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T-514-84
Leslie Blake Danielson (requérant)
c.
Ludvik Gordan Sterba, J. F. Denis Cousine au
(intimés)
Division de première instance, juge Rouleau— Vancouver, 21 septembre; Ottawa, 22 novembre 1984.
Juges et tribunaux Juge de la Cour fédérale Celui-ci a accueilli la demande par laquelle le Ministre cherchait à obtenir un mandat de main-forte prévu à la Loi sur les stupéfiants Le mandat porte la signature d'un fonctionnaire du greffe Le juge a-t-il délégué son pouvoir de délivrer des mandats? A-t-il rempli une fonction judiciaire ou une fonction administrative à titre de persona designata? La Loi n'exige pas que le mandat soit signé La signature du fonctionnaire n'a qu'une fonction d'authentification Doc trine »omnia praesumuntur» invoquée Il n'y a pas lieu d'accorder un certiorari contre le fonctionnaire ni contre le juge Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10(1)a),(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 64(2)) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 2.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions et saisies Le mandat a été délivré avant l'adoption de la Charte et l'acte reproché s'est produit après son entrée en vigueur Il est souhaitable, dans une société libre et démocratique, que des mandats de main-forte soient délivrés conformément à la Loi sur les stupéfiants L'art. 10(1)a) de la Loi n'est pas inconstitutionnel mais il peut être déclaré inopérant dans certaines circonstances (R. v. Rao et R. v. Hamill) Le caractère raisonnable d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie doit être déterminé cas par cas, qu'elles aient ou non été autorisées par la loi Pour que l'entrée dans des lieux effectuée en vertu de l'art. 10(1)a) soit justifiée, il faut qu'il y ait des motifs raisonnables de croire que des stupéfiants s'y trouvent, qu'une infraction ait été commise, et que la perquisi- tion soit effectuée d'une manière raisonnable Distinction faite avec l'arrêt Southam Les restrictions apportées aux droits des particuliers se justifient par la nécessité qu'on exerce, dans l'intérêt public, un contrôle sur les stupéfiants Il est possible de procéder à un contrôle judiciaire une fois que les événements ont eu lieu Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 8, 24(2) Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10(1)a),(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)).
Stupéfiants Mandat de main-forte délivré par un juge conformément à l'art. 10(3) de la Loi Mandat délivré avant que la Charte soit adoptée Les actes reprochés ont eu lieu après son entrée en vigueur Il est souhaitable, dans une société libre et démocratique, de délivrer de tels mandats Il faut déterminer dans chaque cas si une fouille, une perquisi- tion ou une saisie a un caractère raisonnable Demande de certiorari rejetée Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap.
N-1, art. 10(1)a),(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 64(2)) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 8, 24(2).
Pratique Actes de procédure émanant d'un tribunal Mandats de main-forte Le greffier n'a pas excédé sa compétence en signant le mandat et il n'y pas lieu d'accorder un certiorari La fonction du greffier consistait à authenti- fier le mandat délivré conformément à l'autorisation du juge qui tire ses pouvoirs du texte de la Loi.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Stupéfiants Certiorari La délivrance d'un mandat de main-forte par un juge de la Cour fédérale est une fonction judiciaire et non une fonction administrative, et le juge n'agit pas à titre de persona designata Le certiorari ne s'applique pas aux juges de la Cour fédérale Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (1• Supp.), chap. 10, art. 2.
Un agent de police est entré et a perquisitionné dans une maison d'habitation en vertu d'un mandat de main-forte. Ledit mandat avait été délivré par cette Cour à la suite d'une demande à cet effet présentée par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social conformément au paragraphe 10(3) de la Loi sur les stupéfiants. Le juge a accueilli la demande en écrivant sur celle-ci: [TRADUCTION] «Mandats délivrés conformément à la demande.», et il l'a signée. Le mandat utilisé en l'espèce a été délivré conformément à cette directive et il a été signé par un fonctionnaire du greffe.
La présente demande vise à obtenir un bref de certiorari afin d'annuler le mandat de main-forte.
La compétence de la Cour à connaître de la présente demande ne fait pas l'objet du litige. Le requérant allègue toutefois que le mandat, signé par le greffier, est nul parce qu'un juge ne peut déléguer son pouvoir de délivrer des man- dats à moins qu'il n'existe des dispositions législatives l'autori- sant à le faire. Un autre des points en litige consiste à détermi- ner si une demande de certiorari est le recours approprié en l'espèce. Cela dépend de la question de savoir si le juge exerçait une fonction judiciaire ou s'il agissait à titre de persona desi- gnata, c'est-à-dire s'il exerçait une fonction administrative.
Le requérant a aussi soulevé la question de savoir si, compte tenu en particulier de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Southam, la délivrance de mandats de main-forte et les perquisitions sans mandat effectuées en vertu de ceux-ci contre- viennent au droit à la protection contre les fouilles, les perquisi- tions et les saisies abusives, garanti par l'article 8 de la Charte.
Arrêt: la demande est rejetée.
En apposant sa signature sur le document officiel, le greffier n'a pas excédé sa compétence et il ne peut faire l'ojet d'un certiorari: sa fonction consiste à authentifier des documents; le mandat est délivré conformément à l'autorisation d'un juge habilité à ce faire par la Loi. On ne trouve nulle part dans la Loi l'obligation qu'une signature apparaisse sur le mandat de main-forte.
Lorsqu'un juge de la Cour fédérale délivre un tel mandat, il exerce une fonction judiciaire et il ne peut faire l'objet d'un certiorari. Même s'il y a peu de place pour l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, cela ne veut pas dire que le juge exerce
une fonction administrative. Il n'agit pas non plus à titre de persona designata étant donné que la Loi ne contient aucune disposition à cet effet.
Bien qu'il ait admis que la décision rendue dans Southam a créé un problème parce qu'elle a reconnu le droit du public d'être protégé en vertu de l'article 8 de la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, l'avocat de la Couronne a soutenu que ledit arrêt Southam n'exclut pas la possibilité de suspendre une autorisation préalable lorsqu'il est impossible de l'obtenir. Dans l'arrêt Southam, il n'a pas été nécessaire pour la Cour suprême du Canada de mettre en balance l'article 8 de la Charte et les exigences d'une société libre et démocratique prévues à l'article I. Il était loisible aux tribunaux de conclure que, dans certaines circonstances, les droits de la société ont préséance sur les droits des individus. La suppression des mandats de main-forte rendrait très difficile le travail du personnel chargé de l'application de la loi dans sa lutte contre le commerce illicite des drogues. L'affaire R. v. Rao ne peut être considérée comme établissant le principe que les mandats de main-forte contreviennent à la Charte. Le juge Martin n'aurait pas statué que l'admission des éléments de preuve aurait discrédité l'administration de la justice simple- ment parce qu'ils avaient été obtenus au cours d'une perquisi- tion sans mandat. Il les a plutôt exclus parce que la «violation flagrante» des droits constitutionnels constituait un «abus de pouvoir grossier».
Les perquisitions sans mandat étaient inhabituelles mais on devait y avoir recours dans les affaires de stupéfiants en raison des sommes d'argent importantes en jeu, de la mobilité des auteurs des infractions, des problèmes sociaux créés et de l'inquiétude du public.
Dans l'affaire R. v. Hamill, le juge Esson a statué que, même si l'entrée dans des lieux sous l'autorité d'un mandat de main- forte était légale, elle devait être raisonnable pour être con- forme à l'article 8 de la Charte. Mais même si la perquisition était illégale ou abusive, cela ne voulait pas dire qu'il fallait écarter les éléments de preuve recueillis. La plupart du temps, la réparation appropriée en vertu de l'article 24(1) de la Charte ne consisterait pas à exclure les éléments de preuve. L'exclusion des éléments de preuve ne serait appropriée que si leur admis sion serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
L'entrée dans des lieux effectuée en vertu de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants doit être faite avec des motifs raisonnables de croire qu'il se trouve un stupéfiant dans ces lieux et qu'une infraction à la Loi a été commise. De plus, la perquisition doit être effectuée d'une manière raisonnable.
Il fallait établir une distinction avec l'arrêt Southam parce que dans cette affaire, l'autorisation d'effectuer des perquisi- tions prévue dans la Loi créait un conflit d'intérêts et n'accor- dait pas une protection suffisante au public. Le juge Dickson a conclu que la personne autorisant le mandat en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions n'agissait pas de façon judiciaire. Ladite Loi ne contenait même pas d'exigences quant au caractère raisonnable.
Pour ce qui est des mandats de main-forte délivrés au cours d'enquêtes sur les stupéfiants, les tribunaux assurent la protec tion adéquate du public après coup. Le juge de première instance est une tierce personne objective, agissant de façon judiciaire, qui examinera minutieusement ce qui s'est passé.
L'empiètement sur les droits prévus à l'article 8 de la Charte se justifie par l'article I .
Comme l'a suggéré le juge La Forest dans un article paru dans la Revue du Barreau canadien, il ne faut pas suivre aveuglément les décisions rendues par les tribunaux américains ni les conventions internationales. La Charte oblige les tribu- naux à porter un jugement de valeur sur les lois même si leur libellé est clair, mais pour ce faire, ils doivent se laisser guider par les besoins ressentis dans notre société et par ses traditions. La société canadienne est prête à accepter les restrictions que la présente ordonnance impose aux droits prévus à la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 37 C.R. (3d) 97; R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.), confirmé par [1984] 2 R.C.S. ix; Re Soenen and Thomas et al. (1983), 3 D.L.R. (4th) 658 (B.R. Alb.); Basile v. Attor- ney -General of Nova Scotia (1983), 148 D.L.R. (3d) 382 (C.S.N.-E.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
United Assn. of Journeymen and Apprentices of Plumb ing and Pipe Fitting Industry of U.S. and Can., Local 488 v. Bd. of Industrial Relations, [1975] 2 W.W.R. 470 (C.A. Alb.); Affaire intéressant les mandats de main- forte (1975), 34 C.C.C. (2d) 62 (C.F. 1fe inst.); Herman et autres c. Sous-procureur général du Canada, [ 1979] I R.C.S. 729; 91 D.L.R. (3d) 3; Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518; 139 D.L.R. (3d) I; R. v. Hamill, [1984] 6 W.W.R. 530; 41 C.R. (3d) 123 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Carriere (1983), 32 C.R. (3d) 117 (C.P. Ont.); R. v. Cuff (1983), 34 C.R. (3d) 344 (C. cté C.-B.).
AVOCATS:
M. L. Moore pour le requérant.
Ingrid C. Hutton, c.r. pour les intimés.
PROCUREURS:
Woolliams, Korman, Moore & Wittman, Cal- gary, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La présente demande vise l'annulation d'un mandat de main-forte délivré par cette Cour le 22 mai 1975, à la suite d'une demande à cet effet présentée par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social conformé- ment au paragraphe 10(3) de la Loi sur les stupé- fiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, modifiée.
Il est utile à ce stade-ci de citer l'alinéa 10(1)a) et le paragraphe 10(3) [mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)] de la Loi sur les stupéfiants:
10. (1) Un agent de la paix peut, à toute époque,
a) sans mandat, entrer et perquisitionner dans tout endroit autre qu'une maison d'habitation, et, sous l'autorité d'un mandat de main-forte ou d'un mandat délivré aux termes du présent article, entrer et perquisitionner dans toute maison d'habitation il croit, en se fondant sur des motifs raisonna- bles, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction à la présente loi a été commise;
(3) Un juge de la Cour fédérale du Canada doit, à la demande du Ministre, délivrer un mandat de main-forte autori- sant et habilitant la personne qui y est nommée, aidée et assistée de tel individu que la personne y nommée peut requérir, à entrer à toute heure dans une maison d'habitation quelconque pour découvrir des stupéfiants.
La régularité de la demande présentée par le Ministre le 13 mai 1975 ne fait aucun doute. Un juge de la Cour fédérale a écrit sur la demande: [TRADUCTION] «Mandats délivrés conformément à la demande.», et il l'a signée. A la suite de cette directive, un mandat de main-forte en bonne et due forme a été délivré à Ludvik Gordan Sterba, un membre de la section des drogues de la G.R.C. Le document porte le sceau de la Cour, estampé de la manière requise, et la signature de J. F. Denis Cousineau, fonctionnaire du greffe. Le 15 juin 1983, alors qu'il poursuivait une enquête sur une infraction qui aurait été commise relativement à un stupéfiant, l'agent de police est entré et a perquisitionné dans une maison d'habitation en vertu du mandat de main-forte. Il y a trouvé une substance qu'il croyait être de la cocaïne. Cette substance ainsi que les autres accessoires habituel- lement liés aux consommateurs et aux trafiquants de drogue ont été saisis.
Après l'incarcération de l'accusé mais avant son procès, l'avocat de ce dernier a demandé l'ajourne-
ment de l'action intentée en Cour provinciale pour lui permettre de saisir cette Cour d'une demande de certiorari visant à faire annuler le mandat de main-forte. L'ajournement a été accordé, d'où la présente demande.
Dès le début, le requérant a renoncé à sa demande de quo warranto et a également consenti à ce que Sa Majesté la Reine soit radiée comme partie défenderesse.
Les arguments portaient sur deux points princi- paux, l'un relatif à la procédure et l'autre, à la constitutionnalité. L'avocat du requérant a laissé entendre que, étant donné que j'avais été saisi de tous les éléments de preuve possibles, il n'était pas nécessaire de procéder à une instruction complète et que je devrais pouvoir trancher la question de la constitutionnalité.
La procédure
Arguments du requérant:
L'avocat soutient que cette Cour peut et devrait connaître de la demande d'annulation car c'est elle qui a délivré le mandat, et que la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta ne peut mettre en doute le pouvoir d'un autre tribunal. Ce principe a été examiné minutieusement dans l'arrêt Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 37 C.R. (3d) 97, et en particulier à la page 608 S.C.R.; 127 C.R. le juge McIntyre dit:
Les exigences de l'administration judiciaire ainsi que le décès ou la maladie du juge qui a accordé l'autorisation font qu'il n'est pas toujours pratique ou possible d'adresser une demande de révision au juge qui a rendu l'ordonnance. Il ressort de la jurisprudence qu'un autre juge de la même cour peut réviser une ordonnance rendue ex parte. Voir, par exemple, les arrêts Bidder v. Bridges (1884), 26 Ch.D. 1 (C.A.) et Boyle v. Sacker (1888), 39 Ch.D. 249 (C.A.) Dans l'arrêt Gulf Islands Naviga tion Ltd. v. Seafarers' International Union (1959), l8 D.L.R. (2d) 625 (C.A.C.-B.), le juge Smith affirme, aux pp. 626 et 627:
[TRADUCTION] Examen fait des arrêts, qui ne sont ni aussi concluants ni aussi uniformes qu'ils pourraient l'être, j'estime qu'il y a une jurisprudence prépondérante qui appuie les propositions suivantes relativement à la révision par un juge d'une ordonnance rendue ex parte par un autre juge: (1) il a le pouvoir d'annuler l'ordonnance ou l'injonction; (2) plutôt que d'exercer ce pouvoir, il devrait déférer la demande au premier juge, sauf dans des circonstances spéciales, par exemple, lorsqu'il agit avec le consentement ou l'autorisation du premier juge, ou lorsque celui-ci ne peut entendre la demande; (3) si le second juge entend la demande, il doit en
reprendre l'audition au complet à la fois sur le plan du droit et celui des faits en cause.
J'estime qu'à une seule restriction près, ce passage s'applique à la révision d'une autorisation d'écoute électronique. Le juge chargé de la révision ne doit pas substituer son appréciation à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Il n'y a lieu de toucher à l'autorisation que s'il appert que les faits sur lesquels on s'est fondé pour l'accorder diffèrent de ceux prouvés dans le cadre de la révision ex parte. À mon avis, compte tenu du mutisme du Code criminel sur ce point et de la confusion qui en résulte, il convient de suivre la pratique déjà décrite.
Ni l'avocat des intimés ni moi-même ne nous inscrivons en faux contre cette position.
II
Le requérant allègue que le mandat, signé par le greffier, est nul. La Loi (la Loi sur les stupéfiants) habilite le Ministre à présenter une demande de mandat de main-forte qui est ensuite soumise à la Cour. En l'espèce, la demande a été présentée à un juge de la Cour fédérale qui y a écrit: [TRADUC- TION] «Mandats délivrés conformément à la demande.» Le requérant soutient que, même si la Cour suit cette procédure depuis des années, il n'en demeure pas moins qu'elle est inappropriée. Le pouvoir de délivrer des mandats à été conféré à un juge qui ne peut le déléguer à moins qu'il n'existe des dispositions législatives l'autorisant à le faire. Pour bien rendre le sens du terme «délivrance», le requérant a invoqué l'arrêt United Assn. of Jour neymen and Apprentices of Plumbing and Pipe Fitting Industry of U.S. and Can., Local 488 v. Bd. of Industrial Relations, [1975] 2 W.W.R. 470 (C.A. Alb.), et en particulier à la page 473:
[TRADUCTION] Les termes «issuance», «issuing» et «issue»
(«délivrance» et «délivrer») ont fait l'objet de nombreuses déci-
sions qui leur ont attribué différents sens, et dans le présent
contexte, je mentionnerai la seule définition de «issue» («déli-
vrer») contenue au Dictionary of English Law de Earl Jowitt: «Un mandat, un subpoena ou autre document semblable est délivré lorsqu'il est remis par le fonctionnaire compétent de la cour à la partie qui en a demandé la délivrance, une fois que le sceau ou une autre marque y a été apposé pour indiquer son caractère officiel.» [C'est moi qui souligne.]
Il conclut que la signature du mandat par le greffier n'a pas été apposée par le «fonctionnaire compétent» et que, par conséquent, le mandat est nul.
IlI
Le requérant est d'avis qu'une demande de cer- tiorari est le recours approprié pour faire annuler
les actes exécutés par le juge et le greffier parce qu'il prétend que l'exercice de leurs fonctions revê- tait un caractère administratif.
Il laisse entendre que, lorsque le juge Collier dans l'arrêt Affaire intéressant les mandats de main-forte, publié dans (1975), 34 C.C.C. (2d) 62 (C.F. 1 r inst.), renvoie aux remarques du juge en chef Jackett en 1965, il émet l'opinion qu'un juge, qui se conforme aux exigences d'une loi, agit de manière administrative parce qu'il semble qu'il n'existe aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'exercice de la fonction qui n'est ni judiciaire ni même quasi judiciaire. L'avocat du requérant cite les propos tenus par le juge Collier à la page 64:
Je juge bon de répéter ses conclusions parce qu'elles indi- quent que cette cour se plie avec réticence aux exigences de la Loi et qu'elle ne peut ni exprimer son avis ni exercer un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'émission de ces mandats qui sont alors confiés à des personnes qui, dans des cas particu- liers, pourraient abuser gravement de ces pouvoirs de perquisi- tion illimités.
À la page 65, il a écrit:
Étant donné la décision très bien motivée du juge en chef en 1965, certains diront que j'aurais dû, moi, un novice en 1975, me contenter de signer (au nom de la Cour) ce mandat précis. D'après les motifs du juge en chef, je crois cependant qu'il faisait des réserves sur les très vastes pouvoirs conférés par ces mandats et sur l'impossibilité dans laquelle se trouvait la Cour d'exercer un pouvoir discrétionnaire relativement au nombre de mandats émis, aux aptitudes de celui qui sera investi de ces pouvoirs et à la durée de ces mandats. Dix ans après, on demande toujours ces mandats illimités. Pour ce motif et parce que je suis conscient des abus récents du pouvoir exécutif aux Etats-Unis, j'ai décidé de présenter une autre fois, par écrit, l'opinion exprimée par le président Jackett. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat laisse entendre que ces remarques du juge Collier signifient que ces décisions sont admi- nistratives, qu'elles peuvent faire l'objet d'un con- trôle judiciaire et, par conséquent, d'un certiorari, qui constitue le recours approprié pour faire annu- ler les décisions des autres organismes ou person- nes qui sont habilités par la loi à se prononcer sur les questions concernant les droits d'autrui.
Arguments des intimés:
Comme je l'ai déjà dit, l'avocat des intimés n'a pas contesté que la demande relevait de la compé-
tence de la Cour fédérale.
I I
Les intimés soutiennent que le mandat de main- forte a été délivré de la manière appropriée et que la signature du document par le greffier n'a pas vicié la procédure; qu'une demande en bonne et due forme a été présentée au nom du Ministre; que la personne désignée par le mandat de main-forte était une personne compétente; qu'étant donné que la demande a été validée par un juge de la Cour fédérale, un «fonctionnaire compétent» a autorisé la délivrance du mandat; que le document lui- même revêtait la forme requise et qu'il portait le sceau de la Cour; que la signature du greffier avait pour but de confirmer l'authenticité du document et qu'elle ne signifiait nullement que le fonction- naire qui a validé le mandat était celui qui l'a délivré.
III
Les intimés admettent qu'il y aurait lieu à cer- tiorari si le greffier avait accompli des actes qui excédaient sa compétence; toutefois, étant donné qu'il n'était pas en réalité tenu de rendre une décision, il n'existait aucun recours.
L'avocat a soutenu qu'on ne peut demander un certiorari contre un juge de la Cour fédérale. Juge un jour, juge toujours. Bien que, dans certaines circonstances, le Parlement puisse nommer un juge pour qu'il agisse à titre de persona designata, il ne peut le faire qu'en employant des termes exprès et généraux. Il faut examiner l'intention du Parle- ment et de la loi. L'avocat a invoqué l'arrêt Herman et autres c. Sous-procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 729; 91 D.L.R. (3d) 3, à la page 749 R.C.S.; 18 D.L.R.:
A première vue, dès qu'une loi confère des pouvoirs à un juge, il faut considérer que l'intention du Parlement est que ce juge agisse à titre de juge. Celui qui prétend qu'un juge agit à titre de persona designata doit trouver dans la loi particulière des dispositions qui prouvent clairement une intention contraire du Parlement. Le critère applicable pour déterminer si la loi pertinente fait ressortir une intention contraire peut se formuler comme une question: le juge exerce-t-il une compétence parti- culière, distincte, exceptionnelle et indépendante de ses tâches quotidiennes de juge, et qui n'a aucun rapport avec la cour dont il est membre?
Après avoir examiné l'interprétation par le requérant des remarques du juge Collier dans l'ar- rêt Affaire intéressant les mandats de main-forte (précité), les intimés n'étaient pas d'accord pour dire que le juge agissait à titre administratif; il n'est pas possible de déduire de ses remarques qu'il exerçait une fonction autre que judiciaire. On a soutenu qu'il devait d'abord établir s'il s'agissait ou non d'une demande régulière qui avait été présentée par le Ministre; deuxièmement, qu'une personne compétente (c'est-à-dire un agent de la G.R.C.) était la personne désignée dans le mandat de main-forte, et troisièmement, que l'étendue du pouvoir conféré par le mandat n'excédait pas celle des pouvoirs conférés par la Loi. Bien qu'il n'y eût pas lieu d'exercer un pouvoir discrétionnaire, il s'agissait de l'exercice d'une fonction judiciaire.
Un juge de la Cour fédérale est habilité à recou- rir aux brefs de prérogative en ce qui concerne les décisions rendues par les tribunaux ou organismes inférieurs définis à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]; en vertu des dispositions d'interprétation, le terme «juge» désigne un juge de la Cour et on ne peut en déduire qu'un juge de la Cour fédérale puisse jamais exercer les fonctions d'une commission, d'un office ou d'un autre tribunal fédéral.
Pour faire modifier ou changer la décision d'un juge de la Cour fédérale, ce n'est pas à la Division de première instance qu'il faut s'adresser, mais plutôt à la Division d'appel de la Cour fédérale du Canada.
L'avocat des intimés a en outre prétendu que, lorsqu'un juge remplit une fonction en vertu d'une loi, il ne peut agir qu'à titre de juge; ce principe trouve son fondement dans l'arrêt Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518; 139 D.L.R. (3d) 1, à la page 528 R.C.S.; 9 D.L.R.:
En l'espèce, suivre le principe du stare decisis créerait plus d'incertitude que de certitude. L'arrêt Herman établit que le statut de persona designata ne sera reconnu que dans des circonstances exceptionnelles. Cela ne tranche toutefois pas la question de savoir si, dans une affaire donnée, les circonstances ont un caractère suffisamment exceptionnel. Il s'ensuit qu'en continuant à reconnaître la distinction approuvée par cette Cour dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c. Hernan- dez, précité, on ne peut que laisser planer des doutes quant à la procédure de contrôle ou d'appel qu'une partie doit suivre. A ce que je peux déterminer, le concept jurisprudentiel de persona designata n'a pas d'utilité dans le contexte actuel et on peut
facilement l'abandonner sans porter atteinte à un principe juridique. Eu égard à la formulation claire et non équivoque du par. 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, «à l'exclusion [...] des personnes nommées [...] en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, /867», j'estime qu'il convient de s'en tenir aux termes de la Loi comme preuve de l'intention du législateur.
L'avocat des intimés soutient finalement que la doctrine omnia praesumuntur s'applique, et que le mandat de main-forte doit être présumé conforme à la loi jusqu'à preuve du contraire. Il s'agit en l'espèce d'un document officiel et on présume que toutes les conditions et formalités nécessaires ont été respectées; bien qu'il s'agisse d'une présomp- tion réfutable, le requérant ne s'est pas acquitté de cette obligation.
Conclusion sur la procédure
Il est incontestable que la demande de redresse- ment visé en l'espèce a été présentée au tribunal compétent. Je suis également convaincu que, a priori, le mandat a été régulièrement délivré. En apposant sa signature sur le document officiel, le greffier n'a pas excédé sa compétence et il ne peut faire l'objet d'un certiorari. Sa fonction est d'au- thentifier le mandat de main-forte ou tout autre document délivré conformément à l'autorisation d'un juge de la Cour fédérale qui tire ses pouvoirs du texte de la loi. On ne trouve nulle part dans les dispositions habilitantes l'obligation que la signa ture d'un juge, ni d'ailleurs celle d'un autre fonc- tionnaire, apparaisse sur le mandat de main-forte.
Je rejette en outre l'argument voulant qu'un juge de cette Cour puisse faire l'objet d'un certio- rari ou que, dans les présentes circonstances, le juge agissait à titre de persona designata. Bien que le juge Collier ait pu affirmer que la délivrance des mandats de main-forte laissait peu de place à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il n'en a pas déduit pour autant qu'il agissait de manière administrative. Lorsqu'un juge de la Cour fédérale (Cour de l'Échiquier) autorise la délivrance d'un mandat de main-forte conformément à la Loi sur les stupéfiants, il remplit une fonction judiciaire. Il ne peut agir à un autre titre, à moins que la Loi n'ait indiqué une intention contraire et n'ait pres- crit qu'il agissait d'une manière «indépendante de ses tâches quotidiennes de juge, et qui n'a aucun rapport avec la cour dont il est membre» (voir l'arrêt Herman, précité, à la page 749 R.C.S.; 18 D.L.R.).
La constitutionnalité Arguments du requérant:
L'avocat du requérant soutient que le motif principal de la décision du juge en chef Dickson dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145 fait désormais autorité lors- qu'il s'agit des pouvoirs de fouille, de saisie et de perquisition conférés par la loi; qu'un mandat de main-forte est un document qui porte atteinte aux droits constitutionnels prévus et garantis par l'arti- cle 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], et que les pou- voirs quasi-illimités accordés sans interruption à un agent de police sont incompatibles avec ces droits et ne peuvent être conservés.
On m'a fortement incité à examiner et à suivre les décisions rendues dans R. v. Carriere (1983), 32 C.R. (3d) 117 (C.P. Ont.) et R. v. Cuff (1983), 34 C.R. (3d) 344 (C. cté C.-B.), et à adopter sans réserve l'interprétation faite par l'avocat de la conclusion tirée dans l'arrêt R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (confirmé par la Cour suprême du Canada [ 1984] 2 R.C.S. ix), une décision de la Cour d'appel de l'Ontario le juge Martin a écrit à la page 109:
[TRADUCTION] Pour les motifs que j'ai énoncés, je conclus que la perquisition d'un bureau effectuée sans mandat lorsqu'il n'est pas impossible d'obtenir un tel mandat est abusive et, dans ce cas, l'al. 10(1)a) est inopérant.
S'appuyant sur l'arrêt Southam (précité), l'avo- cat allègue qu'une perquisition et une saisie doi- vent respecter les critères minimums imposés par le Code criminel sinon, le texte législatif serait sans effet. Il est essentiel qu'une personne indépen- dante ou objective apprécie les circonstances avant qu'un mandat puisse être délivré. C'est désormais une étape indispensable de la procédure avant que des fouilles, des perquisitions et des saisies puissent être effectuées.
Le juge en chef Dickson a écrit (dans l'arrêt Southam, précité, aux pages 161 et 162):
L'exigence d'une autorisation préalable vise à donner l'occa- sion, avant le fait, d'apprécier les droits opposés de l'État et du particulier, de sorte qu'on ne puisse porter atteinte au droit du particulier à la vie privée que si l'on a satisfait au critère approprié, et si la supériorité des intérêts de l'État peut 'être démontrée. Pour qu'un tel processus d'autorisation ait un sens, il faut que la personne qui autorise la fouille ou la perquisition
soit en mesure d'apprécier, d'une manière tout à fait neutre et impartiale, la preuve offerte quant à la question de savoir si on a satisfait à ce critère. En common law, le pouvoir de décerner un mandat de perquisition était réservé à un juge de paix.
En l'espèce, le mandat de main-forte a été déli- vré avant l'adoption de la Charte; l'acte reproché s'est produit après son entrée en vigueur. La Cour fédérale a délivré le mandat de main-forte avant la promulgation de la Charte, à un moment il n'existait aucune restriction et la Cour n'avait d'autre choix que de délivrer le mandat demandé. À l'appui de cette position, l'avocat invoque encore l'arrêt Southam, précité la page 156):
La Charte canadienne des droits et libertés est un document qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d'agir à l'en- contre de ces droits et libertés; elle n'autorise pas en soi le gouvernement à agir.
Arguments des intimés:
L'alinéa 10(1)a) et le paragraphe 10(3) de la Loi sur les stupéfiants doivent être lus en corréla- tion. Ils laissent clairement entendre qu'il existe des conditions sine qua non avant qu'il soit possi ble d'avoir recours à un mandat de main-forte au moment de pénétrer dans une «maison d'habita- tion». Ils supposent tout d'abord qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il s'y trouve un stupéfiant et, deuxièmement, qu'une infraction a été commise. Suivant l'alinéa 10(1)a), la Cour doit en premier lieu être convaincue de l'urgence de la situation avant que les éléments de preuve obtenus grâce à la perquisition et à la saisie puissent être déposés. En d'autres termes, il incombe au juge de première instance de s'assurer de la nécessité abso- lue du mandat et de l'urgence de la situation avant que les éléments de preuve puissent être produits. En deuxième lieu, la Cour devra vérifier si la personne exerçant les pouvoirs conférés par le mandat de main-forte a des motifs raisonnables de croire qu'il y a des stupéfiants dans les lieux en cause et qu'une infraction a été commise. Ce rai- sonnement a été adopté par le juge Martin dans l'arrêt R. v. Rao (précité) et il a été suivi dans l'arrêt R. v. Hamill, [1984] 6 W.W.R. 530; 41 C.R. (3d) 123 une décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique en date du 4 septembre 1984.
On m'a recommandé vivement d'accepter comme prémisse qu'il est déraisonnable d'envisa-
ger, dans tous les cas, la nécessité d'une autorisa- tion préalable à l'obtention d'un mandat. Imposer une telle condition assurerait certainement une meilleure protection des droits des particuliers comme l'exige l'article 8 de la Charte. Par contre, cela pourrait contrebalancer le droit de la société d'être protégée contre les activités criminelles dans le domaine des stupéfiants. On m'a aussi incité à accepter que la Cour suprême du Canada n'avait pas été appelée, dans le débat soulevé dans l'arrêt Southam (précité), à apprécier l'article 8 de la Charte à la lumière de l'article 1 concernant les exigences d'une société libre et démocratique.
L'avocat de la Couronne admet que la décision rendue dans Southam crée un problème parce que le public a le droit d'être protégé contre les fouil- les, les perquisitions et les saisies abusives en vertu de l'article 8 de la Charte; cet article protège le public contre la délivrance et l'utilisation de ces procédures avant qu'elles ne soient requises ou avant qu'un événement précis ne se soit produit. En revanche, l'arrêt Southam n'exclut pas l'argu- ment voulant qu'une autorisation préalable peut être suspendue lorsqu'il est impossible de l'obtenir. On m'a fait valoir que l'arrêt Southam impose le fardeau de la preuve à la partie effectuant la saisie, mais que ce fardeau peut être renversé. Il peut exister des cas l'autorisation préalable peut et doit être exclue. Il devrait être permis, dans une société libre et démocratique, d'effectuer dans cer- taines circonstances précises des perquisitions sans mandat à condition qu'elles soient restreintes et assujetties à des limites raisonnables.
Les tribunaux ont le devoir de se demander ce à quoi il faut remédier, et ils peuvent déterminer ce qu'il est nécessaire de faire en ayant recours à des lois efficaces pour imposer un contrôle sur les stupéfiants. Ils peuvent conclure que les droits de la société ont préséance sur les droits des individus dans certaines circonstances. La disparition des mandats de main-forte rendrait très difficile l'ap- plication des lois principalement en raison de l'ur- gence avec laquelle il faut procéder lorsqu'il s'agit du commerce illicite des drogues. La décision rendue dans l'arrêt R. v. Rao (précité), qui a été confirmée par la Cour suprême du Canada, ne signifie pas que les mandats de main-forte contre- viennent à la Charte. Elle corrobore l'opinion vou- lant qu'un certain pouvoir doit être conféré aux
agents de police lorsqu'il est impossible d'obtenir un mandat. On ne peut toutefois permettre l'exer- cice illimité du pouvoir de perquisition ou de saisie même avec un mandat de main-forte lorsqu'il est possible d'obtenir un mandat dans des circons- tances il n'y a pas urgence. En conclusion, on a avancé que lorsqu'il est possible d'obtenir un mandat en bonne et due forme, il n'est pas justifié d'accorder un mandat de main-forte.
Il vaut la peine de remarquer que, dans l'arrêt R. v. Rao (précité), les éléments de preuve n'ont pas été exclus parce que la Cour avait conclu que l'alinéa 10(1)a) était nul. Le juge Martin a déclaré qu'il n'aurait pas statué que l'admission des élé- ments de preuve aurait discrédité l'administration de la justice simplement parce que lesdits éléments de preuve avaient été saisis au cours d'une perqui- sition sans mandat. Il était nécessaire de détenir un mandat pour satisfaire au critère constitutionnel du caractère raisonnable fixé par l'article 8 de la Charte. Comme l'a écrit le juge à la page 110, les éléments de preuve ont été exclus parce que:
[TRADUCTION] ... la violation flagrante des droits constitu- tionnels de l'intimé constituait un abus de pouvoir grossier et impardonnable dans une société libre et démocratique.
Les perquisitions sans mandat sont inhabituel- les, mais elles doivent être maintenues dans les affaires de stupéfiants si on veut conserver un semblant d'ordre dans la société. Il est essentiel qu'il existe des dispositions spéciales en matière de stupéfiants en raison des sommes d'argent impor- tantes en jeu, de la mobilité des auteurs des infrac tions, des problèmes sociaux créés et de l'indigna- tion générale du public.
Conclusion sur la question de la constitutionnalité:
Je suis convaincu qu'il est souhaitable, dans une société libre et démocratique, que des mandats de main-forte soient délivrés conformément à la Loi sur les stupéfiants et qu'ils soient assujettis à certaines restrictions et limites; contrairement au requérant, je ne crois pas que le juge Martin ait conclu autrement dans l'arrêt R. v. Rao (précité). Il n'a pas statué que l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N- I, était inconstitutionnel. Il a jugé qu'il était inopérant dans le cas sur lequel il devait se prononcer parce qu'il résultait des faits particuliers en cause une incompatibilité avec la Charte, et il a écrit aux pages 109 et 110:
[TRADUCTION] A mon avis, les pouvoirs de perquisition sans mandat conférés par l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupé- fiants ne sont pas a priori nécessairement abusifs et ne vont pas obligatoirement à l'encontre de la Charte bien que, dans certai- nes circonstances, les perquisitions sans mandat autorisées par l'alinéa 10(1)a) puissent entrer en conflit avec la protection accordée par la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Ce n'est pas comme l'article 8 de la Loi sur les stupéfiants le fardeau de la preuve a été renversé et qui, à prime abord, va à l'encontre de la présomption d'innocence garantie par "article 8 de la Charte ... Par conséquent, je ne crois pas que "alinéa 10(1)a) soit inconstitutionnel, mais j'es- time qu'il est inopérant dans la mesure il est incompatible avec l'article 8 de la Charte. A mon avis, "alinéa 10(1)a) est inopérant dans la mesure il permet d'effectuer une perquisi- tion sans mandat dans le bureau d'une personne en l'absence de circonstances rendant impossible l'obtention d'un mandat; il n'est pas nécessaire d'aller plus loin en "espèce. A cet égard, mon point de vue diffère quelque peu de celui du juge de première instance.
II a ensuite conclu que, si on confère au bureau d'une personne le caractère d'une maison d'habita- tion, la perquisition sans mandat dudit bureau peut être abusive; il a écrit à la page 106:
[TRADUCTION] La common law accorde depuis toujours une protection particulière aux maisons d'habitation, protection qui est reconnue par l'article t0 puisque celui-ci exige la possession d'un mandat pour effectuer une perquisition dans une maison d'habitation. A mon avis toutefois, les expectatives légitimes de l'individu en matière de vie privée dans la société contempo- raine s'étendent également à son bureau. Dans l'affaire Re Alder et al. and The Queen (1977), 37 C.C.C. (2d) 234 à la p. 251, [1977] 5 W.W.R. 132, 5 A.R. 473 sub nom. Alder v. A.-G. Alta. et al. (C.S. 1" inst. Mb.), le juge Moshansky a dit: «Le pouvoir de fouiller la demeure d'un citoyen, ou son bureau privé, comporte une violation exceptionnelle de sa liberté et de son intimité.» (C'est moi qui souligne.) La Commission de réforme du droit du Canada a suggéré qu'il faudrait réexami- ner la possibilité de créer des règles distinctes pour la perquisi- tion de maisons d'habitation et d'autres lieux privés l'on est en droit de s'attendre à ce que la vie privée soit préservée, comme par exemple les bureaux: aux pp. 24 et 25.
Il semble exister une contradiction évidente, et peut-être même une incompatibilité, entre l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants qui, même lorsqu'il serait possible d'obtenir un mandat, habilite un agent de police à fouiller sans mandat le bureau d'une personne parce qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'il s'y trouve quelques onces de marijuana, et "art. I l de la Loi sur les secrets officiels qui exige la possession d'un mandat de perquisition pour fouiller des locaux privés, sauf dans des circonstances exceptionnelles il existe une situation d'urgence qui demande une action immédiate dans l'intérêt de l'État. Même dans ce dernier cas, un gendarme de la G.R.C. est obligé d'obtenir l'autorisation écrite d'un officier principal, dont le grade ne doit pas être inférieur à celui de surintendant, avant d'entreprendre une perquisition alors qu'en vertu de la Loi sur les stupéfiants, ragent de police agissant à sa discrétion peut fouiller des locaux privés sans avoir obtenu de mandat ou d'autorisation écrite, même s'il n'existe pas une situation d'ur- gence rendant "obtention d'un mandat impossible.
À mon avis, pour qu'elle respecte le critère constitutionnel du caractère raisonnable garanti par l'art. 8 de la Charte, la perquisition sans mandat du bureau d'une personne doit être justifiée et les dispositions législatives autorisant ces perquisi- tions sans mandat peuvent être contestées en vertu de la Charte. L'existence de circonstances rendant impossible l'ob- tention d'un mandat peuvent servir de justification aux perqui- sitions sans mandat: voir par exemple, le par. 101(2) du Code et le par. 11(2) de la Loi sur les secrets officiels. Il faut évidemment considérer l'expectative raisonnable de l'individu en matière de vie privée en regard de l'intérêt public dans l'application efficace de la loi. Cependant, lorsqu'il n'existe aucune circonstance rendant impossible l'obtention d'un mandat, et que cette obtention n'empêche pas l'application efficace de la loi, la perquisition sans mandat d'un bureau d'un lieu déterminé (sauf lorsque cela constitue un incident qui se rapporte à une arrestation légale) ne peut se justifier et ne respecte pas le critère constitutionnel du caractère raisonnable prévu à l'art. 8 de la Charte. [C'est moi qui souligne.]
Au dire du juge Martin dans l'arrêt R. v. Rao (précité), il faut examiner le caractère raisonnable d'une perquisition à la lumière de l'article 8 de la Charte; il a écrit à la page 90:
[TRADUCTION] Il est possible de contester en vertu de la Charte le caractère raisonnable d'une perquisition particulière en se fondant sur deux éléments. On peut en premier lieu, contester le caractère raisonnable de la disposition législative autorisant la perquisition; en second lieu, une saisie effectuée sur le fondement d'une disposition législative constitutionnelle- ment valide peut être faite de manière abusive, par exemple, lorsqu'on fait usage d'une force excessive.
Par conséquent, le critère du caractère raisonna- ble prévu à l'article 8 de la Charte va plus loin que l'entrée légale d'un agent dans des locaux. Celle-ci peut être légale mais abusive. Le juge Martin a écrit à la page 105 dans l'arrêt R. v. Rao (précité):
[TRADUCTION] À l'appui de son argument valable selon lequel les pouvoirs de perquisition sans mandat conférés par l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants étaient raisonnables, M. Dambrot a souligné le fait que l'al. 10(1)a) n'autorise une perquisition sans mandat que lorsqu'un agent de la paix a des motifs raisonnables de croire qu'un stupéfiant se trouve dans les lieux à fouiller en violation de la Loi, et qu'il n'autorise pas l'entrée sans mandat dans des lieux pour y chercher des élé- ments de preuve. M. Dambrot a évidemment raison d'affirmer que l'entrée dans des lieux en vertu de l'al. 10(1)a) n'est justifiée que lorsque l'agent a des motifs raisonnables de croire qu'il s'y trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction à la Loi a été commise. Toutefois, des pouvoirs très vastes sont conférés lors d'une entrée légale dans des lieux. L'agent de la paix peut fouiller toute personne se trouvant sur les lieux, forcer toute porte ou contenant et saisir et emporter non seulement les stupéfiants mais aussi tout ce qui, à son avis, peut raisonnablement servir de preuve à la perpétration d'une infraction à la Loi.
La protection de la vie privée à laquelle toute personne est en droit de s'attendre dans sa demeure ou son bureau constitue l'un des droits les plus précieux dans une société démocratique.
D'après le juge Martin dans l'arrêt R. v. Rao (précité), il s'agit d'une question de circonstances. Les perquisitions sans mandat peuvent raisonna- blement se justifier. Il a écrit à la page 109:
[TRADUCTION] L'alinéa 10(1)a) n'est pas a priori nécessai- rement incompatible avec l'art. 8 de la Charte bien que, dans certaines circonstances, une perquisition sans mandat autorisée par cet alinéa peut, en fait, violer le critère constitutionnel du caractère raisonnable prévu à l'art. 8 de la Charte, tout dépen- dant des circonstances de la perquisition. Cette disposition est inopérante dans la mesure elle permet une perquisition abusive. Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 porte:
52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'arrêt R. v. Hamill (précité), le juge Esson a admis que l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants n'est pas en soi inconstitutionnel; il a dit aux pages 534, 535 W.W.R.; 129 C.R.:
[TRADUCTION] Il s'agit de déterminer si l'al. 10(1)a), en autorisant la perquisition d'une habitation en vertu du pouvoir conféré par un mandat de main-forte, est incompatible avec l'art. 8 de la Charte et, par conséquent, inopérant. Cet article autorise un agent de la paix, sous l'autorité d'un mandat de main-forte ou d'un mandat, à entrer et perquisitionner dans toute maison d'habitation il croit, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'il se trouve un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction à la Loi a été commise.
À mon avis, cet article confère validement le pouvoir d'entrer et de perquisitionner sous l'autorité d'un mandat de main-forte. S'il n'exigeait que la possession d'un mandat de main-forte, il serait incompatible avec l'art. 8. L'existence de motifs raisonna- bles ne serait donc pas requise. Toutefois, cet article n'autorise qu'une perquisition fondée sur des motifs raisonnables de croire à la présence d'un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction a été commise. Une perquisition fondée sur des motifs raisonnables de croire à la présence d'un stupéfiant relié à une infraction constitue une perquisition raisonnable. Il n'y a donc pas incompatibilité avec l'art. 8.
Les pouvoirs conférés par l'alinéa 10(1)a) sont très vastes; leur objet est toutefois très précis et le législateur a cru à la nécessité qu'il en soit ainsi étant donné les circonstances particulières qui entourent les enquêtes sur les stupéfiants.
Selon le juge Esson, l'entrée dans des lieux sous l'autorité d'un mandat de main-forte est légale. Toutefois, afin de respecter l'article 8 de la Charte, la perquisition doit être raisonnable. Quand l'est-elle?
Voici ce qu'il a dit à la page 547 W.W.R.; 141 C.R.:
[TRADucrioNI Conclure que le mandat de main-forte est constitutionnellement valide ne met pas un terme à la question de savoir si la perquisition qui a été effectuée sous son autorité était raisonnable. L'entrée dans des lieux sous l'autorité d'un mandat de main-forte est légale et ne contrevient pas à l'art. 8 de la Charte que lorsque l'agent avait des motifs raisonnables de croire à la présence d'un stupéfiant. Même si au départ l'entrée dans des lieux est raisonnable, la perquisition peut devenir abusive si elle est effectuée de manière déraisonnable. Par contre, même si la perquisition a été effectuée sans être autorisée par la loi ou était autrement abusive, cela ne constitue pas en soi un motif pour écarter les éléments de preuve recueil- lis. Si elle viole la Charte, elle justifiera l'obtention en vertu de l'art. 24(1) d'une réparation juste et convenable. La réparation consistant à exclure les éléments de preuve ne sera, dans la plupart des cas, ni juste ni convenable. Il n'en est ainsi que si l'utilisation des éléments de preuve, pour reprendre les termes de l'art. 24(2), est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Au fil des ans, plusieurs commissions ont été chargées d'analyser les mandats de main-forte ainsi que leur usage et leur valeur. Dans le rapport de 1972 de la Commission d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non-médicales (la Commis sion Le Dain), le professeur Le Dain (tel était alors son titre) a écrit au nom de la Commission la page 241]:
Un mandat de main-forte est un pouvoir général, sans res triction de temps ni de lieu, qui demeure valide pendant toute la carrière de l'agent de la paix à qui il est délivré. Il est fourni par un juge de la cour (sic) fédérale, à la demande du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Le juge est tenu de délivrer le mandat sur réception de cette demande. Ce mandat autorise l'agent qui y est désigné à entrer à toute heure, avec l'aide des personnes qu'il estime nécessaires, dans toute maison d'habitation pour y découvrir des stupéfiants. En pratique, les mandats de main-forte ne sont délivrés, au titre des lois sur les stupéfiants, qu'à des agents de la Gendarmerie royale.
À la page 298, la Commission a notamment déclaré dans ses conclusions et recommandations:
Recours à des procédés inhabituels pour appliquer la loi. - Comme nous l'avons vu au chapitre 5, le dépistage est extrême- ment difficile parce qu'il n'y a pour ainsi dire jamais de plaignant, ce qui oblige à employer des méthodes inusitées pour appliquer la loi. L'utilisation de méthodes spéciales d'investiga- tion, d'indicateurs et d'informateurs, voire l'incitation au délit par la police, voilà d'importants facteurs de ressentiment et de dépit. Ces procédés sont de nature à jeter un certain discrédit sur la loi et sur la police. Les observateurs participants que la Commission avait chargés d'étudier l'application de la loi au phénomène de la drogue ont conclu qu'en privant la police de ces pouvoirs extraordinaires, on compromettrait sérieusement l'efficacité de son intervention. Il faudrait donc considérer que ces procédés et méthodes sont indispensables dans un régime de
prohibition s'appliquant à la distribution et à l'usage de la drogue. [C'est moi qui souligne.]
J'en conclus qu'une perquisition peut être légale mais abusive; elle peut également être effectuée sans être autorisée par la loi, mais être raisonnable et respecter le critère de l'article 8 de la Charte.
En pratique, l'entrée dans des lieux effectuée en vertu de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur les stupé- fiants doit, en tout temps, être faite avec des motifs raisonnables de croire qu'il se trouve un stupéfiant dans les lieux devant faire l'objet de la perquisition, qu'une infraction à la Loi a été com- mise et que la perquisition est effectuée d'une manière raisonnable.
Lorsqu'il traite de l'entrée dans une maison d'habitation, l'alinéa 10(1)a) n'est donc pas en lui-même inconstitutionnel, mais il peut devenir inapplicable et de nul effet selon les circonstances particulières de l'espèce. Il pourrait être considéré inapplicable compte tenu de l'article 8 de la Charte.
Dans l'arrêt Southam (précité), la loi en cause était la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23]. Le paragraphe 10(3) prévoit que les perquisitions doivent être préalable- ment autorisées par un membre de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce. Il ne fait aucun doute qu'il existe un conflit d'intérêts et comme on l'a dit, on ne peut affirmer qu'un com- missaire agit de façon judiciaire.
La Loi relative aux enquêtes sur les coalitions n'accorde pas une protection suffisante au public. Les tribunaux ont conclu que cette Loi entraînait des perquisitions et des saisies abusives et qu'elle ne respectait pas les normes imposées par la Charte.
Le litige dans l'arrêt Southam (précité) était beaucoup plus limité, et on en trouve les paramè- tres à la page 154:
Il importe d'abord de souligner que la question en litige dans ce pourvoi concerne la constitutionnalité d'une loi autorisant des fouilles, des perquisitions et des saisies. Elle ne concerne pas le caractère raisonnable ou autre de la façon dont les appelants ont exercé les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. Il faut se pencher non pas sur la conduite des appelants mais plutôt sur les textes de loi en vertu desquels ils ont agi.
Le juge en chef Dickson a conclu que la per- sonne autorisant le mandat n'agissait pas de façon
judiciaire et qu'elle ne pouvait subir avec succès le test du critère objectif. Il a écrit à la page 162:
Il n'est pas nécessaire que la personne qui exerce cette fonction soit un juge, mais elle doit au moins être en mesure d'agir de façon judiciaire.
Il a défini cette fonction et l'impartialité qu'elle exige à la page 164:
À mon avis, l'attribution à la Commission ou à ses membres de pouvoirs d'enquête importants a pour effet d'empêcher le membre de la Commission d'agir de façon judiciaire lorsqu'il autorise une fouille, une perquisition ou une saisie en vertu du par. 10(3). Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en doute l'honnêteté ou la bonne foi de la Commission ou de ses mem- bres. C'est plutôt une conclusion que la nature administrative des devoirs d'enquête de la Commission (qui a comme points de référence appropriés l'intérêt public et l'application efficace de la Loi) cadre mal avec la neutralité et l'impartialité nécessaires pour évaluer si la preuve révèle qu'on a atteint un point les droits du particulier doivent constitutionnellement céder le pas à ceux de l'État. Un membre de la CPRC qui examine l'oppor- tunité de procéder à une perquisition en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est touché par la maxime nemo judex in sua causa. Il ne peut tout simplement pas être l'arbitre impartial nécessaire pour accorder une autorisation valable.
Le juge en chef Dickson a en outre conclu à la page 168 que la loi elle-même ne contenait aucune exigence quant au caractère raisonnable:
Dans des cas comme la présente affaire, l'existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l'endroit de la perquisition, constitue le critère minimal, compatible avec l'art. 8 de la Charte, qui s'applique à l'autorisation d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie. Dans la mesure les par. 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne comportent pas une telle exi- gence, j'estime qu'ils sont davantage incompatibles avec l'art. 8.
Toutefois, il est d'avis qu'il peut exister quelques exceptions (aux pages 160 et 161):
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie.
La Loi sur les stupéfiants est un texte législatif très particulier, et pour justifier la délivrance d'un mandat de main-forte lorsqu'il y a entrée dans une «maison d'habitation», il faut faire l'équilibre entre les droits des particuliers et l'intérêt public. Étant donné la nature des drogues et leurs répercussions
considérables sur la société, je suis convaincu qu'il faut, dans une société libre et démocratique, accepter que les droits des particuliers soient assu- jettis à certaines restrictions qui devraient être considérées raisonnables et dans l'intérêt public.
Lorsque la constitutionnalité d'une loi est con- testée et que la Charte canadienne des droits et libertés est invoquée, je dois déterminer s'il y a eu violation dans des limites qui soient raisonnables. Dans l'affaire Re Soenen and Thomas et al. (1983), 3 D.L.R. (4th) 658 (B.R. Alb.), la cour a statué que si on applique l'article limitatif de la Charte, il faut alors faire l'équilibre entre les droits du particulier et ceux de la collectivité. La Cour doit déterminer ce qui peut constituer une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Dans l'arrêt Basile v. Attorney - General of Nova Scotia (1983), 148 D.L.R. (3d) 382, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a avancé comme raisonnement que s'il devient néces- saire de protéger le public, on peut apporter certai- nes limites et contraintes à nos libertés.
En l'espèce, la Couronne a démontré que, tout en restant dans des limites raisonnables, nous devrions apporter à l'article 8 de la Charte certai- nes restrictions dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, compte tenu du bien-être des Cana- diens sur les plans social, économique et politique. L'article 1 de la Charte a été rédigé de manière à prévoir l'imposition de certaines restrictions à nos droits et libertés. Son libellé lui-même n'impose aucune limite au pouvoir de censure grâce auquel les tribunaux peuvent à juste titre restreindre nos libertés.
Les fouilles, les perquisitions et les saisies consti tuent des intrusions dans la vie privée de l'individu. Elles ne peuvent être tolérées à moins de circons- tances exceptionnelles.
Bien qu'il peut ne pas y avoir d'autorisation préalable, les tribunaux assurent la protection adé- quate du public après coup. Les critères sont appli- qués par une tierce personne objective et agissant de façon judiciaire, le juge de première instance. Les mandats de main-forte délivrés en vertu de la Loi sur les stupéfiants sont toujours assujettis à un examen minutieux en vertu de l'article 8 de la
Charte, mais ils peuvent être raisonnables et exé- cutoires à condition qu'ils se conforment à certains critères rigoureux. Il faut démontrer l'urgence de la situation et l'impossibilité d'obtenir un mandat de perquisition dans ce cas particulier; il faut également établir que la perquisition a été effec- tuée d'une manière raisonnable, que la personne qui se sert du mandat de main-forte croit pour des motifs raisonnables qu'il se trouve sur les lieux un stupéfiant à l'égard duquel une infraction à la Loi a été commise, qu'on a examiné minutieusement si l'agent effectuant l'enquête avait des motifs rai- sonnables de croire à la présence de stupéfiant avant d'effectuer la saisie et que les éléments de preuve cherchés et obtenus pendant la perquisition se limitaient à l'infraction que l'agent croyait, pour des motifs raisonnables, avoir été commise.
Ces critères, bien qu'ils ne soient ni restrictifs ni globaux, ne laissent pas l'individu sans protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies sans mandat. Même si les droits des individus garantis par l'article 8 de la Charte peuvent faire l'objet de ces intrusions, j'estime que ces intrusions sont requises par l'article 1 de ladite Charte; elles ne sont pas incompatibles avec les exigences con- cernant l'application de la loi dans le domaine des stupéfiants dans le cadre d'une société libre et démocratique. Le paragraphe 24(2) de la Charte accorde en outre une protection supplémentaire.
Il faut craindre de saper les pouvoirs des agents de police en interprétant les droits accordés par la loi de manière à protéger les criminels et, en même temps, à diminuer la protection des citoyens.
Le juge Gérard V. La Forest de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick (tel était alors son titre) a écrit dans la Revue du Barreau canadien au sujet de la Charte canadienne des droits et libertés dans un article intitulé «The Canadian Charter of Rights and Freedoms: An overview», publié (1983), 61 R. du B. Can. 19, la page 20:
[TRADUCTION] Par une série de présomptions désignées par l'expression .protection contre l'ingérence de l'État dans la liberté ou les biens de la personnes, les tribunaux interprètent les textes législatifs de manière à ce que la liberté de l'individu ou ses droits de propriété ne soient pas restreints de manière arbitraire. En agissant ainsi, les tribunaux exercent ce qui constitue essentiellement une fonction constitutionnelle. Ils col- laborent avec le pouvoir législatif afin de préserver nos valeurs politiques fondamentales. En utilisant un langage clair, le législateur peut, bien sûr, infirmer la décision du tribunal;
toutefois, en insistant sur la nécessité d'un tel langage clair, les tribunaux aident à susciter des changements d'avis et des débats publics qui, de l'avis de tous, constituent une protection essentielle dans une démocratie parlementaire.
Et traitant de l'article 1 de la Charte, il a ajouté à la page 25:
[TRADUCTION] Dans toute société, il est nécessaire de faire l'équilibre entre les différents droits. Il n'existe pratiquement pas de droits absolus. Les tribunaux auraient de toute façon à faire l'équilibre entre les droits énoncés dans la Charte et d'autres droits, et en agissant ainsi, ils utiliseraient naturelle- ment ce qui peut raisonnablement se justifier dans le cadre d'une société démocratique, car c'est le genre de société dans laquelle nous vivons et les juges, comme les autres citoyens, sont intéressés par l'état de leur société.
Il a écrit à la page 24:
[TRADUCTION] Je pourrais ajouter en passant que la Charte nous force à examiner les questions d'une manière différente. Si clairs une loi ou ses buts puissent-ils être, les tribunaux auront à porter un jugement de valeur sur ceux-ci, ce qui est très différent de leur rôle traditionnel. Cela devrait avoir un effet très important sur les sources dont les tribunaux doivent s'inspi- rer, et en particulier, le renvoi aux décisions judiciaires rendues dans d'autres juridictions, notamment aux Etats-Unis, ou fon- dées sur le Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies et sur la Convention européenne des droits de l'homme. Ce n'est pas que j'estime que nous devrions suivre aveuglément ces décisions. Ce sont les besoins ressentis dans notre société et ses traditions qui doivent guider nos tribunaux. Toutefois, ces décisions seront précieuses car elles nous permet- tront de déterminer les questions qui doivent être examinées. Il arrive si souvent que nous ne nous rendions pas compte qu'une certaine ligne de conduite peut inutilement porter atteinte aux droits de l'individu parce que nous sommes tout simplement devenus habitués à cette manière de faire les choses.
Comme le juge La Forest l'a fait remarquer, il ne nous est pas nécessaire de suivre aveuglément les décisions des autres juridictions, mais nous devrions nous inspirer des besoins et traditions de notre société. Il se peut que ce jugement entraîne des changements d'avis. Selon ce que je comprends de l'état de notre société, je conclus qu'elle est prête à accepter les restrictions que j'impose à ses droits et libertés.
Je ne peux faire de commentaires sur les faits particuliers de l'espèce. Le juge de première ins tance devra déterminer si les éléments de preuve obtenus au cours de la perquisition et de la saisie sont admissibles ou non.
La demande est rejetée avec dépens.
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