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A-1336-84
Commission canadienne des droits de la personne (appelante)
c.
Julie Dalton; Canadian Pacifie Airlines Limited; Fraternité des commis de chemin de fer et de lignes aériennes, Conseil de réseau 435 et Bianca Peruzza [sic] (intimées)
RÉPERTORIÉ: DALTON C. COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE IA PERSONNE (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Ryan— Toronto, 3 décembre; Ottawa, 16 décembre 1985.
Droits de la personne Appel est interjeté d'une décision par laquelle la Division de première instance a accordé un jugement déclaratoire et une injonction À l'origine, la convention collective prévoyait que, en cas d'identité de tous les autres facteurs, l'âge serait le critère déterminant de l'an- cienneté Modification subséquente faisant du processus de sélection au hasard le critère déterminant pour les employés embauchés par la suite Dépôt par l'employée d'une plainte portant que la détermination de l'ancienneté selon l'âge consti- tue un acte discriminatoire L'employeur, le syndicat et la plaignante ont conclu un règlement, approuvé par la Commis sion, prévoyant la révision de la liste d'ancienneté conformé- ment à la modification apportée à la convention collective L'intimée Dalton s'est vue assigner un rang inférieur Le juge de première instance a déclaré le règlement invalide parce qu'il y avait eu déni de justice naturelle, Dalton n'ayant pas été avisée et n'ayant pas eu la possibilité de se faire entendre avant que la Commission n'approuve le règlement Appel accueilli Les droits de Dalton sont touchés par le règlement et non par l'approbation qu'a donnée la Commission Le rôle de la Commission consiste à déterminer si le règlement per- mettait d'indemniser adéquatement la victime et s'il empêchait la répétition de l'acte illicite Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2), 7b) (mod., idem, art. 3), 9(1)c) (mod., idem, art. 4), 10a) (mod., idem, art. 5), b), 38 (mod. idem, art. 18).
Relations du travail Dépôt d'une plainte selon laquelle la détermination de l'ancienneté selon l'âge constitue un acte discriminatoire contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne L'employeur, le syndicat et la plaignante. ont conclu un règlement, approuvé par la Commission, prévoyant la révision de façon rétroactive de l'ancienneté selon le proces- sus de la sélection au hasard A première vue, un agent certifié a le pouvoir de renégocier une modalité d'une conven tion collective sans avoir à consulter tous les employés qui sont susceptibles d'être touchés L'art. 136.1 du Code prescrit les obligations du syndicat L'intérêt du syndicat n'est pas contraire à celui de l'employée Son intérêt est de modifier la convention collective pour empêcher qu'un motif de discri mination illicite ne soit utilisé dans l'établissement de l'an- cienneté Impossibilité d'identifier à l'avance les employés
susceptibles d'être désavantagés Le syndicat a agi de manière juste et équitable Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 136.1 (mod. par S.C. 1984, chap. 39, art. 28).
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires L'employeur, le syndicat et la plaignante ont conclu un règlement, approuvé par la Commission, prévoyant la révision de la liste d'ancienneté de façon rétroactive Le juge de première instance a statué qu'il y avait eu déni de justice naturelle parce que l'employée n'avait pas été avisée et n'avait pas eu la possibilité de se faire entendre avant que la Commission des droits de la personne n'approuve le règlement Appel accueilli Les droits de l'employée sont touchés par le règlement et non par l'approbation de la Commission Le juge de première instance a commis une erreur en tenant compte des conséquences que pourrait avoir l'inobservation des conditions du règlement lors de poursuites intentées en vertu de l'art. 46 de la Loi Action civile Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 46.
Il s'agit d'un appel formé à l'encontre d'une décision de la Division de première instance. Une convention collective pré- voyait que, en certaines circonstances, l'ancienneté serait déter- minée en fonction de l'âge. La convention collective a ultérieu- rement été modifiée de façon à ce que l'ancienneté des employés embauchés par la suite soit déterminée selon le processus de sélection au hasard. Une plainte a été déposée selon laquelle la détermination de l'ancienneté en fonction de l'âge constitue un acte discriminatoire. L'employeur, le syndi- cat et la plaignante ont conclu un règlement, approuvé par la Commission, prévoyant la révision de la liste d'ancienneté conformément à la modification. L'intimée Dalton s'est vue assigner un rang inférieur. Elle a intenté des poursuites afin d'obtenir un jugement déclaratoire portant que la décision de la Commission était sans effet pour ce qui est des modifications rétroactives apportées à la liste d'ancienneté, une injonction interdisant de réviser la liste d'ancienneté et ses dépens. Le juge de première instance a accueilli l'action de Dalton parce que, selon lui, les règles de la justice naturelle exigeaient de la Commission qu'elle avise Julie Dalton et lui donne la possibilité de se faire entendre avant d'approuver un règlement qui touche son ancienneté. Il a également statué que, en raison des sanc tions prévues à l'article 46 pour inobservation des conditions d'un règlement, le règlement doit être interprété de manière stricte et que, ainsi interprété, il ne permet pas le réajustement de la liste d'ancienneté.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge de première instance a commis une erreur en consi- dérant comme très important le fait qu'en vertu de l'article 46 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'inobserva- tion est une infraction. Il s'agissait d'une action civile. L'inten- tion claire des parties au règlement était établie par une preuve incontestée, admissible et extrinsèque. La liste d'ancienneté devrait être révisée conformément à la proposition du syndicat, laquelle avait été acceptée par l'employeur et par l'employée, et non d'après une interprétation littérale des modalités du règle- ment. De plus, ce sont l'employeur et le syndicat qui sont passibles d'amendes, non les tierces parties comme Julie Dalton.
Le juge de première instance a commis une erreur en sta- tuant qu'il y a eu déni de justice naturelle parce que la
Commission n'a pas donné à Dalton la possibilité de se faire entendre avant d'approuver le règlement. Ce n'est pas l'appro- bation de la Commission qui a affecté les droits d'ancienneté de Dalton, mais seulement le règlement. La Commission n'était pas tenue, en rendant sa décision, de lui donner la possibilité de se faire entendre. Les seules fonctions de la Commission consis- taient à déterminer si le règlement permettait d'indemniser adéquatement la plaignante et s'il empêchait, pour l'avenir, la répétition de l'acte discriminatoire illicite.
Le syndicat était autorisé à négocier la modification sans fournir à Dalton la possibilité de participer aux négociations. La seule exception à ce droit prima facie se présenterait si le syndicat agissait de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, en contravention de l'article 136.1 du Code canadien du travail. Les causes mentionnées, le syndicat n'était pas en mesure de représenter de bonne foi les employés, sont différentes. Dans ces affaires, les intérêts du syndicat étaient opposés à ceux de l'employé. En l'espèce, le syndicat n'avait aucun intérêt opposé à celui de Dalton. Il visait seule- ment à conclure un règlement avec la plaignante et à modifier la convention collective de façon à ce qu'elle cesse de prévoir un motif de discrimination illicite. Il était impossible d'identifier à l'avance, les employés ou les groupes qui seraient avantagés ou désavantagés. Le syndicat a représenté équitablement et de bonne foi les employés susceptibles d'être désavantagés.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hoogendoorn v. Greening Metal Products and Screening Equipment Company et al., [1968] R.C.S. 30; Appleton c. Eastern Provincial Airways Ltd., [1984] I C.F. 367 (C.A.); Re Winnipeg Police Association et al. and City of Winnipeg et al. (1980), 110 D.L.R. (3d) 196 (C.A. Man.).
AVOCATS:
Russell G. Juriansz et J. R. Hendry pour l'appelante.
George A. Lane pour l'intimée Julie Dalton. Katharine F. Braid pour l'intimée CP Air. Donald W. Muldoon pour l'intimée la Frater- nité des commis de chemin de fer et de lignes aériennes, Conseil de réseau 435.
A COMPARU:
Bianca Perruzza pour son propre compte.
PROCUREURS:
Avocat général, Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l'appe- lante.
Keyser/Mason/Coleman/MacTavish & Lewis, Mississauga, Ontario, pour l'intimée Julie Dalton.
Contentieux du Canadien Pacifique, Toronto, pour l'intimée CP Air.
P. Michael Bolton & Assoc., Vancouver, pour l'intimée, la Fraternité des commis de chemin de fer et de lignes aériennes, Conseil de réseau 435.
L'INTIMÉE POUR SON PROPRE COMPTE: Bianca Perruzza.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est interjeté d'une décision par laquelle la Division de première ins tance [[1985] 1 C.F. 37] a accordé un jugement déclaratoire et une injonction dans une action intentée par l'intimée, Julie Dalton, relativement à une modification des clauses d'ancienneté de la convention collective régissant son emploi par l'in- timée, Canadien Pacific Airlines Limited, ci-après appellée «CP Air». CP Air et l'intimée, la Frater- nité des commis de chemin de fer et lignes aérien- nes, Conseil de réseau 435, ci-après appellée «le syndicat», avaient donné leur accord à cette modi fication, et l'appelante, ci-après appellée «la Com mission» l'avait approuvée conformément à l'arti- cle 38 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, par suite d'une plainte formée par l'intimée Bianca Perruzza, éga- lement une employée de CP Air. Le syndicat, qui est une «association d'employés» aux termes de la Loi, était, pendant toute la période pertinente, dûment certifié à titre d'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle appartenaient Julie Dalton et Bianca Perruzza.
La clause en litige devait être incorporée dans la convention collective parce qu'il est fréquent qu'à la suite d'un cours de formation, un groupe de nouveaux employés soient embauchés à la même date, et qu'il faille alors déterminer l'ancienneté relative des membres de chacun des groupes.
Au moment Bianca Perruzza a été engagée, le 4 mai 1981, la convention collective prévoyait:
[TRADUCTION] 7.08 Au cas plus d'un employé appartenant à la même classification d'ancienneté auraient la même date d'ancienneté, l'employé ayant travaillé le plus longtemps sera considéré comme le plus ancien; advenant un nombre égal d'années de service, l'employé le plus âgé sera considéré comme le plus ancien.
Les conventions collectives précédentes compor- taient une disposition similaire qui s'appliquait avant et après l'entrée en vigueur des dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le 1er mars 1978. En octobre 1982, la convention 22 a maintenu en vigueur la disposition déjà citée, et ce qui suit a été ajouté à l'article 7.08:
[TRADUCTION] La détermination du classement selon l'ancien- neté des employés qui sont engagés après la signature de la convention 22, qui appartiennent à la même classification d'ancienneté et qui ont le même nombre d'années de service sera faite selon le processus de sélection au hasard.
Le 10 février 1983, Bianca Perruzza a saisi la Commission d'une plainte portant que la détermi- nation de son ancienneté et la mise à pied projetée qu'elle entraîne, sur le fondement de cette disposi tion constituaient des actes discriminatoires con- traires à la Loi. Les dispositions pertinentes de la Loi [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2, 3, 4, 5] sont les suivantes:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
9. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa- tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une conven tion collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'associa- tion, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em- ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
La Commission a commencé une enquête sur la plainte. Préalablement à la constitution d'un tribu nal des droits de la personne, CP Air et le syndi- cat, ainsi que Bianca Perruzza, ont convenu du règlement suivant:
[TRADUCTION] 1. En consultation avec le bureau régional de l'Ouest de la Commission canadienne des droits de la personne, BRAC établira une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'appli- cation rétroactive de l'article 7.08 de la convention 22, et présentera ladite liste à CP Air pour que celle-ci l'adopte.
2. ci' Air adoptera la liste d'ancienneté révisée mentionnée au paragraphe 1. ci-dessus.
3. Au cas la révision indiquée aux paragraphes 1. et 2. ci-dessus attribuerait à Bianca Perruzza un rang d'ancienneté plus élevé que celui qu'elle occupe actuellement, CP Air et BRAC partageront le remboursement du salaire qu'elle a perdu en raison de son ancienneté antérieure inférieure.
Il était de toute évidence inutile d'incorporer l'en- semble de l'article 7.08, tel qu'il existait, au règle- ment. L'application de son premier paragraphe prescrivait un acte discriminatoire. La conduite subséquente du syndicat, de CP Air et de la Com mission indique uniquement que le but du règle- ment était de modifier de façon rétroactive l'article 7.08 pour qu'il ait l'effet suivant:
[TRADUCTION] Au cas un ou plus d'un employé appartenant à la même classification d'ancienneté aurait la même date d'ancienneté, l'employé ayant travaillé le plus longtemps sera considéré comme le plus ancien, et le classement des employés qui ont le même nombre d'années de service sera fait selon le processus de sélection au hasard.
Le règlement a été soumis à la Commission qui, conformément à l'article 38 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 18] de la Loi, y a donné son approbation.
38. (1) Les parties qui conviennent d'un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte mais avant le début de l'audience d'un tribunal des droits de la personne, doivent en présenter les conditions à l'approbation de la Commission.
(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.
46. (1) Est coupable d'une infraction quiconque:
a) ne se conforme pas aux conditions approuvées et certifiées
par la Commission en vertu de l'article 38;
(2) Quiconque est reconnu coupable d'une infraction prévue au paragraphe (1) est passible, sur déclaration sommaire de culpabilité,
a) d'une amende maximale de cinquante mille dollars, dans le cas d'un employeur, d'une association patronale ou d'une association d'employés, ou
b) d'une amende maximale de cinq mille dollars, dans les autres cas.
Julie Dalton, qui avait été classée au mille deux cent vingt-septième rang sur la liste d'ancienneté, a été reclassée au mille deux cent trentième rang par suite de la modification. Alors qu'elle avait été classée deuxième d'un groupe de onze personnes engagées le 20 mai 1980, le processus de la sélec- tion au hasard l'a fait reculer au cinquième rang. Elle a intenté des poursuites afin d'obtenir a) un jugement déclaratoire portant que la décision ou l'ordonnance de la Commission était sans effet pour ce qui est des modifications rétroactives apportées à la liste d'ancienneté; b) une injonction interdisant à CP Air et au syndicat de réviser la liste d'ancienneté existante ou de la modifier de quelqu'autre manière en application de la décision ou de l'ordonnance de la Commission et c) ses dépens. Il faut souligner que les faits de l'espèce sont entièrement établis par un exposé conjoint des faits; aucune défense n'a été déposée, aucun témoi- gnage oral n'a été entendu et aucune question de crédibilité ne se pose.
Le juge de première instance a tiré un certain nombre de conclusions, lesquelles ne sont pas toutes contestées dans le présent appel. J'estime que la présente Cour se doit d'indiquer clairement qu'elle ne se prononce pas sur celles-ci et, en particulier, sur la conclusion selon laquelle la modification de la convention collective, si elle avait eu un effet quelconque, aurait modifié les, rangs assignés sur la liste d'ancienneté établie avant le ler mars 1978, date à laquelle les disposi tions pertinentes de la Loi sont entrées en vigueur. Ni Julie Dalton, ni Bianca Perruzza ne sont des personnes dont le rang aurait été modifié. La question pourrait devoir être tranchée, peut-être lors de procédures intentées devant un autre tribu nal, si la mise en vigueur de cette modification a effectivement cet effet et si une personne touchée par cette mesure dépose une plainte.
Le juge de première instance a en fait conclu que:
1. Les règles de justice naturelle et d'équité exigent de la Commission qu'elle avise Julie Dalton et lui donne la possibilité de se faire entendre avant d'approuver un règlement qui touche son ancienneté; cette obligation n'est pas écartée du fait que le syndicat est l'agent négociateur de Julie Dalton et qu'il n'est pas tenu, en vertu de ses statuts, d'obtenir la ratification de la convention collective par ses membres.
2. Vu les infractions et les amendes prévues par l'article 46 de la Loi pour le défaut de se conformer aux conditions d'un règlement approuvé et certifié en vertu de l'article 38, le règlement doit être interprété de manière stricte et, ainsi inter- prété, il ne permet pas le réajustement projeté de la liste d'ancienneté.
Par conséquent, il a été interdit à CP Air et au syndicat d'appliquer le règlement; on a déclaré qu'il ne permettait pas le réajustement de la liste d'ancienneté et que, dans la mesure il visait à altérer les droits d'ancienneté de Julie Dalton, il était sans effet, cette dernière n'ayant pas été avisée et n'ayant pas eu la possibilité de se faire entendre.
Pendant l'audition de l'appel, seule Julie Dalton s'est opposée à l'appelante qui conteste les deux conclusions susmentionnées et qui demande que l'appel soit accueilli et que l'action soit rejetée avec dépens. Le syndicat s'est entièrement rallié à la thèse de l'appelante. CP Air ne s'est pas prononcée sur le fond, demandant seulement que, si l'appel était accueilli, on lui accorde un délai de quatorze jours pour donner suite à la nouvelle liste d'ancien- neté. Bianca Perruzza était présente, mais elle ne s'est pas prévalue de la possibilité qui lui était offerte de présenter des observations.
Quant à la seconde conclusion du juge de pre- mière instance, celui-ci a fait remarquer que «cet argument ne faisait pas partie de la preuve présen- tée par la demanderesse». Julie Dalton n'a pas essayé de le soutenir devant nous. Tout simple- ment, c'est que la procédure dont était saisi le juge de première instance était une action civile. L'in- tention claire des parties au règlement était pleine- ment établie par une preuve incontestée, admissi ble, et extrinsèque. La pièce G de l'exposé conjoint des faits, qui est la proposition du syndicat à laquelle Bianca Perruzza et CP Air ont donné leur accord et dont l'approbation a été recommandée à la Commission par son enquêteur, est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Le but de la présente est de vous aviser que le syndicat propose de réviser de façon rétroactive les dates d'an-
cienneté de tous les membres dont l'ancienneté était déterminée par l'âge. Les nouvelles dates seront fixées au moyen du processus de sélection par hasard.
Toutefois, aucun membre ne sera touché de manière rétroactive par suite de ce changement, à l'exception de Mme Bianca Perruzza qui a été mise à pied en raison de son âge.
Le syndicat accepte de partager avec CP Air les frais engagés et espère que cela réglera la plainte.
La liste d'ancienneté devait effectivement être réa- justée conformément à cette proposition et non d'après une interprétation littérale des modalités du règlement. Le juge de première instance a commis une erreur en statuant que pour interpré- ter correctement le règlement pour les fins de la présente action, il fallait tenir compte des effets qu'il pourrait avoir s'il était interprété littérale- ment lors de poursuites criminelles consécutives à son inobservation.
Je vais maintenant examiner la première conclu sion. Après le dépôt de la plainte de Bianca Per- ruzza, CP Air et le syndicat étaient désormais conscients que la convention collective comprenait une disposition impliquant manifestement un acte discriminatoire non seulement à l'égard de Bianca Perruzza, mais également à l'égard de tous les employés dont l'ancienneté avait été établie par l'âge, du moins depuis le 1 °r mars 1978. La liste d'ancienneté devait être réajustée par une formule n'impliquant pas d'acte discriminatoire. Peu importe la formule choisie, il était certain que toute amélioration de la position d'un employé sur la liste nuirait à la position d'au moins un autre employé.
À première vue, un agent négociateur certifié a le pouvoir de renégocier une modalité d'une con vention collective sans avoir à consulter tous les employés qui sont susceptibles d'être touchés par la modification. Il existe cependant une exception. Dans la présente espèce, l'exception se présenterait si, à l'égard des employés qu'il représente, l'agent négociateur n'avait pas respecté, dans les faits, les exigences de l'article 136.1 du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C. 1984, chap. 39, art. 28)], ou si, dans les circons- tances, on ne pouvait considérer qu'il les avaient respectées.
136.1 Le syndicat ou ses représentants ayant fonction d'agent négociateur d'une unité de négociation ne peuvent pas agir de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi envers
quelque employé de l'unité quant à leurs droits dans le cadre de la convention collective qui leur est applicable.
Une des causes qui fait autorité sur cette question est l'arrêt Hoogendoorn v. Greening Metal Pro ducts and Screening Equipment Company et al., [1968] R.C.S. 30. Il suffit pour exposer les faits et la conclusion de cette affaire de citer l'extrait suivant tiré de la page 39:
[TRADUCTION] Il était inutile que le syndicat et la compagnie aient recours à l'arbitrage. Tous deux comprenaient très bien et étaient d'accord que la convention collective obligeait Hoogen- doorn à remplir la formule requise autorisant la déduction des cotisations syndicales mensuelles versées par les membres du syndicat et à la remettre à la compagnie. Le syndicat et la compagnie voulaient tous deux qu'il le fasse. Il n'était pas nécessaire d'avoir recours à l'arbitrage pour décider que Hoo- gendoorn était tenu de le faire. Tous deux savaient qu'il s'y refusait catégoriquement. La procédure visait à obtenir le congédiement de Hoogendoorn en raison de son refus soit d'adhérer au syndicat soit de payer les cotisations. On ne peut dire que Hoogendoorn était représenté par le syndicat lors de la procédure d'arbitrage. Le syndicat a pris activement une atti tude défavorable à Hoogendoorn; il voulait qu'il soit congédié.
Dans la cause Appleton c. Eastern Provincial Air ways Ltd., [1984] 1 C.F. 367 (C.A.), la présente Cour s'est penchée sur une situation similaire ou un agent négociateur représentait un groupe d'em- ployés possédant des intérêts diamétralement opposés aux siens. Dans cette affaire, le Conseil canadien des relations de travail avait tenu une audition afin d'enquêter sur des allégations selon lesquelles l'employeur n'avait pas négocié de bonne foi parce qu'il avait entre autres tenté d'attribuer aux remplaçants embauchés pendant une grève une ancienneté plus grande qu'aux grévistes. Les deux groupes étaient représentés par le même syndicat.
Dans la cause Re Winnipeg Police Association et al. and City of Winnipeg et al. (1980), 110 D.L.R. (3d) 196, la Cour d'appel du Manitoba a examiné une procédure de grief comportant trois étapes: premièrement, examen de la question par le chef de police; deuxièmement, examen par les commissaires de la ville et, finalement, l'arbitrage lui-même. La Cour a vu des différences importan- tes entre chacune des trois étapes et a déclaré, à la page 210:
[TRADUCTION] Les règles de justice naturelle obligent à donner un avis suffisant préalablement à la tenue d'une audi tion d'un conseil arbitral lorsque la question en litige vise les droits d'un employé particulier ou d'un groupe d'employés. C'est ce qui ressort du jugement de la majorité dans la cause
Re Hoogendoorn . Il me semble toutefois qu'il existe une
différence fondamentale entre une audition d'arbitrage et les réunions qui la précèdent visant à résoudre le litige.
À mon avis, les étapes 1 et 2 de la procédure se veulent des procédures informelles au cours desquelles l'employeur et le syndicat ouvrier s'efforceront sérieusement de régler les griefs et d'échapper ainsi à l'obligation de tenir une audience arbitrale formelle. Le processus de règlement qui est implicite dans les étapes 1 et 2 de la procédure de grief est un processus de discussion, de négociation et de coopération plutôt qu'une procédure judiciaire ou quasi judiciaire.
Puisque le règlement d'un grief pouvait avoir lieu préalablement à l'arbitrage et entraîner des consé- quences néfastes pour un employé particulier ou un groupe d'employés, il semble que la portée de ce jugement est de les priver du droit à une représentation distincte au cours de négociations entre le syndicat et l'employeur. En l'espèce, seul l'article 136.1 du Code impose au syndicat une obligation envers Julie Dalton.
Dans les affaires Hoogendoorn et Appleton, l'agent négociateur ne pouvait représenter, de bonne foi, un membre ou un groupe identifié de membres devant un tribunal au cours de procédu- res visant à déterminer leurs droits ou leurs obliga tions, ou les deux. Dans chacun de ces cas, ses propres intérêts étaient opposés aux leurs, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Le syndicat n'avait aucun intérêt opposé à ceux de Julie Dalton. Son seul intérêt était de parvenir à un règlement avec Bianca Perruzza et de modifier la convention col lective de manière à ce que celle-ci cesse de prévoir un motif de distinction illicite dans le processus de détermination de l'ancienneté. Même s'il était à peu près mathématiquement certain que, quelle que soit la modification adoptée, certains individus seraient désavantagés tandis que d'autres seraient avantagés, aucun d'entre eux ne pouvaient être identifié à l'avance, que ce soit individuellement ou en tant que groupe. On ne peut vraiment pas dire que le syndicat n'a pas, en fait, représenté de bonne foi les employés qui étaient susceptibles d'être désavantagés par suite de la négociation d'une nouvelle clause d'ancienneté, de même qu'il était impossible de dire, à l'avance, qu'il ne pouvait les représenter équitablement.
Quoi qu'il en soit, ce qui a été plaidé et ce que le juge de première instance a décidé, c'est que le déni de justice naturelle vient de ce que la Com mission n'a pas donné à Julie Dalton la possibilité
de se faire entendre avant d'approuver le règle- ment, et non du fait qu'elle a été écartée des négociations entre CP Air et le syndicat. Cette décision est sans fondement à moins que l'approba- tion par la Commission du règlement ne constitue une décision, indépendante du règlement, qui affecte les droits de Julie Dalton. A mon avis, il ne s'agissait pas d'une décision de ce genre. Ses droits ont été affectés par le règlement et non par l'ap- probation qu'en a faite la Commission.
Sans essayer de déterminer les facteurs que la Commission pourrait prendre en considération lorsqu'elle décide de l'application ou du rejet d'un règlement, il me semble que, en l'espèce, ses seules fonctions consistaient à déterminer si le règlement permettait d'indemniser adéquatement la plai- gnante, Bianca Perruzza, et s'il empêchait, pour l'avenir, la répétition de l'acte discriminatoire illi- cite. Je ne crois pas que les règles de justice naturelle garantissent à Julie Dalton la possibilité de se faire entendre sur l'une ou l'autre de ces questions.
Je répète qu'en décidant que les tierces parties auraient dues être avisées et qu'on aurait leur donner la possibilité de se faire entendre, le juge de première instance paraît avoir considéré comme très important le fait qu'en vertu de l'article 46, l'inobservation des conditions visées à l'article 38 est une infraction. La pertinence de ce fait m'échappe. Ce sont CP Air et le syndicat qui sont passibles d'amendes, non les tierces parties comme Julie Dalton.
En résumé, les droits d'ancienneté de Julie Dalton, lesquels, pour les fins du présent appel, je reconnais être des droits de propriété, ont été altérés par suite de la modification de la conven tion collective régissant son emploi. Son agent négociateur était autorisé à négocier la modifica tion sans lui fournir l'occasion de participer aux négociations. Ces droits n'ont pas été touchés par l'approbation par la Commission du règlement prévoyant la modification de la convention collec tive, cette démarche signifiant uniquement, en l'es- pèce, que la Commission devait s'assurer de la conformité des règlements avec la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision de la Commission n'a pas défini les droits ou les obliga tions de Julie Dalton, et la Commission n'était pas
tenue, en décidant s'il y avait lieu d'approuver le règlement, de fournir à Julie Dalton la possibilité de se faire entendre.
Le jugement de première instance a accordé à Julie Dalton ses dépens. Dans son mémoire, la Commission a demandé à ce que l'appel soit accueilli et que l'action soit rejetée avec dépens. À part cela, la question des dépens n'a pas été abor- dée en termes exprès. Il ressort du dossier que ni le syndicat ni Bianca Perruzza n'ont comparu ou n'étaient représentés à l'instance.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel et de condam- ner Julie Dalton à verser à la Commission les dépens de l'action, en appel et en première ins tance, si celle-ci en fait la demande. Je rejetterais en outre l'action et j'annulerais l'adjudication des dépens en première instance.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs. LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
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