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T-1708-84
Joen Pauli Rasmussen et S/LF Bordoyarvik (demandeurs)
c.
Herb Breau, ministre des Pêches et Océans du Canada (premier défendeur)
et
La Reine (deuxième défendeur)
et
Office canadien du poisson salé (troisième défendeur)
Division de première instance, juge Strayer—St. John's (Terre-Neuve), 13 février; Ottawa, 25 février 1985.
Compétence Cour fédérale Division de première ins tance La Division de première instance a compétence pour entendre la cause contre l'Office canadien du poisson salé puisque cette dernière, à titre de mandataire de la Couronne, doit être assimilée à la Couronne pour les fins de l'art. 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale Comme l'Office doit également être assimilé à la Couronne pour les fins de la Loi sur la responsabilité de la Couronne et que ladite Loi constitue «une loi du Canada» applicable au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle, l'exigence qui veut que la Cour ne soit compétente que si elle administre des «lois du Canada» est donc remplie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 17(1),(2),(4)b) Loi sur le poisson salé, S.R.0 1970 (1e' Supp.), chap. 37, art. 14 Loi d'interpréta- tion, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 16 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R-U.) IS.R.C. 1970, Appen- dice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 101 Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 2, 3(1)a) Loi sur la protection des pêcheries côtières, S.R.C. 1970, chap. C-21.
Croyant que le demandeur Rasmussen pêchait dans les eaux canadiennes sans autorisation, des préposés des pêcheries cana- diennes ont saisi sa cargaison de poisson salé et l'on vendue à la défenderesse, l'Office canadien du poisson salé. Après que l'accusation portée contre le demandeur a été rejetée, celui-ci a demandé qu'on lui remette les poissons ou l'équivalent de leur valeur. On lui a versé le montant du prix de vente du poisson à l'Office. Le demandeur réclame maintenant des dommages- intérêts pour appropriation illégale, exigeant la différence entre le montant qui lui a été versé et la valeur qu'aurait eu selon lui le poisson s'il avait pu le vendre lui-même.
L'Office a demandé l'autorisation de déposer un acte de comparution conditionnelle et d'être radié à titre de partie défenderesse. Invoquant l'article 14 de la Loi sur le poisson salé, elle soutient qu'elle ne peut être poursuivie devant la Cour fédérale et, en outre, qu'il n'y a pas de «lois du Canada» en cause comme l'exige l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Jugement: la demande de radiation de l'Office à titre de partie est rejetée.
La compétence conférée aux cours supérieures provinciales par le paragraphe 14(4) de la Loi sur le poisson salé en ce qui concerne les actions intentées contre l'Office s'exerce concur- remment avec toute compétence dont la Cour fédérale peut être investie. L'Office, parce qu'il est mandataire de la Couronne, ne peut tomber dans le champ d'application de l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, lequel ne vise que les fonction- naires ou préposés de la Couronne. Toutefois, étant donné ses liens directs avec la Couronne, il peut être assimilé à la Couronne elle-même pour les fins des paragraphes 17(1) et 17(2) de la Loi, qui se rapportent aux poursuites intentées contre la Couronne elle-même. Cette interprétation est con- forme au fait que les mandataires de la Couronne sont assimilés à la Couronne pour bénéficier de l'immunité qui est accordée à cette dernière par l'article 16 de la Loi d'interprétation.
Le second argument du défendeur se fonde sur le principe constitutionnel aux termes duquel la présente Cour ne peut appliquer que les «lois du Canada». Les arrêts l'on a décidé qu'aucune loi pertinente à la responsabilité n'avait été adoptée sont différents. L'Office doit être assimilé à la Couronne pour les fins de la Loi sur la responsabilité de la Couronne pour la même raison qu'elle peut l'être pour les fins de la Loi sur la Cour fédérale. La Loi sur la responsabilité de la Couronne constitue donc la «loi du Canada» requise et établit la responsa- bilité des mandataires de la Couronne pour les délits commis par leurs préposés. Quoiqu'il en soit, la Couronne est civilement responsable des délits commis par l'Office puisque l'article 2 de la Loi déclare que «préposé comprend un mandataire».
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canadian Broadcasting Corporation v. Attorney -General for Ontario, [1959] R.C.S. 188; Formea Chemicals Limited v. Polymer Corporation Limited, [1968] R.C.S. 754; R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lees c. La Reine, [1974] 1 C.F. 605 (1"« inst.); 46 D.L.R. (3d) 603; La bande indienne de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317; (1980), 117 D.L.R. (3d) 247 (1" inst.); Fiducie Prêt et Revenu c. Société canadienne d'hypothèques et de logement, jugement en date du 28 novembre 1984, Division de première instance de la Cour fédérale, T-654-84, encore inédit; Succession Stephens c. Ministre du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith, Statham (shérif adjoint, comté d'Oxford), agent Ross et Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.F. Appel); Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R. (3d) 45 (C.A.); Agrex S.A. c. Comm. can. du lait (1984), 24 B.L.R. 206 (C.F. 1fe inst.).
DÉCISION CITÉE:
McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; 75 D.L.R. (3d) 273.
AVOCATS:
John R. Sinnott pour les demandeurs.
Allison R. Pringle pour le premier et le
deuxième défendeur.
Ian F. Kelly pour le troisième défendeur.
PROCUREURS:
Lewis, Sinnott & Heneghan, St. John's (Terre-Neuve), pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le premier et le deuxième défendeur.
Curtis, Dawe, Russell, Bonnell, Winsor & Stokes, St. John's (Terre-Neuve), pour le troisième défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le défendeur, l'Office cana- dien du poisson salé, a demandé l'autorisation de déposer un acte de comparution conditionnelle et d'être radié à titre de partie défenderesse. Ces deux demandes ont été entendues en même temps.
Le demandeur, un résident des îles Féroé, pêchait dans les eaux des pêcheries canadiennes le 5 novembre 1982 lorsque des préposés des pêche- ries canadiennes sont montés à bord de son navire et lui ont ordonné de se rendre à St. John's (Terre- Neuve). Il a été par la suite accusé d'avoir pêché sans autorisation en violation de la Loi sur la protection des pêcheries côtières [S.R.C. 1970, chap. C-21]. Les préposés des pêcheries ont déchargé sa cargaison de poisson salé et l'on vendue au défendeur, l'Office canadien du poisson salé, une société d'État fédérale, pour la somme de 51 394,57 $.
Le 22 mars 1984, l'accusation portée contre le demandeur a été rejetée. Ce dernier a alors demandé qu'on lui remette les poissons ou l'équiva- lent de leur valeur. Les Pêcheries lui ont versé la somme de 51 394,57 $, soit le montant qu'elles ont reçu de l'Office canadien du poisson salé. Le demandeur réclame maintenant des dommages- intérêts pour appropriation illégale, exigeant la différence entre le montant qui lui a été versé et la valeur que selon lui, le poisson aurait eu s'il avait pu l'emporter aux Féroé.
L'Office défendeur demande sa radiation à titre de partie pour le motif que cette Cour n'a pas compétence à son égard. Il prétend qu'aux termes de sa loi constitutive, la Loi sur le poisson salé, S.R.C. 1970 (lei Supp.), chap. 37, art. 14, il ne peut être poursuivi devant la Cour fédérale et, en outre, qu'il n'y a pas de «lois du Canada» en cause comme l'exige l'article 101 de la Loi constitution- nelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)]. Voici le texte de l'article de la loi constitutive qu'invoque l'Office:
14. (1) L'Office est pour tous les objets de la présente loi mandataire de Sa Majesté et n'exerce qu'à ce titre les pouvoirs que lui confère la présente loi.
(2) L'Office peut, pour le compte de Sa Majesté, conclure des contrats au nom de Sa Majesté ou en son propre nom.
(3) Les biens acquis par l'Office appartiennent à Sa Majesté et le titre peut en être dévolu soit au nom de Sa Majesté, soit au nom de l'Office.
(4) Les actions, poursuites ou autres procédures judiciaires concernant un droit acquis ou une obligation contractée par l'Office pour le compte de Sa Majesté, que ce soit en son nom ou au nom de Sa Majesté, peuvent être intentées ou prises par ou contre l'Office au nom de ce dernier devant toute cour qui aurait juridiction si l'Office n'était pas mandataire de Sa Majesté.
Le fait que le paragraphe 14(4) confère aux cours supérieures provinciales la compétence en ce qui concerne les actions intentées contre l'Office canadien du poisson salé n'implique pas que la Cour fédérale est privée de toute compétence en cette matière. La compétence des cours provincia- les s'exerce concurremment avec toute compétence dont la Cour fédérale peut être investie: voir Lees c. La Reine, [1974] 1 C.F. 605 (1 re inst.), aux pages 608 et 609; 46 D.L.R. (3d) 603, la page 607. Reste à savoir si la Cour fédérale a la compé- tence nécessaire pour connaître des actions inten- tées contre un mandataire de la Couronne tel qu'est défini l'Office à l'article 14 de la Loi. Cette Cour a statué à plusieurs reprises que ces manda- taires ne sont pas visés par l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, qui confère à la Division de première instance une compétence concurrente lorsque l'on cherche à obtenir un redressement contre un «fonc- tionnaire ou préposé de la Couronne»: voir notam- ment l'arrêt Lees susmentionné; La bande indienne
de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317; (1980), 117 D.L.R. (3d) 247 (1fe inst.); Fiducie Prêt et Revenu c. Société canadienne d'hypothèques et de logement (jugement en date du 28 novembre 1984, Division de première instance de la Cour fédérale, T-654-84, encore inédit). J'estime toutefois qu'il n'est pas inutile de se demander si un mandataire qui entretient des liens si étroits avec la Couronne, comme c'est le cas ici de l'Office en cause en vertu de l'article 14 de sa Loi constitutive, doit être assimilé à la Couronne elle-même et, par consé- quent, relever de la compétence accordée à la Division de première instance par les paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale qui confère à cette dernière une compétence générale «dans tous les cas l'on demande contre la Couronne un redressement». Selon moi, les précé- dents établis par cette Division n'ont pas rejeté de façon expresse cette possibilité.
Il est évident que les mandataires de la Cou- ronne invoquent souvent avec succès l'identité de leur situation avec celle de la Couronne afin de revendiquer l'immunité contre la responsabilité prévue dans les lois fédérales pour le motif qu'ils ont droit, au même titre que la Couronne, de se prévaloir de l'article 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, qui prévoit que nul texte législatif ne lie Sa Majesté sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue. Voir notamment les arrêts Canadian Broadcasting Corporation v. Attorney - General for Ontario, [1959] R.C.S. 188; Formea Chemicals Limited v. Polymer Corporation Limi ted, [1968] R.C.S. 754; R. c. Eldorado Nucléaire Liée, [1983] 2 R.C.S. 551. Ces arrêts ont établi le principe que la mention de la Couronne dans une loi fédérale est censée viser un mandataire de la Couronne. Dans l'arrêt Eldorado, les sociétés étaient toutes deux, aux termes de dispositions législatives, des mandataires de la Couronne «à toutes ses fins». A la page 567, la Cour suprême a statué que ces mots équivalaient à ceux utilisés dans la Loi sur la radiodiffusion [S.R.C. 1970, chap. B-11] qui fait de la Société Radio-Canada un mandataire de la Couronne «pour tous les objets de la présente loi», expression qui est reprise textuellement au paragraphe 14(1) de la Loi sur le poisson salé. La Cour a statué que les deux socié- tés pouvaient bénéficier de l'immunité prévue par l'article 16 lorsqu'elles agissent conformément aux fins de l'État.
Si des sociétés habilitées par la loi à agir à titre de mandataires de la Couronne doivent être assi- milées à la Couronne pour bénéficier de l'immu- nité qui est accordée à cette dernière par l'article 16 de la Loi d'interprétation, je ne vois pas pour- quoi elles ne pourraient pas être assimilées à la Couronne pour les fins des paragraphes 17(1) et 17(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
Je conclus donc quant au premier moyen invo- qué à l'appui de la présente demande que la Cour fédérale est compétente pour connaître des récla- mations contre un agent de la Couronne comme l'Office canadien du poisson salé.
Quant au second moyen, il est fondé sur le principe constitutionnel selon lequel cette Cour ne peut appliquer que les «lois du Canada». Dans certaines causes, on a jugé que le Parlement n'avait pas adopté de loi pertinente à la responsa- bilité des préposés ou des mandataires de la Cou- ronne du chef du Canada: voir Succession Ste- phens c. Ministre du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith, Statham (shérif adjoint, comté d'Oxford), agent Ross et Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.F. Appel); Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R. (3d) 45 (C.A.); Agrex S.A. c. Comm. can. du lait (1984), 24 B.L.R. 206 (C.F. ire inst.); et l'arrêt Fiducie Prêt et Revenu, susmentionné. Il faut tou- tefois noter que dans les deux décisions de la Cour d'appel fédérale mentionnées, on tentait de pour- suivre à titre individuel, devant la Cour fédérale, des préposés de la Couronne et non des personnes morales dont le seul rôle était d'être «mandataires de Sa Majesté». Ces décisions ne mettaient pas en cause le genre de défendeur dont il est ici question. Les arrêts Agrex et Fiducie Prêt et Revenu, même s'ils mettaient en cause un mandataire de Sa Majesté nommé par la loi, portaient sur des actions contractuelles. La présente affaire est une action pour appropriation illégale.
Je suis convaincu que, pour les mêmes motifs qui m'ont amené à statuer plus haut qu'un manda- taire nommé par la loi comme l'Office canadien du poisson salé devrait être assimilé à la Couronne aux fins des paragraphes 17(1) et 17(2) de la Loi sur la Cour fédérale, un tel mandataire devrait aussi être assimilé à la Couronne aux fins de l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, qui dispose que:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la Couronne...
De même qu'il prévoit la «loi du Canada» sur laquelle se fonde la multitude d'actions délictuelles intentées contre la Couronne et instruites devant cette Cour, cet article établit aussi la responsabi- lité des mandataires de la Couronne pour les délits commis par leurs préposés. Tel que l'a reconnu l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [ 1977] 2 R.C.S. 654, aux pages 662 et 663; 75 D.L.R. (3d) 273, aux pages 279 et 280, la réglementation de la responsabilité de la Couronne du chef du Canada est une matière qui relève du droit fédéral. Comme les sociétés de la Couronne bénéficient de l'immunité de la Cou- ronne sauf dans la mesure celle-ci est modifiée par des dispositions législatives, la définition de leur responsabilité délictuelle, par l'adoption de lois provinciales par renvoi comme cela a été le cas à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, relève manifestement du Parlement.
Toute autre conclusion aboutirait à l'anomalie suivante: alors qu'un requérant aurait la possibilité et même l'obligation de poursuivre la Couronne devant cette Cour dans un cas comme celui dont il s'agit en l'espèce, il ne pourrait constituer codéfen- deresse une création de la Couronne qui ne se distingue du gouvernement que parce qu'elle est qualifiée de «mandataire» dans une loi. Quoi qu'il en soit, la Couronne est responsable civilement des délits commis par l'Office. Ceci ressort de l'article 2 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne qui déclare que dans cette Loi «préposé comprend un mandataire», et des dispositions de l'alinéa 3(1)a) qui rendent la Couronne civilement respon- sable des délits commis par son «préposé». Toute- fois, si les arguments avancés par l'Office devaient prévaloir, le demandeur serait privé de tous les avantages dont il pourrait bénéficier au chapitre de la procédure si l'Office était constitué partie à l'action.
ORDONNANCE
En conséquence, la demande visant à obtenir la radiation de l'Office canadien du poisson salé à titre de partie est rejetée avec dépens.
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