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T-1274-84
Bayliner Marine Corporation (demanderesse)
c.
Dorai Boats Ltd. (défenderesse)
RÉPERTORIE: BAYLINER MARINE CORP. C. L'ORAL BOATS LTD.
Division de première instance, juge Walsh— Toronto, 27, 28, 29, 30 et 31 mai, Ottawa, 14 juin 1985.
Droit d'auteur Contrefaçon La défenderesse a fabri- qué des bateaux sans utiliser de plans d'ingénieur en dépouil- lant certains bateaux de la demanderesse de leurs accessoires et en employant ses parties comme modèles pour ses propres bateaux Le dessin des modèles a été modifié L'art. 46 de la Loi sur le droit d'auteur confere-t-il un droit d'auteur sur les dessins du pont et de la coque de ces bateaux? Si la demanderesse possède un droit d'auteur sur les dessins, celui-ci la protège-t-il uniquement en ce qui a trait à la reproduction de ces dessins ou empêche-t-il également la fabrication des bateaux? La protection prévue à la Loi sur les brevets et celle prévue à la Loi sur les dessins industriels sont-elles les seules possibles? Les bateaux sont-ils des oeuvres d'art architecturales pouvant être protégées par un droit d'auteur? L'importance des modifications apportées aux dessins des bateaux est-elle suffisante pour empêcher que les bateaux de la défenderesse ne constituent des copies? Les dessins constituent-ils des oeuvres littéraires ou artistiques au sens de l'art. 2 de la Loi sur le droit d'auteur? La contrefaçon d'une copie intermédiaire d'une oeuvre originale porte atteinte au droit d'auteur La défenderesse a apporté suffisamment de modifications aux dessins d'un des deux bateaux pour ne pas violer le droit d'auteur qui le protégeait Une injonction est accordée en ce qui a trait à l'autre bateau Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2, 3, 46 Loi de 1921 concernant le droit d'auteur, S.C. 1921, chap. 24 Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. 5, chap. 46, art. 22 Designs Rules, 1920, St. R. & 0., 1920, 337, R. 89 Patents and Designs Act, 1907, 7 Edw. 7, chap. 29 Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales, S.R.C. 1952, chap. 150, art. 11 Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4 Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10.
Dessins industriels Dessins de plans de bateaux Ces dessins sont-ils exclus de la protection du droit d'auteur en vertu de l'art. 46 de la Loi sur le droit d'auteur parce qu'ils seraient susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels La Règle 11(1) des Règles régissant les dessins industriels limite la protection qu'elle accorde aux objets qui s'y trouvent mentionnés Des décisions récentes de la Cour fédérale sont suivies au nom du principe du respect des jugements Les dessins des bateaux ne sont pas suscepti- bles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8 Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964, Règle 11(1) Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 46.
Interprétation des lois Interprétation du terme «et» de la Règle 11(1) des Règles régissant les dessins industriels Ce
terme doit-il être entendu comme disjonctif ou conjonctif? Le terme «ou» est utilisé dans la Règle britannique équivalente Il est soutenu qu'une interprétation restrictive de la Règle 11 diminuerait considérablement l'utilité de la Loi sur les dessins industriels Les tribunaux ne doivent pas tenir compte des conséquences des interprétations envisagées Cette question relève du Parlement Les décisions récentes de la Cour fédérale semblent favoriser une interprétation conjonctive Ces décisions sont suivies au nom du principe du respect des jugements Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8 Règles régissant les dessins indus- triels, C.R.C., chap. 964, Règle 11(1).
La demanderesse est un grand manufacturier américain de bateaux de plaisance. Plusieurs de ses modèles sont vendus à travers le Canada. La défenderesse est le plus grand manufac- turier canadien de bateaux mesurant entre 14 et 25 pieds de longueur. La demanderesse dessine les plans de la coque et du pont de ses bateaux pour en fabriquer un modèle, c'est-à-dire une représentation en trois dimensions. L'on fabrique un moule en se servant du modèle, et la fibre de verre est placée à l'épaisseur voulue. C'est ainsi qu'est fabriquée la coque du bateau. La même chose s'applique au moule de la superstruc ture, qui doit être ajouté à la coque au moment de l'assemblage du bateau. La défenderesse admet qu'elle fabrique ses bateaux sans procéder à des études techniques en dépouillant les bateaux de la demanderesse de leurs accessoires et en utilisant ses parties comme modèles pour ses propres bateaux. Le dessin de ces modèles est alors modifié de façon à différencier les bateaux de la défenderesse de ceux de la demanderesse.
La demanderesse prétend qu'il y a eu violation de son droit d'auteur sur ses dessins ainsi que sur les bateaux fabriqués à partir de ces dessins en ce qui a trait à deux bateaux connus sous les noms de Capri Bowrider 1650 et de Ciera 2450. La défenderesse soulève plusieurs moyens de défense: (1) l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur ne confère pas à la demande- resse un droit d'auteur qu'elle peut faire valoir sur les dessins du pont et de la coque desdits bateaux; (2) le droit d'auteur de la demanderesse ne protège que la reproduction de ces dessins comme tels et non la fabrication du bateau; (3) les bateaux ne peuvent être protégés qu'en vertu de la Loi sur les brevets ou de la Loi sur les dessins industriels; (4) ces bateaux ne sont pas des oeuvres d'art architecturales pouvant être protégées par un droit d'auteur; (5) les bateaux de la défenderesse ne constituent pas des copies de ceux de la demanderesse puisqu'ils résultent d'un travail de conception et de dessin ayant entraîné des modifications importantes.
Jugement: une injonction sera délivrée concernant un de ces bateaux.
La question de savoir si les dessins de la demanderesse peuvent jouir de la protection du droit d'auteur doit être étudiée à la lumière des dispositions de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur ainsi que de la Règle 11(1) des Règles régissant les dessins industriels. L'article 46 exclut de la protection du droit d'auteur les dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, à l'exception des dessins qui ne sont pas destinés à servir de modèles pour être multipliés par un procédé industriel quelconque. La Règle 11(1) déclare qu'un dessin est censé servir de modèle à être multiplié par un procédé industriel quelconque lorsque celui-ci est reproduit dans plus de cinquante articles différents et lorsque ce dessin doit être
appliqué à certains articles, savoir des tentures de papier peint, des tapis, des tissus ainsi que de la dentelle. La défenderesse soutient que le mot «et» figurant à la Règle 11(1) doit recevoir une interprétation disjonctive.
Les parties ont cité de la jurisprudence britannique puisque les Règles canadiennes et britanniques ont déjà été identiques. Les Règles canadiennes ont toutefois été modifiées en 1954 par l'insertion de la conjonction «et» à l'endroit la Règle britan- nique emploie maintenant le mot «or» («ou»). Il faut donc examiner la jurisprudence britannique avec circonspection. L'ajout du mot «et» semblerait appuyer la thèse de l'interpréta- tion conjonctive de la Règle 11 et avoir l'effet de restreindre la protection accordée aux dessins industriels aux articles énumé- rés à l'alinéa b).
Deux jugements récents du juge Strayer confirment cette interprétation restrictive. Dans l'affaire Royal Doulton Table ware Limited c. Cassidy's Liée, il était question d'une marque de commerce aussi bien que du droit d'auteur sur un dessin floral appliqué à de la vaisselle, il a été décidé que, pour qu'un dessin soit censé servir de modèle destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque et soit, par conséquent, exclu de la protection conférée par le droit d'auteur, il doit être destiné à être reproduit plus de cinquante fois et doit être appliqué à un certain genre d'articles. La porcelaine et la faïence, ne faisant pas partie des articles mentionnés, ne se trouvent pas exclues de la protection de la Loi sur le droit d'auteur. Cette opinion a été réaffirmée dans l'affaire Interlego AG et al. v. Irwin Toy Limited et al., il était question de blocs de construction pour enfants. Même si le juge a tiré la même conclusion que dans l'affaire Royal Doulton, il n'a pas discuté de la signification du mot «et». Il semble toutefois que ce mot ait été interprété de façon conjonctive.
L'avocat de la défenderesse prétend qu'une interprétation aussi restrictive de la Règle 11 aurait pour effet de diminuer considérablement l'utilité de la Loi sur les dessins industriels. Cependant, lorsque la Cour interprète une loi, elle n'a pas à tenir compte des conséquences de son interprétation. C'est au Parlement qu'incombe la responsabilité de corriger de telles conséquences. Bien que l'emploi du mot «et» puisse sembler malheureux, il est difficile de conclure que le rédacteur législa- tif a commis une erreur. De plus, les principes du stare decisis et du respect des jugements exigent que les décisions récentes de la Cour soient suivies. Il s'ensuit que les dessins de la demanderesse n'auraient pas pu être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels et qu'ils pouvaient recevoir la protection du droit d'auteur.
La question de savoir si les dessins bénéficient de la protec tion du droit d'auteur est tributaire de celle de savoir si ces dessins sont visés par les définitions des expressions «oeuvre artistique» ou «oeuvre littéraire» figurant à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur. En l'espèce, la défenderesse admet que ses bateaux ont été calqués sur des bateaux de la demanderesse qu'elle avait dépouillés de leurs accessoires et souligne que ses bateaux n'ont pas été fabriqués à partir des dessins eux-mêmes. Se pose donc la question de savoir si, en copiant un exemplaire intermédiaire de l'oeuvre originale, on peut porter atteinte à un droit d'auteur. Fox, dans The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, déclare que le défendeur portera atteinte au droit d'auteur de la même façon s'il a obtenu l'oeuvre à partir d'un de ses exemplaires intermédiaires que s'il l'a copiée direc-
terrent. Il déclare également que les cartes, les graphiques et les plans font l'objet de droits d'auteur puisqu'ils font partie de la définition de livre» et d'«oeuvre littéraire». Bien que les bateaux puissent avoir une apparence attrayante, ils peuvent difficile- ment être considérés comme des «bâtiment[s] ou édifice[s] d'un caractère ou d'un aspect artistique» au sens de la définition d'»oeuvre d'art architecturale». Il ressort clairement de l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur ainsi que de la jurisprudence que les dessins sont sujets à la protection du droit d'auteur à titre d'oeuvres littéraires reproduites «sous une forme matérielle quelconque».
La défenderesse soutient également que les dessins sont des descriptions relevant de l'ingénierie plutôt que des images représentant les bateaux. Un article en trois dimensions ne contrefait un dessin en deux dimensions que si l'article qui est vu en trois dimensions reproduit ce qui est vu en deux dimen sions. Même si les dessins en l'espèce ne montrent pas l'aspect qu'aura le bateau lorsqu'il sera terminé, il est évident que les bateaux en question sont fabriqués à partir de ces dessins.
La défenderesse a apporté suffisamment de modifications aux dessins du Ciera 2450 pour que le bateau qu'elle a fabriqué à partir de celui-ci ne porte pas atteinte au droit d'auteur de la demanderesse. Le TRX constitue toutefois une copie portant atteinte au Capri 1650 de la demanderesse puisque les différen- ces apportées dans le dessin du TRX sont mineures et négligea- bles. Les différences doivent être suffisamment importantes pour ne laisser aucun doute sur le fait que les bateaux sont véritablement différents. La défenderesse a fait défaut d'établir ce fait en ce qui regarde le TRX. Le président de la défende- resse a admis avoir copié les bateaux de la demanderesse mais a semblé croire qu'il ne s'agissait pas d'une pratique interdite par la loi. Cette pratique doit être découragée, mais il serait ruineux pour la défenderesse d'exiger qu'elle remette à la demanderesse tous les bateaux TRX qu'elle a en sa possession au moment même débute la saison. L'adjudication de dom- mages-intérêts équivalant à la valeur des bateaux vendus ou l'octroi de dommages-intérêts exemplaires ou punitifs seraient d'une sévérité excessive. Une injonction sera délivrée qui inter- dira la fabrication d'autres bateaux du type TRX. Des domma- ges-intérêts ainsi qu'une reddition de compte des bénéfices seront établis par renvoi.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Liée, [1986] 1 C.F. 357; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (1" inst.); Interlego AG et al. c. Irwin Toy Limited et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1" inst.); Armstrong Cork Canada Ltd. c. Domco Industries Ltd., [1981] 2 C.F. 510; (1980), 54 C.P.R. (2d) 155 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ware v. Anglo-Italian Commercial Agency, Ltd. (No. 1), MacGillivray's Copyright Cases 1917 to 1923, 346 (Ch.D.); Con Planck, Ld. v. Kolynos Incorporated, [1925] 2 . K.B. 804; Pytram, Ld. v. Models (Leicester), Ld., [1930] 1 Ch. 639; King Features Syndicate, Incor porated v. Kleemann (O. & M.), Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.); Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd.
and National Sales Incentives Ltd. (1964), 44 C.P.R. 239 (H.C. Ont.) confirmé sub nom. Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48 C.P.R. 109 (C.A. Ont.); Vidal c. Artro Inc., [1976] C.S. 1155 (Qué.); Mainetti S.P.A. v. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 206 (C.F. P' inst.); Bata Industs. Ltd. v. Warrington Inc. (1985), 5 C.I.P.R. 223 (C.F. 1` 0 inst.); Kilvington Bros. Ltd. v. Goldberg (1957), 28 C.P.R. 13 (H.C. Ont.); Doriing v. Honnor and Honnor Marine Ltd., [1963] R.P.C. 205 (Ch.D.); confirmé [1964] R.P.C. 160 (C.A.); L.B. (Plastics) Ltd. v. Swish Products Ltd., [1979] R.P.C. 551 (Ch.D.); Burke & Margot Burke, Ld. v. Spicers Dress Designs, [1936] Ch. 400; Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. 719 (S.C. Aust.); Cuisenaire v. South West Imports Ltd. (1967), 54 C.P.R. 1 (C. de l'E.); The Bulman Group Ltd. c. «One Write» Accounting Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149 (1" inst.).
AVOCATS:
Donald F. Sim, c.r. et Kenneth D. McKay pour la demanderesse.
Robert H. Barrigar, c.r., Timothy J. Sinnott et P.E. Kieran pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour la demanderesse. Barrigar & Oyen, Ottawa, pour la défende- resse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
La Cour d'appel fédérale a accueilli, le 13 juin 1986, l'appel formé contre le présent jugement. La décision de la Cour d'appel, Doral Boats Ltd. c. Bayliner Marine Corporation, A-536-85, sera publiée dans les Recueils des arrêts de la Cour fédérale.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse prétend qu'il y a eu violation de son droit d'auteur sur des dessins et des bateaux fabriqués à partir de ces dessins. Les deux bateaux dont il s'agit sont le Capri Bowrider 1650 et le Ciera 2450, que la défenderesse aurait copiés en vendant des bateaux au Canada sous les noms TRX et Citation, ce qui porterait atteinte au droit d'auteur de la demande- resse sur le Capri Bowrider 1650 et le Ciera 2450 en question. Les premiers sont des yachts munis d'un moteur stern drive ou d'un hors-bord et mesu- rent entre seize et dix-sept pieds; les seconds sont des bateaux de plaisance avec cabine munis d'un
moteur intérieur et mesurant entre vingt-quatre et vingt-cinq pieds.
La défenderesse soulève plusieurs moyens de défense. Elle présente tout d'abord la défense en droit selon laquelle l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30] ne con- fère pas à la demanderesse un droit d'auteur qu'elle peut faire valoir sur les dessins du pont et de la coque desdits bateaux. Elle soutient égale- ment que la structure du pont et la stucture de la coque de ses bateaux ne constituent pas des copies ou reproductions de ces dessins, étant fabriquées à partir de bateaux dérivés des bateaux de la deman- deresse mais ne constituant pas des copies de ces derniers et résultant d'un travail de conception et de dessin ayant entraîné des modifications importantes.
Dans son argumentation en droit, la défende- resse allègue également que si la demanderesse possède des droits d'auteur sur les dessins, de tels droits ne protègent que la reproduction de ces dessins comme tels et non la fabrication d'un article commercial, en l'occurrence le bateau, à partir de ces dessins. Selon elle, les bateaux eux- mêmes doivent être protégés en vertu de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4] ou de la Loi sur les dessins industriels [S.R.C. 1970, chap. I-8] et la demanderesse n'a pas pris les mesures appro- priées à cet égard. La défenderesse soutient égale- ment que les bateaux ne sont pas des œuvres d'art architecturales pouvant être protégées en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.
La demanderesse est un très grand manufactu- rier américain de bateaux qui construit chaque semaine quelque 650 bateaux de divers modèles dans 12 usines différentes. La défenderesse, qui exploite son usine à Grand'Mère (Québec), s'est lancée en affaires en 1973 et elle a accru graduel- lement le volume de ses ventes, adaptant à la mode l'aspect extérieur de ses bateaux; il est prévu que ses ventes atteindront 12 500 000 $ pour l'année se terminant en juillet 1985. Elle serait le plus grand fabricant au Canada de bateaux mesurant entre 14 et 25 pieds de longueur. John Morton, un conces- sionnaire, a témoigné à titre d'expert que les bateaux de la défenderesse ne se vendent pas moins cher que ceux de la demanderesse. En 1983, le prix de détail du Bayliner 2450 était d'environ 35 000 $ alors que le prix du Citation se situait
entre 32 000 $ et 33 000 $; mais actuellement, le Bayliner se vend environ 38 000 $ ou moins, alors que le prix du Citation se situe entre 37 000 $ et 38 000 $. Le Capri se vend environ 13 500 $, mais on lui a dit que le TRX pouvait être obtenu pour aussi peu que 11 500 $. Les chiffres sont quelque peu imprécis et ils peuvent sans doute être négociés et varier en fonction de l'équipement ajouté aux bateaux. Si la défenderesse bénéficie actuellement d'un taux de change très favorable, la demande- resse est avantagée par un volume de production plus élevé. La défenderesse prétend que ses bateaux sont dotés de pièces d'équipement un peu plus luxueuses et sont conçus de façon que leur aspect extérieur capte l'attention. Les bateaux de la demanderesse sont décrits comme étant de très bons bateaux familiaux. Peter Hanna, président et fondateur de la défenderesse, déclare que, pour ses clients, le prix ne constitue pas une considération aussi importante que le fait d'un aspect extérieur aérodynamique et moderne; ils veulent être fiers de conduire leur bateau et être admirés. David Pur- cell est gérant des ventes de Ken Mason Marine à Nepean; il a corroboré jusqu'à un certain point le témoignage de Peter Hanna en déclarant que, lorsqu'ils commandent le Doral Citation, ils le dotent de tous les accessoires disponibles mais que lorsqu'ils commandent le Bayliner, ils ajoutent moins d'accessoires afin de ne pas faire augmenter le prix; ainsi le Citation pourrait-il se vendre pour 43 000 $ et le Bayliner pour 37 000 $. Il a dit que la différence entre ces deux bateaux est compara ble à celle qui existe entre une Oldsmobile et une Chevrolet.
Les concepteurs de Bayliner dessinent d'abord séparément les plans de la coque et du pont ou des parties constituant la superstructure. Les bateaux—particulièrement leur coque—ayant une forme courbe et effilée, les plans comportent des tableaux sur lesquels figurent plusieurs mesures donnant les coordonnées pour chaque intervalle d'environ un pied et demi de l'avant et jusqu'à l'arrière. Ces dessins sont utilisés pour fabriquer ce qu'on appelle un modèle, qui est une représenta- tion en trois dimensions du bateau devant être construit à partir du dessin. On fabrique alors un moule en se servant du modèle. Lors de la fabrica tion du bateau, on étend d'abord dans le moule une couche de fibre de verre de la couleur désirée. La fibre de verre est ensuite placée mécaniquement ou
à la main à l'épaisseur voulue. C'est ainsi qu'on fabrique la coque du bateau. La même chose s'applique au moule de la superstructure, qui doit naturellement être ajusté à la coque au moment de l'assemblage du bateau. La demanderesse a déposé quatre dessins représentant la coque et le pont de chacun des bateaux; elle a également produit un cinquième dessin, la coque du Ciera 2450 résultant d'une modification d'un plan antérieur de la demanderesse dont elle a également déposé le dessin.
La défenderesse admet franchement qu'elle fabrique ses bateaux sans procéder à des études techniques et qu'elle n'a pas de division d'ingénie- rie comme telle. Elle a acheté un Capri 1650 et l'a dépouillé de ses accessoires, séparant la coque et la superstructure et les utilisant comme modèles pour ses propres bateaux. Elle a procédé de la même façon avec le Ciera 2450 de la demanderesse. Le témoin de la défenderesse, M. Hanna, a dit savoir que cette pratique était répandue chez les cons- tructeurs de bateaux de la région du Québec; il est possible qu'elle soit également suivie ailleurs, mais on ne lui a pas permis de témoigner à ce sujet. Le processus coûteux de la conception est ainsi évité: ni dessins techniques ni modèles n'ont à être prépa- rés, les modèles étant constitués par les bateaux de la demanderesse avec les modifications qui y sont ' apportées. Les différences résultant de ces modifi cations ont fait l'objet d'une preuve très élaborée; il en sera question au moment nous détermine- rons si les bateaux de la défenderesse sont en fait des copies de ceux de la demanderesse. Il importe d'abord d'étudier la question juridique qui consiste à savoir si les bateaux de la demanderesse peuvent jouir de la protection du droit d'auteur en vertu des dispositions de la Loi canadienne sur le droit d'auteur. L'article 46 de la Loi sur le droit d'au- teur, S.R.C. 1970, chap. C-30 est ainsi libellé:
46. (1) La présente loi ne s'applique pas aux dessins suscepti- bles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, à l'exception des dessins qui, tout en pouvant être enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas destinés à servir de modèles ou d'échantillons, pour être multi- pliés par un procédé industriel quelconque.
(2) En vertu de la Loi sur les dessins industriels, il peut être édicté un règlement général pour déterminer les conditions sous lesquelles un dessin doit être considéré comme étant utilisé dans le but précité.
L'article précité renvoie à la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8; la Règle 11(1)
des Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964, porte:
11. (1) Un dessin est censé servir de modèle d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque au sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur,
a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être reproduit, ne forment ensemble qu'un seul assortiment tel qu'il est défini au paragraphe (2); et
b) lorsque le dessin doit être appliqué à
(i) des tentures de papier peint,
(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce,
(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce, et
(iv) de la dentelle qui n'est pas faite à la main.
La défenderesse prétend que les dessins de la demanderesse auraient être enregistrés en vertu de cette loi et qu'ils ne bénéficient pas de la protection accordée par la Loi sur le droit d'au- teur. Les deux parties ont cité beaucoup de juris prudence, surtout britannique, puisque la Loi canadienne de 1921 [Loi de 1921 concernant le droit d'auteur, S.C. 1921, chap. 24] a été calquée sur l'article 22 de la Loi de 1911 du Royaume-Uni [Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. 5, chap. 46] et que les deux lois ont déjà été identiques. La Règle 11 des Règles canadiennes régissant le dessin industriel était également identique à la Règle britannique adoptée en vertu dudit article 22. En 1949, le pendant pour le Royaume-Uni de nos Règles et de notre Loi sur les dessins industriels a toutefois été modifié et le mot «or» («ou») a été inséré dans l'article équivalant à l'alinéa 11(1)a) des Règles régissant les dessins industriels; en 1954, les Règles canadiennes ont été modifiées et la conjonction «et» a été ajoutée à l'endroit la Règle britannique emploie maintenant le mot «or» («ou»). Il faut donc examiner la jurisprudence britannique avec circonspection.
Les avocats de la défenderesse ont cité beaucoup de jurisprudence à l'appui de cette prétention; les avocats de la demanderesse ont répliqué en citant eux-mêmes de la jurisprudence. La défenderesse a fait référence à la décision Ware v. Anglo-Italian Commercial Agency, Ltd. (No. 1), MacGillivray's Copyright Cases 1917 1923, page 346 (Ch.D.), il s'agissait de contrefaçon du dessin d'une carrosserie d'automobile. La défenderesse s'est appuyée sur l'article 22 de la loi britannique intitu-
lée Copyright Act, 1911 et sur la Règle 89 des Designs Rules, 1920 [St. R. & 0., 1920, 337], qui correspondent à l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur canadienne et à la Règle 11 des Règles adoptées en vertu de la Loi sur les dessins industriels canadienne. À l'époque, la conjonction «and» (set») ne figurait pas à la fin de l'alinéa a) des Règles canadiennes ou britanniques. Le demandeur a déclaré qu'il n'avait construit ou fait construire que six modèles de carrosserie et qu'il n'avait pas l'intention de construire ou de faire construire plus de 50 carrosseries. La Cour a rejeté cette conclusion et a décidé que le dessin d'une carrosserie de camion n'était pas protégé par un droit d'auteur pour la raison qu'il pouvait être enregistré en vertu des dispositions de la Patents and Designs Act, 1907 [7 Edw. 7, chap. 29]. Curieusement, les avocats sont d'avis qu'il n'y a apparemment aucun jugement canadien ou améri- cain qui traite des dessins d'automobiles, bien que les différents fabricants s'inspirent sans aucun doute des dessins de leurs concurrents dans une certaine mesure et suivent de très près les change- ments et les modes comme c'est le cas pour les bateaux.
Dans l'affaire Con Planck, Ld. c. Kolynos Incorporated, [1925] 2 K.B. 804, des croquis avaient été transformés en affiches publicitaires. Il fut décidé que les croquis étaient des dessins qui pouvaient être enregistrés en vertu de la Patents and Designs Act, 1907, puisqu'ils étaient utilisés ou qu'on projetait de les utiliser comme modèles et de les multiplier au moyen d'un procédé industriel; à cause de l'article 22, la Copyright Act, 1911 ne leur était donc pas applicable et comme les deman- deurs n'avaient pas enregistré cette oeuvre confor- mément à la Loi de 1907, leur action fut rejetée. Bien que le litige ne portât pas sur la distinction entre un dessin et une oeuvre artistique, le juge Sankey, prononçant le jugement de la Cour, a déclaré que cette distinction était très difficile à établir et qu'il ne fallait pas donner de définition. Il dit à la page 815:
[TRADUCTION] Il est peut-être exact de dire, comme le fait la dernière édition de Copinger's Law of Copyright, 5 ième éd., p. 97, que c'est la possibilité d'appliquer un dessin à un autre article qui différencie essentiellement ce dessin d'une simple oeuvre artistique. Selon les demanderesses, un dessin doit servir de modèle pour la fabrication d'un autre article qu'il contri- buera à rendre visuellement attrayant; il n'y aurait pas de marché pour le dessin lui-même, celui-ci étant destiné à s'appli-
quer à un autre article. Bien que disposé à considérer que ces définitions sont à peu près exactes, je suis loin de dire qu'elles servent les demanderesses en l'espèce.
Il convient de souligner que la Loi canadienne, contrairement à la Loi britannique, ne contient pas de définition de ce qui constitue un dessin industriel.
Dans la cause Pytram, Ld. v. Models (Leices- ter), Ld., [1930] 1 Ch. 639, qui portait sur des modèles d'une tête de louveteau fabriqués à partir d'un moule en papier mâché et que la Boy Scouts Association devait utiliser comme totem au sommet de poteaux, il a été décidé qu'il s'agissait d'une oeuvre artistique dans laquelle un droit d'au- teur subsisterait mais que comme les dispositions de l'article 22 de cette Loi permettent qu'elle soit enregistrée en vertu de la Patents and Designs Act, 1907 et comme elle n'était pas couverte par l'ex- ception prévue pour les dessins qui ne sont pas destinés à servir de modèle et à être multipliés au moyen d'un procédé industriel, elle aurait être enregistrée comme dessin industriel.
On a également cité à cet égard l'arrêt King Features Syndicate, Incorporated v. Kleemann (O. & M.), Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.), qui con- tient aux pages 436 et 437 le passage suivant:
[TRADUCTION] Les Designs Rules, 1920 (St. R. & 0. 1920, 337) prévoient (notamment) que l'article 22 est censé s'appli- quer aux dessins (autres que les dessins se rapportant au domaine du textile, au sujet desquels il est disposé autrement) qui sont reproduits ou destinés à être reproduits dans plus de cinquante articles qui, ensemble, ne constituent pas un assorti- ment. Il est admis que les dessins des poupées, jouets et broches ont été utilisés et destinés à être utilisés dans plus de cinquante articles devant être fabriqués ou importés au Royaume-Uni par les intimés.
La défenderesse soutient que cette mention indi- recte des dessins «(autres que les dessins se rappor- tant au domaine du textile, au sujet desquels il est disposé de façon différente)» indique que notre Règle 11 doit être interprétée de manière disjonc- tive. Cet argument ne semble toutefois pas valable puisque le mot «et» a été ajouté à la fin de l'alinéa a). L'ajout, en 1949, du mot «or» («ou») dans la Règle britannique semblerait appuyer la thèse de l'interprétation disjonctive que les tribunaux ont jusqu'ici adoptée; d'autre part, l'ajout, au Canada, de la conjonction «et» pourrait très bien avoir l'effet contraire. Les avocats de la défenderesse
soutiennent que rien ne permet d'inférer qu'en 1954, au moment cette modification a été apportée, le législateur avait l'intention de changer
la loi canadienne.
Aux pages 255 et 256 du jugement qu'il a rendu dans la cause ontarienne Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. and National Sales Incenti ves Ltd. (1964), 44 C.P.R. 239 (H.C. Ont.), le juge en chef McRuer, dont le jugement a été confirmé par la Cour d'appel [sub nom. Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48 C.P.R. 109], a discuté de la question:
[TRADUCTION] Un dessin qui est destiné à être utilisé comme modèle pour être multiplié et qui peut être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales, S.R.C. 1952, chap. 150, n'est pas couvert par la Loi sur le droit d'auteur.
Ceci ne touche en rien les oeuvres artistiques produites pour leur seule qualité d'oeuvre d'art.
Selon le juge, cela ne s'appliquerait qu'aux oeuvres reproduites en petite quantité. Il discute de l'article 11 de la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales [S.R.C. 1952, chap. 150],
qui est ainsi libellé:
11. Pendant l'existence du droit exclusif, qu'il s'agisse de l'usage entier ou partiel du dessin, personne, sans la permission par écrit du propriétaire enregistré, ou, en cas de cession, de son cessionnaire, ne peut appliquer, pour des fins de vente, ce dessin, ou une imitation frauduleuse de ce dessin, à l'ornemen- tation d'un article fabriqué ou autre sur lequel peut être appliqué, ou auquel peut être attaché, un dessin industriel; et personne ne peut publier, ni vendre ni exposer en vente, ni employer cet article ci-dessus mentionné, sur lequel ce dessin ou cette imitation frauduleuse a été appliquée.
Et il déclare:
[TRADUCTION] Cet article porte grandement à confusion, c'est le moins qu'on peut dire. La Loi canadienne ne définit pas l'expression «dessin industriel». Il ressort des observations faites par des juges dans certaines causes que les tribunaux ont tendance à considérer (sans en avoir décidé) qu'une simple configuration ne constitue pas un dessin industriel. Le terme «configuration» fait partie de la définition de «industrial design» («dessin industriel») contenue dans la Loi anglaise. La rédaction confuse de l'article 11 confère un poids considérable à l'argument voulant que la configuration ne soit pas incluse dans la Loi canadienne.
Le juge souligne qu'en vertu de la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales le droit exclusif n'est valide que pour une période de cinq ans, au terme de laquelle il peut être renou- velé pour une période supplémentaire de cinq ans; il conclut:
[TRADUCTION] Ceci a pour but de promouvoir le commerce; il s'agit bien de commerce, non d'oeuvres d'art rarissimes.
La défenderesse souligne que, même si le mot «et» se trouvait dans les Règles canadiennes régissant les dessins industriels au moment de ce jugement, il semble qu'il n'ait pas été interprété comme étant conjonctif puisque le jugement n'en n'a pas discuté et n'a pas tenté de limiter l'application aux genres de dessins mentionnés à l'alinéa b) de la Règle 11(1).
Dans l'affaire Vidal c. Artro Inc., [1976] C.S. 1155, il était question de sculptures métalliques à partir desquelles on avait fabriqué des moules devant servir à produire des copies, la Cour supé- rieure du Québec a également discuté de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur et la Règle 11 de la Loi sur les dessins industriels, pour conclure encore une fois que, plus de 50 sculptures devant être reproduites, la revendication fondée sur la Loi sur le droit d'auteur devait être rejetée. La Cour n'a discuté ni de la signification du mot «et» ni de la question de savoir si le dessin industriel doit être restreint aux articles énumérés à l'alinéa b).
La défenderesse doit toutefois surmonter l'obs- tacle que représentent deux décisions récentes du juge Strayer de cette Cour qui concluent à une telle restriction. Dans la cause Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Liée, [1986] 1 C.F. 357; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (ire inst.), il était question d'une marque de commerce aussi bien que du droit d'auteur sur un dessin floral appliqué à de la vaisselle, la Cour, tout en statuant que la demanderesse avait le droit de faire enregis- trer un droit d'auteur, a refusé d'accorder une injonction puisque rien n'indiquait que la défende- resse avait reproduit ou avait l'intention de repro- duire le motif en question. Traitant de la question de savoir si le dessin aurait être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels, le juge Strayer a déclaré aux pages 379 C.F.; 231 C.P.R.:
Selon l'article 11 du Règlement [Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964] pris en vertu de la Loi sur les dessins industriels, il ressort que pour qu'un dessin soit censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque, il doit avoir été reproduit sur plus de 50 articles différents (ce qu'on admet être le cas en l'espèce) et doit être appliqué à un certain genre de choses mentionnées dans cet article, comme des tentures de papier peint, des tapis, des tissus ou de la dentelle. La faïence ou la porcelaine ne s'y trouve pas. Par conséquent il est évident qu'un
dessin devant être appliqué à de la vaisselle de porcelaine n'est pas un dessin censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque et, par conséquent, n'est pas exclu de la protection de la Loi sur le droit d'auteur par le paragraphe 46(1).
Le juge Strayer a réaffirmé cette opinion dans le jugement qu'il a rendu dans la cause Interlego AG et al. c. Irwin Toy Limited et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1T° inst.), en date du ler février 1985, il était question de blocs de construction pour enfants et l'action ne se restreignait pas au droit d'auteur mais contenait également des reven- dications fondées sur la contrefaçon d'une marque de commerce et le «passing off». Le juge Strayer
déclare à la page 13 de ce jugement:
[TRADUCTION] J'ajouterai que les avocats des défenderesses ont porté une attaque additionnelle contre l'existence du droit d'auteur en se fondant sur le paragraphe 46(1) de la Loi sur le droit d'auteur, qui prévoit que la Loi ne s'applique pas aux dessins pouvant être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8. Les avocats des défenderesses n'ont pas parlé du paragraphe 46(2), mais l'avo- cat des demanderesses a soutenu que ce paragraphe limite l'application du paragraphe 46(1) aux dessins dont le règlement d'application de la Loi sur les dessins industriels prévoit qu'ils peuvent être enregistrés en vertu de ladite Loi. J'ai étudié ce règlement et suis arrivé à la même conclusion que dans le jugement que j'avais rendu relativement à l'affaire Royal Doulton Tableware Limited et autres c. Cassidy's Ltd.—Cas- sidy's Ltée (C.F. 1" inst., le 29 juin 1984, non publiée, aux pp. 22-23 [maintenant publiée 1 C.P.R. (3d) 214 la page 231]), à savoir que le dessin dont il est question en l'espèce n'est pas, selon les termes du règlement, destiné à être multiplié au moyen d'un processus industriel, et ne se trouve donc pas exclu de l'application de la Loi sur le droit d'auteur en vertu du paragraphe 46(1) de cette Loi.
Même s'il dit être parvenu à la même conclusion que dans l'affaire Royal Doulton, il ne traite pas de l'effet du paragraphe 46(2); de plus, ni la signification du mot «et» ni la question de savoir s'il doit être interprété de façon disjonctive ou conjonctive ne sont discutées dans l'une ou l'autre cause, bien que le fait d'avoir écrit ce mot en italique dans la cause Royal Doulton semble indi- quer qu'il l'interprète de façon conjonctive; ainsi, pour qu'un article soit censé être multiplié par un procédé industriel et ne puisse être enregistré en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, il doit non seulement être destiné à être reproduit dans plus de cinquante articles différents mais également être appliqué à certains types d'objets précisés à l'alinéa b), tels les tentures de papier, tapis, tissus ou dentelles. La Cour a été informée qu'il y a eu appel du jugement Royal Doulton et que cet appel
a fait l'objet d'un désistement; d'autre part, l'appel interjeté dans l'affaire Interlego est pendant. Tou- tefois, comme plusieurs questions importantes con- cernant d'autres lois étaient en jeu dans chacune des deux causes, il est possible que la décision du juge Strayer d'interpréter de façon restrictive la Loi sur les dessins industriels n'ait pas réglé la question de façon définitive.
Les avocats de la défenderesse prétendent à bon droit que le fait d'interpréter la Règle 11 de façon aussi restrictive aura pour effet de diminuer consi- dérablement l'utilité de la Loi sur les dessins industriels. Cependant, lorsque la Cour interprète une loi, elle n'a pas à tenir compte des conséquen- ces de cette interprétation; si l'interprétation a pour effet d'affaiblir une loi ou de nuire à l'accom- plissement de la fonction pour laquelle elle a été adoptée ou, comme c'est le cas en l'espèce, de porter atteinte au règlement édicté en vertu de cette loi, il appartient soit au Parlement, soit au Cabinet d'empêcher cette interprétation, le pre mier en légiférant, le second en adoptant la modifi cation appropriée dans un décret.
La défenderesse présente un mémoire très inté- ressant au soutien de sa prétention suivant laquelle le mot «et» peut s'employer aussi bien dans un sens disjonctif que dans un sens conjonctif et le mot «censé» ne doit pas être considéré comme exhaus- tif; selon elle, nous devons examiner le contexte et l'intention du législateur pour préciser la significa tion qui doit être donnée. En fait, un exemple de l'utilisation du mot «et» dans un sens disjonctif se trouve au sous-alinéa b) (iii) du paragraphe 11(1), les quatre exemples d'articles auxquels le dessin doit être appliqué étant disjoints de façon évidente. Les avocats laissent entendre que la présence du mot «et» à la fin de l'alinéa a) en 1954 n'est qu'une question de rédaction législative et ne vise pas à faire une conjonction entre les alinéas a) et b), soutenant que cela irait à l'encontre du but de la Loi.
On a également soutenu qu'il est difficile d'ap- pliquer l'alinéa a) et de décider si un dessin peut être reproduit dans plus de 50 articles différents si ce dessin n'est appliqué qu'aux types d'articles mentionnés à l'alinéa b), aucun de ceux-ci n'étant fabriqués de façon à constituer un article séparé mais tous étant produits en rouleaux pour être ensuite découpés à la longueur désirée. Il semble
que les rédacteurs aient utilisé deux critères diffé- rents en ce qui concerne l'enregistrement des des- sins sous le régime de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur. Bien que ces arguments soient convaincants et que l'emploi du mot «et» plutôt que du mot «or» («ou») que l'on retrouve dans les Règles britanniques soit peut-être malheureux, les Règles canadiennes ont été modifiées quelque cinq ans après les Règles britanniques et il est difficile de conclure que le rédacteur législatif et le décret approuvant la Règle ont utilisé le mot «et» au lieu du mot «ou» accidentellement ou par erreur; cet argument ne réussit pas non plus à me convaincre qu'il faille écarter les principes du stare decisis et du respect des jugements, qu'il est souhaitable de maintenir même s'il arrive qu'on les mette de coté. Ce principe est énoncé par la Cour d'appel fédé- rale dans l'affaire Armstrong Cork Canada Ltd. c. Domco Industries Ltd., [1981] 2 C.F. 510; (1980), 54 C.P.R. (2d) 155, aux pages 518 C.F.; 161 et 162 C.P.R.:
De même, en l'espèce présente, je suis d'avis qu'indépendam- ment de l'application du principe du stare decisis à notre juridiction, une saine administration de la justice requiert de se conformer aux décisions antérieures récentes de la Cour.
Les deux jugements du juge Strayer sont deux décisions récentes de cette Cour qui n'ont pas encore été infirmées en appel; ils doivent être suivis. Il s'ensuit que les dessins de la demande- resse n'auraient pas pu être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels et qu'ils pou- vaient par conséquent recevoir la protection du droit d'auteur. Bien que la demanderesse ait subsé- quemment enregistré au Canada un droit d'auteur sur les dessins en question, il ne s'agit pas de savoir si le droit d'auteur a été ou non enregistré. La demanderesse a droit à la protection conférée par la Loi sur le droit d'auteur. L'enregistrement d'un droit d'auteur ne soulève aucun problème puisque, contrairement aux enregistrements qui ont lieu en vertu de la Loi sur les brevets, de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10] ou de la Loi sur les dessins industriels, il n'est pas nécessaire qu'un tel enregistrement soit approuvé par un examinateur. Le simple enregistrement ne règle donc pas la question de savoir si les dessins auraient être enregistrés sous le régime de la Loi sur les dessins industriels plutôt qu'en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.
Les arguments et la jurisprudence présentés au nom de la demanderesse à l'encontre de la position de la défenderesse appuient la conclusion à laquelle je suis parvenu sur cette question juridi- que importante. Ainsi que le souligne la demande- resse, même si on ne tient pas compte de l'argu- ment fondé sur la Règle 11(1)b), l'article 46 et la Règle 11(1)a) ne refusent le droit d'auteur qu'en ce qui concerne les dessins destinés à servir de modèle ou d'échantillon et à être reproduits ou destinés à être reproduits par un procédé industriel dans plus de 50 copies. Les dessins eux-mêmes n'étaient pas destinés à être reproduits dans plus de 50 copies ou à constituer par eux-mêmes des modèles ou des dessins. C'est également le cas en ce qui concerne les bateaux que la défenderesse a copiés. On a également soutenu que la méthode de construction de la défenderesse, qui consiste à étendre de la fibre de verre à la main à l'intérieur d'un moule, ne constitue pas un procédé industriel. Je ne souscris pas à cet argument.
Il a de plus été plaidé que les dessins qui sont avant tout fonctionnels et dont les caractéristiques les plus importantes sont cachées et ne sont pas destinées à être admirées ne devraient pas être assujettis aux dispositions touchant le dessin indus- triel. L'affaire Mainetti S.P.A. v. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 206 (C.F. r e inst.), qui porte sur l'enregistrement d'un dessin industriel relatif à des cintres, a été citée à l'appui de cet argument. Il est dit à la page 224 de ce jugement:
[TRADUCTION] Il ne s'agit que d'un dessin pouvant être protégé par la Loi sur les dessins industriels qui ne donne aucune protection relativement à la fonction remplie par l'article, en l'espèce les cintres.
On ajoute à la page 226:
[TRADUCTION] Je décide par conséquent que les deux dessins sont avant tout fonctionnels et qu'un cintre de ce genre, qui est fabriqué à partir d'un dessin dont les caractéristiques principa- les sont cachées et qui n'est pas destiné à être admiré par le public en général ou à lui être vendu de toute façon, n'aurait pas être enregistrable en tant que dessin industriel et devrait être radié du registre conformément au paragraphe 22(1) de la Loi sur les dessins industriels.
On a opposé à la demanderesse un autre argu ment juridique selon lequel ses dessins, moules, modèles et bateaux ne peuvent recevoir la protec tion prévue pour les dessins industriels au Canada parce qu'ils ne posséderaient pas, à un degré suffi- sant, l'élément de nouveauté requis pour de tels
dessins. Dans un jugement récent non publié, Bata Industs. Ltd. v. Warrington Inc. (1985), 5 C.I.P.R. 223, en date du 27 mars 1985, madame la juge Reed, de cette Cour, a discuté du degré d'origina- lité requis pour l'enregistrement d'un dessin indus- triel. Voici ce qu'elle dit aux pages 231 et 232:
Cet arrêt exige un degré d'originalité plus grand que celui qui est requis en matière de droit d'auteur. Il semble à tout le moins exiger une étincelle d'inspiration de la part de l'auteur, soit par la création d'un dessin entièrement nouveau ou par la découverte d'un nouvel usage pour un dessin qui existait déjà. Il faut souligner une des définitions que donnent les dictionnaires du terme [TRADUCTION] «original»: «dont le caractère ou le style est nouveau, inventif, créatif» (The Concise Oxford Dic tionary, 6th ed., 1976).
La cause Kilvington Bros. Ltd. v. Goldberg (1957), 28 C.P.R. 13, dans laquelle le juge Judson, de la Haute Cour de l'Ontario, fait état de la jurisprudence portant sur l'article 46, a également été citée relativement à cette question. Le juge déclare à la page 17 de son jugement:
[TRADUCTION] La pièce 1 est le dessin d'une pierre tombale qui comprend sa forme extérieure et son ornementation. Il s'agit d'un dessin au sens de la définition qu'en donne le jugement Clatworthy & Son Ltd. v. Dale Display Fixtures
Ltd., [1929] 3 D.L.R. 11 à la, p. 12, R.C.S. 429 la p. 431. Trois décisions de la Cour de l'Échiquier (Kaufman Rubber Co. v. Miner Rubber Co., [1926] 1 D.L.R. 505, R.C.É 26; Can. Wm. A. Rogers Ltd. v. Internat'[ Silver Co. of Canada Ltd., [1932] R.C.E. 63; et Renwal Mfg. Co. Inc. v. Reliable Toy Co., 9 C.P.R. 67, [1949] R.C.É. 188) considèrent que la Loi concer- nant les marques de commerce et les dessins de fabrique ne s'applique pas à l'article lui-même, mais seulement à son ornementation. Les avocats de la défenderesse prétendent que ces causes entrent en conflit avec l'affaire Clatworthy et souli- gnent que, depuis de nombreuses années, des dessins représen- tant des formes extérieures ont été enregistrés. Il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cet argument puisque, avant que l'article 46 puisse s'appliquer, il me faut décider s'il s'agit d'un dessin pouvant être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales, ce qui présup- pose que ce dessin est original, c'est-à-dire nouveau. Ce principe est clairement énoncé dans l'affaire Clatworthy et dans les autres jugements de la Cour de l'Échiquier. Le critère adopté par la Cour dans la cause Clatworthy est énoncé dans les termes suivants (D.L.R. p. 13, R.C.S. p. 432): «Il doit y avoir exercice d'une activité intellectuelle qui engendre, c'est-à-dire suggère pour la première fois, quelque chose qui ne soit venu à l'esprit de personne auparavant comme le fait d'appliquer par des moyens manuels, mécaniques ou chimiques quelque modèle, forme ou ornement à un objet particulier auquel il ou elle n'avait pas été appliqué(e) auparavant.»
Lorsque j'ai étudié la question de savoir si le dessin de la demanderesse satisfaisait à l'exigence d'originalité contenue dans la Loi sur le droit d'auteur, j'ai déclaré qu'à mon avis il n'y avait pas dans le dessin de la demanderesse de nouvelles idées ni une nouvelle application de vieilles idées. Il constituait néanmoins une œuvre artistique originale et, comme tel, pou-
vait être protégé par le droit d'auteur. L'absence de nouveauté empêche cependant qu'il soit enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels.
Un autre argument de la demanderesse relative- ment à cette question se fonde sur le paragraphe 14(1) de la Loi sur les dessins industriels, qui exige pour protéger tout dessin qu'il soit enregistré dans l'année qui suit la date de sa publication au Canada. Les dessins des bateaux de la demande- resse n'ont certainement pas été publiés au Canada ou ailleurs, et je doute que les ventes des bateaux eux-mêmes constituent une publication de leur dessin—bien que le fait d'inclure dans les feuillets publicitaires les photographies qu'on y a placées puisse peut-être en constituer. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un argument supplémentaire pouvant fort bien indiquer que les dessins n'auraient pas pu, à l'époque est le litige, avoir été enregis- trés en vertu des dispositions de la Loi sur les dessins industriels.
Ayant rejeté la prétention juridique de la défen- deresse selon laquelle les bateaux de la demande- resse ne peuvent être protégés en vertu de la Loi sur le droit d'auteur pour le motif que les dessins auraient être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, nous devons maintenant étudier les autres questions soulevées et examiner les faits mis en preuve.
La demanderesse cite les définitions de l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur pour appuyer sa prétention selon laquelle ses dessins constituent, au sens de la Loi sur le droit d'auteur, des oeuvres littéraires puisqu'ils sont des plans ou des oeuvres artistiques en tant que dessins et selon laquelle les coques, ponts et moules des Ciera et Capri et ces bateaux eux-mêmes constituent des oeuvres architecturales et par conséquent des oeuvres artistiques et peuvent de toute façon être protégés par le droit d'auteur. Les définitions citées sont les suivantes:
2....
«oeuvre artistique» comprend les oeuvres de peinture, de dessin, de sculpture et les œuvres artistiques dues à des artisans, ainsi que les oeuvres d'art architecturales», les gravures et photographies;
«oeuvre d'art architecturale» signifie tout bâtiment ou édifice d'un caractère ou d'un aspect artistique, par rapport à ce caractère ou aspect, ou tout modèle pour un tel bâtiment ou édifice; mais la protection assurée par la présente loi se limite au caractère ou à l'aspect artistique et ne s'étend pas aux procédés ou méthodes de construction;
«oeuvre littéraire» comprend les cartes géographiques et mari nes, les plans, tableaux et compilations;
«toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique origi- nale» comprend toutes les productions originales du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que les livres, brochures et autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico- musicales, les oeuvres ou compositions musicales avec ou sans paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques rela- tifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences.
Le paragraphe 4(1) de la Loi est ainsi libellé:
4. (1) Sous réserve de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artistique, si, à l'époque de la création de l'oeuvre, l'auteur était sujet britannique, citoyen ou sujet d'un pays étranger ayant adhéré à la Convention et au Protocole additionnel de cette même Convention, publiés dans l'annexe II, ou avait son domicile dans les royaumes et territoires de Sa Majesté; et si, dans le cas d'une oeuvre publiée, l'oeuvre a été publiée en premier lieu dans les royaumes et territoires de Sa Majesté ou dans l'un de ces pays étrangers; mais ce droit n'existe sur aucune autre oeuvre, sauf dans la mesure la protection garantie par la présente loi est étendue, conformément aux prescriptions qui suivent, à des pays étrangers auxquels la présente loi ne s'applique pas.
À la page 196 de la seconde édition de son livre intitulé The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, M. Fox dit ce qui suit:
[TRADUCTION] L'expression «oeuvre artistique» comprend par conséquent l'oeuvre architecturale, et, en vertu de l'article 4, le droit d'auteur existe sur une telle oeuvre.
La protection de la Loi sur le droit d'auteur canadienne a été étendue aux États-Unis confor- mément au paragraphe 4(2) de la Loi, à la suite d'un avis publié à la page 2157 de la Gazette du Canada en date du 26 décembre 1923 et devant prendre effet le ler janvier 1924. L'auteur d'une oeuvre faisant l'objet du droit d'auteur doit avoir utilisé un savoir-faire, une habilité ou une expé- rience réelle, mais cette oeuvre n'a pas à être nouvelle. Les dessins en question, qui font l'objet d'un droit d'auteur, ont été faits par le témoin expert Clark Scarboro et par Daryl Watson alors
qu'ils travaillaient pour la demanderesse, et, admettant que la protection du droit d'auteur leur soit applicable, nul ne conteste que la demande- resse en détient les droits d'auteur.
En l'espèce, on ne conteste pas que les bateaux ont été copiés (avec de nombreuses modifications, apportées à leur dessin qui, selon la défenderesse, empêchent qu'ils puissent être considérés comme des exemplaires contrefaits) sur ceux de la deman- deresse et non sur les dessins des bateaux, que la défenderesse n'avait pas vus ni même sur les moules des bateaux construits à partir de ces dessins. Se pose donc l'importante question de savoir si, en copiant un exemplaire «intermédiaire» de l'oeuvre originale, on peut porter atteinte à un droit d'auteur. Aux pages 329 et 330, Fox dit à ce sujet:
[TRADUCTION] Naturellement, le défendeur portera atteinte au droit d'auteur de la même façon s'il a reproduit l'oeuvre de mémoire ou l'a obtenue indirectement à partir d'un exemplaire intermédiaire que s'il l'a copiée directement sur l'oeuvre proté- gée par le droit d'auteur; et la non protection de l'exemplaire intermédiaire ne fait aucune différence. Même si pour avoir gain de cause le demandeur doit prouver que c'est à partir de l'oeuvre faisant l'objet du droit d'auteur qu'a été obtenue l'oeuvre contrefaite, il n'est pas nécessaire qu'elle ait directe- ment servi à la produire. Comme l'a dit le juge Simonds à la page 359 de la cause King Features Syndicate Inc. v. Kleemann Ltd., [1940] 2 All E.R. 355: «Ne doit pas entrer en ligne de compte la question de savoir si l'article contrefait provient directement ou indirectement de l'ceuvre originale. Le critère est objectif. Il s'agit de savoir si l'oeuvre originale, ou une partie importante de cette dernière, a été reproduite. Si tel est le cas, le fait de dire qu'elle a été copiée d'une oeuvre produite avec ou sans licence, elle-même copiée de l'original, ne constitue pas une réponse valable.»
À la page 331, l'auteur parle de la cause Dorling v. Honnor and Honnor Marine Ltd., [1963] R.P.C. 205 (Ch.D.); [1964] R.P.C. 160 (C.A.), dans laquelle le demandeur détenait un droit d'auteur sur des plans de bateaux. Le défendeur fabriquait des pièces de bateau contrefaites et des ensembles de telles pièces. La Cour d'appel a décidé que cela constituait une atteinte au droit d'auteur que le demandeur détenait sur les plans. La défenderesse soutient toutefois que cette cause ne constitue pas un précédent au Canada.
[TRADUCTION] La cause britannique porte sur la question de savoir si le demandeur peut bénéficier de la protection du droit d'auteur pour les plans d'un ensemble de pièces servant à construire un bateau ou si au contraire de tels plans auraient être protégés suivant les dispositions applicables aux dessins industriels. Cette cause ne fait pas autorité au Canada puis- qu'elle porte sur des dispositions législatives du Royaume-Uni
en matière de droit d'auteur et dessins industriels qui sont apparues pour la première fois lors des modifications de 1949 et de 1956 qui n'ont pas d'équivalent dans la législation canadienne.
Plus précisément, la Règle 26 des Designs Rules 1949 (R.-U.) empêchait expressément de conférer aux «plans» la protection accordée aux dessins industriels. Il n'y a pas et il n'y a jamais eu de telle règle au Canada.
De plus, et ceci est très important, cette affaire portait sur l'interprétation de l'article 7 de la Loi du Royaume Uni (sans équivalent au Canada), qui refusait la protection de la Loi à un ensemble de pièces destinées à être vendues aux constructeurs de bateaux amateurs (par opposition à ceux qui utilisent ces pièces dans l'industrie ou dans le commerce). L'affaire Dorling se fonde donc sur une disposition législative qui n'existe pas au Canada; de plus, il ressort des faits en l'espèce qu'il y a utilisation industrielle et commerciale des deux pièces (le pont et la coque) des bateaux sur lesquels porte le litige.
Finalement, la cause Dorling repose sur une interprétation de l'article 10 de la Copyright Act (1956, R.-U.), qui traitait des conditions dans lesquelles il était possible d'accorder à la fois la protection conférée par le droit d'auteur du Royaume-Uni et la protection de la loi sur le dessin industriel. La législation canadienne ne contient pas et n'a jamais contenu de disposition comme celle-là.
Fox déclare à la page 105:
[TRADUCTION] C'est à bon droit que les cartes, les graphiques et les plans font l'objet de droits d'auteur, puisqu'ils font partie de la définition de «livre» et d'«oeuvre littéraire».
L'arrêt L.B. (Plastics) Ltd. v. Swish Products Ltd., [1979] R.P.C. 551 (Ch.D.) qui fait autorité en la matière est de ceux qui soutiennent cette position. Il y est déclaré à la page 566:
[TRADUCTION] Depuis 1963 au moins, dans une suite de décisions rendues par la Haute Cour, il a été admis ou décidé que des dessins du même type que ceux-ci sont des oeuvres artistiques au sens de l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur.
Cette conclusion fait toutefois référence à la cause Dorling v. Honnor and Honnor Marine Ltd. (précitée).
Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'au- teur, qui a également été cité, est ainsi libellé:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque ... [C'est moi qui souligne.]
Fox dit à la page 381:
[TRADUCTION] En vertu de la loi sur le droit d'auteur, le droit exclusif de produire ou de reproduire des croquis ou des dessins ou toute partie importante de ceux-ci sous une forme matérielle quelconque comprend la reproduction d'une partie importante des croquis ou de l'un de ceux-ci sous une forme tridimensionnelle, comme pour les jouets ou les poupées. Ainsi, dans la cause King Features Syndicate Inc. v. Kleemann Ltd.
[1941] 2 All E.R. 403, la défenderesse fabriquait des poupées de plâtre ou des jouets à l'image du marin représenté dans les populaires bandes dessinées ou dessins de «Popeye the Sailor», Lord Wright a fait remarquer que «il n'a pas été contesté devant cette Chambre que les poupées ou jouets étaient des reproductions d'une partie importante du croquis choisi comme échantillon même si le support est différent—en l'occurrence, le plâtre—et même s'il s'agit de représentations en couleurs et en trois dimensions plutôt que du croquis en deux dimensions et en noir et blanc qui a été publié.»
L'inclusion des termes «sous une forme matérielle quelcon- que» dans la présente Loi—ces mots ne se trouvant pas dans la Fine Arts Copyright Act, 1862—élimine tout doute quant au fait que la représentation en trois dimensions d'une forme contrefait un dessin en deux dimensions de la même forme. Ainsi que l'a dit le juge Simonds dans King Features Syndicate Inc. v. Kleemann Ltd. [1940] 2 All E.R. 355, la p. 358: «Selon moi, il serait contraire à l'esprit et au sens ordinaire des termes de la Loi de considérer qu'un exemplaire d'une ouvre artistique ne constitue une contrefaçon que s'il est fabriqué suivant les mêmes dimensions de sorte que, à titre d'exemple, le droit d'auteur sur un croquis ne serait pas violé si le dessin exact était reproduit dans une frise avec un peu de relief ou dans un fronton sculpté.
Soutenant qu'un bateau ne peut pas être consi- déré comme une oeuvre d'art architecturale, la défenderesse souligne que l'article 23 de la Loi sur le droit d'auteur n'accorde pas d'injonction lors- que la construction d'un «bâtiment ou autre édi- fice» qui constituerait une violation du droit d'au- teur a été commencée. Une construction ou un autre édifice étant fixé en permanence, on ne saurait en exiger la remise ni en recouvrer la possession; par contre, rien n'empêche la remise d'un bateau. Selon les avocats de la défenderesse, il s'ensuit qu'un bateau ne constitue pas un bâti- ment ou autre édifice au sens de la définition d'oeuvre d'art architecturale contenue à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur. Les jugements cités par des auteurs comme Fox et Copinger portent sur des objets fixés au sol. On a également soutenu que, si les oeuvres architecturales comprennent les bateaux, rien dans l'article 46 n'indique que ledit article ne s'applique pas à de telles oeuvres et que, les bateaux pouvant être produits en série par un procédé industriel, l'article 46 pourrait être invo- qué. Bien que les bateaux puissent avoir une appa- rence attrayante, ce à quoi visent tous les manu- facturiers, et puissent être dessinés par des ingénieurs des constructions navales, il m'est diffi- cile de les considérer comme des «bâtiment[s] ou édifice[s] d'un caractère ou d'un aspect artistique», au sens de la définition d'oeuvre d'art architectu- rale. Une telle interprétation me semblerait donner
au mot anglais «structure» («édifice») une signifi cation plus étendue que la signification habituelle de ce terme et ne me semblerait pas conforme à l'intention du législateur lorsqu'il a ajouté ce terme au mot «bâtiment» dans la définition. Ils ne sem- blent pas non plus constituer des oeuvres «d'art», puisque la définition ne se rapporte pas qu'à une «oeuvre architecturale» mais s'applique aux termes «oeuvre d'art architecturale». Cela répond à l'un des arguments de la défenderesse mais ne tranche pas le litige, puisqu'il semble évident que les des- sins, en tant qu'oeuvres littéraires, font l'objet d'un droit d'auteur. L'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur protège l'oeuvre ou une partie importante de celle-ci «sous une forme matérielle quelconque», et de nombreux arrêts de jurisprudence semblent affirmer que le fait de copier un objet fabriqué à partir d'un dessin, même si le dessin lui-même n'est pas utilisé, constitue une contrefaçon.
La défenderesse soutient également que lés des- sins ne décrivent ni les bateaux de la demanderesse ni ceux de la défenderesse tels qu'ils sont mais constituent seulement un ensemble d'instructions permettant la fabrication des bateaux; il s'agirait de descriptions relevant de l'ingénierie plutôt que d'images représentant ce qui peut être vu des bateaux. On a soutenu qu'un article en trois dimensions ne contrefait un dessin en deux dimen sions que si l'article qui est vu en trois dimensions reproduit ce qui est vu en deux dimensions. On a fait référence à la cause Burke & Margot Burke, Ld. v. Spicers Dress Designs, [1936] Ch. 400, dans laquelle Mme Burke était l'auteur d'une oeuvre artistique et la titulaire du droit d'auteur sur ladite oeuvre, en l'occurrence le croquis d'une robe de femme. La compagnie demanderesse a fabriqué une robe à partir du dessin et les défendeurs l'ont copiée sans le consentement des demanderesses. L'action a été rejetée pour le motif que la robe des défendeurs n'était pas une reproduction du croquis de la dessinatrice protégé par le droit d'auteur au sens de la Copyright Act, 1911 de la Grande-Bre- tagne et pour le motif que la robe faite par la compagnie demanderesse à partir du croquis ne constituait pas une oeuvre artistique originale due à un artisan au sens de la Copyright Act, 1911 puisque la compagnie demanderesse n'avait pas elle-même apporté la composante artistique qu'elle contenait. On a également fait mention de la cause australienne Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. 719,
de la Cour suprême de Victoria, il est dit â la page 735:
[TRADUCTION] Il a toutefois été décidé dans Chabot v. Davies, précité, que le fait de construire une devanture de boutique sur le modèle d'un dessin d'architecte contrefaisait ce dessin pour le motif que la dite devanture reproduisait le dessin sous une forme matérielle. On prétend que cette décision ne s'applique qu'aux cas dans lesquels l'aspect extérieur de l'ensemble de l'édifice apparaît comme la reproduction de ce qui se trouve dans le plan ou le dessin de l'architecte et on plaide qu'il n'y aurait pas violation du droit d'auteur dans un plan tel un plan géométral si un bâtiment était construit suivant ce plan, pourvu que la dite construction ne ressemble en rien au plan, à moins qu'un examen minutieux et un mesurage n'établissent la res- semblance. Ce point de vue semble conforme aux principes énoncés dans la décision Burke & Margot Burke Ltd. v. Spicer's Dress Designs, précitée, qui a fait l'objet de certaines distinctions dans la cause que nous venons de citer.
et on ajoute â la même page:
[TRADUCTION] Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il existe un droit d'auteur littéraire sur certains tableaux de certaines compilations, il n'y aura, selon moi, atteinte au droit d'auteur dans ces tableaux ou compilations que si l'ceuvre qui a été produite constitue elle-même une sorte de tableau ou de compilation et reproduit ces tableaux, peu importe qu'elle les reproduise en deux ou en trois dimensions et peu importe sa forme matérielle.
Dans une cause canadienne subséquente impli- quant Cuisenaire, l'affaire Cuisenaire v. South West Imports Ltd. (1967), 54 C.P.R. 1 (C. de l'É.), le juge Noël a décidé que les tiges de couleur Cuisenaire employées comme outils ou comme bâtons de calcul dans l'enseignement de l'arithmé- tique ne sont pas des oeuvres artistiques, puisque ces dernières sont censées faire appel au sens esthétique—pas seulement accessoirement comme c'est le cas pour les tiges en question—et puisque cet appel au sens esthétique doit constituer une des raisons importantes pour lesquelles l'oeuvre est créée. A la page 24, il discute du jugement King Features Syndicate, Incorporated v. Kleemann (O. & M.), Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.) (l'affaire Popeye, précitée) qui a décidé que les poupées et les broches des défendeurs constituaient des repro ductions sous une forme matérielle de l'oeuvre artistique originale des demandeurs même si elles n'avaient pas été copiées directement sur les cro- quis des demandeurs mais provenaient d'une reproduction sous une forme matérielle qui en avait été tirée. Le juge Noël établit certaines dis tinctions concernant cette décision, déclarant aux pages 24 et 25:
[TRADUCTION] Dans la cause qui précède, lesdites poupées peuvent être considérées comme des reproductions de l'ceuvre
artistique des demandeurs; les tiges du demandeur ne peuvent toutefois être considérées comme des reproductions de son texte écrit (même en tenant compte des termes très larges de l'alinéa 2 y)) pour les motifs énoncés par le juge Pape dans Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. aux p. 735 et 736, que je fais miens entièrement:
Il cite alors le passage que nous avons reproduit ci-haut. Il approuve également la déclaration con- tenue à la page 733 de ce jugement selon laquelle [TRADUCTION] «Il ne fait pas de doute maintenant qu'on peut porter atteinte au droit d'auteur sur une œuvre produite en deux dimensions en fabri- quant et en vendant un article en trois dimen sions», pourvu que de tels articles soient de même nature que les choses qu'ils reproduisent. Il conti nue en déclarant:
[TRADUCTION] Les tiges du demandeur ne peuvent toutefois pas, je le répète, être considérées comme une reproduction des tableaux ou des compilations se trouvant dans son livre, et les termes utilisés par le juge Pape à la page 74 de la cause qui précède sont suffisamment convaincants à cet égard:
« ... ce qu'ont fait les défendeurs n'équivaut pas à une reproduction des tableaux ou des compilations du deman- deur. Dans chacune des causes citées, la ressemblance entre la supposée contrefaçon et l'ceuvre dans laquelle subsisterait un droit d'auteur était assez visible pour qu'on puisse con- clure qu'un des objets avait été copié sur l'autre. En l'espèce, il n'y a pas de telle ressemblance visible avec le tableau mentionné au paragraphe lB de la déclaration ou le graphi- que ou la compilation mentionnés au paragraphe 1C de la déclaration.»
Il ajoute au bas de cette même page:
« ... selon moi, la fabrication d'un article à partir d'un ensemble d'instructions écrites ne constitue pas une "repro- duction" de ces instructions. Une reproduction doit repro- duire l'original, alors qu'ici l'original est, dans un cas, un ensemble de termes sous forme de tableau et, dans l'autre cas, une suite de cercles en noir et blanc et de cercles colorés portant des numéros et présentés sous forme de graphiques. Selon moi, les tiges des défendeurs ne reproduisent ni l'un ni l'autre.»
Dans la cause L.P. (Plastics) Ltd. v. Swish Products Ltd., [1979] R.P.C. 551, que les avocats de la demanderesse citent pour appuyer leurs pré- tentions, M. le juge Whitford, siègeant à la Chan cery Division, déclare à la page 574:
[TRADUCTION] Dans des jugements assez récents, les juges Megarry et Graham ont en effet décidé que la bonne façon d'aborder le problème consiste à comparer l'objet avec le dessin en tenant compte de tout ce qui peut être écrit sur le dessin. Si mon opinion avait été différente, j'aurais de toute façon suivi leurs jugements respectifs en ce qui concerne cette question; j'aimerais cependant affirmer sans ambiguïté que je suis entiè- rement d'accord avec la manière dont ils ont abordé le problème.
Dans la cause Temple Instruments Ltd. v. Hollis Heels Ltd., [ 1973] R.P.C. 15, la p. 17, le juge Graham a fait la remarque suivante au sujet d'un argument des défendeurs fondé sur le paragraphe 9(8):
«Leur second argument veut que, en examinant chacun des dessins, on doit faire abstraction de la légende indiquant au bas "Patte de divan en plastique" et "échelle: pleine gran deur" et de toutes les inscriptions faites sur le dessin gauche et portant sur des questions comme les dimensions, les dia- mètres et les épaisseurs de la partie illustrée. Ils disent que cela est au fait que le droit d'auteur en matière artistique ne peut porter sur une idée et que la légende et les formes transmettent des idées et ne sont pas artistiques en soi.
Cette façon de voir m'a paru tout à fait irréaliste et je suis d'avis que lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, deux croquis ou dessins se trouvent sur une feuille et portent de toute évidence sur le même article, tous deux peuvent être examinés, qu'il s'agisse de déterminer l'étendue du droit d'auteur ou d'examiner les objets de la contrefaçon. De la même façon, je crois que l'on fait erreur si, lorsqu'une partie de l'article est représentée sur le dessin, l'on ne tient pas compte du fait qu'il s'agit d'une partie d'un article circulaire alors que cela ressort clairement des termes utilisés et parti- culièrement de l'utilisation du mot "diamètre".
La demanderesse a soutenu qu'une distinction peut être établie avec l'affaire Burke car dans cette cause la compagnie demanderesse n'était pas titu- laire du droit d'auteur sur la robe, ce droit appar- tenant à la dessinatrice; elle prétend également qu'il a été décidé dans les causes Cuisenaire que les tiges ne constituaient pas des oeuvres littéraires ou architecturales et qu'un droit d'auteur ne pou- vait donc pas être enregistré sur elles. Bien qu'il soit vrai que les dessins en l'espèce ne montrent pas l'aspect qu'aura le bateau lorsqu'il sera terminé, je crois que la jurisprudence dominante, comme l'in- diquent les causes King Syndicate et Swish, décide maintenant que l'examen des deux bateaux en question de la demanderesse révèle qu'ils sont fabriqués à partir des dessins et que, même si les dessins eux-mêmes n'ont pas été copiés par la défenderesse, l'objet intermédiaire qu'elles ont servi à produire, c'est-à-dire les bateaux, a été copié—ce qui est admis—sauf en ce qui concerne les modifications apportées par la défenderesse, que nous devons maintenant examiner.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé d'omettre les quelque douze pages des motifs du jugement que le juge consacre à l'examen des importants éléments de preuve présentés par les témoins ordinaires et experts quant à la différence entre les dessins de la demanderesse et les bateaux fabriqués par la défenderesse.
Mes conclusions de fait se fondent sur un examen exhaustif de tous les éléments de preuve, y compris les détails des comparaisons qui, pour des raisons de nécessité, ont été omis des présents motifs. Me fondant sur ces éléments de preuve, je conclus que le Citation construit par la défende- resse comporte des différences suffisantes pour ne pas porter atteinte au droit d'auteur de la deman- deresse sur le Ciera 2450. Dans le cas du TRX, je suis cependant arrivé à la conclusion contraire. Les différences entre ce dernier et le Capri 1650 sont relativement mineures et négligeables. Bien qu'un expert et peut-être même un vendeur expérimenté puissent les remarquer, un client moyen ne verrait aucune différence importante, si ce n'est dans la finition et dans l'équipement, qui ne sont pas pro- tégés par le droit d'auteur.
Bien qu'elle puisse être répandue, on ne doit pas encourager la pratique qui consiste à copier un dessin de bateau fait par quelqu'un d'autre en y engageant des frais considérables, à fabriquer un modèle à partir de ce bateau et à apporter ensuite des changements suffisants pour laisser croire que le bateau fabriqué à partir du bateau copié avait en fait été conçu à partir d'un dessin original. Quiconque procède ainsi le fait à ses risques. Bien qu'il soit possible d'apporter à un dessin des chan- gements suffisants pour créer un bateau original, ce qui, à mon avis, est le cas pour le Citation, les différences doivent être suffisamment importantes pour ne laisser aucun doute qu'elles produisent effectivement un résultat différent. La défende- resse n'a pas atteint ce but avec son TRX.
Il faut donc maintenant examiner la question des dommages-intérêts. Même s'il y a eu un renvoi concernant les dommages-intérêts, les avocats ont suggéré à la Cour de se demander quelle sorte de dommages-intérêts pourraient être adjugés pour atteinte au droit d'auteur, en l'espèce celui du Capri 1650 et 1600 (la version hors-bord du 1650). En plus de dommages-intérêts et d'une reddition de compte des profits, la demanderesse réclame des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs, des dommages-intérêts pour usurpation en plus de l'intérêt.
Comme je l'ai fait remarquer, les faits de la présente espèce sont quelque peu inhabituels. La défenderesse admet avoir fabriqué des moules à partir des deux bateaux de la demanderesse qu'elle
a achetés à cette fin mais son président a cru de bonne foi, semble-t-il, qu'il s'agissait d'une prati- que courante permise par la loi. Il n'a cependant pas demandé d'avis juridique sur ce point. La question de savoir si la protection du droit d'auteur s'étendait aux bateaux de la demanderesse ou se limitait aux dessins à partir desquels ils ont été fabriqués et qui n'ont pas été directement copiés constituait un débat juridique très important et soulevait le problème de savoir si ces dessins auraient pu être enregistrés sous le régime de la Loi sur les dessins industriels et si, ayant omis de les enregistrer conformément à cette loi, la deman- deresse pouvait invoquer la protection du droit d'auteur. La défenderesse a également cru, sem- ble-t-il, et à bon droit, ainsi que j'ai conclu à la lumière des faits dans le cas du Citation, que si des changements importants étaient apportés aux bateaux qui ont été copiés, un bateau original serait créé, ce qui ne porterait pas atteinte au droit d'auteur. L'article 21 de la Loi prévoit que toutes les planches ou tous les exemplaires contrefaits (en l'espèce ce seraient des moules) qui ont servi ou sont destinés à servir à la confection d'exemplaires, sont considérés comme étant la propriété du titu- laire du droit d'auteur qui peut engager toute procédure en recouvrement de possession ou en usurpation du droit de propriété. L'article 22 porte que lorsque, dans une action exercée pour violation du droit d'auteur sur une oeuvre, le défendeur allègue pour sa défense qu'il ignorait l'existence de ce droit, le demandeur ne peut obtenir qu'une injonction à l'égard de ladite violation, si le défen- deur prouve que, au moment de la commettre, il ne savait pas et n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l'oeuvre faisait encore l'objet d'un droit d'auteur. Cependant, la demanderesse sou- tient à bon droit que cet article ne peut s'appliquer à la défenderesse et elle cite à cet égard l'affaire The Bulman Group Ltd. c. «One Write» Accoun ting Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149 (i re inst.), dans laquelle le juge Collier a dit aux pages 335 et 336 C.F.; 156 C.P.R.:
M. Palin, président-directeur général de la défenderesse, a témoigné pour affirmer l'existence d'une pratique des compa- gnies de ce secteur d'activité de copier délibérément, lorsqu'il y avait un marché, les formules de leurs concurrents. Pour cette raison, il a présumé qu'il n'y avait aucun droit d'auteur sur les formules d'affaires. C'était, comme je vois la chose, une pré- somption fort injustifiée.
La défenderesse avait tort, en droit et en fait, lorsqu'elle estimait que les formules de la demanderesse ne donnaient pas lieu à un droit d'auteur.
La défenderesse et ses dirigeants n'ont pu établir à ma satisfaction qu'ils n'avaient «aucun motif raisonnable de soup- çonner que le droit d'auteur subsistait» sur les formules. Il y avait, je pense, des motifs raisonnables de présumer qu'il pouvait fort bien y avoir droit d'auteur. La défenderesse a préféré prendre ce risque. Une évaluation erronée du droit et des faits ne peut servir d'excuse justifiant d'échapper aux dommages-intérêts, à une reddition de compte des profits et aux autres recours auxquels peut prétendre la demanderesse.
Cette cause portait sur des formules d'affaires délibérément copiées par la défenderesse et ses faits ressemblent beaucoup à ceux de l'espèce, sauf que dans le présent cas la défenderesse a apporté au TRX des changements importants, bien que à mon avis insuffisants, pour éviter de porter atteinte au droit d'auteur. Il serait cependant ruineux pour la défenderesse que de lui demander de remettre à la demanderesse tous les bateaux TRX qu'elle a en sa possession, surtout que l'on se trouve mainte- nant au plus fort de la saison des ventes, période au cours de laquelle les stocks de la défenderesse sont sans aucun doute des plus considérables. Cel- le-ci doit toutefois modifier immédiatement et radicalement le dessin de son TRX pour la saison 1985-86 ou le rayer de ses brochures de publicité en vue des expositions de bateaux qui doivent commencer à l'automne. En fait, la défenderesse a présenté une requête spéciale pour qu'une date de procès soit fixée dans la présente action avant la fin du mois de juin puisque, après le 30 juin, elle s'engagera dans la production de modèles de bateau qui seront offerts en vente à compter du 30 juin 1986.
Les travaux effectués par la défenderesse sur le TRX ont commencé à la fin du mois d'août 1982 et se sont poursuivis jusqu'en novembre de la même année; un grand nombre de ses bateaux ont été vendus au cours des saisons 1983 et 1984 et il n'y a aucun doute que plusieurs autres ont été construits pour être vendus au cours de la présente saison 1985. Réclamer des dommages-intérêts équivalant à la valeur de tous les bateaux ainsi vendus serait inapproprié et, à mon avis, excessif dans les circonstances. La même observation s'ap- plique, à mon avis, à l'adjudication des dommages- intérêts exemplaires ou punitifs même s'il faut certainement appliquer le principe selon lequel une contrefaçon de cette sorte est inadmissible. La défenderesse a été avisée, au mois d'octobre 1983, de la poursuite de la demanderesse pour atteinte au droit d'auteur, et les procédures ont effective-
ment été engagées le 14 juin 1984. Elle ne peut donc pas prétendre qu'elle était de bonne foi après le mois d'octobre 1983, mais elle a pris un risque et elle a continué de vendre le TRX au cours de la saison 1984 et de le fabriquer pour qu'il soit vendu au cours de la présente saison.
Je prononce donc une injonction prenant effet immédiatement et interdisant à la défenderesse de fabriquer d'autres bateaux du type TRX à partir de moules tirés des modèles et qui ne comportent que des altérations mineures si on les compare au Capri 1650 de la demanderesse. Je n'ordonnerai cependant pas à la défenderesse de remettre à la demanderesse les bateaux TRX déjà fabriqués. Des dommages-intérêts ou une reddition de compte des bénéfices, qui seront établis par renvoi, s'appliqueront à tous les bateaux TRX vendus par la défenderesse depuis octobre 1983. Même si, à strictement parler, la reddition de compte des bénéfices ou les poursuites en dommages-intérêts commencent à la date de la première contrefaçon, lorsque les moules ont été fabriqués pour le pre mier bateau contrefait construit en novembre 1982 et offert en vente au cours de la saison 1983, j'estime que dans les circonstances de l'espèce, la demanderesse ne devrait pas continuer de faire valoir une telle réclamation pour la période précé- dant la mise-en-demeure de cesser. Les dommages- intérêts et la reddition de compte des bénéfices sont par conséquent réputés commencer pour les bateaux fabriqués et vendus en 1984 et au cours de la présente saison, y compris les bateaux qui ont été fabriqués jusqu'au moment de l'injonction qui doit être délivrée en l'espèce et qui ont été vendus par la suite; le renvoi portera sur cette réclama- tion, sans qu'il y ait de dommages-intérêts addi- tionnels sous forme de dommages-intérêts punitifs ni poursuite en usurpation ni remise à la demande- resse des bateaux TRX déjà fabriqués.
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