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A-785-85
Procureur général du Canada (appelant) c.
Conseil canadien des . fabricants des produits du tabac, Benson & Hedges (Canada) Inc., Imperial Tobacco Limited, RJR -Macdonald Inc. et Roth- mans of Pall Mall Canada Limited (intimés)
RÉPERTORIÉ: CONSEIL CANADIEN DES FABRICANTS DES PRO- DUITS DU TABAC C. CONSEIL NATIONAL DE COMMERCIALISA TION DES PRODUITS DE FERME (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui- gan—Ottawa, 11, 12 février et 6 mars 1986.
Agriculture Enquête tenue en vertu de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme Tabac Une commission ontarienne, qui représente les producteurs, a proposé la création d'un office national de commercialisation Le Conseil national de commercialisation des produits de ferme a fait une enquête Le Conseil avait-il l'obligation de respecter les règles de l'équité? Le rapport présenté au Ministre par le Conseil n'est pas une condition préalable à la création d'un office mais peut conduire à une proclamation L'office aurait le pouvoir de fixer les prix Conséquences défavorables sur les intérêts des fabricants Allégation selon laquelle le Conseil ne prend aucune décision et n'a pour rôle que de recueillir des faits Le Conseil est obligé de respecter les règles de l'équité dans la procédure à cause du rôle que son enquête joue dans le processus décisionnel Le juge de première instance a eu raison d'ordonner la reprise de l'au- dience pour examiner l'étude sur les coûts de production qui avait été remise au Conseil après la tenue de l'audience mais avant la présentation de son rapport au Ministre Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970- 71-72, chap. 65, art. 2d),e)f),g), 6, 7(1)a)(i), 8(1)a),(3),(5), 10, 17(1), 18(1)a),b),c),e),(3) (mod. par S.C. 1984, chap. 42, art. 1), 23(1)a),b).
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Enquête menée par le Conseil national de commercialisation des pro- duits de ferme Le Conseil est un organisme administratif chargé uniquement de tenir des enquêtes et de formuler des recommandations Vu que sa décision finale fondée sur les recommandations peut avoir des conséquences défavorables pour certaines des parties, le Conseil doit respecter les règles de l'équité dans la procédure à. l'égard des parties au cours de l'enquête Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, chap. 65, art. 2d),e)f),g), 6, 7(1)a)(i), 8(1)a),(3),(5), 10, 17(1), 18(1)a),b),c),e),(3) (mod. par S.C. 1984, chap. 42, art. 1), 23(1)a),b) Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, Partie I.
À la demande de la Commission ontarienne de commerciali sation du tabac jaune, le Conseil national de commercialisation des produits de ferme a ouvert une enquête sur l'opportunité de créer un office national de commercialisation du tabac et a tenu des audiences publiques à cette fin.
Le Conseil a refusé d'enjoindre à la Commission ontarienne de produire une étude capitale sur les coûts de production, pour le motif qu'il en était empêché par sa politique établie de non-contraignabilité. L'étude a cependant été remise au Conseil après l'audience, mais avant qu'il présente son rapport au Ministre.
Alléguant qu'on n'avait pas respecté à leur égard les règles de l'équité dans la procédure, les intimés se sont adressés à la Division de première instance pour obtenir une série de brefs de prérogative en vue de la reprise des audiences publiques et de la présentation en preuve de l'étude sur les coûts de production.
Il s'agit d'un appel formé à l'encontre de l'ordonnance de la Division de première instance qui avait accueilli la demande.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté, mais l'ordonnance devrait être modifiée afin de prévoir la signification de l'avis de reprise de l'audience à toutes les personnes qui ont été autorisées à intervenir aux premières audiences.
Le Conseil avait effectivement le devoir de respecter les règles de l'équité. Il est évident que l'adoption d'un plan de commercialisation et la création d'un office ayant le pouvoir de fixer les prix entraîneraient des conséquences défavorables pour les fabricants. Par conséquent, même si le Conseil est un organisme administratif chargé uniquement de tenir des enquê- tes et de formuler des recommandations, vu ces conséquences défavorables et le rôle que l'enquête du Conseil joue dans le processus décisionnel—sa compétence est telle que ses recom- mandations ont beaucoup de poids—le Conseil est tenu de respecter l'équité dans la procédure à l'égard de ceux dont les droits et les intérêts pourraient être touchés par une décision fondée sur sa recommandation (voir les arrêts Saulnier et Abel).
Il appert d'un examen des obligations et des pouvoirs du Conseil ainsi que du processus décisionnel, que le Parlement a clairement admis que, lorsqu'un office est mis sur pied et qu'un plan de commercialisation est adopté, il s'agit-là d'une décision touchant les droits et les intérêts des particuliers qui ne devrait pas être prise sans qu'au préalable toutes les personnes visées aient eu l'occasion d'obtenir une audition équitable. Le Parle- ment a expressément prévu que cette occasion s'insère dans le cadre de l'enquête du Conseil et ce dernier se doit de mener l'audience en conséquence.
Le redressement accordé par le juge de première instance était justifié et approprié.
Le juge MacGuigan: La nouvelle façon d'aborder le contrôle judiciaire des décisions administratives (ainsi qu'il a été statué dans l'arrêt Martineau) suppose la reconnaissance d'un spectre de surveillance des décisions gouvernementales qui comporte des garanties procédurales plus grandes à son extrémité judi- ciaire. A mesure que l'on s'approche de l'autre extrémité du spectre, entrent en jeu des fonctions de nature purement législative, il y a diminution puis absence complète de garanties et de surveillance. En l'espèce, il ne s'agit pas de fonctions de nature purement législative, et elles doivent donc pouvoir faire l'objet de surveillance judiciaire.
Bien qu'il soit vrai que le rapport présenté au Ministre par le Conseil ne porte pas directement atteinte à des droits, que le Ministre n'est pas tenu d'y donner suite et que ce rapport n'est une condition préalable ni à la formulation d'une proposition ministérielle au gouverneur en conseil ni à une proclamation
par ce dernier, le Parlement a clairement voulu mettre en place un processus complet allant des audiences publiques à la pro clamation par l'exécutif et, plus particulièrement dans les cas un rapport a été préparé, prévoir que l'examen de ce rapport devienne une condition préalable à toute action de l'exécutif et du Ministre. Et le présent cas répond au critère jurisprudentiel des conséquences défavorables pour donner ouverture au con- trôle judiciaire: le rapport du Conseil, s'il est favorable aux intérêts des producteurs de tabac, peut fort bien et, en fait, va probablement porter atteinte aux intérêts des fabricants des produits du tabac.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572; In re Pergamon Press Ltd., [1971] Ch. 388 (C.A.); Re Abel et al. and Advisory Review Board (1980), 31 O.R. (2d) 520 (C.A.), confirmant (1979), 97 D.L.R. (3d) 304 (C. div.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602.
AVOCATS:
Brian J. Saunders et David Byer pour l'appelant.
François Lemieux, James H. Smellie et David K. Wilson pour la Commission onta- rienne de commercialisation du tabac jaune et le Tobacco Commodity Marketing Board de l'Île-du-Prince-Édouard.
Michael A. Kelen pour le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac.
John B. Claxton, c.r. et Bernard Amyot pour Benson & Hedges (Canada).
Simon V. Potter pour Imperial Tobacco Limited.
Georges-R. Thibaudeau pour RJR -Macdo- nald Inc.
Frank K. Roberts, c.r., pour Rothmans of Pall Mall Canada Limited.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour la Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune et le Tobacco Commodity Marketing Board de l'Île-du-Prince -Edouard.
Michael A. Kelen, Ottawa, pour le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac. Lafleur, Brown, de Grandpré, Montréal, pour Benson & Hedges (Canada).
Ogilvy, Renault, Montréal, pour Imperial Tobacco Limited.
Doheny, Mackenzie, Montréal, pour RJR - Macdonald Inc.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto, pour Rothmans of Pall Mall Canada Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté par le procureur général du Canada, sur permission, et par les contre-appe- lants, la Commission ontarienne de commercialisa tion du tabac jaune et le Tobacco Commodity Marketing Board de l'Île-du-Prince -Edouard, à l'encontre d'une ordonnance de la Division de pre- mière instance [[1986] 1 C.F. 401] ayant accordé des redressements sous forme de certiorari, de prohibition et de mandamus relativement aux actions entreprises, projetées et omises par le Con- seil national de commercialisation des produits de ferme, ci-après «le Conseil», dans le cours ou par suite d'une enquête tenue conformément au sous- alinéa 7(1)a)(i) de la Loi sur les offices de com mercialisation des produits de ferme, S.C. 1970- 71-72, chap. 65 et ses modifications. Les appe- lants, à l'exception du procureur général, représen- tent les producteurs de tabac. Les intimés sont des fabricants de produits du tabac ainsi que leur association commerciale. Ils achètent sensiblement tout le tabac produit au Canada. La question fondamentale consiste à se demander si le Conseil avait l'obligation d'agir équitablement, auquel cas, un certain nombre d'autres questions devront être examinées.
Le Conseil, qui est constitué en vertu de la Loi, est composé d'au moins 3 et d'au plus 9 membres nommés par le gouverneur en conseil, dont la moitié au moins doivent être des producteurs du secteur primaire et dont, autant que possible, un tiers doit provenir des quatre provinces de l'ouest, un tiers des deux provinces centrales et un tiers des quatre provinces de l'Atlantique. Parmi ses fonc- tions énoncées à l'article 6 de la Loi:
6. (I) Le Conseil a pour fonctions
a) de conseiller le Ministre sur toutes questions relatives à la création et au fonctionnement d'offices en vertu de la pré- sente loi en vue de conserver et de promouvoir une industrie agricole efficace et concurrentielle;
(2) Dans l'exercice de ses fonctions, le Conseil doit consulter régulièrement les gouvernements de toutes les provinces ayant un intérêt à la création ou à l'exercice des pouvoirs d'un ou plusieurs offices en vertu de la présente loi, ou consulter un ou des organismes établis par le gouvernement d'une province pour exercer des pouvoirs semblables à ceux du Conseil relativement au commerce des produits de ferme à l'intérieur d'une province.
Les procédures en cause ont été intentées par la Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune, ci-après «la Commission ontarienne», qui a présenté une requête écrite, comme le prévoit le sous-alinéa 7(1)a)(i), visant la création d'un office national de commercialisation du tabac.
7. (1) Afin de remplir ses fonctions, le Conseil
a) doit, au reçu d'une requête écrite émanant d'une ou de plusieurs associations représentant un nombre appréciable de personnes qui s'occupent de la culture ou de la production du ou des produits de ferme au Canada ou s'il en est requis par le Ministre, ou peut, de sa propre initiative, examiner l'opportunité
(i) d'établir un office pour un ou plusieurs produits de ferme et de lui conférer tout ou partie des pouvoirs énoncés à l'article 23,
et soumettre au Ministre ses propositions, notamment quant aux modalités d'un plan de commercialisation approprié, lorsque à son avis il est opportun de conférer à un office le pouvoir d'exécuter un tel plan pour le ou les produits de ferme faisant l'objet de l'examen;
Dans les circonstances, la tenue d'une audience publique était obligatoire et un jury a été formé conformément au paragraphe 8(3). Les disposi tions pertinentes de l'article 8 portent:
8. (1) Le Conseil doit tenir une audience publique
a) relativement à une enquête portant , sur l'opportunité de la création d'un office ou de l'extension du pouvoir d'un office existant à un ou plusieurs autres produits de ferme;
(3) Le président peut ordonner qu'une audience publique en vertu du présent article soit tenue au nom du Conseil par deux ou plusieurs membres de celui-ci désignés par lui et les mem- bres ainsi désignés ont et peuvent exercer, aux fins de cette audience, les pouvoirs du Conseil énoncés au paragraphe (5) et doivent rendre compte au Conseil de cette audience.
(5) Le Conseil a, pour toute audience publique en vertu du présent article, tous les pouvoirs d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes.
Il est opportun de signaler que la Partie I de la Loi sur les enquêtes [S.R.C. 1970, chap. I-13] confère notamment au Conseil le pouvoir d'exiger la pro duction de documents ainsi que celui de contrain- dre des témoins à comparaître et à rendre témoi- gnage sous serment ou par affirmation solennelle.
Le rapport présenté au Ministre par le Conseil conformément à l'alinéa 7(1)a) peut conduire à une proclamation en vertu du paragraphe 17(1). Cependant, un tel rapport n'est pas une condition préalable à la création d'un office par le gouver- neur en conseil.
17. (1) Le gouverneur en conseil peut par proclamation établir un office ayant des pouvoirs relativement à un ou plusieurs produits de ferme dont la commercialisation aux fins du commerce interprovincial et du commerce d'exportation n'est pas réglementée en application de la Loi sur la Commis sion canadienne du blé ou de la Loi sur la Commission canadienne du lait, lorsqu'il est convaincu que la majorité des producteurs du produit de ferme ou de chacun des produits de ferme au Canada est en faveur de la création d'un office.
18. (1) Une proclamation portant création d'un office doit
a) désigner le ou les produits de ferme pour lesquels l'office peut exercer ses pouvoirs et indiquer si ces pouvoirs peuvent être exercés
(i) relativement à ce ou ces produits dans la mesure ils sont cultivés ou produits au Canada, ou
(ii) relativement à ce ou ces produits dans la mesure ils sont cultivés ou produits dans une région du Canada désignée dans la proclamation, ou à la fois dans une telle région et ailleurs au Canada en dehors de cette région pour expédition à cette région dans le commerce interprovincial et non pour exportation;
b) désigner tout pouvoir énoncé à l'article 23 qui n'est pas conféré à l'office;
c) énoncer les modalités de tout plan de commercialisation que l'office a le pouvoir d'exécuter;
e) fixer le nombre des membres de l'office qui doit être de trois au moins et de douze au plus, dont pas moins de la majorité seront des producteurs du secteur primaire ...
(3) La proclamation aux paragraphes (1) ou (2) qui désigne un produit de ferme autre que les oeufs ou la volaille ou toute partie d'oeuf ou de volaille ne doit pas énoncer, pour le plan de commercialisation qu'un office a le pouvoir d'exécuter, de modalité permettant à cet office de fixer et déterminer en quelle quantité un produit réglementé pourra être commercia- lisé dans le commerce interprovincial ou le commerce d'expor- tations par des personnes qui s'occupent d'une telle commercia lisation.
23. (1) Sous réserve de la proclamation le créant et de toute proclamation ultérieure modifiant ses pouvoirs, un office peut
a) acheter tout produit réglementé relativement auquel il peut exercer ses pouvoirs et tout produit de ferme, qu'il soit cultivé ou produit, qui est du même genre que le produit réglementé relativement auquel il peut exercer ses pouvoirs et emballer, transformer, entreposer, expédier, assurer, exporter ou vendre tout produit semblable acheté par lui, ou autre- ment en disposer;
b) exécuter un plan de commercialisation dont les modalités sont énoncées dans la proclamation le créant ou dans toute proclamation subséquente faite en vertu du paragraphe (2). de l'article 18 et le concernant;
Les dispositions susmentionnées de la Loi doivent être interprétées à la lumière des définitions énon- cées à l'article 2, et plus particulièrement de la définition étendue du mot «commercialisation».
2....
d) «commercialisation», par rapport à un produit de ferme qui n'est pas un produit réglementé, comprend la vente, la mise en vente et l'achat, la fixation du prix, l'assemblage, l'emballage, la transformation, le transport, l'entreposage et tout autre acte nécessaire pour préparer le produit sous une certaine forme et pour permettre de l'acheter, en un lieu et à un moment donnés, aux fins de consommation et d'utilisation et, par rapport à un produit réglementé, ne comprend que ceux des actes ci-dessus mentionnés qui sont spécifiés dans le plan de commercialisation relatif au produit réglementé;
e) «plan de commercialisation» signifie un plan relatif au développement, à la réglementation et au contrôle de la commercialisation de tout produit réglementé vendu dans le commerce interprovincial ou le commerce d'exportation, qui prévoit l'ensemble ou l'une quelconque des dispositions suivantes:
(ii) la désignation des actes qui constituent la commerciali sation du produit réglementé et des personnes engagées à sa commercialisation, telle que spécifiée, dans le commerce interprovincial ou le commerce d'exportation et la non- application du plan de commercialisation ou de l'un de ses aspects à toute catégorie de personnes se livrant à cette occupation;
(iii) la commercialisation du produit réglementé suivant une formule qui permet à l'office qui exécute le plan de fixer et de déterminer, le cas échéant, en quelle quantité le produit réglementé ou l'une de ses variétés, classes ou qualités peuvent être commercialisés dans le commerce interprovincial ou le commerce d'exportation par chacune des personnes qui s'occupent de cette commercialisation et par l'ensemble de ces personnes, et à quel prix ainsi qu'en quels temps et lieu le produit réglementé ou l'une de ses variétés, classes ou qualités peuvent être ainsi commerciali- sés;
(v) un système d'octroi de permis aux personnes s'occupant de la culture, de la production ou de la commercialisation du produit réglementé vendu dans le commerce interpro- vincial ou le commerce d'exportation, comprenant une disposition relative aux droits, autres que les droits relatifs au droit de cultiver le produit réglementé, payables à
l'office par une telle personne pour tout permis qui lui est délivré et pour l'annulation ou la suspension de tout permis de ce genre lorsqu'une de ses modalités n'est pas respectée; et
(vi) l'imposition par l'office approprié de redevances ou frais et leur recouvrement des personnes s'occupant de la culture, de la production ou de la commercialisation du produit réglementé en classant à ces fins ces personnes en groupes et en spécifiant, le cas échéant, les redevances ou frais payables par les membres de ces groupes;
f) «Ministre» désigne le ministre de l'Agriculture; et
g) «produit réglementé» signifie un produit de ferme dans la mesure il est cultivé ou produit
(i) en quelque lieu que ce soit du Canada, si un office est autorisé à exercer ses pouvoirs relativement à un tel pro- duit cultivé ou produit au Canada, ou
Actuellement, les fabricants achètent la produc tion de tabac canadien à l'occasion d'encans il y a eu entente sur des prix minimums moyens. La mise en place de l'office et du plan de commercia lisation proposés par la Commission ontarienne remplacerait ce système par un office qui serait contrôlé par les producteurs et qui aurait le pou- voir de fixer les prix. Comme la prémisse sous- jacente à cette proposition est que, depuis plusieurs années, les producteurs ne récupèrent pas leurs coûts de production, il faut en déduire que la mise en place d'un office et d'un plan se traduirait par des coûts supplémentaires pour les fabricants. Les conséquences défavorables de la proposition sur les intérêts des fabricants sont évidentes. Le Conseil, dans les recommandations qu'il peut faire, n'a pas à se limiter à la proposition de la Commission ontarienne, pas plus que le gouverneur en conseil ne doit s'y tenir exclusivement dans sa proclama tion. La limite est imposée par la Loi et il est manifeste, eu égard à la définition du mot «com- mercialisation», qu'il y a effectivement de très fortes possibilités que la création d'un office et d'un plan porte atteinte aux droits et aux intérêts actuels des fabricants.
Pour soutenir que le Conseil n'avait aucunement le devoir de respecter l'équité dans la procédure lors de l'audience tenue conformément à l'alinéa 8(1)a), les appelants s'appuient sur l'argument selon lequel le Conseil ne prend aucune décision et n'a pour rôle que de recueillir des faits. Les recom- mandations qu'il fait au Ministre ne portent atteinte à aucun droit et ce dernier n'est pas tenu d'agir sur la foi du rapport du Conseil. Ce rapport n'est pas une condition préalable à une recomman-
dation par le Ministre au gouverneur en conseil ou à une proclamation par ce dernier. C'est la déci- sion du gouverneur en conseil. de procéder à une proclamation qui porte atteinte à des droits.
Bref, le Conseil est, suivant les prétentions des appelants, un organisme administratif chargé uni- quement d'enquêter et de faire des recommanda- tions. À strictement parler c'est la vérité, mais ce n'est pas tout.
Dans l'arrêt Sairinier c. Commission de police du Québec, [ 1976] 1 R.C.S. 572, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur une enquête sur la conduite du directeur d'un service de police, enquête au terme de laquelle on avait demandé, dans un rapport présenté au procureur général de la province, de procéder à l'évaluation de la com- pétence du directeur d'occuper son poste en vue de la «normalisation» de son grade et de ses fonctions. Il semble que l'on ait admis que ce rapport n'était pas un blâme ou une recommandation de sanction qui aurait donné lieu à l'application de l'exigence expressément formulée dans la loi applicable et suivant laquelle le directeur devait être entendu. La Cour n'a pas examiné l'affaire en considérant que le rapport n'était qu'un artifice. On a plutôt reconnu que le rapport n'était qu'une simple recommandation voulant que l'on prenne des mesures ultérieures susceptibles de se traduire par une sanction. À la page 579, la Cour suprême a cité en l'approuvant un passage du jugement dissi dent du juge Casey de la Cour d'appel du Québec, qui a dit en partie ce qui suit:
L'appelante a rendu une décision qui peut nuire beaucoup à la réputation et l'avenir de l'intimé sinon les détruire ... quand je me rappelle que le seul but de ces rapports est de présenter des faits et des recommandations d'après lesquels normalement le Ministre agira, l'argument qu'aucun droit n'a été défini et. que rien n'a été décidé est pur sophisme.
Dans In re Pergamon Press Ltd., [1971] Ch. 388 (C.A.), il était question de la conduite d'une enquête par des inspecteurs .. nommés en vertu d'une loi anglaise afin de mener enquête et de faire rapport au Board of Trade relativement aux acti- vités d'une compagnie. Une copie du rapport devait être fournie à la compagnie, qui avait droit de le publier, même s'il était possible que le Board of Trade n'y donne aucune suite. C'est le jugement du maître des rôles lord Denning qui est le plus fréquemment cité dans cette affaire; toutefois, pour les fins de la présente espèce, le passage
suivant du jugement du lord juge Buckley, à la page 407, est succinct et tout aussi approprié.
[TRADUCTION] Si on découvre qu'un administrateur ou un cadre a manqué à ses engagements ou a agi de manière inappropriée relativement à la conduite des affaires de la compagnie, il est fort possible que cela incite cette dernière ou d'autres intéressés à intenter des procédures contre lui. Dans le cadre de ces procédures, la personne visée jouirait de l'entière protection du processus judiciaire, mais, surtout dans la mesure la compagnie a droit d'obtenir une copie du rapport, elle ne devrait pas être exposée au risque de telles procédures sans que les inspecteurs lui fournissent une occasion raisonnable de contrer un rapport défavorable.
Finalement, dans Re Abel et al. and Advisory Review Board (1980), 31 O.R. (2d) 520, la Cour d'appel de l'Ontario a examiné l'enquête qui doit être menée chaque année par un conseil de révision relativement à la détention prolongée des person- nes gardées en vertu de mandats du lieutenant- gouverneur. Dans cette affaire, tout comme en l'espèce, la législation prévoyait que le tribunal devait être formé de personnes bien au fait des questions sur lesquelles elles auraient à se pencher. La Cour, par l'entremise du juge d'appel Arnup, à la page 532, a cité les propos suivants du juge Dickson [tel était alors son titre], dans Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui, [ 1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 622 et 623:
À mon avis, on peut recourir au certiorari chaque fois qu'un organisme public a le pouvoir de trancher une question tou- chant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une personne.
La Cour a conclu que le conseil de révision [TRA- DUCTION] «a le pouvoir de trancher une telle question» et elle a poursuivi en citant les motifs de jugement du juge Grange, dans la décision de la Cour divisionnaire faisant l'objet de l'appel, (1979), 97 D.L.R. (3d) 304, à la page 318:
[TRADUCTION] Le lieutenant-gouverneur n'est évidemment pas tenu de donner suite aux recommandations formulées dans le rapport, mais je ne pense pas m'aventurer trop loin—en fait je ne pense qu'affirmer l'évidence même—en disant que le seul espoir qu'a un patient d'obtenir son congé repose dans une recommandation favorable du Conseil.
Tout comme le lieutenant-gouverneur n'a pas à donner suite au rapport du Conseil, ce dernier n'est pas tenu d'agir à la lumière des renseignements et des rapports de l'agent responsa- ble, mais il ne fait aucun doute que ces données vont influencer le Conseil et que dans bien des cas, elles peuvent s'avérer déterminantes. Si l'avocat du patient cherche, comme c'est son devoir de le faire, à représenter son client de manière appro- priée, il est facile de comprendre son désir, voire son besoin impérieux, d'examiner lesdits rapports.
Le juge d'appel Arnup a poursuivi [aux pages 532 et 533]:
[TRADUCTION] Je suis entièrement d'accord avec ces com- mentaires et j'irais même plus loin. L'objectif visé par la mise sur pied d'un conseil consultatif de révision était de créer un organisme indépendant, possédant une expertise vaste et diver- sifiée et susceptible d'acquérir rapidement une expertise encore plus grande à l'égard du type de problèmes qui lui serait soumis, dans l'espoir que personne ne serait gardé indéfiniment dans un établissement psychiatrique, à demi oublié et sans que son cas ne soit réexaminé, si ce n'est par le personnel de l'établissement. Il est inhérent au concept et au fonctionnement d'un tel conseil que les recommandations qu'il formule vont être pratiquement toujours acceptées.
Je reconnais que des considérations étrangères à l'expertise du Conseil pourraient amener le Minis- tre ou le gouverneur en conseil à refuser d'en suivre les recommandations. Néanmoins, le rôle du conseil de révision décrit dans l'affaire Abel et le rôle du Conseil dans le cadre de la présente Loi sont, à mon avis, très similaires.
Un tribunal qui fait enquête et formule des recommandations mais ne prend pas de décisions peut être contraint de respecter l'équité dans la procédure. La question de savoir si cette exigence existe dans une situation donnée dépend de l'une ou l'autre ou des deux considérations suivantes: (1) le rôle véritable de l'enquête dans le processus décisionnel; et (2) les conséquences possibles de la recommandation elle-même si aucune décision n'en découle. Les arrêts Saulnier et Abel illustrent l'exigence fondée sur la première considération, alors que les arrêts Saulnier et Pergamon illus- trent la seconde, eu égard particulièrement à l'in- térêt qu'ils portent à la réputation des individus.
Je ne pense pas que la seconde considération peut s'appliquer à l'espèce. Cependant, je suis convaincu que le Parlement a, dans la Loi, donné à l'enquête du Conseil un rôle à jouer dans le proces- sus décisionnel, rôle l'obligeant à respecter l'équité dans la procédure à l'égard de ceux dont les droits et les intérêts pourraient être touchés par une décision fondée sur sa recommandation.
Si j'en arrive à cette conclusion, c'est que j'en ai été convaincu par l'ensemble des dispositions adop- tées par le Parlement relativement aux fonctions et aux pouvoirs du Conseil et par ce que serait réelle- ment le processus qui découlerait normalement d'une recommandation, advenant que celle-ci soit prise en considération par le Ministre et le gouver- neur en conseil. Pour ce qui est de la création de l'office, le Conseil a le devoir de conseiller le
Ministre «sur toutes questions» et de consulter les gouvernements provinciaux intéressés; il doit faire enquête sur l'opportunité de la création d'un tel office si les producteurs en font la demande; lors- qu'il fait enquête, il doit tenir une audience publi- que et, pour les fins de cette audience, le Conseil s'est vu conférer les pouvoirs d'un commissaire en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes. Bien qu'il soit possible de faire des observations auprès du Ministre et du gouverneur en conseil, le proces- sus à ce niveau ne permet pas une audience équita- ble, c'est-à-dire une audience la personne visée aurait la possibilité de répliquer aux arguments contraires, car il est possible qu'elle ne les con- naisse tout simplement pas. Le Parlement a claire- ment admis que, lorsqu'un office est mis sur pied et qu'un plan de commercialisation est adopté, il s'agit-là d'une décision touchant les droits et les intérêts des particuliers qui ne devrait pas être prise sans qu'au préalable toutes les personnes visées aient eu l'occasion d'obtenir une audition équitable. Le Parlement a expressément prévu que cette occasion s'insère dans le cadre de l'enquête du Conseil et ce dernier se doit de mener l'au- dience en conséquence.
Les prétendus dénis de justice naturelle concer- nent tous un rapport, ci-après «the 1983 C.O.P. Study» (l'étude de 1983 sur les coûts de produc tion), qu'a commandé la Commission ontarienne quelques jours avant de proposer la création d'un office. Dans cette proposition, soumise au Conseil le 15 octobre 1984, on alléguait que les produc- teurs ontariens n'avaient pas reçu, au cours de sept des huit années qui avaient précédé, un prix égal à leur coût de production plus un bénéfice raisonna- ble. Le Conseil a publié un avis de l'audience publique invitant les personnes intéressées à sou- mettre des mémoires avant le ler mars 1985. Le 12 février, la Commission ontarienne a produit une annexe à sa proposition, qui énonçait en partie:
[TRADUCTION] La valorisation des coûts de production est l'un des objectifs fondamentaux de la proposition. Suivant cette proposition, à la lumière des estimations de la Commission ontarienne, au cours des dernières années, les producteurs de l'Ontario ont reçu pour leur produit un prix inférieur au coût de production du tabac plus un bénéfice raisonnable.
La Commission ontarienne a retenu les services de Touche Ross & Associés pour effectuer une évaluation indépendante de la question.
Touche Ross & Associés a conclu que les planteurs de tabac jaune de l'Ontario ont reçu en 1983 un prix moyen minimum
qui était inférieur au coût de production de leur récolte plus un bénéfice raisonnable.
Les intimés ont dûment produit leur mémoire qui a souligné la prétendue insuffisance des prix. Le Conseil leur a reconnu la qualité d'intervenants. On a prévu la tenue d'audiences publiques durant une période de 11 jours, entre le 16 avril et le 31 mai 1985 inclusivement.
Avant le début de l'audience, le Conseil a fait parvenir un avis d'insuffisance à la Commission ontarienne lui signalant que l'étude de 1983 sur les coûts de production n'était pas incluse dans sa documentation. Le premier jour de l'audience, les intimés ont sollicité une ordonnance afin
[TRADUCTION] ... que la Commission ontarienne produise l'étude sur le coût de production effectuée par Touche, Ross, à temps pour permettre aux fabricants de l'examiner aux fins de la présente enquête.
Le Conseil a statué sur cette demande en suggé- rant d'abord à la Commission ontarienne de sup- primer le renvoi à l'étude de 1983 sur les coûts de production dans l'annexe à sa proposition, pour ensuite lui permettre de le faire. Le 8 mai, les intimés ont demandé une ordonnance intimant à la Commission ontarienne de produire tous les docu ments en sa possession ainsi que ceux en la posses sion de Touche, Ross & Associés concernant l'étude de 1983 sur les coûts de production, afin que les intimés puisse avoir une occasion raisonna- ble d'examiner ces documents et, si nécessaire, obtenir un ajournement de l'enquête jusqu'à ce que la documentation ait été produite. A ce moment-là, d'autres audiences publiques étaient prévues pour les 9, 10, 16, 17, 30 et 31 mai. Le 14 mai, le Conseil a rejeté la requête dans une déci- sion écrite qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] Cependant, en supprimant toute référence à l'étude de 1983 dans son mémoire, la Commission ontarienne a laissé voir qu'elle ne désire présenter aucun argument reposant sur cette étude. La Commission a également refusé de répondre à toute question sur ce sujet. Pour les motifs déjà indiqués, le jury déplore la décision de la Commission ontarienne et estime que cette omission constitue une occasion manquée de contri- buer de manière significative à la poursuite de son objectif qui est d'aider le jury à comprendre comment l'office projeté permettrait d'améliorer la situation dans l'industrie du tabac.
Le jury a toutefois pour politique de laisser les parties choisir les arguments et les pièces justificatives qu'elles souhaitent présenter à l'audience. En conséquence, le jury est d'avis que le fait d'accueillir cette requête porterait indûment atteinte aux droits des autres parties à la présente procédure qui ont res pecté en tout temps cette directive générale de non-contraigna-
bilité, soit lors de la présentation d'éléments de preuve soit lors de contre-interrogatoire de témoins. En outre, étant donné la date tardive à laquelle cette requête est présentée, le jury est d'avis que le fait de l'accueillir forcerait une nouvelle audition complète de l'affaire, ce qui entraînerait des délais considéra- bles ainsi que des coûts et des dépenses supplémentaires pour toutes les parties. En dernier lieu, le jury estime que le témoi- gnage et le contre-interrogatoire du témoin représentant Tou- che-Ross & Associés a mis en lumière énormément d'informa- tions relativement au coût de production et que lorsque ce contre-interrogatoire abordera la question de la méthodologie appropriée, il est fort possible qu'il permette de suppléer par- tiellement au fait que le rapport de 1983 n'est pas encore disponible.
L'étude de 1983 sur les coûts de production a, dans les faits, été signifiée au Conseil après la fin des audiences. Les intimés ont sollicité sur-le-champ la réouverture de l'audience. Ils ont été informés qu'une décision en ce sens ne pouvait être rendue avant que le Conseil ne se réunisse à nouveau et qu'une réunion ne pouvait avoir lieu avant la date prévue de la production du rapport du Conseil au Ministre.
Le savant juge de première instance a rendu l'ordonnance suivante:
1. La Cour statue que, conformément à la Règle 307(3) des Règles et ordonnances générales de la Cour fédérale du Canada, la signification, en l'espèce, de l'avis de requête intro- ductif d'instance à l'intimé, à la Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune, à la Tobacco Commodity Marketing Board de l'Île-du-Prince -Edouard, et aux compa- gnies Simcoe Leaf Tobacco Co. Ltd., Dibrell Brothers of Canada Ltd. et Standard Commercial Tobacco Company of Canada Ltd. est suffisante aux fins de l'audience.
2. La Cour rend une ordonnance de mandamus obligeant l'intimé à reprendre l'audience tenue conformément à l'article 9 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme relativement à une enquête sur le bien-fondé de la création d'un office de commercialisation du tabac jaune. L'in- timé devra examiner l'étude COP sur le coût de production, préparée par Touche, Ross & Associés en 1983, et citer tous les témoins nécessaires pour présenter la preuve sur ladite étude. L'intimé devra permettre aux requérants de contre-interroger les témoins et, si nécessaire, devra permettre à toute partie de produire des contre-preuves.
3. La Cour rend une ordonnance de certiorari annulant le rapport produit par le comité d'enquête vers le 21 août 1985 et le rapport présenté au ministre de l'Agriculture par l'intimé.
4. La Cour rend une ordonnance de prohibition interdisant à l'intimé, jusqu'à ce que l'audience susmentionnée ait pris fin, de soumettre ses propositions au ministre de l'Agriculture comme le prévoit le paragraphe 7(1) de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme.
5. La Cour statue en outre que l'avis de la reprise de l'audience sera jugé suffisant s'il est signifié aux parties en cause dans la présente demande. Toute personne, tout groupe ou toute société qui a participé aux quatre audiences tenues plus tôt à London
(Ontario), à Charlottetown (Î.-P.-É.), à Montréal (Québec) ou à Ottawa (Ontario) pourra demander à l'intimé de lui donner l'occasion de se faire entendre, mais il n'est pas nécessaire de donner un avis à ces parties.
6. Les requérants auront le droit d'obtenir de l'intimé le remboursement des dépens de la présente requête dès que ceux-ci auront été taxés.
Comme l'étude de 1983 sur les coûts de produc tion est maintenant prête et que le Conseil l'a en main, il serait inutile de s'attarder au refus pré- sumé du Conseil d'exercer sa compétence en se conformant à sa politique établie, dans des circons- tances entièrement inappropriées. Qu'il suffise de dire que le Parlement a, par l'entremise du para- graphe 8(5) de la Loi, investi le Conseil des pou- voirs qu'il peut avoir à invoquer de temps à autre dans l'exercice de sa compétence et que son défaut de le faire peut fort bien constituer un refus inap- proprié de les exercer. Pour cette même raison, il ne servirait à rien de s'attarder à la suggestion du jury de supprimer la référence à l'étude de 1983 sur les coûts de production dans le mémoire sup- plémentaire ou à sa décision relativement à la requête initiale en vue d'en contraindre la production.
L'étude de 1983 sur les coûts de production est bel et bien prête. Le Conseil l'a entre les mains. Il s'agit d'une étude opportune, professionnelle et pertinente à une question d'importance cruciale relativement au rapport que le Conseil doit présen- ter au Ministre. Le redressement accordé par le savant juge de première instance était justifié et approprié.
Je n'ai qu'une seule réserve en ce qui a trait à son ordonnance. Le dossier révèle que 61 mémoires ont été produits auprès du Conseil. Il ne révèle cependant pas le nombre de personnes qui ont été autorisées à intervenir à l'audience. Le paragraphe 1 de l'ordonnance a limité nunc pro tunc les per- sonnes à qui un avis des procédures en première instance devait être donné et, dans les faits, cela a circonscrit le groupe des personnes à qui un avis du présent appel a été donné. Le paragraphe 5 de l'ordonnance place sur les épaules des personnes intéressées qui ne sont pas parties aux présentes procédures un fardeau qui, avec déférence, semble irréalisable. Je modifierais le paragraphe 5 de la façon suivante:
5. La Cour ordonne en outre que l'avis de la reprise de l'audience soit signifié par le Conseil à toutes les personnes qui furent autorisées à intervenir lors des audiences initiales.
Je rejetterais par ailleurs le présent appel avec dépens.
LE JUGE STONE: Je souscris aux présents motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Je suis entièrement d'accord avec le dispositif que propose mon collè- gue le juge Mahoney ainsi qu'avec ses motifs. Je désire tout simplement ajouter quelques arguments supplémentaires en ce qui a trait à la question de savoir si cette Cour détient un pouvoir de contrôle sur le rapport présenté au ministre de l'Agriculture («le Ministre») par le Conseil national de commer cialisation des produits de ferme («le Conseil») relativement à l'opportunité de la création d'un office national de commercialisation du tabac.
À mon avis, la façon d'aborder le contrôle judi- ciaire des mesures administratives depuis les arrêts Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (ELL.) en Angleterre et Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [ 1979] 1 R.C.S. 311 au Canada a été exposée avec précision par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 628 et 629:
La jurisprudence, à mon avis, appuie les conclusions suivantes:
1. Le certiorari peut servir de recours général pour la surveil lance de l'appareil décisionnel gouvernemental. Tout organisme public qui a le pouvoir de trancher une question qui touche les droits, intérêts, biens, privilèges ou liberté d'une personne peut en faire l'objet. La vaste portée de ce recours se fonde sur l'obligation générale d'agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques.
2. Une décision purement administrative, fondée sur des motifs généraux d'ordre public, n'accordera normalement aucune protection procédurale à l'individu, et une contestation de pareille décision devra se fonder sur un abus de pouvoir discrétionnaire. De même, on ne pourra soumettre à la surveil lance judiciaire les organismes publics qui exercent des fonc- tions de nature législative. D'autre part, une fonction qui se situe à l'extrémité judiciaire du spectre comportera des garan- ties procédurales importantes. Entre les décisions de nature judiciaire et celles qui sont de nature discrétionnaire et en
fonction d'une politique, on trouve une myriade de processus décisionnels comportant un élément d'équité dans la procédure dont l'intensité variera selon sa situation dans le spectre admi- nistratif. C'est ce qui ressort de l'arrêt de cette Cour dans Nicholson. Dans ces cas, un requérant peut obtenir un certio- rari pour faire sanctionner une violation de l'obligation d'agir équitablement dans l'application de la procédure.
Cette nouvelle approche suppose la reconnais sance d'un spectre de surveillance des décisions qui comporte des garanties procédurales plus grandes à son extrémité judiciaire. À mesure que l'on s'approche de l'autre extrémité du spectre, entrent en jeu des fonctions de nature purement législative, il y a diminution puis absence complète de garanties et de surveillance. Dans le cas du Conseil, l'article 10 de la Loi sur les Offices de commercialisation des produits de ferme («la Loi») prévoit de telles mesures de nature purement administrative, qui ne feraient probablement pas l'objet de surveillance judiciaire:
10. Le Conseil peut établir des règles relatives à la conduite des audiences publiques en vertu de l'article 8 et portant, d'une manière générale, sur les procédures du Conseil y relatives.
Cependant, les gestes posés par le Conseil en vertu de l'article 8, qui prévoit la tenue d'audiences publiques par le Conseil dans le cadre d'une enquête sur l'opportunité de la création d'un office, comme en l'espèce, ne se situent pas dans le domaine purement législatif et doivent donc être susceptibles d'examen.
Il est vrai que le rapport présenté au Ministre par le Conseil ne porte pas directement atteinte à des droits et que le Ministre n'est pas tenu d'y donner suite. Il est également vrai que ce rapport n'est une condition préalable ni à la formulation d'une proposition ministérielle au gouverneur en conseil ni à une proclamation par ce dernier.
Néanmoins, je suis d'avis qu'il ressort claire- ment de la Loi, qui permet à une association telle la Commission ontarienne de commercialisation du tabac jaune en l'espèce d'instituer une enquête', qui doit se dérouler par voie d'audience publique 2 ,
7. (1) ... le Conseil
a) doit, au reçu d'une requête écrite ... examiner l'oppor-
tunité
(i) d'établir un office pour un ou plusieurs produits de
ferme ...
2 8. (1) Le Conseil doit tenir une audience publique
a) relativement à une enquête portant sur l'opportunité de la
création d'un office ou de l'extension du pouvoir d'un ...
dans le cadre de laquelle le Conseil est investi de tous les pouvoirs prévus à la Partie I de la Loi sur les enquêtes' et qui doit aboutir à la présentation au Ministre d'un rapport renfermant les proposi tions du Conseil'', qu'une fois que le rapport est préparé, le Ministre doit à tout le moins en tenir compte, et s'il formule ultérieurement des proposi tions au gouverneur en conseil, ce dernier doit également le prendre en considération avant de prendre sa décision. Toute autre interprétation de la Loi ferait de l'intention exprimée de propos délibéré par le Parlement dans cette Loi un artifice vide de sens. Même si le Parlement a laissé à l'exécutif le pouvoir d'agir entièrement de sa propre initiative, il a clairement voulu mettre en place un processus complet allant des audiences publiques à la proclamation par l'exécutif, et plus particulièrement dans les cas un rapport a été préparé, que l'examen de ce rapport devienne une condition préalable à toute action de l'exécutif et du Ministre.
Dans l'arrêt Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572, la page 579, la Cour suprême du Canada a jugé qu'il suffisait, pour donner ouverture au contrôle judiciaire, qu'un rapport d'enquête «[puisse]» nuire «beau- coup» à la réputation et à l'avenir du directeur de police, puisqu'il s'agit d'un rapport «d'après [lequel] normalement le Ministre agira». Dans l'affaire In re Pergamon Press Ltd., [1971] Ch. 388 (C.A.), à la page 400, le maître des rôles lord Denning a justifié le contrôle aux motifs que le rapport des inspecteurs [TRADUCTION] «était sus ceptible d'entraîner» des conséquences défavora- bles pour les administrateurs de la compagnie. Il faut, semble-t-il, que ces conséquences défavora-
' 8....
(5) Le Conseil a, pour toute audience publique en vertu du présent article, tous les pouvoirs d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes.
4 7. (1) ...
et soumettre au Ministre ses propositions, notamment quant aux modalités d'un plan de commercialisation approprié, lors- que à son avis il est opportun de conférer à un office le pouvoir d'exécuter un tel plan pour le ou les produits de ferme faisant l'objet de l'examen;
bles soient plus qu'une simple possibilité; elles doivent presque être probables, voire même l'êtres.
En l'espèce, le cheminement normal établi par le Parlement en vue de la création d'un office de commercialisation consiste en un processus à caractère public, permettant une participation importante de tous les intéressés susceptibles d'être touchés par la mesure. Dans les cas un rapport a été préparé, le Parlement veut qu'on y porte une attention sérieuse. Je ne crois pas qu'il soit néces- saire à un tribunal d'évaluer mathématiquement les risques de conséquences défavorables afin de pouvoir conclure que, puisque le rapport du Con- seil, s'il est favorable aux intérêts des producteurs de tabac, peut fort bien et, en fait, va probable- ment porter atteinte aux intérêts des fabricants de produits du tabac, le cas donne ouverture au con- trôle judiciaire.
5 Dans l'arrêt Re Abel et al. and Advisory Review Board (1980), 31 O.R. (2d) 520, aux p. 532 et 533, la Cour d'appel de l'Ontario, par l'entremise du juge Arnup, a conclu qu'il était [TRADUCTION] »inhérent au concept et au fonctionnement d'un tel conseil [un conseil consultatif de révision pour établisse- ments psychiatriques] que ses recommandations vont être prati- quement toujours acceptées» [c'est moi qui souligne]. Toutefois, cette conclusion a été formulée à la lumière des faits et non à titre d'exigence imposée par la loi.
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