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SCRS 66-85
Harjit Singh Atwal (requérant)
c.
La Reine (intimée) *
RÉPERTORIÉ: ATWAL c. CANADA
Le juge Heald—Ottawa, 26 et 27 mars et 30 avril 1987.
Renseignement de sécurité Mandat décerné après audi tion tenue conformément à l'art. 21 de la Loi sur le SCRS Les éléments de preuve y obtenus devant être utilisés dans le cadre d'une poursuite visant un complot pour commettre un meurtre Interception de télécommunications Requête en annulation du mandat pour manque de conformité avec l'art. 21, aux motifs qu'il est contraire aux critères de l'art. 8 de la Charte relatifs aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies et que l'affidavit justificatif ne justifie pas le mandat La jurisprudence en matière de droit criminel ne s'applique pas aux mandats décernés en vertu de la Loi sur le SCRS car les objectifs de cette Loi et ceux du Code criminel sont différents Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 7(1)b), 21, 26, 27, 30 à 40 Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 178.13 (ajouté par S.C. 1973-74, chap. 50, art. 2; 1976-77, chap. 53, art. 9), 423(1)a) (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 62), 443(1)b) (mod., idem, art. 69), 577(3) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 330 (mod. par DORS/79-58 art. 1).
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions ou saisies Mandat d'interception de communications et de perquisition fondé sur l'art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité Aucune perquisition ou saisie «abusive.. Rien n'exige que la Cour soit convaincue, avant de décerner le mandat, qu'une infraction a été commise ou que des preuves de sa perpétration se trouvent au lieu de la perquisition Les dispositions de la Loi sur le SCRS n'ont pas à être conformes aux normes établies par l'arrêt Southam relativement aux affaires relevant du Code criminel Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984,
chap. 21, art. 2, 7(1)b), 21, 26, 27, 30 40 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 8 Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23.
* Note de l'arrêtiste: Cette décision a été infirmée en appel (les juges Mahoney et MacGuigan, et le juge Hugessen dissi dent en partie). Selon l'opinion de la majorité, «en l'absence d'une objection soulevée conformément à l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada, il incombait au juge d'ordonner la production de l'affidavit après y avoir supprimé tout renseigne- ment qui aurait permis de découvrir l'identité d'une personne visée aux alinéas 18(1)a) et b) de la Loi». Les motifs du jugement de la Cour d'appel seront publiés sous peu dans le Recueil des arrêts de la Cour fédérale.
Pratique - Communications privilégiées - Caractère con- fidentiel des communications entre un procureur et son client
- Interception des communications entre un avocat et son client en vertu de l'art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité - La sécurité de l'État versus le secret professionnel de l'avocat - La validité du mandat n'est pas touchée lorsque le mandat restreint suffisamment l'at- teinte portée au privilège en cause - Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 7(1)b), 21, 26, 27, 30 40 - Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6.
Pratique - Communication de documents et interrogatoire préalable - Production de documents - Sécurité nationale
- Affidavit secret déposé à l'appui de la demande d'un mandat prévu par l'art. 21 de la Loi sur le Service canadien de renseignement de sécurité - Des circonstances spéciales justi- fient la Cour de déroger à la règle générale prévoyant pleine et entière divulgation aux parties des documents déposés à la Cour - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.1 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4), 36.2 (ajouté, idem) - Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 7(1)b), 21, 26, 27, 30 40 - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 178.13 (ajouté par S.C. 1973-74, chap. 50, art. 2; 1976-77, chap. 53, art. 9), 423(1)a) (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 62), 443(1)b), (mod., idem, art. 69), 577(3) - Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 330 (mod. par DORS/79-58, art. 1).
Le 26 juillet 1985, un juge de la Cour fédérale a décerné contre l'appelant un mandat autorisant l'interception de com munications et les perquisitions, conformément à l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) relativement à une enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada. En septembre 1986, le requérant a été accusé, avec huit autres individus, d'avoir conspiré pour commettre un meurtre. Le procureur de la poursuite entend présenter en preuve, lors du procès, certains enregistrements et certaines transcriptions de télécommunications interceptées en vertu du mandat décerné sous le régime de l'article 21. Un procureur a participé à deux des appels téléphoniques intercep tés. Le Service a agi conformément aux conditions du mandat relativement à ces deux appels: un membre autorisé du Service a décidé que les appels ne se rapportaient pas aux menaces envers la sécurité du Canada dont il était question dans le mandat, et il a ordonné que ces conversations soient effacées de la bande.
Il s'agit d'une demande fondée sur la Règle 330, sollicitant une ordonnance annulant le mandat en question. Le requérant allègue ce qui suit: a) l'invalidité du mandat ressort à sa simple lecture parce qu'il n'est pas conforme aux dispositions de l'article 21 de la Loi sur le SCRS; b) l'invalidité du mandat et de sa loi habilitante ressort à la simple lecture de ces documents parce qu'ils ne respectent pas les normes constitutionnelles visant les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives; c) le mandat pourrait être invalide parce que l'affidavit déposé à l'appui de la demande de mandat ne justifiait pas cette demande (ce qui soulève la question de la production d'un affidavit secret portant sur la sécurité nationale).
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Comme la législation sur la surveillance interne «tournée vers l'information» et «moins délimitée» d'une part, et d'autre part, la législation répressive ordinaire, «qui cherche des résultats» et se déroule pratiquement en «vase clos», tel notre Code criminel, ont des objets carrément différents, leur interprétation respec tive se fait nécessairement dans une optique différente. Par conséquent, le juge qui a décerné le mandat attaqué n'avait pas à préciser par écrit qu'il était convaincu que les exigences des alinéas 21(2)a) et b) avaient été respectées. Il n'avait pas non plus à préciser la menace prétendue à laquelle se rapporte le mandat, ni à limiter davantage les saisies de communications orales ou écrites ou de pièces à celles qui ont un rapport avec la menace prétendue. La nature même de l'enquête et de la prévention du terrorisme exige un large pouvoir d'interception.
La violation du secret professionnel de l'avocat ne doit pas être prise à la légère. Elle ne devrait être autorisée que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recher- chées par la loi habilitante. La détection et la prévention du terrorisme politique constituent un intérêt public vital auquel il faut reconnaître une grande importance lorsqu'on le compare à une atteinte possible au caractère confidentiel des relations entre avocat et client. Les conditions du mandat établissent un équilibre raisonnable entre les intérêts opposés en cause.
Le mandat ne viole pas la garantie contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives prévue à l'article 8 de la Charte. Le requérant se fonde sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., qui expose les exigences principales que doivent respecter une fouille, une perquisition ou une saisie pour être valides. Le même arrêt ajoute cependant que «lorsque la sécurité de l'État est en cause ... le critère pertinent pourrait bien être différent». Donc, l'exigence selon laquelle le juge président du tribunal doit être convaincu qu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve de l'infraction se trouvent à l'endroit de la perquisition ne s'applique pas en l'espèce. Aucune disposition de la Loi sur le SCRS n'exige que des éléments de preuve de la perpétration d'une infraction soient présentés au tribunal lors de la délivrance d'un mandat visé à l'article 21, puisque la Loi ne met pas l'accent sur la réaction à des événements mais vise plutôt la détection rapide des menaces envers la sécurité. De plus, les garanties et les méthodes prévues par la Loi satisfont aux critères applicables au caractère raisonnable que l'article 8 de la Charte exige relativement aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies.
La Couronne ne peut se fonder sur les articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada pour s'opposer à la production de l'affidavit justificatif en invoquant une atteinte à la sécurité nationale parce qu'elle n'a pas soulevé cette objection de la façon requise par cette Loi. Bien que règle générale, dans une affaire comme la présente instance, le requérant ait le droit d'exiger la divulgation de tous les documents versés au dossier de la Cour, ce droit n'est pas absolu. Le juge a le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication de tout document versé au dossier de la Cour lorsque, comme c'est le cas en l'instance, des circonstances spéciales le justifient, comme l'im- portance qu'il y a à préserver la capacité du Service de sécurité d'enquêter sur le terrorisme politique et de remplir son mandat dans l'intérêt de la sécurité nationale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Eastman Photographic Materials Company Limited v. The Comptroller-General of Patents, Designs, and Trade Marks, [1898] A.C. 571 (H.L.); United States v. United States District Court for the Eastern District of Michigan, Southern Division et al., 32 L.Ed. (2d) 752 (C.S. E.-U. 1972); Regina v. Finlay and Grellette (1985), 23 C.C.C. (3d) 48 (C.A. Ont.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; 50 C.C.C. (2d) 495; Gold c. La Reine, [1985] 1 C.F. 642; 4 C.P.C. (2d) 20 (1' inst.), confirmé par [1986] 2 C.F. 129; 25 D.L.R. (4th) 285 (C.A.); Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753; 17 C.C.C. (3d) 426 W e inst.); R. v. Kevork, Balwin et Gharakhanian (1986), 27 C.C.C. (3d) 523 (H.C.J. Ont.); Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (lrc inst.); confirmé par [1983] 2 C.F. 463; (1984), 10 C.C.C. (3d) 492 (C.A.); Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; 65 C.C.C. (2d) 129; Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; (1984), 9 Admin. L.R. 50 (1r` inst.); Rice c. Commission nationale des libérations condition- nelles (1986), 16 Admin. L.R. 157 (C.F. 1" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; 70 C.C.C. (2d) 385; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 14 C.C.C. (3d) 97; Volckmar v. Krupp, [1958] O.W.N. 303 (H.C.J. Ont.); Bunker Ramo Corp. c. TRW Inc., [1980] 2 C.F. 488; 47 C.P.R. (2d) 159 (1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Regina v. Welsh and Ianuzzi (No. 6) (1977), 32 C.C.C. (2d) 363 (C.A. Ont.); Lyons et autre c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633; 15 C.C.C. (3d) 417.
DÉCISIONS CITÉES:
Grabowski c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 434; 22 C.C.C. (3d) 449; Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 9 C.C.C. (3d) 97.
AVOCATS:
Michael Code et David Gibbons pour le requérant.
John H. Sims, c.r. et Douglas R. Wyatt pour l'intimée.
Alexander Budlovsky pour le procureur géné- ral de la Colombie-Britannique.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour le requé- rant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Le procureur général de la Colombie-Britan- nique pour la province de la Colombie-Britan- nique.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande fondée sur la Règle 330 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/79-58, art. 1)] et sollicitant une ordonnance annulant le mandat en date du 26 juillet 1985 que j'ai décerné à la suite d'une audition tenue ex parte (dossier numéro SCRS 66-85 de la Cour fédérale) confor- mément aux dispositions de l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécu- rité, S.C. 1984, chap. 21 (Loi sur le SCRS). La Règle 330 porte:
Règle 330. La Cour peut annuler
a) toute ordonnance rendue ex parte, ou
b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui a omis de comparaître par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis de requête insuffisant;
mais une telle annulation n'affecte ni la validité ni la nature d'une action ou omission antérieure à l'ordonnance d'annula- tion sauf dans la mesure la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d'annulation.
J'ai prononcé l'ordonnance attaquée dans l'exer- cice du pouvoir découlant de l'article 2 de la Loi sur le SCRS, selon lequel le terme «juge» désigne un «Juge de la Cour fédérale du Canada choisi pour l'application de la présente loi par le juge en chef de cette Cour.» J'étais à la date de l'ordon- nance attaquée, et je suis encore aujourd'hui, un juge choisi à cette fin par le juge en chef de cette Cour.
Il sera utile, pour bien comprendre les questions soulevées par la présente demande, de citer l'arti- cle 21 de la Loi sur le SCRS dans son intégralité. Cet article est ainsi libellé:
21. (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l'approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s'il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d'exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l'article 16.
(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l'affidavit du demandeur portant sur les point suivants:
a) les faits sur lesquels le demandeur s'appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);
b) le fait que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l'urgence de l'affaire est telle qu'il serait très difficile de mener l'enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;
c) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas 3a) à c) dont l'exercice, sont à autoriser;
d) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;
e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;
j) si possible, une description générale du lieu le mandat demandé est à exécuter;
g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d'un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;
h) la mention des demandes éventuelles touchant des person- nes visés à l'alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.
(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s'il est convaincu de l'existence des faits mentionnés aux alinéas 2a) et b) et dans l'affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communica tions ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin il peut autoriser aussi, de leur part:
a) l'accès à un lieu ou un objet ou l'ouverture d'un objet;
b) la recherche, l'enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informa- tions qui s'y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l'éta- blissement de copies ou d'extraits par tout procédé;
c) l'installation, l'entretien et l'enlèvement d'objets.
(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes:
a) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas 3a) à c) dont l'exercice, sont autorisés;
b) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;
c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;
d) si possible, une description générale du lieu le mandat peut être exécuté;
e) la durée de validité du mandat;
J) les conditions que le juge estime indiquées dans l'intérêt
public.
(5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragra-
phe (3) que pour une période maximale
a) de soixante jours lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la Sécurité du Canada au sens de l'alinéa d) de la définition de telles menaces contenue dans l'article 2; ou
b) d'un an dans tout autre cas.
J'estime qu'il serait également instructif de citer le mandat soumis à notre examen dans sa totalité. Ce mandat est le suivant:
[TRADUCTION] COUR FÉDÉRALE DU CANADA MANDAT DÉCERNÉ CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 21 DE LA LOI SUR LE SERVICE CANADIEN
DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ
DÉCERNÉ CONTRE
du greffe: SCRS-66-85 Harjit Singh ATwAL
vu la demande ex parte présentée par écrit par Archie M. BARR conformément à l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1983-84, chap. 21 pour obtenir le mandat qui s'y trouve prévu;
CONSIDÉRANT que le requérant, Archie M. BARR, est un employé du Service canadien du renseignement de sécurité désigné à cette fin par le Solliciteur général du Canada confor- mément au paragraphe 21(1) de la Loi qui a consulté le Solliciteur général adjoint et qui a obtenu l'approbation du Solliciteur général du Canada à cette fin;
CONSIDÉRANT que j'ai lu l'affidavit du requérant et examiné tous les éléments de preuve soumis à l'appui de ladite requête;
CONSIDÉRANT que je suis convaincu qu'un mandat doit être décerné en conformité avec l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité pour permettre au Service canadien du renseignement de sécurité de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, à savoir:
des activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de mena ces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger,
activités qui ne comprennent pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités prémention- nées.
EN CONSÉQUENCE, PAR LES PRÉSENTES, J'AUTORISE LE DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ AINSI QUE LES EMPLOYÉS AGISSANT SOUS SON AUTORITÉ OU EN SON NOM À PROCÉDER A:
A. l'interception des communications suivantes:
à l'intérieur du Canada, les communications orales et les télécommunications qui ont pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, à quelque endroit qu'il soit, ou toute personne se trouvant au 12471 79A Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), ou toute autre personne se trou- vant à tout autre endroit au Canada pouvant être utilisé par Harjit Singh ATWAL comme résidence temporaire ou permanente, que cette résidence soit stationnaire ou mobile;
ET
à cette fin, entrer dans:
a) lesdits locaux situés au 12471 79A Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), ou dans tout autre lieu au Canada pouvant être utilisé par Harjit Singh ATWAL comme résidence temporaire ou permanente, que cette résidence soit stationnaire ou mobile;
b) tout véhicule utilisé par Harjit Singh ATWAL;
c) tout autre lieu au Canada le Service a des motifs raisonnables de croire que Harjit Singh ATWAL se trouvera,
afin d'installer, de maintenir ou d'enlever tout objet nécessaire pour effectuer lesdites interceptions,
ET
à cette fin procéder à:
d) l'installation, l'entretien et l'enlèvement de tout objet nécessaire pour effectuer, dans les lieux décrits au paragraphe
A. qui précède, l'interception de communications orales et de télécommunications.
B. la recherche, l'enlèvement ou la remise en place des commu nications suivantes, de même qu'à leur examen, au prélèvement des informations qui s'y trouvent, ainsi qu'à leur enregistrement et à l'établissement de copies ou d'extraits par tout procédé, soit:
les communications enregistrées effectuées autrement que par la poste, au Canada, dont le destinataire ou la source est:
a) Harjit Singh ATWAL;
b) 12471 79A Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), ET
à cette fin, entrer dans les lieux suivants:
c) le 12471 79A Avenue, Surrey (Colombie-Britanni- que), ou tout autre lieu au Canada pouvant être utilisé par Harjit Singh ATWAL comme résidence temporaire ou perma- nente, que cette résidence soit stationnaire ou mobile;
d) tout véhicule utilisé par Harjit Singh ATWAL;
d) sic tout autre lieu dans lequel s'est trouvé ledit Harjit Singh ATWAL et le Service a des motifs raisonnables de croire qu'il se trouve des communications enregistrées de Harjit Singh ATWAL.
c. Le présent mandat vaudra pour la période commençant le 26 juillet 1985 et expirant le 25 juillet 1986.
LE PRÉSENT MANDAT EST SOUMIS AUX CONDITIONS SUIVANTES:
1" CONDITION: Sauf s'il s'agit de déterminer si une commu nication a pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, l'on ne prendra pas connais- sance du contenu des communications orales ou des télécommunications interceptées dans tout lieu décrit au paragraphe A.c) au moyen d'un objet installé pour les fins d'une telle interception. Si la personne chargée de contrôler la communication interceptée décide que celle-ci n'a pas pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, tous les enregistrements ou les transcriptions de cette communication seront immédiatement effa- cés ou détruits, selon le cas, et leur contenu ne sera, à aucun moment et d'aucune manière, communiqué à quiconque. Si la personne chargée de contrôler la communi cation interceptée décide que celle-ci a pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, elle sera interceptée en vertu du pouvoir conféré par le présent mandat.
2e CONDITION: Est attachée au présent mandat la condition qu'aucune communication orale de nature privée, télécommunication ou communica tion enregistrée ne peut être interceptée au bureau ou à la résidence d'un procureur ou à tout autre endroit habituellement utilisé par un procureur donné ou par d'autres procu- reurs pour discuter avec des clients.
3e CONDITION: Est également attachée au présent mandat la condition que les communications orales, les télécommunications ou les communica tions enregistrées qui auront lieu entre Harjit Singh ATWAL et un procureur ou l'employé d'un procureur ne pourront être initialement interceptées que pour permettre au directeur ou à un directeur général du bureau régional du Service canadien du ren- seignement de sécurité de déterminer si ces communications sont reliées aux menaces envers la sécurité du Canada déjà précisées dans le présent mandat. Les enregistrements des communications dont le directeur ou le directeur général du bureau régional déter- mine qu'elles ne sont pas reliées à une telle menace seront détruits, et aucune autre divulgation de cette communication n'aura lieu. Toutefois, toute communication dont le directeur ou le directeur général du bureau régional détermine qu'elle se rapporte à une telle menace, sera interceptée en vertu de l'autorité conférée par le présent mandat. Le directeur ou le directeur général du bureau régional pourra permettre la traduction
d'une communication à laquelle s'applique la présente condition lorsque cela s'avère nécessaire à sa détermination. Dans un tel cas, le traducteur ne divulguera le contenu de la communication qu'au seul directeur ou directeur général du bureau régional.
Le requérant en l'espèce, le 10 septembre 1986, a été accusé, avec huit autres individus, d'avoir conspiré pour commettre le meurtre d'un dé- nommé Malkait Singh Sidhu en contravention des dispositions de l'alinéa 423(1)a) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 62)]. Selon l'acte d'accusation du procureur général, la conspiration alléguée aurait eu lieu entre le 14 et le 25 mai 1986. Le requérant s'est vu refuser le cautionnement relativement à cette accusation et attend présentement de subir son procès, qui devrait avoir lieu en mai ou en juin 1987. Puisqu'il est dit que la conspiration alléguée a eu lieu à divers endroits dans la province de la Colombie-Britannique, le procès sera instruit dans cette province.
L'avocat de la Couronne représentant le procu- reur général de la Colombie-Britannique chargé de la poursuite du requérant ainsi que des huit autres individus accusés d'avoir conspiré avec lui entend présenter en preuve, lors du procès, certains enre- gistrements et certaines transcriptions de télécom- munications interceptées en vertu du mandat que j'ai décerné le 26 juillet 1985. Ces télécommunica- tions sont dites avoir été interceptées initialement par le Service canadien du renseignement de sécu- rité (le Service) au cours de la période s'étendant du 17 au 26 mai 1986 inclusivement. Il est déclaré, de la part du procureur de la Couronne, que la Couronne, lors du procès instruit relativement à la conspiration, ne s'appuiera sur aucune autre infor mation ou renseignement obtenus en vertu du mandat en question. Précisément, il est dit que la Couronne ne présentera aucune preuve matérielle autorisée en vertu du paragraphe B du mandat attaqué en l'espèce (le paragraphe B de ce mandat autorise le Service à procéder à la recherche, l'enlèvement ou la remise en place des communica tions enregistrées relatives au requérant, de même qu'à leur examen, au prélèvement des informations qui s'y trouvent, ainsi qu'à leur enregistrement et à l'établissement de copies ou d'extraits par tout procédé) puisque le Service n'a pas exercé les pouvoirs qui lui ont été conférés en vertu du para-
graphe B. La Couronne déclare également que toutes les télécommunications qu'elle entend pré- senter en preuve lors du procès relatif à la conspi- ration ont été interceptées par le Service sur deux lignes téléphoniques situées à la résidence du requérant, au 12471 79A Avenue, à Surrey, en Colombie-Britannique. L'écoute électronique en question a été effectuée sur des lieux appartenant à la B.C. Telephone Company et pour ce faire, il n'a pas été nécessaire d'entrer dans la résidence du requérant ni dans une autre résidence ou place d'affaire ni dans un véhicule. Il ressort que le Service, au cours de la période s'étendant du 17 au 26 mai 1986, n'a intercepté que deux appels télé- phoniques auxquels a participé un procureur. La preuve révèle que le Service a agi conformément à la condition numéro III du mandat en question relativement à ces deux appels. Le directeur géné- ral du bureau régional du Service pour la Colom- bie-Britannique a personnellement écouté, une seule fois, chacun de ces appels. Il a décidé, dans les deux cas, que la communication dont il avait pris connaissance ne se rapportait pas aux menaces envers la sécurité du Canada dont il était question dans le mandat décerné relativement à Atwal. En conséquence, il a ordonné que les parties de la bande sur lesquelles' étaient enregistrées les com munications avec un avocat soient effacées, ce qui a été fait. Seul le directeur général du bureau régional a écouté ces deux conversations échangées avec un procureur. De plus, le contenu de ces deux appels téléphoniques n'a été divulgué ni à la police ni au procureur de la Couronne.
Dans la requête en annulation, l'avocat du requérant s'appuie sur trois arguments pour oppo- ser l'invalidité du mandat en question:
(a) l'invalidité du mandat attaqué ressort à la lecture du mandat lui-même puisque celui-ci n'a pas été décerné conformément à la disposition habilitante, soit l'article 21 de la Loi sur le SCRS;
(b) à défaut par cette Cour d'accepter l'argu- ment qui précède, en supposant que les dispositions de l'article 21 aient été respectées, le mandat attaqué ainsi que la loi habilitante sont invalides à la lecture de ce mandat et de cette Loi, puisqu'ils ne respectent pas les normes constitutionnelles minimales visant les fouilles, perquisitions et sai- sies non abusives dont parle l'article 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R. -U.)]; et
(c) à défaut par cette Cour d'accepter l'un ou l'autre des arguments qui précèdent, le mandat en question pourrait être invalide pour le motif que l'affidavit déposé à l'appui de la demande de mandat ne justifiait pas sa délivrance, motif impli- quant un examen plus poussé que celui du seul mandat attaqué. L'avocat du requérant reconnaît que ce motif d'examen ne peut être plaidé sans que ne soit produit l'affidavit de l'officier du SCRS appuyant la demande de mandat et, en consé- quence, il sollicite une ordonnance portant produc tion dudit affidavit [TRADUCTION] «sous une forme respectant le caractère privilégié des rensei- gnements protégés».
(A) DÉFAUT D'OBSERVER LA LOI HABILITANTE
Le requérant soumet quatre arguments à l'appui de sa prétention selon laquelle l'intimée ne s'est pas conformée à la loi habilitante:
(i) le mandat ne respecte pas les deux conditions préalables prévues par la Loi qui seraient posées au paragraphe 21(3);
(ii) les prétendues «menaces» visées par le mandat ne se trouvent pas précisées;
(iii) le mandat ne relie pas les saisies qu'il autorise aux éléments se rapportant aux préten- dues menaces; et
(iv) l'autorisation accordée dans le mandat porte atteinte au secret professionnel de l'avocat.
J'entends à présent traiter de ces prétentions de façon successive:
(A) (i) Le paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS
L'avocat du requérant prétend que le paragra- phe 21(3) de la Loi exige que le juge sollicité de décerner le mandat ne doit le faire que s'il est «convaincu> que les exigences des alinéas (2)a) et (2)b) de l'article 21 sont respectées. Selon lui, les conditions préalables à la délivrance d'un mandat en vertu de l'article 21 que posent ces paragraphes sont les deux seules conditions préalables que pré- voit la Loi. Après avoir souligné que les deux conditions statutaires préalables à la délivrance du
mandat attaqué ressemblent, tout en présentant avec elles des différences importantes, aux condi tions statutaires préalables à la délivrance des mandats de perquisition prévus à l'alinéa 443(.1)b) du Code criminel [mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 69] et aux autorisations d'écoute électronique prévues à l'article 178.13 de ce Code [ajouté par S.C. 1973-74, chap. 50, art. 2; 1976-77, chap. 53, art. 9], l'avocat du requérant s'appuie néanmoins sur de la jurisprudence portant sur ces dispositions pour affirmer qu'il doit ressortir à la lecture même du mandat attaqué que le juge qui l'a décerné était convaincu du respect des conditions prévues aux alinéas (2)a) et (2)b) de l'article 21. En d'autres termes, le requérant soutient que le mandat ne répond pas aux exigences de l'article 21. Ce mandat est invalide parce qu'il ne précise pas par écrit que le juge qui l'a décerné était justifié de croire à l'existence de motifs raisonnables permet- tant de décerner le mandat, et parce que le mandat n'énonce pas par écrit que d'autres méthodes d'en- quête ont été essayées en vain ou auraient peu de chances de succès.
Je rejette cette prétention pour plusieurs motifs. Tout d'abord, notons que le paragraphe (4) de l'article 21 énumère les indications particulières qui doivent figurer dans le mandat. Nulle part dans ce paragraphe est-il exigé du juge qui décerne le mandat qu'il y déclare expressément être con- vaincu du respect des conditions préalables visées aux alinéas 21(2)a) et b). En second lieu, au quatrième paragraphe des considérants, je déclare, en ma qualité de juge décernant le mandat, que je suis «convaincu qu'un mandat doit être décerné conformément à l'article 21 ... pour permettre au Service ... de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada». Les alinéas 21(2)a) et b) formant partie intégrante de l'article 21 de la Loi, il serait sûrement inutile et superflu d'exiger une référence expresse à ces dispositions. Un juge doit être convaincu de la réalisation de nombreuses conditions avant de pouvoir décerner un mandat en vertu de la Loi sur le SCRS. Par exemple, le paragraphe (2) de l'article 21 comprend huit ali- néas différents énumérant de façon détaillée les différents points sur lesquels doit porter l'affidavit déposé à l'appui de la demande de mandat. J'es- time que l'affidavit présenté à l'appui de la demande visée en l'espèce respecte chacune de ces exigences, tout comme il satisfait également aux
autres exigences posées par la Loi'. Le juge décer- nant un mandat ne devrait pas être obligé, pour que celui-ci soit valide à sa seule lecture, de décla- rer expressément, avec détails à l'appui, qu'il con- sidère comme réalisées une ou des conditions parti- culières prévues à la Loi. Selon moi, on peut certainement présumer que le juge qui décerne le mandat, lorsqu'il déclare le décerner conformé- ment à l'article de la loi qui l'y autorise, est convaincu que les dispositions applicables de cette loi ont été en tout point observées. En l'espèce, l'affidavit de onze pages dactylographiées présenté au soutien de la demande exposait de façon très détaillée le fondement de cette dernière, et il m'a convaincu que le mandat sollicité était nécessaire aux fins s'y trouvant précisées et qu'il satisfaisait entièrement aux exigences pertinentes de la Loi. Finalement, je ne considère pas que les décisions portant sur les dispositions du Code criminel aux- quelles l'avocat du requérant a fait référence et sur lesquelles il s'est appuyé soient particulièrement utiles ou convaincantes. A mon avis, la jurispru dence relative au droit criminel n'est pas celle qui doit être appliquée relativement à la Loi sur le SCRS. La jurisprudence établit que les tribunaux sont justifiés de faire référence à certaines catégo- ries particulières de preuve extrinsèque lorsqu'ils interprètent des dispositions législatives aux seules fins de définir le tort ou le vice auxquels la loi soumise à leur interprétation a pour but de remé- dier 2 . Sont inclus parmi ces catégories de preuve autorisées les rapports des comités parlementaires, ceux des commissions royales ou d'enquêtes publi- ques et l'histoire législative d'une loi en particu- lier'. Comme l'a fait remarquer l'avocat du procu- reur général du Canada, les travaux de quatre commissions d'enquête ont porté sur divers aspects des activités hostiles de renseignement et autres menaçant le Canada avant l'adoption de la Loi sur le SCRS: la Commission Taschereau-Kellock, la
' Par exemple, entre autres: l'exigence de l'obtention préala- ble de l'approbation du solliciteur général posée par le paragra- phe 21(1) et l'exigence découlant de l'alinéa 7(1)b) selon laquelle le solliciteur général adjoint doit être consulté relative- ment à toute demande de mandat fondée sur l'article 21.
2 The Eastman Photographic Materials Company Limited v. The Comptroller-General of Patents, Designs, and Trade Marks, [1898l A.C. 571 (H.L.), à la p. 573, par le lord chancelier Halsbury.
Voir Driedger (E.A.), Construction of Statutes, (2d) (1983), aux p. 153 et 154 et 159à 161.
Commission Wells, la Commission Mackenzie et la Commission McDonald. En outre, le Rapport du Comité sénatorial spécial du service canadien du renseignement de sécurité (le rapport Pitfield) étudie soigneusement les dispositions du projet de loi C-157, le prédécesseur de la Loi sur le SCRS. Ce rapport, portant la date de novembre 1983, expose clairement et précisément les différences fondamentales qu'il y a entre un système visant l'application de la loi et un système conçu pour assurer la sûreté de l'État. Aux pages 5 et 6, le rapport dit:
Ces deux entités se ressemblent et, dans certains domaines, se chevauchent, par exemple lorsqu'une force policière s'intéresse, en même temps que le service du renseignement de sécurité, à certains crimes commis contre l'État ou contre des individus.
14 Mais les deux diffèrent considérablement l'une de l'autre. L'application des lois est une activité réactive qui, si elle n'exclut pas la collecte de renseignements et des mesures de prévention, n'intervient, dans l'ensemble, qu'après la perpétra- tion d'un acte criminel précis. La protection de la sécurité ne se contente pas simplement de réagir aux événements, elle vise à détecter à l'avance les menaces à la sécurité et ne s'intéresse pas nécessairement aux infractions à la loi. Une publicité considérable accompagne les activités visant à faire respecter la loi et en fait même essentiellement partie. Le travail du rensei- gnement de sécurité, à l'inverse, exige le secret. Faire respecter la loi est une activité «qui cherche des résultats» notamment l'appréhension et le jugement du coupable, les «intervenants» du système—policiers, procureurs, avocats de la défense et juges— jouissant d'une très grande autonomie d'action. Le renseigne- ment de sécurité est, tout au contraire, «tourné vers l'informa- tion». Le rôle des intervenants est beaucoup moins clairement défini et la direction et le contrôle dans un cadre hiérarchique sont absolument nécessaires. Enfin, faire respecter la loi est une activité qui se déroule pratiquement en «vase clos» et dans des limites bien définies—perpétration, enquête, appréhension, jugement. Les opérations du renseignement de sécurité sont beaucoup moins délimitées: l'accent est mis sur l'enquête, l'ana- lyse et l'énoncé de renseignements.
On trouve un autre exposé concis de la différence fondamentale entre l'enquête de police et la col- lecte de renseignements dans l'affaire Keith, un arrêt de la Cour suprême des États-Unis 4 . Mon sieur le juge Powell, rendant l'arrêt de la Cour, a dit:
[TRADUCTION] Nous reconnaissons qu'assurer la sûreté inté- rieure peut impliquer une politique et des considérations prati- ques différentes de celles qui sont propres à la «criminalité ordinaire». Le renseignement de sécurité est souvent une acti- vité d'envergure impliquant la corrélation de sources et de types d'information diverses. Les cibles précises de cette surveillance peuvent être plus difficiles à circonscrire que dans le cas des
4 United States v. United States District Court for the Eas tern District of Michigan, Southern Division et al., 32 L.Ed. (2d) 752 (1972), la p. 769.
opérations de surveillance des nombreux types de crime indi- qués au Titre III. Souvent aussi, le renseignement intérieur s'intéresse avant tout à la prévention de l'activité illicite ou à une meilleure connaissance de l'activité illicite ou à rehausser l'état de préparation du gouvernement face à une éventuelle crise ou situation d'urgence. Ainsi l'objet de la surveillance intérieure peut être beaucoup plus flou que celle s'attachant à des genres de criminalité plus conventionnelle.
Comme la législation sur la surveillance interne d'une part, et la législation répressive ordinaire d'autre part, tel notre Code criminel, ont des objets carrément différents, leur interprétation res pective se fait nécessairement dans une optique différente. La Commission McDonald qui, dans une large mesure, a été â l'origine de l'adoption de la Loi sur le SCRS a longuement traité de la violence et du terrorisme politiques 5 . On lit aux pages 455 et 456:
26. Le régime démocratique du Canada veut que la recherche des objectifs politiques se poursuive dans la légalité par des débats publics, des délibérations parlementaires et la défense des intérêts divers. Le processus démocratique est en danger lorsque des individus ou des groupes, dans la quête de leurs objectifs politiques, menacent de recourir ou recourent effecti- vement à des actes de violence graves. Comme nous l'avons dit au chapitre 1" de la présente partie de notre rapport, le dispositif de sécurité du Canada devrait tendre en tout premier lieu à protéger notre régime démocratique. Aussi l'organisme de sécurité du Canada devrait-il être investi, à notre avis, du pouvoir de fournir des renseignements sur toute activité d'un individu ou d'un groupe qui comporte le recours ou la menace de recourir à des actes de violence graves contre des personnes ou des biens en vue d'atteindre certains objectifs politiques.
27. Depuis une dizaine d'années, cette menace à la sécurité a pris surtout la forme de terrorisme. Malheureusement, les sentiments de frustration et de fanatisme politiques qui pous- sent au terrorisme ne sont pas à la veille de disparaître, loin de ... les actes de terrorisme dont doit se préoccuper l'orga- nisme de sécurité sont ceux qui tendent vers des objectifs politiques ...
28. La sécurité du Canada exige que les activités des personnes qui adhèrent ou accordent leur appui à des groupes terroristes soient décelées avant même qu'on soit justifié d'intenter des poursuites au criminel. On a constaté récemment que le succès des groupes terroristes dépend bien souvent de leur aptitude à protéger leur identité et leur sécurité pendant qu'ils poursuivent leurs activités dans une société moderne ...
30. Il sied que le mandat d'un service de sécurité prévoie la collecte de renseignements sur l'activité terroriste au Canada (y compris l'activité de ceux qui fomentent ces actes et qui les appuient), que l'activité en question soit dirigée contre des Canadiens ou des étrangers ou contre des gouvernements cana-
s Commission McDonald [Commission d'enquête sur certai- nes activités de la Gendarmerie royale du Canada], deuxième rapport, août 1981, Vol. 1, aux p. 435 et 436.
diens ou étrangers. Devant la montée en flèche du terrorisme international, il ne faut pas que le Canada devienne le havre se réfugient ceux qui ont recours aux méthodes de terrorisme pour faire mousser leurs idéaux politiques dans d'autres pays.
Par conséquent, je dois, avec égard, refuser d'appliquer, comme m'y invite l'avocat du requé- rant, la jurisprudence du Code criminel à un mandat délivré en vertu de la Loi sur le SCRS. A mon avis, le législateur fédéral, en adoptant la Loi sur le SCRS, édictait un code de complet concer- nant les menaces envers la sécurité du Canada définies dans la Loi. Par conséquent, je pense que la validité d'un mandat visé par l'article 21 doit être établie dans le cadre des exigences énoncées dans la Loi sur le SCRS et non par analogie avec quelqu'autre législation dont les objectifs et la raison d'être sont complètement différents. Comme, à mon avis, les critères de la Loi sur le SCRS ont été respectés, je ne trouve aucun mérite à cet argument.
(A) (ii) Absence d'indication de la «menace» pré- tendue à laquelle le mandat se rapporterait
Pour bien apprécier cet argument, il est néces- saire, à mon avis, de reproduire la définition de l'expression «menaces envers la sécurité du Canada» que l'on trouve à l'article 2 de la Loi sur le SCRS. En voici le libellé:
2....
«menaces envers la sécurité du Canada»
Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les
activités suivantes:
a) l'espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudi- ciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d'espionnage ou de sabotage;
b) les activités influencées par l'étranger qui touchent le Canada ou s'y déroulent et sont préjudiciables à ses inté- rêts, et qui sont d'une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;
e) les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de mena ces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger;
d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnelle- ment établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.
La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités mention- nées aux alinéas a) à d).
L'avocat du requérant fait valoir que le mandat en cause n'indique pas à quelle menace prétendue le mandat se rapporte et que ce «vice» entraîne irrémédiablement sa nullité. Ici encore, dans cet argument, le requérant se fonde sur le droit régis- sant les perquisitions et les saisies prévues au Code criminel, selon lequel l'infraction doit être expres- sément énoncée dans le mandat. On dit qu'un mandat comme celui-ci, qui se borne à reprendre l'une des définitions de l'article 2 sur les «menaces envers la sécurité du Canada», est tellement large dans sa description de la «menace» prétendue qu'en fait il confère au service un blanc-seing échappant à tout contrôle judiciaire. Selon l'avocat, les tribu- naux d'habitude cassent les mandats dont le libellé est aussi vague et qui sont délivrés en vertu du Code criminel.
Je ne saurais souscrire à cet argument. Pour les raisons données précédemment au paragraphe A(i) ci-dessus, je suis d'avis que la validité d'un mandat décerné au SCRS ne doit pas être établie en fonction des normes du droit criminel. Il est plus approprié, à mon avis, de s'en remettre à la Loi sur le SCRS elle-même pour établir si ce moyen peut être retenu. Elle ne requiert pas une description de la «menace envers la sécurité du Canada» plus précise que ne le fait le mandat en cause, quand il indique que la menace qui fait l'objet de l'enquête est visée à l'alinéa c) de l'article 2. Comme il a été noté ci-dessus, le paragraphe 21(4) précise les éléments obligatoires du mandat décerné en vertu du paragraphe 21(3). Une description plus précise de la «menace» n'est pas prévue dans cette énumé- ration. Lorsqu'on se rappelle que le Service a pour objet la détection et la prévention, par opposition à l'arrestation après le fait, il devient évident qu'une description plus précise serait impossible. Je sup pose que le Service, au moment il demande un mandat en vertu de l'article 21, pourrait sans doute qualifier les activités qu'il entend surveiller «d'actes de terrorisme» ou «d'atteintes à l'État canadien», mais des descriptions de ce genre sont encore moins précises que les quatre définitions apparaissant à l'article 2 de la Loi sur le SCRS. Étant donné que la collecte des renseignements de sécurité est une tâche de longue haleine et une activité permanente, embrassant divers genres et sources d'information, il s'ensuit, à mon avis, que les activités de contre-espionnage doivent nécessai- rement avoir un contour plus flou que la surveil-
lance exercée en vertu du Code criminel. C'est pour ces raisons, à mon avis, que le législateur est délibérément resté dans les généralités dans sa définition des «menaces» et qu'il n'a pas prévu un contenu obligatoire plus spécifique pour le mandat.
L'avocat du procureur général du Canada a rappelé qu'en dépit des dispositions de l'alinéa 178.13(2)a) du Code criminel, qui obligent le juge qui décerne le mandat à indiquer l'infraction sus ceptible de donner lieu à l'interception de commu nications privées, en pratique, la description donnée en application de cette disposition est sem- blable à celle qui figure dans le mandat contesté en l'espèce. Il a cité l'affaire Regina v. Welsh and Ianuzzi (No. 6) (1977), 32 C.C.C. (2d) 363 (C.A. Ont.), à la page 366, la description de l'infrac- tion se lit comme suit: [TRADUCTION] «(a) s'être livré au bookmaking, en contravention de l'article 186(1)e) du Code criminel du Canada». De même dans un autre arrêt de la Cour d'appel de l'Onta- rio, Regina v. Finlay and Grellette (1985), 23 C.C.C. (3d) 48, la page 52, la première infrac tion est décrite comme suit: [TRADUCTION] «(a) complot d'importation de stupéfiants en contraven tion de l'article 423(1)d) du Code criminel». Dans ces deux arrêts, d'autres infractions en cause étaient elles aussi énoncées dans un style sembla- ble. L'avocat résume son argument comme il suit: [TRADUCTION] ... en énonçant l'infraction susceptible de donner lieu à l'interception de communications privées, les autorisations d'écoute électronique suivent d'habitude la termi- nologie du Code, citant l'article du Code criminel applicable, soit la pratique même que le requérant condamne en l'espèce.
Par tous ces motifs, donc, je rejette ce moyen.
(A) (iii) Absence d'indication d'un rapport entre les saisies et les objets reliés à la menace prétendue
L'avocat du requérant conteste le mandat en cause parce qu'il ne limiterait pas les saisies de communications orales ou écrites ou de pièces à celles qui ont un rapport avec la menace préten- due. D'après lui, le mandat est tellement large qu'il ne tient aucun compte du régime de contrôle judiciaire envisagé par l'article 21. Plus précisé- ment, il soutient que le libellé du mandat ne précise pas suffisamment «les catégories de com munication dont l'interception est autorisée» ni «les catégories d'information dont l'acquisition est
autorisée». Par conséquent, à son avis, le mandat en cause est si général qu'il en devient invalide.
Pour évaluer la validité de ces arguments, il est nécessaire, à mon avis, d'étudier le mandat en cause à la lumière des exigences du paragraphe 21(4) de la Loi. L'alinéa a) du paragraphe 21(4) exige que soient indiquées les catégories de com munication dont l'interception doit être autorisée. La clause A du mandat précise qu'est autorisée l'interception des «communications orales et télé- communications du sujet qui ont lieu au Canada», c'est-à-dire celles du requérant en l'espèce. Comme le fait remarquer l'avocat du procureur général du Canada, le libellé du mandat en l'espèce est quasi identique à celui des autorisations d'écoute électro- nique qu'emploient les tribunaux 6 . En outre, la première condition du mandat en cause confère une garantie supplémentaire pour la vie privée des tiers non impliqués. A mon avis, cette première condition n'est pas requise en vertu des dispositions de la Loi sur le SCRS ni se retrouve-t-elle dans la jurisprudence canadienne citée ci-dessus. Néan- moins elle a été ajoutée comme garantie supplé- mentaire à l'égard des tiers innocents.
Lorsqu'on se rappelle que la collecte des rensei- gnements de sécurité est habituellement une acti- vité à long terme, mettant en cause de nombreux genres et sources différents d'information, et qu'il est difficile d'identifier les cibles à surveiller, les termes larges utilisé au paragraphe (4) de l'article 21 se comprennent et se justifient à mon avis. Par exemple, l'alinéa 21(4)b) demande d'indiquer l'identité de la cible, «si elle est connue». L'alinéa 21(4)d) réclame une description générale du lieu le mandat pourra être exécuté, «si possible». La menace au sujet de laquelle le mandat en cause a été délivré est reliée à la violence et au terrorisme politiques. La Commission McDonald a constaté que durant la dernière décennie le terrorisme avait constitué la menace la plus grave qui ait mis en péril la sécurité du Canada. Elle a conclu que la sécurité du Canada exigeait que soient détectées les activités des individus qui appartiennent à des groupes terroristes ou les soutiennent, lesquels peu- vent être forts actifs avant que ne soit commise
6 Voir par exemple: Regina y. Finlay and Grellette, précité, à la p. 53; Regina v. Welsh and Ianuzzi (No. 6), précité, à la p. 366; Lyons et autres c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633, aux
p. 645 et 646; 15 C.C.C. (3d) 417, la p. 427, par le juge Estey.
une infraction criminelle. Pour cette raison, l'inter- ception des communications de la cible et de celle qui lui sont destinées ne peut, nécessairement, faire l'objet d'une grande précision. La nature même de l'enquête et de la prévention du terrorisme exige un large pouvoir d'interception. À mon avis, le libellé de la clause A est conforme à toutes les dispositions du paragraphe 21(4) lorsqu'on en fait une interprétation honnête. Les catégories de com munication y sont précisées comme le requiert l'alinéa a). L'identité de la cible est donnée comme le requiert l'alinéa b) et une description générale des lieux le mandat pourra être exécuté est donnée comme le veut l'alinéa d). Le mandat est conforme aussi aux alinéas c),e) et f). Quant à la clause B, je conclus qu'elle est conforme au para- graphe 21(4) pour les raisons données ci-dessus à l'égard de la clause A.
L'avocat du procureur général, dans son mémoire, fait valoir que toute mise en cause de la validité de la clause B du mandat est sans objet et purement théorique, puisqu'aucun des pouvoirs autorisés en vertu de cette clause n'a été exercé en l'espèce. Cet argument me paraît difficilement recevable puisque je doute que la validité formelle du mandat puisse dépendre de la mesure dans laquelle les pouvoirs qu'il confère sont exercés. Quoi qu'il en soit, puisque à mon avis, pour les raisons données ci-dessus, tant les clauses A que B du mandat en cause sont valides, il n'est pas nécessaire de supprimer une partie quelconque du mandat bien que cela semble possible en raison de l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Grabowski 7 .
(A) (iv) Le secret professionnel de l'avocat
L'avocat du requérant soutient que le mandat en cause viole le secret professionnel de l'avocat en permettant et en autorisant la saisie de communi cations orales et écrites privilégiées. À son avis, il n'y a aucune disposition dans la Loi sur le SCRS qui autorise l'interception d'une consultation licite entre la cible et son avocat. Par conséquent, dit-on, la common law prévaut et protège ces conversa tions de toute intrusion. L'avocat du requérant s'appuie en cela sur l'arrêt de la Cour suprême du
Grabowski c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 434, à la p. 453; 22 C.C.C. (3d) 449, à la p. 463.
Canada dans l'affaire Descôteaux 8 . Il s'agissait dans cette affaire d'un mandat de perquisition délivré en vertu de l'article 443 du Code criminel. Aux pages 875 R.C.S.; 400 C.C.C., M. le juge Lamer énonce quatre règles sur les circonstances dans lesquelles et sur la mesure dans laquelle les communications intervenant entre l'avocat et son client doivent être protégées. Ces règles sont ainsi conçues:
1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances ces communica tions seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consente- ment du client;
2. A moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;
3. Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confiden- tialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolu- ment nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;
4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées respectivement.
Le requérant invoque la règle 2 énoncée ci-des- sus par le juge Lamer. Toutefois, à mon avis, la règle 2 ne s'applique pas au mandat délivré en vertu de la Loi sur le SCRS en raison des disposi tions du paragraphe 21(3) de cette Loi in limine: «Par dérogation à toute autre règle de droit, mais sous réserve de la Loi sur la statistique». À mon avis, la prépondérance à laquelle ces termes font clairement allusion montre bien que le législateur fédéral a voulu que toutes les autres règles de droit du Canada, qu'il s'agisse de droit législatif ou de common law, doivent être considérées comme assujetties au pouvoir conféré à un juge, en vertu de cet article, de délivrer un mandat. En raison de cette prépondérance donc, il est douteux que les
8 Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; 70 C.C.C. (2d) 385.
dispositions du Code criminel et la jurisprudence qui en découle aient quelque application en l'espè- ce 9 . Néanmoins, présumant que sont applicables les critères de l'arrêt Descôteaux, celui qui nous intéresse me semble être le troisième, c'est-à-dire celui qui introduit la notion selon laquelle le Ser vice, lorsqu'il est autorisé comme en l'espèce à violer le secret professionnel que l'avocat doit à son client, ne doit être autorisé à le faire que «dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante».
La question qui se pose donc est de savoir si le mandat en cause satisfait au critère de proportion- nalité. Les conditions II et III du mandat portent sur le secret professionnel de l'avocat. Comme l'a noté l'avocat du procureur général du Canada, la terminologie de la condition II rappelle à certains égards celle utilisée au paragraphe 178.13(1.1) du Code. Néanmoins ce paragraphe, comme l'a noté l'avocat du requérant, est plus limitatif puisque le pouvoir d'interception conféré ne vise que les cas le requérant est convaincu, pour des motifs raisonnables, qu'un avocat, un de ses employés ou une personne qui habite sa résidence «est partie à l'infraction ou s'apprête à le devenir». Par consé- quent, la condition Il en elle-même représenterait donc une garantie moindre du secret professionnel de l'avocat que la norme prévue au Code criminel. Toutefois, la condition II n'est pas la seule en cause. Elle est accompagnée de la condition III. Cette dernière n'apparaît dans aucun des mandats en cause dans la jurisprudence découlant du Code criminel que l'on m'a citée. C'est pourquoi je pense que l'adjonction de la condition III accroît consi- dérablement la protection conférée au secret pro- fessionnel de l'avocat. À cet égard, je considère instructif l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Solosky c. La Reine 10 . Dans cet arrêt, il était question de l'interception de la cor- respondance échangée entre un détenu dans un pénitencier fédéral et son avocat. L'interception et
9 Lorsqu'on raisonne par analogie, comparant les dispositions du Code criminel et celles de la Loi sur le SCRS relatives à l'interception des communications, les dispositions de l'article 26 de la Loi sur le SCRS doivent aussi être gardées à l'esprit. Cet article est ainsi conçu: «La partie IV.I du Code criminel ne s'applique pas à une interception de communication autorisée par un mandat décerné en vertu de l'article 21 ni à la communi cation elle-même.»
10 [1980] 1 R.C.S. 821; 50 C.C.C. (2d) 495.
l'ouverture du courrier du détenu étaient autori- sées par un certain règlement pris en application de la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6]. La justification de ces mesures, disait-on, était: «la rééducation et la réadaptation du détenu ou la sécurité de l'institution». Le juge Dickson (tel était alors son titre), rendant l'arrêt de la Cour au nom de la majorité, dit (aux pages 837 et 838 R.C.S.; 509 C.C.C.):
En l'espèce, la complication découle de la situation unique du détenu. Son courrier est ouvert et lu en raison des exigences de la sécurité de l'institution et non en vue d'être utilisé dans des procédures judiciaires. Tout ceci se passe à l'intérieur de la prison et, par conséquent, loin d'un tribunal ou d'un organisme quasi judiciaire. Il est difficile de voir comment cela met en jeu le privilège, à moins que l'on veuille totalement le transformer pour en faire une règle de propriété, dépouillée de tout fonde- ment dans la preuve.
Et, aux pages 840 R.C.S.; 511 C.C.C.:
Il en résulte, selon moi, que la Cour se trouve dans l'obliga- tion de peser l'intérêt public qui veut le maintien de la sécurité et de la sûreté de l'institution carcérale, de son personnel et de ses détenus, et l'intérêt représenté par la protection de la relation avocat-client. Même si l'on reconnaît pleinement le droit d'un détenu de correspondre librement avec son conseiller juridique et la nécessité d'en déroger au minimum, la balance doit, en fin de compte, pencher en faveur de l'intérêt public. Mais l'intervention ne doit pas aller au-delà de ce qui est essentiel au maintien de la sécurité et à la réadaptation du détenu.
Le juge s'est penché ensuite sur la question de savoir quel type de mécanisme permettrait d'éta- blir le genre d'équilibre qui s'impose dans les circonstances. Aux pages 841 et 842 R.C.S.; 512 C.C.C., il propose la démarche suivante:
(i) le contenu d'une enveloppe puisse être inspecté pour déceler la contrebande; (ii) dans des cas limités, la communication puisse être lue pour s'assurer qu'elle renferme effectivement une communication à caractère confidentiel entre l'avocat et son client aux fins de consultation ou d'avis juridiques; (iii) la lettre ne soit lue que s'il existe des motifs raisonnables et probables de croire le contraire et, dans ce cas, uniquement dans la mesure nécessaire pour déterminer la bonne foi de la communication; (iv) le fonctionnaire compétent du pénitencier qui examine l'enveloppe, après s'être assuré que cette dernière ne renferme rien qui enfreigne la sécurité, ait l'obligation légale de garder la communication confidentielle.
L'avocat du procureur général de la Colombie-Bri- tannique souligne que la condition III du mandat en cause présente une [TRADUCTION] «ressem- blance remarquable» avec les directives données par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Solosky,
précité. Ce n'est pas par hasard. En effet, la condition III représente une tentative de suivre la méthode exposée par le juge en chef du Canada dans cet arrêt-là.
En l'espèce, les intérêts opposés sont l'intérêt qu'a le public notamment dans la détection et la prévention du terrorisme politique au Canada et dans la collecte de renseignements concernant les activités de terroristes au Canada, que ces activités visent des Canadiens, des gouvernements cana- diens, des étrangers ou des gouvernements étran- gers, d'une part et l'intérêt qu'il y a à protéger les relations qui existent entre avocat et client d'autre part.
Au vu de l'affidavit produit à l'appui du mandat décerné en l'espèce, j'ai été convaincu, et je le suis encore, que le déposant avait des motifs raisonna- bles, lesquels ont été exposés d'une façon très détaillée, de croire à la nécessité d'obtenir un mandat en vertu de l'article 21 afin de permettre au Service de faire enquête sur la menace envers la sécurité du Canada visée par l'alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS. La condition III autorise un haut fonctionnaire du SCRS à intercepter notamment une communication orale à seule fin de déterminer si cette communication se rapporte à la menace envers la sécurité du Canada mentionnée dans le mandat. Si l'on conclut que ce n'est pas le cas, tout ce qui a trait à cette communication doit être détruit et il sera dès lors défendu d'en divulguer la teneur. Si, par contre, il est décidé que- la commu nication interceptée se rapporte vraiment à la menace envers la sécurité faisant l'objet de l'en- quête, alors son interception est autorisée par le mandat. Comme je l'ai fait remarquer plus haut, de tous les enregistrements et transcriptions de télécommunications en litige, seules deux conver sations téléphoniques mettent en cause un avocat. Les conditions énoncées à la condition III ont été respectées et, dans chaque cas, on a conclu que ni l'une ni l'autre communication n'avait trait à la menace envers la sécurité visée par le mandat en cause. Par conséquent, conformément à la condi tion III, la partie du ruban magnétique contenant les communications avec un avocat a été effacée. Seul l'agent du SCRS qui avait reçu l'autorisation à cet effet a écouté les deux conversations échan- gées avec un avocat et leur teneur n'a été révélée ni à la police ni à l'avocat de la Couronne (voir
l'affidavit de Daniel Patrick Murphy en date du 24 mars 1987).
À mon avis, les conditions II et III établissent un équilibre raisonnable entre les intérêts opposés dont il s'agit en l'espèce. Que la condition III ait été suivie de la manière prévue et que cela n'ait occasionné qu'une atteinte minime au secret pro- fessionnel de l'avocat témoigne peut-être du carac- tère raisonnable de ce compromis, qui est fort semblable au mécanisme proposé par le juge en chef Dickson. La détection et la prévention du terrorisme politique constituent un intérêt public vital auquel il faut reconnaître une grande impor tance si on le compare à une atteinte possible au caractère confidentiel des relations entre avocat et client.
L'avocat du requérant, dans sa réplique au cours des débats oraux devant moi, a souligné que les arrêts Descôteaux et Solosky datent tous les deux d'avant la Charte. Je suis toutefois d'accord avec l'avocat du procureur général de la Colombie-Bri- tannique pour dire que l'arrêt R. v. Finlay and Grellette, précité, de la Cour d'appel de l'Ontario, établit d'une manière convaincante que la Charte n'a rien changé au droit applicable aux communi cations entre avocat et client. Dans cet arrêt, on a jugé constitutionnelle la Partie IV.I du Code, qui renferme le paragraphe 178.13(1.1). Quoique la condition II du mandat en cause puisse offrir moins de protection que le paragraphe 178.13(1.1), la condition III, pour les raisons déjà exposées, protège beaucoup mieux le secret profes- sionnel de l'avocat. Je conclus en conséquence que l'entrée en vigueur de la Charte n'a eu aucun effet sur la pertinence de la jurisprudence invoquée en l'espèce à l'appui de la validité du mandat en question du point de vue du caractère confidentiel des relations entre avocat et client.
(B) FOUILLES, PERQUISITIONS OU SAISIES ABUSI- VES—ARTICLE 8 DE LA CHARTE
Le requérant soutient que le mandat contesté viole l'article 8 de la Charte". L'article 21 de la Loi sur le SCRS présente un vice et va donc à l'encontre de l'article 8 de la Charte car il n'exige pas que le président du tribunal soit convaincu:
" L'article 8 est libellé comme suit: «Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives.» -
(i) qu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction a été commise; et
(ii) qu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu'un élément de preuve de l'infraction se trouve à l'endroit de la perquisition.
Cette allégation se fonde principalement sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'af- faire Hunter et autres c. Southam Inc. 12 . De l'avis de l'avocat du requérant, cet arrêt prévoit quatre exigences principales pour qu'une fouille, une per- quisition ou une saisie visée à l'article 8 soit valide:
a) il doit y avoir autorisation préalable de la fouille, de la perquisition ou de la saisie, lorsque c'est possible;
b) c'est un juge ou au moins une personne en mesure d'agir de façon judiciaire qui doit décider si l'autorisation préalable doit être accordée;
c) la décision doit être fondée sur des éléments de preuve fournis sous serment; et
d) [TRADUCTION] «le critère objectif sur lequel cette décision doit être fondée doit comprendre des motifs raisonnables et probables de croire qu'un élément de preuve de l'infraction se trouve à l'endroit de la perquisition» 13 .
L'avocat du requérant admet que l'article 21 de la Loi sur le SCRS satisfait clairement aux exigences exposées aux alinéas a), b) et c) précitées. Son allégation porte exclusivement sur le paragraphe
d) précité.
L'avocat qui représente le procureur général du Canada convient que l'écoute électronique autori- sée sous le régime de la Loi sur le SCRS constitue une «fouille, [une] perquisition ou [une] saisie» au sens de l'article 8 de la Charte. Toutefois, il sou- tient que l'article 21 de la Loi sur le SCRS est conforme à l'article 8.
L'avocat qui représente le procureur général de la Colombie-Britannique, bien qu'il n'estime pas que l'article 8 de la Charte protège le droit à la vie privée relativement à l'interception des communi cations, fait valoir que, néanmoins, la Partie II de la Loi sur le SCRS respecte l'article 8. De plus, il soutient ce qui suit:
[TRADUCTION] Sans admettre, même un instant, que la Loi sur le SCRS peut, de quelque façon, aller à l'encontre de l'un quelconque des droits et libertés garantis par la Charte, on allègue que, de toute façon, l'article 1 de la Charte la maintien- drait. Force nous est de conclure que, au nom de la sécurité nationale, dont la protection est si nettement dans l'intérêt de toute société libre et démocratique, l'objectif de la Loi sur le SCRS est suffisamment important pour l'emporter sur un droit
12 [1984] 2 R.C.S. 145; 14 C.C.C. (3d) 97.
13 Voir le mémoire du requérant au par. 25d), p. 20.
ou une liberté garantis par la Constitution; nous faisons valoir également que les moyens choisis—c'est-à-dire le recours à un mandat autorisé par voie judiciaire—sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer ' 4 .
L'arrêt de la Cour suprême du Canada qui fait jurisprudence en ce qui concerne l'article 8 est, naturellement, l'arrêt Southam, précité. Dans cette affaire, le directeur des enquêtes et recher- ches nommé en vertu de la Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23] enquêtait conformément à cette Loi, sur des infractions qui étaient censées avoir été commises par Southam. Il avait, conformément au pouvoir que lui conférait la Loi, délivré un certificat per- mettant d'entrer dans des bureaux occupés par Southam. La question en litige était de savoir si les dispositions législatives servant de fondement au certificat étaient invalides pour le motif qu'elles violaient l'article 8 de la Charte. Cependant, pour les fins qui nous occupent, les principes généraux énoncés par la Cour relativement à la portée qu'il faut donner aux droits visés par l'article 8 sont plus importants que la solution précise adoptée dans l'affaire elle-même. Les motifs du jugement de la Cour ont été exposés par le juge Dickson (tel était alors son titre). Il a souligné, aux pages 159 et 160 R.C.S.; 108 C.C.C.:
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonna- blement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.
Et il a ajouté, aux pages 168 R.C.S.; 115 C.C.C.:
Si le droit de l'État ne consistait pas simplement à appliquer la loi comme, par exemple, lorsque la sécurité de l'Etat est en cause ... le critère pertinent pourrait fort bien être différent.
La présente affaire et la loi dont il est ici question concernent effectivement la sécurité de l'Etat. Par conséquent, la remarque incidente susmentionnée est particulièrement pertinente en l'espèce.
14 Voir: Plaidoiries écrites de l'avocat qui représente le procu- reur général de la Colombie-Britannique, au par. 53, p. 26.
Ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer, il ressort de l'évolution de la Loi sur le SCRS que le Parle- ment, en adoptant cette Loi, a accordé au Service le pouvoir d'enquêter sur les menaces envers la sécurité du Canada dans le but de maintenir son régime et ses institutions démocratiques et égale- ment de préserver l'intégrité du Canada à l'étran- ger. Comme l'a noté l'avocat représentant le pro- cureur général du Canada, le Service n'est pas chargé de l'application des lois du Canada. Il a pour mandat de recueillir des informations et des renseignements de sécurité concernant les menaces envers la sécurité du Canada et d'en rendre compte aux ministères concernés du gouvernement du Canada. En plus des exigences relatives à l'au- torisation préalable qui doit être accordée par un juge et fondée sur des éléments de preuve fournis sous serment, le Service est soumis, dans ses activi- tés, à la surveillance de l'inspecteur général (arti- cles 30 à 33 inclusivement de la Loi sur le SCRS). L'inspecteur général est tenu de présenter au solli- citeur général un rapport annuel sur les activités du Service. En outre, la loi prévoit, aux articles 34 à 40 inclusivement, la création d'un comité connu sous le nom de comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Selon l'article 34, les membres de ce comité sont nommés par le gouver- neur en conseil «parmi les membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada qui ne font partie ni du Sénat ni de la Chambre des communes. Cette nomination est précédée de consultations entre le premier ministre du Canada, le chef de l'opposition à la Chambre des communes et le chef de chacun des partis qui y disposent d'au moins douze députés». En outre, le comité de surveillance a le pouvoir de «surveiller la façon dont le Service exerce ses fonctions» (article 38). À mon avis, il semble évident que le Parlement, en adoptant la Loi sur le SCRS, a conçu un système détaillé, bien étudié et prudent de freins et de contrepoids qui, tout en permettant au Service de remplir son mandat, a prévu en même temps des garanties adéquates afin de protéger les droits et libertés individuels prévus par la Charte.
Si l'on tient compte des déclarations de l'actuel juge en chef du Canada dans l'arrêt Southam, précité, et du système complexe établi par la Loi sur le SCRS, je crois possible de soutenir de façon convaincante que, dans la mesure la Loi sur le SCRS est concernée, un critère moins strict que
celui qui a été établi dans l'affaire Southam pour- rait satisfaire aux exigences de l'article 8 de la Charte. Toutefois, selon ma perception de l'affaire, il n'est pas nécessaire de se livrer à un tel travail en l'espèce car je suis persuadé que les critères énon- cés dans l'affaire Southam ont été respectés. Aucune des deux raisons invoquées ci-dessus par l'avocat du requérant ne me convainc qu'il y a eu violation de l'article 8 en l'espèce ou que les critè- res établis dans l'affaire Southam n'ont pas été respectés. Cependant, pour ne rien laisser de côté, je traiterai expressément des deux vices allégués par l'avocat du requérant:
(i) L'article 21 présente un vice parce qu'il n'exige pas que le président du tribunal soit convaincu qu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction a été commise.
Il faut d'abord noter que la disposition pertinente de la Loi sur le SCRS, à savoir l'alinéa 21(2)a), exige que le déposant énonce les faits sur lesquels il s'appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada. Donc, l'exigence prévue au paragraphe 21(3) selon laquelle le juge doit être convaincu de l'existence des faits mentionnés à l'alinéa (2)a) de l'article 21 vise des menaces et non pas des infractions. Je ne puis rien trouver dans l'économie de la Loi qui exige que des élé- ments de preuve de la perpétration d'une infrac tion soient présentés au tribunal lors de la déli- vrance d'un mandat visé à l'article 21. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, la sécurité de l'État ne met pas l'accent sur la réaction à des événements. Elle cherche plutôt à être prévenue à l'avance des menaces envers la sécurité et ne s'intéresse pas nécessairement aux infractions à la loi. Le proces- sus de la sécurité est habituellement, de par sa nature même, un processus plus long. Cela expli- que les dispositions de la Loi sur le SCRS qui permettent au tribunal de délivrer des mandats pour une période ne dépassant pas un an, sauf dans le cas de menaces prévues à l'alinéa (2)d), la période maximale étant alors de soixante jours (voir le paragraphe 21(5)). S'il est certes possible qu'il y ait infraction au Code criminel lorsque se produisent des activités comportant des menaces, il est également possible que de telles activités se produisent sans qu'il y ait violation du Code crimi- nel et, comme on l'a dit plus haut, il serait proba ble que, dans certains cas, des activités comportant
des menaces précèdent quelque infraction au Code criminel. En outre, la mention d'une «infraction» au critère d) établi dans l'arrêt Southam était pertinente dans cette décision mais elle ne s'appli- que pas nécessairement en l'espèce, car la Loi vise des objectifs tout à fait différents. Les critères énoncés dans l'affaire Southam ne s'appliquent pas nécessairement avec les adaptations de circons- tance lorsque l'examen porte sur un cadre législatif complètement différent. Le juge en chef Dickson l'a bien précisé dans le passage précité à la page 159 de ses motifs lorsqu'il a mentionné que l'ap- préciation doit se faire «dans une situation donnée».
Comme j'étais convaincu au moment de la déli- vrance du mandat contesté et je reste convaincu de l'existence des faits mentionnés à l'alinéa (2)a) de l'article 21, il y a donc conformité avec les disposi tions de la Loi, qui ne doivent pas nécessairement coïncider avec les critères établis dans l'affaire Southam en ce qui concerne les questions relevant du Code criminel.
(ii) L'article 21 présente un vice parce qu'il n'exige pas que le président du tribunal soit convaincu qu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu'un élément de preuve de l'infraction se trouve à l'endroit de la perquisition.
La conclusion à laquelle j'en suis venu au paragra- phe (i) ci-dessus selon laquelle le critère établi dans la Loi sur le SCRS porte sur les menaces envers la sécurité du Canada plutôt que les infrac tions relevant du droit pénal, s'applique également à l'allégation soutenue à la rubrique (ii) ci-dessus. Je ne vois donc aucune valeur à cette dernière allégation pour les raisons exprimées au paragra- phe (i) ci-dessus. En outre, je note que les exigen- ces prévues aux alinéas 21(2)f) et 21(4)f) relative- ment au lieu d'exécution du mandat ont été respectées dans l'affidavit justificatif en l'espèce, et je considère qu'il s'agit d'exigences raisonnables dans le contexte de la sécurité nationale. Ce qui est abusif dans le cadre de l'application de la loi ne l'est pas nécessairement dans le contexte de la législation concernant la sécurité de l'État. Le contraire est également vrai. À titre d'exemple, je me reporte à l'exigence prévue au paragraphe 21(3) selon laquelle le juge doit, avant de délivrer un mandat, être convaincu de l'existence des faits mentionnés, entre autres, à l'alinéa (2)b) de l'arti- cle 21. L'alinéa (2)b) exige que l'affidavit du demandeur porte sur:
21. (2) ...
b) le fait que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l'urgence de l'affaire est telle qu'il serait très difficile de mener l'enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ... ne pourraient être acquises;
À mon avis, c'est une garantie hautement souhaitable et innovatrice conçue par le législateur afin de répondre à la nature particulière des activi- tés envisagées et autorisées par la Loi sur le SCRS. Cet alinéa indique bien que le législateur reconnaît que les pouvoirs accordés par un mandat décerné en application de la Loi sur le SCRS sont très vastes et gênants. Par conséquent, il exige que le déposant justifie dans des termes précis ces pou- voirs qu'il tente d'obtenir. Les conditions énumé- rées à l'alinéa (2)b) sont les suivantes: le fait que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès; le fait que l'urgence de l'affaire est telle qu'il serait très difficile de ne recourir qu'à des méthodes plus classiques; ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernent les menaces envers la sécurité mentionnées dans l'affidavit ne pourraient être acquises. Comme c'est le cas en ce qui concerne l'alinéa (2)a) de l'article 21, j'étais convaincu au moment de la délivrance du mandat et je reste convaincu des faits mentionnés à l'alinéa (2)b) de l'article 21. À mon avis, lorsqu'on les considère en corrélation avec l'article 8 de la Charte, les méthodes mentionnées (et suivies en l'espèce) dans la Loi sur le SCRS satisfont aux critères applicables au caractère raisonnable que l'article 8 de la Charte exige relativement aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies.
Par conséquent, et pour toutes les raisons sus- mentionnées, je conclus que les dispositions de l'article 8 de la Charte n'ont pas été violées en l'espèce.
(C) VALIDITÉ DE L'ORDONNANCE EX PARTE FONDÉE SUR UN EXAMEN APPROFONDI DE L'AF- FIDAVIT DÉPOSÉ À L'APPUI DE LA DEMANDE D'UN MANDAT
Comme l'a souligné l'avocat du requérant, cet argument ne peut être avancé que si l'on divulge à ce dernier l'affidavit déposé à l'appui du mandat
décerné en l'espèce. Cela soulève, pour la première fois, la question de la divulgation de l'affidavit prévu au paragraphe 21(2), que doit produire le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre. L'article 27 de la Loi exige qu'une demande fondée sur l'article 21 «est entendue à huis clos en conformité avec les règlements d'appli- cation de l'article 28». À ce jour, aucun règlement de la sorte n'a été promulgué et, autant que je sache, les affidavits produits à l'appui des deman- des de mandats fondées sur l'article 21 n'ont pas été divulgués.
À mon avis, cet aspect du litige soulève deux questions fondamentales:
(i) Le procureur général du Canada s'est-il opposé devant cette Cour à la divulgation de l'affidavit produit par Archie M. Barr, un employé du Service désigné à cette fin par le solliciteur général du Canada en vertu du para- graphe 21(1) de la Loi sur le SCRS (l'affidavit Barr) dans le cadre de la présente demande fondée sur la Règle 330, en attestant verbale- ment ou par écrit qu'une telle divulgation porte- rait préjudice à la sécurité nationale et en invo- quant ainsi les articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10 (ajoutés par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)]?
(ii) La Cour est-elle tenue d'ordonner la divul- gation ou peut-elle, à sa discrétion, ordonner que l'affidavit ne soit pas divulgué?
J'examinerai chacun de ces questions séparément.
(i) Le procureur général du Canada s'est-il opposé à la divulgation de l'affidavit Barr en vertu des articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada?
Les articles 36.1 et 36.2 portent:
36.1 (1) Un ministre de la Couronne du chef du Canada ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public déterminées. [C'est moi qui souligne.]
(2) Sous réserve des articles 36.2 et 36.3, dans les cas l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseigne- ments et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en
l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation.
(3) Sous réserve des articles 36.2 et 36.3 dans les cas l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant le tribu nal, un organisme ou une personne qui ne constituent pas une cour supérieure, la question peut être décidée conformément au paragraphe (2), sur demande, par:
a) la Division de première instance de la Cour fédérale dans les cas l'organisme ou la personne investis du pouvoir de contraindre à la production de renseignements en vertu d'une loi du Parlement ne constituent pas un tribunal régi par le droit d'une province; ou
b) la division ou cour de première instance de la cour supérieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal, l'organisme ou la personne ont compétence, dans les autres cas.
(4) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (3) peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais la cour saisie peut modifier ce délai si elle l'estime indiqué dans les circonstances.
(5) L'appel des décisions rendues en vertu des paragraphes (2) ou (3) se fait:
a) devant la Cour d'appel fédérale pour ce qui est de celles de la Division de première instance de la Cour fédérale; ou
b) devant la cour d'appel d'une province, pour ce qui est de celles de la division ou cour de première instance d'une cour supérieure d'une province.
(6) Le délai dans lequel l'appel prévu au paragraphe (5) peut être interjeté est de dix jours suivant la date de la décision frappée d'appel, mais la cour d'appel peut le proroger si elle l'estime indiqué dans les circonstances.
(7) Nonobstant toute autre loi du Parlement:
a) le délai de demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada est de dix jours suivant le jugement frappé d'appel, visé au paragraphe (5), mais la cour compé- tente pour autoriser l'appel peut proroger ce délai si elle l'estime indiqué dans les circonstances; et
b) dans les cas l'autorisation est accordée, l'appel est interjeté conformément au paragraphe 66(1) de la Loi sur la Cour suprême, mais le délai qui s'applique est celui qu'a fixé la cour qui a autorisé l'appel.
36.2 (1) Dans les cas l'opposition visée au paragraphe 36.1(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la question peut être décidée conformément au paragraphe 36.1(2), sur demande, mais uniquement par le juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de cette cour qu'il charge de l'audition de ce genre de demande.
(2) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (1) peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette cour qu'il charge de l'audition de ce genre de demande peut modifier ce délai s'il l'estime indiqué.
(3) Il y a appel de la décision visée au paragraphe (1) devant la Cour d'appel fédérale.
(4) Le paragraphe 36.1(6) s'applique aux appels prévus au paragraphe (3) et le paragraphe 36.1(7) s'applique aux appels des jugements rendus en vertu du paragraphe (3), compte tenu des adaptations de circonstance.
(5) Les demandes visées au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la Capitale nationale définie à l'annexe de la Loi sur la Capitale nationale si la personne qui s'oppose à la divulgation le demande.
(6) La personne qui a porté l'opposition qui fait l'objet d'une demande ou d'un appel a, au cours des auditions, en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l'absence d'une autre partie.
Le paragraphe 36.1(1) prévoit une attestation ver- bale ou écrite devant la Cour. Il s'agit par consé- quent de déterminer si, en l'espèce, l'avocat du procureur général du Canada a formulé une telle objection devant la Cour, verbalement ou par écrit. Je ne peux me rappeler qu'une telle objection ait été faite verbalement au cours de l'audience, ce que confirme les notes assez détaillées que j'ai prises à ce moment-là. Je suis d'avis qu'il n'y a pas eu non plus d'objection formulée par écrit devant la Cour. Les arguments écrits de l'avocat sur cette question figurent au paragraphe 67 de son exposé des faits et du droit il a déclaré au sujet de la production d'un affidavit secret:
[TRADUCTION] Le Parlement a cependant décidé que lorsque la sécurité nationale est l'un des facteurs en cause, les tribu- naux ne peuvent statuer sur la production ou la protection de documents que conformément aux articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada. Se prononcer sur cet argument présenté par le requérant au soutien de sa preuve, dans le cadre de la présente requête fondée sur la Règle 330 constituerait un mépris inacceptable des lois du Parlement qui visent à protéger les renseignements touchant la sécurité nationale.
À mon avis, ces arguments ne signifient rien d'au- tre que cela et ne peuvent en soi permettre l'appli- cation de l'article 36.1. Cette conclusion est com patible avec la pratique suivie dans toutes les affaires que je connais l'on a soulevé des objec tions fondées sur l'article 36.1 en raison de divul- gations qui porteraient atteinte à la sécurité
nationale 15 . Cette jurisprudence m'incite à con- clure que les termes utilisés à l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada exigent un certain formalisme lorsque la Couronne soulève des objec tions fondées sur l'atteinte à la sécurité nationale. L'objection orale ou écrite à la divulgation doit, à mon avis, être claire et sans équivoque. L'objection formulée au paragraphe 67 précité ne répond pas à ce critère s'il s'agit d'une objection plutôt que d'un argument. Je conclus par conséquent qu'aucune objection fondée sur l'article 36.1 n'a été formulée en l'espèce et que les articles 36.1 et 36.2 ne peuvent donc pas s'appliquer.
(ii) Divulgation des documents—droit du requé- rant ou pouvoir discrétionnaire de la Cour?
La présente requête fondée sur la Règle 330 et visant l'annulation d'une ordonnance ex parte est une procédure civile. Les règles ordinaires de pro- cédure civile devraient par conséquent s'appliquer. Le requérant en l'espèce soutient qu'il a le droit d'avoir accès à tous les documents nécessaires à sa requête en annulation. Il prétend qu'il a un droit absolu à une telle divulgation pour trois motifs:
(a) à moins que la loi n'interdise expressément de divulguer l'affidavit Barr aux fins de la présente requête et étant donné que la divulgation est néces- saire pour que la Règle 330 puisse être utilisée correctement, il faudrait permettre cette divulga- tion;
(b) il existe une présomption en faveur de la transparence des procédures judiciaires et puisque l'affidavit Barr a été déposé devant la Cour à l'appui de la demande du mandat, il s'agit prima facie d'un document public qui devrait être divul- gué; et
(c) la divulgation est nécessaire pour donner effet à l'examen judiciaire de l'ordonnance ex parte originale.
15 Voir: Gold c. La Reine, [1985] 1 C.F. 642; 4 C.P.C. (2d) 20 (1fe inst.); confirmé par [1986] 2 C.F. 129; 25 D.L.R. (4th) 285 (C.A.); Voir également: Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753; 17 C.C.C. (3d) 426 (1fe inst.); Voir également: R. v. Kevork, Balwin et Gharakhanian (1986), 27 C.C.C. (3d) 523 (H.C.J. Ont.); Voir enfin: Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (1fe inst.); confirmé par [1983] 2 C.F. 463; (1984), 10 C.C.C. (3d) 492 (C.A.).
À l'appui des paragraphes (b) et (c) précités, le requérant cite les arrêts Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; 65 C.C.C. (2d) 129 et Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; 9 C.C.C. (3d) 97. Je conviens que règle générale, dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis, le requérant a le droit d'exiger la divulgation de tous les docu ments versés au dossier de la Cour mais je ne suis pas d'accord pour dire que ce droit est absolu. Ce droit général forme la pierre angulaire du concept de l'équité et de la transparence de notre système judiciaire. Dans l'affaire Maclntyre précitée, qui concerne le droit d'un membre du public d'avoir communication des mandats de perquisition expi- rés, le juge Dickson (maintenant juge en chef) a déclaré aux pages 183 et 184 R.C.S.; 144 et 145 C.C.C.:
En raison du petit nombre de décisions judiciaires, il est difficile, et probablement peu sage, de vouloir donner une définition exhaustive du droit de consulter les dossiers judiciai- res ou une délimitation précise des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il faut en permettre la consultation. La question qui nous est soumise est limitée aux mandats de perquisition et aux dénonciations. La solution de cette question me paraît dépendre de plusieurs grands principes généraux, notamment le respect de la vie privée des particuliers, la protection de l'administration de la justice, la réalisation de la volonté du législateur de faire du mandat de perquisition un outil efficace dans la détection du crime et, enfin, d'un principe cardinal d'intérêt public qui consiste à favoriser la «transpa- rence» des procédures judiciaires. Bentham a énoncé de façon éloquente la justification de ce dernier principe dans les termes suivants:
[TRADUCTION] «Dans l'ombre du secret, de sombres visées et des maux de toutes formes ont libre cours. Les freins à l'injustice judiciaire sont intimement liés à la publicité. il n'y a pas de publicité, il n'y a pas de justice.» «La publicité est le souffle même de la justice. Elle est l'aiguillon acéré de l'effort et la meilleure sauvegarde contre la malhonnêteté. Elle fait en sorte que celui qui juge est lui-même un jugement.»
Le fait que les mandats de perquisition peuvent être délivrés par un juge de paix à huis clos n'entame pas cette préoccupa- tion de responsabilité. Au contraire, il donne du poids à la thèse en faveur de la politique d'accessibilité. Le secret qui préside d'abord à la délivrance de mandats peut occasionner des abus et la publicité a une grande influence préventive contre toute inconduite possible.
En bref, ce qu'il faut viser, c'est le maximum de responsabi- lité et d'accessibilité, sans aller jusqu'à causer un tort à un innocent ou à réduire l'efficacité du mandat perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime.
J'admets que lorsqu'une partie à une instance tente d'obtenir la divulgation d'un document
comme c'est le cas en l'espèce, le droit de cette partie à la divulgation prime celui des membres du grand public. Je reconnais en outre que, selon certaines décisions, le requérant qui engage une procédure semblable à la présente requête fondée sur la Règle 330 devrait pouvoir non seulement prendre connaissance de l'affidavit mais également contre-interroger l'auteur de l'affidavit au sujet de ce dernier 16 . Cependant, les faits relatés dans l'une et l'autre des décisions citées ne ressemblent aucu- nement à ceux de l'espèce. Il n'était nullement question d'un affidavit secret ni d'une atteinte à la sécurité nationale lorsque les ordonnances ex parte ont été rendues dans ces affaires. Il s'agit de déterminer en l'espèce s'il existe ou non des cir- constances spéciales qui permettraient à la Cour de déroger à la règle générale selon laquelle tous les documents déposés à la Cour doivent être divulgués à toutes les parties, en l'absence d'une attestation faite en vertu de l'article 36.1. Je for- mule cette question ainsi en raison de la jurispru dence qui, à mon avis, permet à la Cour de déroger à la règle générale lorsque, selon elle, cette divul- gation serait contraire aux meilleurs intérêts de l'administration de la justice.
Pour ce qui est de la jurisprudence pertinente concernant cette question, je citerai tout d'abord une règle claire et sans équivoque énoncée par le juge Dickson (maintenant juge en chef) aux pages 189 R.C.S.; 149 C.C.C. de l'affaire Maclntyre précitée:
Il n'y a pas de doute qu'une cour possède le pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers. L'accès peut en être interdit lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la justice ou si ces dossiers devaient servir à une fin irrégulière. Il y a présomption en faveur de l'accès du public à ces dossiers et il incombe à celui qui veut empêcher l'exercice de ce droit de faire la preuve du contraire. [C'est moi qui souligne.]
Cet extrait montre clairement qu'un juge a le pouvoir discrétionnaire d'interdire l'accès à des documents de la Cour «lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la justice». La question de la non-divulgation en milieu carcéral a été examinée par le juge Reed dans l'affaire Cadieux c. Direc- teur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378, aux pages 397 et 398; (1984), 9 Admin. L.R. 50 (I re inst.), aux pages 78 et 79:
16 Voir: Volckmar v. Krupp, [1958] O.W.N. 303 (H.C.J. Ont.) (ordonnance ex parte portant signification hors du ressort judiciaire); Bunker Ramo Corp. c. TRW Inc., [1980] 2 C.F. 488; 47 C.P.R. (2d) 159 (1te inst.) (ordonnance ex parte portant signification hors du ressort judiciaire).
À mon avis, rares sont les cas le détenu ne peut être informé de l'essentiel au moins des motifs retenus contre lui. Ce serait notamment le cas si les actes reprochés avaient été commis à l'extérieur de l'établissement lorsque le détenu était en liberté. Toutefois, je peux plus facilement concevoir certai- nes situations dans lesquelles il peut être nécessaire de refuser de divulguer même l'essentiel des arguments qui lui sont oppo- sés lorsque les renseignements se rapportent à la conduite survenue à l'intérieur de l'établissement. Cela pourrait être nécessaire si le contenu des renseignements était tel que leur divulgation permettrait automatiquement d'identifier l'infor- mateur. (C'est un lieu commun que l'identité des informateurs ne doit pas être divulguée). Voir: Solliciteur général du Canada et autre c. Commission royale d'enquête (Dossiers de santé en Ontario) et autre, [1981] 2 R.C.S. 494 [23 C.P.C. 99, 23 C.R. (3d) 338, 62 C.C.C. (2d) 193, 128 D.L.R. (3d) 193, 38 N.R. 588] et Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; 2 D.L.R. (4th) 193. En regard de la situation dans les prisons, l'ordre et la sécurité en milieu carcéral peuvent tout particulièrement exiger un refus de divulguer l'identité des informateurs. Un tel refus pourrait également être nécessaire si la divulgation entraî- nait automatiquement le dévoilement des méthodes utilisées pour obtenir des renseignements et par contrecoup devait ainsi gêner considérablement le fonctionnement futur de la Commis sion. Dans de telles circonstances, je ne crois pas qu'on devrait interdire à la Commission de se fonder sur des renseignements qui lui sont transmis et de les utiliser même si elle ne communi que pas l'essentiel de ces renseignements au détenu. L'intérêt du public en ce qui a trait à la prévention des récidives alors que le détenu est en liberté, au maintien de la sécurité et de l'ordre dans l'établissement pénal et à la préservation de la capacité de la Commission des libérations conditionnelles de fonctionner d'une manière efficace peut l'emporter sur la règle usuelle selon laquelle une personne a droit de connaître l'essen- tiel des motifs retenus contre elle. Toutefois, les occasions une telle situation est justifiée doivent être rares. Il doit y avoir un élément de nécessité; il ne suffit pas que ce soit simplement commode pour la Commission. [C'est moi qui souligne.]
et aux pages 401 C.F.; 81 Admin. L.R.:
La décision de la Chambre des lords dans Science Research Council y Nassé, [1979] 3 All ER 673 est instructive. Dans cette affaire, une employée qui avait l'impression d'avoir fait l'objet de discrimination a cherché à avoir accès aux évalua- tions de rendement annuelles établies par l'employeur concer- nant d'autres employés avec qui elle avait été en compétition pour obtenir une promotion. On lui a refusé la communication en disant que ces rapports étaient confidentiels. La Chambre des lords a statué qu'en vertu des règles applicables, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de permettre la communication et devait exercer ce pouvoir dans l'intérêt de la justice. A cette fin, la Cour devrait examiner divers facteurs: elle devrait se demander si la communication est nécessaire pour trancher équitablement le litige ou pour éviter des frais; et si les docu ments ont été rédigés d'une manière confidentielle et dans quelle mesure la communication peut porter atteinte aux inté- rêts des tiers. La Cour a conclu que, pour décider s'il y avait lieu d'ordonner la divulgation, il convenait parfaitement d'exa- miner si justice pouvait être rendue par des mesures spéciales, par exemple en masquant certaines parties confidentielles mais non pertinentes des documents ou en substituant aux noms précis des indications anonymes.
Finalement, je veux citer la décision du juge Pinard dans l'affaire Rice c. Commission natio- nale des libérations conditionnelles (1986), 16 Admin. L.R. 157 (C.F. lie inst.), aux pages 167 et 168:
Or, dans la présente cause, il est établi que trois commissai- res de la Commission ont réexaminé la possibilité de fournir les informations confidentielles requises par le requérant et qu'ils ont décidé que cela était impossible sans que la source desdites informations ne soit révélée; ils ont en outre conclu que la sécurité de la vie pour les personnes ayant fourni ces informa- tions confidentielles serait mise en danger si lesdites informa- tions étaient divulguées; finalement, ils indiquent que si l'iden- tité de la source est révélée et que les informations sont divulguées, la capacité de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles d'obtenir des informations de nature confi- dentielle en sera diminuée et que le bon ordre institutionnel du Service correctionnel du Canada sera aussi en danger. Lors de l'audition dans la présente cause, Serge Lavallée, agent exécutif régional de la Commission nationale des libérations condition- nelles a, sous serment, réaffirmé ces motifs au soutien de la décision de la Commission de ne pas divulguer les renseigne- ments confidentiels demandés par le requérant.
Ces raisons, appuyées par le serment d'un officier en autorité de la Commission, compte tenu de toutes les circonstances du présent cas, y inclus les autres informations communiquées au requérant, justifient la non-divulgation des informations confi- dentielles requises. Il s'agit ici d'une situation grave et excep- tionnelle la Cour est satisfaite que la Commission a dûment considéré les conséquences de la divulgation des informations privilégiées quant à la révélation de leur source et quant à la sécurité de la vie des personnes en cause. Dans ce contexte, la capacité de la Commission nationale des libérations condition- nelles d'obtenir des informations de nature confidentielle et le bon ordre institutionnel du Service correctionnel du Canada constituent des considérations pertinentes. Toutes ces raisons d'intérêt public réunies et invoquées par la Commission, en l'occurrence, doivent primer. [C'est moi qui souligne.]
Comme j'ai conclu, pour les motifs énumérés plus haut, que j'ai le pouvoir discrétionnaire de déroger à la règle de la divulgation intégrale, étant donné le pouvoir de surveillance et de protection de la Cour, existe-t-il en l'espèce des circonstances particulières qui exigent une telle dérogation? J'en suis arrivé à la conclusion que c'est le cas. La première circonstance particulière tient au fait que l'affidavit secret de M. Barr vise la sécurité natio- nale, et, plus particulièrement «les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de mena ces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger». L'intérêt public opposé que fait valoir le requérant est l'intérêt qu'a le public dans la bonne administration de la justice
criminelle. Cependant, comme l'a souligné l'avocat du procureur général de la Colombie-Britannique, il faut faire une importante distinction entre les droits dont jouit un accusé dans le cadre d'un procès au criminel et les droits du requérant dans le cadre des procédures intentées en vertu de l'arti- cle 21 de la Loi sur le SCRS. La Cour n'est pas saisie de la question de la culpabilité ou de l'inno- cence du requérant. Le mandat contesté a été décerné environ dix mois avant le moment aurait été perpétrée l'infraction dont est accusé le requérant. Il est donc évident que ledit mandat n'a pas été décerné en vue d'enquêter sur l'infraction alléguée. Il a été décerné pour faciliter les enquêtes sur le terrorisme politique, qui intéresse la sécurité nationale. Le mandat contesté ne touche ni ne nuit à la présomption d'innocence dont jouit le requé- rant relativement à l'accusation criminelle portée contre lui. L'accusé n'est nullement empêché de présenter une pleine réponse et défense conformé- ment au paragraphe 577(3) du Code criminel. Je suis aussi d'accord avec l'avocat du procureur général de la Colombie-Britannique pour dire que les mandats prévus à l'article 21 sont décernés dans des circonstances si différentes de ceux qui sont visés à la partie IV.I du Code [TRADUCTION] «qu'il serait dangereux de tenter d'établir une ana- logie entre les divulgations concernées»..- Je recon- nais aussi comme l'a dit l'avocat susmentionné que [TRADUCTION] «L'article 26 de la Loi sur le SCRS qui rend la partie IV.I du Code inapplicable aux mandats prévus par l'article 21 milite claire- ment contre une telle analogie».
Dans l'arrêt Goguen, précité, (qui traitait des articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada), après avoir mentionné les intérêts publics opposés, (relations internationales, défense nationale ou sécurité nationale d'une part, et la bonne administration de la justice criminelle d'au- tre part), le juge en chef Thurlow a dit aux pages
883 et 884: -
Il ressort clairement de cette jurisprudence que la fin d'inté- rêt public résidant dans la bonne administration de la justice criminelle est très importante; elle l'est d'autant plus lorsque la divulgation est requise afin d'établir l'innocence d'une personne accusée d'un crime. Même alors, toutefois, son importance sera, à mon avis, fonction de la gravité des charges retenues et de la sévérité de la peine pouvant être prononcée en cas de condam- nation. Dans Rex -v. Hardy précité, il s'agissait de haute trahison, crime sanctionnné à l'époque par la pendaison en public et l'écartèlement. On donnerait forcément moins de poids à l'intérêt public dans la bonne administration de la
justice si les renseignements demandés étaient nécessaires au- jourd'hui pour se défendre d'une infraction à la circulation, quoique aussi le principe soit applicable: l'intérêt public dans la bonne administration de la justice ne doit jamais être mini- misé ni considéré comme secondaire.
Si important que soit cet intérêt public toutefois, je crois que la nature des questions de relations internationales, de défense et de sécurité nationales est telle que les cas le maintien du secret de certaines informations pouvant leur porter préjudice sera considéré moins important que la bonne administration de la justice, même en matière criminelle, seront rares.
Parce que la menace qui pèse sur la sécurité du Canada comme il est dit plus haut, vise le terro- risme et la violence politiques, je ne considère pas que nous soyons en présence en l'espèce de l'un des rares cas auxquels fait allusion le juge en chef Thurlow. En outre, il est clair que le Parlement a manifesté sa volonté à cet égard par l'adoption des articles 36.1 et 36.2 susmentionnés. Ces articles fournissent un mécanisme et un code de procédure déterminés pour établir la priorité qu'il y a lieu d'accorder aux intérêts publics opposés dans un cas particulier. À l'audience orale qui s'est découlée devant moi, on a discuté des moyens dont disposait le requérant, pour [TRADUCTION] «rendre applica- bles» les procédures visées aux articles 36.1 et 36.2. Si j'ai bien compris, l'avocat du procureur général du Canada s'est montré d'avis que les articles 36.1 et 36.2 [TRADUCTION] «seraient applicables» si le requérant signifiait au Service canadien du rensei- gnement de sécurité un subpoena tendant à la production de l'affidavit Barr. Dans ces circons- tances, le Service, le procureur général du Canada ou le solliciteur général du Canada serait en mesure de s'opposer comme le prévoit l'article 36.1. Il peut fort bien y avoir d'autres moyens de rendre applicables les procédures visées aux arti cles 36.1 et 36.2. Quoi qu'il en soit, il est inutile et peut-être même peu indiqué que je fasse des con jectures sur les possibilités qui s'offrent au requé- rant en ce qui concerne les poursuites criminelles intentées contre lui en Colombie-Britannique. C'est d'autant plus le cas que je ne suis pas un juge désigné par le juge en chef pour entendre la demande fondée sur le paragraphe 36.2(1).
Pour résumer, donc,, je refuse d'exercer le pou- voir discrétionnaire dont je suis investi pour ordon- ner la communication au requérant de l'affidavit secret de M. Barr. Ma décision repose sur deux
motifs: premièrement, l'affidavit porte sur le terro- risme politique qui faisait l'objet d'une enquête dans l'intérêt de la sécurité nationale. La divulga- tion de l'affidavit pourrait fort bien provoquer la révélation de méthodes d'enquête en matière de sécurité qui serait susceptible de nuire considéra- blement à l'efficacité de la présente enquête de sécurité et d'autres enquêtes éventuelles. On ne saurait nier ni méconnaître combien il est impor tant pour le public que le Service de sécurité conserve et voit protégée sa capacité de remplir l'important et difficile mandat que lui a confié la Loi sur le SCRS dans l'intérêt de la sécurité nationale. Deuxièmement, en tout état de cause, et pour les motifs exposés plus haut, j'estime qu'en ce qui concerne l'accusation criminelle portée contre lui en Colombie-Britannique, le requérant peut fort bien disposer d'autres voies de recours relati- vement à la divulgation de l'affidavit Bart.
CONCLUSION
Puisque, selon moi, il n'a été démontré aucun motif d'invalidité, il s'ensuit que la présente demande d'annulation du mandat en cause doit être rejetée.
Avant de terminer, j'aimerais toutefois parler brièvement de l'article 1 de la Charte puisque l'avocat du procureur général de la Colombie-Bri- tannique l'a invoqué (bien que l'avocat du procu- reur général du Canada n'en ait pas fait mention ni ne l'ait invoqué). Étant donné la conclusion que j'ai exposée plus haut, c'est-à-dire que l'article 8 de la Charte n'a pas été violé en l'espèce, il n'est pas nécessaire d'étudier le rapport qui existe entre l'article 8 et l'article 1 de la Charte. Comme l'a dit le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., précité, aux pages 169 et 170 R.C.S.; 116 C.C.C.:
Je reporte à plus tard la question complexe du rapport entre ces deux articles et, plus particulièrement, la question de savoir quelle autre prépondérance des droits, s'il y a lieu, peut être envisagée par l'art. 1 outre celle qu'envisage l'art. 8.
Je me trouve en l'espèce dans une situation sem- blable. Conséquemment, j'adopte l'attitude du juge en chef du Canada et je ne m'étendrai pas davantage dans ces motifs sur l'article 1 de la Charte, puisque ce n'est pas nécessaire.
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