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T-794-85
Fred Harold Mitchell (requérant) c.
Tom Crozier en sa qualité de directeur intérimaire de l'établissement d'Elbow Lake, Allan Guinet en sa qualité de président de l'extérieur du tribunal disciplinaire de l'établissement Kent et le Comité régional des transfèrements, Service correctionnel du Canada, région du Pacifique (intimés)
Division de première instance, juge McNair— Vancouver, 3 juin 1985; Ottawa, 3 février 1986.
Pénitenciers Détenu condamné pour avoir commis trois infractions disciplinaires graves Transfèrement à un éta- blissement de plus haut niveau de sécurité Annulation du transferement et réattribution de la classification de sécurité minimale Le défaut d'inclure les faits reprochés dans les motifs donnés pour le transferement d'urgence constitue un refus de donner l'occasion au détenu de les réfuter Obliga tion d'agir équitablement Les Directives du commissaire exigent qu'on donne un avis des motifs du transferement Aucun droit pour le détenu d'avoir des copies des documents défavorables contenus au dossier parce que cela imposerait aux autorités pénitentiaires une tâche trop lourde que ne justifie aucune norme raisonnable de justice fondamentale Les règles relatives au transferement sont destinées à assurer des réactions rapides dans des situations d'urgence Aucun droit à la tenue devant le comité d'une audience en présence de l'intéressé Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 14, 38 (mod. par DORS/80-209, art. 2), 38.1(1),(2) (édicté par DORS/80-209, art. 3), 39g),h),k) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Détenu accusé et condamné pour trois infractions disciplinaires graves entraînant comme sanction la perte de sa réduction de peine méritée Le détenu croyait que les infractions étaient mineures et a refusé de lire les actes d'accu- sation Le tribunal disciplinaire a rejeté la demande de représentation par avocat faite après que deux des infractions graves eurent été examinées Confirmation des condamna- tions pour deux des infractions graves Aucune violation de l'art. 7 de la Charte L'art. 7 ne crée pas un droit absolu à l'assistance d'un avocat dans toutes les procédures en matière de discipline: Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.) Le défaut d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat découle du propre comportement du requérant Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Requête présentée en vue d'obtenir un certiorari annulant la condamnation du requérant pour trois infractions à la discipline ainsi que les peines qui lui ont été imposées en conséquence, et la décision de le transférer à un établissement de plus haut niveau de sécurité. Le requérant, qui est un détenu, a été accusé d'avoir commis deux infractions «graves» et d'avoir menacé des fonctionnaires de l'établissement. Le requérant a décidé de ne
pas lire les actes d'accusation qui indiquaient que les deux premières infractions étaient qualifiées de «graves». Il n'a demandé la présence d'un avocat que lorsqu'est venu le temps pour le tribunal disciplinaire d'examiner la troisième accusa tion. Sa demande a été rejetée et il a été reconnu coupable et condamné pour les trois accusations. En raison de la nature des accusations et de son comportement général, le requérant a été transféré d'urgence d'un établissement à sécurité minimale à un établissement à sécurité maximale. Il a reçu signification d'un avis de transfèrement l'informant de son droit de présenter des observations écrites, mais il a refusé de le signer. L'avis de transfèrement portait que les motifs du transfèrement étaient que des accusations avaient été portées contre le requérant et que celui-ci avait commis des abus et avait proféré des menaces à l'égard du personnel. Le requérant a par la suite été transféré à un établissement à sécurité moyenne. Le Comité régional des transfèrements a confirmé le transfèrement d'urgence en se fondant uniquement sur les allégations contenues dans l'avis de transfèrement. Le requérant objecte que la décision de le reclasser a été prise sur le fondement d'autres documents concernant sa conduite générale dont il n'a pas été avisé. Ces documents additionnels décrivaient le requérant comme un «escroc» et comme une personne faisant une consommation excessive de drogues et d'alcool. Les questions à se poser sont les suivantes: (1) la décision de transférer le requérant et de le reclasser était-elle inévitablement entachée de nullité par suite du refus d'accorder à celui-ci l'occasion de s'y opposer, compte tenu du fait que le Comité régional des transfèrements s'est fondé sur des documents qui n'ont pas été mis à la disposition dudit requérant; et (2) en refusant au requérant la présence d'un avocat à l'audience portant sur les deux infractions graves, a-t-on violé l'article 7 de la Charte ou contrevenu à l'obligation d'agir équitablement imposée par la common law.
Jugement: la décision rendue sur le transfèrement d'urgence du requérant doit être annulée et la classification de sécurité minimale est réattribuée au requérant. La condamnation pour les deux infractions «graves» est confirmée. Vu la décision rendue dans l'affaire Howard c. Établissement Stony Moun tain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.), les parties ont convenu que les sentences imposées au requérant ainsi que sa déclaration de culpabilité sur l'accusation d'avoir proféré des menaces devraient être annulées.
Les fonctionnaires chargés de la discipline carcérale ont l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de leurs fonc- tions administratives, comme la décision de transférer un détenu. Les tribunaux ne devraient intervenir dans une telle décision que lorsqu'il est très évident, compte tenu de tous les éléments, que le détenu n'a pas été traité équitablement. Les Directives du commissaire, qui n'ont pas force de loi mais qui formulent la procédure à suivre, exigent qu'un détenu soit immédiatement informé par écrit des motifs de son transfère- ment et de son droit de présenter des objections écrites. Lesdits motifs de transfèrement devraient donner au détenu suffisam- ment d'information pour lui permettre de présenter des objec tions par écrit. En l'espèce, l'avis de transfèrement ne renfer- mait que l'essentiel des accusations et ne mentionnait aucunement les points de démérite imputables à la détériora- tion de la conduite du détenu. Ces allégations faisaient partie du dossier de transfèrement d'urgence au même titre que les infractions à la discipline et entrent donc dans la catégorie de questions à l'égard desquelles il faut donner des motifs écrits.
Rien non plus dans la preuve n'indique que le requérant a été promptement informé de la décision finale de le reclasser. Le requérant n'avait pas droit à des copies des documents défavo- rables contenus dans son dossier parce que cela imposerait aux autorités pénitentiaires une tâche impossible que ne pourrait justifier aucune norme raisonnable de justice fondamentale ou d'impartialité en matière de procédure. Les règles relatives au transfèrement visent à assurer des réactions rapides lorsque surviennent des situations urgentes et parfois périlleuses. Le requérant n'avait pas le droit de comparaître en personne devant le Comité. L'ensemble du processus de transfèrement et de reclassement ne repose que sur un examen.
La déchéance de la réduction de peine méritée porte atteinte au droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte. D'après l'arrêt Howard, l'article 7 n'a toutefois pas créé un droit absolu à l'assistance d'un avocat dans toutes les procédures en matière de discipline. Bien que, suivant le principe général établi dans l'arrêt Howard, il semblerait que le requérant avait le droit d'être représenté par avocat puisqu'il était possible qu'il y ait déchéance de sa réduction de peine méritée, il faut décider de ce droit en tenant compte des circonstances particulières du cas. Le malentendu sur la nature des accusations portées contre le requérant a découlé du comportement de ce dernier. Le requé- rant aurait être au courant qu'il avait le droit de demander à être représenté par avocat mais il a choisi de ne pas le faire. Il n'a pas été porté atteinte à son droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; Butler c. La Reine et autres (1983), 5 C.C.C. (3d) 356 (C.F. lre inst.); Magrath c. R., [1978] 2 C.F. 232 (1"e inst.); Bruce c. Yeoman, [1980] 1 C.F. 583; (1979), 49 C.C.C. (2d) 346 (Pe inst.); Bruce c. Reynett, [1979] 2 C.F. 697; [1979] 4 W.W.R. 408; 48 C.C.C. (2d) 313 (1" inst.); R. v. Chester (1984), 5 Admin. L.R. 111 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
Patricia A. Sasha Pawliuk pour le requérant. Mary A. Humphries pour les intimés.
PROCUREURS:
Legal Services of British Columbia pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Le requérant, un détenu purgeant une peine de quinze ans de pénitencier, a présenté une requête fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] en vue d'obtenir des brefs de certiorari annulant sa condamnation pour trois infractions à la discipline prévues au Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C., chap. 1251] ainsi que les peines qui lui ont été imposées en conséquence, et la décision du Comité régional des transfèrements de le transférer à un établissement de plus haut niveau de sécurité. Les motifs invoqués dans l'avis de requête sont les suivants:
[TRADUCTION] a) Le président de l'extérieur de l'établissement Kent a outrepassé sa compétence ou agi sans avoir le pouvoir de le faire lorsqu'il a fait défaut de permettre au requérant d'être représenté par avocat devant le tribunal disciplinaire, ce qui contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux principes de justice naturelle et à l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law;
b) Après avoir rendu un verdict de culpabilité, le président de l'extérieur de l'établissement Kent n'a pas permis au requérant de faire valoir quelque argument que ce soit relativement à la sentence appropriée, ce qui contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux principes de justice naturelle et à l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law;
c) Le Comité régional des transfèrements a outrepassé sa compétence ou agi sans avoir le pouvoir de le faire lorsqu'il a fait défaut de fournir au requérant les motifs de son transfère- ment à un établissement de plus haut niveau de sécurité ou de lui donner l'occasion de réfuter lesdits motifs avant que soit rendue la décision de le transférer, ce qui contrevient à la Loi sur les pénitenciers, au Règlement sur le service des péniten- ciers, à la Directive du commissaire 600-2-04.1, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux principes de justice naturelle et à l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law;
d) Pour tout autre motif que l'avocat peut invoquer et que cette Cour peut admettre.
Les avocates des parties se sont entendues pour que les trois peines imposées à l'égard des trois déclarations de culpabilité soient annulées. Elles ont également convenu que, vu la décision récente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Howard [Howard c. Etablissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.)], il faudrait aussi annuler la déclaration de culpabilité du requérant sur l'accusation d'avoir proféré des menaces et de s'être comporté de façon irrespec- tueuse.
Cela faisait plus d'un an, en décembre 1984, que le requérant était détenu à l'établissement à sécu- rité minimale de niveau S-2 d'Elbow Lake dans la province de Colombie-Britannique. Par suite d'in- cidents survenus le 24 décembre 1984, Mitchell a été accusé de trois violations du Règlement sur le service des pénitenciers, c'est-à-dire:
1) d'avoir omis de se présenter au compte obligatoire de midi;
2) d'avoir fermé à clef la porte de sa cellule alors qu'il s'y trouvait, et
3) d'avoir proféré des menaces et de s'être comporté de façon irrespectueuse.
Des copies des actes d'accusation relatifs aux incidents allégués ont été dûment signifiées au requérant. Ces documents indiquaient clairement que les deux premières accusations étaient quali fiées de «graves» et non de «mineures» dans la case réservée à la détermination de la catégorie de l'infraction. Quoi qu'il en soit, pour chacune des trois accusations, Mitchell risquait de perdre sa réduction de peine méritée. Dans un accès de dépit, le requérant a décidé de ne pas lire les actes d'accusation et les a jetés à la poubelle. En raison de la gravité des accusations portées contre lui et de son comportement général, le requérant a été transféré d'urgence à l'établissement Kent un éta- blissement de niveau S-6. On a mis en branle le processus menant à la tenue d'une audience disciplinaire.
Le 7 janvier 1985, d'autres copies des actes d'accusation ont été signifiées au requérant qui a encore une fois choisi de ne pas en prendre con- naissance. Malgré cela, il prétend qu'il agissait en toute bonne foi, sous l'impression que les deux premières accusations étaient mineures.
Le 8 janvier 1985, le requérant a comparu devant Allan N. Guinet, président de l'extérieur du tribunal disciplinaire, qui a examiné les accusa tions, dans l'ordre elles ont été mentionnées plus haut. Le requérant affirme maintenant que, s'il s'était rendu compte que les deux premières accusations étaient considérées graves, il aurait demandé à un avocat de le représenter à l'au- dience. Il a effectivement sollicité la présence d'un avocat lorsqu'est venu le temps d'examiner la troi- sième accusation, mais sa demande a été rejetée. Le requérant a été reconnu coupable des trois
accusations et on lui a imposé la perte de cinq jours de réduction de peine pour chacune des deux premières accusations ainsi que vingt jours d'isole- ment disciplinaire. Il a en outre perdu quinze jours de réduction de peine méritée.
Comme je l'ai déjà dit, l'avocate des intimés a concédé que la déclaration de culpabilité concer- nant la troisième accusation d'infraction à la disci pline, c'est-à-dire l'accusation d'avoir proféré des menaces et de s'être comporté d'une manière irres- pectueuse, doit être cassée parce qu'on a refusé au requérant le droit d'être représenté par avocat et qu'une nouvelle audience devra se tenir sur cette accusation. Le requérant sollicite également l'an- nulation des déclarations de culpabilité prononcées à l'égard des autres accusations. J'ai déjà fait état des motifs invoqués par le requérant.
C'est le directeur intérimaire d'Elbow Lake, Tom Crozier, qui était chargé du transfèrement d'urgence du requérant de l'établissement d'Elbow Lake à l'établissement Kent aux environs de 14 h, le 24 décembre 1984. Il ressort de son affidavit que les autorités d'Elbow Lake ne voulaient pas que le requérant y soit ramené.
Le jour de son arrivée à Kent, le requérant a reçu signification d'un avis de transfèrement revê- tant la forme habituelle. Ledit avis renfermait une disposition permettant au requérant d'indiquer s'il choisissait ou non de présenter des observations écrites relativement à son transfèrement, ainsi qu'un endroit réservé à sa signature. Dans son affidavit, la personne qui a signifié l'avis a claire- ment indiqué qu'elle a expliqué au détenu la nature et les conséquences dudit avis et qu'elle lui a donné l'occasion de le signer, mais que Mitchell s'est montré agressif et a refusé de signer.
Le 15 janvier 1985, le requérant a été transféré de l'établissement Kent à celui de Matsqui. Les autorités pénitentiaires affirment que ce transfère- ment s'est effectué à la demande du requérant, ce que nie Mitchell. Dans son rapport au Comité régional d'étude des demandes de transfert, Cro zier a déclaré au paragraphe 6:
[TRADUCTION] 6. Je demande un transfèrement permanent dans ce cas. Toutefois, à moins que M. Mitchell ne compro- mette davantage sa situation pendant qu'il se trouve à Kent, je serais d'avis de le placer à l'établissement de Matsqui.
Il importe peu que le transfèrement de l'établis- sement à sécurité maximale de Kent à l'établisse- ment à sécurité moyenne de Matsqui ait été effec- tué à la demande du requérant ou des autorités pénitentiaires.
Le 22 janvier 1985, Douglas R. McGregor, agis- sant à titre de Comité régional des transfèrements, a revu et confirmé la décision de transférer d'ur- gence le requérant et de remplacer sa classification à l'établissement d'Elbow Lake (S-2) par celle de l'établissement de Matsqui (S-5). Le 6 mai 1985, McGregor a préparé un affidavit dont les paragra- phes pertinents sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 3. C'est le vingt-deux janvier 1985 que j'ai pris la décision de modifier la classification du requérant en l'en- voyant de l'établissement d'Elbow Lake (S-2) à celui de Mats- qui (S-5) bien que ce soit le quinze janvier 1985 que le requérant a été transféré, à sa demande, de l'établissement Kent à celui de Matsqui.
4. Le Comité régional des transfèrements a confirmé la recom- mandation du directeur intérimaire, M. Crozier, de transférer le requérant d'Elbow Lake en se fondant uniquement sur les deux allégations contenues dans l'avis de transfèrement joint comme pièce «F» à l'affidavit du requérant.
5. Le Comité régional des transfèrements a examiné les autres documents soumis par le directeur intérimaire relativement au reclassement du requérant et à la détermination du lieu appro- prié pour son incarcération.
6. Avant de prendre la décision de reclasser le requérant, le Comité régional des transfèrements avait reçu une copie de l'avis de transfèrement mentionné au paragraphe 4 et qui laisse voir que le requérant avait refusé de le signer tant qu'il n'aurait pas les services d'un avocat.
Le 28 mai 1985, McGregor a préparé un deuxième affidavit afin de clarifier le premier. Voici les affirmations pertinentes de cet affidavit supplémentaire:
[TRADUCTION] 4. À la suite de l'incident du 24 décembre 1984, lorsque M. Mitchell a été transféré à l'établissement Kent, il a automatiquement perdu le niveau de sécurité qu'il possédait à Elbow Lake en raison de son comportement à cet endroit. Du fait de son transfert à Kent, son niveau de sécurité est passé à S-6, soit celui des établissements à sécurité maximale. J'ai confirmé la décision de M. Crozier de transférer M. Mitchell à l'établissement Kent en me fondant uniquement sur les deux allégations contenues dans l'avis de transfèrement joint comme pièce «F» à l'affidavit du requérant.
5. Après avoir reçu de M. Crozier les documents de transfère- ment joints comme pièces «G», «H» et «I» à l'affidavit que ce dernier a fait sous serment le 26 avril 1985, et après avoir pris note des recommandations de M. Crozier suivant lesquelles M. Mitchell pourrait être placé à l'établissement de plus bas niveau de sécurité de Matsqui, j'ai décidé de reclasser M. Mitchell au niveau S-5 et de le placer à l'établissement de Matsqui.
Le requérant a été informé le 24 décembre 1984 des raisons de son transfèrement d'urgence ainsi que des motifs invoqués au soutien de cette décision:
[TRADUCTION] Conformément à l'article 13 du Règlement sur le service des pénitenciers, j'ai recommandé que le Comité régional des transfèrements examine votre cas en vue d'un transfèrement à l'établissement Kent (Matsqui) pour les motifs suivants:
des accusations ont été portées contre vous;
vous avez commis des abus et vous avez proféré des menaces à l'égard du personnel de l'établissement d'Elbow Lake le 24-12-1984.
Deux raisons ont été données au requérant qui a choisi de ne pas y répondre. Les autres raisons, qui concernaient probablement davantage le reclasse- ment du requérant, se trouvent au paragraphe 2 du rapport présenté par Crozier au Comité régional d'étude des demandes de transfert. Ce paragraphe est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Le comportement de M. Mitchell s'est dété- rioré récemment et des détenus rapportent maintenant qu'il a usé d'intimidation envers divers détenus et fait pression sur eux soit dans le but de se procurer de la drogue ou de l'argent, soit dans le but d'harceler de présumés informateurs ou des détenus qu'il n'aime tout simplement pas. Nous croyons que M. Mit- chell a consommé de la drogue le 21-12-1982.
Le requérant a objecté que la décision de le reclasser, qu'il s'agisse d'un reclassement en deux étapes comme l'a soutenu l'avocate des intimés d'abord du niveau S-2 au niveau S-6 pour ensuite revenir au niveau S-5 ou encore d'un reclassement en une seule étape, d'Elbow Lake à Matsqui, a été prise sur le fondement d'un rapport récapitulatif sur l'évolution du cas et d'autres documents con- cernant sa conduite générale qui ont été soumis par M. Crozier au Comité régional des transfère- ments et dont il n'a été nullement avisé. Pour l'essentiel, ces documents additionnels décrivaient le requérant comme un «escroc» et un «bandit qui use de violence pour arriver à ses fins» dans ses rapports avec le personnel et les autres détenus d'Elbow Lake, ainsi que comme une personne fai- sant une consommation excessive de drogues et d'alcool. Les documents indiquaient en outre qu'on avait retiré au requérant son poste de cantinier parce qu'on le soupçonnait de fraude et d'avoir tripoté les comptes. Le rapport de Crozier susmen- tionné résume l'essentiel de ces faits.
À mon avis, la question de la perte de réduction de peine et de la déchéance de la réduction de
peine méritée n'est plus en litige et elle est devenue à toutes fins pratiques théorique et inexistante puisque les avocates ont convenu que les trois peines devraient de toute façon être annulées.
Selon moi, il ne reste plus que deux questions importantes à se poser, savoir: (1) en refusant au requérant le droit d'être représenté par avocat à l'audience portant sur les deux accusations d'in- fractions graves et flagrantes qu'il a, par erreur, qualifiées d'accusations mineures d'inconduite, a-t-on violé l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ou contrevenu à l'obligation d'agir équitablement imposée par la common law; et (2), la décision de transférer le requérant et de le reclasser était-elle inévitablement entachée de nullité par suite du refus d'accorder au requérant l'occasion de s'y opposer, compte tenu particulièrement du fait que le Comité régional des transfèrements s'est fondé sur des documents qui n'ont pas été divulgués au requérant ni mis à sa disposition. Je me propose d'examiner ces questions dans l'ordre inverse, mais je voudrais auparavant faire état brièvement des dispositions législatives et de la procédure prescrite qui semblent avoir une incidence particulière sur ces questions.
Le paragraphe 13(3) de la Loi sur les péniten- ciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, autorise le transfère- ment des détenus à tout pénitencier au Canada. La Loi habilite le gouverneur en conseil à édicter des règlements relatifs notamment à la garde, au trai- tement, à la formation, à l'emploi et à la discipline des détenus. Sous réserve de la Loi et des règle- ments édictés sous le régime de celle-ci, le commis- saire peut établir des règles, connues sous le nom de Directives du commissaire, concernant l'organi- sation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Ser vice correctionnel ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
Ces directives n'ont pas force de loi, mais il faut néanmoins considérer qu'elles énoncent les lignes de conduite prescrites en matière de procédure lors de l'application du processus administratif à la question particulière à laquelle il s'attache.
Les accusations ont été portées en vertu des dispositions suivantes de l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers:
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu qui
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit;
h) délibérément désobéit ou omet d'obéir à quelque règle- ment ou règle régissant la conduite des détenus;
k) commet un acte propre à nuire à la discipline ou au bon ordre de l'institution;
L'article 38 [mod. par DORS/80-209, art. 2] du Règlement prévoit:
Mesures disciplinaires
38. (1) Il incombe au chef de chaque institution de maintenir la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette institution.
(2) Un détenu n'est puni que
a) sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire désigné par le chef de l'institution; ou
b) sur l'ordre d'un tribunal disciplinaire.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine ou de la réduction de peine méritée, ou des deux;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une période d'au plus trente jours;
c) de la perte de privilèges.
Le paragraphe 38.1(1) [édicté par DORS/80- 209, art. 3] prévoit la création d'un tribunal disci- plinaire et porte:
Tribunal disciplinaire
38.1 (1) Le Ministre peut nommer une personne pour prési- der un tribunal disciplinaire.
(2) La personne nommée selon le paragraphe (1) doit
a) diriger l'audition;
b) consulter, en la présence du détenu accusé, deux fonction- naires désignés par le chef de l'institution;
c) déterminer l'innocence ou la culpabilité du détenu accusé qui comparaît devant elle; et
d) à la suite d'un verdict de culpabilité, ordonner l'imposition de la peine qu'elle juge appropriée, conformément au présent règlement.
Le code de conduite et de procédure applicable à un tribunal disciplinaire est exposé dans diverses
directives du commissaire et il est inutile de s'at- tarder aux règles de procédure qu'elles renferment. C'est le droit à la représentation par avocat qui est en cause en l'espèce. L'annexe «A» de la Directive du commissaire 213 portait:
12. DIVERS
a. Il est déjà arrivé qu'un prévenu ait demandé, officiellement ou officieusement, d'être représenté par un avocat. Dans de tels cas, il faut avertir le prévenu qu'il n'a pas droit d'être représenté par un avocat à son audience.
Cette directive a été abrogée par la Directive du commissaire 600-7-03.1 en date du 31 août 1984 dont voici un extrait:
La représentation est accordée à la demande de l'accusé uni- quement lorsque le président considère que cette représentation est nécessaire à une audience équitable.
Le résultat en est sensiblement le même.
Des instructions régionales sont également publiées, à l'occasion, en vertu des Directives du commissaire. L'Instruction régionale 600-2-04 est pertinente en ce qui concerne le reclassement du requérant; en voici les dispositions applicables:
5. Le reclassement en vertu de la présente instruction englobe tout le processus suivant:
a. déplacement initial (provisoire) du détenu lorsqu'une situation d'urgence est pressentie;
b. documentation du cas justifiant le placement dans un établissement de plus haut niveau de sécurité;
c. examen du Comité régional d'étude des demandes de transfert;
d. décision finale rendue pour chaque cas et communica tion de la décision au détenu intéressé. [C'est moi qui souligne.]
8. a. Le Comité régional d'étude des demandes de transfert doit, avant la fin du mandat de quatorze (14) jours, rendre une décision, à savoir reclassifier le détenu, ou le retourner à l'établissement d'où il a été transféré .. .
Aux fins de l'espèce, la référence au Comité régional d'étude des demandes de transfert s'appli- que mutatis mutandis au Comité régional des transfèrements. En outre, il ressort très clairement de l'Instruction régionale que tous les documents relatifs à un détenu faisant l'objet d'un transfère- ment d'urgence et d'un reclassement doivent être transmis au Comité régional des transfèrements aux fins de son examen. Ce fait est corroboré par l'article 14 du Règlement sur le service des péni- tenciers qui porte:
14. Le dossier d'un détenu doit être soigneusement examiné avant qu'une décision ne soit prise relativement à la classifica tion, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu.
À mon avis, il faut considérer que le terme «reclassement» vise l'ensemble du processus de transfèrement d'urgence, l'examen des documents relatifs au cas, l'examen par le Comité régional des transfèrements et la décision finale du Comité de confirmer le transfèrement et de reclasser ou non le détenu. Le requérant insiste sur le fait qu'on ne lui a pas donné l'occasion de s'opposer convenable- ment à son reclassement lorsque la décision a été prise pour la première fois et lorsqu'on a refusé de lui communiquer les documents concernant son cas et sur lesquels le Comité s'est fondé pour effectuer son examen et rendre sa décision finale. Bref, il prétend que le Comité a omis de l'informer correc- tement de l'essentiel des faits qu'on lui reprochait, contrevenant ainsi au principe de justice fonda- mentale ou, subsidiairement, à l'obligation d'agir équitablement imposée par la common law, ce qu'on pourrait à juste titre appeler en l'espèce [TRADUCTION] «l'impartialité en matière de procédure».
On a publié, le ler novembre 1984, une instruc tion ou directive provisoire concernant les transfè- rements involontaires de détenus. Les motifs à l'origine de cette instruction sont expliqués comme suit dans le paragraphe introductif:
Récemment, on a faire face à plusieurs problèmes concer- nant le procédé des transferts involontaires de détenus qui ne sont pas informés des raisons de leur transfert. En conséquence, la D.C. 600-2-04.1 «Transferts à l'intérieur du Canada» sera modifiée afin de refléter les directives provisoires ci-dessous ...
La procédure précise à suivre a été exposée au dernier paragraphe de l'instruction qui porte:
Si, en cas d'urgence, il est décidé de procéder au transfèrement d'un détenu sans délai et sans préavis, les motifs écrits de ce transfèrement doivent être rédigés, envoyés en même temps que le détenu et remis à celui-ci à son arrivée à l'établissement d'accueil. Les motifs écrits doivent être accompagnés d'un avis écrit informant le détenu de son droit de soumettre des objec tions écrites qui seront étudiées par le responsable de la déci- sion. Toute objection du détenu doit être acheminée au respon- sable désigné pour prendre la décision, qui doit faire en sorte qu'une réponse écrite soit remise au détenu avant 10 jours ouvrables, à partir de la date des objections.
Les fonctionnaires chargés de la discipline car- cérale ont l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de leurs fonctions administratives. La
décision de transférer un détenu d'un établisse- ment à un autre est une question essentiellement administrative et les tribunaux ne devraient inter- venir que dans les rares cas il est très évident, compte tenu de tous les éléments, que le détenu ainsi transféré n'a pas été traité équitablement. Bien qu'il soit possible que l'adoption de la Charte ait élargi l'éventail de ces éléments, elle n'a pas changé le caractère administratif de la décision de transférer et de reclasser un détenu, question qui plus souvent qu'autrement doit être déterminée en appliquant les principes de common law relatifs à l'obligation d'agir équitablement. Même si, suivant les règles prévues dans les Directives du commis- saire, un détenu faisant l'objet d'un transfèrement d'urgence doit être immédiatement informé par écrit des motifs de son transfèrement et de son droit de présenter des objections écrites dans les quarante-huit heures au comité de transfèrement ou de classement compétent, il n'est pas habilité de plein droit à comparaître en personne devant le comité relativement à son transfèrement et à son reclassement. Il suffit que les motifs écrits de son transfèrement indiquent les grandes lignes ou l'es- sentiel des faits qu'on lui reproche de manière à lui permettre de présenter des objections par écrit, et qu'il soit par la suite informé par écrit, dans un délai raisonnable, des motifs de la décision de l'instance décisionnelle au terme de l'examen: voir Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; Butler c. La Reine et autres (1983), 5 C.C.C. (3d) 356 (C.F. 1fe inst.), par le juge Walsh à la page 361; Magrath c. R., [1978] 2 C.F. 232 (1 'e inst.); Bruce c. Yeoman, [1980] 1 C.F. 583; (1979), 49 C.C.C. (2d) 346 (lie inst.); Bruce c. Reynett, [1979] 2 C.F. 697; [1979] 4 W.W.R. 408; 48 C.C.C. (2d) 313 (P° inst.); et R. v. Chester (1984), 5 Admin. L.R. 111 (H.C. Ont.).
Le juge Collier a fait ce commentaire très perti nent dans l'affaire Magrath c. La Reine, précitée, à la page 255:
Je ne dis pas qu'un détenu ne peut jamais être en droit de contester, pour manque d'équité, une décision de transfert prise à son égard. Certaines circonstances pourraient faire naître un tel droit. Je limite mon opinion à la question de préavis et au droit à une quelconque audition.
Le requérant invoque surtout le fait qu'on aurait lui fournir des copies du rapport récapitulatif
sur l'évolution du cas et de tous les autres docu ments défavorables contenus dans son dossier ou du moins, lui en donner un avis suffisant afin de lui permettre de réfuter l'essentiel des faits qu'on lui reprochait. À mon avis, cette prétention est tout à fait inacceptable en ce qu'elle imposerait aux autorités pénitentiaires une tâche longue et impos sible que ne pourrait justifier aucune norme rai- sonnable de justice fondamentale ou d'impartialité en matière de procédure, sans compter les dangers que pourrait entraîner la divulgation de renseigne- ments confidentiels pour le personnel chargé de la sécurité ou les détenus qui servent d'informateurs. Les règles relatives au transfèrement et au reclas- sement des détenus visent à assurer des réactions rapides lorsque surviennent des situations urgentes et parfois périlleuses, dans les cas le temps est généralement un facteur primordial. Qui plus est, l'ensemble du processus de transfèrement et de reclassement ne repose que sur un examen et à mon avis, rien dans les présentes règles n'exige la tenue d'une procédure présentant quelque affinité avec une audience en présence de l'intéressé. Cela étant, y a-t-il d'autres faits qui pourraient indiquer la violation d'un quelconque droit? Selon moi, oui.
Le dossier monté contre Mitchell concernait l'ensemble du processus de transfèrement d'ur- gence et de changement de son niveau de sécurité. C'est cette question d'ordre administratif qui a été soumise au Comité régional d'étude des demandes de transfert afin qu'il l'examine et rende une déci- sion finale. La formule d'avis de transfèrement signifiée à Mitchell le 24 décembre 1984 pendant qu'il se trouvait dans une cellule d'isolement ne renfermait que l'essentiel des accusations visant les trois infractions disciplinaires graves et flagrantes et ne mentionnait aucunement les points de démé- rite imputables à la détérioration de sa conduite à laquelle Crozier a fait allusion dans le mémoire ou rapport qu'il a adressé au Comité régional d'étude des demandes de transfert. Ces allégations fai- saient partie du dossier de transfèrement d'urgence du requérant au même titre que les infractions à la discipline, et entrent donc dans la catégorie des questions à l'égard desquelles il faut préparer des motifs écrits et les signifier au détenu au moment de son arrivée à l'établissement d'accueil. De cette manière, le détenu est raisonnablement informé de l'essentiel du dossier monté contre lui et il lui appartient alors de décider de présenter ou non par
écrit des arguments contraires. Mitchell n'a pas présenté d'objections écrites en ce qui concerne les infractions à la discipline, mais ce n'était qu'un élément du dossier. Quel inconvénient grave ou encore quel préjudice aurait pu résulter de la signification à Mitchell du rapport présenté au Comité par le directeur intérimaire ainsi que de l'avis de transfèrement ou, à défaut de cela, de l'inscription sur l'avis d'une note faisant part de l'essentiel du paragraphe 2 dudit rapport? Je ne peux en voir aucun. A mon avis, l'une ou l'autre de ces façons de procéder aurait permis de se confor- mer aux normes d'équité prescrites par les obliga tions que s'est lui-même imposé le commissaire en matière de procédure.
On a violé d'une autre manière les obligations en matière de procédure. Rien dans la preuve n'indi- que que Mitchell a été promptement informé de la décision finale du Comité régional des transfère- ments de le reclasser. On a laissé entendre que son avocat aurait reçu signification de l'avis à la fin de mai ou en juin 1985, mais, à mon avis, c'était beaucoup trop tard.
En outre, malgré le fait que le deuxième affida vit de McGregor puisse laisser entendre le con- traire, j'estime que le véritable problème de reclas- sement qui retenait principalement l'attention du Comité régional des transfèrements était celui du reclassement de Mitchell du niveau de sécurité S-2 qu'il possédait à Elbow Lake au niveau S-5 à Matsqui il avait été transféré à partir de Kent, le 15 janvier 1985.
Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que la décision finale du Comité régional des transfère- ments au sujet du transfèrement d'urgence du requérant et de son reclassement doit être annulée et donc, qu'il faut automatiquement rétablir son niveau de sécurité S-2 et le ramener sur le champ à l'établissement d'Elbow Lake d'où il a été transféré.
Cela m'amène au dernier point, c'est-à-dire la question de savoir si le refus de permettre la représentation par avocat à l'audience qui s'est déroulée devant le tribunal disciplinaire relative- ment aux deux premières accusations a porté atteinte au droit du requérant à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte, qui est entré en vigueur le 17 avril 1982 et qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Il est bien établi que la déchéance de la réduc- tion de peine méritée d'un détenu porte atteinte au droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte, aussi précaire ou restreint que puisse être ce droit. L'avocate du requérant prétend que le refus de permettre la représentation par avocat à l'audience sur les deux premières accusations a constitué une violation évidente de l'article 7 et elle s'appuie particulièrement sur la décision récente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.). En revanche, l'avocate des intimés soutient que le motif fonda- mental de l'arrêt Howard était la demande présen- tée par l'intimé en vue d'obtenir l'assistance d'un avocat et le rejet de cette demande, qu'en l'absence d'une telle demande, il ne peut y avoir de refus inéquitable, et que si Mitchell n'a pas saisi la gravité des deux premières accusations, c'est parce qu'il a omis ou refusé de les lire et non parce qu'il ne les a pas comprises.
Le sommaire de l'arrêt Howard [dans le N.R.] énonce avec précision le motif déterminant de la décision la page 2801:
[TRADUCTION] Sommaire:
Un détenu a été accusé de plusieurs contraventions au Règle- ment sur le service des pénitenciers. Ces accusations ont été qualifiées de graves ou flagrantes et une déclaration de culpabi- lité pouvait entraîner pour le détenu la perte définitive de sa réduction de peine méritée. Le président du tribunal discipli- naire des détenus a rejeté la demande présentée par le détenu en vue d'être représenté par avocat à l'audience. Le détenu a demandé une ordonnance de prohibition afin d'empêcher le président du tribunal de poursuivre l'audience en l'absence de son avocat. La Division de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande du détenu qui a interjeté appel de cette décision.
La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel et a statué que, compte tenu des circonstances, l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés garantissait au détenu le droit à la représentation par avocat. La Cour a jugé que la liberté du détenu était en jeu et que le droit que lui garantit l'article 7 de n'être privé du droit à sa liberté qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale exigeait, dans les circons- tances, que le détenu puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat pour l'aider à présenter adéquatement sa cause.
La Cour était manifestement d'avis que l'article 7 de la Charte n'a pas créé un droit absolu à l'assistance d'un avocat dans toutes les procédures en matière de discipline carcérale.
Le juge en chef Thurlow a développé ce thème, affirmant, aux pages 662 et 663 C.F.; à la page 292 N.R.:
Je suis d'avis que l'adoption de l'article 7 n'a créé aucun droit absolu d'être représenté par avocat dans toute procédure de ce genre. Il est sans aucun doute de la plus grande importance que la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont en jeu ait l'occasion d'exposer sa cause aussi pleinement et adéquatement que possible. Les avantages de l'assistance d'un avocat à cette fin ne sont pas contestés. Cependant, ce qui est exigé c'est l'occasion d'exposer la cause adéquatement et je ne crois pas qu'on puisse affirmer qu'il n'existe pas de cas une telle occasion ne peut être fournie sans qu'il faille également accor- der le droit d'être représenté par avocat à l'audition.
Une fois qu'on a adopté cette position, il me semble que la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne peut être considérée comme une question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu exige la représentation par avocat.
Le juge Pratte a souscrit aux motifs du juge en chef.
Le juge MacGuigan a suivi une approche un peu différente pour arriver au même résultat. Le juge a fait remarquer que, même si la Charte canadienne des droits et libertés ne crée pas de nouveaux droits, elle introduit toutefois une perspective incontestablement nouvelle qui pourra servir à accroître la portée de ceux qui existent déjà. Il s'est ensuite demandé si la Charte a étendu la portée de l'exigence de «l'occasion adéquate» de répondre à une accusation dans le contexte du droit à l'assistance d'un avocat. Le juge MacGui- gan a conclu, à la page 685 C.F.; à la page 305 N.R.:
L'article 7 exige qu'on accorde à un détenu le droit d'être représenté par avocat lorsque le fait de refuser sa requête en ce sens violerait son droit à la justice fondamentale. De l'aveu général, l'existence de ce droit dépend des faits. Toutefois, ce droit, lorsqu'il existe, n'est pas discrétionnaire si l'on entend par ce terme que le président du tribunal a le pouvoir discrétion- naire de le refuser. À mon avis, le pouvoir dont dispose le président du tribunal n'empêche pas une cour exerçant son pouvoir de contrôle d'examiner les faits et de substituer sa propre décision à celle de ce dernier si elle est convaincue, à la lumière des faits, qu'il s'agit d'un cas la représentation par avocat aurait être accordée afin d'assurer au détenu les droits qui lui sont garantis par l'article 7.
Le juge a de plus fait ce commentaire significa- tif à la page 688 C.F.; à la page 306 N.R.:
En dernière analyse, exception faite peut-être des situations extrêmement simples, je ne peux imaginer de cas l'éventua- lité d'une perte de réduction de peine méritée n'entraînerait pas la nécessité d'avoir recours aux services d'un avocat. En fait, la probabilité qu'il faille faire appel aux services d'un avocat pour se défendre adéquatement contre des accusations susceptibles d'entraîner de telles conséquences est telle qu'à mon avis elle équivaut en réalité à une présomption en faveur de la représen- tation par avocat, et le président du tribunal se devrait de justifier toute entorse à cette présomption.
Il semblerait donc, suivant le principe général établi dans l'arrêt Howard, que le requérant avait le droit d'être représenté par avocat à l'audience tenue devant le tribunal disciplinaire puisqu'il était possible qu'il y ait déchéance de sa réduction de peine méritée. Toutefois, il faut décider du droit à la représentation par avocat en tenant compte des circonstances particulières du cas. Rien dans la preuve n'indique que Mitchell était déficient mental ou qu'il avait une intelligence ou une capa- cité de compréhension réduites. En fait, tout indi- que le contraire. Le tribunal disciplinaire a qualifié de graves les trois accusations et rien dans le dossier ne laisse entendre qu'il a établi une quel- conque distinction, calculée ou non, en ce qui concerne les deux prétendues accusations mineu- res. Dans son affidavit, Mitchell admet:
[TRADUCTION] ... je croyais que ces deux accusations étaient «mineures» et que je ne pouvais pas perdre ma réduction de peine, et je n'ai pas demandé l'assistance d'un avocat. Si je m'étais rendu compte qu'il s'agissait d'accusations «graves», j'aurais demandé l'assistance d'un avocat.
C'est son propre comportement et rien d'autre qui est à l'origine de ce malentendu. À deux reprises, le requérant à refusé de lire les accusa tions et il a pris sur lui de les qualifier de mineures. Le tribunal disciplinaire n'a rien fait ou dit qui incitait à les considérer autrement que comme des accusations graves. Le requérant était parfaite- ment au courant, ou il aurait l'être, qu'il avait le droit de demander à être représenté par avocat en ce qui concerne les deux accusations dont il se plaint, mais il a choisi de ne pas le faire. Compte tenu des circonstances, en quoi a-t-on porté atteinte à un droit garanti par la constitution? En d'autres termes, peut-on considérer après coup que l'omission d'un détenu accusé d'une infraction d'exercer son droit de demander l'assistance d'un avocat à l'occasion de procédures disciplinaires,
droit dont il était au courant ou aurait l'être n'eût été de sa conduite, constitue une atteinte à son droit à la liberté au sens de l'article 7 de la Charte? Je ne le crois pas.
Pour ces motifs, je suis d'avis que les deux condamnations prononcées en vertu des alinéas h) et k) de l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers devraient être maintenues et non pas annulées. La plainte relative à l'absence de représentation par avocat sur la question de la sentence n'est plus en litige et n'a donc point besoin d'être examinée. On est d'accord pour que les trois peines soient annulées et, à mon avis, la question de la perte de quinze jours de réduction de peine méritée est maintenant théorique. Si je me trompe sur ce point, l'avocate du requérant pourra alors présenter une demande visant à obte- nir qu'on expose les motifs pour lesquels la déchéance de la réduction de peine méritée ne devrait pas être révoquée.
Bien que le requérant n'ait pas obtenu gain de cause sur tous les points de sa requête, la Cour y a néanmoins fait droit pour l'essentiel. Compte tenu des circonstances, le requérant a droit aux dépens de sa requête. Je rendrai donc une ordonnance conforme aux présents motifs.
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