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A-246-82
St. Lawrence Construction Limited (demande- resse)
c.
Federal Commerce and Navigation Company Limited et Tande Shipping Limited (défenderesse)
et
Federal Commerce and Navigation Company (demanderesse reconventionnelle)
c.
St. Lawrence Construction Limited (défenderesse reconventionnelle)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone— Montréal, 5, 6, 7 et 8 novembre 1984; Ottawa, 4 janvier 1985.
Droit maritime Transport de marchandises par eau Chaland échoué Dommages par suite du retard à livrer les marchandises Y-a-t-il eu exercice de la diligence néces- saire pour rendre les bâtiments navigables? Limitation de responsabilité «par colis. en vertu des Règles de La Haye Inapplicabilité de la limitation de responsabilité en vertu de l'art. 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada Cumul ou non de l'action délictuelle et de l'action contrac- tuelle Cas d'avaries communes Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 647(2) Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970. chap. C-15, Annexe, art. lb), III la), 3, 8, IV 5 Code civil du Bas-Canada, art. 1053.
Les faits, ainsi que certains des points litigieux que traite le jugement sont exposés ci-dessous dans la note de l'arrêtiste.
Arrêt: l'appel est accueilli en partie et l'appel incident rejeté.
L'appelante, Federal Commerce and Navigation Company Limited, n'a pas exercé la «diligence nécessaire» exigée par l'article III, règle la) des Règles de La Haye. Les caprices du vent dans les parages étaient bien connus et un examen adéquat aurait montré que le chaland, chargé comme il l'était, ne pourrait être manoeuvré par le remorqueur dans un vent comme celui qui s'est levé.
Le juge de première instance a refusé à tort d'octroyer à l'appelante le bénéfice de la limitation de responsabilité «par colis» prévu à l'article IV, règle 5 des Règles de La Haye. Il est vrai qu'aucun connaissement n'a été émis mais, ce qui importe, c'est qu'on en avait prévu l'émission, comme dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Anticosti Shipping Co. c. St-Amand. L'intention prépondérante était que l'appelante puisse limiter sa responsabilité selon l'article IV, règle 5, si cela s'avérait néces- saire. Cette intention ne devrait pas être niée parce qu'il y a absence de connaissement, alors que tout ce qu'il y avait à faire c'était d'en demander un. L'appelante peut donc limiter sa responsabilité à 500 $ par colis ou unité de cargaison. Et le
texte de l'article IV, règle 5 est suffisamment large pour viser un dommage découlant d'un retard dans la livraison de la cargaison.
C'est à bon droit que le juge de première instance a refusé de reconnaître une limitation de responsabilité en vertu du para- graphe 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada. L'échouement et le dommage qui s'ensuivit sont directement reliés à la décision par la direction de ne pas choisir pour l'inspection un expert en remorquage. En conséquence, elle a choisi un remorqueur inapte. Donc, l'échouement et le dom- mage qui s'ensuivit ne se sont pas produits sans «qu'il y ait faute ou complicité réelle» de l'appelante.
L'intimée, St. Lawrence Construction Limited, peut recou- vrer des dommages-intérêts pour faute ou négligence délictuelle indépendamment de l'existence du contrat de transport (voir Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [19811 1
R.C.S. 578, la page 590). Mais, d'autre part, l'intimée ne devrait pas pouvoir échapper aux stipulations conventionnelles limitant sa responsabilité simplement en faisant valoir une faute délictuelle. Comme il a été dit dans l'arrêt Elder, Demps- ter, la limitation de responsabilité doit s'appliquer [TRADUC- TION] «quelle que soit la forme que prend l'action».
On ne peut dire, parce que le chaland n'était pas en danger, qu'il ne s'agissait pas d'un cas véritable d'avaries communes. Certes, le chaland n'était pas en danger imminent d'être détruit, mais il n'était pas en sécurité au point de vue commer cial. Il était complètement immobilisé. Comme on l'a dit dans l'affaire The Glaucus: «il ne sert à rien de dire que ce bien[...] est en sécurité, s'il l'est dans des circonstances il n'est pas utilisable». D'autre part, la loi dit aussi clairement que le transporteur ne saurait recouvrer du chargeur une contribution aux avaries communes lorsque ces avaries communes ont été suscitées par sa propre faute, pouvant faire l'objet d'une action en justice.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Goodfellow (Charles) Lumber Sales Ltd. c. Verreault et autres, [1971] R.C.S. 522; [1971] 1 Lloyd's Rep. 185; Anticosti Shipping Co. c. SI-Amand, [1959] R.C.S. 372; The "Raphael", [1982] 2 Lloyd's Rep. 42 (C.A.); The Glaucus (1948), 81 LI. L. Rep. 262 (Adm.); Goulandris Brothers Ltd. v. B. Goldman & Sons Ltd., [1958] 1 Q.B. 74; Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eise- nerz, [ 1974] R.C.S. 1225; Monarch Steamship Co. Ld. v. Karlshamns Oljefabriker (A/B), [1949] A.C. 196 (H.L.); Smith, Hogg & Co., Ltd. v. Black Sea & Baltic General Insurance Company, Ltd. (1939), 64 LI. L. Rep. 87 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Harland & Wolff, Limited v. The Burns & Laird Lines, Limited, [1931] S.C. 722 (Scot. Sess.); Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Elder, Dempster & Co. v. Paterson, Zochonis & Co., [1924] A.C. 522 (H.L.); Nunes Diamonds (✓.) Ltd. c. Dominion Electric Protection Co., [ 1972] R.C.S. 769; Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578.
DÉCISIONS CITÉES:
Baxter's Leather Company v. Royal Mail Steam Packet Company, [1908] 2 K.B. 626 (C.A.); Gosse Millard v. Canadian Government Merchant Marine, [1927] 2 K.B. 432; Pyrene Company, Ltd. v. Scindia Steam Navigation Company, Ltd., [1954] 1 Lloyd's Rep. 321 (Q.B.D.); Renton & Co., Ltd. v. Palmyra Trading Corporation, [1956] 2 Lloyd's Rep. 379 (H.L.); Commercio Transita Internazionale vs. Lykes Bros. S.S. Co., [1957] 1 A.M.C. 1188 (2nd Cir.); Lennard's Carrying Company Limited v. Asiatic Petroleum Company Limited (1915), 13 Asp. M.L.C. 81 (H.L.); Robin Hood Mills Ltd. v. Paterson Steamships Ltd., [1937] 3 D.L.R. 1 (C.P.); Leval & Company Incorporated v. Colonial Steamship Limited, [1961] R.C.S. 221; British Columbia Telephone Com pany et autres c. Marpole Towing Ltd., [1971] R.C.S. 321; Czarnikow (C.) Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350 (H.L.); Dominion Chain Co. Ltd. v. Eastern Construc tion Co. Ltd. (1976), 12 O.R. (2d) 201 (C.A.); Power v. Halley (1978), 88 D.L.R. (3d) 381 (C.S.T.-N.); Surrey (District of) v. Carroll-Hatch & Associates Ltd. et al. (1979), 101 D.L.R. (3d) 218 (C.A.C.-B.); Midland Bank Trust Co. Ltd. v. Hett, Stubbs & Kemp, [ 1979] Ch. 384; Can. Western Natural Gas Co. Ltd. v. Pathfinders Sur veys Ltd. (1980), 12 Alta. L.R. (2d) 135 (C.A.); Kienzle v. Stringer (1981), 35 O.R. (2d) 85 (C.A.); Coggs v. Bernard (1703), 2 Ld. Raym. 909 (K.B.); Nugent v. Smith (1876), 1 C.P.D. 19, infirmé 423 (C.A.); Belfast Ropework Company v. Bushell, [1918] 1 K.B. 210; S.M.T. [Eastern] Ltd. v. Ruch, [1940] 1 D.L.R. 190 (C.S.N.-B.); Paterson Steamships, Ld. v. Canadian Co-operative Wheat Producers Ld., [1934] A.C. 538 (P.C.); Bretherton v. Wood (1821), 3 Brod. & Bing. 54 (Ex. Ch.); Liver Alkali Company v. Johnson (1874), L.R. 9 Exch. 338; Stag Line, Ld. v. Foscolo, Mango & Co., Ld., [1932] A.C. 328 (H.L.); Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.); Batty v. Metro politan Property Realisations Ltd., [1978] Q.B. 554 (C.A.); Maryon (John) International Ltd. et al. v. New Brunswick Telephone Co., Ltd. (1982), 141 D.L.R. (3d) 193 (C.A.N.-B.); Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.); Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.); Junior Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983] I A.C. 520 (H.L.); Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; 54 N.R. 1; Simpson v. Thomson (1877), 3 App. Cas. 279 (H.L.); Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince Steamship Co. Ltd., [1969] 1 Q.B. 219; Schif- fahrt-Und Kohlen G.m.b.H. v. Chelsea Maritime Ltd. (The nIrene's Success.), [1981] 2 Lloyd's Rep. 635 (Q.B.); Union of India v. N. V. Reederij Amsterdam, [1963] 2 Lloyd's Rep. 223 (H.L.).
AVOCATS:
Blake Knox pour St. Lawrence Construction Ltd.
Jean Brisset et David Colford pour Federal Commerce and Navigation Co. Ltd.
PROCUREURS:
Simmard & Desjardins, Montréal, pour St. Lawrence Construction Ltd.
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal, pour Federal Commerce and Navigation Co. Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Cet arrêt est important à cause de l'étude qu'il fait de la diligence raisonnable, de la limitation de responsabilité, «par colis», prévue par les Règles de La Haye, de la limitation de responsabilité en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et des avaries communes. Une question encore plus importante y est traitée, celle du cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle dans une affaire de ce genre, question qu'aucune espèce canadienne antérieure n'avait examinée. Le texte intégral de l'arrêt de la Cour, portant sur ces points, est reproduit ici.
Étant donné que l'arrêt comporte quelque 42 pages dans sa version anglaise, l'arrêtiste a décidé d'en préparer un résumé couvrant les points suivants: les faits en cause, les conditions du contrat, les moyens d'appel et d'appel inci dent, les Règles de La Haye, les questions d'in- navigabilité, de frais de carburant pour l'hélipor- tage de la cargaison, de la compensation opposée au paiement du fret, du taux d'intérêt et des dépens.
L'espèce consiste en un appel et en un appel incident d'un jugement faisant droit à l'action en dommages-intérêts de l'intimée et rejetant les demandes reconventionnelles de l'appelante en limitation de sa responsabilité et en contribution aux avaries communes. L'intimée est une compa- gnie de construction de routes et l'appelante est armateur. Les parties ont conclu un contrat de transport, par chaland remorqué, de matériel de construction et d'équipement à destination d'une localité éloignée, près de la Baie James. Le cha- land s'est échoué sur un haut-fond. Une partie de la cargaison a été enlevée à l'aide d'un remor- queur et d'hélicoptères, mais la livraison d'une
partie des marchandises a été retardée d'environ quatre mois. L'intimée a réclamé des dommages- intérêts s'élevant à 2 650 000 $ en raison de ce retard. L'appelante a demandé qu'il y ait contribu tion aux avaries communes, y compris au coût de construction de ponts de glace pour relier le chaland au chantier de construction. L'intimée a invoqué la limitation de sa responsabilité en vertu des Règles de La Haye et de /a Loi sur la marine marchande du Canada.
Le contrat, sous forme de lettre, comportait une clause Paramount assujettissant les conditions du connaissement aux dispositions de la Loi du transport des marchandises par eau, 1936 du Canada. Il stipulait aussi que le transporteur ne serait tenu responsable d'aucun dommage pour retard de livraison. Certaines dispositions de la convention traitaient de la contribution aux ava- ries communes et on y trouvait une nouvelle clause Jason.
Le juge Walsh a constaté que l'échouement était à l'innavigabilité et que l'appelante n'avait pas exercé une diligence raisonnable pour mettre le remorqueur et le chaland en état de navigabi- lité. Cette faute étant attribuable à la haute direc tion de l'appelante, celle-ci ne pouvait se préva- loir de la limitation de responsabilité «par colis» des Règles de La Haye, ni limiter sa responsabi- lité en vertu de /a Loi sur la marine marchande du Canada.
Voici certains des huit moyens invoqués en appel: (1) l'échouement a été causé par des fautes nautiques pour lesquelles l'appelante n'était pas responsable; (2) il y a eu diligence raisonnable pour mettre le chaland et le remor- queur en état de navigabilité; (3) la limitation de responsabilité prévue par les Règles de La Haye et par la Loi s'appliquait; (4) aucune action délic- tuelle n'était recevable.
L'un des arguments de l'intimée pour former appel incident était que le juge de première ins tance avait, à tort, jugé qu'il s'agissait d'un cas véritable d'avaries communes.
Sur l'innavigabilité, le juge de première instance a dit que les fautes nautiques n'avaient pas été la cause réelle de l'échouement. C'était plutôt la puissance du remorqueur qui, étant insuffisante, n'avait pas permis de redresser la situation lors-
que le vent avait fraîchi. L'appelante aurait dei le prévoir lorsqu'elle a arrêté son choix sur ce remorqueur qui n'était pas approprié à la fin auquel on le destinait. La constatation du juge Walsh était conforme aux preuves administrées. On peut citer l'opinion de lord Wright dans l'arrêt Monarch Steamship Co. Ld. v. Karlshamns Olje- fabriker (A/B), [1949] A.C. 196 (H.L.), à la page 226, lorsqu'il fait remarquer que [TRADUCTION] «l'essence de l'innavigabilité ... c'est que le navire innavigable n'est pas apte à faire face au danger». En l'espèce, les «fautes» nautiques n'ont été que l'effet secondaire de l'innavigabilité et non pas en elles-mêmes la cause de l'échoue- ment. Il y a une jurisprudence qui dit que, lorsqu'il n'y aurait eu aucun dommage n'eut été l'innaviga- bilité du navire, les armateurs sont responsables même s'il y a eu négligence de la part du capi- taine: Smith, Hogg & Co., Ltd. v. Black Sea & Baltic General Insurance Company, Ltd. (1939), 64 Ll. L. Rep. 87 (C.A.).
La diligence raisonnable
L'appelante soutient ensuite qu'elle a exercé une diligence raisonnable comme l'exige l'article III, règle la) des Règles de La Haye et qu'en consé- quence elle n'est pas responsable du dommage. C'est ce que dit clairement l'article IV, règle 1, lequel met aussi la preuve de l'exercice de cette «diligence raisonnable» à la charge de l'appelante. Il est manifeste que si l'appelante avait procédé à un examen adéquat, elle aurait constaté que le chaland, chargé comme il l'était, ne pouvait être manoeuvré par le Nelson River dans un vent comme celui qui s'est levé. L'appelante semble n'avoir pas accordé suffisamment d'attention à l'effet de résistance du vent, créé par les citernes de carburant, sur la capacité du remorqueur de manoeuvrer le chaland. De plus, si une enquête minutieuse avait été faite, elle aurait permis de constater que le vent pouvait changer brusquement de direction et de vitesse. Cet aspect de la question ne semble pas avoir été suffisamment examiné. Il était facile de s'informer, comme l'indique le témoignage du capitaine Gjerde.
Les Règles de La Haye constituent une entente intervenue entre les intérêts des transporteurs et ceux des chargeurs. Au Canada, cette entente a été entérinée par la loi de 1936. Avant l'adoption de ces Règles à la conférence diplomatique de 1924,
la doctrine de la liberté contractuelle autorisait le transporteur à s'exonérer de sa responsabilité en common law, virtuellement à volonté. En l'absence d'accord exprès, la responsabilité du transporteur concernant la sécurité des marchandises transpor- tées était absolue, sauf dans le cas de dommage causé par une force majeure ou par les ennemis de la Reine ou par le fait d'un vice inhérent aux marchandises. (Voir par ex. Baxter's Leather Company v. Royal Mail Steam Packet Company, [1908] 2 K.B. 626 (C.A.); Gosse Millard v. Cana- dian Government Merchant Marine, [ 1927] 2 K.B. 432.) L'état de la common law fut jugé insatisfai- sant dans le cas de marchandises transportées en vertu d'un connaissement constituant à la fois un contrat de transport et un titre de propriété. Les tiers, notamment, qui acquéraient une participa tion dans un connaissement n'avaient pas la possi- bilité de connaître à l'avance ses conditions sou- vent complexes et divergentes. Il s'est donc constitué une demande de standardisation des con ditions des connaissements particulièrement dans le cas du commerce international. Les Règles de La Haye en ont résulté. Elles imposent aux char- geurs et aux transporteurs certaines responsabilités et leur confèrent certains droits et immunités. L'obligation que la common law met à la charge du transporteur de rendre son navire navigable a été modifiée par l'article III, règle la) qui l'oblige plutôt à exercer une «diligence raisonnable» pour le mettre dans cet état avant et au début du voyage. L'exécution de cette obligation exonère le trans- porteur de toute responsabilité pour dommage à l'innavigabilité.
À mon sens, un transporteur n'exerce pas une diligence raisonnable lorsque, comme c'est le cas ici, il prévoit et exécute un transport par des navires qu'il sait ou devrait savoir incapables de faire face aux conditions météorologiques qu'on pouvait raisonnablement s'attendre à rencontrer au cours du voyage. L'appelante aurait-elle exercé cette diligence nécessaire qu'elle aurait découvert que le remorqueur choisi était incapable de manoeuvrer le chaland dont la cargaison avait été arrimée comme elle l'a été. Les caprices du vent dans les parages étaient bien connus. Leur igno rance de la part de l'appelante ne saurait être excusée. Elle aurait prendre l'initiative et obte- nir cette information avant de décider de confier le chaland au Nelson River. Le remorqueur aurait-il
été à même de remorquer le chaland, avec sa cargaison arrimée comme elle l'était, que la dérive sur la gauche aurait pu être contrôlée et (pour paraphraser lord Wright) remorqueur et chaland [TRADUCTION] «auraient traversé le péril sans subir de dommages».
La nature de l'obligation mise à la charge du transporteur aux termes de l'article III, règle la) fut examinée par la Cour suprême du Canada dans son arrêt Goodfellow (Charles) Lumber Sales Ltd. v. Verreault et autres, [1971] R.C.S. 522; [1971] 1 Lloyd's Rep. 185, oil le juge Ritchie a déclaré la page 540 R.C.S.; page 193 Lloyd's Rep.):
Quand cette Cour a entendu l'affaire Maxime Footwear (préci- tée), ([1957] R.C.S. 801), M. le Juge Cartwright (alors juge puîné) a prononcé un jugement dissident. Dans ses motifs, que le Conseil privé a confirmés, M. le Juge Cartwright a adopté la définition suivante de la diligence raisonnable requise par la règle 1 de l'art. III:
[TRADUCTION] La "diligence raisonnable" semble être l'équivalent d'une diligence normale, compte tenu des cir- constances connues ou raisonnablement prévisibles, de la nature du voyage et de la cargaison. Il suffit que cette diligence ait été exercée jusqu'au départ du port de charge- ment. Toutefois, l'état du navire à ce moment-là doit être considéré en fonction de la cargaison et de l'itinéraire du voyage projeté et il incombe au propriétaire du navire de montrer qu'il a exercé une diligence raisonnable pour mettre son bâtiment en bon état.
À mon sens, l'appelante n'a pas démontré, comme elle devait le faire, qu'elle s'est déchargée de l'obli- gation que lui imposait l'article III, règle 1 a) des Règles de La Haye, qui l'oblige à exercer une diligence raisonnable avant et au début du voyage pour mettre ses bâtiments en état de navigabilité.
La limitation de responsabilité «par colis»
L'appelante soutient que le juge de première instance a refusé à tort de lui octroyer le bénéfice de la limitation de responsabilité «par colis» prévue à l'article IV, règle 5 des Règles de La Haye. L'intimée répond en disant que l'appelante ne peut limiter sa responsabilité parce qu'aucun connaisse- ment n'a été émis ni même envisagé. Le contrat, soutient-elle, était un contrat spécial car le char- geur et le destinataire des marchandises étaient les mêmes. L'article IV, règle 5, fait-elle valoir, pré- suppose l'existence d'un connaissement, de même que la possibilité pour le chargeur de se garder d'une limitation de responsabilité en déclarant une valeur plus élevée pour les marchandises, p'ar une
insertion en ce sens dans le connaissement consta- tant le contrat de transport.
L'appelante soutient que le juge de première instance lui a refusé la limitation de responsabilité parce qu'il était d'avis que l'échouement et le dommage qui en résultait ont été causés, ou du moins y ont-ils contribué, par «la faute ou la complicité réelle» de l'appelante. C'est là, bien entendu, le critère familier auquel doivent se con- former ceux qui concluent à la limitation de leur responsabilité en vertu de l'article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada [S.R.C. 1970, chap. S-9]. En abordant ce sujet, le juge déclare la page 65 de ses motifs]:
Le deuxième problème juridique soulevé sur la question de responsabilité tient au concours de la société défenderesse aux erreurs commises et à sa demande d'exonération de responsabi- lité pour les actes des capitaines de navires ou de ses préposés dans la navigation ou la direction du navire. Cette limitation est fondée sur ... [les] Règles de La Haye adoptées au Canada dans la Loi du transport des marchandises par eau, /936 [S.C. 1936, chap. 49] ...
Après avoir cité des extraits de l'article IV, règle 5 et discuté assez longuement de la question de savoir si la responsabilité de l'appelante pourrait être limitée en vertu de l'article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, le juge de pre- mière instance a -onclu que cet article ne pouvait être invoqué parce que l'échouement ne s'était pas produit «sans qu'il y ait faute ou complicité réelle» de l'appelante. Il semble avoir sous-entendu que, pour le même motif, l'article IV, règle 5 ne pouvait être invoqué, mais je dois admettre ne pas com- prendre parfaitement ses raisons pour conclure en ce sens. Néanmoins, comme il a refusé de faire droit à la demande de limitation de responsabilité «par colis» prévue aux Règles de La Haye, il devient nécessaire de traiter de la question en appel.
Le droit de limiter sa responsabilité conformé- ment à l'article IV, règle 5 des Règles de La Haye, contrairement au droit de limiter sa responsabilité en vertu de l'article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, ne dépend pas du fait que la responsabilité soit établie «sans qu'il y ait faute ou complicité réelle» du transporteur. Au con- traire, l'article IV, règle 5, prévoit que ni le trans- porteur ni le navire «ne seront tenus en aucun cas» du dommage. Un transporteur peut limiter sa res- ponsabilité pour le dommage causé par l'innaviga-
bilité même s'il n'a pas exercé une diligence rai- sonnable, comme le requiert l'article III, règle 1 a). La «faute ou complicité réelle» du transporteur en tant que telles ne jouent alors aucun rôle.
L'intimée invoque la décision de la Cour de session écossaise Harland & Wolff, Limited v. The Burns & Laird Lines, Limited, [1931] S.C. 722. Dans cette espèce, la demanderesse avait conclu un contrat de transport par mer pour le transport de sa machinerie de Glasgow à Belfast. Le contrat avait été conclu par correspondance et stipulait que le transport serait [TRADUCTION] «aux risques des propriétaires et sous réserve des conditions de transport figurant dans nos feuilles de route». Les feuilles de route stipulaient qu'il n'y avait pas de connaissement, que la cargaison n'était acceptée que sous réserve de certaines conditions expresses, y compris que la défenderesse ne serait pas respon- sable de [TRADUCTION] d'innavigabilité ou l'inap- titude du navire à la mer...» La cargaison passa par dessus bord pour cause d'innavigabilité et la demanderessse alla en justice. Elle soutint que le contrat était assujetti au Carriage of Goods by Sea Act, 1924, 14 & 15 Geo. 5., chap. 22 (R.-U.), que l'irresponsabilité contractuelle ne pouvait prévaloir sur la loi et que la défenderesse n'avait pas exercé une diligence raisonnable comme elle le devait. Ces arguments furent rejetés, le président, lord Clyde faisant observer la page 728):
[TRADUCTION] Comme l'indique la correspondance mention- née ci-dessus, le contrat d'affrètement en l'espèce revêtait un caractère tout à fait spécial. Non seulement il n'était pas «constaté» par un connaissement, mais encore un connaissement (tel que ce document est connu et utilisé coutumièrement par les marchands) était-il étranger à son objet. Son objet n'était pas mercantile (car les marchandises n'avaient pas été vendues et n'étaient pas à vendre) mais il était limité au transport de la machinerie—que la demanderesse avait spécialement fabriqué dans ses ateliers de Glasgow, à Finnieston, pour un certain navire qu'elle construisait dans sa cale-sèche de Belfast—de Finnieston à cette cale. Je ne vois pas quel rôle contractuel un connaissement, susceptible de servir de titre de propriété, aurait pu jouer dans un tel contrat d'affrètement, ni comment le contrat de transport dans ce cas aurait pu être «constaté» par un connaissement.
Les parties avaient en fait convenu d'elles-mêmes qu'aucun connaissement ne serait émis, et en con- séquence, que le transport serait régi par les autres dispositions des feuilles de route. Les parties n'avaient jamais envisagé qu'un connaissement puisse régir le contrat.
L'appelante invoque l'arrêt de la Cour suprême du Canada Anticosti Shipping Co. c. St-Amand, [1959] R.C.S. 372, lequel a appliqué l'arrêt de la Haute cour de justice anglaise Pyrene Company, Ltd. v. Scindia Steam Navigation Company, Ltd., [1954] 1 Lloyd's Rep. 321 (Q.B.D.). Le deman- deur, qui voulait faire transporter son camion de l'Île d'Anticosti à Rimouski sur le continent avait convenu certains arrangements en ce sens avec la société maritime défenderesse. Un connaissement fut rempli par un préposé aux écritures du bureau de la société maritime, mais il fut égaré et ne fut pas émis. Quoiqu'elle ait reconnu sa responsabilité pour les dommages causés au camion au cours du voyage, la défenderesse a voulu limiter sa respon- sabilité à 500 $ sur le fondement de l'article IV, règle 5. Le demandeur a soutenu que l'article IV, règle 5, était inapplicable parce qu'aucun connais- sement n'avait été émis et qu'en conséquence ce «contrat de transport>, tel que le définissait l'arti- cle Ib) des Règles, n'était «constaté» par aucun connaissement. La Cour a rejeté cet argument, le juge Rand disant la page 375):
[TRADUCTION] C'était une opération ordinaire et si, en tant que mandataire de l'intimée, il n'a pas jugé nécessaire d'exiger un connaissement—comme l'article III, règle 3, lui en donnait le droit—cela ne peut influer sur l'intention des deux parties.
Je suis convaincu qu'en l'espèce aussi, en incor- porant les Règles de La Haye dans le contrat de transport, les parties ont voulu traiter leur opéra- tion comme une opération ordinaire et que les Règles de La Haye devraient s'appliquer. Il est vrai qu'aucun connaissement n'a été émis, mais la chose importe peu dans la mesure les parties en avaient prévu l'émission. Je crois que telle était leur intention. Comme je vois la chose, l'intention prépondérante, c'était que l'appelante puisse limi- ter sa responsabilité selon l'article IV, règle 5, si cela s'avérait nécessaire. Un connaissement type fut annexé au contrat et les reçus provisoires de l'appelante incorporaient [TRADUCTION] «les termes, conditions, exceptions et libertés énoncés dans le connaissement d'usage courant ...» Cette intention ne devrait pas être niée parce qu'il y a absence de connaissement alors que l'intimée, en tant que chargeur, pouvait en demander et en obtenir un en vertu de l'article III, règle 3, à tout moment après réception des marchandises par l'appelante. Je conclus donc que l'appelante peut en vertu du contrat de transport limiter sa respon- sabilité, pour tout dommage causé aux marchandi-
ses, à un montant ne dépassant pas 500 $ par colis ou unité de cargaison. Je suis aussi d'avis que le texte de l'article IV, règle 5, est suffisamment large pour viser un dommage découlant d'un retard dans la livraison de la cargaison (Renton & Co., Ltd. v. Palmyra Trading Corporation, [1956] 2 Lloyd's Rep. 379 (H.L.), lord Morton of Henryton, à la page 390; Commercio Transito Internazionale vs. Lykes Bros. S.S. Co., [ 1957] 1 A.M.C. 1188 (2nd Cir.)). Au cours de l'instruc- tion, l'avocat de l'appelante a fait savoir à la Cour qu'il ne s'appuyait pas sur les dispositions de la clause 12 de la formule type de connaissement, stipulant exonération de toute responsabilité pour retard, mais qu'il se contentait de limiter sa res- ponsabilité conformément à l'article IV, règle 5. Cela étant, il n'est plus nécessaire d'examiner si, comme le prétend l'intimée, cette clause était nulle et non avenue en vertu de l'article III, règle 8, des Règles de La Haye. Il sera nécessaire d'y revenir lorsque sera examiné l'argument de l'appelante voulant que les dommages assujettis à la limitation de responsabilité peuvent être recouvrés en raison de l'inexécution du contrat et non de la responsabi- lité délictuelle, comme l'a décidé le juge de pre- mière instance.
La limitation de responsabilité fondée sur la Loi sur la marine marchande du Canada
L'appelante soutient que, le cas échéant, elle est en droit de limiter sa responsabilité conformément au paragraphe 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada dont voici un extrait:
647... .
(2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événements suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de sa part, savoir:
d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont mention- nés à l'alinéa b), ou violation de tout droit
(i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la conduite du navire, le chargement, le transport ou le déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le transport ou le débarquement de ses passagers, ou
(ii) par quelque autre acte ou omission de la part d'une personne à bord du navire;
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants sui- vants, savoir:
À mon sens, c'est à bon droit que le juge de première instance a refusé de reconnaître cette limitation de responsabilité et son jugement à cet égard ne devrait pas être modifié. La décision de conclure le contrat de transport fut prise par M. Bell, un vice-président de l'appelante, après qu'il eut reçu le rapport et la recommandation de l'équipe d'inspection qu'il avait envoyée à la Baie James. Il n'est pas nécessaire de répéter ici ce qui a déjà été dit concernant les carences de cette inspection et les insuffisances du rapport qui en a découlé. M. Bell n'était pas un homme de mer. Et pourtant, il n'a pas choisi pour cette inspection importante un expert en remorquage. L'aurait-il fait, qu'il est probable que les investigations appro- priées, au sujet du temps qu'on pouvait raisonna- blement prévoir au moment de l'opération de touage, auraient été faites et il se peut qu'alors il ait été convaincu de ne pas employer le Nelson River seul pour faire remonter la rivière au cha- land. Il occupait un poste au sein de la haute direction de l'appelante, ses actes étant de ce fait [TRADUCTION] «les actes de la compagnie elle- même» (Lennard's Carrying Company Limited v. Asiatic Petroleum Company Limited (1915), 13 Asp. M.L.C. 81 (H.L.); Robin Hood Mills Ltd. v. Paterson Steamships Ltd., [1937] 3 D.L.R. 1 (C.P.); Leval & Company Incorporated v. Colo nial Steamship Limited, [1961] R.C.S. 221; Bri- tish Columbia Telephone Company et autres c. Marpole Towing Ltd., [1971] R.C.S. 321).
À mes yeux, la décision de M. Bell est directe- ment reliée à l'échouement qui s'est produit lors- que le chaland, dont la cargaison avait été arrimée comme on sait, n'a pu être manoeuvré par le remorqueur de la puissance que l'on sait, vu l'état du vent. Le droit de limiter sa responsabilité, conformément aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada, est un droit impor tant qu'il faut respecter à moins que la législation n'oblige au contraire. En l'espèce, l'échouement et le dommage qui s'ensuivit ont été causés par l'in- navigabilité plutôt que par une faute nautique attribuable au remorqueur ou au chaland. C'est la propre décision de la direction de choisir un remor- queur inapte qui en est la cause. Cela étant, à mon sens, l'échouement et le dommage qui s'ensuivit ne se sont pas produits sans «qu'il y ait faute ou complicité réelle» de l'appelante et c'est à bon droit que le juge de première instance a refusé la limita-
tion de responsabilité conformément à l'article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada.
La responsabilité délictuelle
L'appelante conteste le jugement de première instance en faisant valoir un autre moyen; elle soutient que le juge de première instance a accordé à tort ce qu'il a appelé des «dommages-intérêts délictuels pour ce qui est une conséquence directe et prévisible du retard». Le juge de première ins tance a conclu à cet égard que les dommages avaient été causés par la faute de l'appelante «par imprudence, négligence ou inhabileté» au sens de l'article 1053 du Code civil du Québec. Dans ses actes de procédure, l'appelante invoque la clause 12 de la formule du connaissement excluant toute responsabilité pour «retard». L'intimée fait valoir expressément que l'échouement était [TRADUC- TION] «uniquement à la négligence ou à la faute lourde de la défenderesse et à son inexécution du contrat». Le juge a conclu que la clause 12 ne pouvait profiter à l'appelante parce que, comme il le dit la page 90], «la présente action n'est pas seulement à titre contractuel, mais elle est aussi à titre délictuel». À ses yeux donc, la clause 12 n'avait aucun effet. Comme tout moyen fondé sur cette clause a été abandonné devant nous, il n'est pas nécessaire de se demander si cette clause cons- tituait une tentative d'exonération de responsabi- lité totale ou partielle contraire à l'article III, règle 8, des Règles de La Haye. Le juge de première instance n'a pas examiné cette possibilité.
L'appelante prétend que les dommages de l'inti- mée sont d'ordre contractuel, et uniquement d'or- dre contractuel, puisque la faute dont on se plaint s'est produite lors de l'exécution du contrat et non autrement. La question est d'importance pour les parties à un contrat de transport fondé sur les Règles de La Haye, conclu dans les circonstances précitées, puisqu'elle soulève la question de savoir si une partie à un tel contrat peut, à partir des mêmes faits, réclamer des dommages-intérêts tant pour la faute délictuelle que pour la faute contrac- tuelle. L'avocat de l'appelante soutient que, si nous devions confirmer le jugement de première ins tance à cet égard, le chargeur d'un transport flu- vial ou maritime de marchandises pourrait tou- jours, par le simple expédient d'une action en responsabilité délictuelle, contourner les protec tions conventionnelles favorisant le transporteur
par l'exclusion ou la limitation de sa responsabi- lité.
Traditionnellement, le recours en common law d'un demandeur victime d'un dommage par suite de l'inexécution d'une obligation conventionnelle était, sauf quelques exceptions, le recours en dom- mages-intérêts pour rupture de contrat (voir par exemple Czarnikow (C.) Ltd. v. Koufos, [ 1969] 1 A.C. 350 (H.L.)). Les exceptions à cette règle sont du domaine de la responsabilité professionnelle (voir par exemple Dominion Chain Co. Ltd. v. Eastern Construction Co. Ltd. (1976), 12 O.R. (2d) 201 (C.A.); Power v. Halley (1978), 88 D.L.R. (3d) 381 (C.S.T.-N.); Surrey (District of) v. Carroll -Hatch & Associates Ltd. et al. (1979), 101 D.L.R. (3d) 218 (C.A.C.-B.); Midland Bank Trust Co. Ltd. v. Hett, Stubbs & Kemp, [ 1979] Ch. 384; Can. Western Natural Gas Co. Ltd. v. Pathfinders Surveys Ltd. (1980), 12 Alta. L.R. (2d) 135 (C.A.); Kienzle v. Stringer (1981), 35 O.R. (2d) 85 (C.A.)) et aussi de la responsabilité des personnes pratiquant une «profession publique» (common calling), comme le voiturier obligé de transporter en toute sécurité les marchandises qui lui ont été confiées, sous réserve des quelques exceptions déjà mentionnées (Coggs v. Bernard (1703), 2 Ld. Raym. 909 (K.B.); Nugent v. Smith (1876), 1 C.P.D. 19, infirmé 423 (C.A.); Belfast Ropework Company v. Bushell, [1918] 1 K.B. 210; S.M.T. [Eastern] Ltd. v. Ruch, [1940] 1 D.L.R. 190 (C.S.N.-B.); et voir aussi Paterson Steamships, Ld. v. Canadian Co-operative Wheat Producers Ld., [1934] A.C. 538 (P.C.), à la page 544). La responsabilité du voiturier joue dans le cas [TRADUCTION] «où l'action ne peut être fondée sur un contrat» (Bretherton v. Wood (1821), 3 Brod. & Bing. 54 (Ex. Ch.), à la page 62). Quoi- qu'il ne soit pas un voiturier au sens strict, le transporteur maritime encourt la même responsa- bilité (Liver Alkali Company v. Johnson (1874), L.R. 9 Exch. 338). Les Règles de La Haye ont modifié ces principes de common law dans le cas des transports maritimes de marchandises en vertu d'un contrat constaté par un connaissement (Stag Line, Ld. v. Foscolo, Mango & Co., Ld., [ 1932] A.C. 328 (H.L.), lord Atkin à la page 340). Ainsi, l'obligation du transporteur de mettre son navire en bon état de navigabilité devient par le jeu des Règles de La Haye l'obligation d'exercer une «dili- gence raisonnable» à cette fin. La tendance ces
dernières années à reconnaître aussi la responsabi- lité délictuelle pour l'exécution négligente d'une obligation contractuelle, malgré l'existence des rapports contractuels, n'a pas été limitée aux cas de fautes professionnelles ni aux fautes des person- nes exerçant une profession publique (common callings) (Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A); Batty v. Metropolitan Property Realisations Ltd., [1978] Q.B. 554 (C.A.)), et la responsabilité délictuelle pour faute professionnelle a été fondée sur des motifs fort larges plutôt que sur la simple existence de rap ports conventionnels (Maryon (John) International Ltd. et al. v. New Brunswick Telephone Co., Ltd. (1982), 141 D.L.R. (3d) 193 (C.A.N.-B.)).
Ces dernières années, on a assisté à une véritable révolution dans le développement de la common law concernant la faute, développement suscité par l'arrêt de la Chambre des lords Donoghue v. Ste- venson, [ 1932] A.C. 562 et élargi par les décisions Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 et Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [ 1970] A.C. 1004. Plus récemment, dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728, la Chambre des lords a résumé l'état du droit lorsqu'il s'agit de savoir quand il doit de prime abord y avoir obligation de prudence, et quelles sont les limites de cette obliga tion; voici ce qu'a dit lord Wilberforce (aux pages 751 et 752):
[TRADUCTION] Cette trilogie d'arrêts de la Chambre— Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562, Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd. [1964] A.C. 465, et Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office [ 1970] A.C. 1004, nous a maintenant conduit en un point où, pour établir qu'une obliga tion de prudence existe dans un cas particulier, il n'est pas nécessaire que les faits particuliers à cette situation soient identiques à ceux des cas antérieurs il a été jugé qu'il y avait obligation de prudence. La question doit plutôt être examinée en deux étapes. D'abord, on doit se demander si, entre l'auteur présumé de la faute et la personne qui a subi des dommages, il y a un rapport de proximité ou de voisinage suffisant pour que, selon ce que l'auteur de la faute pouvait raisonnablement prévoir, une imprudence de sa part puisse vraisemblablement causer un dommage à la victime—auquel cas, une obligation de prudence existe de prime abord. Ensuite, si la première question reçoit une réponse affirmative, il est nécessaire de se demander s'il existe des facteurs qui pourraient supprimer, réduire ou limiter la portée de cette obligation, ou la catégorie de gens qui en sont créanciers, ou les dommages-intérêts auxquels son inexécution pourrait donner lieu: Voir l'affaire Dorset Yacht [1970] A.0 1004, lord Reid, à la p. 1027.
Cette décision importante fut appliquée dans l'af- faire Junior Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983] 1 A.C. 520 (H.L.), qui portait sur la responsabilité en cas de perte purement économique, ainsi que dans un arrêt, prononcé à la majorité, de la Cour suprême du Canada: Kamloops (Ville de) c. Niel- sen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; 54 N.R. 1.
À l'appui de son argument selon lequel le droit d'action de l'intimée ne peut être fondé que sur un contrat, l'avocat de l'appelante accorde une grande importance à l'arrêt de la Chambre des lords Elder, Dempster & Co. v. Paterson, Zochonis & Co., [1924] A.C. 522. Le contrat de transport dans cette affaire n'était pas assujetti aux Règles de La Haye, mais c'est le fondement de cette décision et le traitement subséquent qu'il a reçu dans notre pays qu'invoque l'appelante. Il s'agissait dans cette affaire d'un transport maritime de tonneaux et de barils d'huile de palme constaté par un connaisse- ment émis par l'affréteur et excluant sa responsa- bilité pour dommages causés par suite de l'arri- mage d'autres marchandises. Les barils furent écrasés sous le poids d'autres marchandises, cau- sant la perte de l'huile de palme. Le propriétaire de la cargaison engagea une action en inexécution de contrat ou, subsidiairement, pour négligence, à la fois contre l'affréteur et contre l'armateur. On prétendit qu'il y avait eu négligence dans l'arri- mage et que cette négligence était indépendante du contrat, de sorte qu'elle rendait inapplicable l'ex- clusion stipulée au connaissement, surtout dans le cas de l'armateur. Ces arguments furent rejetés. On jugea que l'affréteur de même que l'armateur étaient protégés par le connaissement. Vicomte Finlay estima qu'il y avait responsabilité pour cause d'innavigabilité, mais lui aussi rejeta l'argu- ment subsidiaire, fondé sur la responsabilité délic- tuelle, pour les motifs suivants la page 548):
[TRADUCTION] Si la faute dont on se plaint avait constitué un délit indépendant, sans lien avec l'exécution du contrat constaté par le connaissement, l'affaire aurait été différente. Mais, lorsque la faute intervient dans le cours des services mêmes qui sont rendus dans l'exécution du connaissement, la limitation de responsabilité qu'il contient doit jouer, quelle que soit la forme que prend l'action et que la poursuite soit engagée contre le propriétaire ou l'affréteur. Il serait absurde que le propriétaire des marchandises puisse contourner les clauses protectrices du connaissement relatives à tous les arrimages en poursuivant le propriétaire du navire en responsabilité délictuelle.
Les autres lords juges souscrivirent à l'arrêt, mais pour des motifs différents. Il me semble que les
propos du vicomte Finlay précités confirment clai- rement le principe voulant qu'une partie à un contrat de transport ne puisse contourner une exclusion expresse prévue au contrat en agissant en responsabilité délictuelle, à moins que la faute n'ait aucun rapport avec l'exécution du contrat constatée par le connaissement.
En 1972, la Cour suprême du Canada a appli- qué l'arrêt Elder, Dempster dans son arrêt Nunes Diamonds (J.) Ltd. c. Dominion Electric Protec tion Co., [ 1972] R.C.S. 769. Dans cette espèce, l'intimée avait convenu de fournir et d'installer un système d'alarme dans un coffre-fort appartenant à l'appelante, un marchand de diamants torontois. Le contrat excluait expressément toutes [TRADUC- TION] «conditions, garanties ou déclarations» de l'intimée, ses dirigeants, préposés ou agents, autres que celles stipulées dans le contrat. Il contenait aussi une clause limitant la responsabilité à 50 $ en cas d'inexécution de service. Le coffre-fort fut forcé et des diamants furent volés. La Cour suprême du Canada a reconnu, comme les tribu- naux inférieurs, qu'il n'y avait pas eu inexécution de contrat en ce sens que le système avait fonc- tionné normalement mais qu'il avait manifeste- ment été déjoué par les voleurs. L'appelante avait aussi fait valoir certaines déclarations extra-con- tractuelles comme fondement de son action, indé- pendamment du contrat, en arguant qu'il y avait déclaration trompeuse et en invoquant le principe de l'arrêt Hedley Byrne. La Cour, à la majorité des juges, a conclu que les déclarations ne don- naient lieu à aucun droit d'action mais, en rejetant l'argument, le juge Pigeon, au nom de la majorité, a dit (aux pages 777 et 778):
Le critère de responsabilité délictuelle étudié dans l'affaire Hedley Byrne ne peut pas s'appliquer lorsque les relations entre les parties sont régies par un contrat, à moins qu'il soit possible de considérer que la négligence imputée constitue un délit civil indépendant n'ayant aucun rapport avec l'exécution du contrat, comme on l'a dit dans la cause Elder, Dempster & Co. Ltd. v. Paterson, Zochonis & Co. Ltd. ([1924] A.C. 522), p. 548. En l'espèce, c'est un point particulièrement important, à cause des dispositions contractuelles relatives à la nature des obliga tions assumées et l'exclusion virtuelle de toute responsabilité en cas de défaut de les remplir.
Cette affaire, bien entendu, ne concernait pas un contrat de transport maritime ou fluvial de mar- chandises. Mais même alors, la Cour suprême du Canada,, tout comme la Chambre des lords dans son arrêt Elder, Dempster, ne permettra pas à une
partie à un contrat d'échapper à une exclusion expresse de responsabilité découlant du rapport conventionnel existant entre les parties.
Comme le montreront les affaires de responsabi- lité professionnelle et les autres causes précitées, beaucoup d'eau a encore coulé sous les ponts depuis 1972. D'ailleurs, en 1981, la Cour suprême du Canada a eu à étudier la question du cumul de la faute contractuelle et de la faute délictuelle dans l'affaire Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578. Dans cette espèce, l'appelante concluait, dans une action engagée en Cour supérieure de Trois-Rivières, à la responsabilité de l'intimée, une firme américaine, en vertu de l'article 1053 du Code civil du Québec. Quelques années après l'installation par l'intimée d'un certain équipement dans les locaux de l'appe- lante à Trois-Rivières, ces locaux avaient été détruits par le feu qui, prétendait-on, était à la faute de l'intimée. L'intimée déclina la compétence de la Cour supérieure parce que, notamment, il s'agissait d'une action en rupture d'un contrat conclu aux États-Unis. L'appelante prétendit que la Cour supérieure était compétente parce que «l'action est basée sur des faits et actes qui sont survenus à Trois-Rivières et les actes fautifs allé- gués ont été commis ... à Trois-Rivières». On argua que l'existence du contrat interdisait de faire valoir toute faute délictuelle, mais la Cour suprême du Canada fut d'un avis différent. Le principe de cet arrêt, me semble-t-il, fort large dans son exposition, est énoncé en peu de mots par le juge Chouinard, au nom de la Cour, à la page 590:
Je conclus qu'un même fait peut constituer à la fois une faute contractuelle et une faute délictuelle et que l'existence de relations contractuelles entre les parties ne prive pas la victime du droit de fonder son recours sur la faute délictuelle.
Autant que je sache, la question du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle dans une affaire du genre de la présente espèce n'a encore fait l'objet d'aucune décision par un tribunal de notre pays. À mon avis, cette question doit recevoir une réponse dans l'optique de ce qui précède. Avant de ce faire, je noterais en passant qu'il a déjà été jugé qu'en common law un tiers peut agir en responsabilité délictuelle contre un transporteur s'il était propriétaire des marchandises au moment du dommage (Simpson v. Thomson (1877), 3 App. Cas. 279 (H.L.) aux pages 289 et 290;
Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince Steamship Co. Ltd., [1969] 1 Q.B. 219, aux pages 236 et 237). De plus, il a été jugé que l'acheteur de marchandises pouvait agir en responsabilité délic- tuelle contre le transporteur bien qu'il n'ait pas été propriétaire des marchandises au moment du dom- mage (Schiffahrt-Und Kohlen G.m.b.H. v. Chel- sea Maritime Ltd. (The aIrene's Success»), [1981] 2 Lloyd's Rep. 635 (Q.B.)).
J'en suis venu à la conclusion que le juge de première instance a décidé à bon droit que l'inti- mée pouvait recouvrer des dommages-intérêts pour faute ou négligence délictuelle indépendamment de l'existence du contrat de transport. Cela, me sem- ble-t-il, résulte du principe fort large énoncé dans l'arrêt Wabasso. N'avoir pas exercé une diligence raisonnable constituait une faute contractuelle aussi bien que délictuelle. Je considère cette faute, de même que lord Devlin dans l'arrêt Union of India v. N. V. Reederij Amsterdam, [ 1963] 2 Lloyd's Rep. 223 (H.L.), à la page 235, comme de la «négligence». Je ne vois pas comment son carac- tère en serait modifié simplement parce qu'il existe un rapport contractuel créant une obligation con- ventionnelle correspondante. Comme je comprends la chose, c'est cette négligence qui a causé l'échouement et l'appelante doit en répondre tant en responsabilité délictuelle qu'en responsabilité contractuelle.
D'autre part, je souscris entièrement à l'argu- ment de l'appelante selon lequel l'intimée ne devrait pas pouvoir échapper aux stipulations con- ventionnelles limitant sa responsabilité, simple- ment en faisant valoir une faute délictuelle. Pour reprendre l'expression du vicomte Finlay dans l'ar- rêt Elder, Dempster la page 548), la limitation de responsabilité doit s'appliquer [TRADUCTION] «quelle que soit la forme que prend l'action». Manifestement, l'intimée ne saurait recouvrer dou bles dommages-intérêts et ceux-ci, lorsqu'ils seront établis, devront être limités «par colis ou unité» comme je l'ai déjà décidé. A cet égard, le commen- taire suivant de Sir John Donaldson, Maître des rôles, dans l'affaire The «Raphael», [ 1982] 2 Lloyd's Rep. 42 (C.A.), me paraît être une expres sion particulièrement heureuse du principe qui, je pense, devrait être appliqué en l'espèce. Il dit la page 46):
[TRADUCTION] Mais je ne connais aucune affaire l'on a jugé qu'une stipulation d'exclusion de responsabilité jouait dans
le cas de la responsabilité contractuelle, mais non dans celui de la responsabilité délictuelle, pour inexécution de la même obli gation. D'ailleurs, qu'on puisse concevoir une discussion hypo- thétique entre deux parties, à moins qu'il ne s'agisse d'étudiants en droit, menant à une telle convention serait manifestement absurde.
Les parties n'ont pas rapporté à l'instruction suffisamment de preuves pour nous permettre de déterminer la mesure des dommages de l'intimée. Ils se sont contentés, semble-t-il, de demander au juge de première instance de statuer sur le fond de l'affaire, les dommages devant être établis en réfé- rence. À mons avis, c'est à la Division de première instance qu'il appartient de déterminer quels dom- mages réclamés peuvent être recouvrés. Cela ne peut être fait par l'arbitre, dont la fonction se borne à calculer le montant des dommages une fois ceux-ci déterminés. L'affaire devrait donc être ren- voyée en première instance pour qu'ils soient déter- minés, après administration des preuves des deux parties. Ultérieurement, en référence, l'arbitre pourra procéder au calcul des dommages pouvant être recouvrés.
Les avaries communes
L'appelante soutient que le juge de première instance a conclu à tort que la contribution aux avaries communes proportionnelle à l'intérêt de l'intimée dans l'aventure, totalisant 604 763,64 $, ne peut être recouvrée. L'intimée souscrit à cette conclusion, mais elle ajoute en outre, ce qui plaide- rait contre tout recouvrement, qu'il n'y aurait pas y avoir déclaration d'avaries communes en tout premier lieu, parce qu'il ne s'agissait pas d'un cas véritable d'avaries communes. Le chaland demeura fermement échoué sur le haut-fond, sans possibilité de remise à flot avant la rupture des glaces, à l'été 1973. La remise à flot du chaland au cours de l'été 1973 n'a été possible qu'après l'enlè- vement d'une partie de la cargaison.
J'éprouve quelques difficultés à accepter l'argu- ment de l'intimée. Le chaland était à toutes fins utile au sec à marée basse. L'expert en avaries communes présent au moment de la remise à flot a rapporté que [TRADUCTION] «c'était risqué» en parlant du succès de l'opération. On y parvint à l'aide d'une ancre et d'un palan. On disposait d'un remorqueur, mais son tirant d'eau l'a forcé à se tenir à l'écart. Il fallait déplacer le chaland du haut-fond sur un fond de sable et lui faire franchir
deux autres battures de sable, qu'il a touchées au cours de l'opération. Pour reprendre les termes de l'expert: [TRADUCTION] «le chaland quitta lente- ment la batture, s'arrêta, repartit, s'échoua et fina- lement flotta.» Le chaland ne semble pas avoir été en danger imminent d'être détruit, mais il n'était pas non plus, sur le haut-fond, en sécurité du point de vue commercial. Il était complètement immobi- lisé. Je crois que les commentaires suivants du juge Willmer dans l'affaire The Glaucus (1948), 81 Ll. L. Rep. 262 (Adm.) la page 266) s'appliquent au cas d'espèce:
[TRADUCTION] Il ne sert à rien de dire que ce bien de valeur, d'environ un million de livres, est en sécurité, s'il l'est dans des circonstances il n'est pas utilisable. Il pourrait tout aussi bien se trouver au fond de l'océan, à toutes fins utiles.
Je conviens donc qu'il s'agissait bien en l'espèce d'un véritable cas d'avaries communes.
D'autre part, la loi dit aussi clairement que le transporteur ne saurait recouvrer du chargeur une contribution aux avaries communes lorsque ces avaries communes ont été suscitées par sa propre faute pouvant faire l'objet d'une action en justice. C'est ce que montre clairement l'arrêt Goulandris Brothers Ltd. v. B. Goldman & Sons Ltd., [1958] 1 Q.B. 74. Dans cette affaire, la Cour devait interpréter la Règle D des Règles de York et d'Anvers de 1950:
[TRADUCTION] Lorsque l'événement qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense aura été la conséquence d'une faute commise par l'une des parties engagées dans l'aventure, il n'y en aura pas moins lieu à contribution, mais sans préjudice des recours pouvant être ouverts contre cette partie à raison d'une telle faute.
Le juge Pearson en a conclu que le «droit» à une contribution aux avaries communes pouvait céder le pas au «recours» pour fautes. Il dit (aux pages 92 et 93):
[TRADUCTION] À mon avis, il s'agit bien de la façon, dont les deux parties de la Règle D devaient s'appliquer, et cela nous guide dans l'interprétation de cette règle. La première partie fait référence aux droits à la contribution à l'avarie commune qui seront stipulés dans le règlement de l'avarie, et il s'agit bien de droits, parce que leur détenteur a droit à un paiement. Mais la deuxième partie de la règle dispose que la première partie ne saurait porter préjudice aux recours pour faute, ce qui implique que, dans certains cas, les recours auxquels il est fait référence dans la deuxième partie de la règle excluront les droits visés dans la première partie; autrement dit, la deuxième partie constitue une réserve qui nuance, exclut et ampute la première partie ou y apporte dérogation. Les droits peuvent être annulés, supprimés, réduits ou touchés d'une autre manière par les
recours. À cet égard, les droits visés dans la première partie de la règle sont des droits prima facie parce qu'ils sont assujettis à des recours.
Par conséquent, la position adoptée veut que les requérants aient le droit, prima facie, de réclamer une contribution des intimés à l'avarie commune, mais les intimés peuvent faire échec à ce droit en utilisant leurs «recours» pour la faute des requérants.
La Cour suprême du Canada a interprété la Règle D de façon similaire dans l'arrêt Federal Com merce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz, [ 1974] R.C.S. 1225. Voir aussi «Lowndes & Rudolph, General Average and the York Antwerp Rules», 10e éd., British Shipping Laws, vol. 7, par. 67, aux pages 36 et 37.
En outre, le contrat de transport incorporait la «nouvelle clause Jason» qui, si on l'interprète cor- rectement, ne donne pas droit à l'appelante de recouvrer une contribution aux avaries communes de la cargaison si elle est responsable de la situa tion [TRADUCTION] «de par la loi, le contrat ou autrement». À mon sens, le juge de première ins tance, était fondé à conclure que l'appelante ne pouvait obtenir une contribution aux avaries com munes. L'appelante avait l'obligation d'exercer une diligence raisonnable pour mettre le remorqueur et le chaland en état de navigabilité. Qu'elle ne l'ait pas fait résultait entièrement de sa propre négli- gence et c'est cette négligence qui a causé l'échouement et le dommage qui en a résulté. Si une diligence raisonnable avait été exercée, comme elle aurait l'être, l'échouement ne se serait pas produit et la déclaration d'avaries communes n'au- rait pas été nécessaire. Comme l'appelante est elle-même en faute, elle ne saurait attendre de l'intimée une contribution quelconque aux avaries communes.
Le juge de première instance a reporté toute décision sur la demande reconventionnelle de l'appelante, en paiement de 50 % des frais de carburant de l'hélicoptère, ultérieurement à une référence. Cela n'était pas nécessaire puisque la créance était liquide et qu'aucune preuve addi- tionnelle n'était requise. Il n'est pas juste que l'appelante ne puisse être remboursée de ses frais de carburant.
L'appel incident pour refus d'autoriser l'intimée à opposer ses dommages-intérêts en compensa-
tion du reliquat du fret est devenu hypothèse d'école, le fret ayant été payé en exécution d'un jugement. La décision du juge de -première ins tance selon laquelle il ne peut y avoir compensa tion dans une affaire de ce genre s'appuie sur une jurisprudence abondante.
Dans sa déclaration modifiée, l'intimée avait demandé «l'intérêt au taux légal» sur ses domma- ges. Le juge de première instance a accordé un intérêt de 5 %. Bien que la Cour d'appel ait rejeté une requête en modification de la déclaration modifiée qui concluait à un intérêt supérieur au «taux légal», cela n'interdisait pas de soulever la question du taux d'intérêt dans l'appel incident. Etant donné que la requête ne portait que sur le bien-fondé d'une modification de la procédure écrite subséquente au procès, le principe de la chose jugée ne s'appliquait pas. Mais aucune réclamation d'un taux d'intérêt supérieur n'a été faite avant jugement et aucune preuve justifiant un taux supérieur n'a été présentée à l'instruction. Ce volet de l'appel incident doit en conséquence être rejeté.
L'argument de l'appelante voulant que l'adjudi- cation des dépens devait attendre que la réfé- rence soit terminée ne peut être accepté. A bon droit, le juge de première instance a décidé que l'intimée avait droit à jugement. La modification de ce jugement en appel ne justifiait pas d'intervenir dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
L'appel est accueilli en partie et l'appel incident rejeté. La défenderesse peut limiter sa responsa- bilité conformément à la Loi sur le transport des marchandises par eau, mais non en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
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