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A-737-84
Bernshine Mobile Maintenance Ltd. (requérante)
c,
Conseil canadien des relations du travail (intimé)
Cour d'appel, juges Urie, Ryan et Hugessen— Winnipeg, 18 septembre; Ottawa, 8 octobre 1985.
Relations du travail Compétence du Conseil canadien des relations du travail Reimer, une entreprise de transport interprovincial relevant de la compétence fédérale, a conclu avec la requérante une entente selon laquelle cette dernière effectuerait du travail d'entretien de ses véhicules qui, jus- que-là, avaient été entretenus par ses propres employés La question de la compétence du Conseil sur la requérante a été soulevée lorsque le syndicat a déposé une plainte selon laquelle cette transaction constituait une vente d'entreprise au sens de l'art. 144 du Code Les activités d'entretien de la requérante font-elles partie intégrante de l'entreprise de Reimer de telle sorte que le Conseil aurait compétence sur la requérante? Application de critères utilisés dans certains jugements de la Cour suprême du Canada (affaires Telecom n°' 1 et 2) pour décider si les services fournis par la requérante sont vitaux, essentiels et fondamentaux aux activités de Reimer Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 144 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), (1),(2),(5) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Relations du travail La compétence est fédérale lorsqu'elle fait partie intégrante de la compétence fédérale sur une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale Une entreprise interpro- vinciale de camionnage est une entreprise de compétence fédé- rale L'entretien des pneus et le lavage des véhicules ont été sous-traités à une société relevant de la compétence provin- ciale Cette dernière devient-elle une entreprise fédérale? -- Énumération des facteurs qui doivent être pris en compte dans la décision portant sur la compétence constitutionnelle Étude des jugements rendus par la Cour suprême du Canada sur cette question L'application de la jurisprudence aux faits de l'espèce conduit à la conclusion qu'en matière de relations de travail, les employés en question doivent relever de la même compétence que les employés de l'entreprise principale.
Reimer Express Lines Limited (Reimer) exploite une entre- prise de transport routier interprovincial et de roulage de marchandises diverses. Étant une entreprise fédérale, ses rela tions de travail ressortissent à la compétence du Conseil cana- dien des relations du travail (k Conseil). Avant de sous-traiter l'entretien de ses pneus et le lavage de ses véhicules à la requérante, une société constituée selon les lois du Manitoba dont les relations de travail relèveraient normalement de la compétence provinciale, Reimer effectuait ce travail elle-même. Ce travail se faisait dans les installations complètes de Reimer et son espace servant au lavage ainsi que l'espace de son atelier d'entretien, installations et espaces que Reimer louait à la requérante. Au cours de la période pertinente, Reimer était le seul client de la requérante.
Le syndicat représentant les préposés à l'entretien, les méca- niciens et les laveurs de Reimer a sollicité une déclaration suivant laquelle la sous-traitance équivalait à une vente d'entre- prise de Reimer à Bernshine au sens de l'article 144 du Code canadien du travail. Le Conseil a fait une déclaration portant qu'il y avait eu vente. Le Conseil a conclu que la requérante relevait de sa compétence constitutionnelle au motif que ses activités constituaient une partie intégrante de l'affaire de Reimer.
La demande fondée sur l'article 28 en l'espèce soulève la question de savoir si le Conseil possède la compétence constitu- tionnelle sur la requérante au motif que les services fournis par Bernshine sont vitaux, essentiels et fondamentaux à l'entreprise de nature fédérale de Reimer.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
La Cour suprême du Canada a énoncé dans l'arrêt Telecom I, et appliqué dans les affaires L'Anglais et Telecom 2, les critères servant à décider si une société dont les relations du travail relèveraient normalement de la compétence provinciale ressortit à la compétence du Conseil.
(1) En ce qui a trait au critère du lien existant entre les activités de la requérante et l'»entreprise fédérale principale», c.-à-d. Reimer, il a été décidé que Bernshine n'exerçait pas, en pratique, d'autres activités que celles se rapportant à Reimer.
(2) En ce qui concerne le critère du lien corporatif, l'absence d'un tel lien, comme en l'espèce, ne règle pas à elle seule la question de la compétence.
(3) Quant au critère de l'importance pour la requérante du contrat la liant à Reimer, il a été décidé que Reimer était alors le seul client de la requérante.
(4) En ce qui regarde le critère du lien matériel et opération- nel entre la requérante et Reimer, le Conseil a conclu en s'appuyant sur une preuve abondante que le travail exécuté par la requérante pour Reimer constituait une partie intégrante de l'entreprise de nature fédérale de Reimer.
Le fait que le travail en question est relativement simple n'en change pas la nature.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communica tion du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733; 147 D.L.R. (3d) 1.
DÉCISIONS CITÉES:
Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529; Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada et autre, [1975] 1 R.C.S. 178; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; Conseil cana- dien des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147; 146 D.L.R. (3d) 202.
AVOCATS:
Grant Mitchell pour la requérante.
A. R. McGregor, c.r., pour la section locale
979 (General Teamsters).
Dianne Pothier pour l'intimé.
PROCUREURS:
Taylor, Brazzell, McCaffrey, Winnipeg, pour la requérante.
Simkin, Gallagher, Winnipeg, pour la section locale 979 (General Teamsters).
Conseil canadien des relations du travail, pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La demande dans l'espèce, fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], vise l'examen et l'annulation d'une décision du Conseil canadien des relations du travail (le «Conseil») qui a déclaré qu'une transaction intervenue entre Reimer Express Lines Limited («Reimer») et Bernshine Mobile Maintenance Ltd. («Bernshine») constitue une vente d'entreprise au sens de l'article 144 du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1)], que Bernshine était, en conséquence, un employeur successeur de Reimer et que, l'entreprise de Reimer étant un ouvrage entrant dans le cadre d'une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale, l'entreprise de Bernshine l'est également, ce qui a pour résultat de conférer au Conseil la compétence constitutionnelle nécessaire pour pren- dre les décisions relatives aux demandes fondées sur l'article 144.
I
LES FAITS
Reimer fait affaire dans le domaine du transport routier interprovincial et du roulage de marchandi- ses diverses. Partant du siège de la société à Win- nipeg, ses camions vont à l'ouest jusqu'à Vancou- ver et vers l'est jusqu'à Toronto et Montréal. Depuis de nombreuses années, Reimer a été partie à une relation volontaire de travail avec la section locale 979 (General Teamsters) (les «Teamsters»). L'unité de négociation représentée par les Teams-
ters dont il s'agit ici ne comprend que des chauf feurs qui font de la cueillette et de la livraison en ville, des préposés d'entrepôt, de chargement et d'entretien, des mécaniciens et des laveurs.
La preuve révèle que, jusqu'à ce que Reimer devienne partie à deux contrats avec Bernshine (dont il sera question de façon plus détaillée un peu plus loin), elle avait fait faire l'entretien des pneus et le lavage de l'intérieur et de l'extérieur de ses véhicules et de ses remorques par ses propres employés. Pendant six ans, Albert Bernshine, employé par Reimer, avait travaillé à l'accomplis- sement de ces opérations. Il faisait alors partie de la section locale des Teamsters et son emploi était compris dans l'unité d'une négociation. Ayant exprimé le désir de partir en affaire à son propre compte, il a pris contact avec un cadre de Reimer et a négocié une entente suivant laquelle il fourni- rait les services d'entretien des pneus et de lavage qui, jusque-là, avaient été assurés par les propres employés de Reimer. Il a alors constitué Bernshine en société en vertu de la législation Manitobaine. Bernshine en est le seul propriétaire. Reimer et Bernshine ont conclu deux ententes portant cha- cune la date du 11 août 1983. La première était un bail suivant lequel Reimer louait à Bernshine les installations complètes et l'espace servant au lavage ainsi que l'espace de son atelier d'entretien des remorques, situés dans son bâtiment d'entre- tien, au 100, rue Milner (Winnipeg), pour un loyer mensuel de 1 000 $ à être augmenté, six mois plus tard, à 1 050 $. Reimer continuait d'assumer la responsabilité de maintenir les lieux et l'équipe- ment en bon état.
La seconde entente prévoyait l'entretien et le lavage de tous les tracteurs et remorques utilisés dans le cadre du transport routier effectué par Reimer, pour un montant mensuel fixe. Bernshine garantissait qu'elle possédait ou engagerait assez de personnel pour satisfaire à ses obligations contractuelles.
Chacune des ententes s'étendait sur une année et chacune des parties pouvait y mettre fin sur avis de 30 jours.
Il existe des éléments de preuve pour établir que la requérante a fait, dans une mesure très res- treinte, d'autres affaires que celles qui étaient reliées au contrat Reimer; cependant, comme a conclu le Conseil:
. il n'en reste pas moins qu'à l'heure actuelle, Reimer est son seul client [de Bernshine]. Les employés de Bernshine accom- plissent le même travail que les anciens employés de Reimer. Bernshine occupe les locaux de Reimer et se sert en outre de son matériel et des ses fournitures, y compris le savon, les pneus et même les pastilles et les emplâtres pour pneus. La seule contribution de Bernshine est la main-d'oeuvre, comme c'était le cas des membres des Teamsters avant qu'ils soient mis à pied.
Il ressort clairement de la preuve que l'entretien des pneus a beaucoup d'importance pour Reimer et que, pour des motifs qui se rattachent à la concurrence aussi bien qu'à l'hygiène, il importe que l'intérieur comme l'extérieur des camions et remorques soient propres.
L'importance de l'entretien des pneus dans le cadre des activités de Reimer ressort particulière- ment du paragraphe 2 du contrat d'entreprise en date du 11 août 1983, qui la reconnaît de façon expresse. Il y est déclaré que Bernshine affirme et garantit [TRADUCTION] «qu'elle possède ou acquerra le personnel et l'équipement nécessaires pour satisfaire à ses obligations de garder les pneus utilisés par Reimer ... en bon état de fonctionne- ment en tout temps et reconnaît que lesdits pneus sont essentiels au bon fonctionnement de Reimer ... et qu'il sera nécessaire que les réparations et l'entretien soient assurés 24 heures par jour de façon continue, y compris les dimanches et jours fériés».
II
LA QUESTION EN LITIGE
La plainte déposée auprès du Conseil par les Teamsters, selon laquelle la sous-traitance des ser vices d'entretien des pneus et de lavage constituait de la part de Reimer comme de celle de Bernshine une pratique déloyale en matière de travail, a été rejetée par le Conseil. Ainsi qu'il a déjà été men- tionné, les Teamsters sollicitaient également auprès du Conseil une déclaration suivant laquelle la sous-traitance aurait équivalu à une vente d'en- treprise de Reimer à Bernshine au sens de l'article 144 du Code canadien du travail.
Les paragraphes pertinents de cet article sont ainsi libellés:
144. (1) Au présent article,
«entreprise» désigne une entreprise fédérale et s'entend égale- ment d'une partie d'une telle entreprise;
«vente», relativement à une entreprise, comprend la location, le transfert et tout autre acte d'aliénation de l'entreprise.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), lorsqu'un employeur vend son entreprise,
a) un syndicat qui est l'agent négociateur des employés travaillant dans l'entreprise demeure leur agent négociateur;
b) un syndicat qui a présenté une demande d'accréditation visant des employés travaillant dans l'entreprise avant la date de la vente peut, sous réserve de la présente Partie, être accrédité par le Conseil à titre d'agent négociateur de ces employés;
c) toute convention collective qui, à la date de la vente, est applicable aux employés travaillant dans l'entreprise lie la personne à laquelle celle-ci est vendue; et
d) la personne à laquelle l'entreprise est vendue devient partie à toute procédure en instance à la date de la vente, qui a été engagée en vertu de la présente Partie et qui concerne les employés travaillant dans l'entreprise ou leur agent négociateur.
(5) Lorsqu'une question se pose en vertu du présent article, soit de savoir si une entreprise a été vendue ou non, soit quant à l'identité de l'acheteur, elle doit être tranchée par le Conseil.
Le Conseil a fait une déclaration portant qu'il y avait eu, au sens de l'article, vente d'entreprise de Reimer à Bernshine. Dans cette déclaration, le Conseil a conclu que, contrairement à ce qu'avait allégué Bernshine, cette entreprise relevait de sa compétence constitutionnelle au motif que, même si Bernshine n'entretenait aucune relation corpora- tive avec Reimer, ses activités constituent une partie intégrante de l'affaire de Reimer, qui, comme en conviennent les parties, constitue une entreprise principale de nature fédérale. En consé- quence, constitutionnellement, les travaux effec- tués par Bernshine en vertu des conventions la , liant à Reimer étaient fédéraux et relevaient de la compétence constitutionnelle du Conseil.
En l'espèce, le seul point en litige est donc le suivant: le Conseil possède-t-il la compétence cons- titutionnelle qu'il prétend détenir sur Bernshine au motif que l'entreprise de cette dernière, la fourni- ture de services de réparation de pneus et de services de lavage de tracteurs et de remorques à Reimer, était vitale, essentielle et fondamentale à l'exploitation de l'entreprise de nature fédérale de Reimer, soit le transport interprovincial par camion?
III
LA JURISPRUDENCE
Les principes applicables aux affaires du genre de celle en l'espèce ont été développés sur une longue période et sont à présent bien définis. Néanmoins, leur application présente, comme c'est le cas en l'espèce, quelques difficultés. Il serait utile d'examiner brièvement la jurisprudence à partir de laquelle ces principes ont été élaborés.
C'est une règle de droit bien établie que la compétence fédérale sur les relations de travail constitue une exception à la règle générale de la compétence provinciale dans ce domaine. En effet, elle s'exerce lorsqu'elle fait partie intégrante de la compétence fédérale sur une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, il est constant que l'entreprise de transport de Reimer est une entreprise fédérale vu sa nature interprovinciale. La question précise qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la sous-trai- tance de ses opérations d'entretien des pneus et de lavage des véhicules et remorques à une compagnie qui, en matière de relations de travail, ressortirait normalement à la compétence provinciale, fait de ce travail une entreprise de nature fédérale.
Le jugement de la Cour suprême du Canada qui fait autorité en la matière est l'arrêt Northern Telecom Canada Liée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733; 147 D.L.R. (3d) 1 [Telecom 2]. Dans cet arrêt, le juge Estey (aux motifs duquel ont souscrit les juges Ritchie, McIn- tyre et Lamer) a fait l'historique de plusieurs procédures engagées devant les commissions des relations de travail et les tribunaux et a examiné les arrêts de principe de la Cour suprême tels Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529 (l'affaire des Débardeurs); Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada et autre, [1975] 1 R.C.S. 178; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754. Il ne nous serait d'aucune utilité de discuter davantage de ces décisions ou des autres décisions examinées par le juge Estey. Qu'il nous suffise de dire que la majo- rité de la Cour, se fondant sur celles-ci, a conclu que les installateurs de l'équipement Northern Telecom accomplissaient un travail constituant une partie intégrante de l'exploitation du système
de télécommunications de Bell Canada, qui était, de l'avis de toutes les parties, une entreprise de nature fédérale.
Dans l'arrêt Northern Telecom Liée c. Travail- leurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115 (Telecom 1), le juge Dickson (tel était alors son titre), prononçant le jugement de la Cour, a conclu que le dossier devant la Cour ne contenait pas les faits décisifs permettant à cette dernière de décider de la question constitution- nelle, soit celle de savoir si les installateurs de Telecom, lorsqu'ils installaient l'équipement pour Bell Canada dans ses locaux, participaient à une entreprise de nature fédérale. Pour en arriver à cette conclusion, M. le juge Dickson a fait ressortir la nature des questions qui doivent être posées pour juger de la présence des faits décisifs sur la question de la compétence constitutionnelle. Il a divisé ces faits selon les quatre catégories suivantes [page 135]:
[ ... il s'agit notamment:]
(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de l'installation dans cette exploitation;
(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;
(3) de l'importance du travail effectué par le service de l'ins- tallation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison avec ses autres clients;
(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de l'instal- lation de Telecom et l'entreprise fédérale principale dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance de la participation du service de l'installation à l'exploitation et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement.
Dans l'arrêt Telecom 2, le juge Dickson a, dans son opinion concourante, procédé à la qualifi cation du travail accompli par les installateurs de Telecom en recourant aux faits afférents aux quatre catégories précitées. Dans ses motifs de jugement, le juge Estey s'est exprimé de la façon suivante [aux pages 755 et 756 R.C.S.; 25 et 26 D.L.R.] sur les questions à poser pour établir le respect des quatre principes directeurs susmention- nés:
Dans cette affaire-là, comme en l'espèce, l'entreprise princi- pale de nature fédérale était le réseau de télécommunications interprovinciales de Bell. L'entreprise accessoire était celle que Telecom exploitait par ses installateurs à l'occasion de la mise en place, dans ce réseau, d'équipement de commutation et de transmission presque entièrement manufacturé par Telecom, bien qu'une partie de l'équipement installé provienne d'autres sources. Le lien social entre Bell et Telecom a fait l'objet d'une
argumentation devant cette Cour et devant les cours d'instance inférieure. Telecom est une filiale à part entière de Northern Telecom Limitée dont Bell possède 60,5 pour 100 du capital- actions. Avant 1973, Bell possédait 100 pour 100 des actions de Northern Telecom Limitée, mais depuis cette date, 39,5 pour 100 du capital-actions est entre les mains du public. Donc, grâce au volumineux dossier dans le présent pourvoi, dont les tribunaux ne disposaient pas à l'occasion de l'affaire Telecom de 1980, on peut appliquer aux faits de l'espace et aux ques tions qui y sont soulevées les quatre principes directeurs de la façon suivante:
1. Le critère principal d'application du principe énoncé dans l'arrêt sur les Débardeurs est l'étude du «lien matériel et opérationnel» entre les installateurs de Telecom et l'entre- prise principale de nature fédérale, le réseau téléphonique, et en particulier de l'importance de la participation des installateurs à la création et à l'exploitation de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement. Je me suis permis de paraphraser, avec la terminologie propre au présent dossier, le critère 4, déjà cité, formulé par le juge Dickson dans l'arrêt de cette Cour rendu en 1980.
2. Pour établir à qui appartient la compétence constitution- nelle sur les relations de travail, la cour doit ensuite considérer, comme question accessoire, mais non dépour- vue d'importance:
a) l'importance du travail effectué par les installateurs de Telecom pour Bell en comparaison avec celui accompli pour d'autres clients de Telecom (ici encore je me permets d'emprunter, les termes du juge Dick- son au critère 3 ci-dessus) et,
b) les liens sociaux entre Bell et Telecom (critère 2 dans les motifs du juge Dickson. Le critère énoncé au Point 1 de l'arrêt Telecom de 1980, précité, est étudié plus loin dans les présents motifs).
Plus avant dans ses motifs, le juge Estey a conclu que le lien corporatif existant entre Bell et Telecom n'était pas un facteur ayant une incidence sur l'issue du litige. Ainsi une réponse fût-elle apportée relativement à la seconde des quatre caté- gories énoncées. Concernant la première catégorie, il a, après avoir analysé les faits, conclu aux pages 766 et 767 R.C.S.; 35 D.L.R. que:
L'intégration presque totale du travail quotidien des installa- teurs aux tâches d'établissement et d'exploitation du réseau de télécommunications fait du travail d'installation un élément intégral de l'entreprise fédérale. Les équipes d'installation tra- vaillent la plupart du temps dans les locaux occupés par le réseau de télécommunications. L'agrandissement, l'expansion et l'amélioration du réseau constituent une opération conjointe du personnel de Bell et de celui de Telecom. L'expansion ou le remplacement de l'équipement de commutation et de transmis sion, qui est en lui-même essentiel à l'exploitation continue du réseau, est intimement intégré aux systèmes de prestation des communications du réseau. Tout ce travail absorbe une très grande proportion du travail des installateurs.
Bien que les faits des deux affaires Telecom diffèrent en substance de ceux de l'espèce, les critères énoncés par le juge Dickson dans l'arrêt Telecom 1 et appliqués dans les opinions con- courantes de la majorité de la Cour dans l'arrêt Telecom 2 sont, à mon avis, entièrement appli- cables à la décision qui doit être rendue en l'espèce sur la compétence constitutionnelle du Conseil.
Avant de terminer l'examen de la jurisprudence relative à la présente affaire, soulignons que, dans l'arrêt Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147; 146 D.L.R. (3d) 202, qui a été rendu quelques mois à peine avant l'arrêt Telecom 2 et sur lequel s'est fortement appuyé, dans cette ins tance, l'avocat de l'appelante, la Cour suprême a appliqué les critères et les principes de l'arrêt Telecom 1 même si, considérant les faits de cette affaire, elle a conclu que les activités des deux filiales de ce que tous reconnaissaient être une entreprise principale de nature fédérale, n'étaient pas fondamentales, vitales ou essentielles à l'entreprise principale. Leurs relations avec leurs employés ne relevaient donc pas de la compétence constitutionnelle du Conseil canadien des relations du travail.
IV
APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE
L'avocat de l'appelante a prétendu que le Con- seil n'avait pas appliqué, dans sa décision, les critères énoncés dans l'arrêt Telecom 1 et appli- qués dans les affaires L'Anglais et Telecom 2. De plus, dans son exposé des faits et du droit, il a présenté notamment les allégations qui suivent pour appuyer sa prétention suivant laquelle les questions du type de celles qui ont été considérées pertinentes à l'issue de l'affaire L'Anglais étaient également pertinentes en l'espèce et auraient être considérées par le Conseil:
[TRADUCTION] 1. Le lavage de camions et la réparation de pneus effectués par Bernshine ne sont pas des activités relevant de la compétence du Parlement.
2. Ces activités ne constituent pas une partie intégrante du fonctionnement de l'entreprise de camionnage interprovin- cial de Reimer, entraînant nécessairement l'exercice de la compétence fédérale sur les employés de Bernshine.
3. Bernshine offre ses services de lavage de camions et de réparation de pneus au public en général. Au moment a eu lieu l'audience, c'est-à-dire après seulement six mois
d'exploitation, Reimer était son client principal; cepen- dant, Bernshine espère s'attirer une clientèle très diversi- fiée puisqu'elle a tout intérêt à devenir indépendante de Reimer.
4. Une entreprise peut fournir un service de lavage de camions et de réparation de pneus à des camions utilisés pour le transport interprovincial sans pour autant devenir une entreprise interprovinciale.
5. Par analogie avec l'affaire Paul L'Anglais, cette Cour peut se demander si des activités telles le lavage de camions et la réparation de pneus ressortiraient au camionnage pro vincial si elles étaient effectuées par une compagnie non liée à la compagnie exploitant l'entreprise fédérale. Dans l'affaire Paul L'Anglais, la Cour a conclu que la réponse devait être «nettement négative» (p. 169 R.C.S.; 219 D.L.R. précité). Le vendeur de services de lavage de camions et d'entretien de pneus ne devient pas par cette seule fourniture un ouvrage fédéral. De plus, ces activités ne sont pas indispensables à l'exploitation d'une affaire de camionnage interprovincial. En effet, Reimer se procure ces services d'un bout à l'autre du Canada en sous-traitant l'ensemble de son entretien à des entreprises qui, mis à part le fait que Bernshine loue de l'espace et de l'équipe- ment de Reimer, ne sont ni plus ni moins reliées à Reimer que Bernshine. Ainsi qu'il ressort des faits qui ont été exposés, ces baux sont des transactions conclues sans lien de dépendance.
Il serait utile, pour répondre à ces allégations, d'adapter les critères énoncés dans l'arrêt Telecom 1 aux faits de la présente affaire.
(1) La nature générale de l'exploitation de Reimer en tant qu'entreprise active et, en particulier, le rôle des services d'entretien des pneus et de lavage des tracteurs et remor- ques dans cette exploitation.
À la page 133 du jugement rendu dans l'affaire Telecom 1, le juge Dickson a dit:
En l'espèce, il faut d'abord se demander s'il existe une entreprise fédérale principale et en étudier la portée. Puis, il faut étudier l'exploitation accessoire concernée, c.-à-d. le ser vice d'installation de Telecom, les «activités normales ou habi- tuelles» de ce service en tant qu'«entreprise active» et le lien pratique et fonctionnel entre ces activités et l'entreprise fédé- rale principale.
Étudiant ces questions dans l'affaire Telecom 2, le juge Dickson a conclu à la page 770 R.C.S.; 4 D.L.R. que les installateurs étaient «assez distincts, pour ce qui est de leurs fonctions, du reste des opérations de Telecom». L'étude de la question de savoir si les entreprises fonctionnent de façon dis- tincte n'a pas à être faite en l'espèce. Le fait est que Bernshine n'exerce pas, en pratique, d'autres activités que celles qui se rapportent à Reimer. Tout au plus Bernshine espérait-elle, au moment a eu lieu l'audience du Conseil, ajouter aux
activités reliées à Reimer en faisant affaire avec d'autres clients que cette dernière. Toutefois, à l'époque, elle ne faisait affaire avec aucun client extérieur. A toutes fins pratiques, aucune de ses activités n'était reliée au camionnage intraprovin- cial. Par conséquent, dans la qualification de l'af- faire de Bernshine, aucune séparation des fonc- tions ne pouvait entrer en ligne de compte.
(2) La nature du lien corporatif entre Bernshine et la seule compagnie avec laquelle elle fait affaire, c'est-à-dire Reimer.
Ainsi que l'a souligné le juge Dickson à la page 771 R.C.S.; 5 D.L.R. de l'arrêt Telecom 2: «Les liens sociaux ne sont pas déterminants pour déci- der la compétence constitutionnelle». Le juge Estey a conclu que les liens entre Bell et Telecom n'étaient pas un facteur ayant une incidence sur l'issue litige. Tout au plus, le lien ou l'absence de lien est un facteur entrant en ligne de compte dans l'appréciation générale de la nature du lien fonc- tionnel particulier entre les deux entreprises. Dès qu'il existe un lien opérationnel ou fonctionnel entre deux entreprises, l'absence de lien corpora- tif—comme c'est le cas en l'espèce—n'empêche pas de conclure qu'une société qui fournit un ser vice vital, essentiel ou fondamental à une entre- prise principale de nature fédérale relève de la compétence fédérale. Par conséquent, le fait qu'il soit indubitable qu'il n'existe aucun lien corporatif entre Bernshine et Reimer ne règle pas à lui seul la question de la compétence.
(3) L'importance du travail effectué par Bernshine pour Reimer, en comparaison avec celui qui est effectué pour ses autres clients.
C'est le principe constitutionnel selon lequel la compétence fédérale en matière de relations de travail ne peut résulter de facteurs exceptionnels ou occasionnels qui rend nécessaire l'étude de cette question. Le juge Dickson, dans l'arrêt Telecom 2 la page 771 R.C.S.; 5 D.L.R.], a décidé que «Le travail des installateurs pour le compte de Bell Canada n'est ni exceptionnel ni occasionnel.» Cette conclusion était fondée sur les faits suivants: Bell achetait 90 % de son matériel de commutation et de transmission à Telecom, qui en installait 95 %, et l'installation effectuée pour Bell représentait 80 % du travail des installateurs de Telecom.
En l'espèce, comme Reimer était, au moment de l'audience, le seul client de Bernshine, l'impor-
tance du travail effectué pour Reimer est des plus évidentes. L'on ne peut certainement pas dire que ce travail était exceptionnel ou occasionnel. À cet égard, la situation de Bernshine se distingue nette- ment de celle des fournisseurs d'essence et d'huile qui exploitent les diverses stations-service situées le long de la route, s'approvisionnent les routiers. L'avocat de l'appelante a tenté de placer sur un même pied les activités de Bernshine et celles de tels fournisseurs. Naturellement, il ne s'agit pas de dire que toutes les sociétés fournissant des services d'entretien des pneus et de lavage des camions à une entreprise de transport de nature fédérale relèvent de la compétence fédérale. Qu'elles ressor- tissent ou non à cette compétence dépend en partie de la question de savoir si les services qu'elles fournissent sont occasionnels ou exceptionnels. Dans les circonstances particulières de l'espèce, ils ne l'étaient certainement pas.
(4) Le lien matériel et opérationnel entre Bernshine et l'entre- prise fédérale principale, Reimer, et, en particulier, l'im- portance de la participation de Bernshine à l'exploitation et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que service de transport interprovincial par camion en exploitation.
Dans l'arrêt Telecom 2, le juge Dickson a conclu la page 772 R.C.S.; 5 D.L.R.] que ce facteur «est certainement le plus important pour savoir qui du Parlement fédéral ou de la législature provinciale a la compétence constitutionnelle». Le juge Estey s'est montré du même avis. Ce facteur est celui dont l'étude entraîne l'application du critère du caractère «vital», «essentiel» ou «fonda- mental».
Dans l'affaire L'Anglais, précitée, le juge Chouinard a souligné à la page 169 R.C.S.; 219 D.L.R. que «Vendre du temps de commandite d'émissions et produire des émissions et des messa ges commerciaux ne font pas du vendeur ou du producteur des télédiffuseurs. Du reste ces activi- tés ne sont pas indispensables à l'exploitation de Télé-Métropole Inc.» La question à se poser porte donc sur les faits et est la suivante: le travail exécuté par Bernshine pour Reimer est-il de telle nature qu'il est essentiel, vital ou fondamental aux activités de ce dernier?
Le Conseil, a conclu que c'était le cas. Aux pages 35 et 36 de ses motifs, il est dit:—
Dans la présente affaire, tant que le travail était effectué chez Reimer par ses propres employés, les parties avaient
supposé que les services de lavage de camions et de réparation de pneus relevaient de la compétence fédérale comme tout le reste de l'exploitation de Reimer. Cette situation a-t-elle changé d'une façon quelconque du simple fait que les services soient maintenant assurés par Bernshine, société distincte sans lien corporatif avec Reimer? Nous ne le pensons pas.
Du point de vue des relations de travail, Bernshine est une société distincte et un employeur distinct de Reimer, mais du point de vue constitutionnel, Bernshine fait partie intégrante de l'entreprise fédérale de Reimer. Nous concluons donc que le Conseil possède la compétence constitutionnelle auprès de l'ex- ploitation de Bernshine. (C'est moi qui souligne.)
Cette conclusion est amplement appuyée par la preuve, et à cet égard, le fait que les parties aient elles-mêmes ainsi décrite l'entreprise en cause dans leur convention en date du 11 août 1983 n'est pas l'élément le moins convaincant. En effet, comme nous l'avons déjà souligné, Bernshine a, au para- graphe 2 de cette convention, garanti quelle aurait à sa disposition suffisamment de personnel et d'équipement pour remplir ses engagements et reconnu «que lesdits pneus sont essentiels au bon fonctionnement de Reimer».
De plus, Reimer ne pourrait, sans camion, exploiter son affaire. Les camions, les tracteurs et les remorques seraient inutilisables s'ils n'étaient pas munis de pneus adéquats. Si l'on songe en outre que les activités d'entretien ont lieu chez Reimer, au moyen de l'équipement loué de cette dernière, et que Reimer est à toutes fins pratiques le seul client de Bernshine, nous arriverons, selon moi, inévitablement à la conclusion qu'en matière de relations de travail, les employés de Bernshine doivent relever de la même compétence que les employés de l'entreprise principale, c'est-à-dire Reimer. Les relations de travail de Reimer étant de compétence fédérale, celles de Bernshine doi- vent l'être également.
Je suis également d'avis que le fait que le travail exécuté par les employés de Bernshine est relative- ment simple n'en change pas la nature. Ainsi que l'a souligné le juge Dickson dans l'arrêt Telecom 2, la complexité du travail n'est pas détermi- nante. Est cependant déterminant le fait que ce travail est essentiel et fondamental à l'exploitation de l'entreprise fédérale principale.
V
CONCLUSION
En résumé, je suis d'avis que le Conseil a agi conformément au droit même s'il n'a pas appliqué de façon précise les critères énoncés par le juge Dickson dans l'affaire Telecom 2. Il a malgré tout appliqué ces critères de façon effective. Comme il est le juge des faits en ce qui concerne les questions relevant précisément de sa compé- tence et comme il a eu l'avantage de voir et d'entendre les témoins, ses conclusions de fait ne doivent pas être modifiées à la légère. En disant ceci, je n'oublie pas que le Conseil, lorsqu'il décide de sa compétence constitutionnelle, a soit raison soit tort. Il ne saurait y avoir de demi-mesure. Toutefois, tout en reconnaissant ce fait, il me semble qu'il ne devrait être décidé que les conclu sions de faits du Conseil sont entachées d'erreurs que si, compte tenu de l'expérience de ses membres dans l'appréciation de ces questions et de leur connaissance du dossier, il ressort clairement que ces conclusions sont fausses'. Puisque, en l'espèce, ses membres n'ont pas commis d'erreur de droit et puisque leur appréciation des faits est amplement soutenable, je suis d'avis qu'ils n'ont pas commis d'erreur en rendant l'ordonnance contestée.
En conséquence, je rejetterais la demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
1 Voir les motifs dissidents du juge Beetz dans l'affaire Telecom 2 (précitée), à la p. 775 R.C.S.; 8 D.L.R.
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