jouit le directeur de l'aéro- port. Ainsi, même si la requête de la demanderesse ne peut être radiée en vertu de la Règle 419(1)a), il reste que son fondement n'est pas solide.
Comme deuxième argument, la demanderesse soutient que la répartition des limousines et des taxis à l'aéroport est une activité qui fait partie intégrante de l'exploitation de limousines et de taxis, et que ces questions relèvent de la compétence exclusive des provinces. Même si on concluait que la «réparti- tion» fait partie intégrante de l'entreprise de taxis, le législateur fédéral ne perdrait pas sa compétence aux fins de réglementer cette activité si une telle réglementation était nécessairement accessoire à la réglementation de l'aéroport. De toute manière, la Cour ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la demanderesse a satisfait au critère de la question sérieuse à trancher.
En ce qui concerne la répartition des inconvénients et la question du préjudice irréparable, la perte de bénéfices de la demanderesse pourrait être réparée par l'octroi de dommages- intérêts. Même s'il pourrait être difficile de calculer et, éven- tuellement, de distribuer le montant du remboursement en raison du nombre d'exploitants de taxis en cause et de la forme imprécise de l'organisation, cela ne serait pas impossible.
L'élément déterminant est que la demanderesse subira un préjudice parce qu'il lui sera impossible de s'engager dans des activités expressément interdites par l'article 7 du Règlement. Cet article interdit de faire de la sollicitation à un aéroport à moins d'une autorisation du Ministre.
Il était clair que la sollicitation des voyageurs par les réparti- teurs, que le défendeur devrait tolérer, et que les plaintes qui pourraient être adressées en conséquence à la direction de l'aéroport causeraient un préjudice au défendeur. Ce n'est pas un préjudice qui peut être réparé par l'octroi de dommages- intérêts. Le défendeur est responsable de l'administration de l'aéroport et il ne pourra remplir adéquatement cette fonction si l'injonction est accordée.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fraser v. U-Need-A Cab Ltd.; Great American Insu rance Co., Third Party (1983), 43 O.R. (2d) 389 (H.C. Ont.).
DÉCISION EXAMINÉE:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.).
DÉCISION CITÉE:
Johannesson v. West St. Paul, [1952] 1 R.C.S. 292. AVOCATS:
Charles C. Roach pour la demanderesse. Alan S. Davis et Peter A. Vita pour le défendeur.
PROCUREURS:
Roach -Smith, Toronto, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse cherche à obtenir par la présente demande une injonction interlocutoire interdisant au défendeur de créer un service commun de répartition pour les taxis et les limousines desservant l'aéroport international Pearson. Elle cherche en outre à empêcher le défendeur d'inviter des personnes, autres que les propriétaires de taxis et de limousines, à soumis- sionner ce service.
En décembre 1983, la demanderesse a intenté une action visant à obtenir un jugement déclara- toire portant que (1) le défendeur n'était pas habi- lité par la loi à faire des appels d'offres pour le service de répartition et (2) que la politique actuelle du défendeur consistant à maintenir des files séparées pour les services de taxis et de limou sines à l'aéroport était discriminatoire; enfin, (3) elle cherchait à obtenir une injonction interlocu- toire afin d'empêcher l'adjudication du service de répartition tant qu'une décision finale ne serait pas rendue sur les points en litige. Même si le juge- ment déclaratoire dont il était question en décem-
bre 1983 contenait une demande d'injonction interlocutoire, la demanderesse n'a pas intenté avant ce jour (avril 1985) d'action visant à obtenir une telle injonction. Cela ne constituait cependant pas un délai suffisant pour empêcher la demande- resse de poursuivre aujourd'hui sa demande de jugement interlocutoire. La raison donnée pour expliquer ce délai était que le défendeur n'avait pas jusqu'à maintenant pris de mesures pour mettre à exécution son projet d'appels d'offres et de service indépendant de répartition.
Il faut examiner dans son contexte la situation qui existait en décembre 1983. De 1979 février 1982, les propriétaires de taxis et de limousines ont exploité des systèmes distincts de répartition. Même si on parle de systèmes de répartition, les répartiteurs exerçaient des activités qui étaient en fait plus étendues que celles visées habituellement par cette expression. Ils ne se contentaient pas d'accepter les demandes courantes de services pour leurs compagnies respectives et de répartir lesdites demandes entre les chauffeurs de taxis et de limousines disponibles. Les «répartiteurs» sollici- taient activement les clients et offraient vraisem- blablement leurs services aux voyageurs qui vou- laient obtenir un moyen de transport terrestre mais qui n'avaient pas de préférence quant au type de service qu'ils recherchaient, et peut-être même à d'autres personnes.
Les répartiteurs se trouvaient aux sorties de l'aérogare, en bordure du trottoir près des files formées par leurs véhicules respectifs. Voici un extrait tiré du contre-interrogatoire de M. Mann dont l'affidavit a été déposé à l'appui de la requête de la demanderesse en l'espèce:
[TRADUCTION] R. Le problème était que les répartiteurs des limousines essayaient d'attirer le plus de gens possible pour les limousines et que les répartiteurs des taxis essayaient d'attirer le plus de gens possible pour les taxis.
Q. Bien, seriez-vous donc d'accord avec moi pour admettre qu'il existait une certaine confusion sur le quai?
R. Oui, c'est vrai.
Q. Est-il en fait arrivé que les répartiteurs se soient disputés les mêmes clients?
R. C'est arrivé, oui.
Le directeur de l'aéroport a donc écrit en mars 1982 à tous les exploitants de taxis et de limousines:
[TRADUCTION] Au cours de la dernière année, Transports Canada a reçu un nombre croissant de plaintes de la part des voyageurs en ce qui concerne la conduite des répartiteurs sur les quais. Les disputes et les discussions entre les répartiteurs concurrents et, à l'occasion entre les chauffeurs, en plus des embêtements causés aux voyageurs ne peuvent plus désormais être tolérés.
Il indiquait ensuite dans sa lettre qu'il accordait à l'industrie une dernière chance de coopérer et de créer un système de répartition conjoint, sinon Transports Canada mettrait sur pied son propre système. C'est ce qui a permis de conclure en février 1983 une entente au sujet d'un service commun qui serait dirigé conjointement par les exploitants des taxis et ceux des limousines. L'une des clauses de l'entente portait que le superviseur de la répartition devait:
[TRADUCTION] 1. Faire en sorte que les répartiteurs indiquent aux passagers la direction pour se rendre au moyen de transport qu'ils ont demandé et qu'il n'y ait aucun favoritisme que ce soit en faveur des taxis ou des limousines.
Les répartiteurs eux-mêmes avaient l'obligation de:
[TRADUCTION] ... fournir, à la demande d'un passager, des renseignements impartiaux au sujet des taxis et des limousines.
et:
[TRADUCTION] ... lorsqu'ils étaient de service, de ne pas hurler ou crier pour annoncer les services de transport offerts.
Malgré cet engagement de fournir un service commun, la situation s'est encore détériorée. Voici un autre extrait tiré du contre-interrogatoire de M. Mann:
[TRADUCTION] Q. Bien, que s'est-il réellement passé?
R. Cela se produisait parce que les répartiteurs peuvent fournir plus de travail aux personnes avec lesquelles ils entretiennent les relations les plus amicales.
Q. Ce que vous me dites, c'est que les répartiteurs, même s'ils étaient indépendants, étaient influencés par les chauffeurs de limousines ou de taxis?
R. C'est cela, oui.
Q. Et ainsi, ils dirigeaient les personnes vers les taxis ou les limousines, tout dépendant des chauffeurs se trouvant sur le
quai?
R. C'est exact.
Q. Quel effet cela avait-il? Cela causait-il des perturbations sur le quai?
R. Oui, cela est arrivé à plusieurs reprises.
C'est en raison de cette détérioration de la situa tion que le directeur de l'aéroport a avisé les membres de cette industrie en octobre 1983 qu'un service indépendant de répartition serait créé et
que des appels d'offres seraient lancés pour assurer ce service. Cette intention manifestée par le direc- teur a amené la demanderesse à intenter, en décembre 1983, une action visant à obtenir les redressements demandés en l'espèce. Cependant, le défendeur n'a pas immédiatement pris les mesures nécessaires pour mettre à exécution son intention de créer un service indépendant de répartition. Les discussions avec les membres de l'industrie se sont poursuivies. Par la suite, en mai 1984, les exploi- tants de limousines se sont retirés du service con joint de répartition et ont remis sur pied leur propre service. Ainsi, depuis mai 1984, le système de deux répartiteurs (l'un travaillant pour les exploitants de taxis, l'autre pour les exploitants de limousines) qui était en vigueur avant février 1983, a été rétabli. Le défendeur a récemment relancé son projet de créer un service indépendant de répartition et la demanderesse a déposé la présente requête visant une injonction interlocutoire.
Les exigences auxquelles un requérant doit satis- faire pour obtenir une injonction interlocutoire sont bien connues: (1) le tribunal doit être con- vaincu qu'il existe une question sérieuse à tran- cher; (2) la répartition des inconvénients doit jouer en faveur du requérant. Il est admis que les critè- res applicables ont été énoncés dans l'arrêt Ameri- can Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.).
En ce qui concerne la première exigence, la demanderesse allègue que la décision rendue par mon collègue le juge Muldoon, en juin 1984 [T-3000-83, Cour fédérale, Division de première instance, 18 juin 1984, non encore publiée], au sujet d'une demande interlocutoire entre les par ties, montre que cette exigence a été satisfaite. Le juge Muldoon a statué sur une requête par laquelle le défendeur a cherché à faire radier, en vertu de la Règle 419(1)a), la déclaration de la demande- resse parce que celle-ci ne révélait aucune cause raisonnable d'action. Il a rejeté ladite requête.
Je ne crois pas que, parce qu'un demandeur a contesté avec succès une requête en radiation pré- sentée par un défendeur conformément à la Règle 419(1)a), on puisse automatiquement présumer qu'il existe «une question sérieuse à trancher» aux fins d'obtenir une injonction interlocutoire. Pre- mièrement, une requête fondée sur la Règle 419(1)a) doit être entendue en l'absence de toute
preuve. Deuxièmement, il faut présumer que tous les éléments de la déclaration sont vrais. Troisiè- mement, il n'est pas nécessaire que la preuve que le demandeur est tenu de présenter soit très con- vaincante; il suffit qu'elle ait tout au plus une certaine force probante. Quatrièmement, le far- deau de la preuve incombe à la partie qui présente la requête et non à celle qui la conteste.
Même si la demande en l'espèce ne peut être radiée en vertu de la Règle 419(1)a), il reste que son fondement n'est pas solide. L'un des motifs de ladite demande est que la pratique actuelle du directeur de l'aéroport qui consiste à prévoir deux files, l'une pour les limousines, l'autre pour les taxis, est discriminatoire parce que les deux sortes de véhicules fournissent le même service au public. La demanderesse affirme aussi que la pratique consistant à attribuer aux deux files un espace égal sur le quai est discriminatoire parce qu'il y a 300 détenteurs de permis de taxis, mais seulement 200 détenteurs de permis de limousines.
La demanderesse admet que le directeur de l'aéroport avait discrétion pour attribuer un espace sur le quai et délivrer des permis aux exploitants; elle soutient cependant que cette discrétion doit être exercée d'une manière non-discriminatoire. Néanmoins, comme le juge Muldoon l'a fait remarquer à la page 4 de sa décision du 18 juin 1984:
... suivant les dispositions de la Loi sur l'aéronautique (S.R.C. 1970, chap. A-3) le défendeur est entièrement «responsable» des aéroports, des aérodromes, des services fournis aux aéroports et, en fait, de pratiquement toutes les activités commerciales qui ont lieu dans les limites d'un aéroport. La Loi prévoit:
3. Il incombe au Ministre
a) de diriger toutes les affaires se rattachant à l'aéronautique;
c) de construire et maintenir tous les aérodromes et sta tions ou postes d'aéronautique de l'État ...
e) de faire fonctionner les services que le gouverneur en conseil peut approuver;
m) de s'acquitter des autres devoirs que le gouverneur en conseil peut imposer.
5. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, ou, en conformité des modalités qu'il peut spécifier, autoriser le Ministre à établir des règlements prescrivant la taxe relative à l'utilisation
b) d'une installation ou d'un service . .. fournis, à un aéroport, par le Ministre ou en son nom.
Dans le Décret autorisant l'établissement de règlements ministériels (C.R.C., chap. 126) on invoque les dernières dispo sitions législatives susmentionnées pour accorder au Ministre l'autorisation qui peut lui être légalement accordée en vertu de ces dispositions.
Le Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement, DORS/79 - 373, 27 avril 1979, porte:
7. Sous réserve de l'article 8, à moins d'une autorisation écrite du Ministre, nul ne peut
a) se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale ou autre, à un aéroport;
b) faire, à un aéroport, de la publicité ou de la sollicitation pour son propre compte ou pour celui d'autrui; ou
6. (1) Le directeur d'un aéroport peut, au moyen d'un panneau ou d'une marque au sol, décrire ou délimiter toute zone de l'aéroport comme station publique de taxis, station publique de limousines ou station générale de véhicules.
(2) Lorsque, conformément au paragraphe (1), une zone est décrite ou délimitée
b) comme station publique de taxis ou station publique de limousines, l'exploitant d'un taxi ou d'une limousine ne doit ni prendre ni déposer un passager ou des marchandises à l'aéroport ailleurs qu'à la station publique de taxis ou à la station publique de limousines, selon le cas.
4. (1) Le Ministre peut désigner tout aéroport auquel un permis est requis pour exploiter un véhicule commercial de passagers ou un véhicule de courtoisie.
(2) Lorsque le Ministre désigne un aéroport conformément au paragraphe (1), il peut préciser la ou les classes de véhicules commerciaux de passagers ou de véhicules de courtoisie pour lesquels l'exploitant doit obtenir un permis avant d'exploiter ces véhicules à cet aéroport.
(3) Le Ministre peut annuler la désignation visée au paragra- phe (1) ou la précision visée au paragraphe (2).
Le second moyen invoqué par la demanderesse dans sa requête porte que le défendeur n'a pas compétence, du point de vue constitutionnel, pour réglementer la répartition des limousines et des taxis à l'aéroport parce qu'une telle activité fait partie intégrante de l'exploitation de limousines et de taxis; elle allègue que ces questions relèvent de la compétence exclusive des provinces. Même s'il est vrai que la décision rendue par la Haute Cour de l'Ontario dans l'affaire Fraser v. U-Need-A Cab Ltd.; Great American Insurance Co., Third Party (1983), 43 O.R. (2d) 389, permet implicite- ment de conclure que les répartiteurs (appelés
dans cette affaire «taxi -brokers») font partie inté- grante d'une entreprise de taxis, il faut souligner plusieurs éléments additionnels. Cette affaire por- tait sur la responsabilité délictuelle d'un réparti- teur («taxi -broker») pour le préjudice causé à un passager d'un taxi défectueux; elle ne portait pas sur une question d'ordre constitutionnel. Les «répartiteurs» («dispatchers») de l'aéroport inter national Pearson remplissent une fonction très dif- férente de celle des répartiteurs («taxi -brokers») dont il était question dans l'affaire Fraser. (Les «répartiteurs» de l'aéroport seraient-ils responsa- bles délictuellement du préjudice causé à un passa- ger d'un taxi défectueux de l'aéroport?) Même si on concluait que la «répartition» fait partie inté- grante de l'entreprise de taxis, le législateur fédé- ral ne perdrait pas pour autant sa compétence aux fins de réglementer cette activité si une telle régle- mentation était nécessairement accessoire à la réglementation de l'aéroport. Voir l'examen de l'arrêt Johannesson v. West St. Paul, [ 1952] 1 R.C.S. 292 et d'autres causes connexes, à la page 335 de l'ouvrage de Hogg intitulé Constitutional Law of Canada (1977).
De toute manière, sans m'être prononcée sur la question de savoir si la demanderesse a satisfait au critère de «la question sérieuse à trancher», je vais passer à l'examen de la seconde exigence qui est de savoir si la répartition des inconvénients et les considérations quant au préjudice irréparable mili- tent en faveur de la délivrance de l'injonction sollicitée par la demanderesse. Cette exigence est décrite dans l'affaire American Cyanamid (préci- tée) à la page 406:
[TRADUCTION] L'objet d'une injonction interlocutoire est de protéger le demandeur contre le préjudice, résultant de la violation de son droit, qui ne pourrait être adéquatement réparé par des dommages-intérêts recouvrables dans l'action si l'af- faire devait être tranchée en faveur dudit demandeur au moment de l'instruction; toutefois, le besoin d'une telle protec tion pour le demandeur doit être évalué en fonction du besoin correspondant du défendeur d'être protégé contre le préjudice qui découle du fait qu'on l'a empêché d'exercer les droits que lui confère la loi et qui ne peut être adéquatement réparé par l'engagement du demandeur de verser des dommages-intérêts si l'affaire était tranchée en faveur du défendeur à l'instruction. Le tribunal doit évaluer les besoins l'un en fonction de l'autre et déterminer quelle est «la répartition des inconvénients».
En l'espèce, quel est le préjudice que la deman- deresse prétend subir? Si je comprends bien, il s'agit d'une perte commerciale qui résultera du fait que les répartiteurs qu'elle emploie ne pourront
plus solliciter les clients. Il s'agit d'une réclamation découlant d'une perte de bénéfices, et on considère habituellement que ce genre de perte peut être adéquatement réparée par l'octroi d'une somme d'argent comme dommages-intérêts. Il pourrait être difficile en l'espèce de calculer et éventuelle- ment, de distribuer le montant du remboursement en raison du nombre d'exploitants de taxis en cause et de la forme imprécise de l'organisation. Cela ne serait cependant pas impossible. De plus, et c'est l'élément déterminant dans cette affaire, il ressort de la preuve exposée plus haut que la demanderesse subira un préjudice parce qu'il lui sera impossible de s'engager ou d'encourager d'au- tres personnes à s'engager dans des activités qu'elle n'a pas le droit d'exercer. Suivant l'article 7 du Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement (précité, page 399), il est interdit de faire de la sollicitation à un aéroport à moins d'une autorisation du Ministre. Il est évident que le Ministre n'a pas donné une telle autorisation aux «répartiteurs» et, en fait, le direc- teur de l'aéroport a tenté de faire cesser cette activité non permise. Je soulignerai que les mem- bres de l'association demanderesse ne sont pas les seuls à s'être engagés dans cette activité interdite, les exploitants de limousines l'ayant également fait.
Quel sera donc le préjudice subi par le défen- deur si l'injonction est accordée? L'avocat a indi- qué que le défendeur pourrait subir une perte financière résultant des mesures qu'il a déjà prises pour mettre sur pied le service indépendant de répartition (par exemple, résultant des contrats qui ont déjà été signés?) J'estime que le dossier ne contient aucune preuve attestant ce fait. Cepen- dant, il est clair que le défendeur subira un dom- mage en ce sens qu'il devra tolérer la «confusion sur le quai» comme l'a dit M. Mann au cours de son contre-interrogatoire. Le préjudice subi sera la pagaille créée autour des voyageurs et les plaintes que ces derniers pourront adresser à la direction de l'aéroport. Le défendeur est responsable de l'admi- nistration de l'aéroport. Il ne pourra pas remplir adéquatement cette fonction si l'injonction est accordée. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'un préju- dice qui peut être réparé par l'octroi de dommages-intérêts.
Pour les motifs qui précèdent, je ne crois pas que la demanderesse a démontré que la répartition des inconvénients joue en sa faveur. Par conséquent, la demande d'injonction interlocutoire est rejetée.
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