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A-276-85
Office canadien du poisson salé (appelant) (troi- sième défendeur)
c.
Joen Pauli Rasmussen et S/LF Bordoyarvik (pre- miers intimés) (demandeurs)
et
Herb Breau, ministre des Pêches et des Océans du Canada (deuxième intimé) (premier défendeur)
et
La Reine (troisième intimée) (deuxième défende- resse)
RÉPERTORIÉ: RASMUSSEN c. BREAU (C.A.F.)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Heald et MacGuigan—St. John's, 13 mai; Ottawa, 3 juillet 1986.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Office canadien du poisson salé Des fonction- naires des Pêches ont saisi la cargaison des intimés L'Office a acheté la cargaison et l'a vendue par la suite Il a omis de retourner le poisson ou la valeur de celui-ci La Cour n'a pas la compétence voulue pour recevoir une réclamation fondée sur le délit d'appropriation illégitime L'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale permet de recevoir une action intentée contre la Couronne elle-même seulement et non contre les sociétés mandataires de la Couronne Aucune loi fédérale ne s'appli- que Ni la Loi sur la responsabilité de la Couronne ni la Loi sur le poisson salé ne prévoient la responsabilité de l'Office C'est le droit de la province l'achat et la vente ont eu lieu qui s'applique à la demande en dommages-intérêts Appel accueilli Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 17(1),(2), 48, 64(1) Loi sur le poisson salé, S.R.C. 1970 (P' Supp.), chap. 37, art. 3, 7, 14 (mod. par S.C. 1984, chap. 31, art. 14), 23 Loi sur la protection des pêcheries côtières, S.R.C. 1970, chap. C-21, art. 6(9) Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.C. 1952-53, chap. 30, art. 3, 7(1),(2) Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, I), art. 101 Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 105, 106, 107, 108 (édictés par S.C. 1984, chap. 31, art. 11) Loi modifiant la Loi de la Cour de l'Echiquier, S.C. 1938, chap. 28 Loi modifiant la Loi des pétitions de droit, S.C. 1950-51, chap. 33 Acte à l'effet de modifier l'Acte des cours Suprême et de l'Echiquier, et d'établir de meilleures disposi tions pour l'instruction des réclamations contre la Couronne, S.C. 1887, chap. 16, art. 16(c).
Couronne Action en dommages-intérêts intentée contre un office créé par une loi et agissant à titre de mandataire de la Couronne Saisie d'une cargaison de poissons Appro-
priation illégitime La Cour fédérale est-elle compétente? L'art. 17 de la Loi ne confere la compétence voulue à la Cour que dans les poursuites prises contre la Couronne elle-même Les mots «les cas la propriété, les effets ou l'argent .. . sont en possession de la Couronne» ne comprennent pas les demandes intentées contre l'Office L'expression «découle ou est née d'un contrat passé par la Couronne ou pour son compte» ne s'étend pas aux demandes résultant d'un délit En l'absence d'argument sur ce point, il n'a pas été déterminé si l'art. 7(2) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne confere à la Cour fédérale une compétence concomitante La responsabilité de la Couronne à l'égard du délit prétendu peut découler de la Loi sur la responsabilité de la Couronne mais non pas de la loi créant l'Office Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 17 Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.C. 1952-53, chap. 30, art. 7(2).
Pêches Demande en dommages-intérêts pour appropria tion illégitime, intentée contre l'Office canadien du poisson salé Saisie de la cargaison par des fonctionnaires des Pêches et vente de celle-ci à l'Office La Cour fédérale n'a pas compétence, car la demande est fondée sur le droit provin cial et non sur le droit fédéral /l ne s'agit pas d'une demande résultant d'un délit si elle se fonde sur la Loi sur la protection des pêcheries côtières Loi sur la protection des pêcheries côtières, S.R.C. 1970, chap. C-21, art. 6(9) Loi sur le poisson salé, S.R.C. 1970 (1e' Supp.), chap. 37, art. 3, 7, 14.
Des fonctionnaires des Pêches canadiennes ont saisi la car- gaison de poissons des intimés et l'ont vendue à l'appelant, l'Office canadien du poisson salé. Ce dernier a omis de retour- ner le poisson ou la valeur de celui-ci. Les intimés ont intenté contre la Couronne une action fondée sur le délit d'appropria- tion illégitime. L'Office a tenté d'obtenir une ordonnance visant à faire rejeter l'action intentée contre lui en raison de l'absence de compétence de la Cour. Le juge de première instance a rejeté la requête pour le motif que, aux fins de l'application des paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale (la «Loi»), l'Office, à titre de mandataire de la Couronne, devrait être assimilé à la Couronne. L'article 17 confère compétence à la Cour dans les cas l'on demande un redressement contre la Couronne.
Arrêt: l'appel devrait âtre accueilli.
En l'espèce, il fallait faire une distinction avec l'affaire Brière c. Société canadienne d'hypothèques et de logement, [ 1986] 2 C.F. 484 (C.A.) dans la mesure où, dans la présente affaire, le délit aurait été commis par l'Office lui-même et la question de la responsabilité du fait d'autrui de l'Office à l'égard des actes accomplis par ses préposés ne se pose pas.
L'article 17 de la Loi et les modifications qui y ont été apportées ne peuvent servir de fondement à la position des intimés selon laquelle la Cour peut connaître de cette affaire. Dans les arrêts Yeats v. Central Mortgage & Housing Corp., [1950] R.C.S. 513 et Canadian National Railway Company v. North-West Telephone Company, [1961] R.C.S. 178, la Cour suprême du Canada a statué que les dispositions de la Loi sur la Cour de l'Echiquier similaires à l'actuel article 17 confé- raient à la Cour la compétence voulue seulement dans les poursuites intentées contre la Couronne elle-mime et non dans les poursuites engagées par ou contre une société créée en vertu d'une loi et agissant à titre de mandataire de la Couronne.
Est rejetée la prétention des intimés selon laquelle le paragra- phe 17(2) de la Loi, tel qu'il est libellé, s'applique à leurs demandes. Les mots «les cas la propriété, les effets ou l'argent d'une personne sont en possession de la Couronne» ne visent pas la réclamation du produit de la vente du poisson dans la mesure la demande est dirigée contre l'Office. Quant à l'expression «découle ou est née d'un contrat passé par la Couronne ou pour son compte», elle ne concerne que les deman- des visant à faire valoir des droits contractuels et non les demandes découlant d'un délit.
Le paragraphe 7(2) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne qui est entrée en vigueur en 1953 prévoyait que la Cour de l'Echiquier avait une compétence concomitante à l'égard des recours pouvant être présentés devant les tribunaux provinciaux contre un mandataire de la Couronne conformé- ment à une loi du Parlement autorisant ces procédures. La question de savoir si le paragraphe 7(2) confère à la Cour une compétence concomitante pour instruire la demande intentée contre le mandataire lui-même ou contre la Couronne elle- même n'a pas pu être tranchée en l'absence d'argument sur ce point.
De toute façon il n'a pas été nécessaire de se prononcer sur cette question étant donné que l'appel devait être accueilli pour le motif qu'aucune loi fédérale ne s'applique à l'appelant, qui est poursuivi en dommages-intérêts pour la prétendue appro priation illégitime. Le fondement du redressement réside dans la loi de la province la vente et l'achat prétendument illégaux ont eu lieu. Le droit en ce domaine a été exposé dans l'arrêt Conseil des Ports Nationaux v. Langelier et al., [1969] R.C.S. 60, il fut jugé que la situation n'est pas différente, qu'il s'agisse d'un «particulier» ou d'une «société» qui est man- dataire de la Couronne. Ainsi que le disait le juge Martland, «un recours a toujours existé devant les tribunaux ordinaires à l'égard des actes faits, sans justification légale, par un manda- taire de la Couronne; à la lumière de ce principe, le Conseil est responsable s'il commet lui-même un [tel] acte». Malgré le fait que la Couronne pourrait être tenue responsable, en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, du délit reproché à l'appelant, celui-ci ne pourrait pas être responsable, que ce soit en vertu de cette Loi, de l'article 14 de la Loi sur le poisson salé ou de toute autre disposition similaire. C'est la loi de Terre-Neuve qui s'applique.
Dans la mesure la demande d'indemnité relative au produit de la vente du poisson peut être fondée sur le paragra- phe 6(9) de la Loi sur la protection des pêcheries côtières, bien qu'il semble exister des dispositions législatives fédérales per- mettant à la Cour d'entendre ce litige, il ne s'agit pas d'un recours découlant d'un délit. Il s'agit d'un cas les biens d'une personne sont entre les mains de la Couronne et le seul article permettant à notre Cour de recevoir une demande est l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale qui, comme il a déjà été indiqué, ne permet pas d'intenter une action contre un manda- taire de la Couronne mais seulement contre la Couronne elle-même.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Yeats v. Central Mortgage & Housing Corp., [1950] R.C.S. 513; Conseil des Ports Nationaux v. Langelier et al., [1969] R.C.S. 60.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Brière c. Société canadienne d'hypothèques et de loge- ment, [1986] 2 C.F. 484 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Mackenzie-Kennedy v. Air Council, [1927] 2 K.B. 517 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Canadian National Railway Company v. North-West Telephone Company, [1961] R.C.S. 178; Commission de la Capitale nationale c. Bourque, [1972] C.F. 519 (C.A.); The Queen v. Filion (1895), 24 R.C.S. 482; The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Wes- tern) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654.
AVOCATS:
David Sgayias pour l'appelant (troisième défendeur), le deuxième intimé (premier défendeur) et la troisième intimée (deuxième défenderesse).
John R. Sinnott pour les premiers intimés (demandeurs).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant (troisième défendeur), le deuxième intimé (premier défendeur) et la troisième intimée (deuxième défenderesse).
Lewis, Sinnott & Heneghan, St. John's, pour les premiers intimés (demandeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: I] s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance par laquelle la Division de première instance [[1985] 2 C.F. 445] a rejeté la requête de l'appelant visant à faire rejeter l'action intentée contre ce dernier pour cause d'absence de compétence à l'égard du redressement recherché contre lui. L'action a été intentée par les premiers intimés contre l'appelant, le Ministre et la Couronne. Comme ces derniers ont soutenu la thèse de l'appelant dans leur mémoire et n'ont pas participé de façon distincte à
l'audition, il convient, pour les fins du présent jugement, de ne pas en tenir compte et d'appeler les premiers intimés «les intimés».
L'action intentée contre l'appelant est fondée sur des délits, c'est-à-dire l'appropriation illégale de poisson que des fonctionnaires des Pêches cana- diennes auraient illégalement déchargé du bateau de pêche appelé le Bordoyarvik et que l'appelant aurait acheté de la Couronne et subséquemment vendu à des personnes inconnues, ainsi que l'appro- priation illicite commise par l'appelant lorsqu'il a omis de retourner le poisson ou la valeur de celui-ci et de rendre compte des sommes d'argent reçues à titre de produit de la vente dudit poisson.
Fait à souligner, la faute qui est reprochée à l'appelant et dont nous devons convenir de l'exacti- tude pour les fins des présentes est un délit commis par l'appelant lui-même; il n'est donc aucunement question, à l'égard de cette allégation, de la res- ponsabilité du fait d'autrui de l'appelant pour des actes commis par ses préposés ou employés. Cette caractéristique distingue la situation de la présente cause de celle qui prévalait dans l'affaire Brière c. Société canadienne d'hypothèques et de logement, [1986] 2 C.F. 484 (C.A.), dans laquelle un juge- ment est prononcé aujourd'hui par trois autres membres de la Cour.
La première question en litige dans l'appel con- siste à déterminer si cette Cour a la compétence voulue pour recevoir une action de ce genre contre l'appelant.
L'appelant est la société qui a été créée en vertu de l'article 3 de la Loi sur le poisson salé', dans le but d'accroître les gains des producteurs primaires de poisson salé préparé en préparant le poisson et en faisant l'achat, la vente et la commercialisation de poisson préparé et des sous-produits de la pré- paration du poisson. En vertu de l'article 7, il dispose de larges pouvoirs à l'égard de l'achat, du traitement et de la vente de poisson préparé et, en vertu de l'article 23, il possède, sous réserve de
' S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 37.
certaines restrictions, le droit exclusif de faire le commerce, l'achat et la vente de poisson préparé et des sous-produits de la préparation du poisson dans le commerce interprovincial et dans le commerce d'exportation. L'article 14 se lit comme suite:
14. (1) L'Office est pour tous les objets de la présente loi mandataire de Sa Majesté et n'exerce qu'à ce titre les pouvoirs que lui confère la présente loi.
(2) L'Office peut, pour le compte de Sa Majesté, conclure des contrats au nom de Sa Majesté ou en son propre nom.
(3) Les biens acquis par l'Office appartiennent à Sa Majesté et le titre peut en être dévolu soit au nom de Sa Majesté, soit au nom de l'Office.
(4) Les actions, poursuites ou autres procédures judiciaires concernant un droit acquis ou une obligation contractée par l'Office pour le compte de Sa Majesté, que ce soit en son nom ou au nom de Sa Majesté, peuvent être intentées ou prises par ou contre l'Office au nom de ce dernier devant toute cour qui aurait juridiction si l'Office n'était pas mandataire de Sa Majesté.
De toute évidence, cet article ne permet aucune- ment à cette Cour de recevoir une action intentée contre l'appelant. Cependant, il a pour effet d'em- pêcher l'appelant d'invoquer devant un tribunal compétent un privilège d'immunité en raison du fait qu'il était mandataire de la Couronne ou a agi à ce titre, privilège qu'il aurait peut-être pu invo- quer autrement. Dans la cause de Yeats v. Central Mortgage & Housing Corp.', la Cour suprême du Canada a étudié des dispositions similaires et décidé que ces dispositions conféraient aux tribu- naux provinciaux le pouvoir de recevoir des actions de nature contractuelle intentées contre le manda- taire statutaire de la Couronne.
Cependant, cela ne résout pas pour autant la question de savoir si cette Cour a, d'une façon ou d'une autre, la compétence voulue pour recevoir contre l'appelant une demande de redressement de la nature indiquée dans la déclaration. La Cour est un tribunal d'archives supérieur, mais elle n'a aucune juridiction générale en common law ou, en
2 Cet article a depuis été abrogé et remplacé par un nouvel article 14 qui prévoit uniquement que l'Office est, pour l'appli- cation de la Loi, mandataire de Sa Majesté du chef du Canada. À la même époque, des dispositions générales applicables aux sociétés mandataires de la Couronne et semblables à celles de
l'ancien article 14 ont été incluses dans les articles 105 108 inclusivement de la Loi sur l'administration financière [S.R.C. 1970, chap. F-10 (édictés par S.C. 1984, chap. 31, art. 11)]. Voir S.C. 1984, chap. 31, art. 14 et annexe II, numéro 47.
3 [1950] R.C.S. 513.
droit civil. Elle possède uniquement la juridiction qui lui a été explicitement conférée par la loi et même cette compétence est assujettie aux restric tions touchant le pouvoir du Parlement de créer, en vertu de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, no. 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], d'autres tribunaux pour améliorer l'administration des lois du Canada.
Le savant juge de première instance a fondé sa décision sur les paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] et sur le motif que, comme certaines sociétés créées de façon similaire à titre de manda- taires de la Couronne ont le droit d'invoquer le privilège d'immunité de la Couronne, ces sociétés et l'appelant devraient être assimilés à la Couronne pour les fins des paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale. En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec cette conclusion.
Les paragraphes 17(1) et (2) prévoient ce qui suit:
17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (I), la Division de première instance, sauf disposition contraire, a compétence exclusive en première instance dans tous les cas la propriété, les effets ou l'argent d'une personne sont en possession de la Couronne, dans tous les cas la demande découle ou est née d'un contrat passé par la Couronne ou pour son compte et dans tous les cas une demande peut être faite contre la Couronne pour atteinte défavorable.
Bien qu'elles aient subi certaines modifications sur le plan de la forme, ces dispositions et d'autres articles de la Loi ont pour effet d'accorder à la Cour fédérale les pouvoirs qu'exerçait auparavant la Cour de l'Échiquier en vertu de la Loi sur la Cour de l'Echiquier. En vertu de cette Loi, la Cour avait compétence exclusive pour instruire les demandes de redressement formulées contre la Couronne, y compris «les cas un immeuble, des effets ou l'argent d'un particulier sont en la posses sion de la Couronne, ou dans lesquels la réclama- tion découle d'un contrat passé par la Couronne ou en son nom». Ces dispositions sont demeurées en vigueur depuis l'adoption du chapitre 16 des S.C. 1887 [Acte à l'effet de modifier l'Acte des cours
Suprême et de l'Echiquier, et d'établir de meil- leures dispositions pour l'instruction des réclama- tions contre la Couronne.]
À cette époque, et même jusqu'à l'entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale en 1971, les procédures l'on invoquait la compétence de la Cour en vertu de ces dispositions pouvaient être entamées uniquement par pétition de droit et, jus- qu'à ce qu'il soit aboli en 1951 par les S.C. 1950-51, chap. 33 [Loi modifiant la Loi des péti- tions de droits], le fiat du gouverneur général devait être déposé avant que la Cour puisse étudier le litige. Il semble peu probable qu'un fiat aurait été accordé à l'égard d'une demande de redresse- ment formulée à la fois contre la Couronne et contre l'une de ses sociétés mandataires. La Loi sur les pétitions de droit était silencieuse à ce sujet. Cette Loi a été abrogée par le paragraphe 64(1) de la Loi sur la Cour fédérale et remplacée par l'article 48, en vertu duquel une procédure peut être engagée contre la Couronne par le dépôt d'un acte de procédure en la forme indiquée à l'annexe I. Cet article ne permet aucunement d'ajouter une autre partie comme défendeur dans cette action.
Dans la cause de Yeats susmentionnée et, plus tard, dans l'affaire de Canadian National Railway Company v. North-West Telephone Company°, la Cour suprême a décidé que les dispositions de la Loi sur la Cour de l'Echiquier correspondant aux paragraphes 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale permettaient à la Cour de statuer unique- ment sur les litiges intentés contre la Couronne elle-même, et non sur les litiges intentés par ou contre une société statutaire agissant comme man- dataire de la Couronne. Dans l'affaire Yeats, dont le jugement rendu par la Cour d'appel de l'Alberta avait été porté en appel devant la Cour suprême, le juge Kerwin (tel était alors son titre) s'est exprimé comme suit [aux pages 516 et 517]:
[TRADUCTION] Dans ses motifs, le juge H.J. Macdonald cite la Loi sur la Cour de l'Echiquier, S.R.C. 1927, chapitre 34, mais les seuls articles qui, selon lui, pourraient s'appliquer sont les articles 18 et 19. L'article 18 ne s'applique pas, car la présente cause ne concerne pas «une poursuite ou action contre la Couronne» et le sens de ces mots du début de l'article n'est pas élargi par la dernière partie de l'article, qui se lit comme suit: «ou dans lesquels la réclamation provient d'un contrat passé par la Couronne ou en son nom.» L'article 19, dans la
[1961] R.C.S. 178.
mesure il pourrait être pertinent, parle des «réclamation[s] contre la Couronne». En l'espèce, les appelants désirent que leurs demandes de redressement soient accueillies à la fois contre la Société (et non la Couronne) et contre les autres défenderesses. Les dispositions de la Loi sur la Société centrale d'hypothèques et de logement permettent que la Société soit poursuivie devant la Cour provinciale; par conséquent, les jugements rendus par les tribunaux inférieurs devraient être renversés et la requête visant à éliminer la Société comme partie défenderesse et à faire rejeter l'action contre elle devrait être rejetée.
Dans la cause de Commission de la Capitale nationale c. Bourque 5 , le juge en chef Jackett s'est exprimé dans le même sens à l'égard du paragra- phe 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale. L'his- toire de l'article 17 ne permet donc aucunement de soutenir la thèse des intimés. La jurisprudence est plutôt à l'effet contraire.
C'est pour cette raison, à mon avis, que l'argu- ment des intimés selon lequel, comme la demande d'indemnité relative au produit de la vente du poisson est couverte par les mots «cas la pro- priété, les effets ou l'argent d'une personne sont en possession de la Couronne», la Cour peut la rece- voir, ne saurait tenir à l'encontre de l'appelant, même s'il est bien fondé en ce qui a trait au recours contre la Couronne.
Le procureur des intimés a également soutenu que, comme ce qui est reproché à l'appelant est le fait d'avoir acheté et vendu le poisson comme mandataire de la Couronne, les mots du paragra- phe 17(2) «découle ou est née d'un contrat passé par la Couronne ou pour son compte» couvrent la demande d'indemnité. À mon avis, les mots en question couvrent uniquement les demandes visant à faire valoir des droits contractuels et non les litiges de nature délictuelle. Je le répète, l'histoire de cet article ne permet pas de soutenir la thèse des intimés. A mon avis, en common law, la Couronne était liée par ses contrats, c'est-à-dire qu'elle était tenue de se conformer aux obligations qu'elle avait contractées. Telle était la règle de fond. Cependant, avant la création d'un tribunal autorisé à recevoir la demande formulée par un particulier à l'égard de ce contrat, il n'était pas possible d'obtenir un redressement par la voie judi- ciaire. Cette lacune a été comblée par la procédure de pétition de droit. Il en était de même pour les recours qui concernaient la propriété d'une per-
s [1972] C.F. 519 (C.A.), à la p. 524.
sonne se trouvant entre les mains de la Couronne. Cependant, lorsque le recours était de nature délic- tuelle, au problème de l'absence de tribunal com- pétent en la matière s'ajoutait celui de l'absence de responsabilité de la Couronne. Seule la personne ayant elle-même commis le délit, le cas échéant, pouvait être reconnue responsable. Cette personne pouvait être poursuivie devant tout tribunal com- pétent et elle ne pouvait invoquer le privilège de l'immunité de la Couronne, parce que le délit ne pouvait être attribué à la Couronne.
Le législateur a remédié en partie au problème en adoptant, en 1887 6 , une disposition ayant pour effet de transférer à la Cour de l'Échiquier cer- tains pouvoirs qui avaient été conférés aux arbitres officiels en 1870 concernant les recours fondés sur la négligence des agents ou préposés de la Cou- ronne agissant dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions ou de leur emploi à l'égard des blessures subies dans un chantier public. Les tribunaux ont jugé que cette disposition avait pour effet de recon- naître le droit à des dommages-intérêts et de per- mettre à la Cour de recevoir la demande. Voir les arrêts The Queen v. Filion' et The King v. Dubois». La procédure utilisée était la pétition de droit et un fiat était encore requis. La disposition a été élargie par le chapitre 28 des S.C. 1938 [Loi modifiant la Loi de la Cour de l'Echiquier] de façon à rendre la Couronne responsable des dom- mages causés par la négligence de ses agents ou préposés agissant dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions ou de leur emploi. C'était la situa tion qui prévalait à l'égard de la responsabilité de la Couronne en matière délictuelle jusqu'à l'entrée en vigueur, en 1953, de la Loi sur la responsabilité de la Couronne 9 . La procédure utilisée devant la Cour de l'Échiquier en vertu de cette Loi était encore la pétition de droit, jusqu'à l'entrée en vigueur, en 1971, de l'article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et l'abrogation de la Loi sur les pétitions de droit.
Selon l'article 3 de la partie I de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, cette dernière était responsable des délits commis par ses «préposés», mot qui, par définition, comprenait également les
6 S.C. 1887, chap. 16, art. 16(c). ' (1895), 24 R.C.S. 482.
8 [1935] R.C.S. 378.
9 S.C. 1952-53, chap. 30.
mandataires. La Couronne devenait donc respon- sable elle-même du délit. La Loi n'avait pas pour effet d'imposer une responsabilité au préposé ou mandataire qui avait commis le délit. Cette per- sonne était, par hypothèse, déjà responsable en vertu du droit général de l'endroit le délit avait été commis. Il n'est pas nécessaire de déterminer si la Loi avait également pour effet d'imposer à une société mandataire de la Couronne la responsabi- lité d'un délit commis par son employé, dans les cas l'employé est lui-même préposé de la Cou- ronne, car le délit reproché dans la cause qui nous occupe est un délit commis par l'appelant lui-même.
Par ailleurs, la Loi prévoyait, au paragraphe 7(1), que la Cour de l'Échiquier avait compétence exclusive pour instruire les demandes prévues dans la Loi dans certains cas et statuer en l'espèce et, au paragraphe 7(2), que cette Cour avait compétence concomitante dans certains autres cas, notamment à l'égard des recours pouvant être présentés devant les tribunaux provinciaux contre un mandataire de la Couronne conformément à une loi du Parlement autorisant ces procédures. Il m'apparaît évident que le paragraphe 7(2) vise à conférer à la Cour fédérale une compétence concomitante pour ins- truire ce genre de demandes et se prononcer à leur égard; cependant, les procureurs n'ont pas fait allusion à cette disposition dans leur mémoire ou au cours de l'audition et, en l'absence d'argument sur ce point, il ne m'apparaît pas approprié de déterminer si cette disposition confère à cette Cour une compétence concomitante à l'égard des demandes formulées contre le mandataire lui- même ou seulement à l'égard des recours contre la Couronne elle-même. Cependant, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cette question car, même en présumant que la disposition a pour effet de permettre à cette Cour d'entendre les demandes formulées contre le mandataire et de rendre jugement à leur égard, je dois néanmoins accueillir l'appel pour le second motif invoqué, c'est-à-dire le fait qu'il n'existe aucune loi fédérale s'appliquant à la demande de dommages-intérêts formulée contre l'appelant à l'égard de l'appro- priation reprochée. Comme cette appropriation est l'acte que l'appelant aurait lui-même commis, il me semble que le fondement du redressement que l'on cherche à obtenir contre l'appelant à l'égard du délit reproché réside dans la loi de la province l'achat et la vente illégaux ont eu lieu.
Dans la cause Conseil des Ports Nationaux v. Langelier et al. 10 , la Cour suprême a étudié la question de la responsabilité en common law à l'égard des délits commis par un mandataire de la Couronne. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Martland a résumé la situation comme suit [aux. pages 71 et 72]:
[TRADUCTION] Après avoir passé en revue la jurisprudence citée par les procureurs et d'autres causes qu'il ne m'apparaît pas nécessaire de mentionner, voici quelle est, à mon avis, la situation des préposés ou mandataires de la Couronne en common law, à l'égard des litiges de nature délictuelle:
Premièrement, la Couronne elle-même ne peut être poursui- vie en responsabilité délictuelle.
Deuxièmement, les biens de la Couronne ne peuvent être touchés, indirectement, lors de poursuites de nature délictuelle intentées contre un ministère du gouvernement ou un fonction- naire de la Couronne. Dans le cas du ministère du gouverne- ment, il faut ajouter que, comme ce ministère n'est pas une entité juridique, il ne peut être poursuivi.
Troisièmement, un préposé de la Couronne ne peut être tenu responsable du fait d'autrui dans le cas des délits commis par un subalterne. Le subalterne n'est pas son préposé; il est plutôt, comme le préposé lui-même, un préposé de la Couronne qui ne peut elle-même être tenue responsable.
Quatrièmement, le préposé de la Couronne qui commet un délit est personnellement responsable de ce délit envers la personne lésée. De plus, si l'acte illicite est commis par un subalterne, à sa demande, il est également responsable, non pas parce que le subalterne est son préposé, mais plutôt parce que l'acte de ce subalterne est considéré, dans ce cas, comme son propre fait. C'est ce qui a été dit dans l'affaire Raleigh v. Goschen, précitée.
La situation est-elle différente lorsque le mandataire n'est pas un particulier, mais une société, comme en l'espèce? Je ne le crois pas et je souscris aux motifs exprimés par le lord juge Atkin dans l'affaire Mackenzie-Kennedy.
Plus tôt dans ses motifs, le juge Martland avait cité la page 69] le passage suivant du jugement rendu par le lord juge Atkin dans l'arrêt Macken- zie-Kennedy v. Air Council [[1927] 2 K.B. 517 (C.A.), aux pages 532 et 533]:
[TRADUCTION] Cependant, si l'organisme appelé Air Council était constitué en société, différents facteurs pourraient s'appli- quer. La Couronne peut, et c'est effectivement ce qu'elle fait, employer comme ses préposés des particuliers, un comité mixte, un groupe de particuliers ou une société. Aucun d'eux ne peut être tenu responsable à titre de représentant en matière délic- tuelle; les particuliers peuvent être reconnus responsables à titre individuel et je ne vois pas pourquoi cette responsabilité ne devrait pas couvrir la personne juridique, la société tout comme le particulier. Il est peut-être vrai que la société dans ce cas n'aura pas de biens propres pouvant être saisis, mais le particu- lier sera peut-être, lui aussi, dans ce cas. Il faut également tenir
10 [ 1969] R.C.S. 60.
compte du fait que cette société n'aura pas de préposés, car tout comme dans le cas des fonctionnaires, ceux qui agissent sous ses ordres ne sont pas ses préposés, mais plutôt ceux de la Cou- ronne. Elle ne pourrait donc être tenue responsable que des délits qu'elle a effectivement commis ou dont elle a directement connaissance, comme dans les cas elle ordonne leur exécu- tion. Cependant, un délit de cette nature prouvé, par exemple, par une délibération d'un conseil constitué ordonnant expressé- ment la commission de ce délit, ouvrirait droit, en principe, à une action, quel que soit le résultat éventuel de cette action.
Le juge Martland a résumé la situation comme suit [aux pages 74 et 7f]:
[TRADUCTION] Cependant, comme je l'ai déjà dit, un recours a toujours existé devant les tribunaux ordinaires à l'égard des actes faits, sans justification légale, par un manda- taire de la Couronne; à la lumière de ce principe, le Conseil est responsable s'il commet lui-même un acte fait sans justification légale ou qu'il ordonne ou permette à ses préposés de le faire.
Il s'agit là, à mon avis, de la seule règle de droit en vertu de laquelle l'appelant peut être tenu res- ponsable de l'appropriation reprochée dans la déclaration. Il s'agit d'une loi de la province de Terre-Neuve et non d'une loi fédérale. La loi applicable à la Couronne fédérale ne s'applique pas. De plus, bien que la Couronne pourrait être tenue responsable du délit reproché à l'appelant en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Cou- ronne, l'appelant ne pourrait être responsable, que ce soit en vertu de cette Loi, de l'article 14 de la Loi sur le poisson salé ou de toute autre disposi tion similaire. Il s'ensuit donc, à mon avis, qu'il n'existe aucune loi fédérale pouvant être appliquée par la Cour à l'égard du recours contre l'appelant et que la Cour ne peut recevoir cette demande. Voir les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre" et McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine 12 .
Dans la mesure la demande d'indemnité rela tive au produit de la vente du poisson peut être fondée sur le paragraphe 6(9) de la Loi sur la protection des pêcheries côtières'', il me semble qu'il existe une loi fédérale permettant à la Cour d'entendre ce litige; cependant, à mon avis, il ne s'agit pas d'un recours de nature délictuelle. Il s'agit simplement d'un cas des biens d'une personne se trouvent entre les mains de la Cou-
" [ 1977] 2 R.C.S. 1054.
12 [1977] 2 R.C.S. 654.
13 S.R.C. 1970, chap. C-21.
ronne et le seul article permettant à cette Cour de recevoir une demande visant à recouvrer ces biens est l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale qui, comme je l'ai déjà dit, ne permet pas d'intenter une action contre un mandataire de la Couronne, mais seulement contre la Couronne elle-même.
En conséquence, je suis d'avis que la requête aurait être accueillie et que l'action aurait être rejetée contre l'appelant.
Enfin, le procureur des intimés a également soutenu que la Cour devrait décider qu'elle est habilitée à recevoir la demande en raison des inconvénients causés à un demandeur, qui doit poursuivre la Couronne devant cette Cour et l'Of- fice devant un tribunal provincial, et en raison des délais importants déjà occasionnés par la requête et l'appel de l'appelant. Bien entendu, il est souhai- table, du point de vue du demandeur, de pouvoir poursuivre tous les défendeurs nécessaires devant un seul tribunal; cependant, je ne suis pas con- vaincu qu'il soit nécessaire ou avantageux, sur le plan des procédures, de poursuivre le mandataire de la Couronne ainsi que la Couronne elle-même dans un litige de cette nature. À tout événement, l'avantage qui pourrait être obtenu, le cas échéant, ne constitue pas un motif suffisant pour étendre la compétence de la Cour au-delà des limites prévues par la loi. De plus, en l'espèce, les délais occasion- nés par la requête et l'appel sont attribuables, à mon avis, à la jonction erronée de l'appelant par les intimés.
J'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais l'ordonnance rendue par la Division de première instance et je rejetterais l'action contre l'appelant avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris aux présents motifs.
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