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A-1927-83
Ellerman Lines Ltd. (appelante) (demanderesse) c.
Gibbs, Nathaniel (Canada) Ltd., American Moto rists Insurance Company, American Manufactu rers Mutual Insurance Company, Lumbermens Mutual Casualty Company, Fidelity Life Associa tion, Federal Mutual Insurance Company, Tetley Inc., Atlantic Mutual Insurance Co., et Centennal Insurance Company (intimées) (défenderesses)
RÉPERTORIÉ: ELLERMAN LINES LTD. c. GIBBS, NATHANIEL (CANADA) LTD. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Stone et Lacombe— Montréal, 10 mars; Ottawa, 10 avril 1986.
Droit maritime Avaries communes Un contrat d'affrè- tement prévoyait le transport de marchandises à Toronto Le navire, qui avait besoin de réparations, est demeuré à Montréal plus longtemps que prévu Les marchandises ont été livrées à Montréal Le juge de première instance a décidé que les circonstances ne justifiaient pas une déclaration d'avarie com mune car la cargaison et le navire n'avaient jamais été en péril Appel rejeté Les Règles d'York et d'Anvers 1974 s'ap- pliquent à l'espèce L'intimée n'est pas tenue de contribuer à l'avarie commune ll découle de la Règle Xlb) qu'il y avait une situation d'avarie commune à Montréal puisque les répa- rations aux machines étaient «nécessaires pour la poursuite en sécurité du voyage» L'absence d'éléments de preuve concer- nant la cause des dommages subis empêche l'application de la réserve de la Règle Xlb) Examen de jugements américains et britanniques La livraison de la cargaison a rompu de façon permanente le lien entre la cargaison et le navire Les dépenses engagées après la livraison ont été engagées pour le salut du navire seulement Règles d'York et d'Anvers 1974, Règles A, Xlb) Règles d'York et d'Anvers 1950, Règles A, Xb), Xlb).
Appel est interjeté en l'espèce d'une décision de la Division de première instance ([1984] 1 C.F. 411) rendue sur exposé de cause. Il s'agit d'une action pour contribution dans une avarie commune. Les marchandises de l'intimée ont été chargées à bord du navire de l'appelante en Inde afin d'être livrées à Toronto. Le départ du navire de Montréal a été retardé parce que des réparations ont di) être apportées à ses machines principales. Les dommages ont été découverts après l'arrivée du navire au port de Montréal. L'intimée a obtenu la livraison de la cargaison à Montréal au moyen d'une injonction. Le juge de première instance a été appelé à trancher les questions de savoir s'il existait une avarie commune immédiatement après la livrai- son de la cargaison et si les défenderesses avaient l'obligation de contribuer à l'avarie commune pour les dépenses engagées après le déchargement de la cargaison mais avant l'arrivée du navire à Toronto. Il a rejeté l'action, jugeant que les circons- tances ne justifiaient pas une déclaration d'avarie commune puisque la cargaison et le navire n'avaient jamais été en péril. Il
a conclu que, même si les conditions d'avarie commune avaient existé, les propriétaires de la cargaison étaient pleinement justifiés d'exiger que celle-ci soit déchargée à Montréal sur paiement du fret pour la totalité du voyage. Ils ne pouvaient être légalement appelés à contribuer pour des dépenses enga gées subséquemment.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Stone (avec l'appui du juge Lacombe): Les intimées ne sont pas tenues de contribuer à l'avarie commune.
Le contrat d'affrètement prévoyait le règlement des avaries communes «conformément aux Règles de York et d'Anvers de 1974». Il ressort clairement que les parties voulaient que ces Règles s'appliquent afin de déterminer s'il était survenu une situation d'avarie commune et, dans l'affirmative, d'établir les montants respectifs que serait tenue de contribuer chacune d'elles. Les intimées soutiennent que les parties ont admis à l'audition que les Règles n'étaient d'aucune utilité et qu'on pouvait y passer outre. Cette entente n'a été conclue qu'après que les parties eurent modifié la question posée dans l'exposé de cause en y ajoutant les mots «immédiatement après la livraison de la cargaison». Il n'était pas nécessaire de consulter les Règles afin de déterminer si cette situation s'était poursuivie après la livraison de la cargaison. Les parties ont convenu de ne pas introduire d'éléments de preuve relativement aux Règles, ce qui ne revient pas à dire qu'il faut faire abstraction de celles-ci lorsque, manifestement, elles font partie du contrat. Les Règles doivent s'appliquer afin de déterminer si une situation d'avarie commune est survenue avant que la cargaison n'ait été livrée. Si une telle situation est survenue, il doit être décidé si celle-ci existait encore immédiatement après la livraison de la cargaison.
Les Règles d'York et d'Anvers 1974 portent qu'à l'exception de ce qui est prévu par les Règles numérotées, l'avarie com mune doit être réglée conformément aux Règles précédées de lettres. La Règle A déclare qu'il y a acte d'avarie commune quand, intentionnellement, une dépense extraordinaire est encourue dans le but de préserver d'un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime commune. La Règle XIb) prévoit l'admissibilité de certaines dépenses en avarie commune lorsqu'un navire est retenu dans un port par suite d'un accident, sacrifice ou autres circonstances extraordinaires pour permettre une réparation nécessaire à la poursuite du voyage en sécurité. Le juge de première instance n'a pas abordé la question sous l'angle des Règles, considérant que l'entente conclue par les parties à l'instruction l'en empêchait.
Il y avait situation d'avarie commune à Montréal conformé- ment à la Règle XIb). Rien au dossier n'indique la raison des dommages subis, si ces dommages ont été découverts «sans qu'aucun accident ou autre circonstance extraordinaire» en rapport avec ces avaries «se soient produits au cours du voyage». L'absence d'éléments de preuve concernant la cause des dom- mages subis laisse supposer qu'en posant la question formulée à l'exposé de cause, il est possible que les parties aient présumé qu'une situation d'avarie commune existait en raison de l'arrêt du navire et de la nécessité d'effectuer des réparations pour la poursuite du voyage en sécurité. L'on ne peut affirmer, à la lumière du dossier, que les dommages subis par les machines relèvent de la réserve de la Règle XIb) (selon laquelle les dépenses visées ne seront pas admises en avarie commune si les avaries sont découvertes dans un port sans qu'aucun accident
ou autre circonstance extraordinaire se soient produits au cours du voyage). En outre, la réparation des machines à Montréal était «nécessaire pour la poursuite en sécurité du voyage» jusqu'à Toronto. Il s'ensuivrait normalement que les intimées doivent contribuer à l'avarie commune à l'égard des dépenses extraordinaires même si ces dernières ont été engagées ultérieu- rement. Cependant, les circonstances ont changé par suite de la livraison de la cargaison. Les intimées ont payé le plein fret à Toronto avant de prendre livraison de la cargaison à Montréal. En Angleterre, il a été jugé que les propriétaires de la cargaison retirée d'un navire échoué afin de la mettre en sécurité ne sont pas tenus de contribuer à l'avarie commune à l'égard des dépenses engagées par la suite à moins que l'on puisse dire que ce retrait faisait partie d'une seule opération continue visant à sauver tant le navire que la cargaison et non la cargaison seulement. Bien que nous ne soyons pas en présence d'un cas d'échouement, les intimées soutiennent qu'elles sont visées par ce principe en ce que la cargaison se trouvait dans un endroit elle était en sûreté au moment les dépenses ont été engagées et parce que la livraison n'a pas été effectuée aux fins de sauver le navire et la cargaison. Du fait de sa livraison, la cargaison a quitté le contrôle du propriétaire du navire pour tomber sous la garde et le contrôle des intimées. Cette opération a eu pour effet juridique de rompre de façon permanente le lien entre la cargaison et le navire et de mettre fin à l'aventure commune. Les dépenses engagées après cette rupture n'ont pas été enga gées pour le salut commun du navire et de la cargaison, mais plutôt pour le salut du navire seulement. Rien dans les Règles ou dans le contrat n'obligeait les intimées à contribuer à l'avarie commune à l'égard de ces dépenses.
Le juge Pratte (motifs concourants): Bien que les faits ne suffisent pas à étayer la conclusion suivant laquelle, en vertu des Règles d'York et d'Anvers 1974, il y avait situation d'avarie commune au moment il a été découvert que les machines étaient endommagés, les intimées n'avaient aucunement l'obli- gation de contribuer à l'avarie commune à l'égard des dépenses engagées après qu'elles ont reçu livraison de leur cargaison.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Eagle Terminal Tankers, Inc. v. Ins. Co. of USSR, 1981 A.M.C. 137 (2d Cir. 1981); The «Julia Blake», 107 U.S. 418 (1882); Domingo de Larrinaga, 1928 A.M.C. 64 (S.D.N.Y. 1927); Royal Mail Steam Packet Company v. English Bank of Rio de Janeiro (1887), 19 Q.B.D. 362.
DÉCISIONS CITÉES:
Job v. Langton (1856), 6 EP. & BP. 779; 119 E.R. 1054 (K.B.); Bedford Commercial Insurance Company v. Parker et al., 2 Pick. I; 19 Mass. 1 (1823); Pacific Mail Steamship Co. v. New York, H. & R. Min. Co., 74 Fed. 564 (2d Cir. 1896); Walthew v. Mavrojani (1870), L.R. 5 Ex. 116; McAndrews v. Thatcher, 3 Wall. 347 (1865), (S.C.).
AVOCATS:
Sean Harrington pour l'appelante (demande- resse).
Vincent M. Prager pour les intimées (défende- resses).
PROCUREURS:
McMaster, Meighen, Montréal, pour l'appe- lante (demanderesse).
Stikeman, Elliott, Montréal, pour les inti- mées (défenderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai eu l'avantage de pouvoir lire les motifs de jugement rédigés par mon collè- gue le juge Stone. Bien que je ne sois pas con- vaincu que les faits divulgués dans l'exposé de cause suffisent à étayer sa conclusion suivant laquelle, en vertu des Règles d'York et d'Anvers 1974, [British Shipping Laws, Volume 7, The Law of General Average and the York -Antwerp Rules, dixième édition] il y avait situation d'avarie com mune le 14 avril 1976, je suis d'accord avec son autre conclusion selon laquelle, quoi qu'il en soit, les intimées n'avaient aucunement l'obligation de contribuer à l'avarie commune à l'égard des dépen- ses engagées après qu'elles ont reçu livraison de leur cargaison.
Par conséquent, je trancherais le présent appel de la manière proposée par le juge Stone.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté en l'espèce d'une décision de la Division de première instance [[1984] 1 C.F. 411] rendue sur exposé de cause conformément à la Règle 475 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Il s'agit d'une action pour contribution dans une avarie commune. Bien que le montant en litige ne soit pas élevé, on nous affirme que des questions de principe importantes se posent.
Les faits
Les faits essentiels peuvent être énoncés briève- ment. En 1976, l'appelante, à titre de transporteur, et la première intimée, à titre de chargeur, ont conclu un contrat d'affrètement en vue du trans port par mer de marchandises, les autres intimées
détenant un intérêt dans la cargaison en qualité d'assureurs ou en quelque autre capacité. Les mar- chandises, des noix de cajous, ont été chargées à bord du navire City of Colombo dans le port de Cochin en Inde afin d'être livrées au port de Toronto, conformément à plusieurs connaisse- ments datés des 17, 18 et 19 février 1976. Les clauses suivantes figurent sur chacun des connais- sements:
28. AVARIES COMMUNES. Les avaries communes seront réglées conformément aux Règles de York et d'Anvers de 1974 et, en cas de lacunes de celles-ci, selon les règles de pratique des experts répartiteurs anglais; toutefois, la perte d'animaux vivants ou les blessures subies par ceux-ci à la suite de jet à la mer ou d'une autre façon ne sont pas indemnisables. Les règlements seront établis au port que choisira le transporteur. Si le transporteur possède et exploite un bâtiment de sauvetage, l'indemnité de sauve- tage devra être payée en totalité exactement comme si ledit ou lesdits bâtiments de sauvetage appartenaient à des tiers. Les chargeurs, les consignataires et les propriétaires des marchandises devront, s'il y a lieu, verser au transpor- teur, avant la livraison, une somme que le transporteur ou ses représentants jugeront suffisante pour couvrir la contri bution des marchandises, l'indemnité de sauvetage et les frais qui s'y rattachent. Toutefois, la clause suivante s'ap- pliquera lorsqu'un règlement d'avarie sera effectué selon le droit ou les règles de pratique des États-Unis d'Amérique ou de tout autre pays dont les règles de droit ou de pratique sont équivalentes.
[TRADUCTION] CLAUSE JASON MODIFIÉE.
a) En cas d'accident, de danger, de dommages ou de sinistre avant ou après le début de la traversée, pour quelque cause que ce soit, du fait ou non d'une négligence, desquels ou des conséquences desquels le transporteur n'est pas respon- sable en vertu de la loi, du contrat ou autrement, les marchandises, les chargeurs, les consignataires ou les pro- priétaires des marchandises contribueront avec le transpor- teur aux avaries communes pour le paiement de tout sacrifice, perte ou dépense, entrant dans le cadre des avaries communes, qui pourront survenir, et paieront l'in- demnité de sauvetage et les frais particuliers engagés à l'égard des marchandises.
b) Si le transporteur possède et exploite un bâtiment de sauvetage, l'indemnité de sauvetage devra être payée en totalité exactement comme si ledit ou lesdits bâtiments de sauvetage appartenaient à des tiers. Les marchandises, les chargeurs, les consignataires et les propriétaires des mar- chandises devront, s'il y a lieu, verser au transporteur, avant la livraison, une somme que le transporteur ou ses représentants jugeront suffisante pour couvrir la contribu tion des marchandises, l'indemnité de sauvetage et les frais particuliers qui s'y rattachent.
D'autres cargaisons ont été transportées à bord du navire depuis certains ports d'Extrême-Orient et d'Afrique jusqu'à des ports de l'Est du Canada, notamment celui de Montréal.
Le navire est arrivé au port de Montréal le 10 avril. Il devait lever l'ancre en direction des ports de Toronto et d'Hamilton le 24 avril. Son départ a toutefois été retardé jusqu'au 2 juillet et, lorsqu'il est effectivement parti, il ne restait plus aucune cargaison à bord. Le retard a été causé par les réparations qui ont être apportées aux machines principales du navire par suite de dommages découverts le 14 avril. Dans les différents exposés de fait et de droit produits par les parties aux présentes procédures, ces dommages sont décrits comme étant [TRADUCTION] «graves» et «considé- rables». L'exposé de cause, ainsi qu'il a été modifié à l'instruction, renferme la description suivante des événements qui ont suivi la découverte des domma- ges en question:
[TRADUCTION] 12. Moyennant une indemnité, les autres propriétaires de la cargaison chargée à bord dudit navire en route pour Toronto, etc., ont conclu une entente par laquelle ils acceptaient que leurs marchandises soient déchargées à Montréal et acheminées à leur port de déchargement respectif autrement que par le City of Colombo; toutefois, une telle entente n'a pas été conclue avec les défenderesses;
13. Dans une lettre datée du 26 avril 1976, la demande- resse a informé les défenderesses, par l'intermédiaire des répartiteurs d'avaries qu'elle avait engagés, qu'il faudrait environ un mois et demi pour effectuer les réparations. La demanderesse a offert d'abréger le délai en expédiant la cargaison de Montréal à Toronto par un autre moyen de transport, à la condition toutefois que les défenderesses produisent comme garantie additionnelle au compromis d'avarie une «convention de non-séparation» dont voici le texte:
CONVENTION DE NON -SEPARATION:
Il est convenu que, dans l'éventualité la cargaison du navire ou une partie de celle-ci serait expédiée à sa destination initiale dans un autre navire ou par un autre moyen de transport, il n'y aura pas moins lieu à contribution aux avaries communes, l'objectif étant de mettre, dans la mesure du possible, les parties concer- nées dans la même situation à cet égard que celle dans laquelle elles se seraient trouvées en l'absence d'une telle expédition de la cargaison et si le navire originel avait poursuivi l'aventure aussi longtemps que permis en vertu du droit applicable ou du contrat d'affrète- ment. La contribution à l'avarie commune des biens concernés devra être établie sur la base de leur valeur au moment de leur livraison au lieu de destination initial à moins qu'on ne les ait vendus ou qu'on en ait disposé autrement avant l'arrivée à destination; toute- fois, si aucune partie de la cargaison n'est expédiée par le navire, la contribution des biens concernés devra être établie sur la base de leur valeur réelle au moment le déchargement de la cargaison sera terminé.
Les défenderesses ont offert une garantie sous la forme d'un compromis d'avarie mais ont toutefois refusé de souscrire à la convention de non-séparation et ont exigé la livraison de la cargaison à Montréal. La demanderesse a refusé de livrer la cargaison à Montréal plutôt qu'à Toronto et avait en outre l'intention d'exercer un droit de rétention sur la cargaison afin de garantir sa réclamation de contribution pour avarie commune. Aussi, le 17 mai 1976, Gibbs, Nathaniel (Canada) Ltd. a intenté une action devant la Cour fédérale du Canada, sous le numéro de greffe T-1896-76, dans laquelle elle sollicitait notamment une injonction ordonnant à Ellerman Lines Ltd. de livrer la cargaison à Montréal en échange seulement d'une garantie pour avaries communes n'incluant pas la conven tion de non-séparation.
Le même jour, l'honorable juge Walsh a accordé l'injonc- tion et ordonné:
L'injonction est accordée sous réserve pour la deman- deresse de fournir le compromis d'avaries mentionné au paragraphe 4 de l'affidavit, mais elle ne tranche pas la question de savoir si la période de l'avarie commune devrait être étendue de la date du décharge- ment à Montréal jusqu'à la date d'arrivée prévue à Toronto; cette question pourra, s'il y a lieu, être tranchée par la Cour à une date ultérieure, au cours de procédures appropriées. Les dépens suivront l'issue de la cause.
Par la suite, la garantie pour avarie commune sans clause de non-séparation a été fournie et la cargaison a été livrée à Montréal;
14. Toutes les dépenses pour avarie commune ont été engagées par la suite;
15. Les défenderesses ont pris possession de leur cargaison à Montréal et nul ne sait ce qu'elle est devenue ou quelle a été sa destination par la suite;
Les questions soumises à la Cour dans l'exposé de cause modifié sont formulées à l'alinéa 22 de ce document:
22. Les seules questions à régler entre la demanderesse et les défenderesses sont les suivantes:
a) Existait-il une avarie commune ou une aventure commune, ou les deux, immédiatement après la livraison de la cargaison conformément à l'ordon- nance de la Cour?
b) Les défenderesses avaient-elles le droit d'exiger la livraison ou de prendre livraison de la cargaison, ou les deux, à Montréal, port de refuge, ou pouvaient- elles être contraintes d'attendre que les réparations du navire soient effectuées et que la cargaison soit ensuite expédiée à sa destination?
c) La demanderesse pouvait-elle obliger les défende- resses à signer une convention de non-séparation avant qu'elles prennent livraison de la cargaison à Montréal?
d) Y a-t-il eu impossibilité d'exécuter le contrat de transport à Montréal?
e) À toutes fins utiles, le contrat de transport avait-il été exécuté à Montréal?
f) Les défenderesses ont-elles l'obligation de contri- buer à l'avarie commune pour les dépenses enga gées après le déchargement de la cargaison mais avant l'arrivée du navire à son port de destination prévu?
Le règlement sur la base duquel le montant réclamé est établi n'a pas été porté à notre con- naissance. On ne nous a pas dit non plus comment on était arrivé à ce chiffre. Toutefois, les parties ont convenu que la somme de 22 500 $ correspond au montant des dépenses mentionné à l'alinéa 22f) et que si la réclamation est accueillie, ce montant devrait porter intérêt [TRADUCTION] «au taux pré- férentiel bancaire moyen» depuis le l er août 1978.
La décision du tribunal inférieur
Le savant juge a fondé sa décision de rejeter l'action sur deux motifs qu'il résume comme suit dans ses motifs de jugement la page 416]:
1. Que ni à l'époque en cause ni d'ailleurs à aucun moment de la traversée, les circonstances ne justifiaient une déclaration d'avarie commune, car la cargaison et le navire n'ont jamais été en péril.
2. Que, de toute façon, même si les conditions d'avarie commune avaient existé et même s'il y avait eu des dépenses à cette fin après l'arrivée à Montréal, les propriétaires de la cargaison étaient pleinement justifiés d'exiger que leur cargai- son soit déchargée sans délai à Montréal, sur paiement du fret pour la totalité du voyage. Ils n'étaient pas obligés de poursui- vre le voyage jusqu'à Toronto et ils ne peuvent être légalement appelés à contribuer en vertu d'une réclamation d'avarie com mune pour des dépenses engagées subséquemment, qu'il s'agisse de réparations aux machines, de péage ou d'autres frais engagés pendant la période des réparations.
Étant donné ces conclusions, il n'a pas jugé néces- saire d'examiner les autres questions.
L'appelante conteste cette décision, affirmant en premier lieu qu'une situation d'avarie commune a effectivement existé à Montréal et, en second lieu, que l'aventure commune ne pouvait prendre fin à cet endroit par suite du geste des intimées qui ont pris livraison de la cargaison conformément à l'or- donnance rendue par la Division de première ins tance le 17 mai 1976. On soutient que les intimées sont restées tenues de contribuer à l'avarie com mune à l'égard des dépenses engagées après la livraison de la cargaison.
Règles d'York et d'Anvers 1974
Je désire d'abord traiter d'une question prélimi- naire concernant la pertinence, dans le cadre des présentes procédures, des Règles d'York et d'An- vers 1974 qui sont annexées à l'exposé de cause et en font partie intégrante. L'avocat de l'appelante s'appuie sur ces Règles ainsi que sur la jurispru dence s'y rapportant. L'avocat des intimées affirme que cela ne peut se faire et s'appuie à cet égard sur une entente conclue par les parties à l'instruction. Cela ressort, dit-il, des remarques suivantes formulées par le savant juge dans ses motifs de jugement la page 412]:
Bien qu'on y trouve les Règles de York et d'Anvers et la Clause Jason modifiée (voir par. 3 de l'exposé), les avocats des parties ont admis à l'audition que ces dispositions n'étaient d'aucune utilité pour trancher les points en litige soumis à la Cour et que, par conséquent, on pouvait y passer outre. Ils se sont également entendus pour dire, d'après ce qui ressort du paragraphe 4 de l'exposé de cause et d'après les admissions des avocats à l'audition, que rien dans l'action ne dépendait des règles de pratique des experts répartiteurs anglais.
L'avocat de l'appelante explique que l'entente dont fait mention le savant juge n'a été conclue qu'après que les parties eurent modifié la question posée à l'alinéa 22a) en y ajoutant les mots «immé- diatement après la livraison de la cargaison confor- mément à l'ordonnance de la Cour». Il prétend que les Règles ne pouvaient aider la Cour à déterminer si une situation d'avarie commune avait existé immédiatement après la livraison de la cargaison. Si une telle situation existait à ce moment, dit-il, ce n'est que parce qu'elle avait débuté plus tôt, pendant que la cargaison se trouvait toujours à bord. Selon sa prétention, il y a eu situation d'ava- rie commune parce qu'en raison des dommages subis par les machines, dommages qui ont été découverts le 14 avril, le navire a être retenu à Montréal pour fin de réparations. À mon avis, il n'était pas nécessaire de consulter les Règles afin de déterminer si cette situation s'était poursuivie après la livraison de la cargaison au cours du mois de mai. En réalité, il faut se demander si la livraison de la cargaison a mis fin à la situation d'avarie commune ainsi qu'à l'aventure commune.
L'avocat des intimées soutient que le libellé de l'alinéa 4 de l'exposé de cause modifié constitue une preuve supplémentaire de l'intention des par ties de faire abstraction des Règles. On a convenu de ce qui suit dans cet alinéa:
Une copie des Règles de York et d'Anvers de 1974 est jointe aux présentes. Aucune des parties à l'instance n'a l'intention de présenter une preuve fondée sur les Règles de York et d'Anvers de 1974 ou sur les règles de pratique des répartiteurs anglais;
Je n'interprète pas ces mots comme appuyant cette prétention. Le fait de convenir de ne pas introduire d'éléments de preuve relativement aux Règles ne revient pas à dire qu'il faut faire abstraction de celles-ci lorsque, manifestement, elles font partie du contrat. Quoi qu'il en soit, avec l'aide des avocats, nous sommes en mesure d'interpréter les Règles même si aucun élément de preuve les con- cernant n'a été introduit à l'instruction. Les règles de pratique des experts répartiteurs anglais ne sont d'aucune aide, eu égard également au fait que preuve n'en a pas été faite.
Le contrat d'affrètement régissant le transport prévoyait le règlement des avaries communes «con- formément aux Règles de York et d'Anvers de 1974». Il ressort clairement de ce qui précède que les parties voulaient que ces Règles s'appliquent afin de déterminer s'il était survenu une situation d'avarie commune et, dans l'affirmative, d'établir les montants respectifs que serait tenu de contri- buer chacun des intérêts en cause. Dans les cir- constances, j'estime que l'explication fournie par l'avocat est entièrement raisonnable. En fait, il aurait été on ne peut plus étonnant que les parties conviennent d'écarter complètement les Règles. À mon avis, les Règles doivent être appliquées afin de déterminer si une situation d'avarie commune est survenue avant que la cargaison n'ait été livrée, question à laquelle il faut répondre avant de pou- voir trancher la question posée à l'alinéa 22a).
Existence d'une situation d'avarie commune
Avant de traiter des arguments relatifs aux questions qui se sont posées à l'instruction en première instance, il faut se demander si une situa tion d'avarie commune a existé à quelque moment. J'ai déjà exprimé l'opinion qu'une situation d'ava- rie commune, si effectivement il y en a eu une, est survenue avant que la cargaison ne soit livrée et que pour trancher cette question il nous faut con- sulter les Règles d'York et d'Anvers 1974. Si nous concluons qu'il y a effectivement eu situation d'avarie commune, il nous faut alors statuer si cette situation existait encore immédiatement après la livraison , de la cargaison. Au départ, je ferai remarquer que nulle part dans l'exposé de cause il n'est fait mention de la cause du bris des
machines. Tout ce qu'on y dit, c'est que les dom- mages ont été découverts quatre jours après l'arri- vée du City of Colombo à Montréal et que, après un certain délai, les réparations ont été effectuées à cet endroit. L'absence d'éléments de preuve quant à la cause des dommages laisse supposer que les questions ont été soumises à la Cour en tenant pour acquis qu'il y avait effectivement situation d'avarie commune lorsque le navire a été retenu pour réparation, mais qu'il restait encore à déter- miner si oui ou non, dans les circonstances, cette situation a pris fin pour ce qui est de la cargaison
lorsque celle-ci a été livrée.
Présumant que cette question est toujours sans réponse, je vais l'examiner sur le fond. Les disposi tions suivantes des Règles d'York et d'Anvers 1974 * m'apparaissent pertinentes:
Règle d'interprétation. Dans le règlement d'avaries com munes, les Règles suivantes précédées de lettres et de numéros doivent s'appliquer à l'exclusion de toute loi et pratique incom patibles avec elles.
A l'exception de ce qui est prévu par les Règles numérotées, l'avarie commune doit être réglée conformément aux Règles précédées de lettres.
Règle A. Il y a acte d'avarie commune quand, et seule- ment quand, intentionnellement et raisonnablement, un sacri fice extraordinaire est fait ou une dépense extraordinaire encourue pour le salut commun, dans le but de préserver d'un péril les propriétés engagées dans une aventure maritime commune.
Règle XI... .
b) Quand un navire sera entré ou aura été retenu dans un port ou lieu par suite d'un accident, sacrifice ou autres circons- tances extraordinaires qui ont rendu cela nécessaire pour le salut commun, ou pour permettre la réparation des avaries causées au navire par sacrifice ou accident quand la réparation est nécessaire à la poursuite du voyage en sécurité, les salaires et frais d'entretien du capitaine, des officiers et de l'équipage raisonnablement encourus pendant la période supplémentaire d'immobilisation dans ce port ou lieu, jusqu'à ce que le navire soit ou aurait être mis en état de poursuivre son voyage, seront admis en avarie commune.
Cependant, si des avaries au navire sont découvertes dans un port ou lieu de chargement ou d'escale sans qu'aucun accident ou autre circonstance extraordinaire en rapport avec ces avaries se soit produit au cours du voyage, ni les salaires et frais d'entretien du capitaine, des officiers et de l'équipage, ni le
* Note de l'arrêtiste: On peut consulter J.-P. Quéneudec, Conventions maritimes internationales, Paris, Éditions A. Pedone, 1979 pour ce qui est de la version française des Règles.
combustible et les approvisionnements consommés pendant l'immobilisation supplémentaire pour les besoins de la répara- tion des avaries ainsi découvertes, ne seront admis en avarie commune, même si la réparation est nécessaire à la poursuite du voyage en sécurité.
Quand le navire est condamné ou ne poursuit pas son voyage primitif, les salaires et frais d'entretien du capitaine, des offi- ciers et de l'équipage et le combustible et les approvisionne- ments consommés ne seront admis en avarie commune que jusqu'à la date de la condamnation du navire ou de l'abandon du voyage ou jusqu'à la date d'achèvement du débarquement de la cargaison en cas de condamnation du navire ou d'abandon du voyage avant cette date.
Le combustible et les approvisionnements consommés pen dant la période supplémentaire d'immobilisation seront admis en avarie commune, à l'exception du combustible et des appro- visionnements consommés en effectuant des réparations non admissibles en avarie commune.
Les frais de port encourus durant cette période supplémen- taire d'immobilisation seront de même admis en avarie com mune, à l'exception des frais qui ne sont encourus qu'à raison de réparations non admissibles en avarie commune.
En concluant qu'eil ne pouvait exister et qu'il n'existait pas de situation d'avarie commune» le 14 avril 1976, lorsque les dommages aux machines ont été découverts, le savant juge de première instance s'est appuyé sur la notion d'avarie com mune reconnue par la common law comme l'inter- prètent la jurisprudence et la doctrine. Il n'a pas abordé la question sous l'angle des Règles d'York et d'Anvers 1974, considérant sans aucun doute que l'entente conclue par les parties à l'instruction l'en empêchait.
Aucun arrêt rendu au Canada ou dans le reste du Commonwealth et portant sur l'interprétation des Règles d'York et d'Anvers 1974 n'a été porté à notre attention. Par contre, je ferais remarquer que la deuxième phrase de la Règle d'interpréta- tion a fait l'objet des commentaires suivants par les savants auteurs de l'ouvrage Lowndes & Rudolf, General Average and York Antwerp Rules (10e éd.), British Shipping Laws, Volume 7, para- graphe 548, aux pages 256 et 257:
[TRADUCTION] Ainsi, si les faits appuient une réclamation d'avarie commune en vertu des Règles numérotées, le fait qu'il n'y ait eu aucun acte d'avarie commune au sens de la Règle A n'a aucune importance.
Un arrêt américain me vient également en aide, Eagle Terminal Tankers, Inc. v. Ins. Co. of USSR, 1981 A.M.C. 137 (2d Cir. 1981). Dans cet arrêt, le navire effectuait un trajet qui devait l'amener de Port Arthur au Texas jusqu'à Lenin-
grad avec une escale prévue à Rotterdam. Lors de manoeuvres au large de la côte anglaise afin d'y cueillir un pilote, une secousse a ébranlé le navire. Le lendemain, on a entendu des grincements métalliques provenant de la poupe. Peu après, le navire est arrivé à Rotterdam l'on a constaté des dommages considérables à l'engin de propul sion. Il y a eu déclaration d'avarie commune. Des réparations ont être effectuées à Rotterdam avant que le voyage ne puisse reprendre. Lorsque les propriétaires de la cargaison ont refusé de contribuer à l'avarie commune, une action a été intentée contre l'assureur de cette cargaison devant la District Court des États-Unis, Southern District de New York. Le contrat d'affrètement prévoyait que [TRADUCTION] «Les avaries communes seraient payables selon les Règles d'York et d'An- vers 1950 et que le règlement interviendrait à New York». En première instance, on a conclu qu'il n'y avait pas eu situation d'avarie commune, la Cour étant d'avis que le navire n'avait été menacé par aucun «péril» comme l'exigeaient les principes tra- ditionnels du droit des avaries communes ainsi que les Règles. On a observé que les dommages n'avaient été découverts qu'une fois que le navire avait été amarré en toute sécurité et que celui-ci [TRADUCTION] «aurait pu demeurer amarré indé- finiment à Rotterdam sans que» sa cargaison ou lui-même [TRADUCTION] «ne courent le moindre péril». On a jugé [TRADUCTION] «non pertinente» la nécessité d'effectuer des réparations afin de terminer le voyage.
Cette décision a été infirmée par la Court of Appeals Second Circuit qui a fondé sa décision sur la Règle d'interprétation ainsi que sur les Règles A, Xb) et XIb) des Règles d'York et d'Anvers 1950. Relativement à l'effet des deux dernières Règles, la Cour a déclaré (aux pages 146 148):
[TRADUCTION] Les Règles Xb) et XIb), qui essentiellement remontent aux Règles originales de 1890, semblent effective- ment envisager la contribution aux avaries communes à l'égard des dépenses qui pourraient ne pas être visées par la Règle A. Cela est particulièrement évident à la lumière de la formule de recouvrement de rechange énoncée dans les Règles numérotées: le recouvrement des dépenses engagées «pour permettre la réparation des avaries causées au navire par sacrifice ou acci dent quand la réparation est nécessaire à la poursuite du voyage en sécurité ...» (la clause de la poursuite de voyage en sécu- rité). En vertu de cette clause, les réparations nécessaires à la poursuite du voyage en sécurité peuvent être réputées actes d'avarie commune, même si elles ne le seraient pas en vertu de la Règle A uniquement. Buglass fournit l'explication suivante:
Les Règles d'York et d'Anvers ont adopté et légalisé la soit-disant «avarie commune artificielle» ou «avarie commune consensuelle» dans les Règles numérotées en admettant comme avarie commune les dépenses au port de refuge engagées non seulement par suite de l'entrée dans le port «pour le salut commun» mais également lorsque le navire est retenu dans un port de chargement ou d'escale pour subir des réparations nécessaires à la poursuite du voyage en sécurité. [Knut] Selmer, un expert norvégien, explique cette situation en disant que ce n'est pas le danger réel mais plutôt le danger éventuel, susceptible de se présenter ultérieurement au cours du voyage, qui a donné lieu à la réclamation pour contribu tion aux avaries communes. Bref, les principes établis par la Règle A subissent des modifications importantes; il suffit que survienne une situation dans laquelle la poursuite du voyage pourrait entraîner un danger réel pour le navire et sa cargai- son...
«Il semble clair ... qu'en vertu des Règles d'York et d'Anvers, tant qu'il y a péril, non seulement n'est-il pas nécessaire que ce péril soit imminent, on tolère même qu'il soit simplement envisagé; et l'on peut présumer que, comme dans les autres questions d'avarie commune, l'opinion du capitaine ne sera pas facilement mise en doute. En pratique, il suffit que l'on soit en présence d'une situation d'appréhen- sion raisonnable, même s'il n'y a pas danger réel.» L. Buglass, précité, aux pp. 123 et 124.
Dans les faits donc, il ne faut pas interpréter la clause de la poursuite du voyage en sécurité comme éliminant l'exigence de la présence d'un péril, mais plutôt comme présumant la pré- sence d'un tel péril dans les cas où, en raison d'un accident ou d'un sacrifice, le voyage ne peut être repris en sécurité sans que des réparations ne soient effectuées. Une telle présomption est entièrement compatible avec l'interprétation moderne de l'exi- gence du péril donnée dans Navigazione Generale, précité, qui, comme nous l'avons signalé précédemment, ne sous-entend que la démonstration d'un danger «réel et substantiel» même si la survenance d'une catastrophe ultime «est peut-être une possibi- lité éloignée voire improbable». Lowndes et Rudolf conviennent que la clause de la poursuite du voyage en sécurité «constitue un exemple notable d'une occasion les tenants du principe de l'achèvement de l'aventure comme base de l'avarie commune ont eu gain de cause sur ceux qui appuyaient le principe du salut commun». R. Lowndes & G. Rudolf, précité, par. 692. (Toutefois, les auteurs minimisent dans une certaine mesure la distinction entre la clause du salut commun et celle de la poursuite du voyage en sécurité, affirmant que «l'importance des dommages subis par le navire qui est nécessaire pour répondre aux exigences de l'expression est la même que celle qui serait nécessaire—sans lui être inférieure—pour mettre en danger le "salut commun" de l'aventure si le navire était en mer.» À titre d'exemple des «dommages» requis, les auteurs citent la perte d'un engin de propulsion en mer, ce qui rendrait le navire «inapte à faire face aux périls ordinaires de la mer». Id. par. 692, la p. 330. Dans de telles circonstances, ils font remarquer «qu'une fois rendus dans un port les réparations peuvent être effectuées, le salut sera atteint»; la clause de la poursuite du voyage en sécurité «ne fait qu'envisager la situa tion d'un navire dans un port, situation qui, si le navire se trouvait en mer, mettrait en danger le salut commun». Id.
Il semble se dégager de cette interprétation une interpréta- tion plus étroite de la clause de la poursuite du voyage en
sécurité que celle que renfermait l'édition précédente du même ouvrage, dans lequel les auteurs affirmaient que la clause «envisage les réparations nécessaires afin d'éviter l'échec de l'aventure, par opposition aux réparations "nécessaires pour le salut commun" qui visent le salut physique». R. Lowndes & G. Rudolf, The Law of General Average, par. 708, la p. 350 (9' éd., J. Donaldson, C. Ellis, C. Staughton, 1964). L'édition précédente reconnaissait en outre expressément que la clause de la poursuite du voyage en sécurité permettrait la contribution aux avaries communes dans des circonstances «qui ne constitue- raient un acte d'avarie commune ni en vertu de la common law ni en vertu de la Règle A à moins d'être occasionnées pour le salut commun ou en conséquence directe d'un acte d'avarie commune». Id. par. 671, la p. 336.
Il est possible que le changement d'attitude que renferme la 10' édition soit le reflet d'une tendance récente à resserrer la définition des actes d'avarie commune. Voir, par exemple, R. Lowndes & G. Rudolf (10' édition), précité, par. 694, la p. 331, l'on note qu'à l'occasion de la conférence de 1974, tenue en vue de modifier les Règles «on a fait certains efforts afin de réduire les coûts imputables aux avaries communes en resserrant les critères qui servent à déterminer l'existence d'une situation d'avarie commune». Toutefois, voir également G. Gil-
more & C. Black, précité, sect. 5 à 16, la p. - 271.) Nous croyons que cette interprétation des Règles Xb) et XIb) don- nent l'effet voulu au libellé de ces Règles et à leur objectif.
Suivant cette interprétation des Règles, nous sommes con- vaincus que le présent dossier établit, prima facie, la réclama- tion d'avarie commune. Bien qu'en l'espèce le navire n'ait pas perdu son engin de propulsion, voir la note 5 précitée, le dossier indique qu'il a été gravement endommagé et que sa condition se détériorait. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, le rapport sur l'état des dommages a révélé que l'hélice «avait reculé sur le cône de l'arbre d'environ 250 mm et la partie supérieure du cône était clairement visible». À la lecture de ces faits, l'état du navire, présumément à la suite d'un accident en mer, avait constitué un danger «réel et substantiel» de perte ou d'arrêt complet de l'engin de propulsion—et de péril en découlant—si le navire avait encore été en mer ou s'il était retourné à la mer sans que les réparations aient été effectuées. La défenderesse a implicitement admis ce danger en considérant qu'il y avait nécessité d'effectuer des réparations avant la reprise du voyage. Dans ces circonstances, nous estimons qu'on a satisfait aux exigences permettant d'établir prima facie une réclamation admissible en vertu des Règles Xb) et XIb). (Comparer avec l'arrêt Empire Stevedoring Co. v. Oceanic Adjusters, Ltd., 1971 AMC 795, 315 F.Supp. 921 (S.D.N.Y. 1970), un arrêt dont les faits sont similaires à ceux de l'espèce et dans lequel on semble avoir présumé la validité de la réclamation d'avarie commune sans tenir compte de la question du péril.)
À mon avis, il y avait situation d'avarie com mune à Montréal en raison de l'arrêt du navire dans ce port afin de réparer les dommages subis par les machines, réparations nécessaires à la pour- suite du voyage en sécurité. Cela semble découler des dispositions prévues à la Règle XIb) des Règles d'York et d'Anvers 1974. J'en arrive à cette conclusion même si la version de 1974 de la Règle
XIb) n'est pas formulée de manière identique à celle de 1950. À titre d'exemple, la version de 1950 ne renfermait pas de réserve. Rien au dossier n'indique la raison des dommages subis par les machines principales et, plus particulièrement, si ces dommages ont été découverts «sans qu'aucun accident ou autre circonstance extraordinaire» en rapport avec ces avaries «se soient produits au cours du voyage». Les parties sont muettes sur cette question. A l'alinéa 6 de l'exposé de cause, elles se contentent d'affirmer que «En l'espèce, la demanderesse a exercé une diligence raisonnable avant le voyage et au début de celui-ci afin de mettre le navire en bon état de navigabilité.» En fait, l'absence d'éléments de preuve concernant la cause des dommages subis par les machines laisse supposer qu'en posant la question formulée à l'ali- néa 22a), il est fort possible que les parties aient présumé qu'une situation d'avarie commune exis- tait en raison de l'arrêt du navire et de la nécessité d'effectuer des réparations pour la poursuite du voyage en sécurité. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas prêt à affirmer, à la lumière du dossier, que les dommages subis par les machines relèvent de la réserve de la Règle XIb). En outre, la réparation des machines à Montréal semble «nécessaire pour la poursuite en sécurité du voyage» sur la voie maritime du St-Laurent jusqu'à Toronto car, autrement, le navire pourrait être exposé au danger d'échouement, de collision ou autre acci dent mettant en péril le navire lui-même et sa cargaison.
Livraison de la cargaison au port d'escale
Le savant juge a répondu non à la question formulée à l'alinéa 22a) de l'exposé de cause en concluant qu'il ne pouvait exister et qu'il n'existait pas de situation d'avarie commune à quelque moment pertinent ou encore à tout moment durant le voyage. Suivant ma conclusion antérieure partir des Règles d'York et d'Anvers 1974) selon laquelle il existait effectivement une situation d'avarie commune, il s'ensuivrait normalement que les intimées doivent contribuer à l'avarie commune à l'égard des dépenses extraordinaires même si ces dernières ont été engagées ultérieurement. Cepen- dant, la question formulée à l'alinéa 22f) com- mande une réponse étant donné que les circons- tances ont changé par suite de la livraison de la cargaison suivant la description qui en est faite à l'aliné 22b).
Le savant juge a répondu à la question posée à l'alinéa 22f) en présumant qu'il y avait eu situa tion d'avarie commune. Toutefois, ce faisant, il a rejeté l'argument de la demanderesse suivant lequel le voyage vers la destination prévue consti- tuait une aventure commune et qu'en conséquence tant les propriétaires du navire que ceux de la cargaison «étaient ... obligés de contribuer pour tout accident ou toute mésaventure pouvant surve- nir pendant la durée du voyage». Selon lui, le fait que l'on ne se soit pas départi volontairement de la cargaison n'avait pas non plus d'importance. Il existait «À [son] avis ... une réponse simple et irréfutable à cette allégation», réponse qu'il for- mule ainsi à la page 415 de ses motifs de jugement:
... ni le droit contractuel général ni le droit maritime n'obli- gent le propriétaire d'une cargaison à garder une cargaison à bord d'un navire jusqu'à ce qu'elle ait atteint la destination finale prévue dans le connaissement, s'il paie la totalité du fret qui y est prévu pour la durée totale du voyage et demande le déchargement de la cargaison à un port intermédiaire le navire est à quai et il existe des installations à cette fin. Les connaissements en cause ne contenaient aucune clause spéciale modifiant cet état de choses.
Au soutien de sa réponse, le juge cite les arrêts américains The «Julia Blake», 107 U.S. 418 (1882) et Domingo de Larrinaga, 1928 A.M.C. 64 (S.D.N.Y. 1927). Comme l'arrêt The «Julia Blake» ne portait pas sur l'avarie commune comme tel il est possible de le distinguer sur ce point. Néanmoins, on s'appuie sur cette décision pour étayer l'énoncé de principe suivant, énoncé qu'a retenu le savant juge. Le juge en chef des Etats-Unis, parlant alors au nom de la Cour, a exprimé ce principe dans le passage suivant la page 431):
[TRADUCTION] Toutefois, on prétend que le propriétaire de la cargaison n'a aucun droit de réclamer son bien avant l'arri- vée à destination à moins que l'on ait effectivement mis fin au voyage ou qu'il ne soit pas possible d'apporter les réparations nécessaires au navire. Le propriétaire de la cargaison n'est pas tenu d'aider à ce qu'en toutes circonstances le navire termine sa traversée. Il appartient au propriétaire du navire et à son capitaine, en sa qualité d'agent désigné, de faire tout ce qui de bonne foi doit être fait pour amener la cargaison à sa destina tion. À cette fin, le propriétaire de la cargaison devrait contri- buer aux dépenses dans la mesure il semble que la sauve- garde de ses intérêts l'exige; toutefois, il n'est pas obligé de sacrifier sa cargaison, ou de permettre qu'elle le soit, dans l'intérêt du navire seulement. Il doit faire ce que la bonne foi envers le navire exige qu'il fasse, mais rien de plus. Si, en fournissant son assistance au navire en détresse, sa perte n'était pas plus grande que celle qu'il subirait en reprenant ses proprié-
tés et en en disposant d'une autre façon, il devrait, si le propriétaire du navire et son capitaine le demandaient, apporter l'aide nécessaire ou permettre que la cargaison fût utilisée à cette fin. C'est dans cette mesure seulement qu'il est tenu de fournir son assistance au navire en détresse. Par conséquent, nous croyons que lorsque le propriétaire d'une cargaison trouve dans un port de refuge un navire chargé d'une cargaison lui appartenant et exigeant des réparations qui ne peuvent être effectuées sans qu'il lui en coûte plus qu'il ne perdrait s'il prenait livraison de ses marchandises à cet endroit et payait au navire tous les frais légitimes qu'il lui doit, il peut alors payer les frais et réclamer ses marchandises. Autrement, il serait contraint de sacrifier ses propres intérêts au profit d'autres intérêts; ce n'est pas ce qu'exige le droit. Les frais qui devront être payés varieront suivant les circonstances de l'espèce. Par- fois ils inclueront le fret total, les dépenses au port de refuge, les frais d'avarie commune et peut-être plus mais parfois aussi moins; cependant, sur paiement complet de ces frais exigibles en droit, la cargaison doit alors être rendue.
En l'espèce, les intimées affirment qu'elles ont payé le plein fret à Toronto avant de prendre livraison de la cargaison à Montréal. Cette affir mation n'est pas contestée et le savant juge semble manifestement avoir instruit l'affaire en tenant pour acquis que tel était le cas.
Le principe énoncé dans l'affaire The «Julia Blake„ a été appliqué par la District Court des États-Unis, Southern District de New York dans l'arrêt Domingo de Larrinaga qui était une affaire d'avarie commune. Une question de droit a été posée à un commissaire et, lorsque le rapport de ce dernier a été soumis à la Cour pour fin d'examen, celle-ci l'a confirmé. La cargaison était constituée de peaux salées expédiées de Buenos Aires à New York en passant par Boston. Le commissaire a conclu la page 65) que, si les dommages causés à la coque par suite de l'échouement du navire qui se dirigeait alors vers Boston étaient réparés de façon permanente à ce port, [TRADUCTION] «toute la cargaison devrait alors être déchargée et entre- posée». L'autre solution consistait à faire touer le navire jusqu'à New York après avoir effectué des réparations temporaires et c'est ce qui fut décidé. Les consignataires ont demandé livraison de la cargaison à Boston et, sur demande des propriétai- res du navire, ils ont fourni un compromis d'ava- ries afin de garantir la livraison à cet endroit. Par la suite, ils ont refusé de contribuer à l'avarie commune pour les dépenses engagées après la livraison de la cargaison. Toutefois, il est évident, à mon avis, que l'existence d'un danger grave qu'il survienne des dommages supplémentaires à la car- gaison au cours du voyage constituait un élément
crucial de la décision comme il ressort très claire- ment du jugement du juge suppléant Thacher à la page 69.
Les intimées s'appuient sur d'autres décisions rendues en Angleterre (Job v. Langton (1856), 6 EP. & BP. 779; 119 E.R. 1054 (K.B.); Royal Mail Steam Packet Company v. English Bank of Rio de Janeiro (1887), 19 Q.B.D. 362) et aux États-Unis (Bedford Commercial Insurance Company v. Parker et al., 2 Pick. 1; 19 Mass. 1 (1823); Pacific Mail Steamship Co. v. New York, H. & R. Min. Co., 74 Fed. 564 (2d Cir. 1896)) pour établir qu'elles n'ont aucune obligation de contribuer aux dépenses engagées après la livraison de la cargai- son. Il s'agit évidemment de décisions en matière d'échouement. Ainsi, en Angleterre, il a été jugé que les propriétaires de la cargaison retirée d'un navire échoué afin de la mettre en sécurité ne sont pas tenus de contribuer à l'avarie commune à l'égard des dépenses engagées par la suite à moins que l'on puisse dire que ce retrait faisait partie d'une seule opération continue visant à sauver tant le navire que la cargaison et non la cargaison seulement. Bien que nous ne soyons pas en pré- sence d'un cas d'échouement, les intimées soutien- nent qu'elles sont visées par ce principe en ce que la cargaison se trouvait dans un endroit elle était en sûreté au moment les dépenses ont été engagées et parce que la livraison n'a pas été effectuée aux fins de sauver le navire et la cargai- son. Il s'agit du principe énoncé dans l'arrêt Job v. Langton (précité) et appliqué dans Walthew v. Mavrojani (1870), L.R. 5 Ex. 116 ainsi que dans Royal Mail Steam Packet le juge Wills a déclaré (aux pages 370 et 371):
[TRADUCTION] Je présume qu'il est désormais accepté que les circonstances dont découle une responsabilité pour avarie commune doivent être de nature à mettre en danger la sécurité du navire et de la cargaison et non pas simplement à empêcher la poursuite et la réussite du voyage: Svensden v. Wallace 13 Q.B.D. 69; Harrison v. Bank of Australasia Law Rep. 7 Ex. 39. Je présume aussi qu'il est établi que lorsque l'ensemble de la cargaison est déchargée et en sécurité, les dépenses engagées par la suite pour mettre le navire à flot ne constituent pas une avarie commune: Job v. Langton 6 E. & B. 779, décision que Moran v. Jones 7 E. & B. 523 est censée contredire mais qui, dans la mesure les principes sont concernés, ne mérite pas, à mon avis, une telle remarque. Ce sont les décisions elles-mêmes qui sont en désaccord et non les principes sur lesquels elles reposent. Le maître des rôles a déclaré, dans Svensden v.
Wallace 13 Q.B.D. 69, la p. 80, qu'il n'est pas possible d'étayer la décision rendue dans Moran v. Jones 7 E. & B. 523, et je fais par conséquent mention de cet arrêt uniquement dans
le but de montrer qu'il n'a pas été négligé. Lorsque toute la cargaison est déchargée en sûreté, le propriétaire du navire prend celui-ci comme il se trouve, soit que l'on présume qu'il n'a plus aucune valeur, auquel cas on le laissera il est, soit que l'on suppose qu'il a une certaine valeur pour son proprié- taire, auquel cas on s'attendra à ce que ce dernier débourse les sommes nécessaires afin de le renflouer pour son propre compte et ses propres fins uniquement, auquel cas les dépenses ne peuvent faire l'objet d'avarie commune.
Consulter également les remarques en ce sens for- mulées par la Cour suprême des États-Unis dans McAndrews v. Thatcher, 3 Wall. 347 (1865), sous la plume du juge Clifford aux pages 368 et 369. Dans Lowndes & Rudolf (précité), il y a examen de ces arrêts ainsi que de bien d'autres aux para- graphes 261 269, aux pages 130 136.
Les intimées ont sollicité, dans leur requête d'in- jonction présentée en mai 1976, la livraison de la cargaison à Montréal. Cette requête leur a été accordée à condition qu'elles fournissent un com- promis d'avaries. Du fait de sa livraison, la cargai- son a quitté le contrôle du propriétaire du navire pour tomber sous la garde et le contrôle des inti- mées. Cette opération a eu pour effet juridique, me semble-t-il, de rompre de façon permanente le lien entre la cargaison et le navire et de mettre fin à l'aventure commune. À mon avis, les dépenses engagées après cette rupture n'ont pas été enga gées pour le salut commun du navire et de la cargaison, mais plutôt pour le salut du navire seulement. Je ne vois rien dans les Règles d'York et d'Anvers 1974 ou dans le contrat d'affrètement qui obligeait les intimées à contribuer à l'avarie commune à l'égard de ces dépenses. À mon avis, les intimées ne se sont pas engagées non plus à le faire aux termes de quelque autre accord conclu avant la livraison de la cargaison. Il est permis de présumer que le compromis d'avaries garantit le paiement d'un montant qui est à bon droit payable. Quoi qu'il en soit, personne ne prétend que le compromis assurait le fondement d'une contribu tion, de la part du propriétaire de la cargaison, supérieure à celle énoncée dans les Règles d'York et d'Anvers 1974.
En résumé, je souscrirais à l'opinion du savant juge selon laquelle les intimées ne sont pas tenues de contribuer à l'avarie commune.
Dispositif
À la lumière de la conclusion qui précède, il s'avère inutile d'examiner les autres questions. En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE LAcoMBE: Je souscris aux présents motifs.
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