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A-1418-84
Banque de Commerce Canadienne Impériale (requérante)
c.
Marc Boisvert, ès qualité d'arbitre siégeant en vertu des dispositions de l'article 61.5 du Code canadien du travail et Jacqueline Chayer (intimés)
RÉPERTORIÉ: BANQUE DE COMMERCE CANADIENNE IMPÉ- RIALE C. BOISVERT
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Lacombe—Montréal, 27 janvier; Ottawa, 3 avril 1986.
Relations du travail Congédiement injuste Demande d'examen de la décision de l'arbitre portant que le congédie- ment est injuste La Banque a renvoyé l'employée après l'arrestation du concubin de celle-ci pour des vols commis à la Banque L'arbitre a ordonné à la Banque de payer une indemnité égale au salaire perdu Les parties avaient au préalable convenu que seule la légitimité de la plainte serait débattue Demande accueillie L'omission d'entendre les parties sur la question des mesures de redressement viole la règle audi alteram partem L'arbitre a commis une erreur en statuant que pour qu'il existe une cause juste de congédiement l'intimée devait avoir commis un acte illégal Tout acte de l'employée incompatible avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions constitue une cause suffisante Le mariage ou la cohabitation avec une personne particulière peut, dans certains cas, créer une cause juste de congédiement La nature et les exigences de l'emploi rendaient la cohabitation continue avec un voleur incompatible avec les fonctions exercées La Banque avait, en vertu du contrat de travail, le droit de congédier l'employée parce que celle-ci s'était engagée à éviter de se conduire de façon préjudiciable aux intérêts et à la réputation de la Banque Examen de la question du congé- diement administratif et du conflit d'intérêts Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21; mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 27; 1984, chap. 39, art. 11), 122(1) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43).
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Relations du travail Demande d'examen de la décision de l'arbitre portant que le congédiement est injuste Employée congédiée du poste de cadre qu'elle occupait à la Banque après l'arresta- tion de son concubin pour vols commis dans des banques Demande accueillie La décision de l'arbitre rendue confor- mément à l'art. 61.5 du Code peut faire l'objet d'un examen prévu à l'art. 28 malgré la clause privative de l'art. 61.5(10) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L- I, art. 61.5(10) (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21).
Il s'agit d'une demande d'examen de la décision d'un arbitre portant que le congédiement de l'intimée Chayer était injuste. La Banque a congédié l'intimée du poste de cadre que celle-ci occupait à l'une de ses succursales montréalaises après l'arres-
tation de son concub n pour deux vols qualifiés commis à la même succursale de la Banque à Saint-Lambert. Chayer a déposé une plainte en vertu de l'article 61.5 du Code canadien du travail. L'arbitre ordonné à la Banque de payer à son ancienne employée un indemnité égale au salaire qu'elle avait perdu même si, dès le départ, les parties avaient convenu que seule la question de la égitimité de la plainte serait débattue. L'arbitre est parti du p incipe que la «cause juste» dont il est question à l'article 61.5 implique la nécessité de la responsabi- lité personnelle du salari ». Il a ensuite résumé les témoignages pour montrer qu'il n'existait aucune preuve que la plaignante avait révélé à l'homme avec lequel elle vivait des informations confidentielles concernant les mesures de sécurité. Il a statué qu'il ne pouvait y avoir de conflit d'intérêts sans une faute précise de la part de l'employée et que le simple fait de vivre avec une personne ne pouvait constituer une telle faute. L'arbi- tre a rejeté la suggestion qu'il s'agissait d'un congédiement administratif car un congédiement n'est administratif que dans des circonstances très particulières mettant en cause soit la capacité physique d'un salarié à accomplir son travail soit son incompétence.
Arrêt: la requête devrait être accueillie.
Le juge Marceau: Le raisonnement de l'arbitre est sans valeur parce qu'il est fondé sur une prémisse fausse. L'article 61.5 a modifié le droit de congédiement en vue d'éviter l'arbi- traire de l'employeur et d'assurer une continuité de l'emploi. Il n'existe plus qu'un droit de congédiement «juste», ce qui veut dire un congédiement qui se rattache à une cause objective, réelle et sérieuse, indépendante des incompatibilités d'humeur, des convenances ou des mésintelligences purement personnelles, et se présente comme une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise. Aller au-delà de cela, comme l'a fait l'arbitre, est erroné. Bien qu'il soit difficile de justifier un congédiement fondé sur l'article 61.5, il est possible de le faire en dehors des cas d'incompétence ou d'inca- pacité ou de faute grave de l'employé.
Si le recours de l'article 61.5 n'était ouvert que dans les cas de congédiements disciplinaires, la proposition de l'arbitre, qui consiste à dire que tout congédiement non fondé sur un acte fautif de l'employé est injuste, serait irréfutable. On ne saurait punir quelqu'un pour autre chose qu'un acte qu'il a lui-même commis. Mais depuis son introduction dans le Code, le recours de l'article 61.5 a servi à des employés mis à pied pour des motifs autres que disciplinaires. Le «congédiement administra- tif» est le congédiement non disciplinaire que l'employeur peut justifier par l'incompétence ou l'incapacité physique ou mentale de l'employé, et le «conflit d'intérêts» est depuis longtemps présenté comme motif justifiant un renvoi. Toute résiliation unilatérale du contrat de travail par l'employeur est visée par l'article 61.5, la seule exception étant la cessation d'emploi des employés devenus superflus.
La justification invoquée par la Banque satisfaisait aux exigences de l'article 61.5 même si la situation en l'espèce n'en était pas une de conflit d'intérêts. Cette notion de conflit d'intérêts s'applique plutôt aux situations l'employé s'adonne à des activités qui sont extérieures et parallèles à celles qu'il exerce dans le cadre de son travail mais qui viennent en conflit avec elles. Cependant, l'employé peut perdre une qualité ou un attribut qui pouvait raisonnablement être considéré comme
nécessaire à l'exercice de l'emploi de sorte qu'il en résulte chez l'employeur une perte de confiance telle que des relations normales employeur-employé ne pourraient plus se poursuivre.
Il n'est pas utile d'examiner, dans une action fondée sur l'article 61.5 du Code, la question de savoir si la Banque aurait verser une certaine indemnité pour tenir lieu de préavis.
Le juge MacGuigan (avec l'appui du juge Lacombe): Il se pose une question préliminaire quant à l'effet de la clause privative du paragraphe 61.5(10) du Code canadien du travail. Suivant le paragraphe 122(1) du Code, aucune décision du Conseil canadien des relations du travail ne peut être révisée par la Cour fédérale si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale en cas seulement de manque- ment à la justice naturelle, d'excès de compétence ou de refus d'exercer celle-ci. Les intimés ont allégué que la clause priva- tive du paragraphe 61.5(10) pouvait offrir aux arbitres la même immunité que celle dont jouit le Conseil à l'égard du contrôle judiciaire en vertu des alinéas 28(1)b) et c). Une décision contraire a déjà été rendue sur cette question dans
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l'affaire La Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815 (C.A.).
L'arbitre a commis une erreur de droit quant au redresse- ment accordé. Dans l'arrêt Corporation Dicom c. Petit, juge- ment en date du 21 novembre 1984, Cour d'appel fédérale, A-413-84, non encore publié, la Cour a statué qu'un arbitre qui omet d'entendre les parties sur la question des mesures de redressement viole la règle de justice naturelle audi alteram partem. En l'espèce, l'arbitre est tombé dans le même piège. Pour cette seule lacune, l'affaire doit être renvoyée devant l'arbitre.
Il a été établi dans l'affaire Pearce v. Foster (1886), 17 Q.B.D. 536 (C.A.) que «l'employeur a le droit de congédier son employé qui agit de façon incompatible avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions». Il n'est pas nécessaire de prouver que l'employeur a subi un préjudice réel. Le préjudice virtuel suffit. Il importe peu que les faits de l'espèce tombent à l'intérieur des limites ordinaires d'un conflit d'intérêts ou pas puisqu'il suffi- rait qu'ils établissent une incompatibilité avec les devoirs de l'intimée envers son employeur.
Le droit applicable peut se résumer par le principe suivant: le mariage ou la cohabitation avec une personne particulière peut, dans certains cas, créer une cause juste de congédiement; tout dépendra d'une analyse approfondie de la situation et plus particulièrement de la nature et des exigences de l'emploi concerné.
L'arbitre a commis une erreur en concluant que la cause juste de congédiement exigeait que l'intimée ait commis un acte illégal ou contraire à la loi. Si tel était le critère applicable, plusieurs des cas de conflit d'intérêts seraient éliminés. Le critère applicable à la détermination de la faute consiste à déterminer si les actes de l'employé sont «incompatible[s] avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions».
En l'espèce, l'employeur est une banque qui reçoit des objets de valeur qu'elle doit garder en sécurité et qu'elle doit s'efforcer à tout prix de protéger du vol. À partir de février 1980, la cohabitation de la plaignante avec une personne reconnue coupable de vol la plaçait dans une situation d'incompatibilité avec ses devoirs envers son employeur. Les activités illégales de son concubin constituaient une menace pour tous les établisse-
ments financiers. Comme elle occupait un poste-clé, la plai- gnante était directement au courant des mesures de sécurité de la Banque pour laquelle elle travaillait et, indirectement, de celles d'autres banques. Vivant en relations aussi étroites avec son concubin, elle pouvait, même par mégarde, laisser échapper un détail utile à un esprit criminel éveillé. Il faut considérer que les actes criminels du concubin de la plaignante étaient claire- ment visibles aux yeux de celle-ci qui a trahi ses obligations envers son employeur en continuant de fréquenter un tel crimi- nel. Il ne faut rien de plus pour qu'il y ait incompatibilité avec les intérêts de son employeur. En vertu du contrat de travail qui la liait à son employeur, la plaignante s'était engagée à se comporter de façon honnête et loyale et à éviter de se conduire de façon préjudiciable aux intérêts et à la réputation de la Banque. Dans ces circonstances, la Banque avait également, en vertu du contrat, le droit de mettre fin sans préavis à l'emploi de la plaignante.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
La Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.O. 815 (CA.); Corporation Dicom c. Petit, jugement en date du 21 novembre 1984, Cour d'appel fédérale, A-413-84, non encore publié; Pearce v. Foster (1886), 17 Q.B.D. 536 (C.A.); Bursey v. Acadia Motors Ltd. (1980), 28 N.B.R. (2d) 361 (Q.B.); mod. par (1982), 35 N.B.R. (2d) 587 (C.A.); Clouston & Co., Ld. v. Corry, [1906] A.C. 122 (P.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. v. Arthurs, Ex p. Port Arthur Shipbuilding Co., [1967] 2 O.R. 49; 62 D.L.R. (2d) 342 (C.A. Ont.); Re Granby (Ville de) and Fraternité des Policiers de Granby Inc. (1981), 3 L.A.C. (3d) 443; Foot v. Eastern Counties Timber Co. Ltd., [1972] 1 I.R.L.R. 83 (Brit. Ind. Trib.); Skyrail Oceanic Ltd. v. Coleman, [1980] I.C.R. 596 (Brit. Empt. App. Trib.); infirmée par [1981] I.C.R. 864 (C.A.); Caldwell et autre c. Stuart et autres, [1984] 2 R.C.S. 603; Cindy Bosi v. Township of Michipicoten and K.P. Zurby (1983), 4 C.H.R.R. D/1252 (Comm. d'enq.).
DÉCISIONS CITÉES:
Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., [1977] 1 W.W.R. 673 (C.S.C.-B.); Tozer v. Hutchison (1869), 12 N.B.R. 540 (C.A.); Federal Supply and Cold Storage Co. of South Africa v. Angehrn & Piel (1910), 80 L.J.P.C. 1.
AVOCATS:
Louis P. Bélanger pour la requérante.
André Aumais pour Jacqueline Chayer,
intimée.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour la requé- rante.
Gurman, Marcovitch & Aumais, Montréal, pour Jacqueline Chayer, intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Cette demande est dirigée contre une décision arbitrale rendue sous l'autorité de l'article 61.5 du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1, édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21; mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 27; 1984, chap. 39, art. 11], cet article que le Parlement a adopté en 1978, en vue d'assurer aux employés non syndiqués des entrepri- ses sous sa juridiction une protection contre la possibilité de congédiements injustes analogue à celle que se réservent toujours les employés syndi- qués dans leur convention collective. L'article (que je préfère ne reproduire qu'en annexe à cause de sa longueur, d'autant plus qu'il est inutile ici d'en connaître toutes les dispositions) prévoit que sur la plainte de l'employé «qui considère avoir été congé- dié de façon injuste», le Ministre, au cas d'échec de la médiation d'un inspecteur, peut désigner un arbitre qui, si la plainte lui paraît fondée, choisira et imposera le ou les remèdes qui lui paraîtront appropriés, y compris celui de la réintégration. La grande difficulté, mais aussi l'intérêt spécial de cette demande dont la Cour est saisie, aujourd'hui, vient de ce que sa solution exige, à mon sens, une prise de position sur certains des aspects les moins explorés et les plus mal définis de ce recours nouveau, exorbitant du droit commun, qu'est le recours pour congédiement injuste de l'article 61.5 du Code canadien du travail.
Les faits à la base du litige sont peu banals mais non vraiment compliqués. Le 8 février 1980, cinq individus, tête masquée et arme en main, faisaient irruption dans une succursale de la Banque appe- lante, subjuguaient non sans violence les occu pants, s'emparaient des argents en caisse et pre- naient la fuite. C'était le deuxième vol à main armée, à la même succursale de la Banque, dans l'espace de trois semaines et les employés purent reconnaître les mêmes bandits que la première fois conduits par le même chef de bande. Les nouveaux indices, joints à ceux qui avaient déjà été recueillis, permirent aux officiers de police alertés de confir- mer les soupçons qu'ils entretenaient à l'égard d'un certain Régis Beaulieu, criminel récidiviste, dont le
dossier comprenait déjà deux vols qualifiés. Les policiers eurent l'idée de donner suite à leur soup- çon et de tenter sans délai une descente au lieu de résidence déjà repéré de celui qu'ils soupçonnaient. Leur intuition les avait bien servis: au moment de leur irruption dans l'appartement, Beaulieu et ses quatre complices étaient en train de partager le fruit de leur vol et les armes et autres accessoires dont ils s'étaient servis pour opérer étaient à peine camouflés. Les cinq hommes furent naturellement mis sous arrêt et tous devaient éventuellement plaider coupables. Il arriva cependant qu'au cours de leur enquête, les policiers se rendirent compte que l'appartement qu'habitait Beaulieu et il avait été appréhendé était en fait aussi l'apparte- ment de Jacqueline Chayer, sa concubine avec laquelle il vivait maritalement depuis plusieurs années, et que cette Jacqueline Chayer était une employée cadre de la Banque, elle travaillait comme comptable dans une succursale. Trois jours plus tard, les supérieurs de Jacqueline Chayer l'avisait que son travail auprès de la Banque ne pouvait plus se poursuivre et que son engagement était immédiatement résilié. Voilà pour les faits. Passons aux procédures.
Protestant de son innocence et refusant de se soumettre passivement à la réaction de son employeur, Jacqueline Chayer décida de se préva- loir du nouveau recours que les dispositions de l'article 61.5 du Code du travail avait introduit en 1978. Elle formula une plainte auprès d'un inspec- teur en disant qu'elle considérait avoir été congé- diée d'une façon injuste. L'inspecteur naturelle- ment ne pouvait qu'échouer dans sa médiation, et le Ministre dut rapidement désigner un arbitre pour entendre et disposer de la plainte. Au cours de l'enquête, la Banque fit défiler une longue série de témoins, dont trois experts en sécurité, pour établir qu'étant donné sa grande vulnérabilité aux vols à main armée, elle ne pouvait se permettre de garder comme employée cadre, ce qui implique une employée en tout temps informée de toutes les ramifications du système de sécurité des succursa- les, la concubine d'un voleur de banque apparem- ment endurci, et chef de bande par surcroît. Un conflit d'intérêts existait, soutint-elle, qui l'autori- sait à mettre fin unilatéralement au contrat d'en- gagement. L'arbitre ne fut nullement impres- sionné: au terme de l'enquête, il déclara le congédiement totalement injustifié et condamna la
Banque à payer à son ancienne employée une indemnité équivalente au salaire qu'elle aurait gagné au cours des 16 mois écoulés n'eût été sa mise à pied, ajoutant que s'il n'ordonnait pas en plus la réintégration c'était uniquement parce que la plaignante elle-même avait déclaré n'en pas vouloir. Il ne fait plus de doute, depuis l'arrêt de cette Cour dans La Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815 (C.A.), que la décision d'un arbitre en vertu de l'article 61.5 du Code du travail reste pleinement soumise aux pouvoirs de révision et de contrôle de l'article 28, malgré la clause privative du paragraphe 61.5(10). Aussi, la Banque ne tarda-t-elle pas à inscrire la présente demande aux fins d'obtenir l'examen et l'annula- tion de la décision de l'arbitre.
C'est naturellement à partir des motifs que l'ar- bitre a donnés pour expliquer sa façon de voir et appuyer ses conclusions que l'on peut juger de la valeur de la décision. Ces motifs sont très élaborés, étalés qu'ils sont sur plus de quarante pages, mais je pense qu'il suffit, pour en apprécier la teneur et être en mesure d'en discuter, d'en connaître les grandes lignes et de voir clairement le raisonne- ment fort simple qui s'y retrouve. L'arbitre part de la prémisse que la «cause juste» de l'article 61.5 du Code canadien du travail «implique la nécessité de la responsabilité personnelle du salarié», et que la meilleure définition qu'on en puisse donner est celle retenue dans une affaire antérieure, R. v. Arthurs, Ex p. Port Arthur Shipbuilding Co., [1967] 2 O.R. 49; 62 D.L.R. (2d) 342 (C.A. Ont.) la page 55 O.R.; 348 D.L.R.] (per Schroeder J.A.) et exprimée comme suit:
[TRADUCTION] Si un employé s'est rendu coupable d'un acte dérogatoire grave, d'un manquement habituel à son devoir, d'incompétence ou d'un comportement incompatible avec ses fonctions ou préjudiciables aux affaires de l'employeur, ou s'il a été désobéi volontairement aux ordres de l'employeur sur une question importante, la loi reconnaît à l'employeur le droit de congédier sommairement l'employé délinquant.
L'arbitre procède alors à un résumé des témoigna- ges pour montrer qu'on n'en saurait déduire la preuve que la plaignante aurait donné à son concu- bin des informations confidentielles concernant les mesures de sécurité: la Banque, dit-il, ne peut donc pas l'accuser de participation aux vols. La Banque ne peut pas non plus, poursuit l'arbitre, parler de conflit d'intérêts car on ne saurait parler de conflit d'intérêts sans un acte répréhensible précis du
salarié, un acte «qui constituerait une "miscon- duct", une faute, un acte dérogatoire», et tel n'est certes pas le seul fait pour la plaignante de vivre avec l'homme qu'elle aime et qu'elle veut aider. Lui adresser quelque reproche que ce soit serait faire de la faute de son concubin sa faute à elle et «ériger en dogme le principe de la responsabilité pour la faute d'autrui». L'arbitre enfin rejette la suggestion qu'il s'agirait d'un congédiement admi- nistratif puisque, dit-il, un congédiement «est dit administratif dans les circonstances très particuliè- res, circonstances mettant en cause soit la capacité physique d'un salarié à pouvoir accomplir son tra vail, soit son incompétence» et rien de tel n'est invoqué ici. Et ayant ainsi rejeté toutes les préten- tions de la Banque, l'arbitre n'a aucune peine à conclure à l'injustice flagrante du congédiement et à la nécessité d'une réparation totale.
Je dois dire incidemment qu'en décidant sur le champ des remèdes à imposer, l'arbitre oubliait l'entente intervenue au départ et acceptée par lui à l'effet que seule la légitimité de la plainte serait débattue en un premier temps, la question de la réparation adéquate, si elle devait se présenter, devant faire l'objet d'une audition subséquente. En autant qu'elle impose le paiement d'une indemnité, la décision a donc été rendue sans plein respect des règles de justice naturelle (Corporation Dicom c. Petit, décision du 21 novembre 1984, Cour d'appel fédérale, A-413-84, encore inédite; permission d'en appeler refusée: [1985] 1 R.C.S. vii): elle ne peut certes à cet égard tenir. Mais c'est quant à ses conclusions sur la légitimité de la plainte qu'il nous importe, pour le moment, de la considérer.
Ainsi, en exposant sa façon de voir, l'arbitre rejette bien la possibilité à son avis d'appliquer aux faits de l'espèce des notions comme celles de «con- flit d'intérêts» et de «congédiement administratifs», mais il s'arrête à cela parce que l'argumentation de la Banque l'y forçait, comme en passant et par surcroît. Le véritable fondement de la position qu'il adopte se trouve tout entier dans sa proposi tion de départ, soit que, hors les cas d'incapacité physique et mentale, est injuste au sens de l'article 61.5 du Code, et donc sujet à sanction, tout licen- ciement d'un employé non fondé sur un acte répré-
hensible et fautif dont l'employé se serait rendu coupable. Cette proposition juridique est-elle valide? Si elle l'est, alors le raisonnement est inat- taquable et la conclusion que l'arbitre en tire ne peut qu'être maintenue, car le reste n'est qu'appré- ciation de preuve dans laquelle cette Cour n'a pas à s'immiscer. Je ne pense pas d'ailleurs que la Banque ait jamais eu la naïveté de se croire capa ble de démontrer que l'intimée avait dévoilé les mesures de sécurité en vigueur dans ses succursales ou avait autrement facilité la commission des vols (de toute façon c'est devant les tribunaux criminels qu'elle aurait alors agi) et personne, je suppose, ne penserait soutenir un instant que le fait de vivre avec un criminel constitue en soi un acte répréhen- sible. Si au contraire cette proposition juridique de départ de l'arbitre n'est pas valide, alors le raison- nement est erroné et ne peut, comme tel, appuyer la conclusion. Aussi est-ce la question majeure que ce pourvoi pose.
Il est banal de rappeler que l'introduction, en 1978, du recours de l'article 61.5 du Code a consti- tué une étape tout à fait majeure dans la transfor mation qu'a connue le droit du travail applicable aux entreprises fédérales depuis l'époque il se présentait encore comme un droit d'inspiration purement libérale fondé sur le dogme de l'autono- mie de la volonté. Sans doute le droit de l'em- ployeur de mettre fin à l'engagement de son employé était déjà loin d'être sans condition (préa- vis, indemnité de départ) et la jurisprudence de droit commun n'hésitait plus à faire usage de la théorie de l'abus des droits pour sanctionner l'exer- cice intempestif par lui du droit de licencier. Mais une fois le recours de l'article 61.5 en place, il n'était certes plus possible de présenter comme auparavant le droit de résiliation comme étant de l'essence même du contrat de travail à durée indé- terminée; il n'était plus question non plus de parler à ce sujet de liberté des conventions car les disposi tions nouvelles étaient dites d'ordre public' et, par
' Par l'effet du paragraphe 28(1) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 3] applicable à toutes les dispositions de la Partie III du Code dont fait partie l'article 61.5, lequel paragraphe se lit comme suit:
28. (1) La présente Partie et tous ses règlements d'applica- tion s'appliquent nonobstant toute autre loi ou quelque cou- tume, contrat ou accord. Cependant, rien dans la présente Partie ne doit s'interpréter comme atteignant les droits ou avantages qu'a acquis un employé aux termes de quelque loi, coutume, contrat ou accord qui lui sont plus favorables que ceux que la présente Partie lui attribue.
conséquent, non affectées par les termes des con- trats d'engagement. Et plus spectaculaire encore, non seulement n'était-il plus question pour l'em- ployeur de songer à mettre fin à volonté à l'enga- gement de son employé, il pouvait même à l'avenir se voir imposer d'autorité un employé qu'il ne voudrait pas. Tout employé congédié injustement (s'il ne faisait pas partie de la direction au sens du paragraphe 27(4)) avait maintenant un moyen d'obtenir, en plus d'une indemnisation pécuniaire complète, la réintégration dans son emploi. La loi ne définissait pas la notion de congédiement injuste mais c'était une notion non inconnue de la jurisprudence de droit commun que la pratique, s'est-on sans doute dit, pourrait préciser. (Voir les remarques de I. Christie dans son livre Employ ment Law in Canada, Toronto, Butterworths, 1980, pages 379 et s. et celles de C. G. Simmons dans son étude The Experience of the Unjust Dismissal Section, under Section 61.5 in The Canada Labour Code 1978-1981, publiée par le Centre de relations industrielles de l'Université Queen's de Kingston, en 1981.)
La proposition de départ de l'arbitre, dont il s'agit de vérifier le bien-fondé, constitue, on peut le voir, une prise de position ferme sur le contenu de cette notion de congédiement injuste à laquelle l'article 61.5 se réfère. Selon lui, tout congédie- ment non fondé sur un acte répréhensible et fautif de l'employé est injuste. Si le recours de l'article 61.5 n'était ouvert que dans les cas de congédie- ments disciplinaires—comme pourrait, à première vue, le laisser supposer l'utilisation du mot «congé- diement» qui, en langage courant, évoque d'abord (tout comme le terme anglais «dismissed» d'ail- leurs) l'idée de sanction, de mise à la porte—la proposition de l'arbitre serait à sa face même irréfutable. On ne saurait discipliner et punir quel- qu'un pour autre chose qu'un acte qu'il a commis lui-même et qu'on peut lui reprocher. Mais il est clair que la pratique et la jurisprudence ne l'ont jamais vu ainsi. Depuis son introduction au Code, le recours de l'article 61.5 a servi à des employés mis à pied pour d'autres motifs que des motifs disciplinaires. C'est justement à propos de ces plaintes d'employés congédiés pour des motifs autres que disciplinaires qu'ont été développées ces notions de congédiements administratifs et de con-
flits d'intérêts dont la décision de l'arbitre fait état. Le «congédiement administratif», d'après ce que je comprends de la jurisprudence arbitrale, c'est le congédiement non disciplinaire que l'employeur peut justifier, notamment, à partir de l'état d'in- compétence ou d'incapacité physique ou mentale de l'employé, et le «conflit d'intérêts» est depuis longtemps reconnu et présenté comme motif justi- ficatif d'un renvoi. Il me semble acquis aujourd'hui que toute résiliation unilatérale par l'employeur du contrat de travail qui l'unissait à son employé tombe sous le coup de l'article 61.5, la seule exception étant la cessation d'emploi des employés devenus superflus réglementée précédemment au Code de façon expresse. Ainsi ressort toute la portée de la proposition de l'arbitre: en dehors des cas d'incompétence et d'incapacité, l'absence de faute personnelle de l'employé (impliquée, d'après lui, même dans la notion de conflit d'intérêts) suffirait à conférer à un licenciement un caractère abusif et injuste. C'est une proposition à laquelle je ne puis souscrire.
Je ne vois rien dans la loi, en effet, qui permet de penser qu'en introduisant le recours de l'article 61.5, le Parlement voulait accorder à un employé d'un an de service un droit sur son emploi qui soit si absolu qu'on est porté à penser à un quasi-droit de propriété (puisqu'il peut obtenir sa réintégra- tion), et dont l'effet serait non seulement la sécu- rité d'emploi mais la quasi-suppression des droits et de la liberté de l'employeur. Je n'ai aucune hésitation à dire que le nouveau recours de l'article 61.5 a laissé loin derrière lui le recours traditionnel de droit commun et sa technique de l'abus. Le droit lui-même de licenciement a été complètement modifié en vue d'éviter l'arbitraire de l'employeur et d'assurer une continuité de l'emploi. Il n'existe plus qu'un droit de licenciement «juste», ce qui veut dire, sans doute, un licenciement qui se ratta- che à une cause objective, réelle et sérieuse, indé- pendante des incompatibilités d'humeur, des con- venances ou des mésintelligences purement personnelles, et se présente comme une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionne- ment de l'entreprise. Mais je crois qu'aller au-delà de ça, comme le fait l'arbitre, est, dans l'état actuel du droit, sans fondement et erroné. La justification de l'article 61.5 est sans doute extrê- mement exigeante mais elle reste possible, à mon sens, en dehors des cas d'incompétence ou d'inca- pacité ou de faute grave de l'employé.
Ainsi, le raisonnement sur la base duquel l'arbi- tre a refusé d'admettre que le renvoi dans les circonstances pouvait être justifié m'apparaît sans valeur parce que fondé sur une prémisse fausse. Il se pourrait, il est vrai, que sa conclusion soit, malgré tout, la bonne, et que de fait la justification invoquée par la Banque serait en elle-même incon- ciliable avec les exigences de l'article 61.5. L'er- reur de l'arbitre aurait alors été sans conséquence. Mais je ne crois pas que ce soit le cas. La Banque a montré, par preuve d'experts, les problèmes que lui aurait causés le maintien du contrat d'emploi de l'intimée et le risque que cela aurait représenté pour une institution comme la sienne. L'arbitre a bien reconnu la force de cette preuve, mais c'est uniquement son approche qui l'empêchait de la considérer. «Je comprends», écrit-il au terme de sa décision (page 37), «les problèmes que peut vivre la Banque ... (mais), ces problèmes, la Banque doit les supporter si elle n'a rien à reprocher à la Plaignante». Je suis d'avis que la justification invo- quée par la Banque rencontrait les exigences de l'article 61.5. Je vois mal qu'on puisse parler de conflit d'intérêts, comme le suggéraient les procu- reurs de la Banque dans leur effort pour faire entrer leur cas dans une classification reconnue. Il me semble préférable de réserver cette notion de conflit d'intérêts à ces situations l'employé s'adonne à des activités qui sont extérieures et parallèles à celles qu'il exerce dans le cadre de son travail mais qui viennent en conflit ou en concur rence avec elles. Mais on peut, je pense, parler de la disparition chez l'employé d'une qualité ou d'un attribut qui pouvait raisonnablement être consi- déré comme nécessaire à l'exercice de l'emploi, de sorte qu'est résultée chez l'employeur une perte de confiance telle que des relations normales employeur-employé ne pouvaient plus se poursui- vre. Il m'apparaît clair en lisant les remarques de l'arbitre sur les témoignages entendus que si son interprétation de la loi avait été celle que je consi- dère la bonne, il aurait certes reconnu que la cause objective, réelle et sérieuse requise par l'article 61.5 était effectivement présente, et je crois inutile de lui retourner le dossier uniquement pour vérifier la justesse de cette impression de ma part.
Cette constatation me semble décisive. On pour- rait fort bien penser, je sais, que même si un motif valable de résiliation de contrat existait, la Banque
aurait verser une certaine indemnité pour tenir lieu de préavis. Il s'agit d'une question qui pourrait peut-être se soulever dans le cadre d'un recours de droit commun fondé sur la théorie de l'abus de droit ou même sur le contrat d'emploi de l'intimée qui prévoyait un préavis de trois mois au cas de résiliation par la Banque sans «raison suffi- sante et valable» (expression qui là, rattachée expressément à l'idée de conduite préjudiciable, pourrait peut-être s'interpréter dans le sens de faute (le contrat est reproduit au dossier d'appel aux pages 412 et 413)). Mais dans le cadre d'un recours comme ici fondé sur l'article 61.5 du Code, la question ne me paraît pas pertinente car l'arbi- tre n'acquiert des pouvoirs de sanction que dans la mesure il peut constater que le licenciement lui-même était injustifié.
Je suis donc d'avis que la Cour doit maintenir la présente demande et annuler la décision de l'arbi- tre et qu'elle devrait renvoyer l'affaire à ce dernier pour qu'il la décide de nouveau en prenant pour acquis que la requérante avait un motif valable pour mettre fin à l'engagement de l'intimée et que, partant, le licenciement de celle-ci n'était pas, dans les circonstances, injuste au sens de l'article 61.5 du Code.
Annexe
CONGÉDIEMENT INJUSTE
61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une personne
a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au service d'un employeur, et
b) qui ne fait pas partie d'un groupe d'employés soumis à une convention collective
peut formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur dans le cas elle a été congédiée d'une façon qu'elle considère injuste.
(2) Sous réserve du paragraphe (2.1), une plainte formulée en vertu du paragraphe (1) doit l'être dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.
(2.1) Le Ministre peut prolonger le délai visé au paragraphe (2) pour formuler la plainte prévue par le présent article lorsque
a) la personne visée au paragraphe (1) a formulé, dans le délai visé au paragraphe (2), la plainte écrite visée au paragraphe (1) auprès du fonctionnaire gouvernemental qu'elle croit être celui qui est habilité à recevoir la plainte; et
b) le fonctionnaire gouvernemental n'était pas habilité à cette fin.
(3) Aucune plainte ne peut être examinée par un arbitre dans le cadre du paragraphe (8) lorsqu'une des situations suivantes se présente:
a) le plaignant a été mis à pied par suite de manque de travail ou de la cessation d'une fonction;
b) une procédure de redressement est prévue ailleurs dans la présente loi ou dans une autre loi du Parlement.
(4) La personne congédiée visée au paragraphe (1) ou un inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître au moyen d'une déclaration écrite les motifs du congédiement, et l'employeur est alors tenu de fournir cette déclaration à la personne qui le demande dans les quinze jours qui suivent la demande.
(5) Dès qu'une plainte en vertu du paragraphe (1) a été reçue, un inspecteur doit s'efforcer d'aider les parties à régler la plainte ou désigner un autre inspecteur dans ce but et, dans le cas la plainte n'a pas été réglée dans un délai que l'inspec- teur chargé de la régler juge raisonnable d'après les circons- tances, et si la personne qui a formulé la plainte réclame par écrit le renvoi de l'affaire à un arbitre en vertu du paragraphe (6), l'inspecteur doit
a) informer le Ministre de l'échec de son intervention; et
b) transmettre au Ministre la plainte présentée en vertu du paragraphe (1), jointe de toute déclaration écrite exposant les motifs du congédiement conformément au paragraphe (4) ainsi que les autres documents ou déclarations pertinents qu'il a en sa possession.
(6) Le Ministre peut, dès qu'il a reçu le rapport conformé- ment au paragraphe (5), désigner en qualité d'arbitre la per- sonne qu'il juge appropriée pour entendre l'affaire en question et en décider; il peut, en outre, renvoyer la plainte à l'arbitre avec la déclaration écrite donnant les motifs du congédiement qui fut remise conformément au paragraphe (4).
(7) Un arbitre à qui une plainte a été soumise conformément au paragraphe (6)
a) doit l'examiner dans le délai que le gouverneur en conseil peut déterminer par règlement;
b) doit établir sa propre procédure, permettre à chaque partie d'exposer pleinement son point de vue et de lui présenter des preuves, et prendre connaissance des renseignements reçus conformément au paragraphe (6); et
c) détient à cet effet les pouvoirs que les alinéas 118a), b) et
c) attribuent au Conseil canadien des relations du travail relativement à toute procédure engagée devant le Conseil.
(8) L'arbitre doit examiner le caractère injuste du congédie- ment de la personne dont la plainte a été l'objet d'un renvoi en vertu du paragraphe (6) et doit rendre une décision et expédier une copie de sa décision et de ses motifs à chaque partie ainsi qu'au Ministre.
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma- lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
(11) Aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo warranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, interdire ou restreindre une activité exercée par un arbitre en vertu du présent article.
(12) Toute personne concernée par une ordonnance d'un arbitre en vertu du paragraphe (9), ou le Ministre, à la demande de cette personne, peut, après l'expiration d'un délai de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de l'ordonnance.
(13) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en vertu du paragraphe (12), une ordonnance d'un arbitre doit être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de la Cour et toutes les procédures y faisant suite peuvent dès lors être engagées en conséquence.
(13.1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, définir, aux fins de la présente Division, les absences qui sont réputées ne pas avoir interrompu la continuité de l'emploi.
(14) Le présent article ne suspend ou ne modifie aucun recours civil qu'un employé peut avoir contre son employeur.
(15) L'article 45 s'applique aux fins de la présente Division.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MACGUIGAN: Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation en vertu de l'article 28 d'une décision rendue par un tribunal d'arbitrage de griefs ((de tribunal» ou «l'arbitre») selon le Code canadien du travail. L'arbitre y a décidé qu'une banque n'avait pas le droit de congédier une employée cadre pour la seule raison qu'elle cohabi- tait avec une personne se livrant à des activités illégales contraires aux intérêts de la banque.
L'intimée Jacqueline Chayer («l'intimée») a été engagée par la Banque de Commerce Canadienne Impériale («la requérante» ou «la Banque») en 1974. Au moment de son congédiement le 11
février 1980, elle était cadre de la Banque, plus spécifiquement adjointe au chef d'administration d'une des succursales montréalaises de la Banque.
L'intimée fit la connaissance de Régis Beaulieu en 1976 et cohabita avec celui-ci à partir du mois de novembre de la même année. En avril 1977, Beaulieu et l'intimée se fiançaient. Leur vie com mune fut interrompue pendant 17 mois: pendant que Beaulieu purgeait une peine de prison, de mai 1978 mars 1979, l'intimée retourna vivre chez ses parents et ne repris sa vie commune avec Beaulieu qu'à partir d'octobre 1979. L'intimée continua toutefois de rendre visite à Beaulieu pen dant qu'il purgeait sa peine.
Le passé de ce Beaulieu est pour le moins chargé: condamné à dix mois de prison pour le vol qualifié d'une «Villa du poulet» le 12 juillet 1977, il sera condamné également à sept jours de prison pour avoir eu, le 4 novembre 1977, huit cigarettes de marijuana en sa possession; accusé d'avoir per- pétré un vol qualifié le 15 novembre 1979 l'en- contre d'un supermarché Steinberg, il sera libéré de cette accusation à l'enquête préliminaire, faute de preuves; au moment l'intimée était congé- diée, il était en outre accusé d'un troisième vol qualifié commis le 23 novembre 1979. Beaulieu fut remis en liberté grâce à la caution de l'intimée; après le congédiement de l'intimée au printemps 1980, Beaulieu fut reconnu coupable de ce troi- sième larcin et condamné à une peine de 15 mois de prison.
Dans les premiers mois de 1980, la même suc- cursale de la Banque, à St-Lambert, fut l'objet de deux vols qualifiés commis à deux semaines d'in- tervalle l'un de l'autre. À chaque occasion, plus de 6 000 $ furent ainsi volés. Lors du premier vol, le 25 janvier 1980, deux employés de la Banque furent blessés par des plombs provenant de la décharge d'un fusil à canon tronçonné.
Quelque sept à huit minutes après que le second vol eut été commis, le 8 février 1980, les policiers faisaient irruption au domicile de l'intimée. Ils procédèrent alors à l'arrestation de cinq suspects, dont Beaulieu, et à la saisie d'un revolver et d'une carabine tronçonnée. Au moment de leur arresta- tion, les suspects comptaient l'argent qu'ils allaient se partager. L'intimée fut informée des événements
de la journée par deux policiers dès son retour à son appartement.
Le 11 février 1980, l'intimée était mise en demeure de démissionner, à défaut de quoi elle serait congédiée. L'intimée refusa cet ultimatum et fut immédiatement renvoyée. L'intimée déposa une plainte pour congédiement injuste le 7 mars 1980 auprès du ministère fédéral du Travail, en vertu du paragraphe 61.5(1) du Code canadien du travail. La plainte fut renvoyée à l'arbitrage par le ministre du Travail en vertu du paragraphe 61.5(6) dudit Code. C'est cette décision de l'arbi- tre Boisvert qui fait l'objet de la demande d'exa- men et d'annulation dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Voici la décision de l'arbitre en l'espèce:
Je dois ... m'interroger sur le caractère juste ou injuste du congédiement de la Plaignante, et pour ce faire, je dois me demander ce qui peut constituer une cause juste de congédie- ment au sens de la loi.
Notion de «cause juste»
Cette notion de «cause juste» a très bien été cernée par le professeur Palmer dans son volume intitulé Collective Arbitra tion in Canada, lorsqu'il nous indique que la «cause juste» implique la nécessité de la responsabilité personnelle du salarié. Il s'exprime d'ailleurs comme suit à ce sujet:
[TRADUCTION] L'idée essentielle de la théorie de la cause juste est que les employés ne peuvent être punis ou congédiés qu'en raison de leurs fautes; l'employeur ne peut pas faire des «exemples» en punissant des employés au hasard ou, s'il ne réussit pas à découvrir un coupable précis parmi un groupe d'employés, les punir tous.
[TRADUCTION] Comme il est souvent difficile pour l'em- ployeur de déterminer avec exactitude l'identité des coupa- bles, on peut estimer que souvent les employeurs ne tiennent pas compte de cette notion. Cependant, la difficulté de la chose n'excuse pas l'employeur d'éviter cette restriction: si on ne peut différencier les employés à partir des faits, on ne peut pas faire de distinctions entre eux au niveau des sanctions, même si cela signifie que les fautifs s'en tirent. Ainsi, le groupe qui a un mauvais rendement ne peut être puni globalement; les coupables doivent être identifiés.
C'est donc dire que le droit du travail, tout comme le droit pénal d'ailleurs, consacre l'irresponsabilité en ce qui a trait au fait d'autrui. Ces remarques suivantes de Jacques Fortin, dans son Traité de droit criminel s'appliquent, dès lors, à mon avis, en droit du travail canadien:
Le Common Law de même que le droit canadien reconnais- sent le principe de l'imputation personnelle du fait incriminé. En effet, la responsabilité pénale ne s'attache à une personne que pour son fait personnel. La règle du Common Law se trouve énoncée dans un jugement de 1730:
[TRADUCTION] Il est incontestable qu'en matière pénale, le patron n'est pas responsable des actes de son employé, comme c'est le cas en matière civile; ils doivent tous deux répondre de leurs propres actes et assumer les conséquen- ces de leur conduite.
Et j'estime qu'en droit du travail, la plaignante ne peut être reconnue responsable que pour ses propres actes, et non pas pour des actes qu'elle n'aurait pas posés, pour les actes posés par des tiers. La cause juste implique donc nécessairement un fait personnel du salarié.
Et en ce sens, je suis d'accord avec la définition de la cause juste citée par la Plaignante, définition donnée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. C. Arthurs, définition qui est la suivante:
[TRADucTIoN] Si un employé s'est rendu coupable d'un acte dérogatoire grave, d'un manquement habituel à son devoir, d'incompétence ou d'un comportement incompatible avec ses fonctions ou préjudiciable aux affaires de l'employeur, ou s'il a désobéi volontairement aux ordres de l'employeur sur une question importante, la loi reconnaît à l'employeur le droit de congédier sommairement l'employé délinquant.
Et j'entends tout d'abord analyser la preuve pour déceler si elle révèle que la Plaignante a posé personnellement un acte quelconque justifiant son renvoi.
Analyse de la preuve
La preuve révèle que la Plaignante était une employée cadre, employée qui avait connaissance, comme tout autre employé de la banque, des mesures de sécurité adoptées par l'institution pour contrer les vols qualifiés, vols qualifiés qui sont, selon les témoignages des experts, la préoccupation majeure de toute banque en matière de sécurité. Or, si la preuve révèle que la Plaignante a été engagée en 1974, elle ne révèle pas qu'elle a dévoilé à quiconque, pendant sa période d'emploi, une ou des mesures de sécurité dont elle avait connaissance, ce qui sûre- ment aurait constitué une faute passible de sanction ...
La preuve révèle donc que Beaulieu, en février 1980, avait été condamné une seule fois pour un vol qualifié, et qu'il avait une cause pendante devant les tribunaux. Et elle ne révèle pas que la Plaignante a participé de quelque façon que ce soit à ces divers délits. Et je tiens à préciser que ce n'est qu'au printemps 1980 que Beaulieu sera condamné pour le vol à main armée du 29 novembre 1979, soit après le congédiement de la Plaignante par l'Intimée.
Or, la preuve révèle que Beaulieu commet deux vols qualifiés dans une succursale de la Banque de Commerce, l'un vers la fin janvier et l'autre le 8 février 1980. Elle ne révèle pas que la Plaignante a eu connaissance de ces vols avant l'arrestation de Beaulieu à l'appartement le couple faisait vie commune. En somme, et avec respect pour l'opinion contraire, la preuve ne révèle pas que la Plaignante demeurait, en février 1980, avec quelqu'un qui commettait des vols de banques [sic], mais elle révèle que la Plaignante demeurait avec quelqu'un qui soudai- nement, a commencé à faire des vols de banque, à l'insu de cette dernière. Et je ne vois absolument pas quel acte fautif la Plaignante a commis jusqu'alors.
Si la Banque avait le droit d'exiger une relation de confiance absolue en matière de sécurité, de la part de la Plaignante,
aucune preuve n'a été faite à l'effet que la Plaignante a posé un geste quelconque pour ne plus mériter cette confiance.
Peut-on soutenir que la façon dont Beaulieu a commis ses vols qualifiés indique que la Plaignante lui a donné, même involontairement, des informations confidentielles concernant les mesures de sécurité?
J'aimerais préciser immédiatement qu'il est vrai, comme le soutient l'Intimée, que le degré de preuve requis en droit du travail n'est pas le même qu'en droit criminel, et qu'il lui suffit de prouver les reproches qu'elle fait à la Plaignante par voie de prépondérance de preuve. Mais cela ne signifie pas que l'Inti- mée peut se satisfaire de soupçons. En droit du travail, une preuve est une preuve, et un soupçon est un soupçon. En droit du travail, comme en droit criminel, un millier de soupçons ne peuvent jamais constituer une preuve valable.
Or, la Banque a fait une preuve devant moi sur la façon dont Beaulieu avait commis ses crimes, mais, avec respect pour l'opinion contraire, rien de concluant ne peut être tiré de cette preuve, pour démontrer que la Plaignante lui a dévoilé, même involontairement, des informations confidentielles. Cette preuve ne peut amener un esprit logique à conclure raisonnablement que la Plaignante a donné à Beaulieu, même involontairement, quelqu'[sic]indication que ce soit sur les mesures de sécurité en usage à la Banque.
Ainsi, je ne peux vraiment pas déduire sérieusement que la Plaignante a dire à Beaulieu que les succursales étaient équipées de caméras, du seul fait que ce dernier a commis un vol qualifié en se déguisant. Je ne puis non plus déduire qu'elle lui a dit que les salariés avaient instructions de ne pas résister en cas de vol qualifié, du seul fait que ce dernier a tiré des coups de feu. Je ne puis non plus déduire qu'elle lui a donné des renseignements confidentiels du seul fait qu'il s'est attaqué à une succursale il n'y avait jamais eu de vols qualifiés antérieurement, ou encore du seul fait qu'il ne s'est pas attardé aux serrures chronométrées. Tous ces faits peuvent avoir été acquis par l'examen préalable des lieux. S'ils peuvent éveiller certains soupçons vis-à-vis la Plaignante, ils ne peuvent consti- tuer une preuve digne de ce nom, pour relier de quelque façon que ce soit, la Plaignante à la préparation de ces crimes.
Je ne peux non plus tirer une quelconque conclusion du fait que Beaulieu se tenait, pendant le vol, à l'entrée du bureau du gérant, c'est-à-dire à un endroit d'où il pouvait surveiller une boîte signalant que l'alarme avait été donné [sic], ce qui constituait un moyen de synchroniser sa fuite. Le témoin Pierre Hainault, directeur du service de sécurité de la Banque, prétend qu'il s'agissait d'un fait tout à fait particulier à cette succursale, fait particulier que la Plaignante, normalement, ne connaissait pas, et n'a donc pas pu communiquer à Beaulieu.
En outre, je ne peux certes pas tenir compte du fait que la Plaignante a emprunté $1,000.00 $ de la Banque, pendant la période des fêtes 1979, pour soutenir sérieusement qu'elle avait besoin d'argent, et qu'il s'agit d'un motif pour lequel elle a aider Beaulieu.
Enfin, même si j'accorde foi au témoignage du capitaine Lambert, qui prétend que Beaulieu a dit au détective Salvas que «Jacqueline me l'avait dit de me surveiller, que j'étais suivi par la police», je ne peux déduire de ces seules paroles, rappor- tées hors de leur contexte, que la Plaignante cautionnait les
gestes répréhensibles de Beaulieu. Ces paroles sont autant compatibles avec le fait que la Plaignante avisait Beaulieu qu'il était mieux de bien se conduire, qu'avec le fait qu'elle l'avisait de mieux se surveiller pour commettre son larcin.
Si la preuve me révèle que la Plaignante aurait pu donner des informations confidentielles à Beaulieu, (et que plusieurs fac- teurs énumérés par le témoin Forgues s'appliquaient à elle), cette même preuve ne me permet pas de conclure qu'elle a donné, même involontairement, de tels renseignements. La preuve ne révèle donc aucun acte fautif de la part de la Plaignante.
Puis-je conclure que la relation de confiance entre la Banque et la Plaignante est brisée à cause de l'existence d'un conflit d'intérêts?
La Banque s'aperçoit sûrement de fragilité de son argu mentation, puisqu'elle plaide finalement, non pas que la Plai- gnante a commis une quelconque faute, qu'elle a livré, même involontairement, des informations confidentielles à son concu- bin, mais plutôt qu'elle serait en conflit d'intérêts du seul fait de vivre avec Beaulieu. Elle prétend que le seul fait pour un employé de vivre avec quelqu'un qui a commis un vol qualifié, la place dans une situation il rompt le lien de confiance qui l'unit à son employeur, sans qu'il soit besoin de prouver de faute précise.
Or, avec respect pour cette opinion, elle ne peut être retenue. Le conflit d'intérêts ne peut naître qu'à la suite d'un acte précis posé par un salarié, acte qui, en soi, peut être considéré comme une «misconduct», comme une faute de sa part. Il ne peut cependant naître sans qu'un acte soit posé par un salarié. Il ne peut naître par l'acte d'un tiers. C'est ainsi que les auteurs Brown and Beatty définissent d'ailleurs le conflit d'intérêts:
[TRADUCTION] Il existe d'autres formes d'inconduite qui, en présence de preuves suffisantes, ont été jugées comme démontrant un manque de loyauté pour lequel un employé peut être puni ou congédié à juste titre. Ainsi, des arbitres ont statué que le fait de prendre ou d'utiliser sans autorisa- tion des documents confidentiels appartenant à l'employeur, lorsqu'il est simplement raisonnable pour l'employé de suppo- ser que les documents étaient confidentiels, constitue un comportement méritant une punition. En outre, l'employé qui accepte de l'argent d'entrepreneurs avec lesquels son employeur fait affaire, ou achète des marchandises au prix du gros pour son usage personnel en utilisant le nom de la compagnie, peut encourir des mesures disciplinaires.
A la base de tout conflit d'intérêts, il y a donc un acte dérogatoire qui doit être posé par un salarié envers son employeur. Or, dans le cas sous étude, j'ai beau chercher l'acte dérogatoire, mais je ne le trouve pas. Et je ne peux prétendre que constitue un acte dérogatoire le fait pour la Plaignante de demeurer avec Beaulieu, après son incarcération, en 1979, parce qu'elle l'aimait et voulait l'aider, sans nier à la Plaignante le droit de mener, hors de son emploi, la vie affective qu'elle croit juste, et sans nier à un individu qui a purgé une peine de prison, et qui a payé ainsi sa dette envers la société, le droit de refaire normalement sa vie.
Accepter au surplus l'argumentation de l'Intimée pourrait conduire à des situations absurdes. S'il est vrai que la Plai- gnante connaissait les mesures de sécurité de la Banque, et s'il
fallait croire qu'elle est en conflit d'intérêts du seul fait de vivre avec un individu qui a déjà été condamné pour un vol à main armée, il faudrait, tenir le même raisonnement pour un autre employé dont le fils commet un vol qualifié, et pourquoi pas, dont le cousin, ou l'ami intime commet un vol qualifié. Ce serait ériger en dogme le principe de la responsabilité pour la faute d'autrui.
De plus, s'il fallait retenir cette argumentation en cas de vol qualifié, pourquoi ne l'étendrait-on pas aux autres crimes, tels [sic] la fraude, l'introduction par infraction, etc. Et pourquoi ne l'appliquerait-on pas aux commerces et autres institutions qui ont, eux aussi, des mesures de sécurité confidentielles, tel un commerce de bijouterie par exemple? On constate aisément qu'un tel raisonnement pourrait conduire facilement à l'iné- quité [sic] et à l'injustice pour un salarié qui, sans aucune faute de sa part, a des amis ou des relations qui commettent des crimes.
Donc, si la Plaignante n'a commis aucun geste fautif, elle ne peut être en «conflit d'intérêts» du seul fait que son concubin a commis un geste fautif.
L'Intimée a comparé la situation de la Plaignante à celle d'un magistrat qui ne peut siéger dans une cause l'un de ses anciens clients est impliqué, non pas parce qu'il sera partial, mais parce qu'il y a possibilité qu'il le soit. La comparaison est habile, mais elle ne résiste pas à l'analyse. S'il est vrai qu'un magistrat ne peut siéger dans une cause sa parenté est impliquée, dans une cause l'un de ses anciens clients est impliqué, c'est qu'il y a «misconduct» de sa part en posant le geste contraire. En effet, la jurisprudence et la loi, ont établi comme principe le fait qu'un magistrat ne peut siéger dans de tels cas non pas parce que justice ne sera pas rendue, mais parce qu'il faut que justice ait l'air d'être rendue. C'est le fait de désobéir à cette norme de conduite qui équivaut, pour un magistrat, à «misconduct». Cependant, dans la cause sous étude, la Plaignante ne posait aucun geste illégal ou contraire à la loi en demeurant avec Beaulieu, celui qu'elle aimait. Elle se mettait peut être dans une situation elle pouvait plus facile- ment commettre une faute en dévoilant des mesures de sécurité dont elle avait connaissance, mais elle ne commettait pas de faute si elle ne les dévoilait pas.
Si l'Intimée a raison de prétendre comme le rappelait la Cour d'appel dans l'affaire Control Data Canada Limitée vs Jean- Paul Lalancette, que le contrat individuel de travail repose sur
la relation de confiance qui doit exister entre l'employeur et ,( l'employé, et de prétendre également qu'un employeur peut se départir d'un employé en qui il n'a plus confiance, encore faut-il que la rupture alléguée du lien de confiance soit basée sur des motifs légaux et acceptables, soit basée sur les agisse- ments même [sic] du salarié. Or, dans la cause sous étude, la rupture du lien d'emploi est basée non pas sur les agissements de la Plaignante, mais sur ceux du concubin de la Plaignante, et cette rupture est à mon avis illégale. En somme, le lien de confiance devant exister entre un salarié et son employeur, ne doit pas être rompu à cause du simple caprice de l'employeur, mais doit reposer sur un acte ou une négligence du salarié ...
L'Intimée prétend cependant qu'il serait irréaliste et dérai- sonnable pour moi d'annuler le congédiement de la Plaignante,
puisqu'une Banque a le droit de refuser d'employer une per- sonne au courant de ses mesures de sécurité, et qui vit avec un individu commettant des vols qualifiés. J'estime qu'il faut cependant nuancer ces propositions. Si une Banque peut refuser d'engager une personne qui, à son avis, représente un risque pour sa sécurité, et si son droit de refus d'embauche peut n'être soumis à aucune limite, il n'en va pas de même lorsqu'elle désire congédier un employé qui bénéficie de la protection offerte par la loi. Dans ce dernier cas, le droit de la Banque est limité par l'exigence de la «cause juste» de congédiement, «cause juste» que la Banque n'a pas réussi à prouver.
Je comprends les problèmes que peut vivre la Banque en étant obligée de garder à son emploi une salariée dont le mari ou le concubin a commis un vol qualifié. Mais ces problèmes constituent le prix à payer pour éviter l'arbitraire en matière de congédiement. Ces problèmes, la Banque doit les supporter si elle n'a rien à reprocher à la Plaignante.
Puisque la Plaignante a été congédiée injustement, je dois dès lors décider des mesures que j'estime justes pour compenser le dommage qui lui a été causé.
Les mesures correctives demandées
C'est le paragraphe (9) de l'article 61.5 du Code canadien du travail qui détermine l'ordonnance que je peux rendre contre un employeur, en cas de congédiement injuste. Et ce paragraphe est ainsi rédigé:
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait normale- ment gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.
Je désire préciser immédiatement que si la Plaignante avait demandé la réintégration dans son emploi, j'aurais accédé à sa requête. En fait, je n'ordonne pas de réintégration uniquement parce que cette mesure n'est [pas] réclamée.
Cependant, la Plaignante a été traitée injustement, et il ne serait pas équitable qu'elle subisse une perte monétaire quel- conque à cause de ce congédiement. Vu l'injustice dont elle a été victime, je crois donc nécessaire d'ordonner à l'Employeur de la compenser pleinement pour tout le salaire perdu à cause de son congédiement illégal, et de prévoir, en conséquence, l'obligation pour la Banque de lui payer une indemnité égale au salaire dont elle a été privée, de la date de son congédiement jusqu'au 12 août 1981.. .
C'est pourquoi, j'accueille la plainte de la Plaignante;
je déclare qu'elle a été congédiée sans cause juste et suffisante;
j'annule son congédiement;
j'ordonne à l'Employeur de la compenser pour le salaire qu'elle a perdu, de la date de son congédiement au 12 août 1981, (date arrêtée par les parties, de consentement, comme
représentant la fin de tout quantum), déduction faites [sic], bien entendu, des sommes d'argent qu'elle a gagné pour un autre employeur pendant la même période, le tout portant intérêt au taux légal;
et du consentement des parties, je réserve ma juridiction pour décider de toute difficulté dans la détermination de l'indemnité prévue au paragraphe précédent.
Les dispositions pertinentes du Code canadien du travail sont les suivantes:
CONGÉDIEMENT INJUSTE
61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une personne
a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au service d'un employeur, et
b) qui ne fait pas partie d'un groupe d'employés soumis à une convention collective
peut formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur dans le cas elle a été congédiée d'une façon qu'elle considère injuste.
(5) Dès qu'une plainte en vertu du paragraphe (1) a été reçue, un inspecteur doit s'efforcer d'aider les parties à régler la plainte ou désigner un autre inspecteur dans ce but et, dans le cas la plainte n'a pas été réglée dans un délai que l'inspec- teur chargé de la régler juge raisonnable d'après les circons- tances, et si la personne qui a formulé la plainte réclame par écrit le renvoi de l'affaire à un arbitre en vertu du paragraphe (6), l'inspecteur doit
a) informer le Ministre de l'échec de son intervention; et
b) transmettre au Ministre la plainte présentée en vertu du paragraphe (1), jointe de toute déclaration écrite exposant les motifs du congédiement conformément au paragraphe (4) ainsi que les autres documents ou déclarations pertinents qu'il a en sa possession.
(6) Le Ministre peut, dès qu'il a reçu le rapport conformé- ment au paragraphe (5), désigner en qualité d'arbitre la per- sonne qu'il juge appropriée pour entendre l'affaire en question et en décider; il peut, en outre, renvoyer la plainte à l'arbitre avec la déclaration écrite donnant les motifs du congédiement qui fut remise conformément au paragraphe (4).
(7) Un arbitre à qui une plainte a été soumise conformément au paragraphe (6)
a) doit l'examiner dans le délai que le gouverneur en conseil peut déterminer par règlement;
b) doit établir sa propre procédure, permettre à chaque partie d'exposer pleinement son point de vue et de lui présenter des preuves, et prendre connaissance des renseignements reçus conformément au paragraphe (6); et
c) détient à cet effet les pouvoirs que les alinéas 118a), b) et
c) attribuent au Conseil canadien des relations du travail relativement à toute procédure engagée devant le Conseil.
(8) L'arbitre doit examiner le caractère injuste du congédie- ment de la personne dont la plainte a été l'objet d'un renvoi en vertu du paragraphe (6) et doit rendre une décision et expédier une copie de sa décision et de ses motifs à chaque partie ainsi qu'au Ministre.
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma- lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
Notre pouvoir d'examen et d'annulation pro- vient du paragraphe 28 (1) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], qui se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou à autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Il se pose une question préliminaire quant à l'effet de la clause privative du paragraphe 61.5(10) du Code canadien du travail. Il est évi- dent, compte tenu du paragraphe 122(1) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43] du Code, qu'aucune décision du Conseil canadien des rela tions du travail ne peut être révisée par notre Cour si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale en cas seulement de
manquement à la justice naturelle, d'excès de com- pétence ou de refus d'exercer celle-ci. Mais les intimés ont soulevé la question de savoir si la clause privative du paragraphe 61.5(10) du Code pouvait offrir au moins la même immunité aux arbitres que celle dont jouit le Conseil à l'égard de l'examen judiciaire en vertu des alinéas 28(1)b) et c). Nous avons déjà décidé cette question par la négative dans l'affaire La Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815 (C.A.).
Il est tout de suite évident que l'arbitre a commis une erreur de droit quant au redressement accordé. Dans l'arrêt Corporation Dicom c. Petit, de greffe A-413-84, notre Cour a décidé, le 21 novembre 1984, qu'un arbitre qui omet d'entendre les parties sur la question des mesures de redresse- ment viole la règle de justice naturelle audi alte- ram partem, et que l'affaire doit donc lui être soumise de nouveau sur ce point. Dans le cas présent, l'arbitre est tombé dans le même piège: bien que, au cours de l'audience, il ait explicite- ment accepté une entente relative à la présentation d'une autre plaidoirie au sujet des mesures de redressement si elle devenait nécessaire, après qu'il se fut prononcé sur la question de fond (dossier d'appel, volume III, page 384), il a accordé un redressement dès sa première décision, à savoir 18 mois de salaire, moins les sommes d'argent tirées d'un autre emploi pendant la même période. Pour cette seule lacune importante, l'affaire doit être renvoyée devant l'arbitre.
Quant à la question de fond, le contrat, conclu le 22 juillet 1974 et ratifié de nouveau par l'intimée le 13 septembre 1976, était ainsi libellé:
En considération de mon engagement par la Banque Cana- dienne Impériale de Commerce (la «Banque»), par les présentes je promets, m'engage et conviens solennellement:
1. de me comporter d'une façon honnête et fidèle...
2. d'observer le secret le plus absolu en ce qui a trait à toutes les opérations et affaires de la Banque ..
8. qu'il pourra être mis fin à mon emploi:
d) à tout moment, que ce soit au cours de ma période probatoire ou après celle-ci, par la Banque, sans préavis ni appointements aux lieu et place, pour une raison suffisante et valable, y compris, sans aucune restriction à ce qui précède, une conduite préjudiciable aux intérêts et à la réputation de la Banque...
La disposition contractuelle de la clause 8d) permet le congédiement sans aucun préavis de l'employé qui se comporte d'une façon préjudicia- ble aux intérêts et à la réputation de la Banque. La question de savoir si l'intimée s'est comportée d'une façon préjudiciable aux intérêts et à la répu- tation de la requérante ressemble beaucoup à la question plus large soulevée par les faits, c'est-à- dire savoir si le congédiement a été fait pour une cause juste, échappant ainsi aux procédures de l'article 61.5 du Code. Il est utile de poursuivre les deux questions ensemble.
Lord Esher a bien établi dans l'arrêt Pearce v. Foster (1886), 17 Q.B.D. 536 (C.A.), à la page 539, le critère général applicable aux motifs vala- bles de congédiement:
[TRADUCTION] La règle de droit est que l'employeur a le droit de congédier son employé qui agit de façon incompatible avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions. Les relations entre l'employeur et l'employé supposent nécessairement que ce dernier sera en mesure d'exécuter son travail convenablement et loyalement, et si sa conduite l'en empêche, l'employeur peut le congédier ... Il est impossible d'énumérer les circonstances qui pourront empêcher un employé d'exercer ses fonctions convenablement ou d'exécuter son travail de façon loyale. Cette situation pourrait être illustrée tant par de nombreux faits qui se sont déjà produits que par d'autres, encore virtuels, qui se produiront un jour.
Il n'est pas nécessaire de prouver que l'employeur a subi un préjudice réel. Le préjudice virtuel suffit: Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., [ 1977] 1 W.W.R. 673 (C.S.C.-B.); Tozer v. Hutchison (1869), 12 N.B.R. 540 (C.A.). Ainsi que l'écrivait le juge Meldrum dans l'affaire Bursey v. Acadia Motors Ltd. (1980), 28 N.B.R. (2d) 361 (Q.B.), à la page 369 (décision modifiée sur un autre point en appel: (1982), 35 N.B.R. (2d) 587 (C.A.)):
[TRADUCTION] Rien dans la preuve n'indique que les conflits d'intérêts potentiels nuisaient de quelque façon à la défende- resse. Néanmoins, dans les situations de conflits d'intérêts, c'est la règle applicable à la femme de César qui s'applique. Il ne faut pas même prêter le flanc aux soupçons.
Il n'importe pas que le comportement de l'employé visait à protéger seulement son propre intérêt et ne cherchait pas à nuire à celui de son employeur: Federal Supply and Cold Storage Co. of South Africa v. Angehrn & Piel (1910), 80 L.J.P.C. 1; Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., précité.
Dans sa plaidoirie, la Banque nous a invités à reconnaître que les faits au dossier établissaient l'existence d'un conflit d'intérêts opposant l'inti- mée à la Banque. Je suis d'avis que cette caractéri- sation est trop restrictive: la seule question que soulève le litige est de savoir si, pour reprendre les mots de lord Esher, supra, «he does anything incompatible with the due or faithful discharge of his duty to his master» [«[l'employé] agit de façon incompatible avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions»], cette incompatibilité pouvant être établie par un nombre incalculable de situations. Il importe peu que les faits de l'espèce tombent à l'intérieur des limites ordinaires d'un conflit d'inté- rêts ou pas puisqu'il suffirait qu'ils établissent une incompatibilité avec les devoirs de l'intimée envers son employeur.
La jurisprudence pertinente provient en grande partie des arbitres. Dans la décision Re Granby (Ville de) and Fraternité des Policiers de Granby Inc. (1981), 3 L.A.C. (3d) 443, un arbitre a jugé qu'une suspension disciplinaire était justifiée dans les circonstances un agent de police avait noué des rapports sociaux avec une femme qui faisait l'objet d'accusations criminelles pour lesquelles le plaignant serait, selon toute probabilité, le princi pal témoin de la poursuite. L'arbitre n'a toutefois pas tranché la question de savoir si, dans d'autres circonstances, le fait pour un agent de police de fréquenter une personne qui a un casier judiciaire constituerait un comportement incompatible avec ses fonctions.
La décision de l'Industrial Tribunal britannique rejetant la plainte de congédiement injuste d'une commis est encore plus pertinente: Foot v. Eastern Counties Timber Co. Ltd., [1972] 1 I.R.L.R. 83. L'employeur exploitait un commerce d'entrepre- neur en électricité, la plaignante s'occupant de la paye ainsi que de la facturation. L'employeur con- gédia la plaignante en lui versant deux semaines de salaire à titre de préavis quand il appris que le mari de la plaignante venait d'ouvrir les portes d'un commerce en électricité à faible distance du sien. Le tribunal reconnu qu'il n'était pas commer- cialement sain pour un employeur de garder à son service l'épouse d'un compétiteur alors que celle-ci avait accès à des informations confidentielles au sujet des affaires de son employeur. D'après l'In- dustrial Tribunal, cette situation conflictuelle
constituait une raison substantielle justifiant le congédiement de la plaignante et que, conséquem- ment, elle n'avait pas été injustement congédiée. L'Employment Appeal Tribunal britannique en vint à la même conclusion dans l'affaire Skyrail Oceanic Ltd. v. Coleman, [1980] I.C.R. 596 (cassée par la Cour d'appel pour d'autres raisons: [1981] I.C.R. 864), l'employeur avait congédié un agent aux réservations travaillant pour son agence de voyages pour le seul motif que cette employée venait d'épouser un homme employé aux mêmes tâches par une agence de voyages rivale.
La cohabitation d'un homme et d'une femme peut-elle jamais constituer une cause juste de con- gédiement au Canada? La Cour suprême du Canada a prendre en considération récemment une question semblable dans l'affaire Caldwell et autre c. Stuart et autres, [1984] 2 R.C.S. 603. Une catholique enseignait dans une école catholi- que et n'avait pas été réembauchée pour l'année scolaire suivante en raison de son mariage civil avec un divorcé, contrairement aux enseignements de l'Église catholique. Étant donné qu'on alléguait la discrimination fondée sur l'état matrimonial et la religion en vertu d'une loi provinciale sur les droits de la personne, la question n'était pas de savoir si l'employée avait été congédiée pour une cause juste mais plutôt si elle ne pouvait plus répondre à une exigence réelle relative à son emploi. Le juge McIntyre dit, au nom de la Cour (aux pages 624 et 625):
À mon avis, considérant les choses objectivement et compte tenu de la nature et des objectifs spéciaux de l'école, l'exigence d'observance religieuse, y compris l'acceptation et l'observation des règles de l'Église relatives au mariage, est raisonnablement nécessaire pour assurer la réalisation des objectifs de l'école. J'estime que ... l'exigence d'observance religieuse constitue une exigence professionnelle réelle pour une enseignante catho- lique employée dans une école catholique et que le non-respect de cette exigence a pour effet de la priver de la protection ... du Human Rights Code.
Bien que cette décision ne dise pas expressément que sont une cause juste de congédiement les liens du mariage, elle a pour effet de justifier le congé- diement pour cette raison sur la base des faits particuliers en cause. De fait, le juge McIntyre remarquait qu'il pouvait y avoir chevauchement des concepts concernés la page 622):
Il se peut que, dans de nombreuses occasions, la même conduite ou caractéristique d'un employé constitue une cause raisonna- ble de congédiement et ait en même temps pour effet de le
priver d'une qualification réelle. Dans cette mesure les deux concepts peuvent se chevaucher .. .
Dans l'affaire Cindy Bosi v. Township of Michipicoten and K.P. Zurby (1983), 4 C.H.R.R. D/1252, une femme mariée s'étant vu refuser un emploi de commis aux comptes pour une munici- palité parce que son mari était également à l'em- ploi de la municipalité comme agent de police, le professeur Martin L. Friedland, siégeant à titre de commission d'enquête, a jugé qu'il existait un con- flit d'intérêts potentiel suffisamment sérieux pour faire de l'état matrimonial une exigence profes- sionnelle réelle même si l'état matrimonial, comme motif illicite de discrimination, était considéré dans l'optique du mariage à une personne en parti- culier plutôt que du mariage en général.
J'estime que le droit applicable peut donc se résumer dans le principe suivant: le mariage ou la cohabitation avec une personne particulière peut, dans certains cas, créer une cause juste de congé- diement; tout dépendra d'une analyse approfondie de la situation et plus particulièrement de la nature et des exigences de l'emploi concerné.
En l'espèce, j'accepterais, sans me prononcer, que l'arbitre avait raison de décider que la notion de cause juste implique nécessairement le fait per sonnel de l'employée:
... j'estime qu'en droit du travail, la plaignante ne peut être reconnue responsable que pour ses propres actes, et non pas pour des actes qu'elle n'aurait pas posés, pour les actes posés par des tiers. La cause juste implique donc nécessairement un fait personnel du salarié.
Cependant, il a décidé que l'employée en cause n'avait commis ni d'acte ni de négligence répréhensibles:
A la base de tout conflit d'intérêts, il y a donc un acte dérogatoire qui doit être posé par un salarié envers son employeur. Or, dans la cause sous étude, j'ai beau chercher l'acte dérogatoire, mais je ne le trouve pas. Et je ne peux prétendre que constitue un acte dérogatoire le fait pour la Plaignante de demeurer avec Beaulieu, après son incarcération, en 1979, parce qu'elle l'aimait et voulait l'aider . .. sans nier à un individu qui a purgé une peine de prison, et qui a payé ainsi sa dette envers la société, le droit de refaire normalement sa vie.
Cependant, dans la cause sous étude, la Plaignante ne posait aucun geste illégal ou contraire à la loi en demeurant avec Beaulieu, celui qu'elle aimait. Elle se mettait peut être dans une situation elle pouvait plus facilement commettre une faute
en dévoilant des mesures de sécurité dont elle avait connais- sance, mais elle ne commettait pas de faute si elle ne les dévoilait pas. [C'est moi qui souligne.]
Il ressort de ce passage que l'arbitre avait une conception tout à fait erronée du droit. À son avis, la juste cause de congédiement exigeait de la part de l'intimée la perpétration d'un acte illégal ou contraire à la loi. Si c'était le critère applicable, plusieurs cas de conflits d'intérêts seraient élimi- nés. Cependant, le critère applicable à la détermi- nation de la faute de l'employé est celui que lord Esher a formulé et que nous avons déjà cité: il vise les actes de l'employé qui sont «incompatible[s] avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions».
En l'espèce, l'employeur est une banque et reçoit à ce titre, par voie de dépôt, des sommes d'argent et d'autres objets de valeur qu'elle doit garder en sûreté et qu'elle doit donc s'efforcer à tout prix de protéger du vol. L'employée, qui, à titre de comp- table, connaît les mesures de sécurité de la Banque, se met en ménage, en novembre 1976, avec un homme qui commet un vol en juillet 1977. Durant son incarcération du ler mai 1978 au ler mars 1979, elle lui rend visite en prison. Peut-être hésite-t-elle à demeurer avec lui, car il s'écoule plus de huit mois après sa libération avant qu'ils ne recommencent à cohabiter, le 19 octobre 1979. Moins d'un mois plus tard, il est accusé d'un vol commis chez Steinberg le 15 novembre, bien qu'il soit relâché pour manque de preuves au moment de son enquête préliminaire, le 6 décembre. Il est accusé par la suite d'avoir commis un autre vol le 29 novembre, pour lequel elle se porte caution (et pour lequel il a été condamné en avril 1980).
Pour compléter le tout, il commet alors deux vols à main armée contre une autre succursale de la Banque employant l'intimée le 25 janvier et le 8 février 1980. Après le deuxième vol, la police le prend sur le fait dans leur appartement en train de partager le butin avec ses complices. En plus de l'argent, les policiers découvrent des armes et des munitions.
Que l'intimée ait ou non été au courant à l'avance des vols perpétrés contre la Banque pour laquelle elle travaillait (et l'arbitre a précisé que rien dans la preuve ne l'indiquait), l'utilisation par Beaulieu de leur appartement commun comme centre des opérations indique qu'il faisait peu d'ef- forts pour lui cacher ses activités. Quoi qu'il en
soit, au moins à partir de février 1980, la cohabita tion de l'intimée avec Beaulieu la plaçait dans une situation d'incompatibilité avec ses devoirs envers son employeur. Même si les activités illégales de Beaulieu n'avaient jamais été dirigées contre la Banque pour laquelle travaillait l'intimée, elles étaient de nature à constituer une menace cons- tante pour toutes les institutions financières, y compris la sienne. Comme elle occupait un poste- clé, elle était directement au courant des mesures de sécurité de la Banque pour laquelle elle travail- lait, et indirectement, de celles d'autres banques. Vivant en relations aussi étroites avec Beaulieu, elle pouvait, même par mégarde, laisser échapper un détail utile à un esprit criminel éveillé.
L'interprétation de l'arbitre selon laquelle Beau- lieu était jusqu'en 1980 un criminel réhabilité («qui a purgé une peine de prison, et qui a payé ainsi sa dette envers la société») et qui, de docteur Jekyll s'est transformé en M. Hyde («quelqu'un qui, soudainement, a commencé à faire des vols de banque») n'est tout simplement pas plausible. Ses actes criminels doivent être considérés comme ayant été clairement visibles aux yeux de l'intimée, et c'est seulement l'idée fixe de l'arbitre selon laquelle, pour qu'il y ait faute de l'employée, il doit y avoir la perpétration d'un acte contraire à la loi qui l'a empêché de voir la situation telle qu'elle était. Elle a trahi ses obligations envers son employeur en continuant de fréquenter une per- sonne aussi manifestement désireuse de jouer les Robins des Bois pour son propre compte. Il ne faut rien de plus pour qu'il y ait incompatibilité avec les intérêts de son employeur.
Cette conclusion est surtout justifiée par les obligations de l'intimée découlant du contrat d'em- ploi même: selon lord James of Hereford dans Clouston & Co., Ld. v. Corry, [1906] A.C. 122 (P.C.), à la page 129:
[TRADUCTION] ... le congédiement sera justifié si l'employé commet un acte dérogatoire incompatible avec l'accomplisse- ment des fonctions faisant partie de ses conditions d'emploi explicites ou implicites.
En l'espèce elle s'est engagée à se comporter de façon honnête et loyale et à éviter de se conduire de façon préjudiciable aux intérêts et à la réputa- tion de la Banque. Nous avons déjà vu que son comportement était préjudiciable aux intérêts de la banque; nul besoin de démontrer qu'il était préju-
diciable à la réputation de la Banque. Dans ces circonstances la Banque a, en vertu du contrat, également le droit de mettre fin à son emploi sans préavis.
Les faits en l'espèce se sont produits avant l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.U.)]. De plus, l'intimée n'a présenté aucun plaidoyer fondé sur l'applica- tion de la liberté d'association prévue à l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
J'accueillerais donc la demande, annulerais la décision de l'arbitre et renverrais la question devant celui-ci en prenant pour acquis que l'inti- mée, en se plaçant dans cette situation d'incompa- tibilité avec les intérêts de son employeur, a fourni une cause justifiant son congédiement sans préavis.
LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
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