Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-277-85
Alberto Timpauer (requérant) c.
Air Canada et Conseil canadien des relations du travail (intimés)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone— Toronto, 19 février; Ottawa, 19 mars 1986.
Relations du travail Un agent de sécurité a conclu que la fumée de tabac ne constituait pas un «danger imminent» pour la santé du requérant au sens du Code Cette décision a été confirmée par le Conseil Il n'existe pas de «danger immi nent» L'interprétation qu'a faite le Conseil de l'expression «danger imminent» n'est pas manifestement déraisonnable Il n'y a eu aucun excès de compétence La Cour fait une mise en garde contre la modification des décisions des tribu-
naux spécialisés d'origine législative Le refus du Conseil d'entendre le témoignage du médecin du requérant et celui d'un allergologiste équivaut à un déni de justice naturelle Nonobstant l'art. 82.1(9) du Code, le Conseil a le devoir d'entendre toute la preuve pertinente et de décider des faits avant de trancher la question en fonction de son interprétation de l'expression «danger imminent» La demande d'examen et d'annulation de la décision du Conseil est accueillie Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 82.1 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 28; mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 47, art. 53), 122 (mod. idem, art. 43) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(1)a).
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Relations du travail Le Conseil a confirmé la décision d'un agent de sécurité concluant que la fumée de tabac se trouvant dans un lieu de travail ne constituait pas un «danger imminent» pour la santé Le refus du Conseil d'examiner des éléments de preuve de nature médicale et scientifique portant sur les effets à long terme de la fumée de tabac ne constitue pas une question se rapportant à sa compétence La Cour ne serait pas justifiée d'intervenir s'il y avait eu erreur de droit dans l'interprétation de l'expression «danger imminent» L'inter- prétation n'est pas déraisonnable Comme le Conseil possède des connaissances spécialisées, cette interprétation doit être respectée Le Conseil n'a pas excédé sa compétence en tenant compte du retard du requérant à invoquer la loi Le refus d'entendre les témoignages d'experts médecins sur l'effet immédiat de la fumée sur la santé du requérant constitue un déni de justice naturelle Les témoignages que le Conseil a refusé d'entendre auraient peut-être jeté sur la question un éclairage déterminant Un tribunal ne peut dire à une, partie que le témoin qu'elle veut citer ne peut être utile et trancher sans l'entendre Le tribunal ne pouvait procéder à l'appré- ciation des faits et juger du fond de la question sur le fondement de son interprétation du Code qu'après avoir entendu toute preuve pertinente que l'une ou l'autre partie désirait présenter Demande accueillie Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 82.1 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 28; mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53), 122 (mod. idem, art. 43) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(1)a).
La demande en l'espèce vise l'examen et l'annulation d'une décision du Conseil canadien des relations du travail qui a confirmé la conclusion d'un agent de sécurité suivant laquelle la présence de fumée de tabac dans le lieu de travail du requérant ne constituait pas un «danger imminent» pour sa santé au sens de l'article 82.1 du Code canadien du travail. Selon le Conseil, une personne est en situation de danger imminent lorsqu'elle a des motifs raisonnables de croire qu'elle est sur le point d'être réellement et immédiatement blessée et qu'elle doit quitter les lieux pour éviter de l'être. Appliquant ce critère ainsi inter- prété, le Conseil a conclu que le requérant ne s'était pas trouvé dans une situation de danger imminent le jour il a refusé de travailler en prétendant que la fumée de tabac se trouvant sur le lieu de son travail constituait un danger imminent pour sa santé. Le Conseil a trouvé un appui pour sa conclusion dans le fait que le requérant avait depuis longtemps l'intention d'invo- quer cette disposition et avait même reporté ce projet du vendredi au lundi suivant afin de réduire les inconvénients qu'il causerait à Air Canada, son employeur. Le requérant soutient que le Conseil a excédé sa compétence et a violé un principe de justice naturelle.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
En exerçant les pouvoirs qu'il détient en vertu du paragraphe 82.1(9) du Code, le Conseil devait décider si l'agent de sécurité avait eu raison de conclure qu'il n'existait pas de «danger imminent». La Cour ne serait pas justifiée d'intervenir si le Conseil avait commis une simple erreur de droit dans l'interpré- tation de ce terme; il devait être démontré que l'interprétation en question était manifestement déraisonnable.
La Cour n'a pas pu en arriver à une telle conclusion.
L'expression «danger imminent» n'est pas définie dans la législation et ne constitue pas une expression technique. La Cour a conclu que l'interprétation donnée par le Conseil devait être respectée puisque celui-ci possédait des connaissances spé- cialisées. Plusieurs décisions de la Cour suprême mettant en garde contre la modification injustifiée des décisions des tribu- naux spécialisés d'origine législative ont appuyé cette conclu sion. Considérant l'interprétation adoptée par le Conseil, il ne peut âtre dit que celui-ci s'est trompé en refusant d'examiner la preuve scientifique et médicale se rapportant aux effets à long terme de la fumée de tabac et en restreignant son enquête à l'effet de la fumée sur la santé du requérant lui-même.
La Cour ajoute que le Conseil n'a pas excédé sa compétence en tenant compte du retard du requérant à invoquer la loi ou en parlant de l'effet que pourrait avoir une décision favorable à ce dernier sur les autres employés relevant de la compétence fédérale en matière de relations industrielles. Ces considéra- tions n'étaient pas nécessaires à sa décision confirmant la décision de l'agent de sécurité.
L'argument du requérant voulant que le refus de citer cer- tains témoins qui lui a été opposé constitue un déni de justice naturelle devrait être accepté. Le Conseil, même si le paragra- phe 82.1(9) du Code lui ordonne d'agir «sans retard et de façon sommaire», restait tenu d'enquêter sur les faits et d'entendre les deux parties au litige avant de décider de la question en fonction de son interprétation de l'expression «danger immi nent». Le Conseil ne pouvait pas décider correctement de l'effet de la fumée sur la santé du requérant en se fondant uniquement sur la description que celui-ci a donnée de sa réaction à la fumée de tabac. Le médecin du requérant et l'allergologiste,
étant donné leur compétence et leurs connaissances particuliè- res, auraient peut-être jeté sur la question un éclairage détermi- nant. En refusant de les entendre, le Conseil a manqué à la justice naturelle à l'endroit du requérant. Un tribunal a l'obli- gation d'entendre les témoins et d'écouter leur témoignage. Lorsqu'une partie désire produire d'autres témoins, un tribunal ne peut jamais dire: «Le témoin que vous voulez citer ne peut d'aucune façon nous être utile; aussi, trancherons-nous contre vous sans l'entendre.»
Le Conseil a prétendu que, même s'il y avait eu manquement à la justice naturelle, cette Cour ne pourrait modifier sa décision puisque ce manquement se situerait au niveau de son interprétation de l'expression «danger imminent» et que cette interprétation n'est pas manifestement déraisonnable. Cet argu ment a été rejeté. La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bibeault et autres c. McCaffrey, sur laquelle s'est appuyé le Conseil, a été distinguée de l'espèce en ce que, dans cette affaire, il n'existait aucun motif permettant de soutenir que la justice naturelle n'avait pas été respectée. En l'espèce, le Conseil, pour décider si les circonstances révélaient l'existence d'un «danger imminent», devait tout d'abord enten- dre toute preuve pertinente que l'une ou l'autre partie désirait présenter et ensuite procéder à l'appréciation des faits.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bibeault et autres c. McCaffrey, [1984] 1 R.C.S. 176.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; (1986), 63 N.R. 161; Vye v. Vye, [1969] 2 All E.R. 29 (P.D.A.); Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412.
DÉCISIONS CITÉES:
Eastern Provincial Airways Limited c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 1 C.F. 732 (C.A.); Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Syndicat des camion- neurs, section locale 938 c. Massicotte et autre, [1982] 1 R.C.S. 710; Banque Nationale du Canada c. Union inter- nationale des employés de commerce et autre, [1984] 1 R.C.S. 269.
AVOCATS:
Lewis Eisen et David Keeshan pour le requérant.
Guy L. Poppe, G. Delisle et K. Edward pour Air Canada, intimée.
Dianne Pothier pour le Conseil canadien des relations du travail, intimé.
PROCUREURS:
Lewis Eisen, Toronto, pour le requérant.
Air Canada, Toronto, pour son propre
compte.
Conseil canadien des relations du travail,
Ottawa, pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Le requérant est employé par Air Canada. Il s'oppose à ce que l'on fume du tabac sur son lieu de travail parce qu'il considère que cela préjudicie à sa santé. Dans la présente demande, fondée sur l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], il sollicite l'examen et l'annulation d'une déci- sion du Conseil intimé (ale Conseil»). Cette déci- sion a confirmé la conclusion d'un agent de sécu- rité exerçant les pouvoirs qui lui sont conférés par le Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L- l ], conclusion suivant laquelle la présence de fumée de tabac dans le lieu de travail du requérant au cours de l'après-midi du 28 janvier 1985, alors qu'il était en poste, n'a pas constitué un adanger imminent» pour sa santé au sens de l'article 82.1 du Code [édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 28; mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53].
Le requérant est chef préposé d'escale à la sec tion du bagage international de l'aérogare 2 de l'aéroport international Lester B. Pearson de Toronto. Cette section comprend une grande pièce d'environ 400 pieds par 40 pieds. Dans un coin ont été aménagés une pièce destinée aux repas et deux petits bureaux. Dix grandes portes donnant sur l'aire de stationnement permettent l'entrée et la sortie des convois de bagage. La manipulation des bagages a lieu dans la grande pièce et dans une aire adjacente à l'aire de stationnement, aire dans laquelle se trouvent plusieurs structures intégrées. Le nombre moyen des personnes employées dans la section des bagages est de 120. Ces personnes forment deux équipes. Le requérant dirige une équipe de préposés d'escale, dont le nombre varie entre 28 et 40 selon que leur poste est celui de l'avant-midi ou de l'après-midi.
Pendant les heures de travail, il est permis de fumer dans la pièce des bagages et dans les
bureaux qui y sont aménagés ainsi que dans les structures extérieures. En ce qui concerne la pré- sence de fumée dans la pièce des bagages elle- même, le Conseil a conclu à la page 4 de ses motifs de décision:
[TRADUCTION] Seule une minorité (quoique importante) d'em- ployés fument dans la grande consigne. Néanmoins, en raison de leur nombre, il y a presque toujours une personne au moins qui y fume. La consigne est aérée à la fois mécaniquement et naturellement, mais on n'a pas pu établir pour le Conseil jusqu'à quel point la ventilation réussit à éliminer la fumée, l'odeur du tabac ou les divers composés qui résultent de la combustion du tabac.
L'air circulant dans le bureau d'attribution des tâches et celui du superviseur a été décrit comme étant plutôt vicié parce que les personnes qui y travaillent fument. En effet, ces bureaux ne sont à peu près pas aérés. Une semblable situation sévit d'ail- leurs dans les abris de type remorque se trouvant à l'extérieur.
Au cours des mois qui ont précédé l'incident, le requérant a tenté de convaincre son employeur d'interdire complètement à ses employés de fumer. A la page 5 de ses motifs, le Conseil a décrit de la manière suivante la réaction du requérant à la fumée:
[TRADUCTION] Le plaignant a déposé qu'il lui arrivait, de façon habituelle, d'avoir des réactions désagréables à la fumée du tabac, soit des yeux rougis, des larmoiements, des sinus douloureux et une sécrétion abondante de mucus. De plus, il quittait souvent son travail en souffrant d'un violent mal de tête. Ces malaises cessaient cependant moins d'une heure après son départ des lieux de travail enfumés. Une fois, cependant, il avait saigné du nez et avait se rendre à l'hôpital pour se faire soigner.
L'incident à la source du litige actuel est survenu le 28 janvier 1985, peu de temps après l'arrivée du requérant à son lieu de travail pour le poste de l'après-midi. Aux pages 5 et 6 de ses motifs, le Conseil décrit ce qui s'est passé à ce moment-là:
[TRADUCTION] À cette dernière date, soit un lundi, il est arrivé au travail à 13 h et a remarqué qu'il y avait une »odeur fétide de fumée de cigare» dans le bureau du superviseur. Plusieurs fois déjà, il avait songé à invoquer l'article du Code relatif au «danger imminent». En effet, il avait eu l'intention d'y recourir le vendredi précédent, mais il avait renoncé à son projet à cause du risque de ne pas pouvoir obtenir la présence immédiate des agents de sécurité. De plus, comme l'aérogare était moins occupée le lundi, il avait pensé que cette journée conviendrait davantage, son refus de travailler causant alors moins d'incon- vénients à l'employeur. Quoi qu'il en soit, le fait qu'un employé avait allumé une cigarette en sa présence, après qu'il eut constaté l'odeur de cigare, a suffi pour qu'il décide de refuser de travailler et qu'il se plaigne que la fumée de tabac consti- tuait dès lors un danger imminent pour sa santé.
L'article du Code qui traite du «danger immi nent» et sur lequel s'appuie le requérant est l'arti-
de 82.1. Celui-ci contient un ensemble de disposi tions plutôt longues et détaillées concernant le refus d'une personne d'accomplir son travail et les mesures qui doivent être prises dans de telles cir- constances. Le texte intégral de cet article est ainsi libellé:
82.1 (1) Quiconque, étant employé dans le cadre d'une entreprise fédérale, a des motifs raisonnables de croire
a) que l'utilisation ou le fonctionnement d'une machine, d'un dispositif ou d'une chose constituerait un danger imminent pour sa propre sécurité ou santé ou pour celle d'un autre employé, ou
b) qu'il existe, dans un lieu de travail, des circonstances qui constituent un danger imminent pour sa sécurité ou sa santé
peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner la machine, le dispositif ou la chose ou de travailler dans ce lieu.
(2) L'employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) doit faire immédiatement un rapport sur la question à son supérieur hiérarchique ou à son employeur ainsi que, le cas échéant, au comité d'hygiène et de sécurité duquel il relève, constitué en conformité de l'article 84.1.
(3) Dès qu'il a reçu le rapport visé au paragraphe (2), l'employeur ou le supérieur hiérarchique auquel l'employé s'est adressé doit immédiatement faire une enquête sur ce rapport, en présence de l'employé et
a) d'au moins un membre du comité d'hygiène et de sécurité auquel l'employé s'est adressé, le cas échéant, en conformité du paragraphe (2), ledit membre ne devant pas participer à la direction;
b) d'une personne autorisée par le syndicat, s'il y en a un, qui représente l'employé; ou
c) d'au moins une personne désignée par l'employé lorsqu'il n'existe pas de comité d'hygiène et de sécurité auquel il puisse s'adresser et lorsqu'il n'y a pas de syndicat qui le représente.
(4) Lorsque l'employeur ou le supérieur hiérarchique con- teste le rapport que lui fait l'employé en conformité du paragra- phe (2) ou prend des mesures pour éliminer le danger, l'em- ployé qui a des motifs raisonnables de croire
a) que l'utilisation ou le fonctionnement de la machine, du dispositif ou de la chose concernée constitue ou continue à constituer un danger imminent pour sa propre sécurité ou santé ou pour celle d'un autre employé, ou
b) qu'il existe ou continue d'exister, dans un lieu de travail, des circonstances qui constituent un danger imminent pour sa sécurité ou sa santé,
peut réitérer son refus d'utiliser ou de faire fonctionner la machine, le dispositif ou la chose ou de travailler dans ce lieu.
(5) Lorsqu'un employé réitère son refus en conformité du paragraphe (4), l'employeur ou le supérieur hiérarchique de même que l'employé doivent respectivement en aviser immédia- tement un agent de sécurité qui doit, dès la réception de l'un ou
l'autre des avis, faire, ou faire faire par un autre agent, une enquête sur la question en présence de l'employeur ou du supérieur hiérarchique et de l'employé ou de la personne qu'il a désignée.
(6) Au terme de l'enquête visée au paragraphe (5), l'agent de sécurité doit décider de l'existence ou de l'inexistence
a) d'un danger imminent pour la sécurité ou la santé des employés résultant de l'utilisation ou du fonctionnement de la machine, du dispositif ou de la chose concernée, ou
b) dans les lieux concernés, d'une situation constituant un danger imminent pour la sécurité ou la santé de l'employé visé au paragraphe (5),
et aviser immédiatement de sa décision toute personne l'ayant avisé en vertu du paragraphe (5).
(7) Lorsqu'en vertu du paragraphe (6), l'agent de sécurité décide qu'il résulte de l'utilisation ou du fonctionnement d'une machine, d'un dispositif ou d'une chose un danger imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé ou qu'il existe dans les lieux concernés une situation constituant un danger imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé, il doit donner, en vertu du paragraphe 94(1), la directive qu'il juge indiquée, et un employé peut continuer à refuser d'utiliser ou de faire fonctionner la machine, le dispositif ou la chose ou de travailler dans les lieux concernés jusqu'à ce que la directive ait été appliquée ou qu'elle ait été modifiée ou annulée en vertu du paragraphe 95(2).
(8) Lorsqu'en vertu du paragraphe (6), l'agent de sécurité décide qu'il ne résulte pas de danger imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé de l'utilisation ou du fonctionnement d'une machine, d'un dispositif ou d'une chose, ou qu'il n'y a pas dans les lieux concernés de situation constituant un danger imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé, un employé ne peut s'autoriser du présent article pour réitérer son refus d'utiliser ou de faire fonctionner la machine, le dispositif ou la chose ou de travailler dans les lieux concernés, mais il peut par écrit et dans un délai de sept jours à compter de la réception de la décision visée au paragraphe (6), exiger que l'agent de sécurité réfère sa décision au Conseil canadien des relations du travail, l'agent de sécurité étant tenu d'obtempérer.
(9) Le Conseil canadien des relations du travail procède sans retard et de façon sommaire à l'examen des faits et des motifs de la décision dont il a été saisi en vertu du paragraphe (8) et
a) le confirme; ou
b) donne à l'égard de la machine, du dispositif, de la chose ou des lieux concernés toute directive qu'il juge indiquée et que doit ou peut donner, aux termes du paragraphe 94(1), l'agent de sécurité s'il arrive à la conclusion qu'ils constituent une source de danger imminent pour la sécurité ou la santé des employés concernés.
(10) Lorsqu'il donne une directive en conformité du paragra- phe (9), le Conseil canadien des relations du travail doit faire afficher sur la machine, le dispositif, la chose ou les lieux qui constituent un danger, ou à proximité de ceux-ci, un avis du
danger, en la forme prescrite par le Ministre, et nul ne doit enlever l'avis sans l'autorisation d'un agent de sécurité ou du Conseil canadien des relations du travail.
(11) Nul ne doit effectuer ni demander que soit effectué un travail dans un lieu ou avec une machine, un dispositif ou une chose qui fait l'objet d'une directive du Conseil canadien des relations du travail en interdisant l'usage conformément au paragraphe (9) avant que cette directive n'ait été observée; le présent article n'empêche nullement l'exécution de travaux ou choses nécessaires à la mise en application de la directive.
(12) Aux fins du présent article,
a) ne constitue pas un danger imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé ou celle d'autres employés, le fait que cet employé utilise ou fasse fonctionner une machine, un disposi- tif ou une chose dans une situation ou circonstance détermi- née si cette utilisation ou ce fonctionnement est normal dans l'exercice de son métier ou l'exécution de son travail;
b) ne constitue pas un danger imminent pour la sécurité ou la santé d'un employé les circonstances déterminées qui existent dans un lieu travaille cet employé si ces circonstances sont normales dans un lieu est exercé son métier ou exécuté son travail; et
c) un danger imminent pour la sécurité et la santé d'un employé comprend des circonstances qui existent dans un lieu les niveaux de rayonnement permis par le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial ont été dépassés.
Les parties ne pouvant s'entendre, le litige a été porté devant un agent de sécurité aux fins d'en- quête conformément au paragraphe 82.1(5) du Code. L'agent de sécurité (M. Monteith) s'est rendu sur le lieu de travail l'après-midi même. Il s'est entendu avec le requérant ainsi que trois membres de l'équipe de supervision. Il a également discuté de la question avec un ingénieur en hygiène industrielle attaché à la direction de la SHT [Sécurité et hygiène au travail] à Ottawa. Il a décidé qu'aucune situation de «danger imminent» n'avait existé et en a avisé le requérant. Cette conclusion figure dans son rapport écrit du 6 février 1985:
[TRADUCTION] Suite à l'enquête tenue au sujet du refus de travailler survenu dans le cours des activités du module M de la pièce des bagages, il a été conclu qu'il n'existait aucune situa tion de danger imminent.
Peu après, le requérant, se fondant sur le para- graphe 82.1(8) du Code, a exigé que le rapport soit référé au Conseil pour qu'il procède «sans retard et de façon sommaire à l'examen des faits et des motifs de la décision» ainsi que le prévoit le para-
graphe 82.1(9). Des arrangements ont bientôt été pris pour que les parties soient entendues à Toronto, et l'audience y a été tenue le 6 mars 1985. Les motifs de la décision du Conseil confir- mant celle de l'agent de sécurité portent la date du 14 mars 1985. Le Conseil, après avoir cité certaines de ses propres décisions a, à la page 8 de ses motifs, dit ce qui suit sur la signification qui doit être donnée à l'expression «danger imminent»:
[TRADUCTION] Pour simplifier, on peut dire d'une personne qu'elle est dans une situation de danger imminent lorsqu'elle est sur le point d'être réellement et immédiatement blessée et qu'elle doit quitter les lieux pour éviter de l'être. Hormis les cas des limites d'exposition sont établies, l'intention du législa- teur n'était pas de permettre l'application de ces dispositions législatives à une étape quelconque d'un long processus de rassemblement de conditions et de circonstances qui, à partir d'un certain point, pourrait en effet constituer un réel danger pour la sécurité et la santé. Les dispositions du Code concer- nant le danger imminent visent à protéger les employés qui, dans l'immédiat, sont convaincus que le toit va s'écrouler et qu'ils doivent, pour leur salut, se retirer sur-le-champ. Mais elles ne constituent pas et n'ont jamais constitué un recours pour les personnes qui craignent la présence dans leur environ- nement de travail de quelque chose qui ne fait pas l'objet de limites d'exposition déterminées, mais dont les effets pourraient être susceptibles, à long terme et de façon cumulative, de nuire à leur santé.
Appliquant ce critère aux faits sur lesquels il devait se prononcer, le Conseil a conclu aux pages 9 et 10 de ses motifs:
[TRADUCTION] Le 28 janvier 1985, le plaignant ne s'est pas trouvé dans une situation de danger imminent, selon la défini- tion et l'interprétation données traditionnellement à ce dernier terme. Il était certainement ennuyé par la fumée et justement préoccupé par les effets à long terme de celle-ci sur sa santé, mais il ne se trouvait pas dans une situation de danger immi nent au sens du Code, comme le démontre d'ailleurs le fait qu'il ait attendu très longtemps avant d'invoquer les dispositions en question d'un danger imminent, puisqu'il a reporté son projet du vendredi au lundi suivant, afin de réduire les inconvénients qu'il causerait à l'employeur. De plus, il invoquait ces disposi tions du Code à titre de dernier recours, ses autres moyens d'action ayant échoué. Mais, en fait, l'exercice du droit de refuser de travailler ne saurait constituer un dernier recours, malgré la publicité qu'obtient dès lors une plainte. M. Tim- pauer avait été en rapport avec Travail Canada pendant plu- sieurs mois, et plus particulièrement, avec M. Monteith. Son insatisfaction à l'égard des résultats obtenus aurait pu être portée à l'attention des supérieurs de ce dernier, au Ministère, ou même, afin que des politiques ou des programmes d'applica- tion générale soient élaborés, à l'attention du Ministre lui- même. (Nul doute d'ailleurs que cette question sera d'ici peu à l'ordre du jour des organismes chargés de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité). Voilà en quoi consiste le recours ultime qu'une personne doit utiliser en de telles circons- tances. On ne doit donc pas avoir recours aux dispositions du Code relatives au danger imminent parce qu'on en a assez, mais
parce que le toit est sur le point de s'écrouler et que la prudence exige que l'on quitte les lieux.
Le requérant conteste la décision du Conseil en se fondant sur deux motifs. En premier lieu, il allègue l'inobversation d'un principe de justice naturelle dans la tenue de l'enquête. Deuxième- ment, il prétend que le Conseil a outrepassé les limites de sa compétence de plusieurs manières. Il est également affirmé que le Conseil, en interpré- tant l'expression «danger imminent» comme il l'a fait, s'est engagé dans une enquête qui ne lui était pas confiée. Il ne fait aucun doute que les motifs présentés à l'appui de la contestation de la décision du Conseil reflètent la clause privative figurant à l'article 122 du Code [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43], qui est ainsi libellé:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure le paragraphe (1) le permet, aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des dispositions de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribunal soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil a outrepassé ou perdu sa juridiction.
L'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, pour sa part, prévoit que:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
Il ressort à l'évidence—et il est admis—qu'une décision du Conseil ne ressortit aux pouvoirs d'exa- men de cette Cour que s'il est démontré que la justice naturelle n'a pas été observée ou que le Conseil a excédé ou refusé d'exercer sa compé- tence. Sans cela, cette Cour ne peut intervenir.
Demeure donc la question de savoir si le requérant a fait valoir un fondement à l'appui du redresse- ment qu'il sollicite dans la demande en l'espèce.
COMPÉTENCE
Je traiterai tout d'abord de la question de la compétence. Selon le premier argument présenté en l'espèce, le Conseil aurait dû, pour déterminer s'il y avait «danger imminent» pour la santé du requérant, tenir compte d'éléments de preuve médicaux et scientifiques. À la page 2 de ses motifs, le Conseil a affirmé clairement qu'il consi- dérait qu'une telle preuve était—ou, si elle était admise, serait—non pertinente. Il a dit:
[TRADUCTION] Il a aussi été précisé que l'enquête porterait spécifiquement sur la plainte de M. Timpauer, selon laquelle la fumée du tabac à son lieu de travail constituait, le 28 janvier 1985, un danger imminent, et non sur une quelconque question d'ordre général, comme les droits des non-fumeurs, et ce, malgré la sympathie que ceux-ci peuvent inspirer. Les parties ont été informées alors, ainsi qu'à plusieurs autres reprises pendant l'enquête, qu'il n'était ni utile ni pertinent, en l'espèce, de présenter au Conseil les opinions contradictoires d'experts scientifiques sur les effets de la fumée indirecte du tabac sur l'organisme humain en général, ces experts connaissant proba- blement à peine le plaignant et son lieu de travail.
Il est également soutenu que le Conseil n'aurait tenir compte ni du retard mis par le requérant à invoquer les dispositions du Code prévoyant le refus de travailler ni de l'effet possible d'une déci- sion favorable au requérant sur les autres employeurs dont les relations de travail relèvent de la compétence fédérale. Finalement, il a été sou- tenu que le Conseil aurait traiter de façon générale de la question soulevée par la présence de fumée dans le lieu de travail du requérant et non limiter, comme il l'a fait, son enquête à l'effet de la fumée sur la seule santé de ce dernier. J'ai déjà cité l'opinion du Conseil sur le retard mis à invo- quer la protection du Code. Aux pages 10 et 11 de ses motifs, le Conseil énonce son point de vue sur les conséquences qu'une décision favorable au requérant risquerait d'entraîner pour les autres employeurs:
[TRADUCTION] Toutefois, d'ici là, tout recours à l'article 82.1 du Code canadien du travail ou au Conseil, dans le but d'accélérer ce mouvement, semble injustifié. Même si le point de vue défendu par M. Timpauer est manifestement fondé, socialement et médicalement, il ne l'est pas légalement, aux termes du Code canadien du travail. En fait, si le Conseil avait jugé légalement valable l'argument du plaignant, il n'aurait pas vraiment statué, mais il aurait édicté une révolution sociale,
puisqu'une ordonnance enjoignant Air Canada d'interdire l'usage du tabac sur les lieux de travail aurait vite fait de s'appliquer à tous les autres employeurs qui relèvent de la compétence fédérale en matière de relations de travail. Une telle interdiction s'imposera peut-être dans l'avenir, mais il n'incombe pas au Conseil canadien des relations [du travail] de se substituer au législateur pour décider d'un important chan- gement social; c'est en fait au gouvernement et au Parlement d'intervenir.
Je ne considère pas que le refus du Conseil d'examiner des éléments de preuve de nature médi- cale et scientifique constitue une question se rap- portant à sa compétence. Une partie de cette preuve a été admise alors que, ainsi que nous le verrons bientôt, une plus grande partie en a été refusée. Je traiterai de façon détaillée du refus d'admettre cette preuve en temps voulu. Je ne crois pas non plus que le Conseil ait commis une erreur en limitant son enquête à l'effet de la fumée sur la santé du requérant lui-même. Il me semble que l'opinion du Conseil sur ces questions a procédé de son interprétation de l'expression «danger immi nent». Les pouvoirs relatifs à sa compétence, comme tels, se trouvent énoncés au paragraphe 82.1(9) du Code. En les exerçant, le Conseil devait décider si l'agent de sécurité avait raison de con- clure que, à l'époque pertinente, il n'existait pas de «danger imminent» pour la santé du requérant. La Cour ne serait pas justifiée d'intervenir si le Con- seil avait commis une simple erreur de droit dans l'interprétation de ce terme; il devrait être démon- tré que l'interprétation en question était manifeste- ment déraisonnable (Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nou- veau Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte et autre, [1982] 1 R.C.S. 710; Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269; Bibeault et autres c. McCaffrey, [1984] 1 R.C.S. 176; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S 412).
Je suis incapable de dire que l'interprétation donnée à cette expression par le Conseil est mani- festement déraisonnable. Cette expression n'est pas définie dans la législation et ne constitue certaine-
ment pas une expression technique. Comme le Conseil possède des connaissances spécialisées, il me semble que l'on doive respecter l'interprétation qu'il a donnée à cette expression. Considérant cette interprétation, je ne puis reprocher au Conseil d'avoir écarté ou de n'avoir pas examiné la preuve médicale et scientifique se rapportant à ce qu'il a appelé «les effets à long terme» de la fumée de tabac sur la santé du requérant, ni blâmer le Conseil d'avoir restreint son enquête à l'effet de la fumée sur la santé du requérant lui-même. Dans les décisions que nous avons déjà mentionnées, la Cour suprême du Canada a fait une mise en garde contre la modification des décisions des tribunaux spécialisés d'origine législative. Cette Cour a, plus récemment, répété cet avertissement dans l'affaire Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; (1986), 63 N.R. 161. À la page 464 R.C.S.; 171 N.R., le juge en chef du Canada (exprimant l'opi- nion de la Cour) a dit ce qui suit:
Il est essentiel que les tribunaux adoptent une attitude modérée à l'égard de la modification des décisions des tribunaux admi- nistratifs spécialisés, particulièrement dans le contexte des rela tions de travail, s'ils doivent respecter les intentions et les politiques du Parlement et des assemblées législatives des pro vinces qui les ont amenés à créer ces tribunaux: voir Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] I R.C.S. 382, et Syndicat canadien de la Fonction Publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227.
Résumant le point de vue qu'il faisait valoir, l'avo- cat, s'appuyant sur les décisions antérieures, a prétendu que le Conseil avait [TRADUCTION] «le droit de se tromper». Personnellement, je considère que cette façon d'exprimer les choses est malheu- reuse et même quelque peu choquante. Je préfère- rais dire simplement qu'à moins qu'il ne soit démontré que l'interprétation donnée par le Con- seil à l'expression «danger imminent» est manifes- tement déraisonnable, celui-ci est à l'abri de l'exa- men judiciaire.
Je suis également incapable de dire que le Con- seil a excédé sa compétence en tenant compte du retard du requérant à invoquer la loi ou en parlant de l'effet que pourrait avoir une décision favorable à ce dernier sur les autres employés relevant de la compétence fédérale en matière de relations indus- trielles. Selon moi, il est évident que le Conseil est arrivé à sa conclusion indépendamment de ces
considérations et que, en conséquence, celles-ci n'étaient pas nécessaires à sa décision confirmant la décision de l'agent de sécurité. Le principe auquel je pense est celui qu'a appliqué le juge Beetz dans l'affaire Syndicat [des employés de production du Québec et de l'Acadie] (précitée). Même si, dans cette affaire, il était question d'une erreur commise sur une disposition attributive de compétence, je suis d'avis que le même raisonne- ment peut s'appliquer en l'espèce. Il a dit la page 437):
Précisons de plus qu'une erreur commise par un tribunal administratif sur une disposition attributive de compétence entraînera le plus souvent, mais non pas nécessairement, un excès de compétence ou un refus de l'exercer. Par exemple, une erreur commise à ce sujet dans un obiter dictum et qui n'aurait pas pour conséquence d'induire le tribunal administratif qui la commet à exercer un pouvoir que la loi lui refuse ou à décliner d'exercer un pouvoir que la loi lui impose ne constituerait pas une erreur juridictionnelle donnant ouverture à révision judiciaire.
LA JUSTICE NATURELLE
Le requérant a tenté d'appuyer son argument voulant que les règles de justice naturelle n'aient pas été respectées sur le fait que, à l'enquête du 6 mars 1985, on lui a refusé de citer certains témoins. Le paragraphe 4 de l'affidavit souscrit le 18 juin 1985, lequel a été versé au dossier soumis à notre appréciation, contient le nom de ces témoins et énonce la nature de la preuve qu'il avait l'inten- tion de présenter par leur entremise. Ce paragra-
phe est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 4. Lors de l'audience qui a été tenue sur cette question, mon avocat a avisé le Conseil qu'il avait l'intention de faire entendre les témoins suivants:
i) Le D' Robert Grossman, mon propre médecin, afin qu'il témoigne sur mon état de santé général et fasse connaître son opinion sur les effets de la fumée sur ma santé;
ii) Le D' Donald Wigle, de la Division des maladies non transmissibles [Bureau de l'épidémiologie], Direction générale de la protection de la santé, ministère de la Santé et du Bien-être social du Canada, pour témoigner sur le point de vue du Ministère sur la question de la fumée et faire part de l'opinion qu'il aurait transmise à Travail Canada s'il avait été consulté;
iii) Le D' James Repace, un expert en matière de ventilation et de qualité de l'air, afin qu'il témoigne que la méthode de la ventilation proposée par Air Canada relativement à ce problè- me est inefficace;
iv) un allergologiste, peut-être le D' Lawrence Rosen ou le D' Raymond Stein, afin qu'il explique quelles sont les conséquen- ces médicales de mes réactions allergiques.
À la page 7 de ses motifs, le Conseil a énoncé sa décision sur cette demande dans les termes suivants:
[TRADUCTION] L'avocat de M. Timpauer a informé le Conseil qu'il avait pris des dispositions afin de faire témoigner plusieurs experts au sujet, entre autres, des effets nocifs des divers composés résultant de la combustion du tabac, de l'inefficacité de la ventilation à éliminer ces substances de l'air ambiant, et d'autres questions relatives à l'importance de protéger les non- fumeurs contre la fumée du tabac. Il a aussi proposé de faire décrire par le médecin de famille de M. Timpauer, les effets nocifs de la fumée dont celui-ci était victime à son lieu de travail. Toutefois, le Conseil a décidé, tel qu'il l'a d'ailleurs déjà mentionné, qu'il n'était pas nécessaire pour lui d'entendre les divers experts en la matière pour statuer sur l'existence, en l'espèce, d'une situation de danger imminent au sens du Code. Le Conseil a aussi assuré l'avocat qu'il était prêt à admettre dans son entier la description faite par M. Timpauer de ses propres réactions à la fumée du tabac, afin d'éviter au médecin de se déplacer.
Un cinquième témoin expert, spécialiste des mala dies respiratoires, a été autorisé à témoigner; il semble cependant que son témoignage n'ait pas été utile au Conseil dans sa décision.
Avec déférence, je crois que cet argument est fondé. Le Conseil, même si le paragraphe 82.1(9) lui ordonne d'agir «sans retard et de façon som- maire», restait tenu d'entendre les deux parties au litige avant de rendre sa décision. La décision de ne pas entendre la preuve que le requérant désirait présenter était fondée sur l'opinion suivant laquelle «il n'était ni utile ni pertinent» de l'entendre en ce qui avait trait à la question spécifique sur laquelle devait porter la décision, question consistant à savoir s'il existait, au sens du Code, un «danger imminent» pour la santé du requérant. Comme je l'ai déjà dit, je ne puis trouver aucun motif permet- tant de modifier l'interprétation que le Conseil a donnée à ces termes.
D'autre part, le Conseil devait enquêter sur les faits avant de décider de la question en fonction de cette interprétation. Même s'il considérait non per- tinents les effets à long terme de la fumée de tabac sur la santé du requérant, le Conseil n'était pas justifié de refuser d'entendre au moins une partie de la preuve que celui-ci avait l'intention de pré- senter. Je pense à la preuve qui devait porter sur les effets plus immédiats de la fumée sur la santé du requérant. Selon l'affidavit de ce dernier, son propre médecin aurait exprimé «son opinion sur les effets de la fumée sur ma santé» et le spécialiste des allergies aurait décrit «les conséquences médi- cales de mes réactions allergiques». De plus, ainsi que le souligne le Conseil à la page 5 de ses motifs, le requérant avait témoigné que son médecin lui
avait fait subir des tests d'allergie relativement à la fumée et au tabac cru et qu'il en avait [TRADUC- TION] «conclu que son patient était en fait allergi- que aux deux». Le Conseil devait décider soit de confirmer la décision de l'agent de sécurité soit de donner une directive conformément au paragraphe 82.1(9) du Code. Il me semble qu'il ne pouvait trancher ni dans un sens ni dans l'autre avant d'avoir vérifié les faits relatifs à la question de l'existence d'un «danger imminent» pour la santé du requérant dans son lieu de travail le 28 janvier 1985.
À mon avis, le Conseil ne pouvait pas décider correctement de l'effet de la fumée sur la santé du requérant en se fondant uniquement sur la descrip tion qu'il a donnée de sa réaction à la fumée de tabac. Cette preuve n'était peut-être pas exhaus tive. Le médecin et l'allergologiste, étant donné leur compétence et leurs connaissances particuliè- res, auraient peut-être jeté sur la question un éclairage déterminant. En refusant d'entendre leurs témoignages, le Conseil a manqué à la justice naturelle à l'endroit du requérant. Le fait qu'une telle preuve n'aurait peut-être pas aidé le requé- rant ne justifiait pas le refus de l'entendre. Quant aux autres témoins, je crois qu'ils auraient témoi- gné sur des questions plus générales ne concernant pas directement l'effet de la fumée sur la santé du requérant à l'époque pertinente. Selon moi, le refus du Conseil de recevoir cette preuve ne constituait pas une erreur susceptible d'examen et d'annula- tion.
En concluant au déni de justice naturelle, je tiens compte qu'il est essentiel au caractère équita- ble de l'instruction que le tribunal saisi, avant de trancher le litige dans un sens ou dans l'autre, donne aux parties l'occasion d'appeler leurs témoins et de présenter autrement leur preuve. En l'espèce, je ferais référence à l'énoncé de principe général du juge Baker (aux motifs duquel a sous- crit le président Sir Jocelyn Simon) dans l'arrêt Vye v. Vye, [1969] 2 All E.R. 29 (P.D.A.). Cet énoncé m'apparaît pertinent même si le contexte dans lequel il se situe diffère des circonstances de l'espèce. Dans cette affaire, une femme se plai- gnait que son mari l'avait abandonnée et avait volontairement négligé de lui payer une pension alimentaire raisonnable. Les juges saisis de l'af- faire ont rejeté cette plainte sans demander au
mari de répondre et ce, bien que l'avocat de la demanderesse les ait avisés qu'il désirait, dans le cadre de sa preuve, faire témoigner la mère de l'épouse. Les juges ont considéré que les circons- tances exceptionnelles de cette affaire les autori- saient à rejeter la plainte de l'épouse, déclarant que [TRADUCTION] «selon la preuve, l'épouse n'avait pas de cause d'action» et que le témoignage de la mère [TRADUCTION] «ne pouvait d'aucune façon aider le tribunal». En renvoyant l'affaire pour qu'il en soit jugé régulièrement, le juge Baker s'est exprimé comme suit (aux pages 30 et 31):
[TRADUCTION] Je crois que les juges ont complètement fait fausse route en décidant que, dans des circonstances très excep- tionnelles, ils pouvaient rejeter la plainte sans entendre toute la preuve de l'épouse. Dans la pratique, je n'ai jamais entendu dire qu'un tel argument avait été soulevé; je ne crois pas non plus que les juges soient jamais justifiés de souscrire à un tel argument ou de décider qu'il n'y a pas lieu d'entendre des dépositions parce qu'il n'y a pas cause d'action—que cette décision se fonde sur un motif de droit ou sur tout autre motif—avant que tous les témoins aient été appelés. Le tribunal a l'obligation d'entendre les témoins appelés par le plaignant, le requérant, le demandeur ou autres; il doit écouter ces témoi- gnages. Evidemment, un tribunal d'expérience peut indiquer, dans un cas particulier, qu'il ne semble pas probable que la preuve dans son ensemble suffise à établir le bien-fondé d'une plainte ou d'une défense; l'avocat du demandeur ou du défen- deur, selon le cas, peut alors, s'il est du même avis, décider que continuer serait une perte de temps et y renoncer. Je crois toutefois qu'une cour ne devrait agir ainsi que lorsqu'elle est convaincue que l'avocat sera du même avis; cela arrive rare- ment. La situation est cependant tout autre lorsqu'une partie désire produire d'autres témoins; dans de telles circonstances, je ne crois pas qu'un tribunal puisse jamais, en fait, dire: «Le témoin que vous voulez citer ne peut d'aucune façon nous être utile; aussi, trancherons-nous contre vous sans l'entendre.» La question suivante constitue dans une telle situation un critère approprié: «Un tribunal serait-il justifié de rejeter une poursuite au stade de l'exposé des prétentions?» L'avocat du mari, qui a présenté l'argument en question aux juges, a reconnu devant nous que cette façon de procéder serait irrégulière. Et quoi d'autre s'est-il donc passé? Les juges n'avaient pas entendu le témoignage de la mère de l'épouse bien qu'ils aient pu entendre un exposé des prétentions qui en faisait mention. En fait, on nous a dit qu'il n'avait pas été demandé à l'avocat représentant alors l'épouse d'indiquer le contenu du témoignage de la mère. À mon avis, cela importe peu. Dès lors que l'épouse ou son avocat désirait faire entendre la mère de celle-ci, la cour avait l'obligation de l'entendre. [C'est moi qui souligne.]
Voir également Halsbury's Laws of England, 4e éd., Vol. 1, paragraphe 76, note de bas de page 31, à la page 94; Wade, Administrative Law (5 e éd.) 1982, la page 483; Eastern Provincial Airways Limited c. Conseil canadien des relations du tra vail, [1984] 1 C.F. 732 (C.A.), décision du juge Mahoney, à la page 752.
Avant d'en terminer avec cette question, j'aime- rais également traiter d'un point soulevé par l'avo- cate du Conseil. Selon elle, cet aspect de la ques tion ne relève que de l'interprétation des lois et n'implique aucun déni de justice naturelle comme tel. Essentiellement, on allègue que, y aurait-il eu manquement à la justice naturelle, cette Cour ne pourrait modifier la décision du Conseil puisque ce manquement se situerait au niveau de l'interpréta- tion, par ce dernier, de l'expression «danger immi nent», interprétation qui n'est pas manifestement déraisonnable. À l'appui de cette proposition, on renvoie à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bibeault (précitée). À mon avis, cette affaire est entièrement différente de l'espèce. En effet, divers employés demandaient d'être considérés comme «partie intéressée» au sens de l'article 32 du Code du travail du Québec [S.R.Q. 1977, chap. C-27]. Les commissaires à l'appréciation desquels ces questions ont été soumi- ses ont décidé qu'aucun de ces employés n'était visé par cette loi, et le Tribunal du travail a confirmé ces décisions. En ce qui concerne cet aspect de l'affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que les décisions des commissaires et du Tribunal du travail ne devaient pas être modifiées puisqu'elles n'étaient pas manifestement déraison- nables. Il n'existait donc aucun motif permettant de soutenir que la justice naturelle n'avait pas été respectée. Ainsi qu'a déclaré le juge Lamer au nom de la Cour à la page 191:
Comme je l'ai déjà mentionné précédemment, plaider une contravention à la règle audi alteram partem postule en l'es- pèce une interprétation manifestement déraisonnable de l'art. 32 C.T.
En l'espèce, toutefois, bien que l'interprétation donnée par le Conseil ne puisse, à mon avis, être modifiée, celui-ci avait cependant encore à décider si les circonstances révélaient l'existence d'un «danger imminent» pour la santé du requérant. Pour ce faire, il devait, tout d'abord, entendre toute preuve pertinente que l'une ou l'autre partie désirait présenter et, ensuite, procéder à l'appré- ciation des faits. Après cela seulement pouvait-il, sur le fondement de son interprétation du Code, juger du fond de la question.
DÉCISION
J'accueillerais donc cette demande, j'annulerais la décision du Conseil en date du 14 mars 1985 et
je renverrais la question devant le Conseil pour qu'il l'examine à nouveau en tenant pour acquis qu'il devra, avant de mettre fin à son enquête, donner au requérant la possibilité de présenter une preuve d'expert: a) au sujet de l'état de santé du requérant et, tout particulièrement, des effets de la fumée sur sa santé; et b) au sujet des conséquences médicales de la réaction allergique du requérant à la fumée.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.