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T-2182-85
"H" (requérant)
c.
La Reine (intimée)
et
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: H C. R.
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 28 octobre et 7 novembre 1985.
Protection des renseignements personnels Libération con- ditionnelle La Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'applique pas, puisque les exemptions y prévues se rapportent seulement aux demandes de renseignements fon- dées sur cette Loi La Loi ne saurait limiter l'accès à des renseignements lorsque le droit d'accès découle d'autres règles ou principes de droit Rejet de l'argument selon lequel la demande est prématurée en raison du défaut d'épuiser tous les recours disponibles prévus par la Loi, puisque les règles per- mettant la communication sous le régime de la Loi diffèrent, quant au contenu et au but, de celles découlant des règles de justice naturelle Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 19, 22(1)b), 23,28 Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 17(3).
Libération conditionnelle Demande de libération condi- tionnelle de jour La Commission disposait de renseigne- ments concernant les infractions qu'on soupçonne le requérant d'avoir commises Obligation de divulguer des renseigne- ments La demande concernant la divulgation de renseigne- ments n'est pas prématurée, bien que la décision sur la demande de libération conditionnelle n'ait pas été rendue Demande de se faire entendre par une formation différente qui n'a pas connaissance des allégations non divulguées faites à l'encontre du requérant Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
La Commission nationale des libérations conditionnelles a tenu une audition, à laquelle a comparu le requérant, pour savoir si une libération conditionnelle de jour devrait être accordée à ce dernier. À l'audition, le requérant a découvert que la Commission tenait compte du fait que la GRC le considérait comme un suspect dans la mort de deux jeunes filles et dans la disparition d'une troisième. Il a également appris que la Commission disposait d'un nombre considérable de détails concernant ces infractions. On ne lui a pas révélé ces détails. La décision sur la demande de libération contitionnelle de jour n'a pas encore été prise.
Le requérant cherche à obtenir un bref de prohibition inter- disant à la Commission de tenir compte des renseignements qu'elle a omis de lui révéler ou, subsidiairement, un bref de mandamus enjoignant à la Commission de divulguer suffisam-
ment de détails afin de lui fournir une occasion raisonnable d'y répondre. Il a demandé en outre que l'ordonnance prévoie que toute audition ultérieure doit être menée par une nouvelle formation de la Commission.
Jugement: un bref de prohibition sera décerné, et la demande de libération conditionnelle sera entendue par une nouvelle formation.
Tant la common law que l'article 7 de la Charte exigent que la Commission suive les règles de justice naturelle selon lesquel- les le requérant à l'instance a droit de connaître suffisamment de détails sur les arguments qu'on va faire valoir contre lui pour lui permettre d'y répondre.
On ne saurait invoquer l'article 23 de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour s'opposer à une communi cation complémentaire, parce que les exemptions prévues dans la Loi se rapportent aux demandes de renseignements fondées sur celle-ci. Elle n'a pas pour effet de limiter l'accès à des renseignements auxquels une personne pourrait avoir droit en vertu d'autres règles ou principes de droit.
On a fait valoir que la requête du requérant est prématurée parce qu'il n'a pas épuisé tous les recours qui lui sont ouverts par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Certes, le requérant a effectivement présenté, avant l'audition, une demande fondée sur la Loi, et ne s'est pas prévalu des procédures d'appel disponibles mais sa demande directe à la Commission, à l'occasion de l'audition, de lui fournir d'autres détails est une tout autre question. Les règles permettant la communication sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels sont différentes, quant au contenu et quant au but poursuivi, de celles découlant des règles de justice naturelle. Le défaut de suivre les procédures d'appel prévues par la Loi ne saurait donc être assimilé au défaut d'épuiser toutes les voies de recours disponibles pour empêcher la présen- tation de la présente demande.
La demande n'est pas non plus prématurée parce que la Commission n'a pas rendu quelque décision que ce soit sur la demande de libération conditionnelle. C'est la décision de la Commission de refuser de divulguer des renseignements supplé- mentaires qui est contestée et non une décision relative à la libération conditionnelle.
Quoi qu'il en soit, la Commission fait valoir que les détails relatifs aux crimes faisant l'objet de l'enquête sont absolument hors de cause et que le seul fait dont elle tient compte est l'existence d'une enquête en cours. Étant donné cette attitude et le fait que la Commission trouve acceptable la demande de bref de prohibition formulée par le requérant, ce bref sera décerné.
La question de savoir si l'affaire devrait être renvoyée à une formation nouvellement constituée est une question de pouvoir discrétionnaire et de circonstance et non de précédent. Pour l'apparence d'équité, en l'espèce, l'affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Commission.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Couperthwaite c. La Commission nationale des libéra- tions conditionnelles, [1983] 1 C.F. 274 (1` 0 inst.); Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 39 C.R. (3d) 78 (l es inst.); Cadieux c. Directeur de
l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; 41 C.R. (3d) 30 (1" inst.); Richards c. Corn. nat. des libérations cond. (1985), 45 C.R. (3d) 382 (C.F. 1" inst.).
DÉCISION CITÉE:
Rogers v. Secretary of State for the Home Department, [1972] 2 All ER 1057 (H.L.).
AVOCATS:
A. Manson pour le requérant.
J. E. Thompson pour les intimées.
PROCUREURS:
David P. Cole, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Du consentement des parties, le nom du requérant a été supprimé de l'intitulé de la cause, la Commission nationale des libérations conditionnelles a été constituée intimée et il a été ordonné que ni l'identité du requérant ni quelque renseignement susceptible de révéler son identité ne soient divulgués dans quelque journal, revue, émission de radio ou de télévision ou par tout autre moyen de communication.
Le requérant cherche à obtenir un bref de prohi bition interdisant à la Commission nationale des libérations conditionnelles de tenir compte des ren- seignements qu'elle a omis de lui révéler ou, subsi- diairement, un bref de mandamus enjoignant à la Commission de lui divulguer suffisamment de détails sur les renseignements dont elle dispose actuellement afin de lui fournir une occasion rai- sonnable d'y répondre.
Le requérant purge actuellement une peine de 12 ans pour viol. Le 5 juin 1985, la Commission nationale des libérations conditionnelles a tenu une audition, à laquelle a comparu le requérant, pour savoir si une libération conditionnelle de jour devrait être accordée à ce dernier. L'audition a été ajournée pour deux raisons:
1) pour obtenir une nouvelle évaluation psychiatrique (que le D' David Byers a préparée par la suite); et
2) pour faire enquête sur la [TRADUCTION] «situation en C.-B.».
La «situation en C.-B.» faisait référence au fait que la GRC dans cette province le considère comme un suspect dans la mort de deux jeunes filles et dans la disparition d'une troisième.
Il est constant que la Commission nationale des libérations conditionnelles dispose d'un nombre considérable de détails concernant les infractions qu'on soupçonne le requérant d'avoir commises, et qu'elle ne les a pas révélés à ce dernier.
En réponse aux demandes de renseignements présentées par l'avocat du requérant, M. Cole, concernant ces allégations, la Commission natio- nale des libérations conditionnelles écrivait en ces termes, le 27 mai 1985:
[TRADUCTION] On a informé la Commission nationale des libérations conditionnelles que [H] demeure toujours un sus pect dans la mort de 2 jeunes filles et dans la disparition d'une troisième, dans la région de Matsqui (C.-B.).
En juillet 1985, l'avocat du requérant a tenté d'obtenir des détails supplémentaires en s'adres- sant directement à la GRC de Vancouver. Cette demande de renseignements a révélé que les décès étaient survenus en 1978; que la police soupçonne M. H depuis ce moment; que la police n'avait pas assez d'éléments de preuve pour porter des accusa tions; et qu'il était peu probable que des accusa tions soient portées contre lui.
Immédiatement avant l'audition de la présente requête, un affidavit a été déposé par un membre de la Commission nationale des libérations condi- tionnelles qui y avait joint un document n'ayant pas été communiqué au requérant. Ce document en date du 18 juillet 1985 a été revu de façon à éliminer tous les détails sur les infractions faisant l'objet d'une enquête. La partie non expurgée dit notamment:
[TRADUCTION] Bref les forces policières chargées de l'enquête concluent qu'elles disposent d'une preuve circonstancielle consi- dérable reliant le justiciable à ces trois crimes. On a également laissé entendre qu'il existe certains éléments de preuve maté- rielle impliquant le justiciable, bien qu'on ne puisse, à ce stade-ci, fournir de détails de peur de compromettre une enquête plutôt délicate et en cours depuis longtemps. Les forces policières tiennent beaucoup à ce que le justiciable se soumette à un test polygraphique, mais elles ont fait savoir que, pour l'instant, aucune décision définitive n'a encore été prise relati- vement au dépôt d'accusations précises.
L'avocat fait valoir qu'on ne lui a communiqué aucun détail quant aux faits se rapportant aux crimes dont on soupçonne le requérant et qu'il ne
sait même pas durant quels mois les prétendues infractions ont été commises. On soutient que le requérant a droit d'obtenir plus de renseignements que ce qui a été mis à sa disposition jusqu'à présent pour lui permettre de répondre adéquate- ment aux allégations formulées contre lui.
Tout l'argument de l'avocat du requérant repose sur le fait que le requérant n'en sait pas beaucoup plus au sujet des allégations formulées contre lui que ce qui est exposé ci-dessus: dans la lettre adressée à Cole et dans les renseignements que ce dernier a appris de la GRC. L'avocat a déposé un exposé des faits et du droit résumant l'affidavit du requérant affirmant que c'est pendant que ce der- nier subissait des tests psychologiques en décembre 1982 - juillet 1983 qu'
[TRADUCTION] il a appris pour la première fois qu'on le «soupçonnait d'avoir commis en Colombie-Britannique d'autres infractions à caractère sexuel» dont on ne l'avait pas accusé;
et que, en janvier 1984,
[TRADUCTION] le requérant s'est livré à une série d'enquêtes et s'est assuré le concours de diverses personnes en vue de décou- vrir la nature et la gravité des soupçons formulés par la G.R.C. en Colombie-Britannique.
Ces allégations de fait n'ont pas été contestées; l'intimée les a admises telles qu'elles ont été men- tionnées dans le mémoire. Toutefois, dans un rap port daté de juillet 1985 et joint à un affidavit déposé à l'appui de la position de l'intimée, tout juste avant l'audition de la présente requête, on affirme ce qui suit:
[TRADUCTION] «le 8 décembre 1981, le justiciable a été inter- rogé par deux membres de la Section chargée des crimes graves de la G.R.C. à l'établissement Kent. On l'a interrogé pendant trois heures et demie sur un total de six cas non résolus. En fin de compte, les forces policières se sont concentrées sur les trois cas en question, concluant qu'il est le suspect principal dans ces trois crimes».
Je me suis demandé si cet exposé des faits ne me permettrait pas de conclure que le requérant en sait davantage sur les détails des allégations for- mulées contre lui que ce que fait voir le dossier se trouvant devant moi. Après maintes hésitations, j'ai décidé que non. Je fonde cette conclusion sur le fait que l'intimée a souscrit à l'exposé des faits du requérant concernant ce qu'il sait; qu'on n'a pas contesté l'affidavit du requérant à cet égard; que l'intimée n'a déposé aucun affidavit alléguant que le requérant en sait davantage sur les événements que ce que ne révèle le dossier (soit par suite de la
procédure de décembre 1981, soit par suite de quelque communication orale qu'il aurait eue avec la Commission ou le personnel du service correctionnel).
Il est clair, en vertu de la common law et de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], que la Commis sion nationale des libérations conditionnelles est assujettie aux règles de justice naturelle (équité): Couperthwaite c. La Commission nationale des libérations conditionnelles, [1983] 1 C.F. 274 (lre inst.); Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 39 C.R. (3d) 78 (l ie inst.); Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; 41 C.R. (3d) 30 (i re inst.); Richards c. Comm. nat. des libérations cond. (1985), 45 C.R. (3d) 382 (C.F. i te inst.). En vertu des règles de justice naturelle, une personne a le droit de connaître les arguments qu'on va faire valoir contre elle afin de lui permettre d'y répondre.
L'avocat du requérant soutient que l'étendue des détails qu'il faut divulguer doit être déterminée en fonction de la fin pour laquelle on les demande: c'est-à-dire permettre à la personne de répondre de façon adéquate et raisonnable aux allégations défavorables formulées contre lui. Ce raisonne- ment est manifestement bien fondé. C'est dans ce sens que le juge Strayer a dit, dans l'affaire Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 39 C.R. (3d) 78, la page 746 C.F.; 89 C.R., qu'«il importerait que le requérant à l'instance sache sur quoi portent principalement les préoccupations de la Commission» [c'est moi qui souligne], et à la page 748 C.F.; 91 C.R. que «l'équité exige au moins qu'on donne, à la personne que visent les allégations examinées par un tribu nal ... les grandes lignes de ces allégations» [c'est moi qui souligne]. C'est également le sens de mes propos dans l'affaire Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; 41 C.R. (3d) 30, la page 397 C.F.; 49 C.R., j'ai statué qu'il était nécessaire de révéler «l'essentiel au moins des motifs retenus contre lui» [c'est moi qui souligne] (pour reprendre l'expression utilisée par lord Reid dans Rogers v. Secretary of State for the Home Department, [1972] 2 All ER 1057
(H.L.), à la page 1061). Dans l'affaire Richards c. Comm. nat. des libérations cond. (1985), 45 C.R. (3d) 382, la page 387, le juge en chef adjoint a adopté la même attitude en disant que «l'explica- tion doit au moins être suffisante pour permettre au prévenu de se défendre».
Dans l'affaire Latham (précitée), le juge Strayer a conclu la page 746 C.F.; 89 C.R.] que la mention d'une «Affaire relative à la protection de la jeunesse mettant en cause Latham et sa belle-fille» ne suffisait pas. Dans la décision Cadieux (précitée), j'ai jugé insuffisant la page 399 C.F.; 50 C.R.] le fait de préciser que «La Commission a obtenu des renseignements confi- dentiels qui nous ont convaincus que vous êtes susceptible à l'heure actuelle de commettre une nouvelle infraction à l'occasion de toute remise en liberté.» Dans l'affaire Richards (précitée), le juge en chef adjoint a conclu la page 384] qu'il n'était pas suffisant d'indiquer que «celles-ci (informations) concernaient certaines menaces que le requérant aurait proférées à l'endroit de certai- nes personnes habitant la localité». De même, en l'espèce, le fait d'être informé qu'on vous soup- çonne d'avoir commis des crimes relativement à la mort de deux jeunes filles et à la disparition d'une troisième en Colombie-Britannique en 1978 ne constitue pas une précision suffisante. De plus amples détails s'imposent. À l'évidence, le requé- rant aurait, à tout le moins, droit à des renseigne- ments concernant les dates des prétendues infrac tions, le lieu de commission et vraisemblablement des indications quant à l'heure des crimes et à l'identité des victimes. Il est difficile, dans l'abs- trait, de déterminer ce qui devrait lui être fourni sans tenir un débat plus poussé à ce sujet, et je ne me propose pas de le faire.
L'avocat de la Commission fait valoir que cel- le-ci a révélé au requérant tout ce qu'elle pouvait puisque l'article 23 de la Loi sur la protection des renseignements personnels [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II] lui interdit d'en divulguer davantage. On prétend que la demande est préma- turée puisque le requérant n'a pas épuisé tous les recours que lui offre la Loi sur la protection des renseignements personnels, et que, quoi qu'il en soit, la Commission des libérations conditionnelles n'a pas encore statué sur la demande de libération conditionnelle.
Il y a lieu de discuter tout d'abord de l'argument selon lequel la Loi sur la protection des renseigne- ments personnels interdit de divulguer davantage de renseignements au requérant. Les articles 19 à 28 de la Loi fait mention de certaines circons- tances une personne qui, conformément à la Loi, demande des renseignements peut se les voir refuser. L'article 22 (particulièrement l'alinéa 22(1)b))' prévoit que la communication des rensei- gnements demandés peut être refusée lorsqu'ils ont été obtenus au cours d'une enquête sur la perpétra- tion d'un crime. Ces dispositions ne s'appliquent pas en l'espèce. La Loi sur la protection des renseignements personnels a établi en faveur des particuliers un droit qui n'existait pas avant son adoption, soit le droit d'accès aux renseignements les concernant que renferment les dossiers du gou- vernement. Les exemptions prévues par la Loi se rapportent aux demandes de renseignements fon- dées sur cette Loi. Elles n'ont pas pour effet de limiter l'accès à des renseignements auxquels une personne pourrait avoir droit en vertu d'autres règles ou principes de droit: comme le droit d'assi- gner quelqu'un à produire un élément de preuve à l'occasion de procédures en première instance ou, comme en l'espèce, de se faire divulguer, confor- mément aux règles de la justice naturelle, les arguments auxquels elle doit faire face. (Il est constant que le paragraphe 17(3), DORS/78-428, du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus ne s'applique pas, en l'espèce, à la demande de libération conditionnelle de jour et, en tout état de cause, je renverrais à l'affaire Cadieux (précitée), à la page 55.)
Quant à l'argument selon lequel la requête du requérant est prématurée parce qu'il n'a pas épuisé tous les recours qui lui sont ouverts par la Loi sur la protection des renseignements personnels, il
' 22. (1) .. .
b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d'enquêtes licites, notamment:
(i) des renseignements relatifs à l'existence ou à la nature d'une enquête déterminée,
(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,
(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d'une enquête;
faut souligner que le requérant a effectivement présenté, en avril 1985, une demande fondée sur la Loi sur la protection des renseignements person- nels, et qu'il a reçu une bonne partie des docu ments concernant ses dossiers. Tous les détails sur les crimes dont on le soupçonne y ont été suppri- més. Pour expliquer cette suppression, on a invo- qué divers articles d'exemption de la Loi, particu- lièrement l'article 22 susmentionné. Le requérant n'a pas recouru aux procédures d'appel prévues à la Loi, mais, à l'occasion de l'audition tenue le 5 juin par la Commission (ainsi qu'à la reprise le 6 août), il s'est adressé directement à la Commission pour obtenir d'autres détails sur les allégations formulées contre lui. Les règles permettant la com munication des renseignements sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements per- sonnels sont différentes de celles qui découlent des règles de la justice naturelle et elles ne visent pas le même but que ces dernières. Dans ces circons- tances, le défaut de suivre la procédure d'appel prévue à la Loi sur la protection des renseigne- ments personnels ne saurait être assimilé au défaut d'épuiser toutes les voies de recours disponibles pour empêcher, en l'espèce, la présentation contre la Commission nationale des libérations condition- nelles d'une demande tendant à faire observer les règles de la justice naturelle (équité).
La demande n'est pas non plus prématurée parce que la Commission n'a pas encore rendu quelque décision que ce soit sur la demande de libération conditionnelle. Au cours de l'audition tenue par la Commission le 6 août 1985 (qui continuait celle du 5 juin dont il a été fait mention plus haut), l'avocat du requérant a demandé à la Commission de lui fournir d'autres détails sur les renseignements dont elle disposait. Comme les ren- seignements demandés ne lui étaient pas fournis, l'avocat du requérant a demandé et obtenu que la Commission ajourne son audition pour permettre à cette Cour d'examiner le refus qu'on lui opposait. Par conséquent, comme le prétend l'avocat du requérant, c'est la décision de la Commission de refuser de divulguer des renseignements supplé- mentaires au requérant qui est contestée et non une décision relative à la libération conditionnelle.
Toutefois, le principal argument de la Commis sion est que les détails relatifs aux crimes faisant l'objet de l'enquête n'ont absolument aucun rap-
port avec son processus décisionnel. On prétend que le seul fait dont tient compte la Commission est l'existence d'une enquête en cours concernant le requérant. En fait, l'avocat de la Commission a convenu que la délivrance d'une ordonnance inter- disant à celle-ci de prendre en considération tout détail reçu des autorités policières serait accepta ble. Je considère cette attitude de l'avocat comme étant essentiellement une acceptation de la demande du requérant visant à obtenir:
[TRADUCTION] un bref de prohibition interdisant à la Commis sion nationale des libérations conditionnelles de prendre en considération tout renseignement reçu des autorités policières ou d'autres sources [se rapportant aux enquêtes sur les trois crimes] qu'elle choisit de ne pas divulguer au requérant.
Comme il ressort clairement des motifs prononcés jusqu'ici qu'il serait tout aussi approprié, en l'es- pèce, de rendre un bref de prohibition qu'un bref de mandamus, et que l'avocat de l'intimée a exprimé sa préférence à l'endroit du premier, un bref de prohibition sera donc décerné.
Toutefois, l'avocat de la Commission a exprimé son désaccord avec l'argument additionnel de l'avocat du requérant voulant que l'ordonnance prévoie que toute audition ultérieure doit être menée par une nouvelle formation de la Commis sion nationale des libérations conditionnelles, c'est-à-dire que toute audition ultérieure doit être tenue par une formation composée de membres qui n'ont pas obtenu (par écrit ou de vive voix) les renseignements dont dispose la formation actuelle et qui n'ont pas été communiqués au requérant. On a soutenu que la constitution d'une nouvelle formation n'était pas une mesure acceptable parce que: 1) cela créerait un précédent fâcheux et lais- serait supposer que la Commission se doit d'établir une procédure en deux temps par laquelle une première formation examinerait la preuve et ne soumettrait que celle qui serait pertinente à une deuxième formation; 2) parce que beaucoup de tribunaux et de cours entendent de façon routi- nière bien des éléments de preuve dont ils ne tiennent pas compte par la suite parce que non pertinents à la prise de leurs décisions; et 3) parce qu'il faudrait avoir confiance dans l'affirmation de la Commission nationale des libérations condition- nelles selon laquelle elle ne prendra pas en considé- ration les détails relatifs aux crimes ou aux enquêtes.
Je ne suis pas d'accord pour dire qu'une ordon- nance du genre demandé pourrait créer un précé- dent. Les décisions des tribunaux administratifs leur sont fréquemment renvoyées pour inobserva- tion d'une règle d'équité. Parfois l'affaire est ren- voyée à une formation nouvellement constituée, parfois elle ne l'est pas. Il s'agit d'une question de pouvoir discrétionnaire et de circonstance et non de précédent. Certes, plusieurs cours et tribunaux entendent des éléments de preuve qu'ils déclarent finalement non pertinents et dont ils ne tiennent par conséquent pas compte, mais c'est souvent dans le contexte d'une communication publique de ces éléments de preuve et de la décision de la cour ou du tribunal. Bien que je sois certain que la formation actuelle de la Commission nationale des libérations conditionnelles agira de façon appro- priée et se conduira de la façon déclarée, le requé- rant a droit à l'apparence d'équité tout autant qu'à l'équité elle-même. C'est ce que visent les règles de justice naturelle (équité). En conséquence, je ren- drai une ordonnance enjoignant l'examen par une nouvelle formation.
ORDONNANCE
LA COUR DIT ET JUGE QUE:
1) il est interdit à la Commission nationale des libérations conditionnelles, dans son examen de la demande de libération condi- tionnelle de jour du requérant à laquelle se rapportent les auditions du 5 juin 1985 et du 6 août 1985, de prendre en considération tout renseignement provenant des autorités policières ou d'autres sources et se rappor- tant à l'enquête sur les trois crimes men- tionnés dans les motifs de la présente ordonnance et qu'elle choisit de ne pas révé- ler au requérant;
2) la demande de libération conditionnelle doit être entendue par une nouvelle formation de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui n'a pas connaissance des détails sur les allégations faites à l'encontre du requérant, lesquels détails n'ont pas été divulgués à ce dernier;
3) le requérant a droit aux dépens de la pré- sente requête.
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