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A-1471-83
Canadien Pacifique Limitée (appelante)
c.
Commission canadienne des transports (intimée)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Heald et Mahoney—Toronto, 5 décembre; Ottawa, 18 décembre 1984.
Contrôle judiciaire Appels prévus par la loi Chemins de fer Démolition d'un bâtiment qui servait auparavant de gare sans l'autorisation de la Commission canadienne des transports Dans sa décision, la Commission confirme sa compétence en matière de «déplacement», accorde la permis sion demandée et demande au Procureur général du Canada d'entamer, devant les tribunaux criminels, des poursuites contre l'appelante pour avoir enfreint la Loi sur les chemins de fer en démolissant la gare L'appelante a été condamnée aux dépens Appel intenté en vertu de l'art. 64(2) de la Loi nationale sur les transports sur la «question mixte de faits et de droit» consistant à déterminer si la Commission a fait erreur en concluant qu'il fallait au préalable obtenir l'autori- sation de démolir Se pose également une question acces- soire, soit celle de savoir si le bâtiment était une «gare» au sens des art. 119 et 120 de la Loi sur les chemins de fer Les poursuites intentées devant les tribunaux criminels ont été suspendues en attendant le résultat du présent appel La Cour refuse de répondre aux questions puisqu'elles ont toutes été soumises à un tribunal de juridiction criminelle La décision de cette cour ne lie pas le tribunal de juridiction criminelle et ne constitue pas chose jugée Le fait de contester la décision de l'autorité compétente d'intenter des poursuites n'est qu'une façon détournée de demander si la personne accusée est coupable C'est au tribunal de juridic- tion criminelle qu'il appartient de trancher cette question Les tribunaux civils ne devraient pas connaître des demandes d'examen judiciaire ou des appels de décisions autorisant les poursuites et ce, même s'ils ont compétence pour le faire La possibilité de poursuites concomitantes devant les tribunaux civils et criminels est évidente et doit être évitée Une décision favorable à l'appelante en l'espèce n'entraînerait pas nécessairement l'abandon des poursuites puisqu'elle ne lierait ni le Procureur général ni La Reine Cette décision aurait au mieux valeur d'opinion La Commission n'a pas demandé l'opinion contraignante qu'elle aurait pu obtenir en vertu de l'art. 55 de la Loi nationale sur les transports La décision de la Commission quant aux dépens n'est pas modifiée, mais on rappelle à la Commission qu'elle doit exercer de façon
judiciaire son pouvoir en la matière Conformément à la Loi nationale sur les transports, la Cour émet l'opinion certifiée que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit ou outrepassé sa compétence en demandant que des, poursuites soient intentées et en accordant l'autorisation de le faire La Cour ne donne aucune opinion certifiée sur les hypothèses ou conclusions de droit ou mixtes de faits et de droit sous-ten- dant la décision de présenter la demande ou d'accorder l'auto- risation Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, art. 48 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 18(2)), 55 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65), 64(2),(5)
(mod. idem), 73 Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art. 119(1),(2),(3), 120, 395, 399(3),(4) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1312.
AVOCATS:
D. S. Maxwell, c.r. et Katharine F. Braid pour l'appelante.
Wendy E. Burnham pour l'intimée.
D. B. Leibson pour la Corporation de la cité de Toronto.
C. W. Lewis, c.r. pour John C. Turner. William H. Roberts pour West Toronto Junc tion Historical Society.
Janet E. Minor pour Ontario Heritage Foun dation, Architectural Conservancy of Ontario et Ontario Historical Society.
PROCUREURS:
Contentieux, Canadien Pacifique, Montréal, pour l'appelante.
Contentieux, Commission canadienne des transports, Hull (Québec), pour l'intimée. Contentieux, Corporation de la cité de Toronto, Toronto, pour la Corporation de la cité de Toronto.
Miller, Thompson, Sedgewick, Lewis & Healy, Toronto, pour John C. Turner. William H. Roberts, Toronto, pour West Toronto Junction Historical Society. Ministère du procureur général, Toronto, pour Ontario Heritage Foundation, Architec tural Conservancy of Ontario et Ontario His torical Society.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il s'agit en l'espèce d'un appel autorisé en vertu du paragraphe 64(2) de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17 [mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 65], portant sur des questions de droit et de compétence. Avant octobre 1979, l'ap- pelante, ci-après «CP», utilisait le bâtiment connu sous le nom de West Toronto Station (gare de Toronto-Ouest) comme gare de chemin de fer au sens habituel de cette expression. Par la suite, les trains de passagers circulant entre Toronto et Sud- bury ont emprunté les lignes du Canadien Natio nal et la gare a été «fermée et condamnée, et est demeurée inoccupée depuis lors». Le 25 novembre
1982, CP a fait démolir la gare sans obtenir au préalable le consentement de l'intimée, ci-après «la Commission». La Commission, en vertu des pou- voirs conférés par l'article 48 de la Loi nationale sur les transports [mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 18(2)1, a tenu une audition afin d'examiner:
[TRADUCTION] 1. La requête présentée par CP le 21 octobre 1981 en vertu des articles 120 et 129 de la Loi sur les chemins de fer, demandant de déplacer la gare de Toronto-Ouest;
2. Le retrait de cette demande par CP le 23 novembre 1982 par voie de télex; et
3. La compétence de la Commission concernant le déplacement de la gare.
Au terme de l'audition, la Commission a décidé que cette question du déplacement de la gare relevait de sa compétence et elle a rendu l'ordon- nance suivante:
Nous avons de bonnes raisons de croire que Canadien Pacifi- que et un certain nombre de personnes qui agissaient en son nom ou qui étaient à son service ont convenu et ordonné que la gare de Toronto-Ouest soit démolie sans avoir d'abord obtenu l'autorisation ou l'exemption nécessaire du Comité des trans ports par chemin de fer, ce qui constitue un acte contraire à la Loi sur les chemins de fer, donc une violation de cette loi. En conséquence, nous demandons au Procureur général du Canada d'entamer et de poursuivre les procédures, au nom de Sa Majesté, contre Canadien Pacifique (et ses directeurs, cadres, employés, agents et entrepreneurs qui peuvent être reconnus coupables d'avoir planifié cette violation de la Loi sur les chemins de fer, d'y avoir participé ou de l'avoir autorisée) pour l'imposition et le recouvrement d'une ou de plusieurs amendes prévues par la Loi sur les chemins de fer. Étant donné que la permission de la Commission est requise pour intenter les poursuites décrites ci-dessus, cette permission est accordée par les présentes.
Cette ordonnance a été rendue le 28 avril 1983.
Bien que cela n'apparaisse pas au dossier, l'avo- cat de CP a informé la Cour à l'audition que des accusations avaient été portées par la suite à Montréal, mais que les poursuites avaient été sus- pendues en attendant le résultat du présent appel. La Commission avait également condamné CP à payer certains frais mais avait ensuite suspendu son ordonnance à ce sujet en attendant l'issue du présent appel.
La Commission tire de l'article 73 de la Loi nationale sur les transports son pouvoir d'accorder des frais. Ce sont les paragraphes 399(3) et (4) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, qui doivent être lus en corrélation avec l'arti- cle 395, qui confèrent à la Commission le pouvoir de rendre les autres points de son ordonnance.
395. Toute personne qui, étant administrateur ou fonction- naire d'une compagnie, ou agissant comme séquestre, fidu- ciaire, locataire, agent ou à d'autre titre pour la compagnie ou étant à son emploi, ou étant un entrepreneur ou un particulier ayant des travaux à exécuter ou des services à rendre relative- ment au chemin de fer ou aux autres ouvrages de la compagnie, de même que toute compagnie, qui commet, fait commettre ou permet de commettre une chose ou un acte contraire à la présente loi ou à la loi spéciale, aux ordonnances, règlements ou instructions du gouverneur en conseil, du Ministre ou de la Commission, rendus ou donnés sous l'autorité de la présente loi, ou qui omet d'accomplir une chose ou un acte dont l'exécution est ainsi requise de la part de cette compagnie ou personne, est passible, si aucune autre peine n'est prévue par la présente loi ou par la loi spéciale, pour chaque contravention, d'une amende de vingt dollars au minimum et de cinq mille dollars au maximum, à la discrétion de la cour devant laquelle cette amende est recouvrable.
399... .
(3) Chaque fois que la Commission a juste motif de croire qu'une compagnie ou une personne ou une corporation commet ou a commis une infraction aux dispositions de la présente loi ou à une ordonnance, à une règle ou à un règlement de la Commission, pour laquelle une peine peut être infligée en vertu de la présente loi, la Commission peut demander au procureur général du Canada d'intenter et d'exercer des poursuites judi- ciaires, au nom de Sa Majesté, contre cette compagnie, cette personne ou cette corporation, en vue d'obtenir l'imposition de la peine et le recouvrement de l'amende prévue par la présente loi pour cette infraction, ou la Commission peut faire déposer une dénonciation au nom du procureur général du Canada en vue d'obtenir l'imposition de cette peine et le recouvrement de cette amende.
(4) Nulle poursuite pour faire appliquer une peine décrétée par la présente loi, dont le résultat pourrait être l'imposition d'une amende de plus de cent dollars, ne peut être intentée contre la compagnie sans l'autorisation préalable de la Commission.
Les parties et les intervenants ont débattu, dans le cadre du présent appel, de la question essentielle de savoir si la Commission avait commis une erreur de droit en décidant qu'il aurait fallu obte- nir son autorisation préalable avant de démolir le bâtiment. Pour y répondre il faut déterminer d'abord si le bâtiment était, immédiatement avant sa démolition, une «gare» visée par l'article 119 ou par l'article 120 de la Loi sur les chemins de fer ou encore par les deux. Cette dernière question a été présentée à la Cour comme étant une question mixte de fait et de droit. La Commission a conclu que le bâtiment était une gare à l'époque perti- nente et, bien qu'admettant le bien-fondé de l'ar- gument de CP suivant lequel l'article 120 ne l'obli- geait pas à obtenir l'autorisation de la Commission avant la démolition, cette dernière a jugé que les paragraphes 119(1), (2) et (3) l'exigeaient.
119. (1) Si la compagnie veut opérer quelque déviation, changement ou modification dans le chemin de fer tel qu'il est déjà construit ou simplement tracé et sanctionné, ou dans quelque partie de ce chemin de fer, un plan, un profil et un livre de renvoi pour la partie du chemin de fer à changer, indiquant la déviation, le changement ou la modification qu'il est question d'opérer, doivent, de la manière prescrite ci-dessus par rapport au plan, au profil et au livre de renvoi originaux, être soumis à l'approbation de la Commission qui peut les sanctionner.
(2) Une fois ainsi sanctionnés, les plan, profil et livre de renvoi de la partie de ce chemin de fer qu'il s'agit de changer doivent être déposés et traités ainsi qu'il est prescrit ci-dessus par rapport à ces plan, profil et livre de renvoi originaux.
(3) La compagnie peut dès lors opérer cette déviation, ce changement ou cette modification, et la présente loi s'applique à la partie de ladite ligne de chemin de fer ainsi changée ou qu'il est question de changer à quelque époque que ce soit, de la même manière qu'à la ligne tracée en premier lieu.
120. La compagnie ne doit à aucune époque opérer de changement, de modification ou de déviation dans le chemin de fer ou dans une partie du chemin de fer, avant d'avoir rempli toutes les formalités que prescrit l'article 119, ni déplacer, fermer ou abandonner, sans la permission de la Commission, une gare ou station, ou point de division, ou créer un nouveau point de division qui entraînerait le déplacement des employés; et, lorsqu'il est opéré un tel changement, la compagnie doit indemniser ses employés dans la mesure que la Commission juge convenable pour les pertes financières qu'ils subissent par le changement de résidence ainsi occasionné.
En appel, le CP a soutenu d'une part que la Commission avait fait erreur en concluant que le bâtiment était une gare et que l'article 119 exi- geait son consentement, mais d'autre part que sa conclusion suivant laquelle l'article 120 ne l'exi- geait pas était bien fondée. L'avocat de la Com mission a prétendu que cette dernière n'avait commis aucune erreur. Les intervenants, à l'excep- tion de Turner, ont soutenu que la Commission avait à bon droit conclu que le bâtiment était une gare et que même si elle avait fait erreur en appliquant l'article 119, elle s'était également trompée en n'appliquant pas l'article 120, c'est-à- dire que, selon eux, la Commission avait rendu la bonne décision mais en s'appuyant peut-être sur un mauvais motif. Je n'ai pas compris l'argumenta- tion présentée par l'intervenant Turner et je demeure perplexe; ce dernier appuyait toutefois la décision finale de la Commission.
À mon avis, moins cette Cour en dira sur les questions soulevées par le présent appel mieux ce sera. En effet, toutes ces questions ont été soumises à un tribunal de juridiction criminelle qui devra examiner les questions ainsi qu'un certain nombre
d'autres questions avant de se prononcer sur l'ac- cusation ou les accusations portées. Aucune déci- sion de cette Cour ne pourrait lier ce tribunal ou constituer chose jugée. Une fois les poursuites entamées, CP, même avec le concours manifeste de la Commission et des intervenants, ne devrait pas être autorisé à contester devant cette Cour certai- nes conclusions de droit ou mixtes de fait et de droit qu'a nécessairement prononcées la Commis sion avant d'en arriver à sa décision de demander et d'autoriser des poursuites judiciaires.
Les textes de loi, tant fédéraux que provinciaux, abondent d'exemples de cas il faut obtenir la permission d'une autorité compétente avant de pouvoir intenter des poursuites judiciaires. Je ne vois aucune différence sur le plan qualitatif entre la décision d'accorder une telle autorisation et la décision de demander que des poursuites soient intentées ou même la décision de la Commission, si cette dernière avait choisi cette voie, de déposer elle-même les dénonciations. Toutes ces décisions font corps avec la décision que doit prendre toute autorité chargée de faire respecter les lois et ayant le pouvoir d'intenter des poursuites en cas de con travention. Le fait de demander si l'autorité com- pétente a fait erreur ou non en décidant d'intenter des poursuites n'est qu'une façon détournée de demander si la personne accusée est coupable ou non de l'infraction reprochée. C'est au tribunal de juridiction criminelle qu'il appartient de trancher cette question. Un tribunal civil ne devrait pas connaître de demandes d'examen judiciaire ou d'appels de décisions autorisant des poursuites judiciaires même si, au sens stricte du terme, il a compétence pour le faire. Au mieux, cela ne peut que gêner le travail du tribunal de juridiction criminelle saisi de l'affaire. La possibilité de pour- suites parallèles devant les tribunaux civils et les tribunaux criminels est évidente et doit être évitée.
On peut prétendre qu'une décision favorable au CP en l'espèce entraînerait l'abandon des poursui- tes. C'est possible mais ce n'est pas certain, car ni le procureur général, qui a intenté les poursuites, ni Sa Majesté, au nom de qui elles ont été inten- tées, ne seraient liées par cette décision. Une déci- sion de cette Cour aurait, au mieux, valeur d'opi- nion, sans pour autant lier l'autorité à laquelle a été confiée la responsabilité de la poursuite. Si la Commission avait voulu obtenir une opinion qui
l'aurait liée, elle aurait pu avoir recours à la procédure prévue à l'article 55 de la Loi nationale sur les transports [mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 65] avant que la responsabi- lité des poursuites ne change de mains.
Il n'est pas spécifiquement fait appel de l'adjudi- cation des frais. Je me demande si la Commission ne songeait pas à une mesure punitive lorsqu'elle a exercé sa discrétion; toutefois, après réflexion, j'es- time qu'il est préférable de ne pas modifier sa conclusion quant aux frais. Je signalerai cependant que la Commission doit exercer de façon judiciaire son pouvoir d'adjudication des frais. Les consé- quences de ce principe font l'objet d'une abondante jurisprudence que la Commission pourrait trouver instructive.
Quant aux dépens afférents au présent appel, la Règle 1312 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] applicable en l'espèce prévoit qu'il n'y aura pas de dépens entre parties en l'absence de raisons spéciales. L'espèce n'en laisse voir aucune.
Conformément au paragraphe 64(5) de la Loi nationale sur les transports [mod. par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 65], je transmet- trais à la Commission l'opinion certifiée de la Cour selon laquelle elle n'a pas commis d'erreur de droit ni outrepassé sa compétence en demandant au procureur général du Canada d'intenter des pour- suites et en-accordant l'autorisation de les intenter dans sa décision du 28 avril 1983. Toutefois, je ne donnerais aucune opinion sur les hypothèses ou conclusions de droit ou mixtes de droit et de fait sous-tendant la décision de présenter la demande ou d'accorder l'autorisation.
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux présents motifs.
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