Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1866-85
Samir Georges Rabbat (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: RABBAT C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Denault— Montréal, 7 octobre; Ottawa, 16 décembre 1985.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Immigration Requête en vue d'empêcher la tenue d'une deuxième enquête Un rapport de 1981, sur lequel était fondée une première enquête, décrivait le statut de résident du requérant de façon erronée L'arbitre n'a pas jugé l'affaire au fond Un second rapport allègue les mêmes faits, mais qualifie correctement le requérant de résident permanent La doc trine de la chose jugée ne s'applique pas étant donné qu'on n'a pas tenté de faire réviser la décision quant au fond et qu'il y a eu une nouvelle citation à comparaître fondée sur des articles différents de la Loi L'art. 34 écarte la doctrine de la chose jugée Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(1)c), 20, 27, 34, 104 Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, art. 27(4).
Droit constitutionnel Charte des droits Recours Intervalle de deux ans entre la décision rendue dans la pre- mière enquête de l'immigration et l'ouverture de la seconde Tentative pour lier le droit d'être jugé dans un délai raisonna- ble en matière pénale à la garantie du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité La Loi sur l'immigration de 1976 n'impose pas l'obligation de procéder dans un laps de temps déterminé L'intervalle n'était pas déraisonnable au point de constituer une injustice On n'a pas fait la preuve que la déportation au Liban constituerait un traitement cruel et inu- sité Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 11, 12, 24.
Immigration Requête en vue d'empêcher la tenue d'une deuxième enquête fondée sur les mêmes faits mais sur des articles différents de la Loi L'art. 34 écarte la doctrine de la chose jugée en ce qui concerne les art. 20, 27 ou 104 Distinction faite avec Okolakpa c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 437 (1" inst.) Le libellé du nouvel art. 34 diffère de celui de l'art. 27(4) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 20, 27, 34, 104 Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, art. 27(4).
Il s'agit d'une requête en vue de l'émission d'un bref de prohibition pour empêcher un arbitre de tenir une enquête en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976. Le requérant cherche également à obtenir la réparation que le tribunal estime convenable conformément à l'article 24 de la Charte.
Le requérant détient le statut de résident permanent du Canada depuis 1972. Il a été arrêté en 1981. Dans un rapport
produit conformément à l'article 27, on le décrivait comme une personne autre qu'un citoyen canadien ou un résident perma nent qui pourrait se voir refuser l'autorisation de séjour du fait qu'il faisait partie d'une catégorie non admissible. A l'enquête, l'arbitre a conclu que le requérant n'avait jamais perdu son statut de résident permanent, mais il ne s'est pas prononcé sur le fond de l'affaire (c'est-à-dire sur la question de savoir si le requérant devait être autorisé à demeurer au Canada). Dans un nouveau rapport produit deux ans plus tard, on a allégué les mêmes faits mais qualifié le requérant de résident permanent. Celui-ci soutient qu'on y retrouve toutes les conditions nécessai- res à l'application de la doctrine de la chose jugée, à savoir l'identité de personne, d'objet et de cause. Il a prétendu que la première décision rendue constituait un jugement final. Enfin, il a allégué que, s'il avait été cité à comparaître en tant que visiteur plutôt que comme résident permanent, il s'agissait d'une erreur de droit qui s'avère fatale à la tenue d'une nouvelle enquête.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
On ne retrouve pas tous les éléments nécessaires à l'applica- tion de la doctrine de la chose jugée. On n'essaie pas de faire réviser une décision rendue au fond; la nouvelle citation à comparaître repose sur des articles différents de la Loi. Dans l'affaire Chi Ming Au c. Le procureur général du Canada, [1977] 2 C.F. 254 (1"» inst.), il a été statué que la doctrine de la chose jugée ne s'applique que lorsque le premier tribunal était compétent et pouvait connaître de l'affaire. Dans ce cas, il n'avait pas compétence puisque le rapport était irrégulier.
En outre, l'article 34 de la Loi écarte la doctrine de la chose jugée dans le cadre restreint des articles auxquels il se réfère.
L'affaire Okolakpa c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 437 (1f» inst.), un bref de prohibition a été émis afin d'empêcher la tenue d'une deuxième enquête spéciale, diffère en raison des circonstances particuliè- res de la cause et parce que la Cour devait interpréter le paragraphe 27(4) de l'ancienne Loi sur l'immigration. Dans l'affaire Okolakpa, il a été statué que le «rapport subséquent» mentionné au paragraphe 27(4) doit se fonder sur de nouveaux faits et non seulement sur un alinéa différent de la Loi. Il existe une différence marquée entre le libellé du paragraphe 27(4) et celui du nouvel article 34. L'affaire Okolakpa ne peut pas alors constituer un précédent.
À l'appui de l'action intentée en vertu de l'article 34 de la Charte, le requérant a soutenu que l'intervalle qui s'est écoulé entre la décision rendue au sujet de la première enquête et l'ouverture de la deuxième (deux ans) constitue une atteinte à ses droits constitutionnels. Le requérant a tenté de lier le droit, garanti par l'article 11, d'être jugé dans un délai raisonnable en matière pénale à la garantie, prévue par l'article 7, du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. On n'a pas essayé d'expliquer cet intervalle de deux ans. Bien qu'il puisse sembler long au point d'être déraisonnable, la Loi sur l'immigration de 1976 n'impose pas l'obligation de procéder dans un laps de temps déterminé. L'intervalle n'était pas déraisonnable au point de constituer une injustice pour le requérant, car celui-ci n'a subi aucun préjudice. Même s'il fallait agir dans un délai raisonnable, il ne s'ensuit pas nécessairement que l'inexécution de cette obligation justifie l'annulation de l'acte tardif: Gill c. M.E.I, [1984] 2 C.F. 1025; (1985), 60 N.R. 241 (C.A.).
Enfin, le requérant a soutenu que sa déportation au Liban constituerait un traitement cruel et inusité vu la guerre civile qui y sévit, et irait à l'encontre de l'article 12 de la Charte. Il n'a fait la preuve d'aucun traitement cruel et inusité qui pourrait lui être infligé. En outre, cet argument est prématuré tant que le requérant ne risque pas la déportation.
La Loi oblige les officiers compétents à aviser le sous-minis- tre des informations prévues aux articles 20, 27 et 104 et qui sont en leur possession.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Chi Ming Au c. Le procureur général du Canada, [ 1977] 2 C.F. 254 (1" inst.); Gill c. M.E.I., [1984] 2 C.F. 1025; (1985), 60 N.R. 241 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Les États-Unis d'Amérique c. Alain Allard et Jean- Pierre Charette, jugement en date du 13 septembre 1984, C.S. Montréal, n 0 ' 500-27-009036-841 et 500-27-009035- 843, non encore publié.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Okolakpa c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [ 1977] 1 C.F. 437 (1" inst.).
DÉCISION CITÉE:
R. v. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289 (C.A. Ont.). AVOCATS:
David Cohen pour le requérant.
Suzanne Marcoux-Paquette pour l'intimé.
PROCUREURS:
Campbell, Cohen & Associate, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DENAULT: Le requérant demande l'émission d'un bref de prohibition pour empêcher un arbitre de tenir une enquête à son sujet en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976 (S.C. 1976-77, chap. 52 et modifications). Il exerce de plus le recours prévu à l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] et prétend que le fait de tenir une autre enquête à son sujet serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Le requérant détient le statut de résident perma nent depuis le 19 janvier 1972. En décembre 1981, la Gendarmerie royale du Canada a procédé à l'arrestation d'un individu qui s'identifiait et déte- nait un passeport français sous le nom de Jean Bernard Marcel Gaston. Il s'est avéré ultérieure- ment qu'il s'agissait du requérant. Peu après, un agent d'immigration a produit un rapport aux termes de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976, le décrivant comme une personne autre qu'un citoyen canadien ou un résident permanent qui pourrait se voir refuser l'autorisation de séjour du fait qu'il faisait partie de la catégorie non admissible visée à l'alinéa 19(1)c) (condamnation à une peine) de la Loi. Il a ultérieurement été cité à comparaître pour qu'on puisse déterminer s'il devait être autorisé à demeurer au Canada. Cette enquête basée sur les alinéas 27(2)a),e) et g) de la Loi, a eu lieu en octobre 1982. A cette occasion, le requérant a contesté cette demande en invoquant qu'il n'avait pas le statut de visiteur dont on l'affublait dans le rapport mais celui de résident permanent qu'il n'avait jamais perdu. L'arbitre a effectivement conclu qu'il n'avait jamais perdu son statut de résident permanent ; il ne s'est cependant pas prononcé sur le fond de l'affaire à savoir s'il devait être autorisé à demeurer au pays. Les auto- rités de l'Immigration n'en ont pas appelé de cette décision.
Le 28 novembre 1984, soit plus de deux (2) ans après la décision de l'arbitre, un agent d'immigra- tion supérieur a signé un nouveau rapport dans lequel on reproche au requérant les mêmes faits que ceux du rapport antérieur sauf qu'on le quali- fie maintenant de résident permanent; ce rapport est basé sur l'alinéa 27(1)a) et le sous-alinéa d)(ii) de la Loi. On l'a cité à comparaître le 10 mai 1985.
La présente requête vise à empêcher la tenue de cette deuxième enquête, et à son soutien, le procu- reur du requérant invoque la doctrine du res judi- cata ou les règles du «double jeopardy» ou de l'autrefois acquit. Il invoque aussi que les faits reprochés à son client sont identiques dans les deux rapports et qu'on retrouve tous les éléments néces- saires à l'application de la doctrine du res judicata
à savoir l'identité de personne, d'objet et de cause. De plus, prétend-il, la première décision rendue constituait un jugement final d'ailleurs favorable au requérant, et la deuxième enquête ne soulève aucun fait nouveau mais s'appuie sur un paragra- phe différent de la Loi. Enfin, il prétend qu'on connaissait tout du dossier de son client dès la tenue de la première enquête en 1982 et que si on l'a alors cité à comparaître en tant que visiteur plutôt que comme résident permanent, on a commis une erreur de droit qui s'avère maintenant fatale et empêche la tenue d'une nouvelle enquête à son sujet.
Ce premier moyen soulevé par le requérant, à savoir la doctrine du res judicata, ne saurait résis- ter à une analyse sérieuse car on ne rencontre pas dans la présente affaire toutes les conditions d'exercice de cette règle. Ainsi, on ne cherche pas à réviser une décision qui s'est prononcée sur le fond de la question et la nouvelle citation à compa- raître repose sur des articles différents de la Loi. Il peut être utile de signaler à ce sujet le jugement dans l'affaire Chi Ming Au c. Le procureur géné- ral du Canada, [1977] 2 C.F. 254 (i fe inst.) où, sur des faits semblables à ceux de la présente affaire, le juge suppléant Maguire avait déclaré [aux pages 255 et 256]:
La règle res judicata et la confusion s'appliquent uniquement quand le premier tribunal avait compétence pour entendre et juger l'affaire qui lui était soumise. McIntosh c. Parent 55 O.L.R. 552; [1924] 4 D.L.R. 420, Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 1, p. 204. En l'espèce, le premier enquêteur spécial n'avait pas compétence puisque le rapport était irrégu- lier; il s'ensuit que ces deux motifs ne peuvent appuyer la demande.
Pour des raisons semblables, il n'y a pas eu dualité de poursuites pour un même fait.
Par ailleurs, l'article 34 de la Loi écarte, à toutes fins utiles, la doctrine de la chose jugée dans le cadre précis des articles auxquels il réfère.
Il est vrai que dans l'affaire Okolakpa c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1977] 1 C.F. 437 (i fe inst.), citée par le requé- rant, le juge Walsh a émis un bref de prohibition pour empêcher la tenue d'une deuxième enquête spéciale. Même si les faits ressemblaient étrange- ment à ceux de la présente cause, ils présentaient des circonstances particulières en ce que le requé- rant demandait l'émission d'une ordonnance pour
que soit tranchée sa demande de visa d'étudiant qui n'était plus en vigueur au moment de la seconde enquête; il risquait ainsi d'être privé d'un recours. Dans cette affaire, le juge Walsh a émis l'opinion suivante la page 440]:
Toutefois, à mon avis, le «rapport subséquent» doit se fonder sur de nouveaux faits et ne peut simplement baser sa recom- mandation sur un sous-alinéa différent de la Loi, la Cour d'appel ayant jugé inapplicable le sous-alinéa initialement invo- qué. Le fonctionnaire à l'immigration aurait pu invoquer le sous-alinéa (viii) au lieu ou en plus du sous-alinéa (iv) à l'appui de l'ordonnance d'expulsion, mais il ne l'a pas fait et cette omission ou erreur de droit ne peut motiver un second rapport et une nouvelle enquête spéciale fondée sur des faits identiques.
Il faut cependant remarquer que dans cette affaire, on devait interpréter le paragraphe 27(4) de la Loi [Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2] qui se lisait ainsi:
27....
(4) Nulle décision rendue en vertu du présent article ne doit empêcher la tenue d'une enquête ultérieure si elle est requise en raison d'un rapport subséquent sous le régime de l'article 18 ou conformément à l'article 24.
Ce paragraphe 27(4) est devenu l'article 34 dans la Loi sur l'immigration de 1976 et se lit mainte- nant comme suit:
34. Aucune décision prise en vertu de la présente loi n'inter- dit la tenue d'une autre enquête par suite d'un autre rapport fait en vertu des paragraphes 20(1) ou 27(1) ou (2) ou par suite d'arrestation et de détention aux fins d'enquête en vertu de l'article 104.
À mon avis, il y a une différence substantielle entre l'ancien texte du paragraphe 27(4) et la nouvelle disposition de l'article 34. Alors qu'on parlait dans l'ancien texte d'une enquête ultérieure (future) et d'un rapport subséquent (subsequent report), on parle maintenant d'une autre (further) enquête en raison d'un autre (another) rapport. De même, alors que l'ancien texte ne s'appliquait qu'aux décisions rendues en vertu de l'article 24, la nouvelle disposition s'applique aux articles 20, 27 et 104. Comme on le voit, le législateur a voulu exclure expressément le plaidoyer de res judicata en matière d'immigration, du moins dans le cadre restreint de cet article, et je considère que cette décision dans l'affaire Okolakpa ne peut servir de précédent à la présente vu que le texte de la Loi est maintenant fort différent.
D'ailleurs, dans cette affaire, comme on l'a sou- ligné plus haut, on a tenté de tenir une nouvelle
enquête fondée sur les mêmes faits alors que le requérant était en attente de la décision sur une demande de prorogation de son visa d'étudiant. Le juge déclarait alors à la page 440:
En outre, à l'époque de la première ordonnance d'expulsion, le visa du pétitionnaire n'était pas encore expiré, de sorte qu'il aurait pu interjeter appel auprès de la Commission d'appel de l'immigration au lieu de présenter une demande à la Cour d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale; cependant, son visa n'est plus en vigueur et si une nouvelle enquête menait à une ordonnance d'expulsion, comme cela semble être le cas, il ne pourrait pas soumettre à la Commission d'appel de l'immigration une demande d'annulation de l'ordon- nance d'expulsion et, ainsi privé d'un de ses recours, il subirait un préjudice.
Dans ses conclusions, le savant juge interdit la tenue d'une autre enquête spéciale et «déclare que le pétitionnaire a droit, sans délai, à une décision relative à la demande de prorogation de son visa d'étudiant, le tout avec dépens». Comme on le voit, les faits particuliers de cette affaire préoccupaient au plus haut point le savant juge qui a veillé à éviter tout préjudice au requérant.
Dans leurs commentaires de cet article 34, les auteurs ont reconnu que le législateur semblait avoir voulu exclure la défense de res judicata mais ils ont vite soulevé le spectre de l'abus par les autorités de l'Immigration et ont profité de la décision Okolakpa pour en limiter la portée. Dans son traité Immigration Law in Canada, Julius H. Grey commente ainsi l'article 34 de la Loi la page 66):
[TRADUCTION] L'article 34 dispose que rien n'interdit la tenue de nouvelles enquêtes fondées sur de nouveaux rapports faits par le Ministère. On pourrait l'interpréter comme permettant au Ministère de reprendre une enquête infructueuse en rédi- geant à nouveau son premier rapport. C'était peut-être l'inten- tion du rédacteur législatif, mais l'article fait maintenant l'objet d'une interprétation importante formulée dans l'arrêt Okolakpa c. Lanthier et M.M1. Dans cette affaire, le juge Walsh a statué que le nouveau rapport doit traiter de faits nouveaux. Quoique cela puisse aller bien au-delà du texte de la Loi, une décision contraire permettrait au Ministère d'abuser gravement de la procédure, car celui-ci pourrait continuer de présenter son point de vue en se fondant sur les mêmes faits jusqu'à ce qu'il trouve un arbitre favorable à sa cause. Il est donc proposé de suivre l'interprétation du juge Walsh. [C'est moi qui souligne.]
Quant à Wydrzynski dans Canadian Immigration Law and Procedure, il déclare aux pages 276 et 277:
[TRADUCTION] Il semble que le but de cet article soit de permettre la tenue d'autres enquêtes portant sur la même personne, quoiqu'une première enquête ait pu aboutir à une
décision selon laquelle la personne ne pouvait pas faire l'objet d'exclusion ou d'expulsion. En d'autres mots, cet article cherche à éviter qu'on puisse invoquer la doctrine de la chose jugée .. .
Les tribunaux ne se sont pas encore prononcés sur les consé- quences exactes de cette disposition permettant la tenue d'au- tres enquêtes. Toutefois, sous l'ancienne loi, qui ne contenait aucune disposition semblable, il a été jugé, en conformité avec les principes du droit administratif, que, lorsqu'une enquête est terminée ou qu'une ordonnance de renvoi a été annulée en raison d'une erreur de compétence, la tenue d'autres enquêtes n'est pas interdite par application du principe de la chose jugée.
La Commission peut être empêchée de faire valoir des motifs qu'elle aurait invoquer antérieurement, et la question peut être considérée comme chose jugée. Cependant, cette interpré- tation du droit d'instituer d'autres enquêtes devrait être tenue pour incertaine jusqu'à ce qu'il existe une certaine jurispru dence relativement à cette disposition législative précise.
Pour les motifs déjà énoncés, je conclus que cet article 34 exclut la défense de res judicata dans le cadre restreint des articles auxquels il réfère.
Au soutien de son recours en vertu de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, le requérant prétend que le délai excessif écoulé entre le jugement sur la première enquête et l'insti- tution de la seconde (2 ans) constitue une violation de ses droits constitutionnels. Sans mentionner expressément l'article 11 de la Charte qui prévoit qu'un inculpé a le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, le requérant, sans doute conscient que cet article ne s'applique que dans les affaires cri- minelles et pénales, tente de relier cette notion à la garantie juridique prévue à l'article 7 de la Charte. Il s'appuie entre autres sur un arrêt récent de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Les États-Unis d'Amérique c. Alain Allard et Jean- Pierre Charette (jugement en date du 13 septem- bre 1984, C.S. Montréal, n°s 500-27-009036-841 et 500-27-009035-843, encore inédit) le juge Réjean Paul a rejeté une requête en extradition de deux ex-felquistes, considérant que le recours aux tribunaux canadiens 15 ans après la commission d'un crime et 5 ans après le retour au pays des deux intimés constituait à sa connaissance un déni de justice et violait, citant le juge Dubin dans l'affaire Young [R. v. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289 (C.A. Ont.), à la page 329]:
[TRADUCTION] ... ces principes fondamentaux de justice qui sous-tendent le sens du fair-play et des convenances de la société ...
Cet arrêt a fait l'objet d'un appel en Cour suprême et doit être entendu incessamment. Même si je comprends fort bien qu'on n'ait pas voulu permettre l'extradition des deux intimés après un si long laps de temps, je n'accepte pas les motifs invoqués par le savant juge pour justifier le rejet de cette requête en extradition.
Dans la présente cause, on n'a pas non plus tenté d'expliquer le délai de deux ans avant de déposer une deuxième demande d'enquête. Il est évident qu'à première vue, il peut paraître long au point de devenir déraisonnable. Cependant, on ne retrouve dans la Loi sur l'immigration de 1976 aucun devoir impératif d'agir dans un délai donné. L'arti- cle 27 impose à un agent d'immigration le devoir d'adresser un tel rapport s'il est en possession de renseignements prévus à cet article. Il aurait sans doute été souhaitable que l'administration procé- dât auparavant mais rien ne l'y forçait et on peut difficilement conclure que le délai est à ce point déraisonnable qu'il faille considérer qu'il consti- tuait une injustice à l'égard du requérant qui de toute façon, n'a subi entre temps aucun préjudice. Dans l'affaire Gill c. M.E.I., [1984] 2 C.F. 1025; (1985), 60 N.R. 241, le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale répondait [aux pages 1028 et 1029 C.F.; à la page 243 N.R.] ainsi à un requé- rant qui reprochait à l'Administration d'avoir tardé deux (2) ans à s'occuper de sa demande, en matière d'immigration:
Il se peut que l'obligation d'agir équitablement récemment dégagée, et imposée maintenant à l'administration, comporte celle de ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un angle plus positif, il se peut que l'obligation procédurale d'agir équita- blement comporte celle d'agir dans un délai raisonnable. Il ne s'ensuit nullement toutefois que l'inexécution de cette obliga tion justifie l'annulation de l'acte tardif lorsqu'enfin il a lieu. Sûrement le recours approprié doit consister à obliger à agir avec diligence plutôt qu'à annuler l'acte qui, bien que tardif, peut néanmoins être fondé.
Le requérant invoque enfin l'article 12 de la Charte à savoir que sa déportation au Liban cons- tituerait un traitement cruel et inusité vu la guerre civile qui y sévit. Cet argument ne saurait être retenu car le requérant n'a fait la preuve d'aucun traitement ou peine cruels et inusités qui pourrait lui être infligé. Par ailleurs, cet argument est prématuré et pourra être invoqué plus efficace- ment au moment le requérant risquera l'expulsion.
Il n'y a pas lieu dans les circonstances d'accor- der le recours recherché. L'économie générale de la Loi non seulement permet mais oblige les offi- ciers compétents à aviser le sous-ministre des informations prévues aux articles 20, 27 et 104 de la Loi et dont ils deviennent en possession.
En conséquence, la requête est rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.