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A-260-85
Agus Muliadi et Queen's Photo Finishing Ltd. (appelants)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré- taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: MULIADI c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.F.)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Stone et MacGuigan—Toronto, 4 février; Ottawa, 10 mars 1986.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Appel formé b l'encontre de la décision de la Division de première instance de refuser la délivrance de brefs de certiorari et de mandamus relativement au refus d'accorder la résidence permanente Demande de résidence permanente à titre d'en- trepreneur Au cours d'une entrevue avec un agent des visas, l'appelant a été informé que la décision de rejeter sa demande avait été prise par les autorités provinciales en raison d'une appréciation négative de son projet d'entreprise Appel accueilli Avant de statuer sur la demande, l'agent des visas aurait informer l'appelant de l'appréciation négative et lui donner la possibilité de la corriger ou de la réfuter Le fait qu'il incombe à l'appelant d'établir qu'il a le droit d'entrer au Canada ou que son admission ne contrevient ni à la Loi ni au Règlement ne décharge pas l'agent des visas de son obligation d'agir de manière équitable L'agent des visas a commis une erreur en déléguant son pouvoir décisionnel à un fonctionnaire du gouvernement de l'Ontario Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18 Loi sur l'immigra- tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 8(1), 9(2),(4) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) (mod. par DORS/79-851, art. 1), 8(1)c) (mod., idem, art. 2), 9b) (mod., idem, art. 3), 11(3) (mod. par DORS/81-461, art. 1).
Immigration L'agent des visas a rejeté une demande de résidence permanente présentée en qualité d'oentrepreneur» en se fondant sur une appréciation négative d'un projet d'entre- prise faite par un gouvernement provincial Une attention toute particulière a été portée à la question de .la création éventuelle d'emplois pour un nombre considérable de Cana- diens» La définition d'«entrepreneur» qui figure à l'art. 2(1) parle de création d'emplois «pour plus de cinq citoyens cana- diens» L'agent des visas a outrepassé sa compétence en prenant en compte une exigence ne faisant pas partie de la définition Il y a eu manquement au devoir d'agir équitable- ment parce que l'appelant n'a pas été informé de l'appréciation négative de son projet et n'a pas eu la possibilité de la corriger ou de la réfuter avant qu'il ne soit statué sur sa demande L'agent des visas a commis une erreur en déléguant son pouvoir décisionnel aux autorités provinciales Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) (mod. par DORS/79-851, art. 1), 8(1)c) (mod., idem, art. 2), 9b) (mod., idem, art. 3), 11(3) (mod. par DORS/81-461, art. 1) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 8(1), 9(2),(4).
Appel est interjeté du rejet par la Division de première instance d'une demande de brefs de certiorari et de mandamus relativement à la décision d'un agent des visas de rejeter la demande de résidence permanente de l'appelant. L'appelant détenait 40 % du capital-actions d'une concession de Japan Camera Centre qui a essuyé des pertes de 23 700 $ au cours des quatre premiers mois. La demande de résidence permanente a été traitée comme si l'appelant était un entrepreneur. Après avoir été informé du rejet de sa demande, il a envoyé une lettre d'avocat contenant des renseignements supplémentaires de façon que sa demande soit examinée à nouveau. L'appelant a obtenu une entrevue personnelle avec un agent des visas. Il a immédiatement été informé du rejet de sa demande en raison de l'appréciation négative reçue de la province de l'Ontario de son projet d'entreprise. On lui a dit que la décision avait été prise par les autorités provinciales. Les associés commerciaux de l'appelant n'étaient pas au courant de questions posées ou d'enquête effectuée au sujet de l'entreprise. La notification officielle de la décision de l'agent des visas indique que, entre autres choses, une attention toute particulière a été portée à la création éventuelle d'emplois pour un nombre considérable de Canadiens. L'appelant soutient que la Division de première instance a commis une erreur en rejetant la demande qu'il a présentée sur le fondement de l'article 18 parce que l'agent des visas est arrivé à sa décision en se fondant sur une appréciation négative de la province de l'Ontario sans lui offrir la possibilité de la corriger ou de la réfuter.
Arrêt: l'appel est accueilli.
La transmission à l'agent des visas de l'appréciation faite par la province de l'Ontario ne constitue pas en soi une erreur. L'appelant l'avait envisagée et même autorisée au moment il a présenté sa demande. Toutefois, l'agent des visas aurait informer l'appelant de l'appréciation négative et lui donner la possibilité de la corriger ou de la réfuter avant de prendre la décision à laquelle il était légalement tenu. Dans les circons- tances, et même si le cadre législatif ne lui donnait pas droit à une audition pleine et entière avant que la décision ne soit prise, on aurait lui fournir la possibilité de réfuter l'appréciation négative des autorités provinciales avant que l'agent des visas n'y donne suite. Le devoir d'agir équitablement s'étend à un cas comme celui-ci. Ainsi qu'on l'a dit dans l'arrêt In re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617 (H.L.), «même si un agent d'immi- gration n'agit pas à titre judiciaire ou quasi judiciaire ... de toute façon il doit donner à l'immigrant la possibilité de le convaincre qu'il satisfait aux exigences du paragraphe, et qu'il doit, à cette fin, communiquer à l'immigrant son impression initiale afin que celui-ci puisse la modifier». Même s'il incombe à l'immigrant d'établir qu'il a le droit de venir au Canada ou que son admission ne contrevient ni à la Loi ni au Règlement, cela ne décharge pas l'agent des visas de son obligation d'agir équitablement. Si l'appelant avait été informé de l'appréciation négative avant que le rejet de sa demande n'ait été décidé, il aurait peut-être pu convaincre l'agent des visas de la viabilité de son entreprise. Il aurait également pu dire à l'agent des visas que les autorités ontariennes n'avaient pas formulé de deman- des de renseignements ou pris contact avec les personnes com- pétentes. Il ne pouvait connaître le résultat du processus d'ap- préciation avant d'en être informé par l'agent des visas et à ce moment la décision de rejeter sa demande avait déjà été prise.
Deuxièmement, la preuve laisse fortement entendre que la décision de rejeter la demande de l'appelant a été prise par un fonctionnaire du gouvernement de l'Ontario et non par l'agent des visas. La décision sur la demande devait être prise par l'agent des visas et ne pouvait être déléguée. Il s'agissait d'une grave erreur.
Enfin, l'agent des visas était habilité à décider si l'appelant était un «entrepreneur» au sens de l'article 2 du Règlement. Toutefois, il devait s'en tenir strictement au libellé de la définition. Il a outrepassé sa compétence en portant une atten tion toute particulière à «la création éventuelle d'emploi pour un nombre considérable de Canadiens». L'article 2 parle de création d'emplois pour «plus de cinq citoyens canadiens» et non pour «un nombre considérable de Canadiens».
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.); /n re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617 (H.L.); Hui c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 96 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Marti- neau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Kane c. Conseil d'administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; Randolph, Bernard et al. v. The Queen, [ 1966] R.C.E. 157; Regina v. Gaming Board for Great Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [1970] 2 Q.B. 417 (C.A.).
AVOCATS:
Cecil L. Rotenberg, c.r., pour les appelants. Carolyn Kobernick pour les intimés.
PROCUREURS:
Cecil L. Rotenberg, c.r., Toronto, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Le présent appel découle d'une demande de résidence permanente au Canada que l'appelant a présentée conformément à la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] et son Règlement [Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172] d'application. Par suite du rejet de sa demande par l'agent des visas qui
l'avait examinée, l'appelant, conformément à l'ar- ticle 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], a demandé à la Divi sion de première instance [Muliadi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, T-689-84, encore inédit] de délivrer un bref de certiorari ainsi qu'un bref de mandamus. Cette demande a été rejetée le 14 février 1985, et le présent appel est formé à l'encontre de ce rejet.
L'appelant, qui réside en Indonésie, est dans ce pays en 1940. Sa demande de résidence perma- nente au Canada, datée du 12 octobre 1981, vise également sa femme et ses enfants. Dans cette demande, il a souligné qu'au Canada, il se propose de:
[TRADUCTION] Participer à l'établissement d'une concession de Japan Camera, sous la raison sociale QUEEN'S PHOTO FINIS HING ... Hamilton (Ont.) ...
En fait, l'appelant a investi 100 000 $ dans cette entreprise devenant ainsi propriétaire de 40 % des actions de la société en exploitation. Il lui a égale- ment prêté la somme additionnelle de 20 000 $. L'entreprise a commencé ses activités en octobre 1981 et, au 31 mars 1982, ses pertes d'exploitation s'élevaient à 23 700 $.
La demande de résidence permanente a été trai- tée comme si l'appelant faisait partie de la catégo- rie des entrepreneurs. Une formule intitulée «Lettre de non-opposition de l'entrepreneur», signée par l'appelant, était jointe à la demande. En voici un extrait:
[TRADUCTION] Je, soussigné, n'ai aucune objection à ce que mon nom, l'adresse à laquelle je compte m'installer au Canada et l'information concernant la nature de l'entreprise projetée soient communiqués aux autorités provinciales concernées.
Je prends note que les autorités provinciales ne feront qu'éva- luer la viabilité de mon projet d'entreprise et qu'elles en infor- meront le Haut-commissariat canadien à Singapour, qui déci- dera si ma demande de résidence permanente au Canada peut être acceptée.
Je prends également note que, si la demande de résidence permanente que j'ai présentée pour être considéré comme entre preneur est acceptée, le Haut-commissariat canadien pourra recommander à l'agent d'immigration du point d'entrée au Canada d'imposer les conditions suivantes:
que, dans les cinq mois et demi suivant l'octroi du droit d'établissement (permission de venir au Canada pour y éta- blir une résidence permanente),
(A) J'établisse une entreprise ou j'achète une participation importante dans une entreprise au Canada et qu'il en résulte des emplois pour plus de cinq citoyens canadiens ou résidents permanents, ou que cela permette à plus de cinq
citoyens canadiens ou résidents permanents de conserver leur emploi, et
(B) je participe à la gestion quotidienne de l'entreprise mentionnée dans la clause (A).
L'appelant a complété les documents justifica- tifs en faisant parvenir au Haut-commissariat canadien, Service de l'immigration à Singapour, qui était responsable de l'étude de la demande, une lettre datée du 12 décembre 1981 il écrit notamment:
[TRADUCTION] Je vous remercie de votre lettre du 11 novem- bre 1981 qui comprend 1 (une) pièce jointe—numéro de dossier B0103 2024-0 »LETTRE DE NON-OPPOSITION DE L'ENTREPRE- NEUR».
Je vous ai déjà fait parvenir cette lettre signée en même temps que ma demande complète de résidence permanente au Canada le 12 octobre 1981, que je renouvelle par les présentes.
Ainsi que je l'ai fait dans ma demande d'immigration du 12 octobre 1981, j'insiste sur le fait que j'ai déjà exploité au Canada une concession de Japan Camera Centre sous la raison sociale:
QUEEN'S PHOTO FINISHING COMPANY
999, rue Upper Wentworth Hamilton (Ont.) L9A 4X5
dont je suis le fondateur et l'actionnaire principal. Toutefois, comme je ne suis pas encore résident permanent au Canada, il m'est impossible de participer à la gestion quotidienne de la société; par conséquent, pour une période temporaire, je n'oc- cupe que le poste de vice-président.
QUEEN'S PHOTO FINISHING COMPANY emploie actuellement plus de 5 (cinq) Canadiens et en emploiera davantage dans un proche avenir. En plus de faire le commerce de matériel photographique, l'entreprise offre un service de tirage et de développement rapide des pellicules photographiques. Le maga- sin est situé dans le MAIL LIME RIDGE qui est l'un des plus achalandés du centre-ville de Hamilton. L'investissement total prévu est de 300 000 $ canadiens et nous prévoyons un chiffre d'affaires annuel de 500 000 $ canadiens.
Nos clients devraient être les personnes qui habitent près du mail ou qui le fréquentent. Notre société a à son service 1 (un) gérant qui possède plusieurs années d'expérience dans l'opéra- tion des machines et des équipements. Comme nous sommes concessionnaires de Japan Camera Centre, cette société nous prêtera assistance si c'est nécessaire.
J'ai l'intention d'étendre les activités de l'entreprise en mettant sur pied d'autres magasins dans d'autres localités ou lieux et j'emploierai alors un nombre croissant de Canadiens.
Si vous voulez en savoir davantage sur notre société, veuillez entrer en contact avec notre avocat:
M. Michael A. Heller
Avocat et notaire 239 est, rue Queen
Brampton (Ont.) L6W 2B6
Si vous désirez obtenir de plus amples renseignements concer- nant nos produits et nos services, veuillez communiquer avec le président de la société:
M. Lim, Tjong Khing
19, rue Leander
Bramalea (Ont.) L6S 3M#, Téléphone: (416) 453-3409
puisqu'il est la seule personne responsable de la compagnie et de sa gestion quotidienne jusqu'à ce que me soit accordé le statut de résident permanent.
Dans une lettre datée du 12 mars 1982, le Haut-commissariat canadien a informé l'appelant que sa demande avait été rejetée parce que, [TRA- DUCTION] «à l'heure actuelle, vous ne satisfaisez pas aux exigences en matière d'immigration». La lettre se poursuivait comme suit:
[TRADUCTION] Nous avons également porté une attention toute particulière à votre projet d'entreprise, aux capitaux disponibles, à votre compétence relativement à ces projets, à vos projets de participation dans l'entreprise, ainsi qu'à la création éventuelle d'emplois pour un nombre considérable de Canadiens.
Dans un post-scriptum, l'appelant était invité à fournir de la documentation et des renseignements supplémentaires s'il désirait que sa [TRADUCTION] «demande soit examinée à nouveau». Il s'est exé- cuté par lettre d'avocat datée du 10 juin 1982. Dans une lettre en date du 2 novembre 1982, le bureau du Haut-commissariat canadien à Singa- pour a transmis à l'avocat de l'appelant les rensei- gnements suivants concernant la demande:
[TRADUCTION] Après avoir reçu le projet d'entreprise de M. Muliadi, nous l'avons fait parvenir à la Ontario Small Business Operations Division afin qu'elle nous donne son avis sur la viabilité de ce projet. Nous avons été informés qu'elle est en train d'examiner le projet en question et qu'elle nous fera parvenir son point de vue dans un proche avenir.
Dès que nous aurons reçu l'appréciation de l'Ontario, et si la recommandation concernant son projet d'entreprise est favora ble, M. Muliadi pourra obtenir une entrevue personnelle à Djakarta ou à Singapour.
Il semble que, en temps voulu, l'agent des visas a reçu un télex d'un fonctionnaire du gouvernement provincial de l'Ontario. Le requérant a obtenu une entrevue avec M. A. Lukie (présumément l'agent des visas chargé de la demande) au bureau du Haut-commissariat canadien à Singapour. Ce qui a transpiré de cette entrevue fait l'objet de la preuve suivante contenue au paragraphe 3m) d'un affidavit fait par l'appelant le 25 février 1984 à l'appui de sa demande fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale:
[TRADUCTION] 3. ...
m) Lors de l'entrevue qui a eu lieu à Djakarta le 12 décembre 1982, M. Lukie m'a immédiatement informé que
ma demande était rejetée; pour expliquer ce rejet, il m'a montré un télex que lui avait fait parvenir ce que j'ai compris être la province de l'Ontario et dans lequel ma demande était rejetée. Je lui ai demandé pourquoi il m'avait convoqué à une entrevue s'il n'entendait pas faire une appréciation, et il a dit qu'il était sympathique à ma cause mais qu'il était désolé parce que, comme la décision avait été prise par les autorités qui avaient envoyé le télex, il ne pouvait rien faire. Pendant toute la demi-heure qui a suivi la communication du refus, il était clair que M. Lukie voulait que je lui parle de mon expérience dans le domaine des affaires. Je lui ai également confirmé le fait que l'entreprise en question employait plus de cinq employés, qu'elle était rentable et bien établie. Il n'a pas mis en doute mon expérience pour gérer cette entreprise ni ma bonne foi et la sincérité de mon intention de m'établir au Canada. L'entrevue m'a convaincu que ce n'est pas lui qui a pris la décision (ou qui a fait l'appréciation) mais plutôt la personne ou les autorités qui ont transmis le télex, et qu'il n'avait aucune autorité ou pouvoir discrétionnaire sur la question.
La décision de l'agent des visas, M. Lukie, a été notifiée formellement à l'appelant dans une lettre datée du 22 décembre 1982. Le corps de cette lettre reprend mot à mot la lettre susmentionnée du 12 mars 1982. Dans cette lettre, les raisons suivantes sont invoquées pour rejeter la demande.
[TRADUCTION] Nous avons le regret de vous informer que, à l'heure actuelle, vous ne satisfaisez pas aux exigences en matière d'immigration. Avant d'arriver à cette décision, nous avons révisé avec soin et avec sympathie tous les facteurs se rapportant à votre cas, en prenant en considération votre éducation et votre formation, votre âge, votre expérience, votre habileté à parler l'anglais ou le français, ou les deux, l'endroit vous voulez vous établir et la présence de proches parents résidant au Canada.
Nous avons également porté une attention toute particulière à votre projet d'entreprise, aux capitaux disponibles, à votre compétence relativement à ces projets, à vos projets de partici pation dans l'entreprise, ainsi qu'à la création éventuelle d'em-, plois pour un nombre considérable de Canadiens.
Au bas de cette lettre, se trouve la note suivante: [TRADUCTION] «transmission confidentielle: M. Cooper—voir votre dossier 1-1639p. Au sujet de cette note, voici ce qu'a dit l'appelant au paragra- phe 3n) de son affidavit:
[TRADUCTION] 3n) ... M. Rotenberg m'a informé et m'a convaincu que M. Cooper est un fonctionnaire , de l'organisme du gouvernement de l'Ontario
mentionné dans la lettre du 2 novembre 1982. M. Rotenberg est l'avocat de l'appelant en l'espèce. Au paragraphe 3q) de son affidavit, l'appelant affirme ce qui suit concernant les lettres de rejet de sa demande de résidence permanente au Canada.
[TRADUCTION] 3. ...
q) À la lumière des faits de la présente affaire et de l'entrevue que j'ai eue avec M. Lukie, j'étais tout à fait incapable de comprendre l'une ou l'autre des lettres de rejet. J'avais déjà clairement indiqué que non seulement l'entre- prise était saine et solidement implantée mais que, à ma connaissance, l'entreprise principale avait du succès, c'est-à- dire que «Japan Camera Centres» était une affaire intéres- sante et en expansion. Mes associés commerciaux canadiens m'ont également informé qu'à leur connaissance, aucune question n'a été posée et aucune enquête n'a été faite dans le but de déterminer la viabilité de notre entreprise. Personne du nom de Cooper ou de son bureau n'a pris contact avec mes associés commerciaux.
L'appelant n'a pas été contre-interrogé relative- ment à son affidavit, et l'intimé n'a pas déposé de documents contredisant l'une ou l'autre des décla- rations précédentes. Dans les circonstances, on peut à juste titre considérer qu'elles établissent certains des faits à partir desquels le présent appel doit être tranché.
La décision de l'agent des visas a été prise en vertu de certaines dispositions de la Loi sur l'im- migration de 1976 et du Règlement. Le terme «entrepreneur» est défini au paragraphe 2(1) du Règlement [mod. par DORS/79-851, art. 1] qui, à l'époque pertinente, prévoyait:
2. (1)...
«entrepreneur» désigne un immigrant qui a l'intention et est en mesure
a) d'établir une entreprise au Canada ou d'acheter une participation importante dans une entreprise au Canada,
(i) ce qui créera des emplois pour plus de cinq citoyens canadiens ou résidents permanents, ou
(ii) ce qui permettra à plus de cinq citoyens canadiens ou résidents permanents de conserver leur emploi, et
b) de participer à la gestion quotidienne de cette entreprise;
De plus, les alinéas 8(1)c) [mod., idem, art. 2], 9b) [mod., idem, art. 3] et le paragraphe 11(3) [mod. par DORS/81-461, art. 1] du Règlement se rap- portent à une demande dont l'auteur agit en qua- lité de membre de la catégorie des «entrepre- neur[s]». Ils disposaient, à l'époque pertinente:
8. (I) Afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, autres qu'une personne appartenant à la catégorie de la famille ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, seront en mesure de s'établir avec succès au Canada, un agent des visas doit apprécier cet immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint,
c) dans le cas d'un entrepreneur ou d'un candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf les facteurs visés aux articles 4 et 5 de cette annexe;
9. Lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne appartenant à la catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une demande de visa, l'agent des visas peut, sous réserve de l'article 11, lui délivrer un visa d'immigrant ainsi qu'aux personnes à sa charge qui l'accompagnent, si
b) suivant son appréciation selon l'article 8,
(i) dans le cas d'un immigrant, autre qu'un retraité ou un entrepreneur, il obtient au moins cinquante points d'appré- ciation, ou
(ii) dans le cas d'un entrepreneur ou d'un candidat d'une province, il obtient au moins vingt-cinq points d'apprécia- tion.
11. ...
(3) L'agent des visas peut
a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes
(1) ou (2), ou
b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,
s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de s'établir avec succès au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.
Les facteurs mentionnés à l'alinéa 8(1)c) sont les études, la préparation professionnelle spécifique, l'expérience, l'endroit, l'âge, la connaissance de l'anglais et du français, la personnalité et les parents.
Les admissions au Canada sont régies par la Partie II de la Loi. Concernant le fardeau de la preuve, le paragraphe 8(1) dispose:
8. (1) Il appartient à la personne désireuse d'entrer au Canada de prouver qu'elle a le droit d'y entrer ou que son admission ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements.
Les paragraphes 9(2) et (4) de la Loi se rapportent aussi aux demandes de résidence permanente. Ils prévoient:
9....
(2) Toute personne qui fait une demande de visa doit être examinée par un agent des visas qui détermine si elle semble
être une personne qui peut obtenir le droit d'établissement ou l'autorisation de séjour.
(4) L'agent des visas, qui constate que l'établissement ou le séjour au Canada d'une personne visée au paragraphe (1) ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements, peut lui délivrer un visa attestant qu'à son avis, le titulaire est un immigrant ou un visiteur qui satisfait aux exigences de la présente loi et des règlements.
L'appelant a invoqué plusieurs moyens à l'appui de son appel, mais j'estime qu'il suffit d'en exami ner trois. Suivant le premier moyen, la Division de première instance aurait commis une erreur en refusant de faire droit à sa demande fondée sur l'article 18 même si l'agent des visas, qui était arrivé à sa décision en se fondant sur une apprécia- tion défavorable de la province de l'Ontario, ne lui avait pas accordé au préalable la possibilité de la corriger ou de la réfuter. Du point de vue de la procédure, l'agent des visas, selon lui, était tenu d'agir équitablement (Nicholson c. Haldimand- Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602), ce qu'il n'a pas fait en agissant de la manière décrite précédemment.
La preuve non contredite contenue au paragra- phe 3m) de l'affidavit de l'appelant du 25 février 1984 indique que la demande a été rejetée à cause de l'appréciation négative de la province de l'Onta- rio. Cette appréciation est donc devenue un facteur crucial dans la décision de l'agent des visas. Il est également confirmé dans la lettre de la Commis sion datée du 25 janvier 1983 que l'appelant a été informé de cette décision lors de l'entrevue de décembre 1982.
En rejetant la demande fondée sur l'article 18, le juge de première instance a fait les commentai- res suivants aux pages 9 et 10 de ses motifs de jugement:
Les renseignements et l'avis fournis par des autorités provin- ciales doivent ensuite être examinés et appréciés par l'agent des visas avec tout autre renseignement dont il peut disposer relati- vement au requérant et à son projet d'entreprise. En l'espèce, l'agent des visas disposait d'informations contradictoires. D'une part, le ministère de l'Industrie de l'Ontario avait exprimé l'avis que l'entreprise proposée n'était pas viable. D'autre part, le requérant avait fourni à cet agent des renseignements selon lesquels l'entreprise était en marche à Hamilton et devrait réussir malgré certaines pertes financières. Se fondant sur ces
informations et sur d'autres informations touchant le requérant, l'agent des visas était d'avis que le nombre des points d'appré- ciation obtenus par le requérant ne reflétait pas ses chances de s'établir avec succès au Canada. Il ressort clairement des lettres traitant du rejet de sa demande que l'agent des visas a consi- déré que M. Muliadi ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi et du Règlement et il ne s'est pas fondé uniquement sur son projet d'entreprise.
Je note en passant que rien dans le dossier n'indique que l'appelant n'a pas réussi à accumuler vingt-cinq points ou qu'il a été apprécié selon le système des points d'appréciation. De plus, l'avo- cat des intimés n'a pas tenté d'étayer la décision contestée en soutenant qu'en rendant celle-ci, l'agent des visas exerçait un pouvoir discrétion- naire. En fait, ce point de vue a été expressément rejeté au cours des plaidoiries; on a plutôt soutenu que l'appelant n'était pas admissible en qualité d'«entrepreneur» au sens de la définition et que c'est ainsi que devait être comprise la lettre de rejet.
Pour en revenir à la question de l'appréciation faite par la province de l'Ontario, je ne considère pas que sa transmission à l'agent des visas consti- tue en soi une erreur. En fait, l'appelant l'avait envisagée et même autorisée au moment il a présenté sa demande et par la suite. Toutefois, j'estime qu'avant de statuer sur la demande et de prendre la décision à laquelle il était légalement tenu, l'agent aurait informer l'appelant de l'ap- préciation négative et lui donner la possibilité de la corriger ou de la réfuter. Je pense que c'est du même type de possibilité dont parlait la Chambre des lords dans Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179, dans cet extrait souvent cité des motifs du lord chancelier Loreburn, à la page 182:
[TRADUCTION] Il peut obtenir des renseignements de la manière qu'il juge la meilleure, en donnant toujours aux parties engagées dans la controverse une possibilité suffisante de corri- ger ou de contredire toute déclaration pertinente portant préju- dice à leur cause.
Ces propos s'appliquent en l'espèce même si la tenue d'une audition pleine et entière n'était pas envisagée. (Kane c. Conseil d'administration (Uni- versité de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, la page 1113; voir également Ran- dolph, Bernard et al. v. The Queen, [ 1966] R.C.É. 157, la page 164.)
Pour décider si l'appelant a bénéficié d'un trai- tement équitable en matière de procédure, il est
nécessaire d'examiner le cadre législatif à partir duquel l'agent des visas devait trancher la ques tion. Nulle part dans ces dispositions législatives ne trouve-t-on de règle prescrivant qu'une audition orale pleine et entière doit avoir lieu avant que ne soit rendue une décision. En fait, on ne prévoit même pas la tenue d'une entrevue sauf dans les circonstances limitées prévues au facteur neuf de la colonne I de l'annexe I, qui est édicté en vertu de l'alinéa 8(1)c) du Règlement:
Des points d'appréciation sont attribués au requérant au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les person- nes à sa charge sont en mesure de s'établir avec succès au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa moti vation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.
Par ailleurs, je ne crois pas que cela suffise à régler la question. Il est vrai que l'appelant n'était pas autorisé à entrer au Canada et qu'il n'avait pas droit à une audition pleine et entière de sa demande. Il devait d'abord convaincre l'agent des visas qu'en s'établissant ou en entrant au Canada il ne contrevenait ni à la Loi ni au Règlement et le persuader de lui accorder un visa. C'est ce qu'il a vainement tenté de faire. Parce que le sort de sa demande en dépendait, j'estime que, dans les cir- constances et même s'il n'avait pas droit à une audition pleine et entière, on aurait lui donner la possibilité de réfuter l'appréciation négative des autorités provinciales avant que l'agent des visas n'y donne suite. Le devoir d'agir équitablement s'étend à un cas comme celui-ci. En cela, je sous- cris aux vues qu'a exprimées lord Parker, juge en chef, dans l'arrêt In re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617, la page 630:
[TRADUCTION] Le présent cas est à mon sens très différent, et je doute que l'on puisse dire que les autorités de l'immigration remplissent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires au sens ces termes sont généralement entendus. Par ailleurs, même si un agent d'immigration n'agit pas à titre judiciaire ou quasi judiciaire, je pense que de toute façon il doit donner à l'immi- grant la possibilité de le convaincre qu'il satisfait aux exigences du paragraphe, et qu'il doit, à cette fin, communiquer à l'immi- grant son impression initiale afin que celui-ci puisse la modifier. A mon sens, il ne s'agit pas de savoir si l'on agit ou si l'on est requis d'agir de façon judiciaire, mais de l'obligation d'agir de manière équitable. A mon avis, une saine administration de la justice et une décision honnête ou de bonne foi n'exigent pas seulement que l'on fasse preuve d'impartialité ou que l'on examine le problème, mais que l'on agisse de manière équitable; et dans la mesure le permettent les circonstances de chaque cas particulier, et dans les limites du cadre législatif auquel est assujetti l'administrateur, et seulement dans cette mesure, les règles dites de justice naturelle s'appliquent-elles. Dans un cas
comme celui-ci, elles commandent uniquement d'agir de manière équitable. [C'est moi qui souligne.]
Je pense que cet énoncé de principe, qui a été unanimement approuvé par la Cour d'appel d'An- gleterre (composée de lord Denning, maître des rôles, et des lords juges Wilberforce et Phillimore) dans l'arrêt Regina v. Gaming Board for Great Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [1970] 2 Q.B. 417, à la page 430, s'applique en l'espèce.
Les intimés soutiennent en outre que la Loi imposant à l'appelant le fardeau de la preuve, nous sommes en présence d'une situation différente; selon eux, ce dernier n'a pas réussi à se libérer de ce fardeau. Avec déférence, je ne crois pas que l'existence de ce fardeau ait déchargé l'agent des visas de son obligation d'agir de manière équitable. L'appelant a effectivement fourni certains rensei- gnements, mais il s'agissait d'une entreprise nou- vellement établie et en pleine évolution. Je crois qu'il a agi de manière raisonnable en fournissant aux autorités un moyen d'obtenir des renseigne- ments à jour aux fins de l'appréciation. Dans sa lettre du 12 décembre 1981, il s'est donné la peine de fournir des renseignements supplémentaires relatifs au statut de l'entreprise, allant même jus- qu'à indiquer le nom du procureur et celui de la personne chargée «de [la] gestion quotidienne» et de qui pouvaient être obtenus en Ontario de plus amples «renseignements» sur la société et sur ses activités. Malgré cela, ainsi qu'il l'a appris par la suite, «aucune question n'a été posée et aucune enquête n'a été faite» sur l'entreprise avant qu'elle ne soit appréciée, et aucun fonctionnaire du gou- vernement provincial n'a pris contact avec les asso- ciés commerciaux de l'appelant avant que l'appré- ciation négative soit faite et soit soumise à l'agent des visas. Si l'appelant en avait été informé avant que le rejet de sa demande n'ait été décidé, il aurait peut-être pu examiner la question, et il n'est pas impossible, convaincre l'agent des visas de la viabilité de l'entreprise. Il aurait également pu dire à l'agent des visas que les autorités ontariennes n'avaient pas formulé de demandes de renseigne- ments ou pris contact avec les personnes compéten- tes. Il ne pouvait connaître le résultat du processus d'appréciation avant d'en être informé par l'agent des visas en décembre 1982. À ce moment, la décision de rejeter sa demande en raison de l'ap- préciation défavorable avait déjà été prise.
Deuxièmement, la preuve qui nous a été soumise laisse fortement entendre que la décision de rejeter la demande de l'appelant a été prise par un fonc- tionnaire du gouvernement de l'Ontario et non par l'agent des visas. Cette preuve ressort du paragra- phe 3m) de l'affidavit de l'appelant daté du 25 février 1984. Il se rapporte à ce qui s'est produit pendant l'entrevue de l'appelant avec l'agent des visas, en décembre 1982. L'appelant y déclare:
M. Lukie m'a immédiatement informé que ma demande était rejetée; pour expliquer ce rejet, il m'a montré un télex que lui avait fait parvenir ce que j'ai compris être la province de l'Ontario et dans lequel ma demande était rejetée. Je lui ai demandé pourquoi il m'avait convoqué à une entrevue s'il n'entendait pas faire une appréciation, et il a dit qu'il était sympathique à ma cause mais qu'il était désolé parce que, comme la décision avait été prise par les autorités qui avaient envoyé le télex, il ne pouvait rien faire ... L'entrevue m'a convaincu que ce n'est pas lui qui a pris la décision (ou qui a fait l'appréciation) mais plutôt la personne ou les autorités qui ont transmis le télex, et qu'il n'avait aucune autorité ou pouvoir discrétionnaire sur la question. [C'est moi qui souligne.]
Ainsi que je l'ai déjà mentionné, cette preuve n'a été contredite en aucune manière par les intimés.
Il va sans dire que la décision sur la demande devait être prise par l'agent des visas et qu'elle ne pouvait être déléguée de la manière précédemment décrite. Il semble que l'agent a permis qu'elle soit prise par le fonctionnaire de l'Ontario de qui il a reçu les renseignements relatifs à la viabilité du projet d'entreprise de l'appelant. Bien qu'il ait été habilité à recevoir des renseignements de cette source sur ce sujet, il n'en demeure pas moins qu'il avait le devoir de trancher la question conformé- ment à la Loi et au Règlement. Il a donc commis une grave erreur en permettant que la décision soit prise par le fonctionnaire du gouvernement de l'Ontario au lieu de la rendre lui-même ainsi qu'il devait le faire. Cela étant, je pense que l'appel doit également être accueilli sur ce moyen.
Il y a une autre raison pour laquelle le présent appel doit, à mon avis, être accueilli. Bien que la lettre datée du 22 décembre 1982 dans laquelle la décision litigieuse est annoncée soit rédigée en des termes si vagues qu'il est à peu près impossible de connaître le ou les motifs précis sur lesquels elle se fonde, le vrai motif du rejet de la demande est ressorti clairement au cours de l'audition du pré- sent appel; il est exposé aux paragraphes 13, 14 et 18 de l'exposé des faits et du droit des intimés:
[TRADUCTION] 13. Il est allégué que pour être apprécié en qualité d'entrepreneur, l'appelant doit satisfaire aux exigences prescrites à la définition énoncée à l'article 2 du Règlement.
14. Il est allégué que, aux termes de cette définition, l'entrepre- neur doit avoir l'intention et être en mesure «d'établir une entreprise au Canada ou d'acheter une participation importante dans une entreprise au Canada ... ce qui permettra à plus de cinq citoyens canadiens ou résidents permanents de conserver leur emploi.»
18. Il est allégué que la viabilité d'un projet d'entreprise dans la province de l'Ontario est l'un des critères sur lesquels peut se fonder un agent des visas pour apprécier s'il a été satisfait aux exigences que prévoient le Règlement relativement à la défini- tion du terme «entrepreneur». L'agent des visas à l'étranger obtient en fait une appréciation ponctuelle sur un aspect de la demande ne relevant pas de sa sphère de compétences.
Il ne fait aucun doute que l'agent des visas était tout à fait habilité à décider si l'appelant était un «entrepreneur» au sens de l'article 2 du Règlement. Mais pour arriver à cette décision, il devait s'en tenir strictement au libellé de la définition et ne pas s'en éloigner. Il me semble avoir commis une erreur à cet égard. Cette erreur ressort manifeste- ment de sa lettre du 22 décembre 1982 puisqu'il y est déclaré qu'il a porté une attention toute parti- culière, entre autres choses, à «la création éven- tuelle d'emplois pour un nombre considérable de Canadiens» (c'est moi qui souligne). En toute défé- rence, j'estime que le libellé de la définition ne prévoit pas une telle exigence. Relativement à la création d'emplois, elle exige uniquement que l'im- migrant «[ait] l'intention et [soit] en mesure».
2. (1) ...
a) d'établir une entreprise au Canada ou d'acheter une
participation importante dans une entreprise au Canada,
(i) ce qui créera des emplois pour plus de cinq citoyens canadiens ou résidents permanents, ou
(ii) ce qui permettra à plus de cinq citoyens canadiens ou résidents permanents de conserver leur emploi ...
Il est clair que rien dans le libellé de cette disposi tion n'exige que soient créés des emplois pour «un nombre considérable de Canadiens». Dans sa lettre du 12 décembre 1981, l'appelant a informé les autorités que la compagnie «emploie actuellement plus de 5 (cinq) Canadiens et en emploiera davan- tage dans un proche avenir». Son intention sem- blait être d'ouvrir un second établissement dans la région de Toronto, ce qui nécessiterait l'embauche de personnel supplémentaire, puisqu'il est déclaré, dans la lettre que son avocat a rédigée en date du 10 juin 1982:
[TRADUCTION] Le deuxième établissement devrait employer un nombre d'employés au moins égal et peut-être même supérieur à celui de Hamilton ... Sur cette base, il devrait y avoir, outre M. Muliadi, 3 employés à temps plein et 3 employés perma nents à temps partiel.
Il me semble qu'en exigeant de l'appelant de prouver qu'il avait l'intention et qu'il était en mesure de créer des emplois «pour un nombre considérable de Canadiens» (quoi que cela veuille dire), l'agent des visas a outrepassé sa compétence et, pour cette raison également, sa décision ne peut être maintenue. A mon avis, le présent cas est visé par la décision qu'a rendue la présente Cour, le 3 mars 1986, dans la cause Hui c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [[1986] 2 C.F. 96 (C.A.)] (n° du greffe A-362-85). Dans cette affaire, la décision d'un agent des visas a été annulée et la question lui a été renvoyée pour réexamen au motif qu'il avait outrepassé sa com- pétence en introduisant dans la définition du terme «entrepreneur» un élément n'en faisant pas partie.
Compte tenu de ce qui précède, je ne peux souscrire à la décision rendue en première ins tance. Je pense qu'il s'agit d'un cas peut être accordé le redressement demandé. J'accueillerais donc le présent appel avec dépens en cette Cour et en première instance et j'ordonnerais que soit annulée la décision prise par les intimés ou par l'un ou plusieurs de leurs fonctionnaires, telle qu'énon- cée dans la lettre transmise par le Haut-commissa riat canadien en date du 22 décembre 1982, et que les intimés et leurs fonctionnaires examinent et traitent la demande de résidence permanente au Canada de l'appelant conformément à la Loi sur l'immigration de 1976 et à son Règlement d'appli- cation en tenant pour acquis que la capacité de créer des emplois pour un nombre considérable de Canadiens n'est pas nécessaire pour conférer à un requérant la qualité d'entrepreneur au sens de la définition applicable, et que l'appelant a droit à la possibilité raisonnable de contredire, de rectifier ou de réfuter l'appréciation faite par la province de l'Ontario de son projet d'entreprise avant que ne soit tranchée sa demande, et en tenant également pour acquis que la décision doit être prise par un agent des visas et non par toute personne qui lui fournit des renseignements.
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: J'y souscris également.
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