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A-1363-84
Slaight Communications Inc. (exploitée sous le nom de station de radio Q107 FM) (requérante)
c.
Ron Davidson (intimé)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Marceau— Toronto, 25 mars; Ottawa, 23 avril 1985.
Relations de travail Congédiement injuste L'arbitre a ordonné à la requérante de fournir à l'intimé une lettre de recommandation contenant des énoncés de faits exprès et lui a ordonné de répondre à toute demande de renseignements ulté- rieure uniquement en fournissant une copie de ladite lettre L'arbitre a réservé sa compétence pour trancher les litiges découlant de l'exécution de l'ordonnance L'arbitre a agi à l'intérieur des limites des pouvoirs prévus à l'art. 61.5(9) du Code La prétendue réserve de compétence est superflue car la Cour d'appel fédérale a décidé dans Hunault c. Société centrale d'hypothèques et de logement que cette réserve ne conférait pas à l'arbitre le pouvoir de réexaminer, de retirer ou de modifier son ordonnance Le fait d'inclure cette ordon- nance superflue ne vicie pas la décision L'art. 61.5(9) donne à l'arbitre le pouvoir d'ordonner le paiement d'une indemnité, la réintégration ou «toute autre chose (any other like thing) .. . afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier. L'inclusion du mot «like» dans la version anglaise ne visait pas à restreindre la nature de la réparation à quelque chose s'apparentant à une indemnité ou à la réintégra- tion Distinction faite avec l'arrêt Banque nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce car dans cette affaire on obligeait l'employeur à exprimer des opinions qu'il ne partageait pas Cette ordonnance qui exige la remise d'une lettre énonçant des faits et qui empêche les tentatives prévisibles de saper son effet favorable constitue un redressement équitable La demande d'examen est rejetée avec dépens conformément à la Règle 1408 étant donné le harcèlement de l'intimé par la requérante Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5(9) (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21), (12) (édicté, idem), (13) (édicté, idem) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1408.
Droit constitutionnel Charte des droits Liberté d'ex- pression La requérante a congédié injustement l'intimé L'arbitre a ordonné à la requérante de répondre à toute demande de renseignements ultérieure concernant l'emploi de l'intimé uniquement en remettant une lettre de recommanda- tion énonçant des faits déterminés L'ordonnance ne porte pas atteinte à la liberté d'expression et d'opinion garantie par l'art. 2b) de la Charte Les droits et libertés prévus à l'art. 2 sont assujettis à l'art. 1 et peuvent être restreints «par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique» Comme l'ordonnance est autorisée par l'art. 61.5(9)c) du Code, les limites sont donc «prescrite[s] par une règle de droit. Étant donné que la preuve a révélé qu'il y avait eu harcèlemement, on a démontré la justification des limites Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2b) Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5(9) (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21), (12) (édicté, idem), (13) (édicté, idem).
On a présenté une demande tendant à l'annulation de la décision de l'arbitre. Ce dernier a jugé que l'intimé avait été congédié injustement et a ordonné à la requérante de fournir à l'intimé une lettre de recommandation contenant cinq énoncés explicites et de répondre à toute demande de renseignements ultérieure concernant l'emploi de l'intimé uniquement en four- nissant une copie de ladite lettre. L'arbitre a également réservé sa compétence pour trancher tout litige se rapportant à l'exécu- tion de son ordonnance. La requérante a soutenu que l'arbitre n'avait pas le pouvoir en vertu du paragraphe 61.5(9) du Code canadien du travail de rendre de telles ordonnances. La requé- rante a prétendu que la présence du mot «like» dans la phrase «any other like thing» à l'alinéa 61.5(9)c) restreignait les pouvoirs de l'arbitre à celui d'ordonner des redressements simi- laires au paiement d'une indemnité ou à la réintégration. Elle a également prétendu que la limite imposée à ce qu'elle peut répondre aux demandes de renseignements portait atteinte à la liberté d'expression que lui garantit la Constitution.
Arrêt (le juge Marceau dissident), la demande est rejetée avec dépens.
Le juge Mahoney: La prétendue réserve de compétence n'a eu aucune utilité car la Cour d'appel fédérale a jugé dans Huneault c. La Société centrale d'hypothèques et de logement qu'une telle réserve de compétence ne confère pas à l'arbitre le pouvoir de réexaminer, d'annuler ou de modifier une ordon- nance déjà rendue. Le fait d'inclure cette réserve, même dans les cas ou cela est superflu, ne vicie pas la décision. Le paragraphe 61.5(9) du Code confère à l'arbitre le pouvoir d'ordonner à un employeur de payer une indemnité, de réinté- grer la personne congédiée, et de faire «toute autre chose (any other like thing) ... afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.» Le mot «like» ne trouve pas d'équivalent dans la version française. Le mot «like» n'a pas pour but de restreindre étroitement la nature de la réparation permise à des mesures analogues aux indemnités monétaires ou à la réintégration. L'alinéa 61.5(9)c) n'est que l'expression de la règle d'interprétation ejusdem generis.
La décision de la Cour suprême du Canada dans Banque nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce se distingue du présent cas en ce que l'employeur dans cette affaire était contraint d'exprimer des opinions qu'il ne partageait pas. Le fait d'ordonner de fournir une lettre de recommandation portant uniquement sur des faits et d'empê- cher que son effet soit sapé, éventualité parfaitement prévisible dans les circonstances révélées par la preuve, semble être un redressement équitable, non punitif et autorisé par l'alinéa 61.5(9)c).
La liberté d'expression et d'opinion garantie par la Constitu tion à l'alinéa 2b) de la Charte est sujette à la restriction prévue à l'article 1. L'article 1 n'est pas qu'une simple introduction mais plutôt une disposition de fond.
Comme l'ordonnance était autorisée par l'alinéa 61.5(9)c), les limites imposées aux libertés de la requérante procèdent d'une règle de droit. La preuve a révélé qu'il s'agissait de limites dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
La présente demande n'était qu'une autre des tactiques de harcèlement auxquelles la requérante soumettait l'intimé. Par conséquent, la Cour s'est prévalue du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Règle 1408 pour rejeter la demande avec dépens.
Le juge Urie: Comme il s'avère difficile de trouver dans l'expression «toute autre chose (any other like thing)» un dénominateur commun avec les redressements prévus aux ali- néas 61.5(9)a) et b), il est préférable de ne pas appliquer la règle d'interprétation ejusdem generis. La présence du mot «like» à l'alinéa 61.5(9)c) illustre le but visé par cette disposi tion, savoir élargir la gamme des redressements traditionnels et tombant sous le sens qui peuvent être accordés en matière de congédiement injuste.
Le juge Marceau (dissident): La demande devrait être accueillie. L'arbitre n'avait pas le pouvoir de réserver sa compé- tence. Lorsqu'une décision est rendue sans que rien ne reste à faire, l'arbitre a épuisé ses attributions. Toutefois, le fait d'in- clure dans la décision une stipulation n'emportant aucune conséquence juridique ne peut en lui-même vicier la décision.
Certains des redressements ordonnés sont positifs en ce qu'ils consistent en l'accomplissement de quelque chose (une lettre de recommandation énonçant certains faits sera fournie à l'intimé et des copies seront par la suite envoyées à ceux qui présente- ront des demandes de renseignements) tandis que d'autres sont négatifs en ce qu'ils empêchent l'accomplissement de quelque chose (la lettre de recommandation ne renfermera que les énoncés prescrits et, à l'avenir, seuls les renseignements conte- nus dans la lettre seront fournis). L'arbitre pouvait rendre les «redressements positifs» mais non les redressements «négatifs»; d'une part, parce que ces derniers n'étaient pas autorisés en vertu de la Loi et d'autre part, parce qu'ils portaient atteinte à la liberté d'opinion et d'expression garantie à la requérante par la Constitution.
Le mot «like» ne restreint pas étroitement la nature de la réparation. Il est même difficile d'appliquer la règle d'interpré- tation ejusdem generis car il n'existe pas de catégorie commune englobant les mots «indemnités» et «réintégration» eu égard à la nature des redressements. Cependant, les mots utilisés plus loin, «afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier» indiquent que les mesures de redressement doivent viser à dédommager la victime d'un congédiement injuste.
La lettre visait clairement à remédier aux effets dommagea- bles d'un congédiement injuste, mais les redressements négatifs visaient l'animosité que pouvait entretenir la requérante et sa direction à l'égard de l'intimé.
Les limites imposées par l'article 1 de la Charte doivent être déterminées par les règles d'application générale, d'où l'expres- sion «règle de droit» et la référence aux caractéristiques d'une société libre et démocratique.
Même si on a voulu que l'article 1 s'applique cas par cas, à la lumière des circonstances particulières de chacun, il ne peut valider l'atteinte portée en l'espèce à la liberté d'opinion et d'expression. Il est même injustifiable, dans une société libre et démocratique, d'interdire à un employeur d'exprimer dans l'avenir quelque opinion que ce soit, même en privé, à propos d'un ex-employé, pour le motif qu'il existe certaines raisons de croire que cet employeur pourrait exprimer une opinion partiale ou malhonnête en raison du ressentiment qu'il éprouverait à l'égard de cet ex-employé.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Huneault c. La Société centrale d'hypothèques et de logement (1982), 41 N.R. 214 (C.F. Appel).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269.
DÉCISION EXAMINÉE:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 55 N.R. 241.
DÉCISIONS CITÉES:
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; 55 N.R. 255 (C.A.); R. v. Big M. Drug Mart Ltd. (1983), 7 C.R.R. 92 (C.A. Alb.); Re Reynolds and Attorney General of British Columbia (1984), 11 D.L.R. (4th) 380 (C.A.C.-B.); Rauca v. R. et al. (1983), 4 C.R.R. 42 (C.A. Ont.); Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards et autres, [ 1984] 2 R.C.S. 66.
AVOCATS:
Brian A. Grosman, c.r., pour la requérante. Morris Cooper pour l'intimé.
PROCUREURS:
Brian A. Grosman, c.r., Toronto, pour la
requérante.
Morris Cooper, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu la chance de lire les projets de motifs de jugement de mes collègues les juges Mahoney et Marceau. Bien que les motifs du juge Marceau soient convaincants, j'avoue, en toute déférence, être davantage en accord avec ceux du juge Mahoney si ce n'est pour une légère réserve quant à son opinion suivant laquelle l'ali- néa c) du paragraphe 61.5(9) du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21)] n'est que l'expression de «la règle d'interprétation ejusdem generis géné- ralement applicable». Comme je ne suis pas certain que cette règle s'applique dans le contexte de ce paragraphe, j'aimerais mieux ne pas fonder ma décision sur cette dernière. Le problème que me pose l'application de la règle en l'espèce découle de
la difficulté que j'éprouve à trouver dans l'expres- sion «toute autre chose» un dénominateur commun avec les redressements entièrement différents prévus aux alinéas précédents, les alinéas a) et b). Toutefois, que la règle s'applique ou non, je n'ai aucun doute quant à l'interprétation qu'il faut donner à cette disposition.
La présence du mot «like» à l'alinéa c) n'a pas pour effet, à mon avis, de restreindre la nature des redressements possibles à un ou plusieurs redresse- ments qui devraient ressembler à ceux qu'autori- sent les alinéas a) et b) et qui, comme je l'ai dit, n'ont pas de dénominateur commun. Sa présence illustre plutôt le but visé par l'alinéa, c'est-à-dire élargir au-delà du cadre des redressements tradi- tionnels et tombant sous le sens la gamme des redressements dont devrait bénéficier l'employé qui a été congédié injustement.
Dans son ensemble, le paragraphe vise à confé- rer le pouvoir d'accorder des redressements qui, pour autant que peut le faire un dédommagement, rétabliront la situation de l'employé qui a été traité injustement par son employeur. Ce but est atteint en partie grâce au moyen envisagé par les pouvoirs conférés par l'un ou l'autre des alinéas a) ou b) ou encore par les deux. Le dernier permet d'accorder à un employé congédié un redressement qui n'était pas prévu par la common law. Il en est de même de l'alinéa c). Il s'agit d'un pouvoir qui, selon moi, ne devrait pas être interprété restrictivement. Réparer le préjudice qu'a subi une personne dépend de l'étendue du préjudice qui lui a été infligé eu égard aux circonstances de chaque cas. À la lumière des faits de la présente espèce, l'arbi- tre a jugé opportun d'exercer ce pouvoir pour faire ce qui lui apparaissait équitable afin d'assurer que l'employé lésé ne devienne pas à nouveau la vic- time de ce qui semble avoir été une vendetta à son égard. Pour les autres motifs donnés par le juge Mahoney, je suis d'avis que le libellé de l'alinéa c) est suffisamment large pour autoriser l'arbitre à rendre l'ordonnance attaquée et que le paragraphe ne contrevient pas à la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Je suis également d'accord avec le dispositif proposé par le juge Mahoney.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La présente demande fondée sur l'article 28 tend à l'annulation de la décision d'Edward B. Joliffe, c.r., arbitre nommé en vertu de la Partie III du Code canadien du travail, qui a conclu que l'intimé avait été congé- dié injustement. Respectueusement, je suis d'avis, à la lumière des conclusions de fait de l'arbitre, que l'ordonnance rendue par ce dernier était plei- nement justifiée.
Bien qu'il ne l'ait pas déclaré expressément, l'arbitre était manifestement d'avis que l'intimé avait été victime d'un coup monté imaginé par le directeur général de son employeur et mis à exécu- tion par la gérante des ventes qui fut le seul témoin de la requérante. L'arbitre a déclaré: «les éléments de preuve qu'elle a fournis doivent être considérés comme trompeurs». Il n'y a pas de transcription de l'audience qui s'est déroulée devant l'arbitre. Nous devons nous en remettre à son exposé de la preuve. Voici deux passages importants de sa décision:
On a eu beau laisser entendre que d'autres vendeurs étaient plus efficaces, mais aucun chiffre n'a été fourni pour prouver la chose. Mme Stitt a déclaré que M. G. Slaight, le directeur général de la compagnie, «se préoccupait du rendement de M. Davidson». Elle a affirmé que M. Slaight s'était plaint à elle et lui avait dit qu'il fallait faire quelque chose. S'il n'avait pas exécuté son budget, j'en aurais entendu parler. Si, au contraire, il l'avait exécuté, on lui en demanderait alors davantage.
La conclusion est inéluctable: il n'a pas été prouvé que le rendement du plaignant en tant que vendeur de temps d'an- tenne à la radio a été insatisfaisant. Si un vendeur a un rendement «insatisfaisant» lorsqu'il double ses ventes en deux ans seulement, faisant passer ainsi ses commissions de 31 428,92 $ à 62 171,95 $, il est difficile d'imaginer en quoi consisterait exactement un niveau suffisant de ventes.
L'arbitre a conclu que les autres motifs allégués pour justifier le congédiement étaient tout aussi simplistes compte tenu de la preuve.
L'arbitre a jugé bon de ne pas réintégrer l'intimé dans son emploi, mais il lui a accordé une indem- nité de 46 628,96 $ à laquelle s'ajoutaient les inté- rêts et les dépens. Les seules questions dont il nous faut traiter et que l'avocat de l'intimé a été appelé à débattre, sont celles découlant de ce qui suit:
En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragra- phe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:
Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à moi-même, une lettre de recommandation attestant:
(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station Q107 à titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin 1980 au 20 janvier 1984;
(2) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à 248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;
(3) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1982 se montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;
(4) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1983 était de 402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;
(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier 1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après avoir entendu les témoignages et les observations des deux parties, a décrété que le congédiement en question avait été injuste.
J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmention- née.
Je reste à la disposition des parties au cas elles auraient besoin de mon aide pour exécuter les ordonnances susdites.
Cette prétendue réserve de compétence est, sem- ble-t-il, assez courante dans les décisions des arbi- tres. Quel que soit le but qu'elle visait, elle n'a eu aucune utilité en l'espèce; l'arbitre n'a pas pré- tendu s'en prévaloir. Comme l'a décidé cette Cour dans Huneault c. La Société centrale d'hypothè- ques et de logement (1982), 41 N.R. 214 (C.F. Appel), une telle réserve de compétence ne confère pas à l'arbitre le pouvoir de réexaminer, d'annuler ou de modifier une ordonnance déjà rendue. Je me contenterais de dire qu'à mon avis, le fait de prévoir cette réserve, même dans les cas cela est superflu, ne vicie pas en lui-même la décision.
La requérante soutient que l'arbitre n'avait pas le pouvoir de lui ordonner de remettre la lettre de recommandation ni de restreindre sa réponse aux demandes de renseignements à la simple communi cation d'une copie de cette lettre. En outre, elle soutient que le fait de restreindre ainsi ses réponses aux demandes de renseignements porte atteinte à la liberté d'expression que lui garantit la Constitution.
Le Code prévoit:
61.5.. .
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma- lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.
La version anglaise de l'alinéa c) prévoit:
(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any conse quence of the dismissal.
Le mot «like» apparaissant dans le texte anglais ne trouve pas d'équivalent dans la version fran- çaise. À mon avis, le mot «like» du texte anglais n'a pas pour but de restreindre étroitement la nature de la réparation permise à des mesures analogues aux indemnités monétaires ou à la réin- tégration. L'alinéa a) impose un plafond à l'indem- nité, ce qui rend virtuellement illusoire le pouvoir d'accorder tout autre redressement du même genre. La réintégration c'est la réintégration. Elle entraîne le fait d'être réembauché par le même employeur. Il semble y avoir peu de place pour autre chose de très ressemblant. Selon moi, l'alinéa c) n'est que l'expression de la règle d'interprétation ejusdem generis généralement applicable. Le para- graphe 61.5(9) a pour but de confier à l'arbitre le pouvoir de faire en sorte, dans la mesure du possi ble, que l'employé lésé n'ait pas à subir de préju- dice en matière d'emploi par suite de son congédie- ment injustifié.
Je connais, il va de soi, la décision Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269. La lettre dont on ordonnait l'envoi dans cette affaire obligeait l'employeur à formuler, ou à tout le moins à sous-entendre, des opinions qu'il ne partageait pas nécessairement. En l'espèce, on a tout simplement ordonné à la requérante de dire la vérité. La lettre énonce simplement des faits qui ne sont ni trompeurs ni contestés.
Le fait d'ordonner l'envoi d'une lettre de recom- mandation portant uniquement sur des faits et d'empêcher que son effet ne soit sapé, éventualité manifestement prévisible dans les circonstances révélées par la preuve, me semble être un redresse- ment équitable et non punitif. Il s'agit d'un redres- sement approprié accordé à l'employé lésé et qui ne porte d'aucune façon préjudice à l'employeur. À
mon avis, l'alinéa 61.5(9)c) autorisait l'ordon- nance.
L'ordonnance impose sans conteste des limites à la liberté d'opinion et d'expression garantie à la requérante par la Constitution, d'une part en lui dictant ce qu'elle doit écrire dans la lettre et d'autre part en lui interdisant d'en dire davantage. Cette liberté fondamentale garantie par l'alinéa 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés n'est sujette qu'à la restriction prévue à l'article 1.
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
Malgré tout le respect que je dois à ceux qui sont d'avis contraire, je ne crois pas que l'article 1 de la Charte soit une simple introduction, c'est-à- dire quelque chose comme un exposé ou un préam- bule. Je suis d'avis qu'il s'agit d'une disposition de fond. Il semble avoir été considéré comme tel par la majorité de cette Cour dans Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; 55 N.R. 255 (C.A.), et il a certainement été inter- prété de cette façon par un certain nombre de cours d'appel provinciales: par exemple, R. v. Big M. Drug Mart Ltd. (1983), 7 C.R.R. 92 (C.A. Alb.), aux pages 112 et suivantes; Re Reynolds and Attorney General of British Columbia (1984), 11 D.L.R. (4th) 380 (C.A.C.-B.) et Rauca v. R. et al. (1983), 4 C.R.R. 42 (C.A. Ont.), aux pages 58 et suivantes. Bien que la Cour Suprême du Canada ne semble pas avoir encore statué définitivement sur la question, il ressort de ses obiter dicta qu'elle est d'accord avec cette approche, par exemple dans Procureur général du Québec c. Quebec Associa tion of Protestant School Boards et autres, [ 1984] 2 R.C.S. 66, aux pages 77 et 78; 10 D.L.R. (4th)
321, la page 330. Dans Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la page 169;
55 N.R. 241, la page 254, le juge Dickson, tel était alors son titre, prononçant le jugement de la Cour, a déclaré:
L'expression «dont la justification puisse se démontrer» impose à la partie qui cherche à limiter un droit ou une liberté énoncés dans la Charte l'obligation de justifier cette limite.
Je vois mal comment une disposition qui ne serait pas une disposition de fond pourrait être interpré- tée de façon à imposer légalement un fardeau de preuve.
Comme il s'agit d'une ordonnance que l'arbitre avait le pouvoir de rendre en vertu de l'alinéa 61.5(9)c), les limites en litige procèdent d'une règle de droit. À la lumière de la preuve consignée par l'arbitre, il s'agit de limites dont la justifica tion peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
La Règle 1408 [des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] prévoit:
Règle 1408. Il n'y aura pas de dépens entre parties à une demande, à moins que la Cour, à sa discrétion, ne l'ordonne pour une raison spéciale.
À mon avis, la présentation de cette demande n'était qu'une autre des tactiques de harcèlement systématique auxquelles la requérante soumettait l'intimé.
Je rejetterais la présente demande avec dépens.
* * *
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (dissident): C'est sans aucune difficulté que je me rallie à la plupart des opinions exprimées par mon collègue le juge Mahoney dans ses motifs de jugement. En fait, je ne trouve absolument aucun fondement à la pré- tention de la requérante suivant laquelle l'arbitre a fondé sa décision sur des conclusions de fait erro- nées tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance: l'employeur avait manifestement échoué dans sa tentative d'invoquer le rendement insatisfaisant de son ex-employé et on était pleine- ment justifié de conclure que le congédiement était injuste. Toutefois, il m'est malheureusement impossible de partager l'opinion du juge Mahoney sur le caractère légitime de toutes les ordonnances qu'a rendues l'arbitre après avoir conclu que le congédiement était injuste. Par conséquent, je dois respectueusement exprimer mon désaccord avec sa conclusion suivant laquelle la présente demande d'examen devrait tout simplement être rejetée.
Le problème découle évidemment des ordonnan- ces qu'a rendues l'arbitre en plus de l'indemnité de 46 628,96 $ qu'il a accordée. Pour des raisons de
commodité, voici à nouveau les paragraphes perti- nents de la décision:
En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragra- phe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:
Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à moi-même, une lettre de recommandation attestant:
(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station QI07 à titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin 1980 au 20 janvier 1984;
(2) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à 248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;
(3) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1982 se montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;
(4) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1983 était de 402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;
(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier 1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après avoir entendu les témoignages et les observations des deux parties, a décrété que le congédiement en question avait été injuste.
J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmention- née.
Je reste à la disposition des parties au cas elles auraient besoin de mon aide pour exécuter les ordonnances susdites.
Point n'est besoin d'insister sur le caractère inapproprié du dernier paragraphe de la décision. L'arbitre n'avait pas le pouvoir de réserver sa compétence pour trancher les contestations décou- lant de l'exécution de ses ordonnances. La question de l'exécution d'une ordonnance prononcée en vertu du paragraphe (9) de l'article 61.5 du Code canadien du travail est traitée aux paragraphes 12 et 13 de cet article qui prévoient le dépôt, l'enre- gistrement et l'exécution de l'ordonnance devant cette cour'. Dans les cas l'arbitre ne juge pas
' Ces paragraphes sont ainsi rédigés: 61.5...
(12) Toute personne concernée par une ordonnance d'un arbitre en vertu du paragraphe (9), ou le Ministre, à la demande de cette personne, peut, après l'expiration d'un délai de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est posté- rieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de l'ordonnance.
(13) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en vertu du paragraphe (12), une ordonnance d'un arbitre doit être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de la Cour et toutes les procédures y faisant suite peuvent dès lors être engagées en conséquence.
approprié d'énoncer tous les éléments constitutifs de sa décision, par exemple lorsque reste à faire le calcul du montant d'une indemnité suivant des modalités déterminées, il a peut-être raison de déclarer (comme il le fait souvent apparemment) qu'il désire être saisi de tout litige se rapportant à la nature exacte des [TRADUCTION] «éléments qui manquent». Cependant, il s'agit alors de parfaire la décision, non de l'exécuter, et cette prétendue réserve de compétence sur l'affaire indique tout simplement que la décision ne sera ni finale ni définitive tant que les éléments qui manquent n'auront pas été établis. Lorsqu'une décision est rendue sans que rien ne reste à faire, comme c'est le cas en l'espèce, il n'y a aucun doute dans mon esprit que l'arbitre a épuisé ses attributions: tout geste que poserait ce dernier le serait sans compé- tence aucune. Il n'en reste pas moins, comme l'a souligné mon collègue, que le fait d'inclure dans la décision une telle stipulation n'emportant aucune conséquence juridique ne peut en lui-même vicier la décision.
Le problème porte sur les ordres de faire conte- nus dans les autres dispositions et qui se veulent exécutoires immédiatement. La requérante doit fournir sur-le-champ à son ex-employé une «lettre de recommandation» renfermant cinq énoncés précis et sa direction et son personnel ont ordre de fournir, «pour toute réponse» à toute demande ultérieure de renseignements relativement à l'em- ploi de l'intimé à la station de radio, une copie de ladite lettre. La question est on ne peut plus claire: l'arbitre avait-il le pouvoir de rendre ces ordonnan- ces? Respectueusement, je ne partage pas l'opinion suivant laquelle il avait ce pouvoir. Les redresse- ments proposés par l'arbitre dans ses ordonnances sont de deux types: certains sont positifs en ce qu'ils consistent en l'accomplissement de quelque chose (une lettre de recommandation énonçant certains faits sera fournie sur-le-champ à l'intimé et des copies seront par la suite envoyées à ceux qui présenteront des demandes de renseigne- ments); les autres sont négatifs en ce qu'ils empê- chent l'accomplissement de quelque chose (la lettre de recommandation ne renfermera que les énoncés prescrits et, à l'avenir, seuls les renseigne- ments contenus dans la lettre seront fournis). À mon avis, l'arbitre pouvait rendre les «redresse- ments positifs» mais non les redressements «néga-
tifs», d'une part, parce que ces derniers n'étaient pas autorisés en vertu de la Loi et, d'autre part, parce que, à tout événement il était impossible de les imposer sans porter atteinte à la liberté d'ex- pression et d'opinion garantie à la requérante par la Constitution.
1. Les pouvoirs conférés à l'arbitre qui conclut qu'un plaignant a été congédié injustement par son employeur sont exprimés dans les termes suivants au paragraphe (9) de l'article 61.5 du Code cana- dien du travail:
61.5...
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma- lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.
On a invoqué à l'appui de la prétention suivant laquelle l'arbitre n'avait pas le pouvoir d'exiger la rédaction de la lettre un argument reposant princi- palement sur la présence du mot «like» dans la phrase «any other like thing» à l'alinéa c). Ce mot, a-t-on dit, restreignait l'étendue de la compétence de l'arbitre en limitant son pouvoir à celui de rendre des ordonnances s'apparentant au verse- ment d'une indemnité ou à la réintégration. L'ar- gument n'est pas convaincant. Tout comme le juge Mahoney, je suis d'avis que le mot «like»,—qui, comme l'a fait remarquer ce dernier, n'a pas d'équivalent dans la version française 2 , — ne semble pas avoir été utilisé afin de restreindre étroitement la nature de la réparation à laquelle peut donner lieu un congédiement injuste en vertu du Code. Il est possible qu'il serve, comme on l'a suggéré, à renforcer d'une certaine façon la règle d'interprétation ejusdem generis, mais même cette
2 Dans la version anglaise, l'alinéa c) est ainsi rédigé: 61.5(9)...
(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.
règle serait difficile à appliquer puisqu'il ne semble pas exister de catégorie commune qui engloberait les mots «indemnité» et «réintégration» eu égard à la nature des redressements (voir E. A. Driedger, Construction of Statutes, deuxième édition, aux pages 111 et suivantes). Par conséquent, il ne faudrait pas voir dans la présence du mot «like» une quelconque restriction de la réparation envisa gée par la disposition. Cependant, certains mots utilisés plus loin, plus précisément les mots «afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier» ne peuvent être interprétés autrement. La disposition dans son ensemble fait ressortir l'existence d'une limite claire et sans équivoque aux pouvoirs de l'arbitre, limite que commandait déjà le sens commun, étant donné le rôle confié à l'arbitre, mais que le Parlement a néanmoins choisi de souligner: les mesures que peut imposer un arbitre doivent viser strictement à indemniser le congédiement injuste, à en contrebalancer les effets ou à les réparer.
Il ne semble faire aucun doute que les «redresse- ments positifs» proposés par l'arbitre sont restés, à cet égard, dans les limites de son pouvoir. La lettre énonçant des faits prouvés visait clairement à «remédier» ou à «contrebalancer» l'effet domma- geable qu'un congédiement présumément fondé sur un rendement insuffisant pourrait avoir sur les chances de l'intimé de se trouver un nouvel emploi adéquat et, à ce compte-là, sur sa carrière. Toute- fois, je ne crois pas qu'on puisse en dire autant des «redressements négatifs». Le fait d'imposer le silence à la requérante et à son personnel ne visait pas, il me semble, à remédier à l'effet du congédie- ment lui-même. L'arbitre avait de toute évidence à l'esprit l'animosité que pouvaient ressentir la requérante et sa direction envers l'intimé, le res- sentiment qu'elles pourraient éprouver suite au dépôt de la plainte ou même leur aversion pour l'homme lui-même, autant de motifs susceptibles d'inciter à la partialité sinon carrément à la mau- vaise foi lorsque des demandes de renseignements seraient présentées à son sujet. En toute déférence, je suis d'avis que l'arbitre, malgré toutes ses bonnes intentions, n'avait pas le droit de tenter de contrebalancer les effets que pourraient avoir sur l'intimé de tels maux éventuels, sans compter qu'il agissait sur la foi d'hypothèses ne se rapportant d'aucune façon à son enquête et à sa décision. Selon moi, les mesures négatives que renfermait
l'ordonnance débordaient complètement le cadre de la Loi.
2. Même si l'on pouvait dire que de telles mesu- res tombaient théoriquement à l'intérieur des limi- tes du pouvoir conféré à l'arbitre par le Code, j'estime que de toute façon on ne pouvait y recou- rir car elles constituaient un empiétement direct et prohibé sur la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression garantie à la requérante, à sa direction et à son personnel dans la Constitu tion par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. On prétend que la liberté fonda- mentale garantie par cet alinéa 2b) de la Charte est soumise à la réserve prévue à l'article 1, c'est-à- dire qu'elle ne peut être restreinte que «par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonna- bles et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique», et que les limites imposées par l'arbitre à la liberté d'opinion et d'expression de la requérante en l'es- pèce étaient, à la lumière de la preuve consignée par ce dernier, des limites «raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
J'ai eu l'occasion, dans le passé, d'exprimer cer- tains doutes quant à l'objet et au sens exacts qu'il faut donner à l'article 1 de la Charte et plus précisément quant à la question de savoir si l'on a voulu que la disposition qu'il renferme soit appli- quée cas par cas, chacun devant être examiné dans son contexte particulier et en tenant juste compte de ses caractéristiques distinctives. Il me semblait -que le contrôle à assurer était sur le processus législatif de l'État et que les limites visées étaient celles déterminées de façon expresse par des règles d'application générale, d'où l'expression «règle de droit» et la référence aux caractéristiques d'une société libre et démocratique. Si tel était le cas, la justification requise devait être celle provenant des règles elles-mêmes telles qu'elles ont été adoptées et rendues applicables et non celles découlant de leur application dans un cas particulier (ce qui incidemment semble être l'interprétation de Peter W. Hogg dans Canada Act 1982 Annotated, aux pages 10 et 11). Je ne crois pas que la Cour suprême ait eu l'occasion de se pencher directe- ment sur la question et par conséquent, mes doutes persistent encore. Quoi qu'il en soit cependant, même si je devais écarter ces doutes et reconnaître
que l'on a voulu que l'article 1 de la Charte ait pour rôle de valider, dans certains cas et à la lumière de leurs circonstances particulières, une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par les articles de la Charte qui le suivent, je suis néan- moins dans l'obligation d'exprimer respectueuse- ment mon désaccord avec l'opinion suivant laquelle cela a pu être le cas en l'espèce. Je ne peux tout simplement pas me convaincre qu'il soit un jour justifié, dans le cadre d'une société libre et démocratique, d'interdire à l'ex-employeur d'un individu d'exprimer dans l'avenir, même en privé (en supposant qu'il soit possible en pratique d'assu- rer l'exécution d'une telle ordonnance), quelque opinion à propos de cet individu et de ses qualités en tant qu'employé, pour le seul motif qu'il existe certaines raisons de croire que cet employeur pour- rait éprouver du ressentiment à l'égard de son ancien employé et pourrait par conséquent expri- mer une opinion qui serait partiale ou malhonnête.
Voilà les motifs pour lesquels, à mon avis, l'arbi- tre ne pouvait interdire à la requérante, en plus de l'obliger à fournir la lettre de recommandation, d'exprimer quelque opinion que ce soit sur l'in- timé. En recourant à un tel redressement, l'arbitre agissait sans aucun pouvoir légal et en contraven tion de la Charte. Sa décision doit être modifiée. Par conséquent, j'accueillerais la demande, annule- rais la décision et renverrais l'affaire devant l'arbi- tre pour qu'il réexamine les redressements qu'il devrait imposer dans les limites de son pouvoir de contrebalancer le congédiement injuste de l'intimé.
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