Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2289-84
Pacifie Salmon Industries Inc., Cheena B.C. Tra ders Limited, H & K Sales Ltd., Seaborn Enter prises Ltd. et O.K. Gift Shop Ltd. (deman- deresses)
c.
La Reine, Procureur général du Canada, ministre des Transports et Chern S. Heed (défendeurs)
Division de première instance, juge Strayer—Van- couver, Zef et 5 novembre 1984.
Transports Réglementation des activités commerciales à l'aéroport international, de Vancouver Contrôle judiciaire
Requête en décisions provisoires, en injonction et en bref de prohibition Les demanderesses livrent des marchandises à des groupes de touristes à l'aéroport Évitement de la taxe de vente provinciale Le directeur de l'aéroport a conseillé les demanderesses de ne pas se livrer à une activité sans obtenir un permis de Transports Canada Se livrer à une
activité nécessite une autorisation écrite du Ministre Les demanderesses se livrent-elles à une activité au sens de l'art. 7 du Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement (RECAG)? L'art. 7 est-il autorisé par la Loi sur le ministère des Transports? Un jugement déclara- toire ne peut être obtenu par voie de requête à moins que les
défendeurs n'y consentent Demande de décisions provisoires ne reposant sur aucune autorité Les demanderesses préten- dent que les défendeurs ont agi illégalement parce que l'art. 7 n'interdit pas la livraison Une injonction ne saurait être décernée contre la Couronne, mais les préposés du gouverne- ment qui commettent un abus de pouvoir peuvent faire l'objet d'une injonction Les demanderesses peuvent obtenir des dommages-intérêts suffisants si, faute de se voir accorder une injonction, elles sont en mesure d'établir au procès leur droit
L'engagement de verser aux défendeurs des dommages- intérêts ne réparerait pas adéquatement le préjudice que pour- rait entraîner une injonction Compte tenu de la règle du plus grand préjudice, l'injonction ne devrait pas être accordée
Un bref de prohibition peut être accordé mais, à moins d'un vice évident, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire
La déposition sous forme d'affidavit ne suffit pas à justifier l'octroi d'un bref de prohibition Loi sur le ministère des
Transports, S.R.C. 1970, chap. T-15 Loi sur la responsabi- lité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38 Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement, 1979, DORS/79-373, art. 7 Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions
Demandes d'injonctions provisoires et permanentes en vue d'interdire à la Reine et aux préposés du gouvernement de faire obstacle à la livraison de marchandises à l'aéroport Se livre-t-on à une activité à l'aéroport? Application du critère exposé dans l'affaire American Cyanamid Les demanderes-
ses soulèvent une question de fond Caractère suffisant des dommages-intérêts L'engagement des demanderesses de verser des dommages-intérêts ne suffit pas Les activités des
demanderesses entravent la circulation des passagers Les
inconvénients des passagers ne peuvent faire l'objet d'un dédommagement en vertu de l'engagement Pertes causées à des concessionnaires Règle du plus grand préjudice D'autres motifs justifient l'exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser l'injonction.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Transports Prohibition Application de l'art. 7 du Règlement sur l'ex- ploitation de concessions aux aéroports du gouvernement
quant à la livraison de marchandises à l'aéroport Un bref de prohibition ou un bref de certiorari peut être accordé pour permettre d'examiner la validité de la législation déléguée si le
motif allégué peut donner lieu à une décision La Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire si le vice n'est pas évident Autres redressements Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement, 1979, DORS/79- 373, art. 7.
Compétence Cour fédérale Division de première ins
tance Action en dommages-intérêts intentée contre La Reine, le procureur général, le ministre des Transports et le directeur de l'aéroport par suite de l'application du Règlement régissant les activités commerciales aux aéroports La Cour ne saurait connaître d'une demande de dommages-intérêts formulée contre les défendeurs en tant que particuliers Il n'y a pas lieu de radier leur nom parce qu'on pourrait fort bien établir la responsabilité de la Couronne découlant des actes de ses employés Les préposés du gouvernement qui commettent un abus de pouvoir peuvent faire l'objet d'une injonction.
Pratique Jonction de parties Le concessionnaire Jet Set Sam Services Inc. se fonde sur la Règle 1716 pour demander à se constituer partie défenderesse, prétendant avoir subi un manque à gagner causé par les activités des demande-
resses La Cour n'a pas compétence sur la requérante puisqu'une telle action ne pourrait être intentée contre elle pour obtenir le redressement demandé Aucun point de vue nouveau n'ayant été soumis, la requérante n'est pas constituée partie intervenante Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1716.
Les demanderesses sont des entreprises de Vancouver qui vendent des marchandises à des groupes de touristes à l'aéro- port international de Vancouver. Les magasins des demanderes- ses vendent des produits puis les livrent à ces groupes à l'aéroport afin d'éviter la taxe de vente provinciale. Bien qu'el- les vendent divers produits, leur article principal consiste dans du saumon fumé. Ce sont les guides touristiques qui organisent les ventes de saumon fumé et qui s'occupent également d'obte- nir des acheteurs la somme nécessaire. En juillet 1984, les demanderesses ont reçu des lettres du directeur général de l'aéroport les informant qu'elles violaient l'article 7 du Règle- ment sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gou- vernement (RECAG) interdisant de se livrer à une activité à un aéroport sans obtenir de Transports Canada un permis valide, et qu'elles devaient mettre fin à leurs activités immédiatement. À la suite de ces événements, les demanderesses ont intenté une action en vue d'obtenir un jugement déclarant qu'elles ne violent pas l'article 7 du Règlement et que l'article est nul parce qu'il n'est pas autorisé par la Loi sur les transports. Elles sollicitent en outre une injonction interdisant aux défendeurs de les poursuivre et de faire obstacle à la livraison de leurs produits. Elles demandent encore un bref de prohibition pour
empêcher l'application de l'article 7 à leur encontre pour ce qui est de la livraison de leurs marchandises. Les demanderesses ont demandé seulement qu'il soit interdit aux défendeurs d'em- pêcher la «livraison» de leurs produits, soutenant que la «livrai- son» n'est pas visée par l'article 7. Elles réclament également des dommages-intérêts. Les demanderesses ont alors introduit la présente requête en redressement provisoire pour ce qui est des jugements déclaratoires, de l'injonction et du bref de prohibition.
Jugement: La demande est rejetée avec dépens.
Au début, Jet Set Sam Services Inc. a, en vertu de la Règle 1716 des Règles de la Cour fédérale, demandé à se constituer partie défenderesse. Jet Set Sam Services Inc., un concession- naire autorisé vendant du saumon fumé à l'aéroport, soutient que les activités des demanderesses lui causent un préjudice important et un manque à gagner. Elle désire appuyer la validité du Règlement et son application aux demanderesses. Compte tenu de la jurisprudence pertinente, la demande ne saurait être accueillie. Une action de ce genre ne saurait être intentée contre Jet Set Sam Services Inc. pour obtenir l'un quelconque des redressements sollicités par les demanderesses. La requérante ne peut être partie défenderesse et relever de la compétence de la Cour.
À titre de question préliminaire, il a également été décidé que les demanderesses ne pouvaient obtenir les jugements déclaratoires demandés. Pour pouvoir agir par voie de requête, il faut obtenir le consentement des défendeurs. De plus, il n'existe aucune autorité pour accorder des décisions provisoires.
Certes, une injonction ne peut être décernée directement contre la Couronne; mais les préposés du gouvernement qui commettent ou menacent de commettre un abus de pouvoir peuvent faire l'objet d'une injonction. Il est allégué que les défendeurs agissent illégalement, en appliquant l'article 7 du RECAG aux demanderesses parce que cet article n'interdit pas la livraison. Pour déterminer l'à-propos de l'octroi d'une injonc- tion, il faut examiner si les dommages-intérêts constitueraient un redressement suffisant si, faute de délivrance d'une injonc- tion à ce stade, les droits des demanderesses étaient plus tard établis au procès. Convenir qu'un engagement peut couvrir les pertes éventuelles découlant de la délivrance d'une injonction ne suffit pas. Il est peu probable que les dommages-intérêts puis- sent indemniser les voyageurs des inconvénients qui leur sont causés ou les concessionnaires autorisés de leur manque à gagner.
Compte tenu de la règle du plus grand préjudice, l'injonction ne devrait pas être accordée. L'obligation des défendeurs de fournir une aérogare sûre et non encombrée aux voyageurs l'emporte sur le droit des demanderesses de faire usage d'un bien public pour leur propre bénéfice. De plus, la vraie nature des activités des demanderesses n'a pas été établie. Tant que cette question ne sera pas tranchée, la question de l'application de l'article 7 aux demanderesses restera purement hypothéti- que. La Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser l'injonction.
Quant à la requête en bref de prohibition empêchant l'appli- cation de l'article 7 aux demanderesses, la Cour doit faire usage de son pouvoir discrétionnaire lorsque le vice invoqué n'est pas évident. Bien qu'un bref de prohibition puisse être accordé, la déposition sous forme d'affidavit ne suffit pas à justifier l'octroi à ce stade de l'ordonnance.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Le groupe des éleveurs de volailles de l'est de l'Ontario c. Office canadien de commercialisation des poulets, [1985] 1 C.F. 280.
DÉCISIONS CITÉES:
La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (1" inst.); Waterside Cargo Co-operative c. Le Conseil des ports nationaux (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. 1" inst.); Alda Enterprises Ltd. c. R., [1978] 2 C.F. 106 (1" inst.); Commission des services téléphoniques du gouver- nement de l'Alberta c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1983] 2 C.F. 839; 76 C.P.R. (2d) 268 (C.A.); Sankey c. Le ministre des Transports, [1979] 1 C.F. 134 (1P 0 inst.); Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R. (3d) 44 (C.A.); Conseil des Ports Nationaux c. Langelier et al., [1969] R.C.S. 60; (1968), 2 D.L.R. (3d) 81; Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775; 94 D.L.R. (3d) 326 (C.A.); Lignes aériennes Canadien Pacifique, Ltée c. R., [1979] 1 C.F. 39; (1978), 87 D.L.R. (3d) 511 (C.A.).
AVOCATS:
C. J. O'Connor pour les demanderesses.
G. C. Carruthers pour les défendeurs.
P. G. Plant pour Jet Set Sam Services Inc.
PROCUREURS:
Ladner Downs, Vancouver, pour les demande- resses.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour Jet Set Sam Services Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Les demanderesses sont toutes des entreprises de Vancouver dont l'activité principale consiste à vendre des produits à des groupes de touristes. La plupart de ces groupes sont composés de touristes japonais. Plusieurs d'entre eux ne sont que des passagers en transit à Vancouver pour gagner ensuite d'autres régions du Canada ou le Japon. À l'exception de O.K. Gift Shop Ltd., toutes les demanderesses vendent prin- cipalement du saumon fumé aux membres de ces groupes. O.K. Gift Shop, qui a des magasins à Vancouver, vend des produits canadiens, tels que
fourrures, lainages, souvenirs, etc. En général, ce sont les guides touristiques qui organisent avec les demanderesses les ventes de saumon fumé et qui s'occupent également d'obtenir des membres de leurs groupes la somme nécessaire pour payer les demanderesses. En ce qui concerne O.K. Gift Shop Ltd., les touristes choisissent d'habitude des arti cles dans ses magasins, mais ils s'arrangent pour que ces articles soient livrés à l'aéroport afin d'être exemptés de la taxe de vente provinciale. En ce qui a trait à toutes les demanderesses, elles livrent les marchandises achetées à l'avance à l'aéroport celles-ci sont remises aux groupes de touristes et enregistrées comme bagages auprès de la compa- gnie qui les transporte au Japon.
Le 11 juillet 1984, M. Chern S. Heed, le direc- teur général de l'aéroport, envoyait la lettre sui- vante à chacune des demanderesses et aux autres personnes se livrant à des activités semblables à l'aéroport:
[TRADUCTION] Nous avons remarqué qu'un certain nombre d'exploitants se livrent à une activité dans l'édifice Aérogare de l'aéroport international de Vancouver sans obtenir de Trans ports Canada un permis valide. Cette activité entre en conflit avec celle de nos exploitants titulaires de permis et viole le Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement et particulièrement son article 7 qui prévoit:
«7. Sous réserve de l'article 8, à moins d'une autorisation écrite du Ministre, nul ne peut
a) se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale ou autre, à un aéroport;
b) faire, à un aéroport, de la publicité ou de la sollicitation pour son propre compte ou pour celui d'autrui; ou
c) fixer, installer ou placer quoi que ce soit dans un aéroport aux fins d'une activité ou entreprise..
Les exploitants exerçant ces activités interdites à l'aéroport international de Vancouver sont priés d'y mettre fin et d'y renoncer, sinon des mesures seront prises pour prévenir la violation continue du Règlement.
Les demanderesses ont intenté la présente action en vue d'obtenir un jugement déclarant qu'elles ne violent pas l'article 7 parce qu'en [TRADUCTION] «livrant des produits à l'aéroport, elles ne se livrent pas à une "activité commerciale à l'aéroport"». Elles sollicitent un jugement déclarant nul l'article 7 [Règlement 'sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement, 1979, DORS/79- 373] parce qu'il n'est pas autorisé par la Loi sur le ministère des Transports [S.R.C. 1970, chap. T-15]. Elles sollicitent en outre une injonction provisoire et permanente interdisant aux défen- deurs de faire obstacle à leur [TRADUCTION]
«livraison à l'aéroport de produits achetés à l'avance» et de les poursuivre, en vertu de l'article 7, [TRADUCTION] «pour la livraison à l'aéroport de produits achetés à l'avance». Elles demandent encore un bref de prohibition pour empêcher les défendeurs d'appliquer l'article 7 à leur encontre pour ce qui est de «la livraison à l'aéroport de produits achetés à l'avance». Elles réclament égale- ment des dommages-intérêts dans la présente action.
Les demanderesses ont alors introduit la pré- sente requête en vue d'obtenir des jugements déclaratoires, une injonction et un bref de prohibi tion, semblables aux recours décrits ci-dessus, sauf qu'elles ne demandent à ce stade qu'une injonction provisoire, au lieu d'une injonction permanente.
Au début, j'ai entendu la demande formulée par Jet Set Sam Services Inc. en vue de se constituer partie défenderesse en vertu de la Règle 1716 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663]. Jet Set Sam Services Inc. est un concessionnaire de l'aéroport en vertu d'un accord conclu avec Sa Majesté. C'est le seul concessionnaire de l'aéroport qui vende du saumon fumé. En raison de ce privi- lège et de l'espace qu'elle occupe, elle paye des redevances très élevées. Elle prétend avoir subi un manque à gagner causé par les activités des demanderesses à l'aéroport, activités qui consistent à livrer du saumon fumé acheté à l'avance à des groupes de touristes. Elle désire donc appuyer la validité du Règlement et son application aux demanderesses de manière à restreindre leurs acti- vités à l'aéroport. J'ai rejeté cette demande en me fondant sur les décisions La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 C.F. 146 (i re inst.), Waterside Cargo Co-operative c. Le Conseil des ports natio- naux (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. 1" inst.) et Alda Enterprises Ltd. c. R., [1978] 2 C.F. 106 (i re inst.). Étant donné le critère énoncé dans ces affaires, j'estime que Jet Set Sam Services Inc. ne peut, dans la présente action, être partie défende- resse et relever de la compétence de la Cour. Si on utilisait ce critère, je vois difficilement comment, en écartant les autres défendeurs, une telle action pourrait être intentée devant cette Cour contre Jet Set Sam Services Inc. pour obtenir l'un quelcon- que des redressements demandés en l'espèce. J'ai également fait remarquer que même si on pouvait soutenir que Jet Set Sam Services Inc. peut en
théorie être constituée partie intervenante (voir Commission des services téléphoniques du gou- vernement de l'Alberta c. Conseil de la radiodif- fusion et des télécommunications canadiennes, [1983] 2 C.F. 839; 76 C.P.R. (2d) 268 (C.A.)), j'aurais des doutes à ce sujet du point de vue du droit et pour ce qui est du pouvoir d'appréciation que je dois, en tout état de cause, exercer, je ne suis pas prêt à accepter qu'elle soit partie interve- nante, car je ne vois pas comment elle pourrait apporter en l'espèce un point de vue différent de celui des présents défendeurs.
À titre de question préliminaire, j'ai également décidé que les demanderesses ne peuvent obtenir dans la présente requête les jugements déclaratoi- res qu'elles ont demandés, pour le motif que les jugements déclaratoires ne sauraient être deman dés par voie de requête, du moins lorsque le défen- deur s'y oppose: voir la décision que j'ai rendue dans l'affaire Le groupe des éleveurs de volailles de l'est de l'Ontario c. Office canadien de com mercialisation des poulets, [1985] 1 C.F. 280 et la jurisprudence citée aux pages 288 et 289 de cette décision. De plus, il semble que la requête vise à obtenir des décisions provisoires, une telle requête ne reposant sur aucune autorité: voir par exemple Sankey c. Le ministre des Transports, [ 1979] 1 C.F. 134 inst.). Par conséquent, les seuls points litigieux sont les requêtes des demanderesses en vue d'obtenir des injonctions provisoires interdi- sant aux défendeurs de faire obstacle à leur «livrai- son à l'aéroport de produits achetés à l'avance» ou de les poursuivre à ce sujet, et la requête en prohibition visant à empêcher les défendeurs d'ap- pliquer l'article 7 du Règlement [TRADUCTION] «pour ce qui est de la livraison à l'aéroport de produits achetés à l'avance».
Il faut souligner que les demanderesses ont pris soin de demander seulement qu'il soit interdit aux défendeurs d'empêcher la «livraison» des produits à l'aéroport. Elles prétendent effectivement qu'elles n'ont rien fait de plus, mais si cela allait au-delà de la livraison, elles seraient disposées à se limiter à cette activité. Elles soutiennent en outre que la simple livraison n'est pas visée par l'article 7 du Règlement qui prévoit que, à moins d'une autorisa- tion écrite du Ministre, nul ne peut «se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale ou autre, à un aéroport». Bien que l'avocat n'ait pu citer
aucune jurisprudence concernant le sens de l'ex- pression «se livrer à une activité», il soutient qu'on peut la comparer à [TRADUCTION] «exploitation d'une entreprise», expression qui a fait l'objet de maintes interprétations. On m'a cité des décisions pour prouver que la simple livraison par un détail- lant de marchandises achetées à l'avance à son client ne constitue pas en soi l'«exploitation d'une entreprise».
L'avocat des défendeurs prétend que Chern S. Heed, le directeur de l'aéroport, n'est pas vraiment un défendeur, parce que, à titre de particulier, il ne peut être poursuivi en dommages-intérêts devant la Cour fédérale lorsque sa responsabilité n'est pas prévue par une loi fédérale. Toujours selon l'avo- cat, puisque l'article 7 prévoit que nul ne peut, sans autorisation, «se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale ou autre, à un aéroport» [c'est le juge qui souligne], les activités des deman- deresses sont interdites parce qu'il s'agit d'entre- prises, commerciales ou autres, exploitées sur les lieux de l'aéroport. De plus, il a produit des élé- ments de preuve pour montrer que, dans certains cas du moins, une ou plusieurs des demanderesses avaient recouvré de l'argent de leurs clients à l'aéroport et que cela constituait plus qu'une simple livraison.
Compétence de la Cour
L'avocat des défendeurs fait valoir que cette Cour ne saurait connaître d'une demande de dom- mages-intérêts formulée contre les défendeurs en tant que particuliers. La jurisprudence semble avoir consacré ce principe. Voir Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R. (3d) 44 (C.A.). Comme dans l'affaire Pacific Western, il n'existe en l'espèce aucune «loi du Canada» régissant ou établissant la responsabi- lité, au titre de dommages-intérêts, des défendeurs en tant que particuliers. Cela ne signifie toutefois pas qu'il faudrait nécessairement radier leur nom de l'action, ni que la demande de dommages-inté- rêts devrait être abandonnée à ce stade. Au moment de l'instruction de l'action, on pourrait fort bien établir, en vertu de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, la responsabilité de la Couronne au titre de dom- mages-intérêts, découlant des actes de ses employés. Par conséquent, je n'ai pas à examiner davantage cette question dans le présent contexte.
L'avocat des défendeurs soutient également qu'on ne saurait décerner une injonction contre l'un quelconque des défendeurs parce que ni la Couronne ni ses préposés ne peuvent faire l'objet d'une injonction. Bien qu'il soit clair que les injonctions ne peuvent être décernées directement contre la Couronne, il existe une jurisprudence abondante selon laquelle les préposés du gouverne- ment qui commettent ou menacent de commettre un abus de pouvoir peuvent faire l'objet d'une injonction: voir, par exemple, Conseil des Ports Nationaux v. Langelier et al., [1969] R.C.S. 60; (1968), 2 D.L.R. (3d) 81; Sharpe, Injunctions and Specific Performance, (1983) aux pages 167 à 171. J'ai utilisé l'expression «préposés du gouverne- ment» pour éviter la distinction peu instructive qu'on fait fréquemment entre «préposés de la Cou- ronne» et «préposés de la législature» pour indiquer que les premiers ne peuvent faire l'objet d'injonc- tions ni d'aucune forme d'ordonnance d'exécution, alors que les seconds le peuvent. À mon avis, la vraie distinction repose sur la nature des fonctions qu'un préposé du gouvernement assume à un moment donné. Si ces fonctions sont autorisées par la loi, aucune injonction ne saurait alors être accordée pour interdire leur exercice: voir la déci- sion Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de l'Im- migration, [1979] 1 C.F. 775; 94 D.L.R. (3d) 326 (C.A.). Si, d'autre part, elles ne sont pas prévues par la loi, elles pourront donner lieu à une injonc- tion. De plus, s'il s'agit d'une fonction prévue par la loi et non discrétionnaire, faisant en sorte qu'une obligation est due à une personne identifia ble, cette personne est en droit de demander une ordonnance d'exécution de cette obligation. Dans la présente requête en injonction interlocutoire, il est allégué essentiellement que les défendeurs agis- sent illégalement, parce que l'article 7 du Règle- ment sur l'exploitation de concessions aux aéro- ports du gouvernement (RECAG) n'interdit pas la simple livraison à un aéroport de marchandises achetées à l'avance. Si on pouvait établir ce fait et si d'autres conditions s'appliquaient, une injonction interlocutoire pourrait être accordée aux demande- resses contre certains des défendeurs qui sont des particuliers ou contre tous ceux-ci, mais non contre Sa Majesté.
J'examinerai ensuite les redressements particu- liers sollicités.
Injonctions
Il s'agit, semble-t-il, d'un cas on peut utiliser les critères exposés dans l'affaire American Cya- namid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.). En l'espèce, aucune circonstance spéciale n'interdit d'appliquer cette solution. Utilisant le critère adopté dans l'affaire American Cyanamid, je n'ai pas, au début, à examiner en détail le bien-fondé des arguments des demanderesses. Il suffit de dire que le point qu'elles ont soulevé quant à l'interprétation exacte de l'article 7 du RECAG est une question de fond et n'est ni futile ni vexatoire. Je ne veux pas dire par que je trouve cet argument contraignant, mais je n'ai pas, pour les fins de l'espèce, à l'examiner davantage.
Quant aux dommages-intérêts, je suis enclin à croire que les demanderesses pourront obtenir des dommages-intérêts suffisants si, faute de se voir accorder une injonction interlocutoire, elles sont en mesure d'établir, au procès, le droit qu'elles pré- tendent avoir de faire la livraison à l'aéroport. Bien entendu, leur demande de dommages-intérêts peut être rejetée s'il est prouvé qu'elles n'y ont pas droit, ou que leurs opérations à l'aéroport sont interdites parce qu'elles vont au-delà de la «livrai- son de produits achetés à l'avance», comme les demanderesses le prétendent. Celles-ci sont dispo sées à s'engager à payer des dommages-intérêts pouvant résulter d'une injonction interlocutoire si, plus tard, on prouvait que c'est à tort que l'injonc- tion leur a été accordée, mais je ne suis pas persuadé que cela suffise à réparer le préjudice que pourrait entraîner une telle injonction. Si j'accor- dais une injonction, ce serait avant tout les droits des voyageurs et des personnes qui les accompa- gnent légalement à l'aérogare qui seraient touchés. Il ressort des affidavits des défendeurs que les activités des demanderesses ont gêné considérable- ment la circulation des voyageurs et des véhicules à l'aérogare. La sécurité et le confort des visiteurs et des usagers en règle de l'aéroport, bien que les défendeurs en soient responsables, ne constituent pas des droits dont la perte, se prolongeant jus- qu'au jugement final, pourrait être ou serait indemnisée au moyen de dommages-intérêts sus- ceptibles d'être obtenus en vertu de l'engagement des demanderesses. Je ferai remarquer que les différents concessionnaires avec qui la Couronne a signé des ententes relatives à l'utilisation des locaux de l'aéroport pourraient bien, eux aussi, subir des pertes financières importantes. Les
demanderesses ont effectivement convenu que leur engagement peut couvrir les pertes que la Cou- ronne pourrait subir par suite des réclamations dirigées contre elle par les concessionnaires qui versent d'importantes redevances en contrepartie de l'utilisation d'un espace et du droit exclusif de vendre certains produits à l'aérogare. En mettant les choses au mieux, on ne sait pas de façon certaine dans quelle mesure la Couronne pourrait les indemniser de ces pertes et, par conséquent, la valeur de l'engagement concernant les pertes pécu- niaires très importantes qui pourraient être causées aux concessionnaires par l'injonction interlocutoire est douteuse. Je conclus donc que si les demande- resses ont vraiment une bonne cause d'action, elles peuvent être suffisamment indemnisées au moyen de dommages-intérêts, alors que l'engagement qu'elles sont disposées à prendre ne réparerait pas adéquatement le préjudice que pourrait entraîner une injonction interlocutoire.
Ce qui précède peut suffire à trancher la ques tion, mais, à examiner la question d'un point de vue plus général, il me semble que, compte tenu de la règle du plus grand préjudice, l'injonction ne devrait pas être accordée. En vertu de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, les défen- deurs sont responsables, envers le public, de la direction générale de l'aéroport de Vancouver. La Cour d'appel fédérale a jugé que cette responsabi- lité crée une obligation publique mais ne donne pas lieu à un droit privé d'action: voir Lignes aériennes Canadien Pacifique, Ltée c. R., [1979] 1 C.F. 39; (1978), 87 D.L.R. (3d) 511 (C.A.). Compte tenu des documents qui m'ont été soumis jusqu'à ce jour, j'estime que cette obligation publique com- prend l'exploitation des aérogares pour assurer la sécurité et le confort des voyageurs et pour mini- miser les coûts subis par le contribuable. On peut y arriver en prévoyant des accords avec des conces- sionnaires. A l'opposé de ces droits, les demande- resses font valoir en l'espèce leurs droits tout à fait particuliers de faire usage d'un bien public à titre gratuit pour leur propre bénéfice. De leur propre aveu, elles ne sont nullement autorisées par le Ministre, en vertu de l'article 7 du Règlement, à se livrer aux activités qu'elles ont choisi d'exercer à l'aérogare de l'aéroport de Vancouver. Compte tenu du but général d'une aérogare d'assurer l'arri- vée et le départ des voyageurs, elles ne m'ont pas convaincu qu'elles ont le droit de se livrer à ces activités; il n'est pas non plus, à mon avis, évident
qu'elles sont implicitement autorisées à le faire. I1 est prouvé que leurs activités, jusqu'au moment elles y ont mis fin l'été dernier après avoir reçu les avertissements, pouvaient causer des embouteilla- ges et des inconvénients aux autres usagers de l'aérogare. Dans les circonstances, j'estime que, compte tenu de la règle du plus grand préjudice, il y a lieu de permettre aux défendeurs de continuer d'appliquer leur système de réglementation au nom de la majorité des voyageurs qui n'a pas besoin des services des demanderesses, et d'exiger de ces cinq demanderesses qu'elles établissent, si elles le peuvent, une fois l'ensemble de la preuve entendu, le droit qu'elles prétendent avoir d'effec- tuer des livraisons à l'aérogare de Vancouver.
D'autres motifs justifient l'exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser l'injonction. A mon avis, il n'est pas du tout certain que le redressement sollicité en l'espèce, à savoir une injonction interdi- sant de faire obstacle à la «livraison», va résoudre vraiment la question de savoir si les activités réel- les des demanderesses sont interdites par l'article 7 du RECAG. Il se peut, comme le montrent certains des éléments de preuve produits par les défendeurs, que les demanderesses se livrent à des activités qui dépassent la simple «livraison». En pareil cas, la présente requête et, de fait, l'action elle-même, porte sur une question hypothétique qui peut ne pas vraiment résoudre le problème de savoir si les demanderesses peuvent continuer leurs activités à l'aéroport de Vancouver. Poursuivre une ou plu- sieurs des demanderesses en raison de leurs activi- tés pourrait régler plus efficacement cette ques tion, et c'est une raison de plus pour ne pas trancher une question hypothétique sur la base de quelques affidavits qui n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire. Qui plus est, rien dans la preuve ne permet de conclure que les demanderes- ses ont demandé l'autorisation des défendeurs, comme le prévoit l'article 7, relativement aux acti- vités auxquelles elles se livrent à l'aéroport. Si elles l'avaient fait, elles auraient pu au moins arriver à un accord satisfaisant. Puisqu'elles n'ont pas exa- miné cette possibilité, il n'y a pas lieu d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour faire droit à leur demande.
Prohibition
Ainsi qu'il a été dit plus haut, les demanderesses sollicitent un bref de prohibition pour empêcher les
défendeurs d'appliquer l'article 7 du RECAG à leur encontre «pour ce qui est de la livraison à l'aéro- port de produits achetés à l'avance». L'acte qu'il s'agit d'interdire semble revêtir un caractère admi- nistratif, ce qui implique vraisemblablement une enquête sur les violations possibles de l'article 7 et, si nécessaire, une mise en accusation sous le régime de cet article.
Les défendeurs ont soulevé la question de savoir si ces fonctions peuvent faire l'objet d'un bref de prohibition. Je suis enclin à répondre par l'affirma- tive, pour les mêmes motifs que ceux que j'ai invoqués dans l'affaire Le groupe des éleveurs de volailles de l'est de l'Ontario c. Office canadien de commercialisation des poulets (susmentionnée, aux pages 314-315), savoir qu'un bref de certiorari devrait être accordé pour permettre d'examiner la validité de la législation déléguée. La possibilité d'obtenir, en pareils cas, un bref de certiorari ou un bref de prohibition dépend de l'existence d'un motif allégué pouvant donner lieu à une décision. Un tel motif est invoqué en l'espèce, parce qu'il est allégué que l'application de l'article 7 aux deman- deresses ne relève pas du pouvoir des défendeurs, puisque l'acte de «livraison» à l'aéroport de mar- chandises achetées à l'avance n'est pas visé par l'article 7.
Toutefois, la jurisprudence indique clairement que lorsqu'un vice n'est pas manifeste, la Cour peut, à sa discrétion, accorder ou non un bref de prohibition. L'un des motifs justifiant l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est l'existence d'autres redressements. Voir l'ouvrage de de Smith, intitulé Judicial Review of Administrative Action (4' édi- tion, 1980), aux pages 416 à 428. Pour les motifs exposés ci-dessus, je doute sérieusement qu'il s'agisse de la meilleure façon de résoudre la question de la légalité des activités réelles des demanderesses, sur la base des quelques affidavits qui n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire et en partant du principe que le seul point en litige est la «livraison» qui, en fait, peut ne pas être exactement ce que les demanderesses font vrai- ment ou doivent faire pour exploiter leur entreprise de vente de produits canadiens à des groupes de touristes. Par conséquent, je rejetterai également cet aspect de la requête.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.