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T-1093-86
Robert Leslie Mensinger (requérant) c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et chef de la Division de l'arbitrage (intimés)
RÉPERTORIÉ: MENSINGER C. CANADA (MINISTRE DE L'EM- PLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Rouleau— Toronto, 25 juillet; Ottawa, 6 août 1986.
Immigration Expulsion Une personne qui fait l'objet d'une ordonnance de renvoi peut-elle forcer le Ministre à l'autoriser à choisir le pays elle veut se rendre? L'ordon- nance de renvoi à un pays des mandats d'arrêt étaient en vigueur ne constituait pas une extradition déguisée L'exé- cution d'une ordonnance de renvoi ne peut être suspendue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur une demande fondée sur l'art. 28 Obligations en matière de procédure découlant du principe d'équité Il n'incombe pas au Ministre de motiver l'ordonnance de renvoi Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 23, 27(2)g), 51, 54(1),(2) (mod. par S.0 1984, chap. 40, art. 36), 104(6) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U), art. 7 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18, 28.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Obligation d'agir équitablement Demande de brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition relativement à la décision du Ministre d'ordonner que le requérant soit renvoyé à un pays des mandats d'arrêt étaient en vigueur, au lieu de le renvoyer au pays qu'il a choisi et dont il était citoyen La demande de bref de mandamus est rejetée puisque l'obligation requise a été exécutée, et un bref de mandamus ne peut être accordé pour obliger quelqu'un à exercer un pouvoir discrétionnaire d'une certaine façon Il n'y a pas lieu à un bref de prohibition pour suspendre l'exécution d'une ordonnance de renvoi, puisque les demandes fondées sur les art. 18 et 28 ne figurent pas dans les cas de sursis à l'exécution énumérés à l'art. 51 de la Loi sur l'immigration Le requérant n'a pas rapporté la preuve que l'ordonnance de renvoi constituait une extradition déguisée Importance et forme de la procédure nécessaires pour se conformer aux principes d'équité L'obligation d'agir équi- tablement exige-t-elle du Ministre qu'il motive sa décision? Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 23, 27(2)g), 51, 54(1),(2) (mod. par S.C. 1984, chap. 40, art. 36), 104(6) Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Le requérant, citoyen à la fois des États-Unis d'Amérique, il a résidé la plus grande partie de sa vie, et de la Grande-Bre- tagne, a quitté les Etats-Unis pour entrer au Canada en avril 1986. Peu de temps après son admission, on a découvert que des mandats d'arrêt avaient été lancés contre lui aux États-Unis et qu'ils étaient toujours en vigueur.
Après la tenue d'une enquête en vertu de l'article 23 de la Loi sur l'immigration de 1976 et d'une audience, on a prononcé l'expulsion du requérant parce que, étant entré au Canada grâce à une représentation erronée d'un fait important, il était une personne visée par l'alinéa 27(2)g) de la Loi.
Le requérant voulait se rendre en Grande-Bretagne. Il était en possession d'un billet d'avion pour s'y rendre et d'un passe- port britannique. De plus, il estimait que sa vie serait en danger s'il retournait aux Etats-Unis il affirmait être poursuivi relativement à des dettes impayées. L'agent d'immigration responsable a néanmoins ordonné son renvoi aux États-Unis. Dans son affidavit, cet agent a énuméré les raisons suivantes pour justifier sa décision: 1) le pays que le requérant a quitté pour gagner le Canada était les Etats-Unis; 2) son dernier pays de résidence avant de venir au Canada était les États-Unis; 3) le requérant était également citoyen des États-Unis, et 4) il était plus pratique et moins coûteux de le renvoyer aux États-Unis.
Il s'agit d'une requête, fondée sur l'article 18, en bref de certiorari pour faire annuler cette décision, en bref de manda- mus enjoignant au Ministre de donner au requérant la possibi- lité de faire des observations avant qu'il n'exerce son pouvoir discrétionnaire sous le régime de l'article 54 de la Loi, et de faire preuve d'équité dans la procédure à l'égard du requérant en lui expliquant pourquoi il avait exercé ce pouvoir discrétion- naire, en bref de mandamus enjoignant aux intimés de l'autori- ser à quitter le Canada de son plein gré pour se rendre en Grande-Bretagne en vertu de l'article 54 de la Loi, et en bref de prohibition interdisant de le renvoyer pendant l'instruction de toute autre action en justice.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Pour ce qui est du bref de mandamus, la seule obligation imposée au Ministre en vertu de l'article 54 est de décider s'il y a lieu d'autoriser le requérant à quitter le Canada de son plein gré et à se rendre en Grande-Bretagne, le pays de son choix. Le Ministre s'est acquitté de cette obligation en décidant que le requérant devrait être renvoyé aux Etats-Unis. Un bref de mandamus peut être accordé pour forcer l'exécution d'une obligation de nature publique, mais on ne peut y recourir pour ordonner à un fonctionnaire d'exercer d'une certaine façon le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de la loi.
La requête en bref de prohibition ne saurait être accueillie. L'article 51 de la Loi précise les cas de sursis à l'exécution d'une ordonnance de renvoi. Ni une demande fondée sur l'arti- cle 18, ni une demande fondée sur l'article 28 ne figurent parmi ces cas.
Compte tenu des faits, le requérant n'a pas rapporté la preuve que la décision de le renvoyer aux États-Unis équivalait à une procédure d'extradition déguisée.
L'obligation d'agir équitablement reconnue en common law s'applique même dans le cas, comme en l'espèce, une fonction hautement discrétionnaire est exercée. Il s'agit alors de déterminer la teneur de l'obligation d'agir équitablement telle qu'elle s'applique à la situation donnée. La doctrine de l'équité a pour objet fondamental de faire en sorte que le particulier intéressé ait droit au degré de participation nécessaire pour présenter des faits ou arguments pertinents. Mais la procédure nécessaire pour atteindre cette fin doit être compatible avec
l'aptitude de l'autorité publique à s'acquitter de ses obligations légales d'une manière efficace. En l'espèce, la décision a été rendue conformément aux principes d'équité.
Le requérant n'a pas injustement été privé d'un droit. Il n'a pas non plus, à d'autres égards, fait l'objet d'un traitement injuste en raison de l'omission par le Ministre de motiver sa décision. En l'espèce, le Ministre n'est nullement tenu de motiver sa décision. Exiger que l'on donne des raisons empêche- rait l'exercice du pouvoir discrétionnaire et l'exécution efficace des fonctions prévues par la Loi. Qui plus est, puisque la Loi ne prévoit pas de droit d'appel contre une décision rendue en vertu de l'article 54, l'absence de motifs n'empêche nullement d'obte- nir un réexamen équitable, puisqu'on n'y a pas droit.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Karavos v. The City of Toronto and Gillies, [1948] O.W.N. 17 (C.A.); Kindler c. Macdonald, [1985] 1 C.F. 676 (1" inst.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regio nal Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602.
AVOCATS:
Cecil L. Rotenberg, c.r., pour le requérant. G. Sparrow pour les intimés.
PROCUREURS:
Cecil L. Rotenberg, c.r., Toronto, pour le requérant
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Le requérant se fonde sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] pour solliciter une ordonnance de certiorari annulant la décision administrative du ministre de l'Emploi et de l'Im- migration et de son délégué qui avaient ordonné son expulsion vers les États-Unis d'Amérique, et une ordonnance de mandamus enjoignant au Ministre de lui donner la possibilité de faire des observations avant que ce dernier n'exerce son pouvoir discrétionnaire sous le régime des paragra- phes 54(1) et (2) [mod. par S.C. 1984, chap. 40, art. 36] de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, modifiée, et de faire preuve d'équité dans la procédure à son égard, en lui expliquant pourquoi il avait exercé ce pouvoir dis- crétionnaire; le requérant sollicite en outre une
ordonnance de mandamus enjoignant aux intimés de l'autoriser à quitter le Canada de son plein gré pour se rendre en Grande-Bretagne en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l'immigration, ainsi qu'un bref de prohibition interdisant aux intimés de le renvoyer du Canada pendant l'instruction de toute autre action en justice.
Le requérant, citoyen à la fois des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a quitté les États-Unis pour entrer au Canada, à Fort Frances (Ontario) le 10 avril 1986. Bien qu'il ait été autorisé à entrer au Canada en tant que visiteur inscrit pour une période de vingt-quatre heures, il a été arrêté par la police de Fort Frances peu de temps après son admission lorsque celle-ci a découvert que des mandats d'arrêt avaient été lancés contre lui aux États-Unis et qu'ils étaient toujours en vigueur. Le requérant, reconnu coupable de possession d'une substance d'usage restreint (marijuana) à des fins de distribution, n'avait pas comparu pour se voir imposer une peine à Pecos (Texas) après avoir été libéré moyennant une caution de 50 000 $. Un deuxième mandat d'arrêt a été lancé contre le requérant le 3 avril 1986 dans le comté de Berin (Michigan) après qu'il eut omis de comparaître pour subir son procès.
Au moment le requérant a demandé l'admis- sion au Canada, des agents d'immigration lui ont demandé s'il faisait alors l'objet de mandats d'ar- rêt. Il a répondu par la négative. Les agents en question se sont rendu compte, au moyen d'une vérification sur ordinateur faite par la police de Fort Frances à la demande de Douanes Canada, que les mandats lancés contre le requérant aux Etats-Unis étaient toujours en vigueur. On a arrêté le requérant pour faire enquête en vertu de la Loi sur l'immigration.
À la suite de son arrestation, le requérant a retenu les services de M e Theo Wolder, qui, le 11 avril 1986, s'est entretenu avec M. Raymond Cald- well, gestionnaire du Centre d'immigration du Canada de Fort Frances. Au cours de cet entre- tien, ce dernier a fait savoir qu'il pourrait libérer le requérant moins de quarante-huit heures après sa détention si le requérant était capable de prouver qu'il avait les moyens de se rendre en Grande-Bre- tagne et pouvait y entrer légalement. Par la suite, le requérant a obtenu son billet d'avion pour l'An- gleterre par l'entremise de son avocat, pendant le
weekend des 12 et 13 avril 1986 et ce, grâce à l'argent envoyé par sa mère qui réside aux Etats- Unis; le Consulat britannique lui a ensuite délivré son passeport le 2 mai 1986.
Le 7 mai 1986, une enquête a été tenue en vertu de l'article 23 de la Loi sur l'immigration et, après une audience qui a duré approximativement quatre heures, on a prononcé l'expulsion du requérant parce que, étant entré au Canada grâce à une représentation erronée d'un fait important, il était une personne visée par l'alinéa 27(2)g) de la Loi sur l'immigration. Le requérant est en détention depuis le 10 avril 1986, date de son arrestation par la police de Fort Frances.
À toutes les époques en cause, M. Philip Pirie était Directeur général par intérim des opérations de l'immigration pour la région de l'Ontario, Emploi et Immigration et, à ce titre, il s'est vu déléguer, en vertu de l'article 54 de la Loi sur l'immigration, le pouvoir ou bien d'autoriser le requérant à quitter le Canada de son propre gré et à choisir le pays il se rendrait, ou bien de décider du pays il serait renvoyé. Le 16 mai 1986, les fonctionnaires de M. Pirie ont fourni à ce dernier tous les détails concernant le cas du requé- rant. On lui a fait savoir que le requérant était un citoyen britannique, qu'il était en possession d'un billet d'avion pour se rendre en Grande-Bretagne et d'un passeport britannique et qu'il ne voulait pas retourner aux États-Unis parce que, étant poursuivi par un groupe de Mexicains relativement à des dettes impayées, il estimait que sa vie était en danger. Le requérant a soutenu qu'il avait reçu quatre ou cinq menaces de mort avant de deman- der l'autorisation de séjour au Canada. Compte tenu des renseignements que ses fonctionnaires lui ont fournis, M. Pirie a décidé que le requérant ne devrait pas être autorisé à quitter le Canada de son propre gré pour se rendre en Grande-Bretagne, mais devrait plutôt être renvoyé aux États-Unis.
Le 23 mai 1986, M. Pirie a reçu de ses fonction- naires d'autres informations plus détaillées au sujet du requérant et, à la même date, il a rédigé un affidavit il énumérait les raisons pour les- quelles il avait décidé de renvoyer le requérant aux Etats-Unis plutôt que d'autoriser son départ volon- taire pour la Grande-Bretagne:
[TRADUCTION] a) le pays que le requérant a quitté pour gagner le Canada était les États-Unis;
b) son dernier pays de résidence avant de venir au Canada était les États-Unis. De toute évidence, le requérant se trouvait aux États-Unis en 1985 et 1986 avant son arrivée au Canada et il a, durant cette période, résidé dans plus d'un État. Il est en Grande-Bretagne et y a résidé au cours de la première année de sa vie et, par la suite, sa famille est allée s'installer aux États-Unis. Le requérant a de nouveau vécu en Grande-Breta- gne pendant une partie des années 1983 et 1984, ce qui confirme qu'il a passé presque toute sa vie aux États-Unis;
c) le requérant était citoyen tant des États-Unis que de l'Angleterre;
d) et il est plus pratique et moins coûteux de le renvoyer aux États-Unis. Si on l'autorisait à quitter le Canada de son propre gré pour se rendre en Grande-Bretagne, il faudrait prendre des arrangements avec la compagnie aérienne concernée ce qui, dans les circonstances, exigerait probablement qu'il soit accom- pagné d'un agent d'immigration.
Le requérant soutient qu'on devrait l'autoriser à quitter le Canada de son propre gré et à choisir le pays il veut se rendre. Selon lui, le fait pour le Ministre d'ordonner son renvoi aux États-Unis n'est pas justifié, n'est pas conforme au but de la Loi sur l'immigration et ne le serait que si le renvoi était rendu difficile par son choix du pays, si ce pays n'était pas disposé à l'accepter ou si son renvoi au pays de son choix nécessitait des frais substantiels.
D'après le requérant, des représentants des inti- més ont laissé entendre qu'on ne devrait pas l'auto- riser à partir pour la Grande-Bretagne afin qu'il puisse échapper à l'application régulière de la loi aux États-Unis ou pour lui permettre de se servir du Canada ou des autorités d'immigration comme moyen d'échapper à la justice. Il estime que ces considérations ne sont aucunement pertinentes et que l'expulsion d'une personne pour satisfaire à une procédure criminelle inachevée n'est pas un motif pour lequel le Ministre devrait être forcé d'agir.
Pour ce qui est des frais dont M. Pirie a tenu compte en rendant sa décision, l'avocat du requé- rant fait valoir que les coûts de la détention de son client et des procédures engagés jusqu'ici dépas- sent de loin les coûts qu'aurait entraînés son départ volontaire et autorisé du Canada pour la Grande- Bretagne. De plus, l'argument de M. Pirie selon lequel le requérant est plus lié aux États-Unis qu'à la Grande-Bretagne ne peut logiquement, de l'avis de ce dernier, justifier la décision de le renvoyer
aux États-Unis et n'a aucun rapport avec cette décision.
Le requérant soutient que la décision de l'intimé équivaut à une forme déguisée d'extradition; selon lui, l'examen des faits conduit inéluctablement à la seule conclusion que, pour des motifs logiques ou rationnels, il devrait être autorisé à partir de son propre gré pour la Grande-Bretagne au lieu d'être renvoyé aux Etats-Unis.
Le requérant soutient en dernier lieu que la décision rendue par les intimés est une décision administrative qui exige donc l'équité dans la pro- cédure, c'est-à-dire l'obligation de permettre au requérant de faire des observations et l'obligation pour le Ministre de motiver sa décision. Subsidiai- rement, le requérant prétend que la décision du Ministre et la directive subséquente visant à le renvoyer aux États-Unis violent les droits garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] parce qu'il s'agit d'un déni des principes de justice fondamentale.
Les intimés font valoir que la décision du délé- gué du Ministre selon laquelle le requérant devait être expulsé aux États-Unis a été rendue équitable- ment et dans les limites de sa compétence. La décision a été rendue conformément aux principes d'équité parce que tant le requérant que son avocat ont, à plusieurs occasions, présenté des observa tions orales avant que la décision ne soit rendue. Selon les intimés, il ressort du témoignage de M. Pirie qu'il connaissait bien la situation du requé- rant avant que la décision ne soit prise. De plus, l'avocat du requérant a soumis des observations écrites. En rendant sa décision uniquement à partir des faits pertinents, le délégué du Ministre n'a fait qu'exercer son pouvoir discrétionnaire. Les intimés soutiennent que rien dans la preuve n'étaie l'allé- gation du requérant selon laquelle la décision de M. Pirie faisait plus ou moins suite aux requêtes de l'immigration américaine ou des autorités policiè- res américaines.
Les intimés soutiennent en outre qu'un bref de mandamus ne peut être accordé pour forcer le délégué du Ministre à permettre au requérant de quitter le Canada de son propre gré pour se rendre au pays de son choix. Le Ministre n'est pas tenu à une telle obligation légale; la Loi ne lui impose que l'obligation de rendre une décision conforme à l'article 54 de la Loi sur l'immigration, et cette obligation ayant été exécutée, il n'y a pas lieu à un bref de mandamus.
Le dernier argument invoqué par les intimés est qu'un bref de prohibition ne peut être accordé pour leur interdire de renvoyer le requérant du Canada en attendant l'issue des autres actions en justice intentées en l'espèce. Le Ministre est tenu par la loi d'obtempérer à une ordonnance d'expulsion et de l'exécuter. Selon les intimés, l'exécution d'une ordonnance de renvoi ne peut être suspendue que dans les cas énumérés à l'article 51 de la Loi sur l'immigration. Implicitement, l'article exclut tout autre sursis, notamment un sursis jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait statué sur une demande fondée sur l'article 28.
Je me propose de me prononcer tout d'abord sur la requête du requérant visant à obtenir une ordon- nance de mandamus qui forcerait les intimés à lui permettre de quitter le Canada de son propre gré et de se rendre en Grande-Bretagne, ou, subsidiai- rement, les forcerait à le renvoyer en Grande-Bre- tagne. On fait appel au bref de mandamus, l'un des plus courants brefs de prérogative, pour forcer l'exécution d'une obligation légale. L'octroi d'un bref de mandamus est assujetti à quatre condi tions: il doit y avoir un droit légal à l'exécution de l'obligation par l'autorité publique; il doit être prouvé que l'obligation est exigible parce que la cour ne peut ordonner l'exécution d'une obligation future; la fonction doit être de nature ministérielle, c'est-à-dire que le décideur ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de l'exécu- tion de l'obligation et il doit y avoir une demande préalable d'exécuter l'obligation et un refus d'y obtempérer. Karavos v. The City of Toronto and Gillies, [1948] O.W.N. 17 (C.A.).
L'article 54 de la Loi sur l'immigration porte:
54. (1) Sauf instructions contraires du Ministre, la personne qui fait l'objet d'une ordonnance de renvoi peut être autorisée à
quitter le Canada de son plein gré et à choisir le pays elle veut se rendre.
(2) La personne qui n'a pas été autorisée à quitter le Canada de son plein gré et à choisir le pays elle veut se rendre, en vertu du paragraphe (1), sera, sous réserve du paragraphe (3), renvoyée
a) à son pays de départ;
b) au pays elle avait sa dernière résidence permanente avant le Canada;
c) au pays dont elle est le ressortissant; ou
d) à son pays de naissance.
Je suis convaincu que la seule obligation impo sée au Ministre en vertu de ces dispositions législa- tives est de décider s'il y a lieu d'autoriser le requérant à quitter le Canada de son propre gré et à se rendre en Grande-Bretagne, le pays de son choix. Le Ministre s'est acquitté de cette obliga tion; il a décidé que sa demande d'autorisation devait être refusée et qu'il devait être renvoyé aux États-Unis. Le requérant peut désapprouver la façon dont le Ministre a rendu sa décision et la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire, mais il ne fait aucun doute qu'une décision a été rendue. Un bref de mandamus peut être accordé pour forcer l'exécution d'une obligation de nature publique, mais on ne peut y recourir pour ordonner à un fonctionnaire d'exercer d'une certaine façon le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de la loi. En matière d'immigration, on y recourt généralement pour enjoindre à un fonctionnaire d'exercer un pouvoir qu'il a refusé. Toutefois, il n'y a pas de preuve en l'espèce que le Ministre a refusé d'exé- cuter son obligation de nature publique; en fait, la preuve tend vers le contraire. Je rejette donc la requête en mandamus ordonnant au Ministre d'autoriser le requérant à se rendre en Grande- Bretagne, pays de son choix, ou forçant le Ministre à le renvoyer en Grande-Bretagne plutôt qu'aux États-Unis.
Le requérant sollicite un bref de prohibition interdisant aux intimés de le renvoyer aux États- Unis en attendant la présentation possible d'une demande fondée sur l'article 28 devant la Cour d'appel fédérale. Comme l'a prétendu l'avocate des intimés, l'article 51 précise les cas de sursis à l'exécution d'une ordonnance de renvoi. Le renvoi doit être suspendu en cas d'appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration devant la Cour d'appel fédérale ou en cas d'appel d'une décision de la Cour d'appel fédérale devant la Cour suprême du Canada. Aucune suspension de
renvoi n'est garantie soit en droit soit par l'effet de la Loi sur l'immigration lorsque la Division de première instance de la Cour fédérale est saisie d'une demande fondée sur l'article 18 ou lors- qu'une demande fondée sur l'article 28 est pen- dante devant la Cour d'appel fédérale. Pour ces motifs, la requête en bref de prohibition est rejetée.
Il me reste à trancher la question de l'extradi- tion déguisée et la question de savoir si les intimés ont respecté les conditions préliminaires de l'équité dans la procédure en rendant la décision en question.
Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'avocat du requé- rant soutient que la décision de renvoyer ce dernier aux États-Unis équivaut en fait à une procédure d'extradition déguisée. Dans l'affaire Kindler c. Macdonald, [1985] 1 C.F. 676 (i re inst.), j'ai examiné cette question à fond. Aux pages 684 et 685, j'ai tenu ces propos:
En théorie, il ne devrait pas exister de confusion entre l'extradition et l'expulsion. Elles ont des objectifs nettement distincts. G. V. La Forest (aujourd'hui juge à la Cour suprême du Canada) a souligné dans son ouvrage intitulé Extradition To and From Canada, 2e éd., Toronto, Canada Law Book Limited, 1977, aux pages 37 et 38:
[TRADUCTION] L'extradition a pour objet de renvoyer un contrevenant en fuite au pays qui en fait la demande afin qu'il soit jugé ou puni pour l'infraction qu'il a commise alors qu'il était dans sa juridiction. En revanche, l'expulsion est régie par la politique de l'État qui souhaite se débarrasser d'un étranger indésirable. A cet égard, l'endroit se rend l'expulsé importe peu à l'État qui l'expulse tant qu'il reste à l'extérieur de ses limites territoriales. La Loi sur l'immigra- tion prévoit toutefois [paragraphe 33(1)] qu'une personne qui fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion doit être ren- voyée au lieu à partir duquel elle est venue au Canada, au pays dont elle est un ressortissant ou un citoyen, au pays elle est née, ou à tout autre pays selon ce que permet le Ministre.
Lorsque la destination choisie est un pays les autorités sont désireuses de poursuivre ou de punir la personne expulsée pour une infraction criminelle, l'expulsion peut équivaloir à une extradition de fait. Cependant, lorsqu'on ordonne l'expulsion d'une personne vers son État d'embarquement ou vers l'État dont elle est un ressortissant, l'expression «extradition déguisée» est en fait une conclusion tirée par ceux qui prétendent que telle était l'intention des autorités qui ont ordonné l'expulsion. Même si l'intention de remettre un criminel à la juridiction compétente peut en fait constituer le motif principal de l'Etat qui ordonne l'expulsion, il est possible aussi que dans de nombreux cas ce ne soit que par pure coïncidence que l'expul- sion ait ce résultat. (Voir Ivan A. Shearer, Extradition in International Law, Manchester, 1971, Manchester University Press.) [C'est moi qui souligne.]
Il incombe à la partie qui prétend que les procé- dures d'expulsion en général ou, comme en l'es- pèce, l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre fondé sur l'article 54 de la Loi et aboutis- sant à la décision de renvoyer le requérant aux États-Unis sont en fait des procédures d'extradi- tion déguisée d'en rapporter la preuve. Il s'agit d'un lourd fardeau dont il est difficile de s'acquit- ter dans la plupart des cas. En l'espèce, le requé- rant s'appuie sur certains faits qui, allègue-t-il, permettent de conclure que la directive donnée par le Ministre équivalait à une forme déguisée d'ex- tradition. J'ai soigneusement examiné les argu ments invoqués par l'avocat du requérant au cours de la présente instance et figurant au paragraphe 18 de l'exposé des faits et du droit de ce dernier. En même temps, j'ai pris en considération les motifs exposés par M. Pirie, le délégué du Minis- tre, dans son affidavit du 23 mai 1986 pour justi- fier sa décision. Tous ces facteurs m'amènent à conclure que les procédures engagées sous le régime de la Loi sur l'immigration sont en appa- rence valides, et que les éléments de preuve ne suffisent pas à libérer le requérant du fardeau de prouver que ces procédures constituent un trompe- l'oeil visant un but illicite. La police de Fort Fran- ces avait des motifs raisonnables d'arrêter le requérant lorsqu'elle a découvert qu'il avait obtenu l'autorisation de séjour au Canada grâce à une représentation erronée d'un fait important en vio lation des dispositions de la Loi sur l'immigration. La vérification sur ordinateur qu'elle a effectuée à la demande de Douanes Canada et qui a révélé l'existence des mandats toujours valides était due à l'initiative de fonctionnaires canadiens; à ce stade, les autorités américaines n'ont, de quelque façon que ce soit, participé à cette initiative. Il n'y a pas preuve que la décision du Ministre a été d'une , certaine manière influencée par une quelconque entente entre les autorités canadiennes et améri- caines ou reposait sur une telle entente en vertu de laquelle le requérant devait être renvoyé aux État- Unis pour répondre aux accusations portées contre lui. Une conversation téléphonique et un télex destinés tous deux à vérifier les accusations pen- dantes portées contre le requérant ont été les seules communications échangées entre un fonctionnaire du Service d'Immigration Canada et les autorités policières américaines. L'allégation du requérant selon laquelle ces deux communications révélaient l'existence d'un plan organisé à l'avance ou d'une
entente entre le Canada et les autorités américai- nes visant à obtenir son renvoi aux États-Unis est, à mon avis, farfelue. Le requérant attribue à ces communications bien davantage que ce qu'une interprétation raisonnable ne permet de faire. À la lumière de la preuve, je suis convaincu qu'aucun arrangement n'a été conclu avec les autorités poli- cières américaines ni qu'aucune demande n'a été faite par la police américaine ou par les autorités d'immigration pour le renvoi du requérant aux États-Unis.
Pour ce qui est de la directive des intimés visant à renvoyer le requérant aux États-Unis, celui-ci la conteste non seulement en la qualifiant de procé- dure d'extradition déguisée, mais en disant égale- ment que le Ministre ou son délégué n'a pas agi équitablement en ne lui donnant pas la possibilité de faire des observations écrites ou orales avant que la décision n'ait été prise, et qu'il n'a pas observé les principes de justice naturelle en ne motivant pas ladite décision.
Depuis l'arrêt de la Cour suprême du Canada Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, la loi prévoit que l'obligation d'agir équitablement reconnue en common law s'applique même dans le cas un décideur exerce une fonction hautement discrétionnaire. En conséquence, lorsqu'il exerce une fonction administrative comme en l'espèce, le Ministre ou son délégué est tenu, à l'égard du requérant, d'agir équitablement. En pareil cas, la cour doit déterminer la teneur de cette obligation telle qu'elle s'applique à la situation donnée. Il s'agit, dans les faits, d'adapter les exigences en matière de procédure à la nature du pouvoir exercé. À cette fin, il faut examiner certains fac- teurs, tels que l'importance des intérêts auxquels la décision administrative peut porter atteinte, l'inci- dence de la décision sur les intérêts touchés, les différentes mesures dans lesquelles la décision peut dépendre de faits isolés, de l'interprétation et de l'application des normes légales ou de facteurs d'une plus grande portée, savoir l'intérêt public et le contexte législatif et administratif d'une situa tion donnée. Voir J. M. Evans, «Remedies in Administrative Law», Special Lectures of the Law Society of Upper Canada—New Developments in
the Law of Remedies (Toronto, 1981), 429, la page 434.
La principale conséquence de l'arrêt Nicholson (précité) et l'évolution judiciaire subséquente ont fait en sorte d'amener les tribunaux à concentrer leur attention moins sur la question préliminaire de savoir si des exigences en matière de procédure doivent être imposées à une autorité publique lors- qu'elle exerce ses pouvoirs et davantage sur les procédures spécifiques appropriées au litige en question. Cela confère à la cour un pouvoir de contrôle plus étendu et lui permet d'adapter les procédures plus qu'auparavant. Pour déterminer si le requérant à l'instance a été traité équitablement, il faut se rappeler l'objet fondamental de la doc trine de l'équité qui est de faire en sorte que les particuliers aient droit au degré de participation nécessaire pour porter à l'attention du décideur tout fait ou argument dont un fonctionnaire ou une autorité impartial doit être informé pour parvenir à une décision rationnelle.
Il ne faut pas pour autant oublier que l'impor- tance et la forme de la procédure nécessaires pour atteindre cette fin doivent être compatibles avec l'aptitude de l'autorité publique à s'acquitter de ses obligations légales d'une manière efficace. C'est cette considération qui a fait que la cour est peu disposée à participer indûment à l'élaboration des procédures que doivent suivre les autorités admi- nistratives. Cette fonction est l'apanage de l'auto- rité elle-même. En exerçant son droit de regard, la cour doit veiller à ce que les normes minimales en matière de procédure soient observées et elle doit toujours s'abstenir d'intervenir à moins qu'il n'existe suffisamment de preuve pour convaincre la cour que la décision de l'autorité administrative était déraisonnable et a causé une grave injustice au requérant.
Appliquant le droit exposé ci-dessus aux faits de l'espèce, je suis persuadé que la décision du Minis- tre de renvoyer le requérant aux États-Unis a été rendue conformément aux principes d'équité. La preuve me permet de conclure qu'au moment M. Pirie a décidé de renvoyer le requérant aux États-Unis, il disposait de tous les faits et argu ments dont il devait être informé pour parvenir à une décision rationnelle. Les raisons pour lesquel- les le requérant désirait se rendre en Grande-Bre-
tagne étaient connues des fonctionnaires d'Immi- gration Canada qui ont mis M. Pirie au courant du cas du requérant à la réunion du 16 mai 1986. Le requérant et son avocat, Me Theo Wolder, ont présenté ces arguments à son enquête du 7 mai 1986 et aux révisions subséquentes des motifs de la détention faites en vertu du paragraphe 104(6) de la Loi sur l'immigration. M. Pirie savait que le requérant était en possession d'un passeport bri- tannique, qu'il avait obtenu un billet d'avion pour se rendre en Grande-Bretagne et qu'il avait allégué que sa vie serait en danger si on le renvoyait aux Etats-Unis. À part ces faits, M. Pirie savait égale- ment que le requérant avait résidé aux États-Unis pratiquement toute sa vie durant, qu'il était citoyen des États-Unis ainsi que de la Grande-Bre- tagne, qu'il avait quitté les Etats-Unis pour entrer au Canada et que des mandats d'arrêt lancés contre lui aux Etats-Unis étaient toujours en vigueur. M. Pirie savait aussi que s'il devait ren- voyer le requérant en Grande-Bretagne, il faudrait très probablement qu'un agent d'immigration canadien accompagne ce dernier dans l'avion. Je suis persuadé que M. Pirie connaissait parfaite- ment tous les faits pertinents et que, cela étant, il n'y a aucun motif pour lequel la Cour devrait intervenir. Il ressort des faits portés à ma connais- sance qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve permettant aux intimés de parvenir raison- nablement à la conclusion qu'ils ont tirée et à la décision qu'ils ont rendue.
Il reste à trancher la question de savoir si le requérant a été injustement privé d'un droit ou si, à d'autres égards, il a fait l'objet d'un traitement injuste en raison du fait que le Ministre n'a pas motivé sa décision.
En général, il n'existe aucune règle de droit qui exige que les décisions administratives soient moti vées et, en l'espèce, le Ministre n'est nullement tenu de motiver sa décision. Ce sont les faits, les circonstances et la nature de la décision rendue qui détermineront si un décideur est tenu de motiver sa décision pour se conformer aux principes d'équité. Compte tenu des faits de l'espèce, j'es- time que l'omission par le Ministre de motiver sa décision de renvoyer le requérant aux États-Unis n'équivaut pas à un traitement injuste. Exiger que l'on donne des raisons dans les cas administratifs de ce genre empêcherait les intimés d'exercer de
façon efficace leur pouvoir discrétionnaire et leurs fonctions prévues par la Loi. La Loi sur l'immigra- tion ne prévoit pas de droit d'appel contre une décision rendue en vertu de l'article 54 de la Loi et, par conséquent, l'omission par le Ministre de donner des motifs n'empêche nullement le requé- rant d'obtenir un réexamen équitable puisque, en tout état de cause, il n'y a pas droit.
Comme l'a déclaré le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, la page 631:
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon- dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée?
Compte tenu des faits de l'espèce, je réponds à cette question en disant qu'il n'y a eu ni violation de l'obligation d'agir équitablement ni violation d'un droit garanti par la Charte.
Par ces motifs, la requête en l'espèce est rejetée avec dépens.
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