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A-474-86
Zygmunt Janke (requérant) c.
Commission des allocations aux anciens combat- tants, Canada (intimée)
RÉPERTORIÉ: JANKE C. CANADA (COMMISSION DES ALLOCA TIONS AUX ANCIENS COMBATTANTS)
Cour d'appel, juges Urie, Stone et MacGuigan— Toronto, 9 et 13 février 1987.
Anciens combattants La requête, fondée sur l'art. 28, sollicite l'examen et l'annulation de la décision de la Commis sion de rejeter l'appel formé à l'encontre du rejet d'une demande d'allocation d'ancien combattant Le requérant, qui est en Pologne, a été recruté dans l'armée allemande en 1939 Il a servi dans les forces allemandes pendant 16 mois À la première occasion, il a déserté cette armée et s'est livré aux forces alliées Il a servi dans l'armée britannique pendant quatre ans Il s'est vu décerner quatre médailles Il a été honorablement libéré Il a émigré au Canada en 1965 Il a pris sa retraite pour raisons de santé en 1982, à l'âge de 60 ans Depuis, il a été en chômage et, apparem- ment, non employable en raison de sa santé déficiente et de son âge L'art. 9 de la Loi refuse le bénéfice des allocations à toute personne ayant servi dans les forces ennemies au cours de la seconde guerre mondiale N'est pas pertinent le fait pour la personne visée d'avoir agi contre son gré, par crainte que son refus entraîne sa mort ou son emprisonnement La Commis sion n'a pas l'obligation de scruter l'état d'esprit de cette personne Seuls le Parlement ou le pouvoir exécutif pour- raient adoucir l'âpreté des conséquences découlant de l'appli- cation de l'art. 9 Demande rejetée Loi sur les allocations aux anciens combattants, S.R.C. 1970, chap. W-5, art. 9 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15.
AVOCATS:
David R. Draper pour le requérant. Thomas L. James pour l'intimée.
PROCUREURS:
David R. Draper, Parkdale Community Legal
Services Inc., Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l'audience par
LE JUGE URIE: Le requérant sollicite en vertu de l'article 28 l'examen et l'annulation d'une déci- sion de la Commission des allocations aux anciens combattants, Canada rejetant l'appel qu'il avait formé du rejet par l'autorité régionale de l'Ontario de sa demande d'allocation d'ancien combattant.
Les faits pertinents sont, en résumé, les suivants. Le requérant est en Pologne et y vivait en 1939 au moment de l'invasion de ce pays par les forces allemandes. Recruté dans l'armée allemande en mars 1943, il a été conduit en Allemagne pour y subir un entraînement. Peu de temps après son arrivée dans ce pays, il a été hospitalisé, apparem- ment pendant plusieurs mois, et il n'a regagné son unité, postée à Marburg, en Allemagne, qu'après Noël 1943. En mars 1944, il a été affecté à une
unité postée en Italie. En juillet 1944, la pre- mière occasion, prétend-il, il a déserté l'armée allemande et s'est livré aux forces alliées. Après avoir passé environ une semaine dans un camp de prisonniers, il s'est enrôlé dans une unité de com mandos du 2e Corps polonais de la 8 e Armée britannique. Il a continué de servir dans l'armée anglaise jusqu'en janvier 1948, pour être honora- blement libéré avec le grade de sergent tout en étant le titulaire de quatre médailles décernées pour son service militaire.
Après avoir quitté l'armée, il a travaillé en Angleterre comme ingénieur; en 1964, il émigrait en Hollande, puis au Canada en 1965. Dans ce pays, il a été employé comme ingénieur par diver- ses sociétés, jusqu'à ce qu'il doive prendre sa retraire pour raisons de santé en 1982, l'âge de 60 ans. Depuis lors, il a été en chômage et, semble- t-il, non employable en raison de sa santé défi- ciente et de son âge.
En 1979, 1983 et 1985, le requérant a demandé une allocation d'ancien combattant à l'Autorité régionale de l'Ontario pour les allocations aux anciens combattants («l'Autorité régionale»). Cel- le-ci a rejeté chacune de ces demandes au motif que, ayant servi dans les forces ennemies, il faisait partie d'une catégorie de personnes non admissi- bles en vertu de l'article 9 de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ((da Loi»)
[S.R.C. 1970, chap. W-5]. Le requérant a, sans succès, interjeté appel auprès de l'intimée contre la décision de 1983 rejetant sa demande. Le ministre des Affaires des anciens combattants a, en novem- bre 1984, refusé la révision du dossier du requérant.
En juillet 1986, l'intimée a refusé de réviser sa décision antérieure et, de plus, a rejeté la nouvelle prétention du requérant, selon laquelle l'article 9 de la Loi contrevient à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La demande d'annulation du requé- rant vise cette dernière décision.
L'avocat du requérant ne s'est opposé devant nous à cette décision qu'au motif que l'intimée avait commis une erreur de droit dans son inter- prétation de l'article 9 de la Loi, renonçant à toute attaque fondée sur la Charte.
L'article 9 de la Loi est ainsi libellé:
9. Aucune allocation ne doit être versée à une personne qui a servi dans les forces ennemies au cours de la seconde guerre mondiale.
La Loi, d'une façon générale, prévoit le paie- ment d'allocations mensuelles aux anciens combat- tants ainsi qu'aux personnes qui sont à leur charge. Les personnes admissibles à une telle allocation sont les anciens combattants du sexe masculin qui ont atteint l'âge de 60 ans, les anciens combattants du sexe féminin ou veuves d'anciens combattants qui ont atteint l'âge de 55 ans et les anciens combattants ou veuves qui sont en permanence non employables ou incapables de subvenir à leurs besoins. La Loi prévoit également le paiement d'allocations aux orphelins d'anciens combattants. Diverses modifications apportées à la Loi ont permis d'étendre les prestations qu'elle prévoit aux anciens combattants qui, ayant combattu au cours de la seconde guerre mondiale au sein d'une force alliée, sont devenus des immigrants canadiens et ont résidé au Canada pendant au moins 10 ans. S'appliquent également certaines dispositions fixant des revenus maximums. L'intimée a reconnu que le requérant, en qualité d'ancien combattant allié ayant servi sur un théâtre réel de guerre, aurait satisfait à toutes les conditions donnant droit à l'allocation n'eût été sa participation sus- mentionnée aux activités de l'armée allemande.
Essentiellement, l'argument fondamental de l'avocat du requérant est que celui-ci n'a pas «servi» dans les forces ennemies au sens qu'il con- vient de donner à ce terme. Il n'a pas plaidé que le service militaire effectué en raison de la conscrip tion n'avait pas réellement qualité de «service». Si nous avons bien compris son argument, il a plutôt soutenu que la question de savoir si une personne avait «servi» dans les forces ennemies dépendait, à tout le moins en partie, de l'état d'esprit du cons- crit. Selon lui, ne peut être considéré comme membre des forces qui l'ont conscrit, parce qu'il n'a pas agi par sens du devoir, celui qui fait son service militaire de crainte qu'un refus entraîne sa mort ou son emprisonnement, et qui, en lui-même, n'accepte jamais cette conscription. Selon les dic- tionnaires, le terme «serve» (servir), utilisé dans le contexte du service militaire, implique la notion d'exécution d'un devoir. Selon l'avocat du requé- rant, il incombait donc à la Commission d'exami- ner tous les faits relatifs à la participation du requérant aux forces ennemies pour déterminer si cette participation pouvait être considérée comme un service dans ces forces en l'absence du senti ment chez le conscrit qu'il faisait son devoir, par opposition à la simple volonté d'éviter la mort ou l'emprisonnement.
Nous ne partageons pas ce point de vue. Selon nous, l'exigence de l'article 9 selon laquelle celui qui sollicite une allocation d'ancien combattant ne peut y avoir droit que s'il n'a pas servi dans des forces ennemies n'impose pas à la Commission l'obligation de scruter l'état d'esprit de l'éventuel prestataire. La Commission doit seulement tirer des conclusions de fait objectives pour s'assurer du respect des critères d'admissibilité aux allocations imposés par la Loi. En l'espèce, les faits ne sont pas contestés. Le requérant était un conscrit de l'armée allemande. Cette armée était indubitable- ment une force ennemie au cours de la seconde guerre mondiale. Bien que les fonctions exercées par le requérant n'aient pas compris le port ou l'utilisation d'armes, il a reçu une formation, à travaillé et a été en service actif au sein de la force ennemie en Allemagne et en Italie pendant environ une année et demie. Il affirme, et c'est probable- ment vrai, s'être évadé de cette force à la première occasion. Néanmoins, conformément à tous les sens attribués par les dictionnaires au mot «served» relativement au contexte militaire ou paramili-
taire, il a «servi» pendant environ seize mois dans l'armée allemande, une force ennemie. En consé- quence, l'article 9 le rend inadmissible à l'alloca- tion d'ancien combattant bien que, à tous autres égards, il satisfasse aux exigences posées. Les termes de l'article 9, y compris le mot «served» («a servi»), sont clairs et non ambigus. En consé- quence, la Commission a eu raison de conclure que le requérant était inadmissible à l'allocation d'an- cien combattant. La demande sera donc rejetée.
Comme le requérant a servi honorablement dans les forces alliées et se trouve présentement dans une mauvaise situation, c'est à regret que nous en arrivons à cette conclusion. Nous sommes cepen- dant tenus, tout comme la Commission, d'interpré- ter la Loi comme l'a édictée le Parlement. Aucun pouvoir discrétionnaire n'est conféré à la Commis sion ou à cette Cour. Seul le Parlement ou, peut- être, le pouvoir exécutif, peuvent adoucir l'âpreté des conséquences découlant de l'application des termes non équivoques de l'article 9.
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