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T-667-86
Peter S. Laframboise (requérant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIE: LAFRAMBOISE C. R.
Division de première instance, juge Joyal— Toronto, 22 mai; Ottawa, 2 juillet 1986.
Impôt sur le revenu Saisies Modification apportée à la Loi et prévoyant une nouvelle règle restreignant le droit du Ministre de recouvrer des impôts impayés Une exception prévoit que le Ministre peut prendre des mesures immédiates lorsque l'octroi d'un délai au contribuable pourrait compro- mettre le recouvrement Étendue du pouvoir discrétionnaire du Ministre Il incombe au Ministre de justifier son action immédiate Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 225 (mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 115), 225.1 (ajouté, idem, art. 116), 225.2 (ajouté, idem), 226.
La cotisation du contribuable, qui ne semblait pas avoir d'emploi, a été établie le 18 février 1985 et fixée au montant de 85 129,06 $, calculé à partir d'un revenu net de 184 929 $. Une enquête menée par la division des Enquêtes spéciales de Revenu Canada a permis de constater que le contribuable avait fait l'acquisition d'une voiture de 13 700 $ et d'un bateau de plai- sance de 15 500 $, qu'il avait transféré 65 000 $ à un ami ou associé et qu'il avait essayé de transporter aux États-Unis 14 000 $ cachés sous sa voiture. Il détenait également 13 000 $ dans un compte de banque. Le contribuable a été arrêté le 28 janvier 1986 et accusé de complot en vue de faire le trafic de stupéfiants.
Jugeant que le recouvrement des impôts impayés pourrait être compromis s'il octroyait un délai au contribuable et se fondant sur le paragraphe 225.2(1) de la Loi, le Ministre a ordonné en février 1986 la saisie immédiate de certains biens du contribuable.
Il s'agit d'une requête en révision de l'ordre donné, fondée sur le paragraphe 225.2(3) de la Loi.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Le pouvoir de prendre des mesures immédiates de recouvre- ment est une exception à une modification récente apportée à la Loi de l'impôt sur le revenu (article 225.1) restreignant le pouvoir du Ministre de recouvrer des impôts impayés qui sont déterminés par une cotisation, jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue quant à l'impôt payable. Cette modification se distingue nettement des règles qui, pendant longtemps, ont été appliquées en matière d'impôt.
Le paragraphe 225.2(3) prévoit une audience sont exposés les motifs en cause et il incombe au Ministre de justifier l'ordre qu'il a donné.
Le Ministre disposait de motifs suffisants pour donner l'ordre en cause. La nature même de la cotisation soulève des doutes raisonnables selon lesquels le contribuable n'aurait pas géré ses affaires d'une façon orthodoxe. Pris ensemble, les facteurs qui suivent permettaient au Ministre d'exercer ses pouvoirs: la tentative de passer illégalement de l'argent aux États-Unis, le
retrait d'une somme en espèces d'une banque, la déclaration du contribuable qui a dit à un policier avoir caché l'argent et que la police ne le trouverait jamais, et l'échange d'argent comptant contre des actifs corporels.
Le paragraphe 225.2(1) est libellé d'une manière souple qui donne une très grande latitude au Ministre, latitude plus large que celle qui existe lorsqu'il s'agit d'une saisie avant jugement: le paragraphe 225.2(1) prévoit que le Ministre peut prendre des mesures immédiates «[lorsqu']il est raisonnable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvre- ment de ce montant». Le pouvoir conféré au Ministre a une portée plus étendue que celle qui existe dans les injonctions Mareva, de sorte que les critères examinés dans ces cas ne sont pas déterminants pour ce qui est de l'ordre du Ministre.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Erie Mfg. Co. (Can.) Ltd. v. Rogers (1981), 24 C.P.C. 132 (H.C. Ont.); Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 39 O.R. (2d) 513 (C.A.).
AVOCATS:
John I. Laskin et C. Medland pour le requérant.
P. A. Vita, c.r. et M. J. B. Wood pour l'intimée.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: Il s'agit d'une requête en révi- sion d'un ordre du ministre du Revenu national, donné en application du paragraphe 225.2(1) [ajouté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116] de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1), et ses modifications. Ce recours est issu de certaines modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu adoptées par le Parlement en 1985 et qui ont pour effet de limiter le pouvoir du ministre du Revenu national de recouvrer des impôts impayés qui sont déterminés par une cotisation, jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue quant à l'impôt payable.
Ces modifications figurent à l'article 225 de la Loi de l'impôt sur le revenu et elles ont été décrétées [les articles 225.1 et 225.2] dans S.C. 1985, chap. 45, article 116.
Le paragraphe 225.1(1) prévoit des règles détaillées qui restreignent le droit du Ministre de recouvrer des impôts impayés. Ces règles se distin- guent nettement de celles qui, pendant longtemps, ont été appliquées en matière d'impôt, et elles visent à réduire de façon importante le droit du Ministre de recouvrer un impôt impayé tant que les divers moyens d'appel n'ont pas été épuisés. Voici le texte dudit paragraphe:
225.1 (1) Lorsqu'un contribuable est redevable du montant d'une cotisation établie en vertu de la présente loi (appelé «montant impayé» au présent paragraphe), à l'exception d'un montant payable en vertu du paragraphe 227(9), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation,
a) entamer une poursuite devant un tribunal;
b) attester le montant impayé, conformément au paragraphe 223(1);
c) exiger qu'une personne fasse un paiement, conformément au paragraphe 224(1);
d) exiger qu'une institution ou personne visée au paragraphe 224(1.1) fasse un paiement, conformément à ce paragraphe;
e) exiger la retenue du montant impayé par déduction ou compensation, conformément à l'article 224.1;
f) exiger qu'une personne remette des deniers, conformément au paragraphe 224.3(1);
g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).
Malgré ces restrictions, les nouvelles modifica tions comportent néanmoins une exception. Cel- le-ci figure au paragraphe 225.2(1) et permet au Ministre de prendre des mesures de recouvrement immédiates lorsqu'il est raisonnable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard com- promettrait le recouvrement de ce montant.
Voici le libellé du paragraphe 225.2(1):
225.2 (1) Par dérogation à l'article 225.1, lorsqu'il est raison- nable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard compro- mettrait le recouvrement de ce montant, et que le ministre, par avis signifié à personne ou envoyé en recommandé à la dernière adresse connue du contribuable, en a avisé celui-ci et lui a ordonné de verser immédiatement tout ou partie de ce montant, le ministre peut prendre immédiatement des mesures visées aux
alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard de tout ou partie de ce montant.
Dans de telles circonstances, le Ministre peut donc, au moyen d'un ordre, exiger le paiement immédiat de la cotisation d'impôt établie et enga- ger des procédures de recouvrement qui lui seraient autrement interdites.
Le contribuable n'est toutefois pas sans recours. En effet, le paragraphe 225.2(3) lui permet de présenter une requête à un juge d'une Cour supé- rieure ou de la Cour fédérale en vue de faire annuler ou modifier l'ordre donné. Ce recours donne lieu à une audience sont exposés les motifs en cause et il incombe au Ministre de justifier l'ordre qu'il a donné. Le juge peut alors statuer sur la requête, soit en confirmant l'ordre, soit en l'annulant ou en le modifiant et rendre toute autre ordonnance qu'il juge indiquée. Un juge peut donc examiner les motifs à partir des- quels le Ministre a donné l'ordre en question et décider s'ils sont de nature à justifier la mesure exceptionnelle prise par le Ministre. Il s'agit par conséquent d'une procédure de contrôle de l'exer- cice des pouvoirs du Ministre qui, autrement, seraient illimités.
Le requérant est un contribuable dont la cotisa- tion a été établie le 18 février 1985. Le montant de cette cotisation qui s'élève à 85 129,06 $ a été calculé à partir d'un revenu net de 184 929 $. Celle-ci faisait suite à une enquête menée par la division des Enquêtes spéciales du Bureau d'impôt de la région de Windsor, de Revenu Canada. L'enquête a permis de constater que, même si le contribuable ne semblait pas avoir d'emploi, ses activités dénotaient un niveau de vie élevé; il a notamment fait l'acquisition d'une voiture de
13 700 $ et d'un bateau de plaisance de 15 500 $, il a effectué un transfert de 65 000 $ à un ami ou associé et transporté aux États-Unis environ
14 000 $ cachés sous sa voiture. Le contribuable détenait également quelque 13 000 $ dans un compte de banque.
Les organismes chargés d'appliquer la loi avaient également de bonnes raisons de s'interro- ger au sujet du contribuable. Les responsables de la section antidrogue de la Gendarmerie royale du Canada se sont penchés sur ses activités, le soup- çonnant de vivre du trafic de la drogue. Œuvrant de pair avec la GRC, Revenu Canada a, pour sa
part, toujours défendu le principe selon lequel un contribuable doit payer sa juste part d'impôt sur son revenu, quelle que soit la source de celui-ci.
À la suite des enquêtes menées par les organis- mes chargés d'appliquer la loi, le contribuable a été arrêté le 28 janvier 1986 et accusé de complot en vue de faire le trafic de stupéfiants, pour être ensuite libéré sous caution. Quant à l'enquête menée par Revenu Canada, elle a abouti à l'envoi d'un long télex au Ministre en date du 14 février 1984; voici les éléments principaux de ce télex:
1. La cotisation proposée dont le montant a déjà été mentionné;
2. Les motifs de la cotisation;
3. Les accusations criminelles portées contre le contribuable;
4. Les motifs justifiant le recours aux dispositions applicables lorsque le recouvrement est com- promis, comme il a été expliqué auparavant;
5. Un état des biens à être saisis ou à l'égard desquels des mesures de recouvrement devraient être prises.
Les motifs justifiant le recours aux dispositions applicables lorsque le recouvrement est compro- mis, sont résumés dans quatre affidavits produits pour le compte du Ministre.
Le premier affidavit est signé par M. H. A. Diguer, un sous-ministre adjoint de Revenu Canada; celui-ci y déclare que sa décision de donner un ordre était fondée sur les renseigne- ments obtenus dans le télex du 14 février 1986. On a informé le contribuable de l'ordre en question par courrier recommandé, le 18 février 1986; une copie de cette lettre accompagnée d'une copie de l'avis de cotisation et d'une copie du télex sont jointes à l'affidavit à titre de pièces.
Le deuxième affidavit émane du constable R. Reynolds de la Gendarmerie royale du Canada qui déclare que, le 10 janvier 1986, il s'est rendu à la frontière internationale située sur le pont Ambas sador reliant Windsor (Ontario) à Détroit (Michi- gan), il a constaté que le service des douanes américaines avait arrêté le contribuable et procédé à la saisie de quelque 14 000 $ en devises cana- diennes trouvés par les autorités américaines sous la voiture de celui-ci.
Le troisième affidavit est celui d'un autre cons table de la GRC, N. Wentoniuk, qui déclare avoir obtenu copie d'un reçu de retrait de la Banque Toronto-Dominion pour la somme de 11 000 $, daté du 10 février 1986 et signé par le contribua- ble. Il ajoute que, vers le 10 février 1986, il a interrogé le contribuable relativement au retrait et que celui-ci a répondu: [TRADUCTION] «Il est en ma possession, je l'ai caché, vous ne le trouverez jamais.»
Le dernier affidavit a été rédigé pour le compte du Ministre par G. Hooft de la section des enquê- tes spéciales de Revenu Canada. C'est dans cet affidavit que les divers biens du contribuable sont décrits; des copies de documents attestant des diverses opérations en cause y sont jointes à titre de pièces. Parmi ces documents se trouve un acte de vente grâce auquel le contribuable a vendu à ses parents une propriété sise au 1419 chemin Prince à Windsor moyennant une somme symbolique, la prise en charge d'une hypothèque de 21 000 $ et des copies de reconnaissances de dettes totalisant la somme de 65 000 $ versée à un associé du contribuable à des fins d'investissement.
Les arguments soulevés par le contribuable contre ce qui semble, à première vue, constituer des motifs raisonnables de donner l'ordre en ques tion, sont énumérés dans son affidavit du 16 mai 1986, dont voici les principales données:
1. le contribuable est solidement enraciné dans la ville de Windsor;
2. il est propriétaire d'une maison, son épouse travaille et touche un salaire, ses parents vivent à Windsor et, depuis un accident de travail survenu le 30 juin 1984, il reçoit une indemni- sation des accidents du travail s'élevant à 412 $ par semaine;
3. vers le 6 mai 1986, il a déposé un avis d'opposi- tion relatif à sa cotisation;
4. au moment de sa mise en liberté en attendant la tenue de son procès relatif aux accusations criminelles, il a fournir une caution de 10 000 $ en espèces et de 60 000 $ en valeurs, le tout étant assorti de la condition de demeu- rer dans le comté d'Essex et de se présenter au poste de police local tous les dimanches.
Le contribuable déclare en outre qu'il s'est tou- jours conformé aux conditions afférentes à sa mise
en liberté et qu'il a l'intention de continuer de le faire d'ici la tenue de son procès au criminel.
Une copie de l'avis d'opposition du contribuable accompagne son affidavit. Les motifs qu'il invoque consistent à dire qu'aucun motif n'a été donné pour expliquer ou justifier le montant de la cotisa- tion d'impôt ou les procédures d'exception enga gées contre lui.
Compte tenu des éléments de preuve qui me sont présentés, je n'hésite pas à conclure que, en date du 18 février 1986, le Ministre disposait de motifs suffisants pour donner l'ordre en cause. J'en viens à la conclusion que la nature même de la cotisation soulève des doutes raisonnables selon lesquels le contribuable n'aurait pas géré ses affaires d'une façon que nous pourrions qualifier d'orthodoxe. Il est à craindre qu'à la suite du transfert de fonds excédentaires à des fins d'investissement, par l'en- tremise d'un tiers plutôt que directement, il serait difficile de retrouver ces fonds ou de les récupérer.
Indépendamment du fait que le revenu du con- tribuable a pu provenir d'activités criminelles, l'in- cident qui s'est déroulé sur le pont Ambassador, le retrait d'une somme en espèces de la Banque Toronto-Dominion, la déclaration faite par le con- tribuable à un policier et l'échange d'argent comp- tant contre des actifs corporels sont des facteurs qui, pris ensemble, permettaient selon moi au Ministre d'exercer ses pouvoirs à ce moment particulier.
Les avocats du contribuable ont demandé à la Cour de conclure que l'affidavit présenté pour le compte du Ministre était entaché d'irrégularités graves. Invoquant les affaires Erie Mfg. Co. (Can.) Ltd. v. Rogers (1981), 24 C.P.C. 132 (H.C. Ont.) et Chitel et al. v Rothbart et al. (1982), 39 O.R. (2d) 513 (C.A.), ainsi que d'autres décisions por- tant sur les procédures d'injonction engagées dans la célèbre affaire Mareva, ils ont fait valoir de façon claire et convaincante que l'obligation qui incombe au Ministre de justifier les mesures qu'il a prises est très lourde, et que la Cour ne doit donner son assentiment à de telles mesures que si ces dernières reposent sur des motifs inattaquables. Ils ont ajouté que, lorsqu'il s'agit d'un affidavit, les règles de la preuve doivent être interprétées stricte- ment; ils ont notamment soulevé le fait que l'affi-
davit de H. A. Diguer ne précisait pas si le dépo- sant «était convaincu» de la justesse des renseignements que l'enquêteur G. Hooft lui avait communiqués par télex.
L'argument des avocats du contribuable pour- rait être défendable si les éléments de preuve dont je dispose se limitaient à ce seul affidavit. Mais, comme les procureurs de la Couronne me l'ont rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de tous les éléments que renferment les autres affida vits. Ceux-ci pourraient aussi faire l'objet d'une savante analyse quant aux motivations profondes du déposant, mais je trouve que, dans l'ensemble, les éléments essentiels que renferment ces affida vits ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont aux critères établis et sont suffisamment étayés pour justifier les mesures prises par le Ministre.
Je ferai par ailleurs remarquer que le pouvoir conféré au Ministre par le paragraphe 225.2(1) peut être exercé chaque fois «[qu']il est raisonna- ble de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation éta- blie à son égard compromettrait le recouvrement de ce montant». Les conditions que comporte cette expression sont suffisamment souples pour lui con- férer, me semble-t-il, une portée plus étendue que celle qui existe dans les injonctions Mareva. Lors- qu'ils sont lus en corrélation, le mot «may» (peut) et l'expression «raisonnable de croire» donnent une très grande latitude au Ministre, latitude qui, selon moi, n'existe pas lorsqu'il s'agit d'une saisie avant jugement.
La logique et le bon sens me dictent qu'il doit en être ainsi. Une action mettant en cause deux parti- culiers ne peut équivaloir à un avis de cotisation établi en application de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'équilibre qu'un tribunal doit assurer n'est pas le même dans les deux cas. Lorsqu'un litige met en cause des particuliers, le demandeur doit présenter une preuve prima facie convain- cante. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un avis de cotisa- tion, le Ministre est libéré du fardeau de la preuve et il appartient au contribuable de démontrer la fausseté ou l'inexactitude de l'avis en engageant des procédures d'appel. Il s'agit d'une sorte de présomption que l'on ne retrouve pas en matière contractuelle ou délictuelle. Dans ces domaines, il existe toujours des incertitudes, de sorte que si la
Cour accorde une ordonnance Mareva trop facile- ment, elle peut causer des dommages considérables ou, à tout le moins, très vexatoires.
Je me dois aussi de faire remarquer que le paragraphe 225.2(1) vise le cas «l'octroi .. . d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvre- ment de ce montant» (c'est moi qui souligne), libellé qui crée une présomption selon laquelle le montant en cause est un montant «recouvrable» immédiatement, à moins qu'un délai prévu par l'article 225.1 ne soit accordé. Je conclus que, même s'ils peuvent servir à guider la Cour lorsqu'il s'agit de déterminer les règles applicables à un ordre du Ministre, les critères établis dans les procédures Mareva sont loin d'être déterminants ou concluants.
Les avocats du contribuable ont également fait mention d'un autre avis envoyé par Revenu Canada et daté du 18 février 1986, qui réclamait le paiement immédiat de la cotisation d'impôt établie. Cet avis a été donné en application du paragraphe 226(1) qui permet au Ministre d'exi- ger le paiement lorsqu'il craint que le contribuable soit sur le point de quitter le Canada. On m'a demandé de conclure qu'il n'existait aucun motif justifiant une telle crainte. L'affidavit du contri- buable fait état de son enracinement familial à Windsor, de l'emploi de son épouse, de la maison dont il est propriétaire, l'ensemble de ces facteurs dissipant tout doute raisonnable que pourrait avoir le Ministre. Les avocats ont par ailleurs soutenu que les conditions dont dépend la mise en liberté du contribuable et qui exigent que celui-ci demeure dans le comté d'Essex et se présente régulièrement aux autorités locales, n'ont pas été violées et que le contribuable n'avait pas l'intention de le faire.
Ce point de vue pourrait être acceptable si ce n'est que je doute qu'une décision du Ministre prise en application de l'article 226 puisse être révisée par un tribunal. Il semble qu'une telle décision soit indépendante des pouvoirs conférés par le paragraphe 225.2(1) et elle ne peut, par conséquent, faire l'objet d'une révision en applica tion du paragraphe 225.2(2). La question de savoir si cela est imputable à une politique législative ou à un oubli du législateur, n'est pas de mon ressort. Tout ce que je peux dire, c'est que je ne suis pas
saisi de la question relative à la menace de quitter le Canada, de sorte que je n'ai pas la compétence requise pour déterminer si le Ministre avait ou non des motifs raisonnables de soupçonner le contri- buable de vouloir quitter le pays.
La Loi prévoit que lorsqu'une demande de cette nature est présentée, un juge peut confirmer, annu- ler ou modifier l'ordre du Ministre. Selon l'affida- vit du contribuable, le Ministre a, à ce jour, ordonné la saisie d'une somme de 1 700 $ détenue à la Banque Toronto-Dominion et d'une voiture Mustang 1975, de même que l'enregistrement d'un privilège sur la maison du contribuable dont la valeur nette est d'environ 35 000 $ et d'un autre privilège sur la propriété transférée par le contri- buable à ses parents pour une somme symbolique. Même s'il traite longuement de la question de son départ du Canada et nie que l'opération immobi- lière mettant en cause ses parents n'a pas été effectuée sans lien de dépendance, l'affidavit du contribuable ne fournit pas beaucoup d'indications à la Cour quant à l'étendue des inconvénients causés à celui-ci par les procédures d'exécution engagées en application des alinéas 225.1(1)a) à g), en ce qui touche à ses besoins financiers courants.
Dans le même ordre d'idées, le dossier n'indique pas si des procédures de saisie-arrêt ont été enga gées relativement aux sommes importantes con- fiées par le contribuable à une tierce personne.
Je suis d'avis que, lorsque le Ministre exerce ses pouvoirs d'exécution en application du paragraphe 225.1(1), obligation lui est faite de ne saisir que les biens dont la valeur est à peu près égale à la somme en péril. encore, le dossier ne révèle rien sur ce sujet.
Dans de telles circonstances, j'hésiterais beau- coup, à ce stade-ci, à modifier l'ordre du Ministre et je m'en remettrais plutôt aux parties afin que celles-ci procèdent aux ajustements nécessaires pour atteindre les buts visés par les dispositions applicables lorsque le recouvrement est compromis et afin que le contribuable, en tant que tel, soit malgré tout en mesure de gérer ses affaires, quelles qu'elles soient.
Les avocats m'informent qu'à leur connaissance, les nouvelles dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont applicables lorsque le recouvre-
ment est compromis, n'ont pas encore été soumises à l'examen des tribunaux. En pareilles circons- tances, ceux-ci sont souvent tentés de déborder le cadre de la question en litige dans une affaire et finissent alors par se livrer à des spéculations d'une valeur incertaine. Il se peut que je n'aie pas suffi- samment résisté à cette tentation. J'admets seule- ment que l'intérêt suscité, en l'espèce, par les débats aux multiples aspects ont constitué une tentation difficile à repousser.
L'ordre du Ministre est confirmé. Conformé- ment aux dispositions du paragraphe 225.2(8), aucuns dépens ne sont adjugés.
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