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T-1386-83
James Joliffe, Colin Montgomery, Arthur Hansen, Wallace Gray, Christopher France, William Grif- fis et Byron Wright (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
Division de première instance, juge Strayer—Van- couver, 27 et 29 mars; Ottawa, 18 avril 1985.
Pêches Lettre datée de novembre 1979 approuvant le transfert d'un permis de pêche à la senne à poche à un nouveau navire L'art. 15(2) du Règlement, modifié en janvier 1980, restreint la pêche au saumon à la senne à poche Les permis de pêche au saumon à la senne à poche délivrés au nouveau navire en 1980 et en 1981 ne comportaient pas de restrictions, mais le permis délivré en 1982 interdisait la pêche au saumon à la senne L'art. 15(2) du Règlement constitue une restric tion à la pêche qui s'applique à quiconque se livre à la pêche commerciale du saumon Aucun permis n'est valide au-delà de l'année pour laquelle il est délivré Le droit d'un titulaire de permis est susceptible d'être modifié par des lois validement adoptées Règlement sur l'immatriculation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifique, C.R.C., chap. 824, art. 4(1), 9(1),(2), 10(1)a),(2), 15(2) (mod. par DORS/80-85, art. 4), 34(1),(2), 36(2), 37 Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 7, 9, 34d),e),g) (mod. par S.R.C. 1970 (1 e' Supp.), chap. 17, art. 4) Loi sur les textes réglementai- res, S.C. 1970-71-72, chap. 38, art. 11.
Interprétation des lois Les demandeurs détenaient des permis de pêche au saumon de catégorie «A» ne comportant pas de restrictions relativement à la pêche à la senne à poche Une lettre datée de novembre 1979 approuvait le transfert des permis à un nouveau navire Une modification apportée à l'art. 15(2) en janvier 1980 restreint la pêche au saumon à la senne à poche Pour appliquer l'art. 35c) de la Loi d'inter- prétation, il est nécessaire d'examiner chaque situation afin de déterminer si un «droit» est acquis Aucun droit acquis au permis au-delà de l'année pour laquelle il est délivré L'art. 35c) ne protège le droit à un permis que jusqu'à la fin de l'année pour laquelle le permis est délivré Loi d'interpréta- tion, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 35c) Règlement sur l'immatriculation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifique, C.R.C., chap. 824, art. 15(2) (mod. par DORS/80-85, art. 4).
Fin de non-recevoir Les fonctionnaires du Ministère étaient au courant des intentions des demandeurs de construire un bateau destiné principalement à la pêche à la senne à poche et de l'adoption prochaine d'un règlement visant à interdire ce type de pêche Le Ministère a approuvé le transfert des permis La Couronne ne peut être liée par le principe de l'estoppel qui l'obligerait à ne pas tenir compte des disposi tions expresses de la loi.
Les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire relative- ment à leur droit à un permis de pêche au saumon à la senne à poche. Les demandeurs détenaient trois permis, dont l'un les autorisait à pêcher à la senne à poche, et dont ils ont demandé le transfert à un nouveau bateau en construction destiné princi-
paiement à la pêche au saumon à la senne à poche. Par lettre datée de novembre 1979, le ministère des Pêches a approuvé le transfert des permis. Bien que les fonctionnaires du Ministère aient été au courant que l'on se proposait de modifier le Règlement sur l'immatriculation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifique, modification susceptible d'em- pêcher les demandeurs de pêcher le saumon à la senne à poche, ceux-ci n'en ont pas été informés. En janvier 1980, le paragra- phe 15(2) du Règlement a été modifié et des restrictions ont été apportées à la pêche au saumon à la senne à poche. En 1980 et en 1981, les trois permis ont été délivrés pour le nouveau bateau. Cependant, le permis délivré en 1982 interdisait expres- sément la pêche au saumon à la senne à poche. Les questions en litige sont: (1) Le paragraphe 15(2) du Règlement apporte-t-il une restriction au permis qui ne peut avoir pour effet de modifier des permis existants ou constitue-t-il une restriction à la pêche susceptible de s'appliquer à quiconque pêche le saumon peu importe la date à laquelle le permis a été délivré? (2) L'alinéa 35c) de la Loi d'interprétation empêche-t-il toute application du paragraphe 15(2) du Règlement qui aurait pour effet de modifier les permis existants? (3) La Couronne est-elle tenue de reconnaître le droit des demandeurs de pêcher le saumon à la senne à poche?
Jugement: l'action doit être rejetée.
Le paragraphe 15(2), tel qu'il a été adopté, constitue une restriction à la pêche qui s'applique également à quiconque se livre à la pêche commerciale du saumon. Les articles 34 et 37 du Règlement prévoient que les permis ne sont valides que pour un an et expirent le 31 mars de chaque année. Aux termes de l'article 7, le Ministre exerce une «discrétion absolue» en ce qui concerne la délivrance de nouveaux permis. Il est donc impossi ble de trouver un fondement juridique à l'«octroi» d'un permis au-delà des droits qui ont été accordés pour l'année pour laquelle il est délivré. Le droit accordé à un détenteur de permis est susceptible d'être modifié par des lois validement adoptées. Un problème similaire se pose lorsque des règlements munici- paux de construction sont appliqués d'une manière qui porte atteinte aux droits dont jouissent les propriétaires de terrains: Canadian Petrofina Ltd. v. Martin and Ville de St. Lambert, [1959] R.C.S. 453.
En appliquant un principe d'interprétation comme celui que l'on trouve à l'alinéa 35c), il faut examiner quel «droit» a été accordé. Il est nécessaire d'examiner chaque situation afin de déterminer si l'approbation a conféré un droit qui, en vertu des principes de l'interprétation des lois, est censé ne pas avoir été supprimé par l'adoption de nouveaux critères relatifs à ces approbations. Le permis de catégorie «A» demeurait assujetti aux dispositions législatives validement adoptées prévoyant la manière de pratiquer ce type de pêche, peu importe qu'elles aient été adoptées avant ou après la délivrance du permis. Le fait que l'article 10 du Règlement exige que les bateaux soient classés d'une certaine manière en raison de la prise qu'ils ont rapportée ne signifie pas que le droit de pêcher leur est garanti indéfiniment. Les activités auxquelles pourra se livrer un bateau appartenant à une certaine catégorie dépendent des dispositions législatives qui régissent la pêche commerciale à une époque donnée. Enfin, le paragraphe 15(2) n'est pas rédigé comme le serait une disposition ayant pour but de restreindre des permis. De toute manière, l'alinéa 35c) ne pouvait mettre le droit de pêcher des demandeurs à l'aide d'une senne à poche à l'abri du paragraphe 15(2) du Règlement que jusqu'à la fin de l'année pour laquelle le permis a été délivré.
Les fonctionnaires de la Couronne ne peuvent être liés par le principe de l'estoppel qui les obligerait à ne pas tenir compte des dispositions expresses de la loi.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Canadian Petrofina Ltd. v. Martin and Ville de St. Lambert, [1959] R.C.S. 453.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Laurie's Caterers Ltd. v. North Vancouver (1984), 53 B.C.L.R. 381 (C.S.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada c. Dallialian, [1980] 2 R.C.S. 582; 33 N.R. 118; McDoom c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Im- migration, [1978] 1 C.F. 323; (1977), 77 D.L.R. (3d) 559 (P' inst.); Central Mortgage and Housing Corp. v. Co-operative College Residences, Inc. et al. (1975), 71 D.L.R. (3d) 183 (C.A. Ont.).
DÉCISIONS CITÉES:
Lapointe c. Min. des Pêches et Océans (1984), 9 Admin. L.R. 1 (C.F. 1" inst.); St. Ann's Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211.
AVOCATS:
J. Raymond Pollard pour les demandeurs. Alan D. Louie pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Buell Ellis, Vancouver, pour les demandeurs. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Les faits
Les demandeurs en l'espèce sollicitent certains jugements déclaratoires reconnaissant qu'ils sont ou ont le droit d'être titulaires d'un permis de pêche au saumon à la senne à poche aux fins de l'utilisation de leur bateau, le Proud Venture.
En 1979, les demandeurs étaient propriétaires d'un chalutier de pêche appelé le Chasam à l'égard duquel ils détenaient les permis de pêche suivants: un permis de pêche au saumon de catégorie «A»,
un permis de pêche au poisson de fond au chalut et un permis de pêche de la crevette sur la côte ouest. A l'automne 1979, ils ont passé une commande pour la construction d'un nouveau bateau destiné principalement à la pêche au saumon à la «senne à poche». Comme la saison de pêche au saumon à la senne à poche est très courte, le bateau a été conçu afin de permettre, dans une certaine mesure, d'au- tres types de pêche, bien qu'il faille reconnaître qu'il ne saurait être aussi efficace en servant à ces autres fins. Le permis de pêche au saumon de catégorie «A» qu'ils détenaient à l'égard du Chasam leur permettait de pêcher à la senne à poche.
Le 14 novembre 1979, l'un des demandeurs a écrit au ministère des Pêches pour le compte des autres demandeurs afin de demander que les permis susmentionnés utilisés pour le Chasam soient transférés au navire en construction. Voici le texte du paragraphe final de cette lettre:
[TRADUCTION] Nous aimerions que vous approuviez sans délai notre demande puisque nous avons versé une avance de 124 000 $ pour la construction du nouveau bateau et que notre banque refusera de nous prêter davantage tant que le permis de pêche n'aura pas été approuvé. Je vous signale que dans cette affaire, le facteur temps est capital puisque la construction de notre nouveau bateau est déjà avancée.
Après avoir accusé réception de la lettre envoyée pour le compte des demandeurs, le Ministère les a informés, dans une lettre datée du 29 novembre 1979, que leur demande avait été examinée par le comité d'appel des permis. de bateaux. Cette lettre déclarait: [TRADUCTION] «Le comité approuve donc votre demande» mais ajoutait toutefois qu'un numéro de bateau de pêche commerciale ne serait assigné au nouveau bateau que lorsque les ancien- nes plaques d'immatriculation et les plaquettes de validation annuelle seraient retournées et annulées. Les demandeurs furent en outre informés que les nouvelles plaques et plaquettes ne seraient pas délivrées tant que le Ministère n'aurait pas reçu d'autres documents, y compris une [TRADUCTION] «demande dûment remplie et des droits initiaux d'immatriculation de 10 $». Il ressort de la preuve que l'un ou plusieurs des fonctionnaires du minis- tère des Pêches qui ont traité cette demande étaient alors au courant que l'on se proposait de modifier le Règlement sur l'immatriculation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifi- que, C.R.C., chap. 824, modification qui pourrait empêcher les demandeurs de pêcher le saumon à la
senne à poche. Il est également clair que les fonc- tionnaires du Ministère, à qui l'on avait fourni un plan du bateau, devaient savoir que ledit bateau était spécialement conçu pour ce type de pêche. Néanmoins, nulle mention n'en a été faite aux demandeurs avant qu'ils ne poursuivent la cons truction sur la foi de la lettre du 29 novembre qui indiquait que le comité compétent avait approuvé le transfert des permis. Le nouveau paragraphe 15(2) [mod. par DORS/80-85, art. 4] du Règle- ment a été adopté par décret le 18 janvier 1980. Cette modification qui a été enregistrée le 21 janvier 1980 et publiée dans la Gazette du Canada le 13 février 1980 prévoit:
15....
(2) Il est interdit d'utiliser un bateau pour pêcher le saumon au moyen d'une seine à poche à moins que ce bateau ou que le ou les bateaux dont le privilège de pêche du saumon a été cédé, n'aient débarqué du saumon pris à l'aide d'une seine à poche au cours de 1975 et 1976 et avant le 28 juillet 1977.
Dans un exposé conjoint des faits déposé au procès, les parties ont fait valoir que le Chasam n'avait pas débarqué de saumon pris à l'aide d'une senne à poche aux époques précisées dans la modi fication, de sorte que le nouveau bateau des demandeurs n'était pas autorisé à pêcher au moyen d'une senne à poche conformément à cette «clause des droits acquis».
Les demandeurs n'étaient pas au courant, sem- ble-t-il, de l'adoption de ce règlement bien qu'il ait été publié dans la Gazette du Canada. Dans une lettre datée du 3 avril 1980, le ministère des Pêches les a avisés que leur nouveau bateau serait immatriculé notamment [TRADUCTION] «pour la pêche au saumon autrement qu'à la senne». Le 9 avril 1980, une demande a été présentée pour le compte des demandeurs afin que des permis de pêche soient délivrés pour leur nouveau bateau, qui s'appelait maintenant le Proud Venture. La demande portait sur les trois même permis de pêche que les demandeurs avaient détenus pour utiliser le Chasam. Cette demande a, semble-t-il, été présentée en conformité avec le Règlement qui prévoit qu'une demande de permis doit être sou- mise à chaque année et avec la condition énoncée dans la lettre d'«approbation» du transfert des permis du Chasam au nouveau bateau, datée du 29 novembre 1979. Comme je l'ai indiqué, l'une de ces conditions était la réception d'une «demande dûment remplie» et le paiement de «droits initiaux
d'immatriculation de 10 $». Ces permis de pêche ont par la suite été délivrés à l'égard du Proud Venture dont la construction a pris fin vers la mi-avril 1980 et qui a été lancé à la même époque. Le permis de pêche de catégorie «A» pour la pêche au saumon, à l'instar du permis délivré en 1981, ne contenait aucune restriction expresse en ce qui concerne la pêche à la senne à poche. Le permis de pêche délivré pour l'année 1982 contenait toutefois la restriction expresse suivante: [TRADUCTION] «interdiction de pêcher le saumon à la senne». On n'a pas présenté d'éléments de preuve indiquant de façon précise quels ont été les effets de cette restriction sur les activités de pêche du Proud Venture, mais l'avocat des demandeurs a fait observer qu'en 1984, le bateau a été effectivement empêché de faire usage du permis de catégorie «A» pour la pêche au saumon qui avait été transféré du Chasam pour les fins de la pêche à la senne à poche, et qu'il a fallu se procurer un autre permis. Ces événements, s'ils ont quelque pertinence, se rapportent à une poursuite éventuelle en domma- ges-intérêts dont il sera question plus loin.
Points en litige
Les demandeurs soutiennent essentiellement que le nouveau paragraphe 15(2) du Règlement adopté en janvier 1980 apporte une restriction au permis. Selon eux un permis de pêche est un bien incorpo- rel qui a une valeur commerciale et qui ne peut être modifié ou révoqué si ce n'est pour des motifs prévus dans la Loi sur l'es pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, ou dans le Règlement sur l'immatri- culation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifique. Ils affirment que ces conditions et procédures n'ont aucune application en l'espèce. Ils soutiennent en outre que le nouveau paragraphe 15(2) du Règlement adopté en janvier 1980 ne peut avoir pour effet de modifier des permis exis- tants, en raison des dispositions de l'alinéa 35c) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23 qui énonce:
35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l'abrogation
c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le régime du texte législatif ainsi abrogé;
Les demandeurs soutiennent que l'objet du nou- veau paragraphe est d'abroger les dispositions
antérieures concernant l'octroi de licences et que, de ce fait, il ne pouvait avoir pour effet de suppri- mer les droits acquis en vertu d'un permis déjà délivré. Ils font valoir qu'en vertu de la lettre datée du 29 novembre 1979 qui a approuvé leur demande de transfert de permis du Chasam au Proud Venture, un permis de pêche au saumon de catégorie «A» a été effectivement délivré à l'égard du Proud Venture, leur accordant du même coup le droit de pêcher le saumon, sous réserve unique- ment des conditions applicables à cette époque à ce type de pêche.
La défenderesse prétend en fait que le paragra- phe 15(2) du Règlement constitue une restriction à la pêche et une mesure législative susceptible de s'appliquer à quiconque pêche le saumon, peu importe la date à laquelle son permis a été délivré. Elle ajoute que comme la lettre datée du 29 novembre 1979 ne comportait pas l'octroi d'un permis, les demandeurs n'étaient de toute façon investis d'aucun droit avant l'adoption du Règle- ment. Le permis ne pouvait être délivré qu'après la réception d'une demande à cette fin et le paiement des droits requis, et cette demande n'a été présen- tée que le 9 avril 1980, près de trois mois après la modification du Règlement.
Je dois aussi signaler qu'au moment ils ont intenté la présente action, en juin 1983, les deman- deurs ont uniquement sollicité des jugements déclaratoires concernant leur droit à un permis de pêche au saumon de catégorie «A» sans restriction quant aux engins utilisés, mais qu'ils ont modifié leur déclaration en février 1985, après que la Cour eut fixé la date du procès, afin de réclamer égale- ment des dommages-intérêts. Je crois comprendre que la défenderesse a consenti à cette modification mais à la seule condition qu'elle soit autorisée à modifier la partie de sa défense concernant les dommages-intérêts avant que cette question ne soit jugée. Comme cela n'a pas été fait et qu'il n'y a pas eu non plus, avant le procès, d'interrogatoire préalable concernant la question des dommages- intérêts, les deux avocats ont demandé à la Cour de trancher les questions concernant le droit au permis et l'étendue de celui-ci, se réservant la possibilité d'engager des procédures ultérieures concernant la question des dommages-intérêts, ce qui dépendra en partie de ma décision sur la question du permis. Je reviendrai à cette question à la fin de mes motifs de jugement.
Conclusions
Je suis venu à la conclusion que le paragraphe 15(2) du Règlement sur l'immatriculation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifi- que, tel qu'il a été adopté par le gouverneur en conseil le 18 janvier 1980, constitue une restriction à la pêche qui s'applique également à quiconque se livre à la pêche commerciale du type de celle visée par ce Règlement, y compris aux demandeurs. Ce paragraphe est entré en vigueur à cette fin à la date il a été enregistré, c'est-à-dire le 21 janvier 1980 et, en vertu de la Loi sur les textes régle- mentaires, S.C. 1970-71-72, chap. 38, art. 11, il aurait pu servir de fondement à une poursuite à partir de la date de sa publication dans la Gazette du Canada, soit le 13 février 1980.
Il importe de relever quelques-unes des disposi tions importantes de la Loi sur les pêcheries et du Règlement sur l'immatriculation et la délivrance de permis pour la pêche dans le Pacifique. Les dispositions essentielles de la Loi sont les suivantes [mod. par S.R.C. 1970 (ler Supp.), chap. 17, art. 4]:
7. Le Ministre peut, à sa discrétion absolue, lorsque le droit exclusif de pêche n'existe pas déjà en vertu de la loi, émettre des baux de pêche, des permis pour l'exploitation de pêcheries ou des permis de pêche, ou il peut en autoriser l'émission en quelque endroit que ces pêcheries soient situées ou que la pêche doive se pratiquer; mais, sauf les dispositions qui suivent, les baux ou les permis pour un terme excédant neuf années ne doivent être émis que par autorisation du gouverneur général en conseil.
9. Le Ministre peut révoquer tout bail ou permis délivré sous l'autorité de la présente loi, s'il a constaté que les opérations visées par ce permis n'ont pas été dirigées conformément à ses dispositions.
34. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements concernant la réalisation des objets de la présente loi et l'appli- cation de ses dispositions et, en particulier, peut, sans restrein- dre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
d) concernant l'exploitation des bateaux de pêche;
e) concernant l'utilisation des appareils et accessoires de pêche;
g) concernant les modalités selon lesquelles un bail ou un permis peut être délivré;
Le Règlement contient les dispositions suivantes:
4. (1) Il est interdit d'utiliser un bateau pour la pêche commerciale, à moins
a) qu'un permis de pêche commerciale n'ai été délivré à l'égard du bateau;
b) que des plaques d'immatriculation, sous réserve du para- graphe (2) ne soient lisiblement fixées sur les deux côtés de la proue ou du kiosque de la barre;
c) que des plaquettes de validation pour la pêche commer- ciale n'aient été délivrées à l'égard du bateau et ne soient fixées aux plaques d'immatriculation; et
d) que le bateau ne satisfasse aux exigences de l'article 13.
9. (1) Toute demande d'immatriculation d'un bateau de pêche en vertu du présent règlement doit être faite au directeur régional au moyen de la formule approuvée par le Ministre.
(2) À la suite d'une demande, mentionnée au paragraphe (1), faite à l'égard d'un bateau qui a été classé conformément à l'article 10, le bateau sera immatriculé auprès du ministère à titre de bateau de pêche commerciale et des plaques d'immatri- culation en métal portant un numéro de série seront délivrées à l'égard du bateau.
10. (1) Tout bateau immatriculé à titre de bateau de pêche commerciale doit être classé dans l'une des catégories suivantes:
a) bateau de la catégorie A:
(i) bateau qui a rapporté en 1967 ou avant le 6 septembre, en 1968, la prise commerciale et la vente de 10,000 livres ou plus de saumon rose ou de saumon kéta, ou l'équivalent,
(ii) bateau qui remplace un bateau de la catégorie A, conformément à l'article 18, ou
(iii) bateau qui, n'eût été de circonstances hors du contrôle du propriétaire, aurait pu satisfaire aux exigences du sous-alinéa (i) et à l'égard duquel la délivrance d'un permis de pêche commerciale du saumon est autorisée par le Ministre vu les circonstances;
(2) Tout bateau classé conformément au paragraphe (1) sera désigné ci-après comme bateau de la catégorie A, bateau de la catégorie B, bateau de la catégorie C ou bateau de la catégorie D, selon le cas, et il lui sera délivré un permis approprié.
(L'alinéa 10(1)a) a été modifié en 1981 [DORS/81-161, art. 1], mais c'est le texte précité qui était en vigueur au cours de la période en cause.)
34. (1) Sous réserve du paragraphe (2), aucun permis ni aucune plaque d'immatriculation ou plaquette de permis, déli- vré conformément au présent règlement, n'est valide après le 31 mars suivant la date de délivrance.
(2) Aucune plaquette de permis de pêche du hareng plein délivrée conformément au présent règlement n'est valide après le 31 décembre suivant la date de délivrance.
36....
(2) Lorsqu'un bateau, à l'égard duquel ont été délivrées, conformément au présent règlement, des plaques d'immatricu- lation ou des plaquettes de permis, est vendu ou qu'il en est
disposé autrement, les plaques et les plaquettes restent valides à l'égard de ce bateau pour la période durant laquelle elles auraient été valides si le bateau n'avait pas été vendu.
37. Un permis de pêche commerciale délivré à l'égard d'un bateau n'est valide que pour un an et ne peut être renouvelé que dans l'année qui suit le moment il cesse d'être valide. [C'est moi qui souligne.]
Bien qu'il faille accorder beaucoup de poids à l'argument des demandeurs selon lequel les permis, parce qu'ils ont une valeur commerciale reconnue et sont souvent achetés et vendus, confèrent à leurs détenteurs un droit irrévocable sauf (comme le prévoit l'article 9 de la Loi) lorsqu'il y a eu manquement à l'une des conditions du permis, je ne peux trouver dans la Loi ou dans le Règlement de fondement à une telle interprétation. Il faut d'abord souligner que quelle que soit la croyance populaire à ce sujet, les articles 34 et 37 du Règlement prévoient qu'aucun permis n'est valide pour plus d'un an et tous expirent le 31 mars de chaque année. Il est vrai qu'aux termes de l'article 9 de la Loi, le Ministre ne peut exercer son pouvoir de révoquer les permis que dans les seuls cas il y a eu manquement à une condition du permis, et il ne fait pas de doute que dans l'exercice de ce pouvoir de révocation, le Ministre ou ses représen- tants doivent agir équitablement: voir Lapointe c. Min. des Pêches et Océans (1984), 9 Admin. L.R. 1 (C.F. ire inst.). Mais les permis prennent fin chaque année et aux termes de l'article 7, le Ministre exerce une «discrétion absolue» en ce qui concerne la délivrance de nouveaux permis. Il m'est donc impossible de trouver un fondement juridique à l'«octroi» d'un permis au-delà des droits qui sont accordés pour l'année pour laquelle il est délivré.
Toutefois, peu importe qu'un droit soit accordé au détenteur d'un permis pour un an ou pour une période indéterminée, ce droit est susceptible d'être modifié par des lois validement adoptées. Un problème semblable s'est souvent posé lorsque des règlements municipaux de construction ont été appliqués d'une manière qui a porté atteinte aux droits dont jouissaient les propriétaires de terrain. La Cour suprême du Canada s'est penchée sur cette question dans l'arrêt Canadian Petrofina Ltd. v. Martin and Ville de St. Lambert, [1959] R.C.S. 453, aux pages 458 et 459, elle a déclaré:
[TRADUCTION] La seule raison pour laquelle un pouvoir reconnu par la loi en matière de zonage est conféré à une autorité municipale est de lui permettre de restreindre, dans l'intérêt public général, le droit que posséderait autrement le propriétaire d'un terrain, à partir du moment ce pouvoir est mis en application, de construire sur son terrain les bâtiments qu'il juge appropriés. Par conséquent, le statut d'un proprié- taire de terrain ne peut en soi influer sur l'application d'un règlement mettant en œuvre le pouvoir reconnu par la loi sans porter atteinte à ce même pouvoir. Avant l'adoption de ce règlement, les droits d'un propriétaire de terrain sont donc incertains dans la mesure ils sont soumis aux restrictions que la ville, agissant dans les limites du pouvoir qui lui est reconnu par la loi, peut imposer.
De même, dans la présente affaire, le détenteur d'un permis de pêche demeure soumis à l'exercice possible par le Parlement de la compétence législa- tive qui lui est conférée par la Constitution en matière de pêcheries, ou par le gouverneur en conseil dans l'exercice de son pouvoir législatif délégué comme le prescrit la Loi. Les demandeurs n'ont pas laissé entendre qu'en adoptant le para- graphe 15(2) du Règlement, le gouverneur en conseil a outrepassé, de quelque manière que ce soit, la compétence qui lui a été déléguée ou que le Parlement n'avait pas la compétence nécessaire pour déléguer ce pouvoir.
En appliquant un principe d'interprétation comme celui que l'on trouve à l'alinéa 35c) de la Loi d'interprétation, il faut examiner avec soin quel «droit», s'il en est, a été accordé. Il est vrai que dans l'arrêt Canadian Petrofina, la Cour a déclaré, incidemment, à la page 459, qu'à partir du moment un permis de construction a été délivré, le droit de construire en conformité avec les condi tions dudit permis a pris naissance. Dans l'arrêt Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada c. Dallialian, [1980] 2 R.C.S. 582; 33 N.R. 118, la Cour suprême du Canada a statué que lorsqu'une personne a établi son admissibilité à la période de prestation de 51 semaines prévue par la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48], elle avait droit à ces presta- tions même si des modifications concernant les critères d'admissibilité ont été subséquemment apportées à la loi. En d'autres termes, ses droits ont été déterminés conformément au texte législa- tif en vigueur au moment sa demande a été présentée et approuvée. Dans l'affaire McDoom c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1978] 1 C.F. 323; (1977), 77 D.L.R. (3d) 559 (i re inst.), le juge Walsh a statué que la
désignation par un immigrant reçu de ses fils en vue de leur admission au Canada a pris effet au moment elle a été soumise et acceptée à Toronto même si elle a être envoyée à New York pour «appréciation». Par conséquent, des exi- gences additionnelles imposées ultérieurement par voie de règlement concernant la date d'entrée en vigueur des désignations ne peuvent à bon droit s'appliquer à cette situation. Dans le même ordre d'idées, on a jugé, dans l'arrêt Central Mortgage and Housing Corp. v. Co-operative College Resi dences, Inc. et al. (1975), 71 D.L.R. (3d) 183 (C.A. Ont.), que la notification par la S.C.H.L. de son approbation d'un prêt avait effectivement lié cette société, bien qu'une modification ultérieure à sa Loi ait nécessité l'approbation d'un gouverne- ment provincial pour un prêt comme celui qui était en cause. Ces causes démontrent qu'il est néces- saire d'examiner chaque situation afin de détermi- ner si l'approbation a conféré un droit qui, en vertu des principes de l'interprétation des lois, est censé ne pas avoir été supprimé par l'adoption de nou- veaux critères relatifs à ces approbations. Mais les règles d'interprétation des lois comme l'alinéa 35c) de la Loi d'interprétation n'ont pas pour effet de mettre les titulaires de droits «acquis» à l'abri des lois futures qui sont suceptibles de porter atteinte à la jouissance de ces droits.
Je conclus donc que le permis de catégorie «A» pour la pêche au saumon que les demandeurs détenaient à l'égard du Chasam, et qu'ils ont transféré au Proud Venture, demeurait assujetti aux dispositions législatives régulièrement adop- tées prévoyant la manière de pratiquer ce type de pêche, même si ces dispositions ont été adoptées avant ou après la délivrance du permis. Je ne peux souscrire à l'interprétation que donnent les deman- deurs de l'article 10 du Règlement, selon laquelle le fait qu'un bateau ou ceux qui le remplacent doivent être classés pour fins d'immatriculation comme des bateaux de la catégorie A en raison de la prise commerciale qu'ils ont rapportée signifie que le droit de pêcher au moyen d'une senne à poche leur est garanti indéfiniment. Les activités auxquelles pourra se livrer un bateau de la catégo- rie A dépendent des dispositions législatives qui régiront la pêche commerciale à une époque donnée. Je ne suis pas d'accord non plus avec l'idée que le nouveau paragraphe 15(2) du Règlement a pour but de restreindre les permis mais non les
activités de pêche. Il n'est pas rédigé comme le serait une disposition ayant pour but de restreindre des permis. Le fait que le Ministère fasse spécifi- quement mention de l'interdiction de pêcher à la senne à poche dans les lettres qu'il a adressées aux demandeurs les 3 et 14 avril 1980 et dans le permis qui leur a été délivré pour 1982 s'explique autre- ment. Comme le nouveau paragraphe 15(2) ne s'appliquait qu'aux bateaux qui avaient débarqué du saumon pris à l'aide d'une senne à poche pen dant une période donnée, il était normal que soient identifiés les bateaux qui, de l'avis du Ministère, étaient visés par l'interdiction.
Même si je devais accepter que les demandeurs avaient, en 1979, un droit acquis à l'égard d'un permis de pêche de catégorie «A» pour la pêche au saumon, y compris le droit de pêcher au moyen d'une senne à poche, l'alinéa 35c) de la Loi d'in- terprétation prévoit que ce droit ne serait à l'abri du nouveau paragraphe 15(2) du Règlement que jusqu'à la fin de l'année pour laquelle le permis a été délivré. Comme je l'ai souligné plus haut, ces permis ne sont légalement valides que pour un an et ils doivent être renouvelés à chaque année. En renouvelant un permis après le 21 janvier 1980, le Ministre ou ses représentants n'étaient pas habili- tés à accorder, expressément ou implicitement, un permis dont les conditions allaient à l'encontre du paragraphe 15(2) tel qu'il a été adopté par le gouverneur en conseil. Même si l'on avait reconnu aux demandeurs le droit de continuer de pêcher au moyen d'une senne à poche jusqu'à l'expiration de leur permis 1979-1980, le 31 mars 1980, ce fait n'a, quant à moi, aucune conséquence pratique puisque ni l'un ni l'autre de leurs bateaux n'ont été utilisés pour la pêche entre le moment la demande de transfert a été présentée, c'est-à-dire le 14 novembre 1979, et le moment le nouveau bateau a été lancé, en avril.
L'avocat des demandeurs a soutenu que de toute façon la Couronne ne pouvait nier leur droit de pêcher le saumon au moyen d'une senne à poche parce que le Ministère, en approuvant le transfert des permis, le 29 novembre 1979, et malgré le fait qu'il était au courant de l'intention des deman- deurs de construire un bateau à cette fin et de l'adoption prochaine d'un règlement visant à inter- dire la pêche à la senne à poche, a incité ces derniers à faire construire un navire conçu pour
des fins qui seraient bientôt illégales. Les deman- deurs ont cité des décisions qui affirment que la Couronne peut être liée par le principe de l'estop- pel. Sans examiner en détail la question du préju- dice, puisque je ne suis pas tenu de le faire en l'espèce et que cette question pourrait être prise en considération dans des litiges à venir, je suis con- vaincu que dans les circonstances de l'espèce, les fonctionnaires de la Couronne ne peuvent être liés par le principe de l'estoppel qui les obligerait à ne pas tenir compte des dispositions expresses de la loi: voir, par. ex., St. Ann's Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211. Cela ne veut pas dire que la conduite du ministère des Pêches est excusable ou explicable dans les circonstances. Il est évident que certains des fonctionnaires du Ministère savaient, ou auraient savoir, que celui-ci encou- rageait en fait les demandeurs à faire un investis- sement coûteux concernant principalement une activité que le gouverneur en conseil pourrait bien- tôt interdire sur recommandation du Ministère. Le procès n'a révélé aucun fait qui permette d'expli- quer leur conduite.
Depuis le procès, l'avocat des demandeurs a aussi attiré mon attention sur la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique Lau- rie's Caterers Ltd. v. North Vancouver (1984), 53 B.C.L.R. 381 (C.S.). Cette décision traite de la responsabilité imputable à un gouvernement muni cipal qui n'a pas averti une personne ayant réussi à obtenir un permis de construction qu'on pourrait refuser de lui délivrer un permis pour l'exploitation du type de commerce projeté. Outre la question de savoir si les principes applicables à un organisme municipal s'appliquent aussi à la Couronne et à ses fonctionnaires, la cause ne porte pas sur la validité de la restriction apportée au permis commercial qui a empêché le demandeur d'exploiter l'entre- prise qu'il projetait. La décision concerne unique- ment la question de la responsabilité découlant de cette restriction. Il est possible, comme je l'ai déjà fait remarquer, qu'elle soit pertinente à un stade ultérieur de cette instance, mais elle ne s'applique pas à la question qui m'est présentement soumise.
L'action est donc rejetée pour ce qui est des jugements déclaratoires sollicités par les deman- deurs à l'égard du permis. Les frais de l'action à ce jour seront à la charge de ces derniers.
L'avocat des demandeurs m'a informé que même si j'arrivais à une telle conclusion, cela n'empêcherait pas nécessairement ses clients de poursuivre leur demande en dommages-intérêts. Je crois comprendre que les demandeurs pourraient fonder leur demande sur le fait que la défenderesse aurait engagé sa responsabilité délictuelle en représentant les faits de façon inexacte. Cette question ne m'a pas été soumise et elle ne pourra être instruite que si la défenderesse a l'occasion de modifier sa défense afin de répondre à cette demande. D'autres communications de documents et interrogatoires préalables pourraient aussi s'avé- rer nécessaires. Pour le moment, il ne m'appartient pas de faire des commentaires sur le succès éven- tuel d'une telle demande. Je dirai simplement que si les demandeurs décident de poursuivre leur demande en dommages-intérêts, la question devra être examinée ultérieurement dans le cadre de la présente action de la manière et à la date que fixera le juge en chef adjoint.
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