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T-1860-83
Cat Productions Ltd. (demanderesse) c.
Dave Macedo et Ross Morell (faisant parfois affaires sous la raison sociale ZZ Tops), Nu-West Sportswear & Textiles Inc., Gurdish Singh Mangat et Mahendra Kaur Singh (défendeurs)
Division de première instance, juge McNair— Toronto, 25 février; Ottawa, 21 mai 1985.
Droit constitutionnel Charte des droits Demande de radiation de paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle conformément à la Règle 419(1) Action pour atteinte au droit d'auteur La plaidoirie contestée allègue que la demanderesse a incité et amené la police à saisir et à détenir les marchandises des défendeurs, les empêchant d'en bénéficier, en violation des art. 7 et 8 de la Charte La demande reconventionnelle conclut à des dommages-intérêts sur le fondement de l'art. 24 de la Charte La demanderesse invoque la thèse défendue par Tarnopolsky et Beaudoin selon laquelle le but de la Charte est de régir les rapports entre un particulier et le gouvernement, car il vaut mieux laisser les rapports entre les particuliers aux codes des droits de la personne, aux autres lois et aux recours de la common law, conformément au point de vue adopté par les tribunaux Les défendeurs se servent de la Charte pour soulever une question qui n'a rien à voir avec la question litigieuse sur le droit d'auteur Les allégations concernent, uniquement la récla- mation en dommages-intérêts pour abus de procédure Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 8, 24.
Pratique Requête en radiation de plaidoiries Demande de radiation de paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle conformément à la Règle 419(1) Radia tion des paragraphes portant sur l'arrestation des défendeurs et la saisie de marchandises d'après lesquels la demanderesse a incité et amené la police à saisir et à détenir les marchandi- ses des défendeurs, les empêchant ainsi d'en bénéficier, en violation des art. 7 et 8 de la Charte Les allégations fondées sur la Charte ne peuvent étayer une défense ou une cause d'action parce qu'elles ne soulèvent pas de question jugeable Les défendeurs se servent de la Charte pour soulever une question qui n'a rien à voir avec le fond même du litige entre les parties La réclamation concernant le droit d'auteur est étrangère à la violation de la Charte Le paragraphe qui soutient que la déclaration est vexatoire et constitue un abus de procédure n'est pas radié parce qu'il se suffit à lui-même et peut servir de fondement à une défense ou à une cause d'action Le paragraphe qui soulève le plaidoyer d'irrecevabilité est radié parce que les faits qui le fondent n'ont pas été plaidés Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 415(3), 419(1).
Il s'agit d'une demande visant à obtenir la radiation de certains paragraphes d'une défense et d'une demande reconven- tionnelle conformément à la Règle 419. La demanderesse solli- cite, subsidiairement, une ordonnance, conformément au para-
graphe 415(3) des Règles afin d'obtenir des précisions supplémentaires sur certaines des allégations contenues dans plusieurs des paragraphes attaqués. La défense modifiée et la demande reconventionnelle contiennent des allégations faisant état d'éléments de preuve et qui concernent l'arrestation des défendeurs, leur inculpation sous divers chefs d'accusation, ainsi que la saisie et la détention de leurs marchandises. Ces paragraphes ont pour but d'étayer l'allégation selon laquelle la demanderesse a incité et a amené la police à saisir et à détenir les marchandises des défendeurs, leur empêchant ainsi d'en bénéficier, en violation des articles 7 et 8 de la Charte. Les défendeurs allèguent en outre que la demanderesse ne peut, en raison de ses actes abusifs, intenter d'action ou obtenir le redressement réclamé. La demande reconventionnelle conclut à des dommages-intérêts sur le fondement de l'article 24 de la Charte.
La demanderesse a invoqué la thèse défendue par Tarno- polsky et Beaudoin dans leur ouvrage Charte canadienne des droits et libertés, d'après laquelle le but de la Charte n'est pas de régir les rapports entre les particuliers, qu'il vaut mieux laisser aux lois, aux codes des droits de la personne et aux recours de la common law, mais de régir les rapports entre les particuliers et l'État. La défenderesse se fonde sur la déclara- tion de Manning dans son ouvrage Rights, Freedoms and the Courts: A Practical Analysis of the Constitution Act, 1981, suivant laquelle la garantie prévue à l'article 8 de la Charte contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ne se limite pas aux seuls cas les personnes qui y portent atteinte sont des agents du gouvernement. Il s'agit de savoir si les allégations fondées sur la Charte et contenues dans une demande reconventionelle révèlent une défense ou une cause d'action raisonnable.
Jugement, la demande est accueillie en partie.
La thèse défendue par Tarnopolsky et Beaudoin est davan- tage conforme au point de vue adopté par les tribunaux que celle défendue par Manning. Les allégations reprochées ne soulèvent pas de question jugeable. On n'a pas contesté la validité d'une loi, et la partie qui aurait porté atteinte aux droits des défendeurs, à savoir la police, n'a pas été mise en cause. La demanderesse n'a pas saisi les marchandises des défendeurs, et celles-ci ne sont pas en sa possession. Les défen- deurs se servent de la Charte pour soulever une question qui n'a rien à voir avec le fond même du litige entre les parties. Le droit d'auteur que revendique la demanderesse est étranger à une violation quelconque de la Charte. Rien ne laisse croire qu'il y a eu avec la police de la Communauté urbaine de Toronto une entente ou un complot criminel dont dépend le droit d'auteur de la demanderesse; le seul but qu'ils auraient eu en commun aurait été le harcèlement et l'abus de procédures donnant lieu à une demande en dommages-intérêts sous le régime de la Charte.
Le paragraphe il est allégué que la déclaration est vexa- toire et constitue un abus de procédure parce que l'action a été intentée à la seule fin de harceler les défenderesses, se suffit à lui-même et sert de fondement à une défense ou à une cause d'action.
Il faut présumer que les actes abusifs auxquels il est fait allusion désignent les activités de la police et ils n'établissent pas de fin de non-recevoir. Le paragraphe est soulevé une fin de non-recevoir doit être radié.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 55 N.R. 241; Electrolytic Zinc Process Ltd. v. French's Complex Ore Reducing Co., [1926] R.C.É. 5; Crabb v. Arun District Council, [ 1976] Ch. 179 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. c. Texaco Explora tion Canada Ltd., [1976] 1 C.F. 258 (1" inst.); Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Berglund Industrial Supply Co. Ltd. et autre (1982), 64 C.P.R. (2d) 206 (C.F. 1" inst.); Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (1" inst.); Rothschild, Baron Edouard de et al. v. Custodian of Enemy Property, [1945] R.C.É. 44; Massie & Renwick Ltd. v. Underwriters' Survey Bureau Ltd. et al., [1940] R.C.S. 218; Davis v. City of Toronto, [1942] O.W.N. 120 (H.C.).
AVOCATS:
G. Piasetzki et A. Lambert pour la demande- resse.
P. Kappel pour les défendeurs, Dave Macedo et Ross Morell (faisant parfois affaires sous la raison sociale ZZ Tops).
Aucun avocat pour le compte des défendeurs Nu -West Sportswear & Textiles Inc., Gur- dish Singh Mangat et Mahendra Kaur Singh.
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour la demanderesse.
MacBeth & Johnson, Toronto, pour les défen- deurs Dave Macedo et Ross Morell (faisant parfois affaires sous la raison sociale ZZ Tops).
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: La demanderesse cherche à obtenir la radiation de certains paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle, con- formément à la Règle 419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], pour les motifs:
a) qu'ils ne révèlent aucune cause raisonnable d'action ou de défense;
b) qu'ils ne sont pas essentiels;
c) qu'ils sont scandaleux, futiles et vexatoires;
d) qu'ils peuvent causer préjudice, gêner ou retarder l'ins- truction équitable de l'action; et
e) qu'ils constituent un emploi abusif des procédures de la Cour.
Au cas la demande en radiation devait échouer, la demanderesse sollicite, subsidiaire- ment, une ordonnance, conformément à la Règle 415(3), afin d'obtenir des détails plus amples et plus précis sur certaines des allégations contenues dans plusieurs des paragraphes attaqués.
Il s'agit d'une action pour atteinte au droit d'auteur. La demanderesse allègue que les défen- deurs ont porté atteinte à son droit d'auteur en fabriquant et en vendant des tee-shirts portant le dessin «Man & Star», qui est l'oeuvre artistique à l'égard de laquelle le droit d'auteur est revendiqué.
Le 19 octobre 1984, la demanderesse a déposé une déclaration modifiée dans le but, semble-t-il, de se conformer à l'ordonnance relativement à la déclaration originale concluant que des détails plus amples et plus précis devaient être fournis le 19 septembre 1984.
Dans l'affidavit qu'il a produit à l'appui de la présente requête, M. Anthony Lambert a décrit en ces termes, aux paragraphes 2, 3 et 4 dudit affida vit, le cheminement de la cause:
[TRADUCTION] 2. Le 19 novembre 1984, une défense et une demande reconventionnelle ont été déposées au greffe de la Cour fédérale pour le compte des défendeurs, Macedo et Morell.
3. Le 8 janvier 1985, la demanderesse a signifié aux procureurs des défendeurs Macedo et Morell une demande pour détails concernant la défense et la demande reconventionnelle. Une copie de la demande pour détails est jointe aux présentes sous la cote «A».
4. En réponse à la demande pour détails de la demanderesse, les défendeurs Macedo et Morell ont déposé, le 6 février 1985, une défense modifiée et une demande reconventionnelle.
Ce sont cette défense modifiée et cette demande reconventionnelle qui sont attaquées dans la pré- sente requête.
Il pourrait être utile, au départ, d'énoncer cer- tains principes fondamentaux. Il faut aborder une demande de radiation de plaidoiries avec une cer- taine prudence. Le pouvoir discrétionnaire d'or- donner la radiation ne doit être exercé que dans les cas évidents. Lorsqu'une requête en radiation de défense est présentée en vertu de la Règle 419(1)a), aucune preuve n'est admissible, et pour trancher la question il faut se demander, en présu- mant que les allégations contenues dans les plai-
doiries sont vraies, si on peut prétendre que lesdites allégations constituent une défense raisonnable ou, comme il est dit quelquefois, si elles révèlent une défense soutenable. Dans le cas d'une requête en radiation de déclaration présentée sur le fonde- ment de la même Règle—et une demande recon- ventionnelle fait partie de cette catégorie—il s'agit de savoir si les allégations qui y sont contenues, en tenant pour acquis qu'elles sont vraies, révèlent une cause d'action raisonnable. Voir Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. c. Texaco Explora tion Canada Ltd., [1976] 1 C.F. 258 (l re inst.); Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Ber- glund Industrial Supply Co. Ltd. et autre (1982), 64 C.P.R. (2d) 206 (C.F. Ire inst.). Il ressort en outre clairement de la jurisprudence qu'une demande de radiation fondée sur les alinéas b) à J) de la Règle 419 ne doit être accueillie que si l'affirmation reprochée est de toute évidence si peu pertinente ou si futile qu'elle viole le concept d'équité dans la plaidoirie ou qu'elle constitue manifestement un emploi abusif des procédures de la Cour. Le fondement de cette règle est qu'une partie ne doit pas être privée, pour un rien, de l'occasion de plaider. Voir Succession Creaghan c. La Reine, [ 1972] C.F. 732 (I fe inst.); et Roths- child, Baron Edouard de et al. v. Custodian of Enemy Property, [1945] R.C.É. 44.
Les paragraphes 19 à 25 de la défense et de la demande reconventionnelle contiennent des alléga- tions, dont plusieurs font état d'éléments de preuve, concernant l'arrestation des défendeurs par la police de la Communauté urbaine de Toronto, leur inculpation sous divers chefs d'accusation, ainsi que la saisie et la détention de leurs marchan- dises. Ces paragraphes ont manifestement pour but d'étayer l'allégation des défendeurs, au para- graphe 26, selon laquelle la demanderesse a incité et amené la police de la Communauté urbaine de Toronto à saisir et à détenir les marchandises des défendeurs, leur empêchant ainsi d'en bénéficier, en violation des articles 7 et 8 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et de la common law.
Il est allégué au paragraphe 28 que la demande- resse ne peut, en raison de ses actes abusifs, inten- ter d'action ou obtenir le redressement réclamé. La
demande reconventionnelle reprend les allégations de la défense et conclut notamment à des domma- ges-intérêts sur le fondement de l'article 24 de la Charte.
Les défendeurs fondent leur argumentation sur les articles 7, 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui sont ainsi conçus:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
L'avocat de la demanderesse soutient que la Charte ne régit pas les rapports entre particuliers, que ceux-ci relèvent davantage des lois, des codes des droits de la personne et des recours de la common law, et que ladite Charte régit unique- ment les relations entre les particuliers et l'État. À l'appui de cette prétention, il cite des passages tirés de la page 55 de l'ouvrage de Tarnopolsky et Beaudoin Charte canadienne des droits et libertés:
À la suggestion que la Charte peut s'appliquer aux activités de particuliers, sans lien avec le gouvernement, on peut répon- dre automatiquement qu'une charte des droits lie les gouverne- ments et non les particuliers. Telle est la nature d'un document constitutionnel: établir la portée des pouvoirs gouvernementaux et exposer les conditions des relations entre les citoyens et l'État et entre les divers organes du gouvernement. Le but d'une charte des droits est de régir les rapports entre un particulier et le gouvernement en rendant invalides les lois et les mesures gouvernementales qui empiètent sur les droits garantis par le document, les rapports entre les particuliers étant laissés aux codes des droits de la personne, aux autres lois et aux recours de la «common law», par exemple les lois sur la diffamation. En outre, le paragraphe 32(1) déclare expressément que la Charte s'applique au «Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement» (les italiques sont de nous). Ce sont les actes du gouvernement qui sont visés, non ceux des particuliers.
Et à la page 60:
En conclusion, même s'il est possible d'interpréter le libellé de la Charte de façon à l'étendre aux relations entre les particuliers, cela ne serait pas à propos. Cela aboutirait à soumettre un contentieux important à un forum judiciaire mal adapté au problème. Ce n'était l'intention ni des rédacteurs de la Charte ni des gouvernements qui l'ont acceptée, car la Charte, partie intégrante de la Constitution, a pour objet de limiter l'action gouvernementale. Néanmoins, si jamais la Charte devait s'appliquer à l'activité des particuliers (les argu ments présentés ici ayant été rejetés), les tribunaux devraient alors mettre au point des règles d'application différentes de celles qui visent l'activité gouvernementale.
L'avocat des défendeurs accorde une grande importance à l'ouvrage de Manning, Rights, Free doms and the Courts: A Practical Analysis of the Constitution Act, 1982, et sur les passages sui- vants, tirés de la page 312:
[TRADUCTION] L'une des questions qui sera soulevée en vertu de la Charte et qui a donné lieu à de nombreux débats devant les tribunaux américains, est de savoir si les actes des agents du gouvernement ou des particuliers échappant au con- trôle gouvernemental sont assujettis aux dispositions réglemen- tant les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives à l'article 8 de la Charte. Cet article garantit en termes généraux le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, et il ressort de la simple lecture de cet article et de son historique que le droit à cette protection ne se limite pas aux seuls cas les personnes qui y portent atteinte sont des agents du gouvernement.
Et à la page 464:
[TRADUCTION] Quant à l'argument fondé sur l'article 32, il est fort possible que la Charte s'applique aux actes de particuliers comme on l'a laissé entendre ailleurs dans cet ouvrage. Le fait que le terme «exclusivement» n'a pas été employé après les premiers mots de l'article 32 indique que les rédacteurs de la Charte n'entendaient pas que celle-ci s'applique uniquement aux domaines relevant du gouvernement.
Selon moi, la thèse défendue par Tarnopolsky et Beaudoin est davantage conforme au point de vue adopté par les tribunaux que celle défendue par Manning.
Le juge en chef Dickson, qui s'est prononcé au nom de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 55 N.R. 241, a dit à la page 156 R.C.S.; 248 N.R..
Je commence par ce qui est évident. La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d'agir à l'encontre de ces droits et libertés; elle n'autorise pas en soi le gouvernement à agir ...
Et, plus loin, à la page 169 R.C.S.; pages 254- 255 N.R.:
Même si les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et des droits qu'elle confère aux particuliers, il incombe à la législature d'adopter des lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Consti tution. Il n'appartient pas aux tribunaux d'ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives. Si elles n'offrent pas les garanties appropriées, les lois qui autorisent des fouilles, des perquisitions et des saisies sont incompatibles avec l'art. 8 de la Charte. Comme je l'ai dit, toute loi incompa tible avec les dispositions de la Constitution est, dans la mesure de cette incompatibilité, inopérante.
Il faut avant tout déterminer si les allégations fondées sur la Charte et contenues dans une demande reconventionnelle révèlent une défense ou une cause d'action raisonnable.
Il s'agit essentiellement de savoir si les alléga- tions reprochées soulèvent une question jugeable. Je pense que non et ce, même si on les considère dans leur sens le plus large. Il faut remarquer qu'il ne s'agit pas d'un cas une partie à une action privée conteste accessoirement la validité d'une disposition législative particulière dans le but de revendiquer un droit qui lui serait propre. On n'a pas présenté d'arguments visant à contester la validité d'une loi, et la partie qui aurait porté atteinte aux droit des défendeurs, à savoir la police de la Communauté urbaine de Toronto, n'a pas été mise en cause. La demanderesse n'a pas saisi les marchandises des défendeurs et celles-ci ne sont pas en sa possession. Selon moi, les défendeurs se servent de la Charte pour soulever une question qui n'a rien à voir avec le fond même du litige entre les parties. Même si l'on tient pour vrai que la demanderesse a incité la police à saisir et à détenir illicitement les marchandises des défen- deurs, le droit d'auteur qu'elle revendique est tout à fait étranger à cette question ou à une violation quelconque de la Charte. Rien ne laisse croire qu'il y a eu avec la police de la Communauté urbaine de Toronto une entente ou un complot criminel dont dépend le droit d'auteur de la demanderesse; le seul but qu'ils auraient eu en commun aurait été le harcèlement et l'abus de procédure donnant lieu à une demande en dommages-intérêts sous le régime de la Charte. Voir Massie & Renwick Ltd. v. Underwriters' Survey Bureau Ltd. et al., [1940] R.C.S. 218, à la page 244.
Le délit d'abus de procédures ne traduit pas les intentions de quelqu'un mais dépend plutôt de
l'existence d'un objectif inapproprié ou illicite et d'un acte ou d'une menace définis faits dans la poursuite de cet objectif. Un plaidoyer d'intention est habituellement considéré comme non pertinent et on ne cherche généralement pas à connaître les mobiles d'une partie. Voir Electrolytic Zinc Pro cess Ltd. v. French's Complex Ore Reducing Co., [1926] R.C.É. 5; Davis v. City of Toronto, [1942] O.W.N. 120 (H.C.).
Dans l'affaire Electrolytic Zinc, précitée, le juge Maclean a dit à la page 7:
[TRADUCTION] Or, il est clair que les tribunaux n'ont pas à se préoccuper des rapports qui existent entre le demandeur et les personnes ou les entités qui ne sont pas parties à l'instance, et qu'on ne doit pas léser ou embarrasser le demandeur en l'espèce par des allégations de fait qui ne le concernent pas.
Les défendeurs allèguent au paragraphe 27 de leur défense qu'ils ont cessé de produire des tee- shirts après leur arrestation et la saisie de leurs marchandises. Ils soutiennent en outre que la déclaration est vexatoire et constitue un abus de procédure parce que l'action a été intentée à la seule fin de les harceler et de leur occasionner des dépenses considérables. Ce paragraphe existe indé- pendamment des paragraphes qui le précèdent et qui soulèvent des allégations concernant la police de la Communauté urbaine de Toronto et il est implicitement lié au paragraphe 33 de la demande reconventionnelle on allègue les dommages subis par les défendeurs et les avantages obtenus par la demanderesse; il peut, selon moi, servir de fondement, si précaire soit-il, à une défense' ou à une cause d'action. Pour ce motif, je refuse de radier le paragraphe 27.
Cela m'amène à examiner le paragraphe 28 de la défense qui soulève le plaidoyer d'irrecevabilité et qui est ainsi conçu:
[TRADUCTION] 28. Parce qu'elle a commis les actes abusifs ci-haut décrits, la demanderesse ne peut intenter la présente action ou obtenir le redressement demandé ou tout autre redressement.
Il faut présumer que les «actes abusifs» auxquels il est fait allusion, lorsqu'on les interprète d'une façon raisonnable, désignent les activités de la police de la Communauté urbaine de Toronto,
mentionnées aux paragraphes 19 26 inclusive- ment. On peut concevoir que ces actes, implicite- ment ou d'une manière générale, se rapportent en outre à l'allégation de harcèlement contenue au
paragraphe 27 de la défense, allégation que j'ai acceptée. A part cela, je ne vois pas sur quelle base pourrait se fonder une fin de non-recevoir.
Dans la pratique actuelle, les faits invoqués pour établir les différentes sortes de fin de non-recevoir, et il en existe plusieurs catégories, doivent être expressément allégués. Sans vouloir en donner une définition complète, la fin de non-recevoir est un principe reconnu en equity qui peut en certaines circonstances empêcher une partie de faire valoir les droits formels qui lui sont reconnus par la loi. Dans l'arrêt Crabb v. Arun District Council, [1976] Ch. 179 (C.A.), le Maître des rôles lord Denning a donné à la page 188 une définition générale de la notion de fin de non-recevoir fondée sur une promesse (promissory estoppel):
[TRADUCTION] Dans quelles circonstances lui sera-t-il alors interdit de faire valoir les droits formels qui lui sont reconnus par la loi? S'il s'engage irrévocablement par contrat à ne pas le faire, une cour d'equity l'obligera à respecter son engagement contractuel. S'il promet de ne pas exiger le respect de ses droits, sans aller jusqu'à conclure un contrat irrévocable—même si sa promesse peut ne pas être exécutoire sur le plan du droit en raison de l'absence d'une contrepartie ou d'un acte écrit—s'il a fait cette promesse sachant que l'autre personne agira en conséquence ou voulant qu'il en soit ainsi, et si c'est le cas, une cour d'equity l'empêchera alors de renier sa promesse: voir Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd. [1947] K.B. 130 et Charles Rickards Ltd. v. Oppenhaim [1950] 1 K.B. 616, 623. Sans qu'il y ait une promesse, si ses paroles ou sa conduite amènent une autre personne à croire qu'il ne fera pas valoir les droits formels qui lui sont reconnus par la loi—sachant que l'autre agira en conséquence ou voulant qu'il en soit ainsi—et si c'est le cas, un droit naît alors en faveur de l'autre personne; et il appartient à une cour d'equity d'éta- blir comment ce droit pourra être satisfait. D'après la jurispru dence, ce droit ne découle pas d'un accord mais de paroles ou d'une conduite.
Les faits allégués ne donnent pas lieu à une fin de non-recevoir qui entraînerait la radiation du paragraphe 28 de la défense. S'il existe des motifs valables pour soulever une fin de non-recevoir, en sus des allégations contenues au paragraphe 19 à 26 de la défense qui concernent la police de la Communauté urbaine de Toronto, allégations qui ont été examinées et sur lesquelles je me suis prononcé, les défendeurs pourront alors, par voie de requête ou sur consentement, demander de modifier leur défense afin d'y ajouter un nouveau paragraphe dans lequel ils pourront soulever un plaidoyer de fin de non-recevoir fondé sur des motifs qu'ils devront alléguer en bonne et due forme.
Par voie de conséquence et pour les motifs sus-
mentionnés, les paragraphes 19 26 inclusive- ment, le paragraphe 28 et le paragraphe 34(2) de la défense et de la demande reconventionnelle doivent être radiés. Je ne suis pas d'accord avec l'avocat de la demanderesse pour dire que les paragraphes 33, 34(3) et 34(4) doivent aussi être radiés parce qu'ils dépendent d'allégations conte- nues dans des paragraphes qui, à première vue, doivent être radiés. Selon moi, il est permis de croire que ces paragraphes se suffisent à eux- mêmes et, pour ce motif, ils ne doivent pas être radiés.
Une ordonnance sera donc prononcée aux condi tions énoncées aux présentes avec dépens en faveur de la demanderesse.
ORDONNANCE
1. Les paragraphes 19 26 inclusivement, le para- graphe 28 et le paragraphe 34(2) de la défense et de la demande reconventionnelle sont radiés.
2. Les paragraphes 33, 34(3) et 34(4) de la défense et de la demande reconventionnelle demeurent.
3. La demanderesse a droit aux dépens de sa demande et aux faux frais.
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