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T-797-85
Lionel Staples (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
Division de première instance, juge Strayer—Sas- katoon, 31 mai; Ottawa, 26 juin 1985.
Libération conditionnelle Refus d'accorder la libération conditionnelle de jour La Commission n'a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire La Cour n'a pas compétence pour réexaminer la sagesse de la décision de la Commission Il incombe à celui qui présente une demande de libération condi- tionnelle de jour de soumettre en bonne et due forme à la Commission la preuve qu'il veut qu'elle examine Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 11.
Droit constitutionnel Charte Vie, liberté et sécurité Refus d'accorder la libération conditionnelle de jour Les règles de justice fondamentale exigent que la personne qui demande la libération conditionnelle de jour soit informée de la teneur des pièces qui lui seront opposées Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7 Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 11 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 26) Règle- ment sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78- 428, art. 15 (mod. par DORS/81-487, art. 1), 17.
La Commission nationale des libérations conditionnelles a refusé d'accorder la libération conditionnelle de jour au requé- rant et a confirmé cette décision après l'avoir réexaminée.
Il s'agit d'une demande de bref de certiorari annulant cette décision et de bref de mandamus enjoignant à la Commission de procéder à un nouvel examen de la demande de libération conditionnelle de jour «à partir de tous les renseignements actuels».
Le requérant soutient qu'en ne tenant pas compte des élé- ments de preuve qu'il lui demandait d'examiner, et en exami- nant des éléments de preuve dont il ignorait l'existence, la Commission l'a privé de son droit à l'équité reconnu par la common law ou du bénéfice des règles de la justice fondamen- tale en violation de l'article 7 de la Charte. Il allègue également que la Commission a abusé de son pouvoir discrétionnaire, outrepassant ainsi sa compétence.
Jugement: un bref de certiorari est délivré afin que soient annulées les décisions de la Commission, ainsi qu'un bref de mandamus enjoignant à la Commission de reconsidérer la demande et d'informer le requérant dans un délai raisonnable des pièces qu'elle examinera à l'encontre de sa demande.
Rien ne permet de conclure que la Commission a abusé de son pouvoir discrétionnaire, outrepassant ainsi sa compétence. La Commission avait à sa disposition un grand nombre de renseignements lui permettant de rendre sa décision. La pré- sente Cour ne peut s'ériger en tribunal d'appel afin de réexami- ner la sagesse de cette décision.
Le premier argument du requérant selon lequel la Commis sion n'a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents s'appuie sur le fait que, avant que la décision ne soit réexami- née, il a informé la Commission que certains fonctionnaires du service pénitentiaire, dont il a révélé l'identité, étaient en mesure de fournir des renseignements indiquant que son com- portement avait changé. Il n'a pas précisé quels étaient ces renseignements et la Commission n'a pas pris contact avec ces fonctionnaires avant de rendre sa décision. La Commission n'était pas tenue de recueillir une telle preuve. Il appartenait au requérant de soumettre à la Commission, en bonne et due forme, les renseignements qu'il voulait qu'elle examine.
Cependant, la Commission a examiné des éléments de preuve dont le requérant ignorait l'existence: des rapports de police, un rapport d'évaluation communautaire et les commentaires du directeur du Centre Oskana à Regina. De plus, la Commission n'a pas invoqué de privilège concernant la non-divulgation de ces documents. L'article 7 de la Charte s'applique à cette situation. En dépit d'une certaine jurisprudence l'on a soutenu le contraire, (O'Brien c. Commission nationale des libérations conditionnelles), le non-octroi de la libération con- ditionnelle de jour constitue, tout autant qu'une décision por- tant révocation de la libération conditionnelle, une décision qui concerne la «liberté». Les seules distinctions possibles résultent d'exigences différentes au chapitre de la justice fondamentale ou des restrictions qui sont permises dans chaque cas à l'article 1 de la Charte.
La «justice fondamentale», dans le sens cette expression est utilisée à l'article 7, exige que la personne qui demande la libération conditionnelle de jour soit informée de la teneur des pièces qui lui seront opposées et que la Commission examinera, afin de pouvoir y répondre. Il n'existe actuellement aucune disposition législative privant un détenu de son droit d'être informé des arguments présentés contre lui, et si une telle disposition devait être adoptée un jour, il faudrait faire la preuve qu'une telle restriction peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Le requérant n'a pas prétendu que la Commission aurait lui permettre d'être entendu. La Cour n'a donc pas examiné si la négation du droit à une audition, en vertu de l'article 11 de la Loi qui s'applique à la libération conditionnelle de jour, contre- vient au droit garanti par la Charte de ne pas être privé de la liberté si ce n'est qu'en conformité avec les principes de justice naturelle.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R. (4th) 393 (1"° inst.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
O'Brien c. Commission nationale des libérations condi- tonnelles, [1984] 2 C.F. 314; 43 C.R. (3d) 10 (1"e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Beaumier c. La Commission nationale des libérations conditionnelles, [1981] 1 C.F. 454 (1" inst.).
AVOCATS:
Morris F. Morton pour le requérant. Mark R. Kindrachuk pour l'intimée.
PROCUREURS:
Saskatchewan Legal Aid Commission, Prince Albert, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le requérant demande l'an- nulation d'une décision de la Commission intimée, rendue le 27 août 1984 et confirmée après réexa- men le 25 octobre 1984, par laquelle cette dernière a refusé de lui accorder la libération conditionnelle de jour. Il sollicite également un bref de manda- mus enjoignant à la Commission de procéder à un nouvel examen de sa demande de libération condi- tionnelle de jour [TRADUCTION] «à partir de tous les renseignements actuels».
Le requérant se fonde essentiellement sur deux moyens pour demander l'annulation de la décision. L'un de ces moyens est que la Commission inti- mée, en ne prenant pas en considération «tous les renseignements actuels ayant trait à la décision», l'a privé de son droit à l'équité reconnue par la common law ou du bénéfice des règles de la justice fondamentale en violation de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. L'autre moyen porte que la Commission, en rendant sa décision, a abusé de son pouvoir discrétionnaire, outrepassant ainsi sa compétence.
Considérant d'abord le second moyen, je ne vois pas en quoi la Commission a abusé de son pouvoir discrétionnaire en rendant sa décision. Puisqu'il appartient à la Commission, et non à la Cour, de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de libération conditionnelle de jour du requérant, je ne pourrais conclure qu'il y a eu emploi abusif du pouvoir discrétionnaire équivalant à un excès de compétence que si j'étais persuadé que la décision était fondée sur des motifs n'ayant aucun rapport avec les fins pour lesquelles la Commission dispose
d'un pouvoir discrétionnaire dans de tels cas. Rien ne permet de conclure que ce soit le cas en l'es- pèce. La Commission avait à sa disposition un grand nombre de renseignements très pertinents qui lui ont permis de rendre sa décision. Je ne peux m'ériger en tribunal d'appel afin de réexaminer la sagesse de cette décision.
Quant au premier moyen portant que la Com mission n'a pas tenu compte de tous les renseigne- ments actuels ayant trait à la décision, il mérite un examen plus approfondi. Le requérant ne prétend pas que la Commission aurait lui permettre d'être entendu. On a statué avant l'adoption de la Charte que l'article 11 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 26)] a supprimé l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law pour ce qui est d'entendre une demande de libération conditionnelle de jour. Voir Beaumier c. La Commission nationale des libéra- tions conditionnelles, [1981] 1 C.F. 454 (ire inst.). Cet article prévoit qu'à moins d'indications con- traires dans les règlements, la Commission n'est pas tenue, lorsqu'elle octroie ou révoque une libé- ration conditionnelle «de donner au détenu l'occa- sion de se faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une autre personne». L'article 15 du Règlement [Règlement sur la libération condi- tionnelle de détenus, DORS/78-428 (mod. par DORS/81-487, art. 1)] exige la tenue d'une audi tion afin que soit examinée la demande de libéra- tion conditionnelle totale du détenu, et l'article 17 exige qu'au moins quinze jours avant un tel examen, la Commission communique au détenu «tous les renseignements pertinents qu'elle a en sa possession», sous réserve du paragraphe 17(3). Mais le Règlement ne fait apparemment pas état de la tenue d'une audition ou de procédures dans le cas de demandes de libération conditionnelle de jour, ce qui signifie à tout le moins que la négation du droit à une audition prévue à l'article 11 de la Loi s'applique à de tels cas. Subsiste la question de savoir si l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui dispose que chacun a droit à ce qu'il ne soit porté atteinte à sa «liberté ... qu'en conformité avec les principes de justice fondamen- tale», exige maintenant la tenue d'une audition concernant les demandes de libération condition- nelle de jour. Comme le requérant n'a pas soulevé cette question, je n'ai pas à l'examiner.
Le requérant soutient cependant qu'en ne tenant pas compte de «tous les renseignements actuels», la Commission a failli, d'une manière ou d'une autre, à son obligation de procéder d'une manière équita- ble ou conforme aux exigences de la justice fonda- mentale. Si j'ai bien compris cet argument et les affidavits, ce présumé manquement résulterait en partie du fait que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve que le requérant lui demandait d'examiner, et qu'elle a examiné des éléments de preuve dont le requérant ignorait l'existence.
Pour ce qui est du premier grief contre la Com mission, il ressort des arguments qui m'ont été soumis qu'il concerne une situation survenue après que la Commission eut d'abord rejeté la demande de libération conditionnelle de jour, en date du 27 août 1984 et qu'elle en eut informé le requérant par lettre datée du 10 septembre 1984. Ce dernier a alors demandé que la décision soit révisée par d'autres membres de la Commission, demande qui a été acceptée. Avant ce réexamen, l'avocat du requérant a fait parvenir à la Commission, en date du 2 octobre 1984, une lettre il fait mention de deux rapports psychiatriques portant sur son client, rapports que la Commission lui avait four- nis et à l'égard desquels il a fait certaines observa tions. Il a également donné les noms de cinq fonctionnaires du service pénitentiaire qui, a-t-il laissé entendre, étaient en mesure de fournir des renseignements indiquant que le comportement du requérant avait changé. Il n'a pas précisé quels étaient ces renseignements, et il semble que la Commission n'ait pas pris contact avec ces fonc- tionnaires avant de décider, le 25 octobre 1984, de confirmer la décision antérieure rejetant la demande de libération conditionnelle de jour. Il ne fait aucun doute qu'au moment elle a procédé au réexamen de la demande, la Commission avait en sa possession le dossier complet comprenant tous les documents que le requérant et son avocat avaient décidé de lui soumettre par écrit. Le seul grief réel formulé à cet égard est que la Commis sion ne s'est pas renseignée auprès des personnes nommées par l'avocat dans sa lettre du 2 octobre. Je ne vois pas en quoi la Commission serait tenue de recueillir une telle preuve. Si le requérant ou son avocat désirait saisir la Commission de rensei- gnements que possédaient ces personnes, il aurait les recueillir en bonne et due forme et les lui transmettre.
J'éprouve toutefois plus de difficultés en ce qui concerne le second grief selon lequel la Commis sion a tenu compte d'éléments de preuve ou de documents qui n'avaient pas été portés à la con- naissance du requérant. Après avoir examiné les affidavits du requérant et de John D. Bissett (déposés pour le compte de l'intimée), il me semble que la Commission a effectivement examiné des documents, y compris des rapports de police, un rapport d'évaluation communautaire et des com- mentaires du directeur du Centre Oskana à Regina, que ni le requérant ni son avocat n'ont pu examiner avant que la décision ne soit prise. La Commission n'a pas nié ce fait et n'a pas non plus invoqué de privilège concernant la non-divulgation de ces documents.
À mon sens, l'article 7 de la Charte s'applique à l'espèce présente. En toute déférence pour ceux qui sont d'avis contraire (voir, par exemple O'Brien c. Commission nationale des libérations condition- nelles, [1984] 2 C.F. 314; 43 C.R. (3d) 10 (1Ce inst.), aux pages 326 et 327 C.F.; 22 et 23 C.R.), j'estime que l'octroi ou le non-octroi de la libéra- tion conditionnelle de jour est une décision qui concerne la «liberté». Je ne vois pas en quoi cette décision serait différente d'une décision portant révocation de la libération conditionnelle. Dans les deux cas la décision signifie qu'une personne sera ou non en liberté. Les seules distinctions possibles entre ces catégories de décisions résultent d'exigen- ces différentes au chapitre de la justice fondamen- tale ou des types de restrictions qui sont permises à leur égard à l'article 1 de la Charte.
Donc, si on applique l'article 7, qu'est-ce que la «justice fondamentale» exige dans les circons- tances? Selon moi elle exige que la personne qui demande la libération conditionnelle de jour soit informée de la teneur des pièces qui lui seront opposées et que la Commission examinera, afin de pouvoir y répondre par une preuve ou des argu ments. Tel n'a pas été le cas en l'espèce. J'ai conclu qu'une telle situation contrevient à l'article 7 de la Charte en ce qui concerne la révocation de la libération conditionnelle (voir Latham c. Solli- citeur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R. (4t) 393 (1"e inst.)), et ma conclusion est identique pour ce qui est de l'octroi de la libération conditionnelle de jour.
Il peut être nécessaire que les demandes de libération conditionnelle de jour soient traitées avec un minimum de délai, de fréquence, de dépla- cement ou de paperasserie, et que certains rensei- gnements ne soient pas divulgués; la loi pourrait fort bien limiter de manière raisonnable les obliga tions qu'imposerait, en d'autres circonstances, l'ar- ticle 7 de la Charte. Mais en autant que je sache, cela n'a pas été le cas en l'espèce. Il me semble que les dispositions actuelles de la Loi et du Règlement mentionnées plus haut excluent le droit à une audition en matière de libération conditionnelle de jour. Mais elles ne privent pas expressément un détenu de son droit d'être informé de ce qui lui est reproché. Par conséquent, que l'on considère ou non que la législation existante qui nie le droit à une audition lors d'une demande de libération conditionnelle de jour constitue, le cas échéant, une restriction raisonnable aux droits garantis par l'article 7 au sens de l'article 1 de la Charte, il ne semble pas que l'on ait adopté de restrictions semblables pour ce qui est du droit d'un détenu d'être informé des arguments présentés contre lui lors de telles procédures. Si ces restrictions légales existent et ne m'ont pas été signalées, ou si elles sont adoptées un jour, il incombera à l'intimée de faire la preuve qu'une telle restriction peut se justifier au sens du critère prévu à l'article 1.
Je conclus donc que les décisions par lesquelles l'intimée a refusé d'accorder au requérant la libé- ration conditionnelle de jour doivent être annulées et que l'intimée doit réexaminer la demande du requérant en l'informant dans un délai raisonnable de la teneur des pièces qu'elle examinera à l'encon- tre de sa demande afin qu'il puisse y répondre.
ORDONNANCE
(1) Les décisions de la Commission intimée refusant d'accorder au requérant la libéra- tion conditionnelle de jour sont annulées au moyen d'un bref de certiorari;
(2) La Commission intimée est requise, par voie de mandamus, de reconsidérer ladite demande et d'informer le requérant dans un délai raisonnable des pièces qu'elle exami- nera à l'encontre de sa demande afin qu'il puisse y répondre; et
(3) Le requérant a droit à ses dépens.
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