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T-2032-81
Jan C. O'Brien (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉP ERTORIÉ: O'BRIEN C. R.
Division de première instance, juge Walsh—Van- couver, 12, 13 et 19 mars 1985.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Indemnités supplémentaires de grève Un conseil mixte de syndicats en grève a exploité un journal au cours d'une grève Les membres du syndicat qui ont travaillé à la publication du journal n'ont pas été rémunérés, mais des indemnités supplé- mentaires de grève ont été versées à même les profits tirés de l'exploitation du journal, conformément à une formule fixée dans les statuts du syndicat On a prétendu que le journal était exploité par les membres du syndicat à titre d'entrepre- neurs individuels Les montants reçus par les membres du syndicat n'étaient pas imposables Distinction faite avec Wipf c. La Reine et Goldman v. Minister of National Revenue puisque, en l'espèce, il n'existait pas d'entente quant à la répartition des bénéfices Le conseil mixte n'était pas man- dataire des membres du syndicat, puisqu'aucune instruction n'avait été donnée quant à la distribution des profits La Cour prend en considération la décision de la Commission de révision de l'impôt dans l'affaire Ferris, selon laquelle les indemnités supplémentaires de grève sont imposables, mais n'y souscrit pas Il ne s'agissait pas seulement d'un moyen de répartir les profits du journal entre les membres du syndicat, puisque non seulement tous les profits n'ont pas été répartis, mais encore une partie de cette distribution provenait d'autres sources Il en résulte une situation les profits d'une entreprise très florissante sont exonérés d'impôt La solution consiste à modifier la Loi Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 149(1)k).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Wipf c. La Reine, [1975] C.F. 162; [1975] CTC 79 (C.A.); Goldman v. Minister of National Revenue, [1953] 1 R.C.S. 211; 53 DTC 1096; Heatons Transport (St. Helens) Ltd. v. Transport and General Workers' Union, [1973] A.C. 15 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ferris, T.E. et al. v. M.N.R. (1977), 77 DTC 17 (C.R.I.); Coast Steel Fabricators Ltd. et al. v. Minister of Finance, [1973] 4 W.W.R. 701 (C.S.C.-B.); Chappell v. Times Newspapers Ltd., [1975] 1 W.L.R. 482 (C.A.); Ministre du Revenu National v. Eastern Abbatoirs Ltd., [1963] R.C.É. 251; [1963] C.T.C.19.
AVOCATS:
P. N. Thorsteinsson, c.r. et Lorne A. Green pour la demanderesse.
Ingebord E. Lloyd pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe & Davidson, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
NOTE DE L'ARRETISTE
L'arrêtiste a décidé qu'un résumé des faits de l'espèce suffirait.
Au cours d'une grève de plusieurs mois, déclenchée contre /e Sun de Vancouver et le Province, on a mis sur pied un journal intitulé /'Express de Vancouver. D'après son placard administratif, celui-ci a été publié par Pugstem Publications, une société en participation consti- tuée des syndicats impliqués dans le conflit de travail. Pugstem Publications était le nom d'une société à responsabilité limitée qui était inactive. L'exploitation de /'Express visait à générer des bénéfices et à maintenir le nombre de ses lec- teurs et de ses annonces publicitaires jusqu'au retour à la normale. Environ 250 des 1 400 syndi- qués y travaillaient. Les syndiqués n'ont touché aucune rémunération pour leur travail à l'Express, mais des indemnités de grève supplémentaires provenant du profit d'exploitation de ce journal ont été réparties d'après une formule fixée dans les statuts du syndicat. Les sommes reçues n'avaient aucun rapport avec le nombre d'heures de travail. Les membres qui ont refusé de faire du piquetage ou tous autres travaux pour le syndicat pendant la grève n'ont pas eu droit aux indemnités.
Les syndicats étaient exonorés de l'impôt sur le revenu en vertu de l'alinéa 149(1)k) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63. La question posée en l'espèce est de savoir si les sommes que les syndiqués ont reçues à titre d'indemnité supplémentaire sont imposables.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Puisque Pugstem Publications n'était qu'un nom utilisé par les syndicats pour exploiter la société en participation, il n'a pas été contesté de façon sérieuse que les profits faits par l'Express de Vancouver étaient exonérés d'impôt aux termes de l'alinéa 149(1)k) de la Loi. La défenderesse ne soutient pas que les syndiqués, même ceux qui travaillaient effectivement au jour nal, étaient des employés ni que les montants reçus à titre d'indemnités supplémentaires constituaient une rémunération pour services rendus. Cepen- dant, on prétend que l'Express de Vancouver était exploité comme une société en participation par les 1 400 syndiqués et non pas par les syndicats eux- mêmes, que les membres étaient tous des entrepre neurs individuels et que tous les montants reçus par ces derniers à titre d'indemnité supplémentaire étaient imposables comme revenu tiré de l'exploi- tation d'une entreprise, lequel correspondait à une distribution des profits réalisés, et que le transfert de ces paiements des syndicats eux-mêmes aux membres individuels ne change pas le caractère imposable de telles attributions.
Dans Wipf c. La Reine, [1975] C.F. 162; [1975] CTC 79 (l'affaire des Huttérites), la Cour d'appel fédérale a rendu un jugement qui a ensuite été confirmé par la Cour suprême; elle a décidé ainsi aux pages 165 C.F.; 80-81 CTC:
À mon avis, les opérations agricoles et les profits en résultant n'appartiennent en aucune manière aux membres des commu- nautés pris individuellement. Les opérations agricoles de chaque communauté relèvent des administrateurs ou de la corporation, selon le cas, et sont entreprises pour leur compte. De même, les bénéfices provenant de ces opérations leur revien- nent pour être utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été établis. À aucun moment, les membres n'ont droit à ces bénéfices, que ce soit individuellement ou collectivement. Lorsqu'ils devien- nent membres, ils s'engagent à consacrer leur temps et leurs travaux à ces opérations, sans aucune rémunération ou récom- pense et sans avoir droit à aucune forme de paiement, excepté les moyens de subsistance qui leur seront fournis, ainsi qu'à leur famille, par les administrateurs ou la corporation. À mon sens, ces moyens de subsistance représentent tout ce qu'aux termes des ententes, les membres individuels sont en droit de recevoir et, à mon avis, leur valeur représente le montant total du revenu de chaque membre aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il convient toutefois de remarquer que, dans ce cas-là, des personnes qui acceptaient de devenir membres de cette collectivité s'étaient toutes bien
engagées à consacrer leur temps et énergie à l'ex- ploitation sans salaire ni récompense, si ce n'est pour leur subsistance.
En l'espèce, il n'existait pas d'entente sur ce que les membres du conseil mixte exploitant le journal distribueraient aux syndicats individuels ou sur les montants éventuels que les dirigeants syndicaux donneraient alors à leurs membres, bien qu'il ait certainement été implicite qu'une partie des béné- fices au moins serait reçue par les membres du syndicat, ce qui s'est effectivement produit. Il est aussi intéressant de souligner que le problème fiscal créé par l'affaire Wipf a été réglé par une modification de la Loi de l'impôt sur le revenu puisque l'article 143 a été remplacé par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 71, applicable à 1977 et aux années subséquentes.
La défenderesse s'est référée à une certaine jurisprudence dont l'avocat estimait pouvoir tirer des principes pour les appliquer à l'espèce, laquelle est une affaire assez inhabituelle. L'arrêt de la Cour suprême dans Goldman v. Minister of National Revenue, [1953] 1 R.C.S. 211; 53 DTC 1096 permet d'établir le principe selon lequel il ne peut être utilisé d'intermédiaire pour éviter l'impo- sition sur ce qui aurait autrement constitué un revenu imposable. Aux pages 217-218 R.C.S.; 1100 DTC du jugement, il est dit:
[TRADUCTION] Il ne fait pas de doute que les deux parties voulaient que l'argent soit versé et reçu à titre de rémunération pour services rendus par Goldman à titre de président du comité. Le procureur est devenu en fait un intermédiaire entre la société et Goldman. On a soutenu que le paiement était volontaire. À part la question d'une fiducie déclarée, on peut présumer que le procureur n'était pas légalement tenu de faire le versement, mais il ne fait pas de doute non plus qu'il ait été lié par l'entente commune, quel que soit son nom ou sa nature.
Ce principe n'est pas contesté, mais les faits en l'espèce ne permettent pas son application puisqu'il n'existait pas d'entente entre les syndiqués quant à la manière dont les bénéfices du journal seraient répartis.
Dans l'affaire britannique Heatons Transport (St. Helens) Ltd. v. Transport and General Work ers' Union, [1973] A.C. 15 (H.L.), le président de la Chambre des lords déclare à la page 102:
[TRADUCTION] Mais les questions de délégation «d'en haut» pour reprendre l'expression du lord juge Roskill ne se posent pas si l'autorité de prendre des mesures industrielles a été conférée aux délégués syndicaux, de façon expresse ou impli-
cite, par la «base», c'est-à-dire par les membres du syndicat dont l'accord est aussi la source ultime d'autorité du conseil exécutif général lui-même.
En l'espèce, bien que les membres du syndicat n'aient certainement pas rejeté la décision du comité directeur, des syndicats ou du conseil mixte, quel que soit son nom, de publier un journal pendant la grève, on n'a cependant jamais cherché à avoir leur accord. En fait, lors de la réunion du 1 e novembre, ils ont été seulement informés des démarches entreprises en vue d'une telle publica tion.
L'affaire Chappell v. Times Newspapers Ltd., [1975] 1 W.L.R. 482 (C.A.) n'est d'aucun secours pour la défenderesse. Il a été fait référence à la déclaration de lord Denning, à la page 500, qui pose le principe selon lequel le communiqué de presse émis par le syndicat au nom de tous ses membres lie tous ceux qui sont réputés l'avoir autorisé, à moins de l'avoir désavoué. L'arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Coast Steel Fabricators Ltd. et al. v. Minister of Finance, [1973] 4 W.W.R. 701, porte sur une soeiété en participation. Il a été jugé que la société en participation n'était qu'un instrument utilitaire que les entrepreneurs avaient institué pour coor- donner et administrer leur contrat, lequel doit en tout temps être considéré comme un contrat qu'ils ont exécuté eux-mêmes, bien qu'il ait été conclu, en fait, par le biais de la société en participation, qui n'était qu'un artifice comptable.
La défenderesse soutient qu'en l'espèce, le con- seil mixte qui exploitait le journal n'était qu'un représentant de tous les membres du syndicat qui étaient des associés de la société en participation ou des entrepreneurs indépendants. Cet argument ne me semble pas concorder avec la réalité des faits. Il est difficile de concevoir une convention de mandat, qu'elle soit écrite, orale ou même impli- cite, dans laquelle le mandant confie l'exploitation d'une entreprise à un mandataire sans lui donner d'instructions sur la distribution des profits de sorte que le mandataire est libre de les attribuer éventuellement dans leur totalité, partiellement (comme en l'espèce) ou de ne rien remettre au mandant. Bien que finalement tous les profits de l'exploitation du journal soient allés dans les cais- ses générales des syndicats, au prorata du nombre de membres de chacun, c'est la direction qui a
décidé de la façon dont ils devaient être répartis entre les membres d'après les statuts du syndicat, pendant la grève, et qui a ensuite gardé le reste dans les caisses après la grève lorsqu'il était devenu impossible de les distribuer sous forme d'indemnité supplémentaire de grève. Il semble difficile de soutenir qu'ils aient agi en tant que mandataires des membres du syndicat, sauf au sens très général des dirigeants syndicaux élus démocratique- ment peuvent toujours être considérés comme des représentants de leurs membres dans toutes leurs activités.
La défenderesse s'appuie en fait dans son plai- doyer sur le Bulletin d'interprétation 334R qui n'a, bien entendu, aucune autorité jurisprudentielle pour la Cour et ne fait qu'exprimer la manière dont l'interprétation devrait se faire selon la défen- deresse. Il y est dit au paragraphe 3:
Si les sommes versées par le syndicat à l'un de ses membres proviennent, ou proviendront, de l'exploitation d'une entreprise par le syndicat, ces sommes seront considérées comme un revenu imposable, que le bénéficiaire participe ou non à l'entreprise.
Enfin, la jurisprudence sur laquelle la défende- resse s'est principalement fondée est l'affaire Ferris, T.E. et al. v. M.N.R. (1977), 77 DTC 17 de la Commission de révision de l'impôt, il s'agissait d'une situation identique qui s'était pro- duite en 1973 Victoria; il y avait eu une grève à la Victoria Press Limited qui publiait le Times et le Daily Colonist de Victoria, et les employés grévistes avaient sorti un journal appelé l'Express de Victoria pendant leur grève. Ils ont été imposés sur l'indemnité supplémentaire de grève que leur avaient versée leurs syndicats à partir des bénéfi- ces provenant du journal, lesquels avaient été, comme en l'espèce, remis aux syndicats pour qu'ils les distribuent. Appel a été interjeté de cette déci- sion, mais il n'a pas eu de suite parce que l'avocat a déclaré que, par principe, on avait décidé de porter l'espèce directement devant la Cour fédé- rale, ce qui laisse l'appel de l'affaire Ferris en veilleuse jusqu'à ce que la présente Cour ait statué sur la même question. Cette dernière affaire n'a donc aucune portée pour la thèse de la Couronne en l'espèce, mais il convient de bien lire le juge- ment. La décision renferme une déclaration à laquelle je ne puis souscrire et avec laquelle même la défenderesse est en désaccord parce qu'il est conclu que, vu l'absence de sanction dans la Loi
pour le défaut de cotisation de l'indemnité de grève de base, celle-ci devrait aussi être imposée au même titre que les indemnités supplémentaires, considérant que le fonds de grève général est cons- titué d'une proportion des cotisations syndicales dues et versées par chaque syndiqué qui sont déductibles d'impôt et, par conséquent, comme dans le cas des régimes de pensions ou des régimes enregistrés d'épargne-retraite, les montants reçus devraient donc être imposés à titre de revenus lorsqu'ils sont versés au contribuable.
Dans Ministre du Revenu National v. Eastern Abbatoirs Ltd., [1963] R.C.É. 251; [1963] C.T.C. 19, le juge Noël (tel était alors son titre) a dit à la page 256 R.C.É.; à la page 23 C.T.C. à propos du remboursement des contributions de pension:
Il est vrai que la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit dans certains cas la taxation de certains montants déduits et plus tard récupérés mais seulement lorsqu'un texte de la Loi le prévoit clairement.
Il est maintenant bien établi, tant comme politique qu'autrement, que les indemnités syndicales ver sées grâce au fonds de grève général ne sont pas imposables et que la défenderesse ne cherche pas à les imposer dans le cas présent (ni le Ministre dans l'affaire Ferris).
Le jugement Ferris conclut à la page 19:
Quant à l'indemnité de grève complémentaire, je ne pense pas que le fait de placer le revenu imposable d'une entreprise commerciale entre les mains d'un syndicat et puis de le récupé- rer au moyen d'une redistribution selon une certaine formule en fasse un revenu non imposable. La forme ne saurait changer le fond.
S'il s'agissait seulement d'un moyen de répartir les profits du journal entre les membres des syndi- cats par le biais des syndicats mêmes, cette conclu sion pourrait être retenue mais, comme on a pu le dire, les faits sont beaucoup plus complexes. Non seulement tous les profits n'étaient pas répartis, mais encore une partie de cette distribution, quoi- qu'il ne soit agi que d'une faible partie apparem- ment, provenait d'autres sources (donations et con tributions d'autres syndicats), et les personnes imposées n'avaient pas le droit de réclamer quoi que ce soit à ce titre et s'en remettaient aux syndicats pour la répartition des bénéfices. Comme je l'ai dit, je ne puis accepter l'argument selon lequel le journal fonctionnait grâce aux quelque 1 400 membres du syndicat dont la plupart ne travaillaient même pas au journal mais exécutaient
seulement des tâches dans le cadre de la grève. Le journal était tenu par les syndicats, comme il ressort du placard administratif du journal. Ils oeuvraient pour le bénéfice des membres, mais pas à titre de mandataires ni sous leurs ordres.
Une telle conclusion n'est pas acceptable pour le ministère du Revenu national, apparemment. D'après l'alinéa 149(1)k), les syndicats qui fai- saient effectivement fonctionner le journal pour le conseil mixte sont exonérés d'impôt et, aux termes du présent jugement, les membres individuels du syndicat qui ont retiré le plus de profit de l'opéra- tion sont aussi exonérés puisqu'ils ne sont pas des personnes qui exploitent une entreprise. Par consé- quent, on aboutit à une situation les profits d'une entreprise très florissante sont exonérés d'impôt, il se peut que la solution consiste à modi fier la Loi comme ce fut le cas à la suite de l'affaire Wipf (précitée), mais dans l'état actuel des choses, je dois maintenir les appels et renvoyer au Ministre les cotisations de chacun des deman- deurs pour une nouvelle cotisation, considérant que les indemnités supplémentaires de grève ne sont pas imposables. Comme les six actions ont été jugées simultanément sur preuve commune, il n'y aura qu'un seul mémoire de frais, à l'exception des déboursés payable à l'égard de chacune des six actions.
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