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A-24-85
Okanagan Helicopters Ltd. (requérante) c.
Association canadienne des pilotes d'hélicoptères (intimée)
RÉPERTORIÉ: OKANAGAN HELICOPTERS LTD. C. Assoc. CANA- DIENNE DES PILOTES D'HÉLICOPTÈRES
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone— Vancouver, 5 et 6 décembre; Ottawa, 19 décembre 1985.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Relations du travail Précompte des cotisations La décision «partielle» du Conseil canadien des relations du travail concernant l'ap- plicabilité d'une nouvelle disposition législative à une conven tion législative existante constitue une «décision» au sens de l'art. 120.1(2) du Code et de l'art. 28 de la Loi et est donc soumise au contrôle judiciaire Parce que l'intérêt des membres dissidents de l'unité de négociation en l'espèce est différent de celui du syndicat pour ce qui est de la question du précompte des cotisations, le défaut du Conseil d'aviser lesdits membres des procédures qui ont abouti à la décision «par- tielle» contrevient aux règles de la justice naturelle L'inté- rêt des membres dissidents est suffisant pour leur permettre de soulever des questions dans le cadre d'une demande fondée sur l'art. 28 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 120.1 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 42), 162 (mod. par S.C. 1984, chap. 39, art. 31), 184 (édicté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 1401(3), 1403(1),(2), 1404, 1405, 1406 (mod. par DORS/79-57, art. 25),1409.
Relations du travail Précompte des cotisations Rôle représentatif du syndicat en tant qu'agent négociateur accré- dité représentant les membres de l'unité de négociation Droits des membres individuels à l'égard de la décision «par- tielle» des membres du Conseil canadien des relations du travail et d'une demande fondée sur l'art. 28 lorsque leur intérêt diffère de celui du syndicat Les membres dissidents avaient le droit d'être avisés des procédures qui ont abouti à la décision «partielle» Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 120.1 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 42), 162 (mod. par S.C. 1984, chap. 39, art. 31), 184 (édicté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Une convention collective comportait une clause de pré- compte «Rand modifiée» prévoyant que les employés qui ne désiraient pas que leur cotisation syndicale soit déduite à la source pouvaient se retirer du régime de précompte des cotisa- tions. Avant la fin de cette convention collective, le Code canadien du travail a été modifié de façon à rendre le pré- compte obligatoire si le syndicat en faisait la demande. Après que l'employeur a refusé d'acquiescer à sa demande d'ajouter une formule Rand à la convention collective existante, le syndi- cat a déposé une plainte de pratique de travail déloyale auprès du Conseil canadien des relations du travail. Le Conseil a
convoqué Ies parties à une audition pour discuter de l'applicabi- lité de la nouvelle disposition législative aux conventions collec tives existantes. Le Conseil a refusé de donner avis de cette audition à l'ensemble des employés et, en particulier, à ceux qui s'étaient retirés du précompte obligatoire des cotisations.
Dans un premier temps, le Conseil a statué que la nouvelle disposition législative s'appliquait aux conventions existantes. Lorsque les parties ne sont pas parvenues à régler Ieur différend à la lumière de cette décision, il a ensuite jugé que le refus de I'employeur constituait une pratique de travail déloyale et lui a ordonné d'inclure, avec effet rétroactif, le précompte obliga- toire des cotisations dans la convention collective, qui était alors expirée.
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 à l'encontre des deux décisions du Conseil, deux employés dissidents intervenant.
La première question en litige consiste à déterminer si la première affirmation du Conseil constituait une «décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ou s'il s'agissait seulement d'une détermination ou d'une expression d'opinion préliminaires ou incidentes dont on a déjà dit qu'elles n'étaient pas des «décisions».
La seconde question en litige consiste à déterminer si la question de I'absence de I'avis aux employés dissidents a été régulièrement soumise à la Cour. Sur ce point, on a fait valoir, premièrement, que l'employeur n'est pas touché par l'absence d'avis et ne peut donc pas présenter d'arguments sur cette question et, deuxièmement, que les employés dissidents n'ont que le statut d'intervenants et ne peuvent donc pas soulever une question qui les concerne exclusivement.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
L'article 120.1 du Code autorise expressément le Conseil à rendre des décisions partielles qui sont qualifiées, en termes exprès, de «définitive[s]». La décision partielle sur l'applicabi- lité de la nouvelle disposition législative à la convention collec tive existante constitue donc une décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et la Cour a compétence pour l'examiner.
L'employeur ne peut invoquer l'absence d'avis pour attaquer les décisions de la Commission puisque c'est l'employeur lui- même qui était tenu de donner cet avis. Lorsqu'il y a déni de justice naturelle parce qu'une personne intéressée n'a pas été avisée des procédures susceptibles de toucher ses droits, seule cette personne peut demander l'annulation découlant de ces procédures.
Les employés dissidents ont le statut nécessaire pour soulever une question qui Ies concerne exclusivement. Les dispositions de la Loi et des Règles en matière de contrôle judiciaire permet- tent à toute personne intéressée, sous réserve d'exigences de procédure minimales, de participer à l'audition d'une demande fondée sur l'article 28 et d'y soulever toutes les questions qu'elle juge appropriées.
Fondamentalement, le litige porte sur le rôle représentatif d'un syndicat en tant qu'agent négociateur accrédité représen- tant les membres d'une unité de négociation. En règle générale, le syndicat représente l'employé ou agit de concert avec Iui lorsqu'il s'agit de conclure une convention collective ou de faire respecter les droits qui en découlent. Les tribunaux ont toute- fois statué que, lorsqu'un employé possède un droit patrimonial
qui, dans les faits, est opposé à celui du syndicat ou à ceux d'autres membres que le syndicat a choisi de défendre, cet employé a qualité pour agir et doit nécessairement être partie aux procédures dont est saisi le tribunal approprié. L'employé qui a exercé le choix de révoquer le précompte de ses cotisations possède un droit acquis de ne pas être soumis au précompte de ses cotisations et un intérêt légitime qui lui permet de faire valoir que la disposition législative qui lui retire ce droit est sans effet ou n'a pas l'effet que prétend lui donner le syndicat, spécialement lorsque la question en jeu est celle de l'application rétroactive de la formule Rand à la rémunération déjà versée. Cela étant, il est incontestable que les intérêts du syndicat et ceux des employés dissidents étaient directement opposés.
Le Conseil aurait aviser les employés avant de déclencher son enquête.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71 (C.A.); Hoogendoorn v. Greening Metal Products and Screening Equipment Company et al., [1968] R.C.S. 30; Re Bradley and Ottawa Professional Fire Fighters Assn., [1967] 2 O.R. 311 (C.A.); Appleton c. Eastern Provincial Airways Ltd., [1984] 1 C.F. 367 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); B.C. Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1973] C.F. 1194 (C.A.); La Loi antidumping (In re) et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.); Paul L'Anglais Inc. c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.); Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412; (1985), 55 N.R. 321.
DÉCISION CITÉE:
General Motors of Canada Ltd. c. Brunet, [1977] 2 R.C.S. 537.
AVOCATS:
Katherine J. Heller pour la requérante.
James E. Dorsey pour l'intimée Association canadienne des pilotes d'hélicoptères.
Diane Pothier pour l'intimé Conseil canadien des relations du travail.
William C. Kaplan pour les intervenants Mark Gilbert et Jerry Cutler.
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour la requérante.
Braidwood, Nuttall, MacKenzie, Brewer & Greyell, Vancouver, pour l'intimée Associa tion canadienne des pilotes d'hélicoptères. Conseil canadien des relations du travail, Ottawa, pour son propre compte.
Jordan & Gall, Vancouver, pour les interve- nants Mark Gilbert et Jerry Cutler.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 présentée à l'encontre d'une décision «partielle» que le Conseil canadien des relations du travail a rendue le 21 décembre 1984. Elle a été entendue en même temps que la demande fondée sur l'article 28 qui porte le numéro du greffe A-573-85 et qui visait une déci- sion ultérieure que le Conseil a rendue le 18 juin 1985 dans le but de trancher de manière définitive la question dont il était saisi. Il convient d'exposer en même temps la genèse de ces deux décisions.
L'Association canadienne des pilotes d'hélicop- tères (le syndicat) est l'agent négociateur accrédité d'un groupe d'employés de la société Okanagan Helicopters Ltd. (l'employeur). Ils ont conclu une convention collective valable entre le 1°' février 1983 et le 31 janvier 1985. L'article 2.03' de cette convention prévoyait une clause de précompte «Rand modifiée». La caractéristique la plus impor- tante de cette clause était qu'elle protégeait, sous réserve de délais de rigueur, le droit des employés qui ne désiraient pas que leur cotisation syndicale soit déduite à la source de se retirer du régime de précompte des cotisations. En fait, le dossier indi- que que de nombreux employés ont exercé ce choix et que, en octobre 1984, seulement huit des dix- huit membres de l'unité de négociation (44 pour
' 2.03 Pendant la durée de la présente convention, la compagnie doit déduire du salaire des employés visés par la présente convention les cotisations syndicales et les frais d'adhésion exigés par l'Association, conformément à la procédure décrite ci-dessous:
a) employés actuels
(i) les employés qui ont autorisé le prélèvement des cotisations peuvent révoquer leur autorisation par écrit dans les 30 à 60 jours suivant la ratification de la convention par les parties, à défaut de quoi ce prélèvement n'est plus révocable,
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cent) étaient assujettis au précompte des cotisa- tions. En juin 1984, le Parlement a modifié l'arti- cle 162 du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C. 1984, chap. 39, art. 31)]. Le nouveau libellé, dont l'entrée en vigueur a été proclamée le 18 juillet 1984, apportait une modifi cation importante à la Loi:
Précompte obligatoire des cotisations
162. (1) À la demande du syndicat qui est l'agent négocia- teur des employés d'une unité de négociation, il doit être inclus dans la convention collective conclue entre le syndicat et l'em- ployeur une disposition obligeant l'employeur à déduire du salaire de chaque employé de l'unité visé par la convention collective, que l'employé soit ou non membre du syndicat, le montant de la cotisation syndicale normale et l'obligeant à remettre la somme au syndicat sans délai.
Ainsi que l'on peut s'en rendre compte, ce nou- veau texte rend la «formule Rand» obligatoire. Il suffit qu'un agent négociateur accrédité en fasse la demande et la formule
... doit être inclus[e] dans la convention collective conclue entre le syndicat et l'employeur ...
Presque immédiatement après l'entrée en vigueur de la nouvelle disposition législative, le syndicat a réclamé qu'une formule Rand soit incluse dans la convention collective existante. Vu le refus de l'employeur, le syndicat a déposé une plainte de pratique de travail déloyale en vertu de l'article 184 [édicté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1]. Le Conseil a convoqué les parties à une audi tion tenue en décembre 1984, qui portait unique- ment sur l'applicabilité de la nouvelle disposition législative aux conventions collectives existantes.
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(ii) les employés qui n'ont pas autorisé le prélève- ment des cotisations doivent signer une formule autorisant ce prélèvement, et ce, dans les 28 jours suivant la ratification de la convention par les parties. Ces employés peuvent révoquer cette autorisation par écrit dans les 30 à 60 jours suivant la date à laquelle ils ont signé l'autorisa- tion, à défaut de quoi le prélèvement des cotisa- tions entre en vigueur à la suite de la période de 60 jours et n'est plus révocable,
b) les employés rappelés après une mise à pied:
(i) les employés qui avaient déjà autorisé le prélè- vement des cotisations peuvent révoquer leur autorisation par écrit dans les 30 à 60 jours suivant leur retour au travail, à défaut de quoi ce prélèvement n'est plus révocable,
Bien que l'employeur lui ait demandé de le faire, le Conseil a refusé de donner avis de cette audition à l'ensemble des employés et, en particulier, à ceux qui avaient déjà choisi de se retirer du régime de précompte obligatoire des cotisations.
Dans sa décision le 21 décembre 1984, le Con- seil a statué, à la majorité, que la nouvelle disposi tion législative s'appliquait effectivement aux con ventions existantes. Il a renvoyé l'affaire aux parties en les exhortant de régler leur différend à la lumière de cette décision. Il a également pris les mesures nécessaires pour que des copies de sa décision soient transmises à chacun des employés de l'unité de négociation.
Les espoirs de règlement du Conseil se sont révélés vains et, en temps voulu, les auditions sur la plainte originale ont repris le 30 avril et le 1e` mai 1985. Dans l'intervalle, deux des employés dissidents, MM. Gilbert et Cutler qui, on s'en souviendra, avaient été avisés de la décision du 21 décembre 1984, mais non des procédures y ayant conduit, sont intervenus, et le droit de participer à l'instance devant le Conseil leur a été accordé. Dans sa décision datée du 18 juin 1985, le Conseil a conclu que le refus de l'employeur de donner effet au nouvel article 162 constituait une pratique de travail déloyale au sens de l'article 184. À titre de redressement, il a ordonné à l'employeur d'in- clure le précompte obligatoire des cotisations dans la convention collective, qui était alors expirée, avec effet rétroactif à partir de la fin du mois de juillet 1984.
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(ii) les employés qui n'avaient pas auparavant auto- risé le prélèvement des cotisations doivent signer une formule autorisant ce prélèvement, et ce, au moment de leur réembauchage. Ils peuvent révoquer par écrit cette autorisation dans les 30 à 60 jours suivant la date à laquelle ils ont signé l'autorisation, à défaut de quoi le prélèvement des cotisations entre en vigueur à la suite de la période de 60 jours et n'est plus révocable.
c) les employés membres de l'unité et qui viennent d'être embauchés et les employés qui proviennent d'une autre unité doivent signer une formule autori- sant le prélèvement des cotisations, et ce, au moment de leur embauchage ou de leur mutation. Ces employés peuvent révoquer par écrit cette autorisa- tion dans les 30 60 jours suivant la date à laquelle ils ont signé l'autorisation, à défaut de quoi le prélè- vement des cotisations entre en vigueur à la suite de la période de 60 jours et n'est plus révocable.
Comme je l'ai indiqué au début, l'employeur a engagé des procédures fondées sur l'article 28 à l'encontre des deux décisions du Conseil, et les procédures ont été entendues à Vancouver les 5 et
6 décembre 1985. Le 3 décembre 1985, les employés Gilbert et Cutler, qui, je le répète, étaient intervenus dans la seconde série de procé- dures engagées devant le Conseil, ont déposé un avis de requête auprès de la présente Cour en vertu de la Règle 1405(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] afin qu'il leur soit permis d'être entendus pendant l'instruction de la première demande (No. du greffe: A-24-85). Cette permis sion leur a été accordée au début de l'audition, le 5 décembre, et l'avocat représentant MM. Gilbert et Cutler a déposé un exposé des faits et du droit et a
été entendu.
Au seuil même des présentes procédures se pose la question de savoir si l'affirmation (pour employer un terme neutre) à laquelle le Conseil est arrivé le 21 décembre 1984, constituait une «déci- sion» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]. Comme l'a dit le Conseil lui-même en faisant cette affirmation, il «n'a fait que clarifier la loi». Aucune ordonnance n'a été rendue et la plainte originale fondée sur l'article 184 n'a aucunement été jugée.
En apparence, l'affirmation du 21 décembre 1984 a donc toutes les caractéristiques du type de détermination ou d'expression d'opinion prélimi- naires ou incidentes dont la présente Cour a dit qu'elles ne constituent pas des «décisions» au sens de l'article 28 2 . Comme l'a dit cette Cour dans l'arrêt Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71 (C.A.) la page 75], l'article 28 nous donne
compétence pour examiner
... seulement les ordonnances ou décisions finales, finales en ce sens que la décision ou ordonnance en question est celle que le tribunal a le pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou obligations juridiques.
À cet égard, le statut du Conseil est toutefois différent de celui de nombreux, si non de la plu-
2 Voir, par exemple: Procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); B.C. Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1973] C.F. 1194 (C.A.); La Loi antidumping (In re) et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
part des autres tribunaux administratifs. De par sa loi constitutive, le Conseil est spécifiquement man- daté pour rendre des décisions partielles lorsqu'il décide d'une question qui lui est soumise, et ces décisions, bien qu'elles puissent porter seulement sur l'un ou sur quelques-uns des points litigieux, sont néanmoins définitives. Telle est la portée de l'article 120.1 du Code [édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 42] 3 .
En l'espèce, le Conseil était saisi d'une plainte de pratique de travail déloyale présentée en vertu de l'article 184. Il est évident que l'un des points litigieux que soulevait cette plainte était l'applica- tion du nouveau texte de l'article 162 aux conven tions collectives existantes. Même si la décision du 21 décembre 1984 ne contient pas ou n'incorpore pas d'ordonnance ou de déclaration formelles, elle tranche ce point litigieux en des termes très clairs:
Le Parlement a créé, le 18 juillet 1984, une norme minimale concernant le prélèvement et la remise des cotisations syndica- les, dans le cas des employés qui sont visés par des conventions collectives relevant de la compétence fédérale, auxquelles le Code s'applique. Pour que cette norme s'applique, il faut seulement que la convention collective soit en vigueur et que le syndicat qui est l'agent négociateur fasse une demande à cette fin. (Décision, dossier conjoint, p. 211.)
De plus, il ne s'agissait pas d'une question préliminaire sur laquelle le Conseil devait simple- ment prendre position, alors qu'il n'avait ni le pouvoir ni la compétence nécessaire pour la tran- cher 4 . Il s'agissait plutôt d'une question qui rele- vait directement de la compétence et des pouvoirs attribués au Conseil. La décision du Conseil sur une question comme celle-là est, pour reprendre les termes du paragraphe 120.1(2), «définitive». C'est ainsi que l'ont considérée tous les intéressés pen dant la deuxième série d'auditions, puisqu'aucun argument n'a été demandé ou présenté relative- ment à l'application de l'article 162 aux conven tions existantes.
3 120.1 (1) Lorsque, pour statuer de façon définitive sur une demande ou une plainte, le Conseil doit juger deux ou plusieurs points litigieux qui en découlent, il peut, s'il est convaincu pouvoir le faire sans porter atteinte aux droits d'aucune des partiesaux procédures, rendre une décision tranchant seulement ou un quelques-uns des points litigieux et remettre à plus tard sa décision sur les autres points.
(2) Toute décision mentionnée au paragraphe (1) est défini- tive, à moins que le Conseil n'en stipule autrement.
(3) Au présent article, le mot «décision» comprend une ordonnance, une détermination et une déclaration.
° Voir, par exemple, Paul L'Anglais Inc. c. Le Conseil cana- dien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.).
Dans les circonstances, je suis convaincu que l'affirmation du 21 décembre 1984 constitue une décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, et que nous avons la compétence requise pour l'examiner.
Les seules questions sérieuses que soulève cet examen tiennent au fait que les membres de l'unité de négociation qui avaient choisi, en vertu de l'article 2.03 de la convention collective, de ne pas verser de cotisations, n'avaient pas été avisés par le Conseil des procédures qui ont abouti à sa décision datée du 21 décembre 1984.
On a laissé entendre au cours des plaidoiries que la question de l'absence de l'avis aux employés dissidents ne nous avait pas été régulièrement sou- mise et qu'elle ne devait donc pas être examinée. Cet argument comprend deux volets:
1. L'employeur, qui a introduit la demande fondée sur l'article 28, n'est pas touché par l'ab- sence d'avis et ne peut donc pas présenter d'argu- ments sur cette question.
2. Les employés dissidents n'ont que le statut d'intervenant et ne peuvent donc pas soulever une question qui les concerne exclusivement.
Je suis disposé à admettre le premier volet de l'argument. J'estime fondé l'argument selon lequel, lorsqu'il y a déni de justice naturelle parce qu'une personne intéressée n'a pas été avisée de procédu- res susceptibles de toucher ses droits, seule cette personne peut demander l'annulation de la déci- sion découlant de ces procédures. En fait, soutenir le contraire aboutirait à la situation aberrante une décision serait annulée pour le motif susmen- tionné à l'instance de la personne même qui était tenue de donner l'avis en question.
Le second volet de l'argument m'apparaît toute- fois insoutenable. À mon avis, il ressort essentielle- ment de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, lorsqu'on le lit en corrélation avec le Chapitre D de la Partie V des Règles, que la présentation de demandes multiples n'est pas encouragée et que toute personne intéressée peut, sous réserve d'exi- gences de procédure minimales, participer à l'audi- tion d'une demande fondée sur l'article 28 et y soulever toutes les questions qu'elle juge appro- priées. Je renverrais notamment aux Règles 1401(3), 1403(1) et (2), 1404, 1405 et 1406 [mod.
par DORS/79-57, art. 25] ainsi qu'à la définition de «personne intéressée» de la Règle 1409. Cela étant, je ne suis par surpris que l'on ait été incapa ble de citer un cas rapporté à l'appui de cet argument.
Par conséquent, je conclus que, sur cet aspect de la question, nous sommes régulièrement saisis de la question de l'effet du défaut du Conseil de donner avis aux employés des procédures qui ont abouti à la décision datée du 21 décembre 1984.
Fondamentalement, le litige porte sur le rôle représentatif d'un syndicat en tant qu'agent négo- ciateur accrédité représentant les membres de l'unité de négociation. En règle générale, le syndi- cat représente et lie les employés, lesquels n'ont pas, individuellement, qualité pour agir dans les relations avec leur employeur en matière de négo- ciation collective. Sans l'appui et la participation du syndicat, un employé ne peut engager des pro- cédures de grief ou même intenter une action devant les tribunaux pour faire respecter les droits qui sont les siens en vertu de la convention collective 5 .
Les tribunaux ont toutefois statué que, excep- tionnellement, lorsqu'un employé possède un droit patrimonial qui, dans les faits, est opposé à celui du syndicat ou à ceux d'autres membres que le syndicat a choisi de défendre, cet employé a qua- lité pour agir et doit nécessairement être partie aux procédures dont est saisi, par arbitrage ou autrement, le tribunal approprié. Les causes qui font autorité sur cette question sont:
Hoogendoorn v. Greening Metal Products and Screening Equipment Company et al., [1968] R.C.S. 30; Re Bradley and Ottawa Professio nal Fire Fighters Assn., [1967] 2 O.R. 311 (C.A.); et Appleton c. Eastern Provincial Airways Ltd., [1984] 1 C.F. 367 (C.A.).
Dans l'arrêt Hoogendoorn, le syndicat et la compagnie avaient signé une convention collective prévoyant le précompte obligatoire des cotisations. Hoogendoorn ayant refusé d'autoriser le pré- compte, une grève sauvage s'ensuivit. Le syndicat et la compagnie se sont ensuite entendus pour soumettre à l'arbitrage la question de savoir si Hoogendoorn était tenu d'autoriser le précompte
5 General Motors of Canada Ltd. c. Brunet, [1977] 2 R.C.S. 537.
de ses cotisations ou s'il devait être renvoyé. Hoo- gendoorn n'a pas été avisé de l'arbitrage. Parlant au nom de la majorité de la Cour suprême, le juge Hall a déclaré, à la page 39:
[TRADUCTION] Il était inutile que le syndicat et la compagnie aient recours à l'arbitrage. Tous deux comprenaient très bien et étaient d'accord que la convention collective obligeait Hoogen- doorn à remplir la formule requise autorisant la déduction des cotisations syndicales mensuelles versées par les membres du syndicat et à la remettre à la compagnie. Le syndicat et la compagnie voulaient tous deux qu'il le fasse. Il n'était pas nécessaire d'avoir recours à l'arbitrage pour décider que Hoo- gendoorn était tenu de le faire. Tous deux savaient qu'il s'y refusait catégoriquement. La procédure visait à obtenir le congédiement de Hoogendoorn en raison de son refus soit d'adhérer au syndicat soit de payer les cotisations. On ne peut dire que Hoogendoorn était représenté par le syndicat lors de la procédure d'arbitrage. Le syndicat a pris activement une atti tude défavorable à Hoogendoorn; il voulait qu'il soit congédié.
La seule conclusion qui s'impose est que, compte tenu des circonstances de l'espèce, l'arbitre a eu tort de procéder, ainsi qu'il l'a fait, en l'absence de Hoogendoorn. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'arrêt Bradley, précité, l'employeur avait accordé de l'avancement à certaines personnes conformément à son interprétation des clauses d'ancienneté de la convention collective. Le syndi- cat a contesté cette interprétation et a soumis la question à l'arbitrage pour le compte des employés qui, n'était-ce de ce qui précède, auraient bénéficié de l'avancement. Une des conséquences inévitables de la thèse défendue par le syndicat était que le premier groupe d'employés perdrait le bénéfice de leur promotion. Les membres de ce groupe n'ont pas été avisés des procédures d'arbitrage. Parlant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, le juge d'appel Laskin, tel était alors son titre, a fait les commentaires suivants, aux pages 381 et 382:
[TRADUCTION] Une convention collective est une institution juridique unique parce que, malgré la généralité des clauses qui la composent en tant que partie intégrante d'une entente négo- ciée entre un syndicat représentatif et un employeur, son exis tence et son application confèrent des avantages personnels aux employés qui y sont assujettis. Lorsque l'on admet, comme il se doit, que les avantages accordés aux employés peuvent différer selon la classification de leur emploi ou leur ancienneté (pour donner deux exemples), et que leur syndicat doit choisir, parmi les employés qui recherchent le même avancement, ceux qu'il appuiera à l'encontre d'un choix différent de l'employeur, des avantages fondamentaux de certains employés en matière d'em- ploi sont en jeu, et ces employés ont le droit de les protéger si le syndicat ne le fait pas.
Il s'ensuit qu'ils ont le droit d'être avisés des procédures d'arbitrage mettant en question leur droit de continuer de bénéficier de ces avantages. Le fait que ni la loi ni la convention collective ne prévoient spécifiquement la notification d'un avis est sans importance. Les deux sont silencieux—et ce silence ne
se limite pas aux conventions collectives dans le domaine de la lutte contre les incendies—en ce qui concerne la procédure à suivre au cours de l'arbitrage. La common law a accordé une attention particulière à la perte d'avantage en matière de propriété ou de contrat à la suite de procédures de caractère déclaratif sans que les personnes susceptibles d'être touchées n'en aient été avisées, à moins que la loi n'ait prévu expressé- ment qu'un tel avis n'a pas à être donné. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
L'arrêt Bradley a été expressément approuvé par la majorité de la Cour suprême dans l'affaire Hoogendoorn.
Enfin, dans l'arrêt Appleton, précité, l'em- ployeur avait embauché d'autres personnes pour remplacer les travailleurs grévistes après le déclen- chement d'une grève. Le syndicat a soutenu, dans une plainte de pratiques déloyales de travail dont elle a saisi le Conseil canadien des relations du travail, que l'employeur devait réintégrer les gré- vistes même si cela pouvait entraîner le déplace- ment des nouveaux employés. Le Conseil a souscrit à ce point de vue. Parlant au nom de la majorité de notre Cour, le juge en chef Thurlow a dit, aux pages 371 et 372:
Les requérants en l'instance, qu'ils aient été employés par la compagnie avant le début de la grève ou qu'ils aient été engagés après le début de la grève, étaient tous membres de l'unité de négociation dont l'agent accrédité était ACPLA. En leur qua- lité de membres de cette unité, ils sont liés par la convention collective qui a été établie par le Conseil dans son ordonnance. Il est toutefois évident que leurs intérêts sont opposés à ceux de ACPLA. En leur qualité de membres de l'unité représentée par ACPLA, ils étaient à mon avis des parties de facto et, en tant que personnes dont les intérêts allaient être touchés par l'ordon- nance, ils étaient des personnes auxquelles aurait du être offerte la possibilité d'être parties avant le prononcé d'une telle ordonnance.
L'autre point à trancher est celui de savoir si, du point de vue de la justice naturelle, lesdits pilotes avaient droit à la significa tion des procédures et à la possibilité de se faire entendre avant la délivrance d'une telle ordonnance. À mon avis, ils avaient droit à cette possibilité ...
Si l'on revient aux faits de l'espèce, il ne fait à mon avis pas de doute qu'au nombre des droits conférés à chacun des employés par la convention collective, se trouvait le droit, en vertu de l'article 2.03, de se retirer du précompte des cotisations.
Il ne fait plus de doute qu'en adoptant le nou- veau libellé de l'article 162, entré en vigueur le 18 juillet 1984, le législateur a décidé qu'il n'était pas dans l'intérêt public que les employés aient la possibilité de se retirer du précompte des cotisa- tions. Aujourd'hui, un syndicat n'a qu'à demander
l'insertion d'une clause de «formule Rand» pour pouvoir en bénéficier. Hormis les questions de gestion interne du syndicat, un employé seul n'a pas qualité pour contester le droit du syndicat de requérir l'insertion d'une clause de précompte des cotisations. À plus forte raison, l'employé qui ne fait pas partie du syndicat ne dispose d'aucune juridiction, interne ou autre, il puisse faire valoir ses objections.
De toute évidence, la question litigieuse soumise au Conseil consistait à déterminer quand devait entrer en vigueur ce changement important pour les droits des employés individuels, changement qui, je le répète, avait été décrété dans l'intérêt public. Le Conseil a bien compris cela, déclarant, au début de sa décision:
[TRADUCTION] Le droit des employés de révoquer le prélève- ment des cotisations syndicales constituait l'argument central présenté par l'employeur au sujet de l'effet de la proclamation de l'article 162 du Code, le 18 juillet 1984.
J'ajouterais en outre, (et cela permet de réfuter plusieurs des arguments invoqués devant nous) que la question en litige était réelle, qu'elle a été soulevée régulièrement dans le cadre de l'audition par le Conseil de la plainte formée par le syndicat en vertu de l'article 184, que la question était du ressort du Conseil et que le nouveau libellé de l'article 162 est tel qu'il justifie une décision rationnelle et de bonne foi dans un sens ou dans l'autre. Quant à moi, je n'oserais pas affirmer qu'une décision dans un sens ou dans l'autre est si manifestement déraisonnable qu'elle équivaudrait
à une fraude à la loi ou à un refus délibéré d'y obéir 6 .
L'effet du nouvel article 162 se prête donc à deux interprétations, bien qu'elles soient diamétra- lement opposées, tout aussi plausibles l'une que l'autre. Le Conseil devait choisir parmi elles. Il est évident que le syndicat avait intérêt à favoriser l'interprétation qui rendrait le nouveau texte appli cable aux conventions collectives existantes. Qui avait intérêt à défendre l'opinion contraire? Cer- tainement pas l'employeur. Le seul intérêt qu'il pourrait avoir en s'opposant au précompte obliga- toire serait son désir de maintenir la partie avec qui il doit négocier dans un état de faiblesse finan- cière et d'insécurité. Si cet intérêt a déjà été légitime, ce ne saurait plus être le cas aujourd'hui
6 Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412, le juge Beetz, à la p. 420; (1985), 55 N.R. 321.
compte tenu des termes non équivoques dont s'est servi le législateur pour définir sa conception de l'intérêt public.
La situation de l'employé qui a exercé le choix que lui confère une convention collective valide de révoquer le précompte de ses cotisations est toute- fois différente. Il possède certainement un droit acquis qui fait obstacle au précompte de ses cotisa- tions. Il est certain qu'une loi peut lui enlever ce droit mais je ne vois pas comment on pourrait prétendre qu'aucun intérêt légitime ne lui permet de faire valoir que la loi est sans effet ou qu'elle n'a pas l'effet que prétend lui donner le syndicat.
On se souviendra qu'en l'espèce le Conseil s'est non seulement penché sur l'obligation, pour l'ave- nir, de payer les cotisations syndicales, mais égale- ment sur l'application de façon rétroactive de la formule Rand à la rémunération déjà versée. Le point de vue du syndicat impliquait nécessairement que les employés devaient eux-mêmes rembourser les sommes qui n'avaient pas été déduites à la source. Cela étant, il me paraît incontestable que les intérêts du syndicat et ceux des employés dissi dents étaient directement opposés.
Il est hors-propos de dire que si le syndicat et l'employeur s'étaient entendus sur l'interprétation qu'il fallait donner à l'article 162, ils auraient pu apporter de concert à la convention collective une modification qui aurait eu le même effet que l'or- donnance du Conseil. Cela n'a pas été le cas et, quoi qu'il en soit, l'argument élude la question de savoir dans quelle mesure le syndicat peut modifier les droits acquis des employés individuels pendant la durée d'une convention collective.
Je conclus que le Conseil aurait aviser les employés avant de déclencher son enquête'. Puis- que l'on n'a pas entériné le défaut de donner un tel avis, et que la décision qui a suivi n'a jamais été
' En toute déférence, je ne voudrais pas que l'on croit que j'approuve tout ce qu'a dit le juge d'appel Laskin, tel était alors son titre, en obiter, dans l'affaire Bradley, précitée, relative- ment au mode de notification de l'avis. En particulier, je ne crois pas que la signification personnelle ou par courrier recom- mandé soit nécessaire. L'article 13 du Règlement du Conseil canadien des relations du travail (1978), (DORS/78-499), contient des règles détaillées autorisant l'affichage des avis qui me semblent tout à fait idoines en l'espèce.
ratifiée par les employés touchés, il s'ensuit que ladite décision doit être annulée.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28, j'annulerais la décision attaquée et je renver- rais l'affaire au Conseil pour nouvelle audition et nouvelle décision après notification d'un avis suffi- sant à toutes les parties concernées.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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