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A-284-84
Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Gaétan Lussier, sous-ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appelants)
c.
Dale Lewis (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone— Toronto, 13 mars; Ottawa, 13 mai 1985.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Fonction publique Certiorari La décision du sous-ministre de congédier l'intimé pour un motif déterminé a été annulée parce qu'on n'a pas respecté les règles de l'équité dans la procédure au cours de l'enquête L'intimé a-t-il été mis au courant avant l'interrogatoire des faits qu'on lui reprochait? Droit d'être traité d'une manière équitable La décision d'accorder un certiorari est un pouvoir discrétionnaire lorsqu'il existe un autre recours approprié Le processus d'arbitrage des griefs corrige le vice de procédure dans l'enquête L'arbitrage prévoit la possibilité de se faire entendre par un tiers indépen- dant, la citation de témoins et la mise à exécution de la décision de l'arbitre L'omission de produire l'avis d'arbi- trage ne justifiait pas le recours au certiorari Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Fonction publique Un employé de la Commission de l'emploi et de l'immigration a été accusé d'avoir assailli un détenu de l'immigration Congédiement Échec de la procédure de grief Le certiorari annulant le congédiement a été accordé pour le motif qu'au cours de l'enquête qui a mené à celui-ci on n'a pas tenu compte des règles de l'équité dans la procédure Ces règles s'appliquaient-elles? L'intimé a-t-il été mis au courant avant l'enquête des faits qu'on lui reprochait? Le processus d'arbitrage des griefs constituait un recours approprié pour remplacer le certiorari L'omis- sion de produire l'avis d'arbitrage ne constitue pas un motif suffisant pour annuler le congédiement Le processus d'arbi- trage corrige le vice de procédure dans l'enquête Appel accueilli Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 90, 91(1)b), 96(1),(2), (3),(4),(6), 99(3) Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique, DORS/67-118, art. 106 Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., C.R.C., chap. 1353, art. 79(1), 89(1) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 110, 111 Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7(1)i),(2).
Deux comités d'enquête ont été constitués pour enquêter sur des incidents qui se sont produits à l'un des centres de détention du ministère de l'Immigration. L'intimé et un autre agent d'immigration étaient impliqués dans ces incidents. L'intimé a été informé de la tenue de l'enquête et a été invité par les deux comités à faire valoir ses arguments devant chacun d'eux. Il a choisi de ne pas participer au comité qui s'occupait plus parti- culièrement de son cas. Le sous-ministre, agissant sur la recom- mandation du comité, a congédié l'intimé qui était enquêteur de l'immigration pour le motif qu'il avait assailli un détenu de l'Immigration. L'intimé a présenté un grief jusqu'au dernier
palier sans succès. Il a toutefois réussi à faire annuler par la Division de première instance la décision de le congédier pour le motif qu'au cours de l'enquête qui a mené à son congédiement, on n'a pas tenu compte de certaines des règles de l'équité dans la procédure. L'intimé a allégué qu'on l'a privé de l'équité dans la procédure parce qu'on ne l'a pas informé, avant l'interroga- toire devant le comité, des faits qu'on lui reprochait. Les appelants cherchent à faire annuler l'ordonnance de certiorari pour le motif que l'intimé a été traité d'une manière équitable par l'Administration et qu'il n'était pas approprié de rendre cette ordonnance étant donné qu'un autre recours, l'arbitrage, était prévu par l'alinéa 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Stone (avec l'appui du juge Heald): Même si l'intimé n'avait pas droit à la panoplie des garanties découlant de la justice naturelle, notamment une audition complète de la plainte, il avait néanmoins le droit d'être traité équitablement. C'est particulièrement vrai lorsque, comme en l'espèce, l'en- quête relève d'un organisme différent de celui qui a pour fonction de décider quelle forme de sanction disciplinaire devrait être infligée.
Les appelants affirment que l'intimé a été mis au courant des faits qu'on lui reprochait par son collègue de l'immigration et par son représentant syndical. Il n'existe aucun élément de preuve établissant clairement ce fait. La divulgation au repré- sentant syndical par le comité des faits faisant l'objet de l'enquête ne peut être considérée comme une divulgation à l'intimé. Le représentant syndical a simplement informé l'in- timé que l'affaire était «sérieuse». Il n'existe aucune preuve indiquant que ledit représentant lui a rapporté les allégations détaillées que lui avait exposées le comité. De plus, on ne peut déduire du fait que l'intimé a retenu les services d'un avocat qu'il savait que c'était sa conduite qui faisait l'objet d'une enquête.
Dans un cas comme l'espèce qui comporte l'existence d'un autre recours possible, la décision d'accorder un certiorari est un pouvoir discrétionnaire. Ce recours doit cependant être approprié du point de vue légal. Afin de déterminer s'il existait un tel recours, la Cour a examiné les dispositions législatives concernant l'arbitrage d'un grief résultant du congédiement. Suivant l'article 96 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, l'intimé se serait vu accorder «l'occasion d'être entendu» par un arbitre. Alors que la procédure de grief exige un examen par l'employeur, la Loi exige que dans une procédure d'arbitrage la décision soit rendue par un tiers indépendant. De même, les parties peuvent citer des témoins à comparaître au cours d'une audience tenue devant un arbitre. Le paragraphe 96(4) oblige l'employeur à prendre la mesure exigée dans la décision d'un arbitre. L'intervention de la Com mission pour faire respecter la décision d'un arbitre est prévue au paragraphe 96(6) de la Loi. Ainsi, en l'espèce, un arbitre aurait pu obliger l'employeur à réinstaller l'intimé dans son poste. Compte tenu de ces dispositions, on ne peut affirmer qu'il n'existait pas un autre recours approprié. Le processus d'arbitrage aurait pu corriger le vice de procédure dans l'en- quête qui a conduit au congédiement de l'intimé.
Le paragraphe 79(1) des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. prévoyait que l'intimé devait produire au greffier un avis de renvoi à l'arbitrage dans le délai prescrit.
Cependant, l'intimé, par sa propre négligence, a omis de le faire. L'omission d'obtenir cet autre recours et de protéger ainsi son droit à l'arbitrage ne peut constituer un motif suffisant pour annuler la décision de congédier l'intimé.
Le juge Marceau: Les règles de l'équité dans la procédure ne s'appliquent pas à la décision attaquée. Les tribunaux ont imposé l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de certaines fonctions de nature administrative afin de combler un vide. Il n'y a pas de vide à combler en l'espèce. La Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique contient des dispositions pour assurer une protection complète contre les mesures disciplinaires injustes. La Cour n'aurait aucune raison d'aller au-delà de la volonté du législateur en assujettissant ces décisions à des exigences destinées, en fait, à assurer une protection superflue.
De toute manière, la preuve ne permet pas de conclure qu'il y a eu déni de l'équité dans la procédure. Les règles de l'équité dans la procédure en cause en l'espèce sont celles qu'il faut respecter pour donner effet à la maxime audi alteram partem. Il est évident que l'intimé était parfaitement au courant de tous les éléments dont il avait besoin pour préparer adéquatement sa preuve: les incidents reprochés étaient précis quant au lieu, à la date et au moment de la journée ils s'étaient produits; les détails des plaintes reçues par le sous-ministre ont été fournis au représentant syndical qui agissait manifestement en tant que représentant de l'intimé.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561.
DÉCISION APPLIQUÉE:
La Commission canadienne des droits de la personne c. Jones, [1982] 1 C.F. 738 (l'a inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R. 534 (H.L.); Wise- man v. Borneman, [1971] A.C. 297 (H.L.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. R. (T.) (1983), 28 Alta L.R. (2d) 383 (B.R.); King v. University of Saskatchewan, [1969] R.C.S. 678; Pillai v. Singapore City Council, [1968] 1 W.L.R. 1278 (P.C.); Calvin v. Carr, [1980] A.C. 574 (P.C.); P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739; Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.).
AVOCATS:
Marlene I. Thomas pour les appelants. J. Spence Stewart, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Du Vernet, Stewart, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: J'ai eu le privilège de lire les motifs du juge Stone et bien que je sois d'ac- cord avec sa conclusion, j'estime nécessaire d'ajou- ter mes commentaires parce que je suis arrivé à cette même conclusion en suivant un raisonnement différent.
L'ordonnance qui fait l'objet du présent appel [sub nom. Lewis c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, T-2078-83, juge en chef adjoint Jerome, 20 janvier 1984, non publiée] est un certiorari annulant la décision par laquelle le sous-ministre appelant a congédié l'intimé de son poste d'enquêteur de l'immigration pour incon- duite dans l'exercice de ses fonctions. Selon le juge des requêtes, cette décision ne pouvait être mainte- nue parce que, au cours de l'enquête qui a mené à ladite décision, on n'a pas tenu compte de certaines des règles de l'équité dans la procédure. Le juge Stone souscrit à la conclusion du juge des requêtes portant que le sous-ministre avait violé les règles de l'équité dans la procédure, mais il est d'avis qu'il aurait malgré tout fallu refuser le certiorari parce que essentiellement l'intimé disposait d'au- tres recours.
Si, comme le juge Stone, j'avais conclu que la décision avait en fait été rendue d'une manière illégale, je n'aurais eu aucune difficulté à adopter l'autre conclusion de mon collègue. Compte tenu du défaut de l'intimé de se prévaloir de la procé- dure de grief dont il disposait en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que, S.R.C. 1970, chap. P-35, un recours plus simple, plus direct et plus approprié que celui qu'il a utilisé (et j'aurais ajouté, son défaut d'agir dans un délai opportun pour chercher à obtenir un redressement d'un caractère si exceptionnel et pour lequel il n'a pas fourni d'explications satisfai- santes), j'aurais moi aussi rejeté la demande de certiorari. Mon interprétation du raisonnement suivi dans le jugement rendu à la majorité par la
Cour suprême dans Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, m'aurait sans aucun doute amené à cette conclusion. Cependant, je n'ai pas eu à adopter ce raisonnement pour la simple raison que je n'ai pas réussi à me convaincre que, même en théorie, il était possible d'obtenir un certiorari en l'espèce. En fait, non seulement je suis d'avis que la preuve ne permet pas de conclure que l'intimé a été traité sans que l'on tienne compte de certaines règles de l'équité dans la procédure, mais j'estime dans l'ensemble que, de toute façon, il ne s'agissait pas d'une décision à laquelle les règles de l'équité dans la procédure s'appliquaient.
I
Dans ses motifs, le juge Stone a exposé en détail les faits qui ont donné lieu aux présentes procédu- res. Je n'ai pas besoin de les répéter. On peut facilement rappeler l'essentiel de la plainte de l'intimé fondée sur l'iniquité. À la suite de plaintes portant que l'intimé et un autre enquêteur s'étaient conduits de manière répréhensible au cours d'inci- dents survenus quelques jours plus tôt à l'un des centres de détention du Ministère, le sous-ministre appelant constitua deux comités chargés de faire enquête (chacun se concentrant sur l'un des deux employés en cause et appelés dans le dossier le comité Lewis et le comité Quigley) et de présenter un rapport recommandant des mesures disciplinai- res, si jugé à propos. L'intimé fut informé de la tenue de l'enquête et de la création des deux comités par une lettre du gérant par intérim de son unité, Ken Lawrence. Invité par les deux comités à donner sa version des événements et à présenter tous les arguments qu'il désirait, il a comparu devant chacun d'eux même s'il a choisi de ne pas participer à celui qui s'occupait plus particulière- ment de son cas. Ce qu'il allègue à l'appui de sa prétention voulant qu'il n'ait pas été traité d'une manière équitable, prétention avancée une année entière plus tard, est qu'on ne l'avait pas claire- ment informé de l'accusation portée contre lui avant sa comparution devant le comité.
Je ne crois pas que l'on puisse sérieusement douter que l'intimé était parfaitement au courant des incidents qui faisaient l'objet de l'enquête des comités. Il faudrait en fait rappeler: (1) que, même si elle faisait simplement allusion à des «incidents", la lettre de Lawrence précisait néanmoins le lieu
(le centre de détention), la date (le 16 septembre), le moment de la journée (le soir) ces incidents s'étaient produits: compte tenu du fait que, le soir du 16 septembre, l'intimé et son collègue s'étaient rendus au centre de détention pour quelques minu tes seulement au cours desquelles, suivant la ver sion de l'intimé, son collègue avait eu quelques [TRADUCTION] «affaires à régler» avec un chauf feur de taxi, et que l'intimé se trouvait avec le détenu Thomas et personne d'autre l'exception évidemment de la dame qu'ils étaient venus cher- cher), l'identification exacte des incidents n'aurait présenter aucun problème; (2) que le 22 sep- tembre, après avoir demandé l'aide d'un représen- tant syndical, l'intimé comparut devant le comité Quigley et qu'on a alors désigné les incidents sur lesquels il était appelé à témoigner comme étant les altercations avec le chauffeur de taxi et le détenu Thomas; (3) que le 23 septembre, le comité chargé du cas de l'intimé se réunit en l'absence de ce dernier mais en présence de son collègue et d'un responsable syndical qui agissait manifestement en tant que représentant de l'intimé, et que pendant cette réunion, on a fourni tous les renseignements et les détails au sujet des plaintes reçues par le sous-ministre; (4) et finalement, que le même jour, c'est-à-dire le 23 septembre, après la réunion du comité Lewis, l'intimé eut un long entretien avec le représentant syndical et son collègue, à la suite de quoi il décida de consulter un avocat.
Compte tenu de tous ces faits, je ne pense pas que l'on puisse dire que, le 24 septembre, l'intimé pouvait ignorer la nature des incidents auxquels il avait participé et qui faisaient l'objet de l'enquête du comité. En fait, au cours de son contre-interro- gatoire sur l'affidavit déposé à l'appui de sa demande en Division de première instance, il dût fournir des précisions sur la déclaration contenue au paragraphe 15 dudit affidavit et dont voici le texte:
[TRADUCTION] J'ai appris que le comité était censé examiner des allégations portant que je m'étais livré à des voies de fait contre un nommé Michael Thomas, une personne détenue à l'hôtel Waldorf Astoria et qui avait été placée sous garde à cet endroit par M. Quigley et moi-même deux ou trois jours auparavant.
La question posée était la suivante (page 128 du dossier conjoint):
[TRADUCTION] Q. se situe dans le temps votre affirmation du paragraphe 15:
«J'ai appris que le comité était censé examiner des allégations ...D
Vous m'avez dit cet après-midi que vous saviez cela au moins dès le 23 septembre?
L'intimé a répondu:
[TRADUCTION] R. Oui, quand M. Quigley m'en a informé.
Les règles de l'équité ici en cause sont celles applicables à une décision administrative, et non à une instance criminelle devant une cour de justice. Et ces règles de l'équité dans la procédure sont celles qu'il faut respecter pour donner effet à la maxime audi alteram partem. La question est donc simplement de savoir si l'intimé était suffi- samment au courant de l'incident faisant l'objet de l'enquête et du rôle qu'il était censé y avoir joué pour se prévaloir pleinement de l'occasion qui lui était donnée de se faire entendre. Je ne vois pas comment on peut répondre à cette question par la négative. Il me semble évident que l'intimé était parfaitement au courant de tous les éléments dont il avait besoin pour préparer adéquatement sa preuve et, de toute façon, son représentant avait été informé de tous les détails. De plus, on n'a jamais refusé de lui fournir des détails, le fait étant qu'il n'en a demandé aucun. La naissance de la «doctrine de l'équité» dans l'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commis sioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311 et son évolution rapide dans la jurisprudence sont dues à un ardent désir de promouvoir la loyauté et la justice dans le processus administratif en proté- geant les individus contre les décisions arbitraires, mal documentées et hâtives. Le rôle des règles de procédure qui découlent implicitement de la doc trine est de permettre d'atteindre ces objectifs; il n'est pas d'introduire des conditions inutilement rigides et futiles en matière de procédure. L'extrait si souvent cité, tiré du discours de lord Morris of Borth -y-Gest dans Wiseman v. Borneman, [1971] A.C. 297 (H.L.) (pages 308 et 309) est encore pertinent:
[TRADUCTION] Nous parlons souvent des règles de la justice naturelle. Leur application n'est toutefois ni rigide ni automati- que. Leur portée a été analysée et définie dans de nombreux précédents. Mais toute analyse doit mettre en évidence leur but et leur source d'inspiration plutôt que des précisions quant à leur définition ou à leur application. Nous ne cherchons pas des règles qui énonceront exactement ce qui doit être fait dans diverses situations. Il faut appliquer les principes et les procédu- res qui sont justes et équitables dans une situation particulière ou un ensemble d'événements. Comme on l'a déjà dit, la justice naturelle est simplement «la loyauté à l'ceuvre».
Je ne vois tout simplement pas comment on peut affirmer, compte tenu des circonstances de l'es- pèce, que les règles de procédure découlant de l'obligation d'agir équitablement peuvent avoir été violées au détriment de la loyauté et de l'équité auxquelles l'intimé avait droit.
II
Toutefois, ce n'est pas surtout à cause,'de cette divergence d'opinion quant à savoir s'il y aurait eu en l'espèce violation d'une règle de procédure imposée par l'obligation d'agir équitablement que je ne souscris pas à l'ordonnance faisant l'objet de l'appel. Comme je l'ai déjà dit, c'est avant tout parce que je suis d'avis, pour les motifs qui suivent, que les règles de l'équité dans la procédure n'avaient aucun rôle à jouer dans les circonstances de l'espèce.
La décision contestée dans les présentes procé- dures est celle par laquelle le sous-ministre a con- gédié l'intimé pour un motif déterminé. Il ne fait aucun doute que le sous-ministre a, dans l'exercice de son mandat relatif à la direction du personnel, le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires allant jusqu'au congédiement pour un motif déter- miné. Ce pouvoir a d'abord été conféré par le législateur au Conseil du Trésor par l'alinéa 7(1)f) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, mais il pouvait être délégué, en vertu du paragraphe 7(2) de la Loi, et il l'a effectivement été par l'article 106 du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique ([DORS/67-118] remplacé plus tard par CT 672696, 13 septembre 1967)'.
' Ces trois dispositions portent:
7. (1) ...
j) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la suspension et le congédiement, qui peuvent être appliquées pour manquements à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, ou peuvent être modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
(2) Le conseil du Trésor peut autoriser le sous-chef d'un ministère ou département ou le fonctionnaire administratif en chef de tout élément de la fonction publique à exercer les pouvoirs et exécuter les fonctions du conseil du Trésor, de la manière et sous réserve des conditions que ce dernier prescrit, relativement à la direction du personnel dans la fonction publi-
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Lorsqu'il est mis au courant d'un manquement à la discipline ou d'une inconduite d'un employé relevant de son autorité, le sous-ministre peut donc prendre une mesure disciplinaire. Les règlements ne contiennent aucune disposition indiquant com ment le sous-ministre peut être mis au courant des faits au sujet desquels une mesure particulière peut être prise, et il est difficile d'imaginer comment une telle indication aurait pu être utile. Il est possible qu'il ait lui-même été témoin d'une cer- taine inconduite ou qu'il en ait été informé par ses surveillants, d'autres subordonnés ou des tiers. Cela importe peu pour ce qui est du droit d'agir mais, en pratique, la source particulière d'informa- tion en cause peut naturellement donner lieu à une question de crédibilité. C'est dans ce contexte qu'il semble que l'on ait proposé aux sous-chefs de suivre dans les enquêtes de nature administrative un mécanisme (dont le texte est reproduit aux pages 65 et s. du dossier conjoint) [TRADUCTION] «destiné à recueillir des informations et à consti- tuer un ensemble de faits et de documents à partir desquels il est possible de rendre des décisions». Ce mécanisme est présenté comme un pur processus de recherche des faits, et c'est ce qu'il est en réalité, créé pour le bénéfice du sous-ministre afin de l'aider à exercer ses pouvoirs. Le comité d'en- quête ainsi créé n'a aucun pouvoir, aucun droit de lancer des subpoenas pour citer les témoins à comparaître et aucune des personnes qui acceptent de se présenter devant lui ne sera tenue de témoi- gner sous serment. En passant, quelques questions ont été soulevées pendant l'audience (en fait, ce
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que, et il peut à l'occasion, selon qu'il l'estime opportun, reviser ou annuler et rétablir l'autorité ainsi conférée.
DISCIPLINE
106. Sous réserve de tout édit du Conseil du Trésor, un sous-chef peut
(a) fixer les normes de discipline pour
(i) les employés;
(ii) les personnes à qui s'appliquent le Règlement général de 1963 applicable aux employés à taux régnants, le Règlement de 1964 sur les équipages de navire ou le Règlement de 1964 sur les officiers de navire; et
(iii) les personnes occupant des postes d'instituteur et de directeur d'école au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien;
(b) prescrire, imposer, modifier ou abroger, en totalité ou en partie, des pénalités financières et autres, y compris la sus pension et le congédiement, qui peuvent s'appliquer dans le cas d'infraction à la discipline d'inconduite de la part des personnes mentionnées à l'alinéa (a). (CT 718417, 22 mars 1973)
point avait été mis de l'avant par l'avocat de l'intimé devant les enquêteurs) quant à savoir si la constitution des comités en l'espèce était autorisée par la loi. Je ne vois pas pourquoi une telle autori- sation serait requise. Evidemment, le sous-ministre doit s'informer des circonstances entourant l'incon- duite reprochée et la constitution de comités d'en- quête n'est pour lui qu'un moyen d'obtenir les renseignements dont il a besoin. Dans la mesure il n'a pas l'intention de conférer à ses enquêteurs un pouvoir autre que celui d'examiner les faits et de présenter un rapport, il n'a certainement pas besoin d'une autorisation pour le faire. De toute manière, la constitution d'un ou de plusieurs comi- tés d'enquête sur les faits ne peut en aucune façon toucher ou modifier le pouvoir du sous-ministre de punir un employé de son Ministère pour un motif déterminé. Il faut donc se demander si le sous- ministre est obligé de respecter les règles de l'équité dans la procédure avant de prendre une mesure disciplinaire. En toute déférence, je pense que non. Évidemment, je ne veux pas dire qu'il ne peut exister des circonstances il sera souhaita- ble et beaucoup plus prudent pour lui, comme pour tout gestionnaire, d'observer toutes les exigences qui sont habituellement reliées à la notion juridi- que de justice naturelle avant de prendre une mesure disciplinaire particulièrement sévère. Je veux dire que la loi ne l'oblige pas à le faire.
Si je comprends bien, les tribunaux ont imposé l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de certaines fonctions de nature administrative afin de combler un vide. On a estimé qu'il n'existait aucun motif logique de traiter d'une manière com- plètement différente, lorsque la protection des individus était en cause, les décisions classées dans la catégorie quasi judiciaire parce que la loi avait imposé une certaine exigence, et les décisions clas sées dans la catégorie administrative parce qu'au- cune exigence de ce genre n'avait été ainsi impo sée. Dans l'arrêt Nicholson, précité, le juge en chef Laskin a été très clair la page 325):
L'apparition de cette notion résulte de la constatation qu'il est souvent très difficile, sinon impossible, de répartir les fonctions créées par la loi dans les catégories judiciaire, quasi-judiciaire ou administrative; de plus il serait injuste de protéger certains au moyen de la procédure tout en la refusant complètement à d'autres lorsque l'application des décisions prises en vertu de la loi entraînent les mêmes conséquences graves pour les person- nes visées, quelle que soit la catégorie de la fonction en ques tion. Voir Mullan, Fairness: The New Natural Justice (1975), 25 Univ. of Tor. L.J. 281.
Il n'y a pas de vide à combler en l'espèce. La loi contient des dispositions pour assurer une protec tion complète contre les mesures disciplinaires injustes dans la Fonction publique. Si l'agent sta- giaire dans l'arrêt Nicholson, précité, avait bénéfi- cié, pour contester son congédiement, d'un recours aussi complet et efficace que celui prévu contre les mesures disciplinaires dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, il est évident que, dans cette affaire, le juge en chef Laskin et la majorité de la Cour n'auraient pas réagi comme ils l'ont fait. Après avoir cité la décision de la Cham- bre des lords dans Pearlberg v. Varty, [ 1972] 1 W.L.R. 534 le vicomte Dilhorne a dit la page 546):
[TRADUCTION] Lorsque la personne touchée peut se faire entendre à un moment ultérieur et peut alors formuler les objections qu'elle aurait pu faire valoir si elle avait été entendue au moment de la présentation de la demande, il en résulte qu'elle n'a nullement subi une injustice parce qu'elle n'a pas été entendue au sujet de ladite demande. Des demandes ex parte sont souvent présentées aux tribunaux. Je n'ai jamais entendu dire que cela était contraire à la justice naturelle parce que l'autre partie n'est pas entendue à cette étape.
le juge en chef a simplement déclaré la page 326]:
L'arrêt Pearlberg v. Varty ne présente aucune affinité avec la présente situation ... Contrairement à la présente situation, la décision en question n'était pas une décision finale sur ses droits.
Le point central de l'arrêt Nicholson, comme ce fut le cas dans l'arrêt marquant Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.), était le caractère péremp- toire et final de la décision contestée. On ne peut donc pas considérer que la présente affaire tombe sous le coup de l'un ou l'autre de ces arrêts.
À mon avis, la loi ayant mis en place un système adéquat de contrôle des décisions disciplinaires rendues par le sous-ministre, la Cour n'aurait aucune raison d'aller au-delà de la volonté du législateur et d'assujettir ces décisions à des exi- gences destinées, en fait, à assurer une protection superflue. Il faudrait se rappeler que l'élargisse- ment des règles de l'équité n'est pas toujours avan- tageux et qu'il comporte certains risques comme l'a souligné de Smith dans Judicial Review of Administrative Action (4 e édition) à la page 47:
[TRADUCTION] ... déterminer les obligations des autorités publiques quant à la procédure en utilisant une norme aussi étendue que l'obligation d'agir équitablement peut créer de
graves incertitudes dans l'administration, et peut obliger à tort, les organismes à suivre des procédures trop «judiciarisées» et de ce fait, porter atteinte à leur capacité de s'acquitter de leurs responsabilités prévues par la loi.
et à la page 240:
[TRADUCTION] ... il existe un point les coûts résultant de l'incertitude dans l'administration et devant les tribunaux peu- vent l'emporter sur les avantages qui découlent de l'application libérale de la notion d'équité.
Une déclaration de lord Reid dans l'affaire Wiseman v. Borneman, précitée la page 308), revient à l'esprit:
[TRADUCTION] La justice naturelle exige que la procédure appliquée devant toute autorité agissant à titre judiciaire soit équitable en toutes circonstances ... Pendant longtemps, les tribunaux ont complété, sans opposition de la part du législa- teur, la procédure prévue dans les textes législatifs lorsqu'ils ont jugé que cela était nécessaire pour atteindre le but de ladite procédure. Mais avant que ce pouvoir inhabituel soit exercé, il doit être clair que la procédure prévue dans la loi ne permet pas de rendre la justice et que le fait d'exiger des mesures addition- nelles ne fera pas échouer le but manifeste des dispositions législatives.
À mon avis, les règles de procédure créées par la doctrine de l'équité ne devraient pas être introdui- tes dans le domaine de la gestion du personnel et des actions disciplinaires dans la Fonction publique l'efficacité exige que les choses soient faites simplement et rapidement, et pour lequel le légis- lateur a déjà mis sur pied un mécanisme complet et parfaitement adéquat de contrôle des décisions des autorités. Ainsi, même si je n'avais pas conclu en l'espèce que tout ce qui était raisonnablement nécessaire pour donner effet à la règle audi alte- ram partem avait réellement été fait, j'aurais déclaré que la loi n'imposait aucune obligation de satisfaire aux règles de procédure découlant d'une obligation spéciale d'agir équitablement.
Comme mon collègue le juge Stone, j'accueille- rais donc l'appel et j'infirmerais le jugement de la Division de première instance, avec dépens en appel et en première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Les appelants cherchent à faire annuler une ordonnance de certiorari du juge en chef adjoint, rendue le 20 janvier 1984 confor- mément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]; ladite
ordonnance annulait une décision du sous-ministre appelant en date du 15 octobre 1982 qui avait conclu au congédiement de l'intimé à compter du 20 octobre 1982. Cette décision du sous-ministre faisait suite à une enquête sur une plainte portant que l'intimé se serait rendu coupable d'inconduite dans l'exercice de ses fonctions. On ne met pas en question dans le présent appel le pouvoir de tenir l'enquête qui repose, apparemment, sur les disposi tions de l'alinéa 7(1)i) de la Loi sur l'administra- tion financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
LES FAITS
Dans une lettre datée du 15 octobre 1982, le sous-ministre agissant sur la recommandation d'un comité d'enquête a congédié l'intimé qui était enquêteur de l'immigration auprès de la Commis sion. L'intimé occupait ce poste depuis le mois d'août 1974 et travaillait pour la Commission depuis le mois de mars 1973. Même si son poste est désigné par les expressions «enquêteur de l'im- migration» ou «agent d'immigration», il semble que cette dernière expression soit en théorie correcte. L'intimé a déclaré dans son témoignage que ses fonctions comprenaient [TRADUCTION] «l'arresta- tion et la détention de personnes ayant violé la Loi sur l'immigration et le Règlement». Ces pouvoirs sont conférés par l'article 111 de la Loi sur l'im- migration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] à un «agent d'immigration» nommé ou désigné en vertu de l'article 110. Dans la lettre qu'il a envoyée à l'intimé, le sous-ministre a écrit:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la recommandation de votre directeur de vous congédier de la Commission et du Ministère à la suite d'une enquête administrative interne rela tive à votre conduite le soir du 16 septembre 1982.
J'ai soigneusement étudié les faits et les circonstances de cette recommandation et je suis convaincu que vous avez assailli un détenu de l'Immigration, Michael Thomas qui se trouvait alors au Centre de détention du Waldorf-Astoria.
À cause de la nature et de la gravité de votre inconduite, j'ai décidé, en vertu de l'autorité que me confère l'article 106 du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publi- que de vous congédier à compter du 20 octobre 1982, à la fermeture du bureau.
Conformément à l'article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, vous pouvez présenter un grief à l'encontre de ma décision dans les 25 jours qui suivent la réception de la présente.
Le 20 septembre 1982, deux comités d'enquête ont été constitués pour enquêter sur la conduite de
l'intimé et de son collègue de travail, un nommé Quigley qui travaillait lui aussi comme enquêteur de l'immigration pour la Commission, au sujet de certains incidents qui auraient eu lieu dans la
soirée du 16 septembre 1982 l'hôtel Waldorf- Astoria, ou près de cet endroit, dans la commu- nauté urbaine de Toronto. On alléguait que Qui- gley avait assailli un chauffeur de taxi. Dans une lettre datée du 20 septembre 1982, le gestionnaire adjoint du service de l'Exécution (Toronto), Centre d'immigration du Canada, a écrit ce qui suit à l'intimé:
[TRADUCTION] Une enquête de nature administrative est actuellement menée sur certains incidents qui auraient eu lieu dans la soirée du jeudi 16 septembre 1982, au Centre de détention de l'Immigration du Waldorf-Astoria. Les deux comi- tés d'enquête constitués pour enquêter sur lesdits incidents projettent de vous interroger dans un avenir rapproché. Vous avez le droit d'être représenté. Une copie de la présente lettre a donc été envoyée à votre représentant syndical.
Le comité formé pour enquêter sur la plainte du chauffeur de taxi a interrogé l'intimé le 22 septem- bre. La transcription de l'interrogatoire, qui a été enregistré sur bande magnétique, nous a été remise. Alors que l'interrogatoire portait sur la plainte du chauffeur de taxi, les voies de fait dont Thomas aurait été victime ont été examinées assez en détail avec l'intimé. Ce dernier n'a toutefois pas été informé qu'on avait remis en question sa propre conduite à ce sujet et, en fait, on lui a indiqué clairement que le but de l'interrogatoire était de déterminer les faits ayant entouré la plainte portée par le chauffeur de taxi.
Le comité constitué pour enquêter sur la plainte de Thomas comprenait deux fonctionnaires des Centres d'immigration du Canada à Toronto, un nommé Best du Centre de l'est de Toronto, et un nommé Mitchell du Centre de l'ouest de Toronto. Les tentatives de ce comité d'interroger Quigley et l'intimé le 23 septembre 1982 se sont révélées vaines parce que l'intimé n'était pas disponible avant le 24 septembre. Quigley s'est présenté au comité le 23 septembre en compagnie d'une nommée Wasilewski, qui représentait son syndicat. Une transcription de la discussion enregistrée sur bande magnétique a été remise à la Cour. La représentante syndicale s'est opposée à ce que l'interrogatoire ait lieu ce jour-là parce qu'elle n'avait reçu l'avis que tout récemment et qu'elle ne se sentait pas prête. Elle a déclaré qu'elle croyait comprendre que l'enquête donnerait probablement
lieu à un rapport présenté au gestionnaire du service de l'Exécution à Toronto, qui devrait alors [TRADUCTION] «examiner si des mesures discipli- naires étaient justifiées ou si les conséquences de l'enquête étaient très négatives pour MM. Lewis et Quigley». Elle a prétendu que jusqu'à ce moment-là, ni Quigley ni l'intimé n'avaient été informés des allégations précises invoquées contre eux. En réponse à cette critique, un des membres du comité, M. Best, a déclaré:
[TRADUCTION] Je ne puis faire de commentaire sur le résultat car je n'ai pas d'opinion. Tout ce que nous faisons consiste, au sens propre, à faire l'enquête. Le résultat ou la question de savoir s'il y aura même un résultat ne me préoccupe pas et ne m'intéresse pas. Je présenterai le rapport, un point c'est tout. En temps utile, avant que toute mesure disciplinaire soit prise si telle est la décision, il y aura évidemment une enquête discipli- naire au cours de laquelle ils auront droit à la présence d'un représentant syndical. La présente n'a rien à voir avec les mesures disciplinaires. Le but réel est de savoir s'il s'est passé quelque chose et le cas échéant, ce qui s'est produit, rien de plus.
Après quelques discussions additionnelles, le comité a décidé de remettre l'interrogatoire au lendemain à 9 h. Il avait déjà pris des dispositions pour procéder à l'interrogatoire de l'intimé une heure plus tard. Avant d'ajourner la séance, les membres du comité ont décrit au représentant syndical et à Quigley les allégations faisant l'objet de l'enquête:
[TRADUCTION]
Mitchell: ... Très bien, les allégations portent essentielle- ment qu'un détenu à l'hôtel Waldorf-Astoria, un nommé Michael Thomas, est, dirons-nous, entré en contact physique avec un agent de la commis sion, plus précisément l'agent Dale Lewis.
Wasilewski: Et après le contact physique à cet endroit, allé- guez-vous qu'on a fait usage d'une certaine forme de force sur ladite personne?
Best: M. Thomas soutient qu'il a été frappé par l'agent
Lewis.
Wasilewski: Soutient-il que M. Quigley l'a frappé lui aussi?
Mitchell: Non, il ne l'a pas dit.
Wasilewski: Prétend-il que M. Quigley était présent lorsque
cela s'est produit?
Mitchell: Oui.
Wasilewski: Y avait-il d'autres personnes présentes à part les
deux agents et le détenu?
Mitchell: Bien
Best: Il se peut que d'autres personnes aient été présen- tes ou se trouvaient dans les environs à ce moment-là, mais vous nous avez demandé quelles étaient les allégations et non un résumé de nos éléments de preuve.
Wasilewski: Très bien, savez-vous à quelle heure cela s'est produit?
Mitchell: Aux environs de 22 h 15 le soir du 16 septembre
1982.
Wasilewski: Vingt heures quoi?
Mitchell: 22h 15, c'est-à-dire 10h 15. Wasilewski: Le 15?
Mitchell: Le 16.
Il ressort clairement du dossier que le comité, ou une personne agissant pour son compte, n'a jamais informé l'intimé par écrit que l'enquête portait sur des voies de fait que celui-ci aurait commises sur la personne de Thomas et qu'il s'agissait d'un des «incidents» dont il était question dans la lettre du 20 septembre 1982. Par contre, les appelants invo- quent les révélations faites à Quigley et à Wasi- lewski par le comité le 23 septembre, ainsi que les déclarations de l'intimé contenues dans un affida vit daté du 9 septembre 1983 et présenté à l'appui de la demande visant à obtenir l'ordonnance qui est contestée; ils se fondent également sur le témoi- gnage rendu le 5 octobre 1983 au cours du contre- interrogatoire sur ledit affidavit. Pendant ce con- tre-interrogatoire, l'avocat des appelants a déposé une transcription de l'interrogatoire tenu le 23 septembre et ce document a été versé sous la cote A pour fins d'identification. À l'aide de la trans cription, l'avocat a contre-interrogé l'intimé sur ce qu'il croyait être le but de l'enquête tenue par Best et Mitchell. L'intimé a déclaré dans son témoi- gnage que ce qu'il comprenait de l'affaire lui venait de Quigley à la suite de son interrogatoire du 23 septembre et qu'il savait que [TRADUCTION] «ils lui avaient posé des questions au sujet des voies de fait». L'attention de l'intimé a été attirée sur les pages 9 et 10 de la transcription et voici son témoignage à ce sujet:
[TRADUCTION]
Q.... Si je peux cependant attirer votre attention sur cinq alinéas allant de bas en haut de la page:
«Mitchell: Les allégations portent essentiellement qu'un détenu à l'hôtel Waldorf-Astoria, un nommé Michael Thomas, est, dirons-nous, entré en contact physique avec un agent de la commission, plus précisément l'agent Dale Lewis.»
Et ensuite deux alinéas plus bas:
«Best: M. Thomas soutient qu'il a été frappé par l'agent Lewis, non par Quigley, mais que Quigley était présent à ce moment-là.»
Quigley vous a-t-il donné de tels renseignements à un moment ou à un autre le 23 septembre 1982?
R. Il a déclaré qu'ils lui avaient posé des questions au sujet des voies de fait. Ce sont les termes qu'il a employés.
Q. Le nom de Michael Thomas a-t-il été mentionné?
R. Oui, je le croirais.
Q. Très bien. Ainsi, serait-il exact de ma part de dire que vous saviez à ce moment-là quelles allégations avaient été ...
R. M. Quigley m'a informé que c'était ce qu'ils lui avaient demandé, oui.
Q. Bien. Avez-vous parlé avec Mme Wasilewski entre ... disons, dans l'intervalle entre l'interrogatoire dont il est ques tion dans la pièce A et l'interrogatoire ou la réunion du 24 septembre?
R. Oui, je lui ai parlé.
Q. Vous a-t-elle donné les renseignements qui sont en fait énoncés à la page 9 de la pièce A?
R. Elle ne m'a rien dit précisément de cette nature. Elle a simplement déclaré que, à son avis, l'affaire sur laquelle ils se penchaient était sérieuse et qu'elle n'avait pas la compétence requise pour pousser l'affaire plus loin; elle a aussi affirmé qu'elle avait demandé l'aide d'une personne occupant un poste plus élevé dans le syndicat et que les autres membres ne semblaient pas savoir quoi faire; finalement, elle m'a suggéré d'aller voir un avocat, mais elle a dit qu'elle ne voulait pas que j'aille en voir un si cela n'était pas nécessaire. Elle ne savait pas quoi me dire. C'est pourquoi, compte tenu de ces faits, je suis allé voir un avocat.
J'examinerai ce témoignage en temps utile.
Il ressort du rapport du comité que ledit rapport était entre les mains du gestionnaire du service de l'Exécution (Toronto), Centre d'immigration du Canada, le 8 octobre 1982 lorsque celui-ci a écrit à l'intimé pour l'en informer et qu'il a ajouté:
[TRADUCTION] À la suite de cette enquête, la recommandation de vous congédier a été transmise aujourd'hui même à M. G. Lussier, président et sous-ministre, Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada.
Même si le sous-ministre déclare dans cette lettre qu'il agissait sur la recommandation de «votre directeur», il est clair que la recommandation de congédier l'intimé reposait sur le rapport du comité qui, en fait, avait recommandé que [TRA- DUCTION] «des mesures disciplinaires soient prises contre Dale Lewis et John Quigley au sujet de leur participation à des voies de fait sur la personne de Michael Thomas». Dans ce rapport, le comité a conclu à partir des faits qui lui ont été soumis que Thomas a été [TRADUCTION] «frappé, au moins une fois, par l'agent d'immigration Dale Lewis».
L'intimé a contesté la décision du sous-ministre devant le juge en chef adjoint pour le motif qu'il
n'avait pas été informé avant l'interrogatoire prévu de la nature des faits qu'on lui reprochait. Il soutient que la lettre du 20 septembre 1982 ne contenait aucune allégation précise d'inconduite mais portait simplement que «certains incidents» faisaient l'objet d'une enquête et que les comités constitués dans le but d'enquêter sur lesdits inci dents «projettent de [1']interroger dans un avenir rapproché».
À la suite de son congédiement, l'intimé a suivi la procédure de grief prévue au paragraphe 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35. Il ressort du dossier qu'il a présenté son grief jus- qu'au dernier palier sans succès. Ce dernier palier a été atteint en février 1983. Dans l'intervalle, Quigley a lui aussi fait l'objet de mesures discipli- naires à la fois pour les voies de fait auxquelles il se serait livré contre le chauffeur de taxi et pour sa participation dans les voies de fait qui auraient été commises contre le détenu Thomas. On nous dit qu'il a lui aussi présenté un grief jusqu'au palier final et qu'il a ensuite soumis son grief à l'arbi- trage. Avant que la procédure d'arbitrage ait pris fin, Quigley a présenté une demande fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale afin d'obtenir un bref de certiorari annulant la décision par laquelle le sous-ministre l'a congédié de la Commission. Cette demande a été entendue en Division de première instance le 14 février 1983 par le juge Mahoney qui a accordé le redressement demandé le 22 février 1983 [sub nom. Quigley c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, T-9197-82, non publiée]. Aucun appel de cette décision n'a été interjeté devant la présente Cour.
Après avoir reçu la réponse du dernier palier de la procédure relative aux griefs, l'intimé a envoyé à son syndicat, le 28 février 1983, une lettre accom- pagnée d'un avis de renvoi à l'arbitrage dans laquelle il indiquait notamment le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de l'avocat qu'il avait [TRADUCTION] «engagé et chargé ... de poursui- vre l'affaire jusqu'au bout». Il ne s'est pas rendu à l'arbitrage. L'avocat de l'intimé a plutôt demandé que ce dernier soit réinstallé dans son poste au niveau régional, mais sans succès. Par la suite, l'avocat a invoqué la décision de la Division de
première instance dans l'affaire Quigley pour demander au sous-ministre, dans une lettre datée du 16 juin 1983, de réinstaller l'intimé dans son poste. Il a écrit notamment:
[TRADUCTION] Puisqu'il semble que les mêmes considérations s'appliquent tant à M. Lewis qu'à M. Quigley, j'ai fait des démarches auprès de votre bureau régional pour savoir si la direction avait l'intention ou non d'examiner s'il y avait lieu de réinstaller M. Lewis dans son poste à ce moment plutôt que d'attendre les résultats de l'arbitrage. J'ai parlé avec Mme Lynn Reesor qui s'est occupée de l'affaire au nom du directeur du personnel, M. Frank Ashmol. Elle m'a informé qu'aucune considération ne serait donnée au cas de M. Lewis en raison de la décision de la Cour fédérale.
Puisqu'il semble que la position de M. Quigley en ce qui a trait à cette affaire ne soit pas meilleure que celle de M. Lewis, il peut être inutile pour M. Lewis d'aller à l'arbitrage. En fait, si j'ai raison en affirmant que la décision de la Cour fédérale dans le cas de M. Quigley s'applique à la situation de M. Lewis, l'arbitrage porterait donc sur une question qui a déjà été tranchée par les tribunaux.
Je vous écris en pensant que vous pourriez souhaiter examiner une nouvelle fois cette affaire plutôt que d'entraîner pour M. Lewis et pour le ministère de l'Emploi et de l'Immigration de nouvelles procédures et de nouveaux frais.
Cette tentative visant à faire réinstaller l'intimé dans son poste a été vaine comme l'indique une lettre du sous-ministre datée du 7 juillet 1983 et dont voici un extrait:
[TRADUCTION] M. Lewis a été accusé de s'être livré à des voies de fait contre un détenu de l'Immigration. La direction l'a informé par l'intermédiaire de son représentant syndical des allégations portées contre lui et de leurs conséquences, à la suite de quoi il a retenu les services d'un avocat. Il a ensuite refusé d'être interrogé par le comité d'enquête interne.
Après avoir examiné l'affaire, je suis convaincu que le cas de M. Lewis est donc très différent de celui de M. Quigley et que toute intervention de ma part est injustifiée.
L'avocat a écrit à l'intimé pour l'informer de ce résultat, mais en raison de diverses circonstances, ce dernier n'a reçu la lettre qu'à la mi-août 1983. L'intimé a par la suite retenu les services des avocats qui le représentent actuellement et l'avis de requête introductif d'instance visant à obtenir un bref de certiorari a été déposé et signifié au début du mois de septembre. Ledit avis a été soumis au juge en chef adjoint le 31 octobre. Alors que les parties ont avancé un bon nombre de motifs soit pour faire annuler soit pour faire con- firmer la décision rendue par le sous-ministre le 15 octobre 1982, le présent appel ne vise que l'ordon- nance et les motifs de l'ordonnance du juge en chef adjoint. L'intimé a semblé satisfait de l'ordon- nance et des motifs donnés puisqu'il n'a pas inter-
jeté d'appel incident. Par conséquent, il ne faut en l'espèce qu'examiner les «erreurs» qui, suivant les appelants, auraient été commises dans cette ordon- nance. On peut les résumer comme suit:
a) l'intimé a été traité d'une manière équitable par l'Administration;
b) l'ordonnance reposait sur une mauvaise inter- prétation des faits;
c) il n'était pas approprié de rendre cette ordon- nance alors qu'il existait un autre recours;
d) on n'a pas tenu compte de l'attitude des tribunaux qui hésitent à intervenir dans les rela tions de travail lorsqu'il existe une procédure de grief et d'arbitrage pour trancher les différends;
e) l'ordonnance n'aurait pas être rendue en raison de la négligence dont a fait preuve l'intimé.
Les trois derniers arguments, nous a-t-on dit, ont été soumis au juge en chef adjoint, même s'il n'a pas statué expressément sur ceux-ci dans ses motifs. J'examinerai les points susmentionnés l'un après l'autre.
L'OBLIGATION D'AGIR ÉQUITABLEMENT
Se référant dans ses motifs à la décision du juge Mahoney dans l'affaire Quigley, le juge en chef adjoint a fait remarquer la page 2]:
Si je peux paraphraser ces motifs, le fondement de cette décision est que, bien que Quigley savait pendant les procédures que sa conduite pourrait faire l'objet de sanctions disciplinaires, on ne l'avait pas averti qu'il risquait aussi des sanctions pour sa participation dans les allégations soulevées contre Lewis. Même s'il existe certaines différences entre les faits de ces deux situations, il semblerait qu'il soit possible que le résultat soit le même en l'espèce.
Une tentative de voies de fait par un employé d'Immigration Canada sur une personne détenue par les autorités de l'Immi- gration constitue une affaire très grave qui, si elle est confir- mée, appelle le congédiement. Il est maintenant bien établi que pendant la tenue de procédures d'enquête de ce genre, l'obliga- tion de traiter l'accusé de manière équitable comprend son droit de connaître les arguments auxquels il devra répondre, son droit à une défense pleine et entière, et celui d'être informé qu'une décision défavorable pourrait entraîner des mesures disciplinai- res sévères.
Dans l'affaire qui nous a été soumise, il ne s'agit pas de savoir si l'intimé avait le droit d'être traité équitablement. Les appelants soutiennent plutôt qu'un traitement équitable lui a été accordé et qu'il n'y a pas lieu de présenter de plainte. L'in-
timé prétend au contraire qu'il n'a pas été traité équitablement parce qu'il n'a pas été informé, avant l'interrogatoire fixé, que c'était sa propre conduite qui faisait l'objet de l'enquête et à quel égard elle faisait l'objet d'un examen. L'arrêt qui fait autorité dans ce pays au sujet de l'obligation d'agir équitablement est le jugement rendu à la majorité par la Cour suprême du Canada dans Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311. Cette affaire concernait le congédiement sommaire d'un agent de police en stage. Il était évident que, en qualité d'employé en stage, Nicholson n'avait pas droit à ce que son cas soit entendu avant la décision finale. Il faut évidemment examiner le fondement de cette décision en tenant compte des circonstances de l'affaire, notamment du fait que, en tant qu'agent de police, Nicholson était titulaire d'une charge publique et non simplement l'«em- ployé» de son employeur. L'obligation de traiter équitablement une personne a été résumée par le juge en chef Laskin la page 328):
A mon avis, on aurait dire à l'appelant pourquoi on avait mis fin à son emploi et lui permettre de se défendre, oralement ou par écrit au choix du comité. Il me semble que le comité lui-même voudrait s'assurer qu'il n'a commis aucune erreur quant aux faits ou circonstances qui ont déterminé sa décision. Une fois que le comité a obtenu la réponse de l'appelant, il lui appartiendra de décider de la mesure à prendre, sans que sa décision soit soumise à un contrôle ultérieur, la bonne foi étant toujours présumée. Ce processus est équitable envers l'appelant et fait également justice au droit du comité, en sa qualité d'autorité publique, de décider, lorsqu'il connaît la réponse de l'appelant, si l'on doit permettre à une personne dans sa situa tion de rester en fonction jusqu'au moment la procédure lui offrira une plus grande protection. Le titulaire d'une charge mérite cette protection minimale, même si son entrée en fonc- tion est très récente.
Même si l'intimé n'avait pas droit à la panoplie des garanties découlant des principes de la justice naturelle, notamment une audition complète de la plainte, il avait le droit d'être traité équitablement. En l'espèce, l'enquête sur la plainte relevait d'une autorité autre que celle qui avait pour fonction de décider quelle forme de sanction disciplinaire devait être infligée. Cette séparation du processus exigeait une prudence particulière de la part du comité d'enquête s'il ne voulait pas arriver à une conclusion erronée sur laquelle reposerait une déci- sion de nature disciplinaire. L'intimé occupait son poste depuis plusieurs années et rien ne laisse entendre que son rendement pendant ces années avait été de quelque manière que ce soit insatisfai-
sant. Il faut reconnaître qu'une allégation de voies de fait sur un détenu était grave mais, selon moi, cela constituait une autre raison d'agir équitable- ment au cours du processus d'enquête. Cependant, l'intimé ne pouvait évidemment entraver ce proces- sus en refusant de coopérer si, comme les appe- lants le prétendent, il avait été informé des actes qu'on lui reprochait. L'équité exigeait qu'il soit ainsi informé et qu'on lui donne une occasion raisonnable de répondre aux arguments avancés contre lui. À condition que cela ait été fait, l'in- timé ne pouvait alors avoir aucun motif de se plaindre. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même si, en négligeant de raconter sa version des faits au comité, il avait laissé ledit comité terminer son enquête comme il le pouvait et faire une recom- mandation en se fondant sur d'autres éléments de preuve.
À mon avis, cet aspect de l'appel se résume à déterminer si, compte tenu du dossier qui nous a été soumis, l'intimé a été informé des faits qu'on lui reprochait avant l'interrogatoire fixé au 24 septembre 1982. Les appelants affirment que oui. Ils soutiennent que Quigley et Wasilewski ont communiqué à l'intimé les renseignements qui leur avaient été fournis par le comité d'enquête le 23 septembre. Le 24 septembre 1982, l'intimé, accom- pagné de son avocat et du représentant syndical, était présent avec Quigley et son avocat à la séance du comité. Sur l'avis de leurs avocats, Quigley et l'intimé ont tous deux refusé d'être interrogés après avoir soulevé des objections de forme quant aux pouvoirs conférés au comité par l'alinéa 7(1)i) de la Loi sur l'administration financière. Les appelants ne contestent pas la prétention de l'in- timé portant que, même à ce moment-là, il n'avait pas été informé par le comité des actes qu'on lui reprochait.
Si on pouvait me convaincre que les allégations d'inconduite ont manifestement été transmises à l'intimé par Quigley et Wasilewski, je n'aurais aucune hésitation à conclure que l'intimé a été traité équitablement même si le comité lui-même n'a pas directement informé l'intimé. Cependant, il m'est impossible de trouver dans le dossier qui a été soumis à la Cour des éléments de preuve établissant clairement que l'intimé a appris les faits qui lui étaient reprochés aux cours de conver-
sations avec Quigley et Wasilewski. On n'a demandé à aucune de ces personnes de transmettre lesdits renseignements à l'intimé. Je ne crois pas que l'on puisse considérer que leur divulgation à Wasilewski constitue une divulgation à l'intimé. Même si celle-ci était apparemment chargée des deux cas faisant l'objet de l'enquête, elle ne repré- sentait que Quigley lorsqu'elle a assisté à l'interro- gatoire du 23 septembre. De plus, il ressort claire- ment du dossier qu'elle a simplement informé l'intimé que l'affaire était «sérieuse». Il n'existe aucune preuve indiquant qu'elle lui a rapporté les allégations détaillées que lui avaient exposées Best et Mitchell. La mention de «voies de fait» et du nom de «Thomas» à l'intimé par Quigley pourrait laisser croire que les allégations avaient été com muniquées d'une manière ou d'une autre à l'in- timé, mais j'estime que la preuve ne démontre pas vraiment que c'est ce qui s'est réellement produit. Je ne déduirais pas non plus du fait que l'intimé a retenu les services d'un avocat qu'il savait que c'était sa conduite qui faisait l'objet d'une enquête. Il avait évidemment le droit de consulter un avocat s'il désirait le faire, et il importe peu que cet avocat pût ou non se faire entendre devant le comité ou même, être présent pendant l'interroga- toire. En outre, vu le témoignage de l'intimé qui a déclaré que Wasilewski lui avait conseillé «d'aller voir un avocat, mais [qui lui] a dit qu'elle ne voulait pas [qu'il] aille en voir un si cela n'était pas nécessaire» et que «Elle ne savait pas quoi [en] dire», il n'est peut-être pas étonnant qu'il ait décidé de retenir les services d'un avocat même s'il l'a fait à la dernière minute.
Je conclus que, vu que l'intimé n'a pas été mis au courant des faits qui lui étaient reprochés avant son interrogatoire fixé au 24 septembre, il n'a pas été traité d'une manière équitable. De plus, le comité d'enquête a refusé la collaboration offerte de façon informelle le 24 septembre par l'avocat de l'intimé au sujet des renseignements requis dont il pouvait avoir connaissance. Le comité a plutôt terminé l'enquête, produit le rapport et recom- mandé que des mesures disciplinaires soient prises, sans explorer plus avant cette possibilité de faire enquête.
LA MAUVAISE INTERPRÉTATION DES FAITS
On a ensuite prétendu que le juge en chef adjoint a fondé sa décision sur un fait qui n'avait
pas été prouvé dans le dossier qui lui a été soumis, et que cette erreur qu'il aurait commise apparaît dans l'observation suivante qu'il a faite dans les motifs de l'ordonnance rendus en première ins tance la page 3]:
De plus, pendant l'enquête sur Quigley, le président du comité a précisément, et je pourrais dire à tort, exposé la procédure à suivre en indiquant que toute mesure disciplinaire découlant de ses conclusions ferait l'objet d'une audience disciplinaire dis- tincte. Cette déclaration n'était pas fondée et, en fait, elle n'a pas été faite au sujet de Quigley. Encore une fois, il est impossible de déterminer dans quelle mesure cette instruction ou indication erronée a entraîné de la part du requérant Lewis des déclarations qu'il n'aurait pas faites autrement. Compte tenu des circonstances, je ne suis pas convaincu que le requé- rant Lewis a bénéficié des garanties procédurales qui font partie de l'obligation de le traiter de manière équitable pendant ces procédures.
Lorsque le juge en chef adjoint parle de l'indica- tion erronée portant «que toute mesure discipli- naire découlant de ses conclusions ferait l'objet d'une audience disciplinaire distincte», il fait réfé- rence à la déclaration faite par un membre du comité, M. Best, le 23 septembre 1982 qui portait que «avant que toute mesure disciplinaire soit prise si telle est la décision, il y aura évidemment une enquête disciplinaire». Je ne doute nullement que c'est à cette partie du dossier que pensait le juge de première instance. J'estime tout à fait raisonnable l'argument de l'intimé selon lequel la mention dans les motifs de l'ordonnance de «l'enquête sur Qui- gley» visait l'interrogatoire de Quigley d1.123 sep- tembre fait pendant «l'enquête sur Lewis». C'est pourquoi j'estime que le juge en chef adjoint n'a pas commis d'erreur. Selon mon appréciation des directives régissant l'enquête, aucune «audience disciplinaire» n'était envisagée après la fin de l'en- quête et la présentation du rapport. Il ne restait plus au sous-ministre qu'à décider s'il y avait lieu d'imposer une sanction disciplinaire et, le cas échéant, de déterminer quelle devait être cette sanction.
Les appelants poussent plus loin cette objection. Ils soutiennent que la décision du juge de première instance reposait entièrement sur cette erreur. Je ne peux souscrire à leur opinion. En premier lieu, comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas que l'on puisse affirmer qu'il s'agit d'autre chose que d'une erreur typographique. En second lieu, il est clair qu'en arrivant à sa décision, le juge visait surtout l'omission des appelants d'informer l'intimé des faits qui lui étaient reprochés. Cela ressort claire-
ment de son examen de la décision rendue par la Division de première instance dans l'affaire Qui- gley et des remarques qui ont suivi cet examen et il a mis l'accent sur «l'obligation de traiter l'accusé de manière équitable».
LE RECOURS SUBSIDIAIRE
Examinons maintenant l'argument des appelants selon lequel le juge de première instance a commis une erreur en accordant un certiorari alors qu'il existait pour l'intimé un autre recours approprié, c'est-à-dire l'arbitrage comme le prévoit l'alinéa 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique:
91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive- ment, au sujet
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
En fait, lorsque l'intimé a présenté en septembre 1983 sa demande fondée sur l'article 18, le délai pour produire un Avis de renvoi à l'arbitrage (formule 32) prescrit au paragraphe 79(1) des Règlement et règles de procédures de la C.R.T.F.P. [C.R.C., chap. 1353] adoptés en appli cation du paragraphe 99(3) de la Loi était échu depuis plusieurs mois. Les appelants allèguent donc pour l'essentiel que le fait pour l'intimé d'avoir laissé passer l'occasion d'obtenir un recours approprié ne doit pas lui donner maintenant le droit à un redressement sous la forme d'un certio- rari comme cela aurait été le cas si le seul moyen d'obtenir un redressement eût été de s'adresser aux tribunaux.
Dans sa lettre du 15 octobre 1982, le sous-minis- tre a informé l'intimé que, suivant l'article 90 de la Loi, il pouvait «présenter un grief à l'encontre de [s]a décision dans les 25 jours qui suivent la réception de la présente». L'intimé a présenté un grief et suivi les différentes étapes de la procédure de la présentation des griefs jusqu'au palier final. Le 26 février 1983, il a reçu la réplique suivante de son ancien employeur au palier final:
[TRADUCTION] La direction a attentivement revu et examiné votre grief avec le représentant du SEIC.
La recommandation de vous congédier faite par la direction locale le 8 octobre 1982 était appropriée compte tenu des circonstances et a été mise à exécution par la suite.
Votre grief est donc rejeté.
La Loi ne spécifie aucun délai dans lequel la formule 32 qui engage la procédure d'arbitrage doit être présentée à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. Au contraire, le paragraphe 99(3) de la Loi confère à la Com mission le pouvoir de fixer elle-même un délai par règlement. Suivant le paragraphe 79(1) des Règle- ment et règles de procédure adoptés par la Com mission, l'intimé devait produire la formule 32 au greffier. Voici le texte dudit paragraphe:
79. (1) Lorsqu'un grief peut être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 91 de la Loi, un employé peut, au plus tard le 30° jour suivant
a) le jour il a reçu une réplique au dernier palier de la procédure applicable aux griefs, ou
b) le dernier jour accordé à l'employeur pour répliquer à l'exposé de grief au dernier palier de la procédure applicable aux griefs selon l'article 77,
renvoyer le grief à l'arbitrage en produisant au greffier un avis en deux exemplaires selon la formule 32 ainsi qu'une copie de l'exposé de grief qu'il a soumis à son supérieur hiérarchique immédiat ou son chef de service local au premier palier de la procédure applicable aux griefs conformément au paragraphe 74(1).
La preuve qui nous a été soumise indique que, même si l'intimé a rempli la formule 32 quelques jours seulement après avoir reçu, le 26 février 1983, la réplique de l'employeur au dernier palier de la procédure et l'a transmise à son syndicat peu de temps après, il n'a pas produit ladite formule au greffier dans le délai prescrit. De plus, rien dans la preuve ne montre que la Commission a prorogé le délai de production de l'avis comme le lui permet le paragraphe 89(1) des Règlement et règles de procédure.
Selon la preuve qui nous a été présentée, il semble que le syndicat n'ait pas traité la formule 32 parce que l'intimé l'a informé qu'il avait retenu les services d'un avocat pour «poursuivre l'affaire jusqu'au bout». En outre, l'intimé paraissait satis- fait de chercher à réintégrer son poste sans suivre la procédure d'arbitrage parce qu'il croyait que la décision de la Division de première instance dans l'affaire Quigley s'appliquait avec égale force à son grief. Dans cette affaire, en accordant un certiorari, le juge Mahoney a déclaré dans ses motifs de jugement en date du 22 février 1983 la page 6):
On a prétendu pour le compte de l'intimé que la Cour ne devrait pas exercer le pouvoir discrétionnaire qu'elle possède d'accorder le certiorari à cause du droit que possède le requé- rant de contester la décision par voie de grief. En réalité, il l'a ainsi contesté. Les cours hésitent d'habitude à se mêler de conflits industriels dont la solution dépend de procédures spé- ciales, même lorsque leur compétence n'est pas écartée par une disposition législative ou contractuelle expresse. L'un des motifs de cette hésitation serait l'expertise des tribunaux spécialisés. En l'espèce, la question porte sur l'équité dans la procédure, un domaine qui, je le dis avec égard, relève de la spécialisation des tribunaux, si telle spécialisation existe. Décider que le processus qui a abouti au congédiement du requérant ne lui a pas fourni le degré nécessaire d'équité n'équivaut pas, cela va de soi, à décider que son congédiement n'était pas pleinement justifié quant au fond.
Peu après cette décision, l'employeur de Quigley a réinstallé ce dernier dans son ancien poste. Quigley a par conséquent retiré son grief qui avait atteint seulement le niveau de l'arbitrage mais qui n'avait pas encore été débattu ni tranché.
Je souscris à la prétention des appelants voulant que, dans un cas comme l'espèce qui comporte l'existence d'un autre recours possible, l'intimé n'avait pas droit, légalement parlant, à un certio- rari. En d'autres termes, la décision d'accorder un tel redressement est un pouvoir discrétionnaire (P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739, la page 749). Par contre, il est évident que, du point de vue légal, l'autre recours doit être approprié, sinon le pouvoir discrétionnaire peut être exercé en faveur du requérant. Les tribunaux doivent examiner bon nombre d'éléments pertinents pour déterminer s'il existe un autre recours approprié (et de là, s'il y a lieu de refuser le redressement que constitue un certiorari). Cela ressort clairement d'une décision rendue à la majorité par la Cour suprême du Canada dans Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Il s'agissait dans cette affaire d'un déni de justice naturelle par un comité infé- rieur créé en vertu de l'alinéa 78(1)c) de la loi applicable, et du recours possible à une nouvelle audition lors d'un appel interjeté devant un comité supérieur du sénat de l'université créé en vertu de l'alinéa 33(1)e). Au lieu de présenter sa plainte au cours d'une audience devant le comité supérieur, l'appelant a présenté une demande de mandamus et de certiorari à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan et il a obtenu le redressement demandé. Ce redressement fut toutefois de courte
durée, la Cour d'appel de la Saskatchewan ayant infirmé la décision l'accordant. En confirmant la décision de la Cour d'appel, le juge Beetz a énu- méré quelques-uns des facteurs dont une cour doit tenir compte pour décider dans un cas de ce genre s'il existe un autre recours approprié. Il a dit la page 588):
Pour évaluer si le droit d'appel de l'appelant au comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meil- leur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d'appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme s'il en était une, ni n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.
En plus de ces facteurs, le juge a insisté sur l'intention générale de la législature telle qu'elle est exprimée dans la loi applicable qui favorise le règlement interne des différends sans avoir recours aux tribunaux. Il a fait remarquer (aux pages 595 et 596):
Les alinéas 78(1)c) et 33(1)e) sont à mon avis dictés par l'intention générale de la législature qui préfère que les plaintes internes soient jugées à l'intérieur même de l'université par les moyens prévus à la Loi, laissant ainsi à l'université la chance de corriger ses propres erreurs, conformément à l'autonomie tradi- tionnelle des universités, avec célérité et moyennant des frais peu élevés pour le public et les membres de l'université. Bien qu'elles n'équivalent pas à des clauses privatives, des disposi tions comme les art. 55, 66, 33(1)e) et 78(1)c) préviennent clairement les cours de faire preuve de réserve et de ne pas se hâter à intervenir dans les affaires de l'université en émettant des brefs discrétionnaires chaque fois que l'université peut encore corriger ses erreurs par ses propres moyens. En faisant preuve de réserve, les cours ne refusent pas d'assurer l'applica- tion des obligations statutaires imposées aux organes directeurs de l'université. Elles exercent simplement leur pouvoir discré- tionnaire de façon à réaliser l'intention générale de la législa- ture. Pour résoudre cette affaire, j'estime qu'il faut considérer cette intention comme un élément des plus importants, en fait comme l'élément déterminant lorsqu'on l'examine de concert avec les autres.
La Cour a ensuite statué à la majorité que le recours prévu par la loi, qui permettait d'être entendu de nouveau et de soumettre de nouvelles preuves devant un comité supérieur, était appro- prié dans les circonstances. En concluant ainsi, le juge Beetz a exposé le principe régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un cas de ce genre la page 593):
Les cours ne doivent pas se servir de leur pouvoir discrétion- naire pour favoriser les retards et les dépenses à moins qu'elles
ne puissent faire autrement pour protéger un droit. Le juge O'Halloran dans The King ex rel. Lee v. Workmen's Compen sation Board ([1942] 2 D.L.R. 665), aux pp. 677 et 678, a donné un avis juste sur la question; il vise le mandamus mais s'applique également au certiorari:
[TRADUCTION] Dès qu'il apparaît qu'un organisme public a omis ou refusé d'exercer une obligation statutaire à laquelle a droit une personne, le mandamus est alors émis ex debito justitiae, s'il n'y a aucun autre recours approprié. ... Si au contraire il existe un autre recours approprié, l'émission du mandamus est discrétionnaire, mais est régie par des motifs qui contribuent à une administration de la justice rapide, peu coûteuse et efficace ... (C'est moi qui souligne.)
Afin de déterminer s'il existait un recours approprié en l'espèce, il est nécessaire d'examiner certaines dispositions de la Loi et du Règlement concernant le renvoi à l'arbitrage d'un grief résul- tant du congédiement. Les dispositions les plus importantes à cet égard sont celles de l'article 96 de la Loi qui porte notamment:
96. (1) Lorsqu'un grief est renvoyé à l'arbitrage, l'arbitre doit donner aux deux parties au grief l'occasion d'être entendues.
(2) Après avoir étudié le grief, l'arbitre doit rendre une décision à son sujet et
a) en faire parvenir copie à chaque partie et à son représen- tant ainsi qu'à l'agent négociateur, s'il en est, pour l'unité de négociation à laquelle appartient l'employé qui a présenté le grief, et
b) remettre une copie de la décision au secrétaire de la Commission.
(3) Dans le cas d'un conseil d'arbitrage, une décision de la majorité des membres au sujet d'un grief constitue une décision du conseil à ce sujet. Le président du conseil doit signer cette décision.
(4) Lorsqu'une décision au sujet d'un grief renvoyé à l'arbi- trage exige qu'une mesure soit prise par l'employeur ou de sa part, l'employeur doit prendre cette mesure.
Il vaut la peine de remarquer en l'espèce que, suivant le paragraphe 96(1), l'intimé aurait pu se voir accorder «l'occasion d'être entendu» par un arbitre. Par contraste, il avait seulement droit à ce que son employeur le traite d'une manière équita- ble en arrivant à sa décision de le congédier. Alors que les différents paliers de décision dans la procé- dure de grief n'exigeaient qu'un examen par l'em- ployeur, la Loi exige que dans une procédure d'arbitrage la décision soit rendue par un tiers indépendant. De même, en vertu de cette procé- dure, les parties peuvent citer des témoins à com- paraître au cours d'une audience tenue devant un arbitre. Fait révélateur, le paragraphe 96(4) de la Loi oblige l'employeur à prendre la mesure exigée
dans la décision d'un arbitre. Ainsi, selon moi, un arbitre aurait pu obliger l'employeur en l'espèce à réinstaller l'intimé dans son poste s'il avait jugé que cela était approprié dans les circonstances. L'intervention de la Commission pour faire respec- ter la décision d'un arbitre est prévue au paragra- phe 96(6) de la Loi.
Compte tenu de ces dispositions, il m'est difficile de conclure que le paragraphe 91(1) de la Loi ne fournissait pas à l'intimé un autre recours appro- prié qui aurait pu remédier à l'iniquité dans les procédures dont il se plaint. Pour l'essentiel, la plainte de l'intimé porte qu'au cours des étapes qui ont mené à la décision de le congédier, son employeur a refusé de le traiter d'une manière équitable. La tenue d'une audience complète dont l'intimé pouvait se prévaloir au cours du processus d'arbitrage ainsi que la possibilité d'être acquitté d'inconduite et d'être réinstallé dans son poste auraient pu, à mon avis, corriger le vice de procé- dure dans l'enquête qui a conduit à cette décision. Si, comme la Cour l'a statué dans l'affaire Harel- kin, il était possible de corriger le déni de justice naturelle commis par un comité inférieur en tenant une nouvelle audience devant un comité supérieur, il aurait été selon moi possible de remédier au déni d'équité dans les procédures commis par l'em- ployeur en l'espèce en tenant une audience com- plète devant un arbitre. Dans cette affaire, après avoir cité et endossé le jugement du juge Spence dans King v. University of Saskatchewan, [1969] R.C.S. 678, la page 689, le juge Beetz a ajouté la page 582):
Mais dans l'arrêt King, le comité du sénat constituait en pratique la juridiction de dernière instance et le juge Spence a formulé un principe général en statuant que le déni de justice naturelle commis dans les procédures antérieures pouvait être corrigé en appel et, implicitement mais forcément, que la décision portée en appel n'était pas frappée de nullité absolue puisqu'il était possible d'en appeler. (Voir également Re Clark and Ontario Securities Commission, le juge Wells de la Cour d'appel de l'Ontario a jugé que le défaut d'observer les règles de justice naturelle dans les premières procédures pouvait être corrigé en appel devant une commission administrative; voir Re Pollen and Governing Council of the University of Toronto, le juge Weatherston de la Cour divisionnaire de l'Ontario a dit la p. 216) que [TRADUCTION] «si le dernier appel est en fait un nouveau procès et non un appel au sens habituel, je ne vois pas pourquoi l'absence de justice naturelle au niveau intermédiaire n'est pas corrigée».)
Sont au même effet les décisions du Conseil privé dans Pillai v. Singapore City Council, [1968] 1
W.L.R. 1278, et dans Calvin v. Carr, [ 1980] A.C. 574, sont examinées un bon nombre de déci- sions rendues sur ce sujet en Angleterre et dans les pays du Commonwealth.
Le dernier aspect de cet argument concerne le fait incontesté que lorsque l'intimé a présenté sa demande fondée sur l'article 18 en septembre 1983 (après avoir retenu les services d'un nouvel avocat), le délai pour renvoyer son grief à l'arbi- trage était échu depuis longtemps. Ce fait consti- tuait-il un motif pour accorder un certiorari? À mon avis, non. L'occasion d'obtenir l'autre recours s'est présentée à l'intimé qui l'a laissée passer en omettant de produire au greffier de la Commission la formule 32 dans le délai prescrit. Il est possible qu'il ait agi ainsi sur l'avis de son premier avocat qui, semble-t-il, lui a conseillé de chercher à obte- nir un redressement en procédant de manière informelle. Cela ne constitue pas à mon avis une excuse pour avoir omis de produire l'avis requis dans le délai prescrit. S'il avait agi ainsi, il lui aurait été assez facile d'utiliser l'autre recours prévu au paragraphe 91(1) de la Loi au cas où, comme cela s'est produit, la méthode informelle aurait échoué. Je suis tout à fait incapable de voir comment cette omission de la part de l'intimé lui-même de protéger son droit à l'arbitrage prévu par la loi pourrait maintenant constituer un motif suffisant pour que la Cour rende une ordonnance annulant la décision de le congédier, malgré le fait qu'une allégation grave d'inconduite commise par l'intimé en sa capacité d'agent d'immigration reste pendante et n'est pas réfutée.
Même s'il est également vrai que l'intimé a été congédié de son poste d'agent d'immigration sans être traité d'une manière équitable, il disposait, s'il avait pris la peine d'y recourir, d'un moyen prévu par la loi susceptible de corriger ce défaut, c'est-à- dire l'arbitrage. L'omission d'agir ainsi dans le délai imparti ne devrait pas, à mon avis, donner droit à l'intimé au recours discrétionnaire que constitue un certiorari annulant la décision du sous-ministre. À cet égard, le raisonnement du juge Walsh dans l'arrêt La Commission cana- dienne des droits de la personne c. Jones, [1982] 1 C.F. 738 (1 r° inst.), me semble s'appliquer à un cas de ce genre, même s'il s'agissait dans cette affaire du refus de la Division de première instance d'ac- corder un mandamus alors que la requérante avait
négligé d'interjeter appel dans le délai prévu par la loi. Le juge a dit (aux pages 750 et 751):
La requérante n'a pas interjeté appel et elle admet qu'il est maintenant trop tard pour le faire. La requérante a cité la décision de la Cour suprême Harelkin c. L'université de Regina où, par une décision de 4 contre 3, la Cour a décidé que bien qu'il y ait eu infraction à la règle audi alteram partem lorsque l'étudiant fut expulsé de l'université, son droit d'appel devant le sénat de l'université constituait le recours approprié en l'espèce, de préférence à une demande de certiorari et de mandamus. La requérante établit une distinction entre cette affaire et la présente espèce en citant le passage suivant des motifs du juge Beetz, page 567, qui rendait le jugement majoritaire:
Mais je ne peux admettre ... ni que la demande de certiorari et de mandamus de l'appelant aurait être accueillie. Il était, et il l'est encore, plus avantageux pour l'appelant de se prévaloir de son droit d'appel devant le comité du sénat; il aurait l'exercer.
En l'espèce, ce droit d'appel n'existe plus. Toutefois, je ne crois pas que la compétence de la Cour devrait être reconnue dans le cadre d'une requête en mandamus, compétence qu'elle n'aurait pas autrement uniquement parce que la requérante n'a pas fait preuve de diligence dans l'exercice du droit d'appel dont elle disposait. Une telle conclusion permettrait à la requérante au cas elle préférerait faire examiner et casser une décision du tribunal avec laquelle elle ne serait pas d'accord au moyen d'un bref de prérogative devant la Division de première instance de la Cour fédérale plutôt que d'exercer son droit d'appel prévu à l'article 42.1 de la Loi, d'attendre tout simplement que le délai d'appel soit expiré avant de demander un bref de prérogative. Je ne veux pas insinuer que la requérante ait eu cette arrière- pensée en l'espèce; mais il me semble néanmoins que lorsqu'une loi prévoit un droit d'appel, c'est le recours approprié qu'il faut exercer plutôt que de demander à la Cour fédérale un bref de mandamus, qui n'est pas censé être une solution de remplacement.
Avant de laisser de côté cet aspect de l'appel, je souhaite également faire remarquer que, avant de présenter sa demande fondée sur l'article 18, l'in- timé n'a pas montré qu'il avait cherché à obtenir auprès de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, sans y réussir toutefois, une prorogation du délai pour produire la formule 32. II ressort de la lecture du paragraphe 89(1) des Règlement et règles de procédure qu'il autorisait la Commission à accorder une telle prorogation de délai avant ou après que le délai prescrit soit écoulé. A mon avis, le défaut de l'intimé de présen- ter une demande en vertu du paragraphe 89(1) ressemble quelque peu au défaut de chercher à obtenir l'autorisation d'interjeter appel lorsqu'une loi prévoit un recours sous la forme d'un appel, mais sur autorisation seulement. On a statué dans un cas de ce genre que la personne qui cherche à obtenir un certiorari n'a pas droit à un tel redres- sement lorsqu'il est possible d'utiliser un autre
recours en obtenant l'autorisation pour ce faire (R. v. R. (T.) (1983), 28 Alta L.R. (2d) 383 (B.R.)). Comme je l'ai déjà fait remarquer, l'intimé ne peut, à mon avis, obtenir le redressement discré- tionnaire que constitue un certiorari lorsque, en raison de son manque de diligence, il n'a pas agi de manière à obtenir l'autre recours que constitue l'arbitrage prévu par la loi.
J'estime que l'appel devrait être accueilli pour ce motif et que l'ordonnance rendue en première ins tance devrait être annulée.
LES AUTRES ARGUMENTS
Étant donné ma conclusion selon laquelle l'or- donnance rendue en première instance devrait être annulée pour le motif que l'intimé en omettant de se prévaloir d'un recours approprié n'avait pas droit à une telle ordonnance, il devient inutile d'examiner les deux autres arguments avancés par les appelants contre celle-ci. En invoquant ces arguments, les appelants cherchaient à faire annu- ler ladite ordonnance premièrement, pour le motif que la Division de première instance était interve- nue dans une méthode prévue par la loi pour le règlement interne du différend entre l'intimé et son ancien employeur et deuxièmement, parce que, étant donné que l'intimé avait fait preuve de négli- gence en présentant sa demande fondée sur l'arti- cle 18, on devait lui refuser le redressement qu'il demandait. Le premier de ces arguments soulève des questions semblables à celles examinées plus haut au sujet de l'existence d'un autre recours approprié, avec une importante différence toute- fois. Il est allégué en l'espèce que la Cour n'aurait pas intervenir en accordant un bref de certio- rari lorsque les parties au différend disposaient en vertu de la loi d'une autre méthode pour trancher le grief, c'est-à-dire la procédure d'arbitrage. Je doute que la théorie de la négligence soit applica ble, compte tenu du dossier et des explications données par l'intimé pour justifier son retard à ne présenter sa demande fondée sur l'article 18 qu'en septembre 1983, même s'il avait reçu en février de la même année la réplique de son ancien employeur au dernier palier de la procédure de grief.
Pour les motifs qui précèdent, j'accueillerais le présent appel avec dépens en appel et en première instance, et j'annulerais l'ordonnance de certiorari rendue par le juge en chef adjoint le 20 janvier 1984.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
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