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T-1225-85
Debora Bhatnager (requérante) c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré- taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIÉ: BHATNAGER C. CANADA (MINISTRE DE L'EM- PLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Strayer— Toronto, 5 et 6 décembre; Ottawa, 20 décembre 1985.
Pratique Outrage au tribunal Ordonnance enjoignant aux intimés de sommer leurs fonctionnaires de communiquer de l'Inde le dossier concernant le mari de la requérante afin que soit complété avant l'audition prévue pour le 3 septembre son contre-interrogatoire sur affidavit Le dossier n'a été communiqué que le 30 août La preuve qu'il y a eu outrage au tribunal n'a pas été faite même si aucune directive efficace n'a été donnée pour s'assurer que le dossier serait transmis bien avant la date prévue pour l'audition Les ministres ne sont pas responsables puisqu'ils n'avaient pas une connais- sance personnelle de, l'ordonnance Il faut prouver que l'ordonnance leur a été signifiée personnellement ou qu'ils en ont été autrement avisés Le fait que l'avocat ait eu connais- sance de l'ordonnance n'est pas une preuve d'avis suffisant Les ministres ne sont pas responsables du fait d'autrui des actes de leur préposé parce qu'ils occupent des postes supé- rieurs Les ministres ne sont pas des personnes morales d'un seul membre ni la Couronne Explication de l'arrêt Ministry of Housing and Local Government v. Sharp, [19701 2 Q.B. 223 (C.A.) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 335, 337(8) Loi régissant l'emploi et l'immigration, S.C. 1976-77, chap. 54, art. 9(2) Loi sur le ministère des Affaires extérieures, S.C. 1980-81-82-83, chap. 167, art. 3(2) Loi sur les remaniements et transferts dans la fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-34, art. 2 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 18.
Pratique Parties Qualité pour agir Procédures en matière d'outrage au tribunal Ordonnance enjoignant aux intimés d'ordonner à leurs fonctionnaires de transmettre dans un délai prescrit, depuis l'Inde, un dossier en matière d'immi- gration Ordonnance non respectée Ordonnance de justi fication rendue le 4 octobre Bref de mandamus délivré le 15 octobre Le conjoint de l'auteur de la demande de résidence permanente a qualité pour intenter une action pour outrage au tribunal parce que les procédures civiles n'avaient pas pris fin lorsque la requérante a demandé une ordonnance de justifica tion Défaut susceptible de nuire à la préparation de la cause de la requérante Des actes de désobéissance peuvent être en même temps de nature civile et criminelle: Poje v. A.G. for British Columbia, [19531 1 R.C.S. 516 Explication de l'arrêt In re O'Brien (1889), 16 R.C.S. 197.
Justice criminelle et pénale Preuve Charge et nature de la preuve Action en outrage au tribunal Il incombe à la personne qui prétend qu'il y a eu outrage au tribunal d'en
faire la preuve hors de tout doute raisonnable Explication de l'arrêt R. v. Cohn (1984), 15 C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.) Irrecevabilité de la preuve par ouï-dire Irrecevabilité des affidavits portant sur ce que savaient les intimés sur la foi de renseignements tenus pour véridiques Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 355(4) Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 28.
Il s'agit d'une procédure engagée en vertu de la Règle 355 à l'égard d'une ordonnance de justification enjoignant aux inti- més de comparaître afin d'entendre la preuve et de faire valoir leurs moyens de défense à l'encontre des allégations d'outrage au tribunal. Les intimés avaient reçu ordre d'ordonner à leurs fonctionnaires de remettre le dossier concernant le mari de la requérante, qui se trouvait en la possession du Haut-Commissa riat canadien à New Delhi, afin de permettre à la requérante de compléter son contre-interrogatoire sur les affidavits déposés dans les procédures à temps pour l'audition prévue pour le 3 septembre 1985. L'avocat des intimés était présent en Cour lorsque l'ordonnance a été approuvée et celle-ci a été officielle- ment signifiée à l'un des avocats des intimés. L'ordonnance n'a pas été signifiée à l'un ou l'autre des ministres intimés. Le même jour l'ordonnance a été rendue, un employé de la Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada (CEIC) a informé le bureau des visas de l'Inde que si le dossier n'était pas produit au cours de la prochaine audition prévue pour le 3 septembre, les intimés pourraient être cités à compa- raître pour outrage au tribunal. Il a demandé que le dossier soit expédié par la prochaine valise diplomatique. L'employé, qui avait été mal renseigné par le personnel de la salle du courrier des Affaires extérieures, croyait à tort qu'une valise diplomati- que partant de New Delhi le vendredi arrivait à Ottawa le lundi ou mardi suivant. Le dossier est arrivé à Ottawa le 28 août mais ne s'est rendu à Toronto que le 30 août.
Jugement: les allégations d'outrage portées contre les deux intimés n'ont pas été prouvées.
Peu importe que les procédures soient de nature civile ou criminelle, la personne qui prétend qu'il y a eu outrage doit en faire la preuve hors de tout doute raisonnable. L'affaire R. v. Cohn est différente parce que l'outrage avait eu lieu en pré- sence de la Cour et que le juge lui-même avait observé les actes d'outrage au tribunal. La preuve par ouï-dire est irrecevable, ce qui fait que les affidavits des fonctionnaires du ministère concernant ce que savaient les ministres ne peuvent être admis.
La requérante a pleinement le droit de demander aux intimés de justifier leur défaut de se conformer à l'ordonnance. Les procédures civiles n'avaient pas pris fin lorsque la requérante a demandé une ordonnance de justification. Poje v. A.G. for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516 a posé le principe que des actes de désobéissance peuvent être en même temps de nature civile et criminelle. En l'espèce, les allégations d'outrage comprennent ces deux aspects. Dans l'affaire In re O'Brien (1889), 16 R.C.S. 197, l'outrage au tribunal a eu lieu après que le jugement a été prononcé. Avant que la demande d'incarcéra- tion pour outrage au tribunal ne soit présentée, on s'était déjà désisté de l'appel formé contre ce jugement. Le prétendu outrage au tribunal reposait sur une ingérence dans l'adminis- tration de la justice, et cette possibilité avait disparu avant que l'ordonnance d'incarcération pour outrage au tribunal ne soit signée.
Dans le cadre de procédures d'outrage au tribunal, l'ordon- nance doit être interprétée strictement. L'ordonnance exigeait que des directives efficaces soient données pour faire en sorte que le dossier arrive à Toronto bien avant la date prévue pour l'audition. Ces directives n'ont pas été données, pas plus qu'il y a eu de suivi efficace afin de s'assurer que le but visé par l'ordonnance était atteint. La CEIC était responsable d'obtenir le dossier de l'Inde. Le message de l'employé de la CEIC ne traduisait pas adéquatement l'urgence de la question. Il était inexact et contenait des directives contradictoires. Il est inexpli cable que le dossier, qui était déjà en retard, n'ait pas été envoyé par messager plutôt que par autobus. C'est le ministère des Affaires extérieures qui avait le contrôle sur le dossier et qui avait la responsabilité principale d'émettre les directives nécessaires à la production du dossier. La preuve n'indique pas quelles directives ont été émises au nom du secrétaire d'Etat aux Affaires extérieures pour assurer l'expédition rapide du dossier.
Les intimés n'ont pas eu personnellement connaissance de l'ordonnance et ne peuvent être tenus personnellement respon- sables de ne pas l'avoir exécuté. Une personne doit avoir l'occasion d'obéir à l'ordonnance ou de voir à ce qu'elle soit respectée. Elle doit en avoir été avisée. L'ordonnance n'a pas été signifiée en mains propres aux intimés ou n'a pas été de quelque autre façon portée à leur attention avant le 3 septem- bre. Même si les Règles de la Cour ne prévoient rien de précis au sujet de la signification à personne d'une ordonnance sur laquelle on fonde ultérieurement une procédure d'outrage au tribunal, les principes de common law exigent que l'ordonnance soit signifiée personnellement. Il n'est pas nécessaire de prouver la signification de l'ordonnance si l'on peut par ailleurs établir que la personne en avait été informée. Le fait que l'avocat ait connaissance de l'ordonnance ne permet pas d'imputer à son client une connaissance telle de l'ordonnance que ce dernier puisse être trouvé coupable d'outrage au tribunal.
Les ministres ne sont pas responsables du fait d'autrui pour l'outrage au tribunal découlant des actes de leurs fonctionnai- res, actes auxquels ils n'ont pris part d'aucune façon.
Les intimés ne sont pas parties aux présentes procédures à titre de personne morale d'un seul membre ou comme étant la Couronne elle-même. Ce qui était en litige dans les procédures de mandamus initiales, c'était le défaut présumé des agents des visas d'accomplir un acte administratif. La loi permet aux ministres d'ordonner que de telles décisions soient prises. La Cour peut faire respecter la loi en accordant une ordonnance de mandamus contre tout «office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral». Les ministres sont visés par cette expression. Aucune disposition législative ne fait des ministres des person- nes morales d'un seul membre.
Un ministre n'est pas responsable des délits commis par ses fonctionnaires, à moins d'y avoir lui-même participé. L'arrêt Ministry of Housing and Local Government v. Sharp, [1970] 2 Q.B. 223 (C.A.) ne constitue pas un précédent établissant la responsabilité du fait d'autrui des fonctionnaires supérieurs pour les actes de leurs subordonnés. Le jugement du maître des rôles lord Denning, sur lequel s'est fondé le requérant, était dissident. Les cas de responsabilité des propriétaires de jour- naux pour des publications contrevenant à une ordonnance de la Cour portaient sur la responsabilité principale à titre de propriétaire et de rédacteur en chef pour les sujets qui parais- sent dans leur publication.
La présente décision est susceptible de créer des difficultés à l'égard des particuliers qui s'adressent aux tribunaux afin d'ob- tenir le contrôle judiciaire des décisions administratives. Règle générale, la pratique selon laquelle le ministre est nommé partie à la procédure constitue un moyen satisfaisant d'y amener les fonctionnaires concernés, même si cette pratique n'est pas sans quelques inconvénients dans le cadre de procédures pour outrage au tribunal. Toutefois, il est possible de rédiger des ordonnances qui engageraient la responsabilité de fonctionnai- res autres que le ministre, et des procédures d'outrage au tribunal pourraient être intentées contre des fonctionnaires qui entravent sciemment le respect des ordonnances rendues contre le ministre.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
Poje v. A.G. for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. v. Cohn (1984), 15 C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.); In re O'Brien (1889), 16 R.C.S. 197; Ministry of Housing and Local Government v. Sharp, [1970] 2 Q.B. 223 (C.A.); Heaton Transport (St Helens) Ltd v Transport and General Workers' Union, [1973] A.C. 15 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Glazer v. Union Contractors Ltd. & Thornton (1960), 129 C.C.C. 150 (C.A.C.-B.); Re Bramblevale, Ltd., [1969] 3 All E.R. 1062 (C.A.); Redwing Limited v. Redwing Forest Products Limited (1947), 177 L.T.R. 387 (Ch.D.); Northwest Territories Public Service Asso ciation et al. v. Commissioner of the Northwest Territo ries et al. (1979), 107 D.L.R. (3d) 458 (C.A.T.N.-O.); Ex parte Langley. Ex parte Smith. In re Bishop (1879), 13 Ch.D. 110 (C.A.); Regina v. Woodyatt (1895), 27 O.R. 113 (B.R.); Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Cana- dian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.); Regina v. Evening Standard Co. Ld., [1954] 1 Q.B. 578; Steiner v. Toronto Star Ltd. (1955), I D.L.R. (2d) 297 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
Clayton Ruby et Michael Code pour la requérante.
John E. Thompson et Michael W. Duffy pour les intimés.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour la requé- rante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Il s'agit en l'espèce d'une procédure engagée en vertu de la Règle 355 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] à l'égard d'une ordonnance de justification enjoi- gnant aux intimés de comparaître en personne ou par voie de représentant afin d'entendre la preuve des actes dont ils sont accusés et de faire valoir leurs moyens de défense à l'encontre des alléga- tions d'outrage au tribunal suivantes, formulées
par la requérante:
[TRADUCTION] a) ils ont désobéi à une ordonnance de cette Cour, c'est-à-dire à l'ordonnance prononcée par le juge en chef adjoint, le jeudi 15 août 1985, leur enjoignant d'ordonner à leurs fonctionnaires de remettre à Lou Ditosto, un agent d'im- migration des intimés, l'original ou une copie du dossier concer- nant la requérante, Debora Bhatnager, et son mari, Ajay Kant Bhatnager, qui se trouvait en la possession du Haut-Commissa riat du Canada à New Delhi (Inde), afin de permettre à la requérante de compléter son contre-interrogatoire sur les affi davits déposés en l'espèce, et ce, sans délai et à temps pour l'audition de ce cas prévue pour le 3 septembre 1985;
b) ils ont agi de façon à gêner la bonne administration de la justice et à porter atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour en désobéissant ainsi à ladite ordonnance.
Le 5 juin 1985, la requérante a déposé un avis de requête dans laquelle elle demandait la déli- vrance d'un bref de mandamus contre la ministre de l'Emploi et de l'Immigration pour la forcer à ordonner à ses préposés de donner suite à la demande de résidence permanente au Canada d'Ajay Kant Bhatnager, l'époux de la requérante aux présentes qui est citoyenne canadienne et demeure au Canada. À l'époque cette dernière a déposé sa requête initiale, son mari vivait en Inde et attendait que le Haut-Commissariat du Canada à New Delhi donne suite à sa demande de rési- dence permanente. Il attendait depuis 1981.
Avant le début des procédures susmentionnées, l'avocate de la requérante, M me Barbara Jackman, avait indiqué à l'avocat du bureau régional du ministère de la Justice à Toronto qu'elle présente- rait une telle demande.
Un affidavit en date du 12 juin 1985, d'un certain Lou Ditosto, agent d'immigration, a été déposé au nom du ministre de l'Emploi et de l'Immigration, seul intimé aux procédures à cette époque. Monsieur Ditosto a été contre-interrogé sur cet affidavit le 11 juillet 1985. L'avocat de l'intimé a alors accepté de produire le dossier de
New Delhi concernant la demande d'admission de M. Bhatnager. De toute évidence, le contenu de ce dossier était susceptible d'aider M. Ditosto à répondre aux questions qui lui seraient posées en contre-interrogatoire relativement aux points dont traitait son affidavit. Le 17 juillet, un employé de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada à Hull, Jean M. Brisson, a transmis, par télex, un message au bureau des visas au Haut- Commissariat du Canada à New Delhi (Inde). Ce message faisait allusion à l'action judiciaire inten- tée par la requérante et concluait de la façon suivante:
[TRADUCTION] Veuillez transmettre votre dossier immédiate- ment et en conserver une copie pour vos propres besoins. Dossier nécessaire pour préparer une défense.
Le dossier n'a pas été expédié de New Delhi comme on l'avait demandé, ce qui a eu pour conséquence que le 15 août 1985, le juge en chef adjoint a rendu, à la demande de la requérante, une ordonnance qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] ... QUE les intimés ordonnent à leurs fonction- naires de remettre à Lou Ditosto, un agent d'immigration des intimés, l'original ou une copie du dossier concernant la requé- rante, Debora Bhatnager, et son mari, Ajay Kant Bhatnager, qui se trouve en la possession du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi (Inde), afin de permettre à la requérante de compléter son contre-interrogatoire sur les affidavits déposés en l'espèce, et ce, sans délai et à temps pour l'audition de ce cas prévue pour le 3 septembre 1985.
Cette ordonnance intimait également l'ordre d'ajouter le secrétaire d'État aux Affaires exté- rieures comme intimé. La raison de cette mesure était que le bureau des visas de New Delhi ainsi que les fonctionnaires et les dossiers qui s'y trou- vaient, relèvent du ministère des Affaires extérieu- res et, par le fait même, du secrétaire d'État aux Affaires extérieures, en vertu d'un décret adopté le 31 mars 1981 (TR/81-59) conformément à la Loi sur les remaniements et transferts dans la fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-34, article 2. Ce décret a transféré au ministère des Affaires extérieures:
... le contrôle et la direction de la partie de la Fonction publique connue sous le nom de Direction extérieure qui fait partie de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada ... [sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l'espèce].
L'avocat des intimés était présent en Cour lors- que cette ordonnance a été approuvée. Cette ordonnance a été officiellement signifiée à l'un des
avocats des intimés le 20 août 1985. Rien n'indi- que qu'elle ait été signifiée à l'un ou l'autre des ministres intimés. Le jour l'ordonnance a été prononcée, c'est-à-dire le 15 août, M. Brisson a fait parvenir au bureau des visas de New Delhi, un message qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] À L'AUDIENCE DE LA COUR CET AVANT-MIDI, LE JUGE A ORDONNÉ QUE LE MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉ- RIEURES SOIT NOMMÉ INTIMÉ DANS CETTE ACTION JUDI- CIAIRE. SI LE DOSSIER N'EST PAS PRODUIT À LA PROCHAINE AUDIENCE PRÉVUE POUR LE 3 SEPTEMBRE, CE DERNIER ET LE MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION POURRAIENT ÊTRE CITÉS A COMPARAÎTRE POUR OUTRAGE AU TRIBUNAL. VEUILLEZ VOUS ASSURER QUE CE DOSSIER EST EXPÉDIÉ PAR LA PROCHAINE VALISE DIPLOMATIQUE QUI DOIT ARRIVER ICI MARDI PROCHAIN LE 20 AOÛT.
Selon M. Brisson, lorsqu'il a expédié ce télex, il était sous l'impression, d'après ce que lui avait dit le personnel de la salle du courrier des Affaires extérieures à Ottawa, qu'une valise diplomatique partant de New Delhi un vendredi (par exemple le 16 août) arrivait à Ottawa le lundi ou mardi suivant (par exemple le 19 ou le 20 août). Le 20 août, lorsqu'il s'est informé auprès du personnel de cette salle du courrier pour savoir si le dossier était arrivé, un certain M. Tessier lui a répondu qu'une valise diplomatique partant de New Delhi le 16 août ne parvenait normalement pas à Ottawa avant le 26 août environ. Le 21 août, M. Brisson a expédié au bureau des visas de New Delhi un autre télex qui est rédigé, en partie, de la façon suivante:
[TRADUCTION] LES AFFAIRES EXTÉRIEURES M'ONT INFORMÉ QUE LE SERVICE DE MESSAGERIE DHL INTERNATIONAL EXPRESS LTD., QUI A UN BUREAU A DELHI, POURRAIT EFFEC- TUER LA LIVRAISON DANS LES 48 HEURES. SI VOUS AVEZ GARDÉ UNE COPIE DU DOSSIER, VEUILLEZ EN FAIRE PARVE- NIR UNE COPIE IMMÉDIATEMENT À M. DUFFY, MINISTÈRE DE LA JUSTICE ... TORONTO...
À ce moment-là, c'est M. Duffy qui représentait les intimés. La preuve établissant que le dossier original n'est pas arrivé à Ottawa par valise diplo- matique avant le 28 août n'a pas été contredite. Bien qu'il n'y ait aucun élément de preuve receva- ble indiquant la manière dont le dossier est par venu à Toronto, on sait qu'il n'y est pas arrivé avant le 30 août. Je pense que je peux prendre connaissance d'office du fait que même s'il est possible que le délai de 48 heures mis pour achemi- ner le dossier d'Ottawa à Toronto sur une distance de quelque 400 kilomètres soit plus court que le service offert par les postes de Sa Majesté, c'est néanmoins un délai de beaucoup supérieur à celui
de divers modes de transport disponibles à un coût abordable.
Dans l'intervalle, le 26 août, les avocats des parties ont accepté de reprendre le contre-interro- gatoire d'un représentant des intimés le 29 août. Même s'il n'y avait ni original ni copie du dossier à Toronto le 26, on prévoyait que l'un ou l'autre de ces documents serait disponible avant la poursuite du contre-interrogatoire. En fait, le 27 août, l'avo- cat des intimés a reçu à Toronto un document qui se voulait une copie du dossier. Le contre-interro- gatoire a eu lieu le 29 août et le fonctionnaire contre-interrogé, Aphrodite Zografos, a fait allu sion à cette copie. Cependant, il est ressorti du contre-interrogatoire qu'il ne s'agissait pas d'une copie de l'ensemble du dossier et qu'il manquait des copies de plusieurs documents pertinents. L'avocat de la requérante n'a pas laissé entendre que ces omissions avaient été faites à dessein et il est probablement raisonnable de supposer que les fonctionnaires du bureau des visas de New Delhi n'avaient tout simplement pas conservé des copies de tous les documents et donc qu'il leur était impossible d'expédier une copie de tous. Il n'en reste pas moins que l'absence de ces documents a gêné la requérante dans son contre-interrogatoire de l'agent d'immigration.
Le 30 août, le lendemain de ce dernier contre- interrogatoire, l'original du dossier est effective- ment parvenu à Toronto au cours de la matinée. M. Duffy a téléphoné à l'avocate de la requérante vers 11 h 30 et a discuté avec elle du contenu de ce dossier. C'était le vendredi précédant le long congé de la Fête du travail et l'audition de la requête en mandamus était prévue pour le 3 septembre, le lendemain de la Fête du travail. Le juge en chef adjoint avait ordonné que j'entende cette requête avec un certain nombre d'autres requêtes portant sur des questions similaires et l'audition s'est déroulée comme prévu.
Au cours de ces auditions qui ont duré plusieurs jours, l'avocate de la requérante a signalé qu'elle demanderait qu'une ordonnance de justification soit prononcée contre les intimés étant donné leur défaut de produire le dossier conformément à l'or- donnance en date du 15 août du juge en chef adjoint. Au terme de ces auditions, l'avocate est revenue sur cette question et a exposé ce qu'elle considérait comme étant les faits essentiels établis-
sant l'outrage au tribunal. J'ai demandé à l'avocat des intimés d'aborder cette question. Comme il ne semblait pas y avoir de contestation quant aux faits principaux, savoir que la production du dos sier avait été demandée à temps pour que le con- tre-interrogatoire soit complété avant l'audience du 3 septembre et que le dossier complet n'était parvenu à Toronto que le 30 août, dernier jour ouvrable ordinaire avant l'audition, j'ai estimé qu'il était inutile, étant donné le pouvoir qu'a la Cour, en vertu de la Règle 355(4), de rendre une ordonnance de justification de sa propre initiative, d'imposer à la requérante les frais de ce qui pour- rait être simplement une demande ex parte, à laquelle serait joint un affidavit, en vue d'obtenir une telle ordonnance. J'ai donc déclaré que je serais prêt à rendre une telle ordonnance si l'avo- cate de la requérante soumettait un projet d'ordon- nance à mon approbation. Ce projet ne m'a été présenté que plusieurs semaines plus tard et l'or- donnance elle-même a été prononcée le 4 octobre 1985. Avant que cette ordonnance ne soit rendue, l'avocat des intimés a fait certaines représentations quant à la forme que j'ai prises en considération. J'ai cependant refusé de tenir une autre audition sur l'opportunité de cette ordonnance de justifica tion étant donné la décision que j'avais déjà prise à l'audience.
Le 15 octobre, j'ai prononcé des motifs [[1985] 2 C.F. 315] ainsi qu'une ordonnance rela- tivement à la demande de mandamus, accueillant cette demande et condamnant également les inti- més aux dépens. J'ai ordonné que les intimés paient les frais engagés par la requérante après le 31 juillet sur la base procureur-client, au motif que, qu'on fasse ou non la preuve de l'outrage au tribunal, les intimés devraient être tenus responsa- bles des frais découlant des retards du ministère à fournir le dossier à Toronto. Même si jusqu'à la fin de juillet de tels délais pouvaient se justifier, il était inadmissible qu'ils se prolongent davantage, si la participation aux procédures de la Cour devait se faire de façon ordonnée.
Par la suite, à la demande des avocats, j'ai formulé des directives supplémentaires relative- ment à l'audition de cette affaire, indiquant alors que l'on procéderait au moyen de preuve par voie d'affidavits et qu'il incomberait à la requérante de faire la preuve du présumé outrage au tribunal.
Parmi les affidavits produits par les intimés, se trouvait celui du premier secrétaire du Haut-Com missariat du Canada à New Delhi. Les avocats de la requérante ont indiqué qu'ils souhaitaient con- tre-interroger ce dernier sur son affidavit. Pour ce faire, il aurait fallu obtenir de la Cour la permis sion prévue à la Règle 333(5), étant donné que le déposant se trouvait à New Delhi. Les intimés ont décidé de retirer cet affidavit et je leur ai permis de le faire malgré certaines objections de l'avocat de la requérante. Je sais que certains autres tribu- naux ont décidé qu'une fois qu'un affidavit a été déposé dans le cadre d'une requête, il ne peut plus être retiré, mais je ne vois pas pourquoi, en prin- cipe, il devrait en être ainsi. Il me semble que la meilleure comparaison qu'on pourrait faire serait avec le cas d'un intimé qui déciderait de ne pas appeler un témoin lorsque des témoignages de vive voix sont rendus. En ce qui me concerne, l'affidavit n'a jamais fait partie de la preuve. Par ailleurs, les intimés ne peuvent évidemment pas jouer sur deux tableaux: je ne peux pas tenir compte de quelque élément de preuve qu'aurait pu fournir cet affida vit à l'appui de leur thèse et je peux tirer toutes les conclusions qui s'imposent de l'absence d'une telle preuve.
Conclusions
De peur que la situation ne soit embrouillée par les propos qui vont suivre, je désire souligner dès le départ que, selon moi, l'esprit de l'ordonnance rendue par le juge en chef adjoint le 15 août n'a pas été respecté par les deux ministères en cause, particulièrement le ministère des Affaires extérieu- res. À la lumière de la preuve portée à ma connais- sance, je ne peux que conclure que les fonctionnai- res responsables n'ont pas pris cette affaire suffisamment au sérieux, faisant ainsi preuve d'un manque de respect soit envers les droits de la requérante soit envers l'autorité de cette Cour. Je dois, cependant, examiner de très graves accusa tions d'outrage au tribunal portées contre deux ministres de la Couronne et cela soulève plusieurs questions de droit et de fait complexes sur lesquel- les je vais maintenant me pencher.
(i) Fardeau et nature de la preuve—Il est clair que peu importe que les présentes procédures soient considérées de nature civile ou de nature criminelle, le fardeau de la preuve incombe à la personne qui prétend qu'il y a eu outrage au
tribunal. La Règle 355(4) énonce qu'une ordon- nance de justification sert à enjoindre à celui qui est accusé d'outrage au tribunal de comparaître devant la Cour «pour entendre la preuve des actes dont il est accusé...» Cette preuve doit être établie hors de tout doute raisonnable: voir Glazer v. Union Contractors Ltd. & Thornton (1960), 129 C.C.C. 150 (C.A.C.-B.), à la page 156; Re Bram- blevale, Ltd., [ 1969] 3 All E.R. 1062 (C.A.), à la page 1063. L'avocate de la requérante a soutenu que la récente décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. v. Cohn (1984), 15 C.C.C. (3d) 150, avait autorisé une procédure suivant laquelle la personne accusée d'outrage au tribunal doit prouver son innocence. Dans cette affaire, l'ou- trage en question avait eu lieu en présence de la Cour et le juge lui-même avait pu observer les actes constituant présumément l'outrage au tribu nal. La Cour d'appel dit clairement dans sa déci- sion que le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable demeure sur les épaules de la personne qui allègue l'outrage au tribunal même si, en pratique, la nécessité de rapporter des éléments de preuve peut, à un certain moment, retomber sur la personne accusée si elle ne veut pas être trouvée coupable.
Il est également clair que la preuve par ouï-dire est irrecevable dans de telles procédures: voir la Règle 332(1) et l'affaire Glazer, précitée, à la page 156. Au début de l'audience, l'avocate de la requérante a contesté la recevabilité de tout élé- ment de preuve reposant sur des renseignements tenus pour avérés qui se trouverait dans les affida vits déposés au nom des intimés. L'avocat des intimés n'a pas contesté cette objection et j'ai confirmé que je ne prendrais en considération aucun élément de preuve du genre. Cela a fait que les affidavits assermentés du chef de cabinet du ministre de l'Emploi et de l'Immigration et de l'adjoint ministériel principal du Cabinet du secré- taire d'État aux Affaires extérieures, qui préten- daient établir que leur ministre respectif n'était pas au courant de l'ordonnance du juge en chef adjoint avant une date quelconque en septembre, sont irrecevables et ne pourront servir à établir ce que savaient les intimés. L'avocat des intimés a dit qu'il avait été pris par surprise par les arguments présentés au nom de la requérante et selon lesquels il serait possible de déduire que les ministres inti- més étaient au courant de l'ordonnance avant que
ne se produise le présumé outrage. Il voulait que je statue qu'aucune inférence de ce genre ne pouvait être tirée ou que je lui permette de produire des éléments de preuve recevables relativement à ce que savaient les deux intimés. J'ai rejeté ces deux requêtes aux motifs qu'on ne peut pas raisonnable- ment considérer qu'il a été pris par surprise par un argument touchant la connaissance implicite des intimés, qu'il y a lieu de croire que l'avocat des intimés avait cette question à l'esprit lorsqu'il a déposé les deux affidavits (que j'ai jugé irreceva- bles parce qu'ils constituaient du ouï-dire) sur la question de la connaissance des intimés, et que toute inférence qui pourrait être tirée relèverait des débats. J'ai considéré qu'il serait injuste envers la requérante d'ajourner encore les procédures afin de permettre aux avocats des intimés de compléter leur preuve après que les affidavits constitués de ouï-dire produits pour le compte des intimés aient été rejetés.
J'ai également jugé irrecevables les copies des télex reçus de New Delhi ainsi que le récépissé concernant la prétendue expédition du dossier d'Ottawa à Toronto, parce que tous ces documents constituent du ouï-dire en ce qui a trait à la véracité de leur contenu. Ils ne peuvent, comme l'a diversement suggéré l'avocat, être admis en preuve à titre de «pièces commerciales» puisque les exigen- ces procédurales de l'article 28 de la Loi sur la preuve au Canada [S.C.R. 1970, chap. E-10] n'ont pas été respectées et que ni l'une ni l'autre des parties n'a renoncé à ces exigences.
(ii) Qualité pour agir de la requérante—Les intimés prétendent que toute action en outrage au tribunal reposant sur une prétendue désobéissance à une ordonnance de la Cour rendue dans une procédure civile constitue elle-même une action de nature civile, mais que dès le moment la procé- dure civile a pris fin entre les parties en cause, toute procédure ultérieure intentée contre l'une de ces parties pour avoir présumément désobéi à une ordonnance de la Cour prononcée durant la procé- dure principale devient affaire de sanction en vue de protéger l'administration de la justice et qu'il s'agit alors d'une affaire de nature criminelle. Dans un tel cas, a-t-on prétendu, le particulier plaideur du départ, dont le litige a été tranché depuis, n'a pas l'intérêt nécessaire pour poursuivre l'accusation d'outrage au tribunal. Au soutien de
cet argument, l'avocat a cité une très vieille déci- sion de la Cour suprême du Canada, In re O'Brien (1889), 16 R.C.S. 197. Je rejette cet argument et ce, pour deux motifs. Premièrement, il ressort d'un jugement plus récent de la Cour suprême du Canada, Poje v. A.G. for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516, que de tels actes de désobéis- sance peuvent être en même temps de nature civile et criminelle, puisqu'ils possèdent à la fois un aspect civil, en ce qu'ils ont trait au respect des droits et obligations réciproques des parties, et un aspect criminel, du point de vue de l'intérêt public. En espèce, je crois que les accusations d'outrage au tribunal elles-mêmes, telles qu'elles sont énoncées plus haut, comprennent ces deux aspects, l'intérêt public en jeu étant le maintien de l'autorité de cette Cour et le respect de cette autorité par le pouvoir exécutif. À mon avis, dans le contexte des procédures civiles en l'espèce, la requérante avait pleinement le droit de demander aux intimés de justifier leur apparent défaut de se conformer à l'ordonnance que la requérante avait obtenue contre eux. Les procédures civiles n'avaient pas pris fin lorsque la requérante a demandé une ordonnance de justification. Une ordonnance de justification a été prononcée le 4 octobre alors que l'ordonnance de mandamus, le redressement qui avait d'abord été demandé par la requérante, n'a été prononcée que le 15 octobre. Deuxièmement, je ne suis pas convaincu que l'arrêt In re O'Brien, précité, appuie la thèse mise de l'avant par les intimés. Il me semble que dans cette affaire, la véritable faille dans l'argumentation du requérant était qu'à l'époque a été commis le prétendu outrage au tribunal par la publication d'un texte dans un journal, jugement avait déjà été rendu dans l'affaire et qu'avant que la demande d'incar- cération pour outrage au tribunal ne soit présentée, on s'était déjà désisté de l'appel formé contre ce jugement. Comme le prétendu outrage au tribunal reposait sur une ingérence dans l'administration de la justice, cette possibilité avait disparu avant que l'ordonnance d'incarcération pour outrage au tri bunal ne soit signée. En l'espèce, nous sommes en présence d'un présumé défaut de se conformer à un ordre précis de cette Cour, défaut susceptible non seulement de constituer un affront à l'endroit de la Cour, mais également, de l'avis de la requé- rante, de nuire à la préparation de sa cause qui n'était pas encore terminée lorsque la requête pour outrage a été présentée. Je pense que cette situa tion lui confère la qualité suffisante pour agir.
(iii) L'ordonnance a-t-elle été respectée?—Il n'y a évidemment aucune preuve que les intimés ont personnellement posé quelque geste pour se confor- mer à l'ordonnance. Toutefois, j'en suis venu à la conclusion que les personnes qui ont agi pour le compte des intimés n'ont exécuté ni la lettre ni l'esprit de l'ordonnance. Je reconnais que dans le cadre de procédures d'outrage au tribunal il faut interpréter strictement l'ordonnance qui a présu- mément été enfreinte, puisqu'une question de cul- pabilité ou d'innocence est en jeu: voir par exemple Redwing Limited v. Redwing Forest Products Limited (1947), 177 L.T.R. 387 (Ch.D.), à la page 390; Northwest Terrritories Public Service Asso ciation et al. v. Commissioner of the Northwest Territories et al. (1979), 107 D.L.R. (3d) 458 (C.A.T.N.-O.), aux pages 478 480. Peu importe les obligations qui étaient faites aux fonctionnaires de leur ministère respectif par cette ordonnance— et il ne serait pas opportun pour moi de statuer sur cette question en l'espèce—elle intimait aux intimés:
... ordonnent à leurs fonctionnaires de remettre ... l'original ou une copie du dossier ... afin de permettre à la requérante de compléter son contre-interrogatoire sur les affidavits ... et ce, sans délai et à temps pour l'audition de ce cas prévue pour le 3 septembre 1985.
Cela exigeait que des directives efficaces soient données pour faire en sorte que le dossier arrive à Toronto bien avant la date prévue pour l'audition. J'estime que toute personne raisonnable et au fait de la situation déduirait de cette ordonnance que le dossier aurait parvenir à Toronto au plus tard au début de la semaine précédant la semaine de l'audition, c'est-à-dire le 26 août. Cela aurait permis au témoin qui était contre-interrogé de se familiariser avec le dossier de manière à pouvoir répondre aux questions se rapportant aux rensei- gnements qui s'y trouvaient; on aurait pu ainsi procéder au contre-interrogatoire, le transcrire et le soumettre à la Cour; les avocats auraient pu l'analyser; et tout cela avant le long week-end précédant immédiatement l'audition.
Bien que l'avocat des intimés ait prétendu que le ministre de l'Emploi et de l'Immigration n'avait aucune responsabilité en vertu de cette ordonnance puisque le dossier se trouvait sous le contrôle du ministère des Affaires extérieures, il ressort des affidavits qu'on considérait que c'était la Commis sion de l'emploi et de l'immigration du Canada qui
était, dans les circonstances, l'organisme ayant la responsabilité, au sein du gouvernement, d'obtenir le dossier du bureau des visas de New Delhi. Bien que M. Brisson ait déployé, pour le compte de la Commission, des efforts considérables en vue d'ob- tenir le dossier, même son message du 15 août, cité plus haut, ne traduisait pas adéquatement l'ur- gence de la question. Ce message donne l'impres- sion qu'il était suffisant de produire le dossier à temps pour l'audition, c'est-à-dire le 3 septembre. Ce n'était pas une interprétation raisonnable de l'ordonnance du juge en chef adjoint. Peut-être M. Brisson n'a-t-il pas été renseigné adéquatement sur la question par ceux qui auraient le faire, mais il n'en reste pas moins que l'information qu'il a transmise à New Delhi était inexacte. Qui plus est, il a donné ce qui s'est avérée une directive contra- dictoire en demandant que le dossier soit expédié [TRADUCTION] «par la prochaine valise diplomati- que qui doit arriver ici mardi prochain le 20 août». On s'est aperçu par la suite que tout envoi placé dans «la prochaine valise diplomatique» ne pourrait être à Ottawa pour le 20 août et n'arriverait pas avant le 26 août. En outre, lorsque le dossier original est effectivement arrivé, il ressort claire- ment de l'affidavit de M. Brisson que ce dernier l'a reçu un peu avant 10 h le matin du 28 août et qu'en dépit du fait que ce dossier était déjà très en retard, M. Brisson a décidé de l'expédier à Toronto par autobus. Bien qu'il n'y ait pas d'élément de preuve direct sur la façon dont le dossier a été acheminé à Toronto, il est établi qu'il n'y est pas arrivé avant la matinée du 30 août, c'est-à-dire deux jours après que M. Brisson l'ait récupéré à la salle du courrier des Affaires extérieures à Ottawa. Je trouve absolument inexplicable que M. Brisson n'ait pas jugé l'affaire suffisamment importante pour veiller à ce que le dossier soit expédié sur-le- champ à Toronto, par messager si nécessaire.
Pour ce qui est du ministère des Affaires exté- rieures, il semble que le personnel de la salle du courrier ait mal renseigné M. Brisson de la CEIC sur le temps qu'il faut normalement pour qu'une valise diplomatique en provenance de New Delhi arrive à Ottawa, ce qui a entraîné la contradiction que contient son télex du 15 août. En outre, il est évident que malgré le télex du 17 juillet et celui de M. Brisson en date du 15 août, les fonctionnaires des Affaires extérieures en poste à New Delhi ont choisi d'expédier le dossier par un moyen qui, ils
devaient le savoir, demanderait au minimum 10 jours et ce, sans égard à ce qu'ils auraient considérer comme une question urgente. Comme le seul élément de preuve provenant d'une personne en poste à New Delhi a été retiré par l'avocat des intimés, je me retrouve donc sans aucune explica tion sur les directives qui ont été fournies, le cas échéant, aux fonctionnaires en poste à New Delhi au nom de leur ministre, le secrétaire d'État aux Affaires extérieures, quant au respect de l'ordon- nance du tribunal. Certes, rien n'indique qu'un fonctionnaire supérieur du ministère des Affaires extérieures ait donné des directives au nom du Ministre, comme l'exigeait l'ordonnance du juge en chef adjoint, pour assurer l'expédition rapide du dossier. Pourtant, comme l'a souligné l'avocat des intimés, c'est le ministère des Affaires extérieures qui a le contrôle ultime sur ces dossiers et qui avait, par conséquent, la responsabilité principale d'émettre les directives nécessaires à la production du dossier. Si une directive a été donnée au nom du secrétaire d'État aux Affaires extérieures, la Cour n'en a pas été informée.
Par conséquent, je suis tenu de conclure, compte tenu de la façon dont s'est soldée la production de ce dossier, de la preuve concernant les directives inadéquates données par M. Brisson et de l'ab- sence de quelque élément de preuve établissant que des directives auraient été données au nom du ministère qui exerçait le contrôle sur le dossier, qu'aucune directive n'a été donnée au nom des intimés de la manière requise par l'ordonnance du 15 août. Il n'y a pas eu non plus de suivi efficace afin de s'assurer que le but visé par l'ordonnance était atteint.
Je ne peux non plus accepter la prétention de l'avocat des intimés selon laquelle l'avocate de la requérante a accepté que le dossier ne soit pas produit en acquiesçant à la poursuite du contre- interrogatoire avant l'arrivée du dossier ou en fai- sant défaut de reprendre le contre-interrogatoire après qu'il soit arrivé. J'estime qu'il s'agissait tout simplement d'actes dictés par la nécessité, aux- quels elle s'est résolue lorsqu'elle a été confrontée à la situation et en pensant à l'avantage qu'il y avait à ce que sa demande de mandamus soit entendue avec d'autres requêtes du même genre à la date prescrite par le juge en chef adjoint. Je ne
peux non plus voir en quoi les gestes qu'elle a posés ont incité les intimés à ne pas prendre les mesures qu'ils auraient pu par ailleurs prendre pour faire modifier l'ordonnance du 15 août. Il était trop tard pour le faire après le 26 août.
(iv) Les ministres intimés sont-ils personnelle- ment responsables?—Il ne fait aucun doute que l'une des grandes qualités de notre système gouver- nemental est que les ministres ne sont pas au-des- sus des lois et qu'ils doivent répondre de leur conduite devant les tribunaux s'ils ne respectent pas la loi dans l'exercice de leurs fonctions officiel- les. Il est tout aussi vrai qu'ils ont droit aux mêmes moyens de défense en droit que les simples citoyens.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, l'outrage au tribunal doit être établi de manière stricte. Cela signifie que pour qu'une personne soit tenue per- sonnellement responsable de ses propres actes de désobéissance, elle doit avoir eu l'occasion d'obéir à l'ordonnance en question de la cour ou de voir à ce qu'elle soit respectée. A mon avis, cela veut dire qu'elle doit avoir été avisée de l'ordonnance à laquelle on lui reproche d'avoir désobéi.
On a porté à mon attention plusieurs arrêts dans lesquels les procédures d'outrage au tribunal ont échoué parce que l'accusé n'avait pas été avisé de l'ordonnance qui aurait été violée: voir par exem- ple Ex parte Langley. Ex parte Smith. In re Bishop (1879), 13 Ch.D. 110 (C.A.), aux pages 117 et 119; Regina v. Woodyatt (1895), 27 O.R. 113 (B.R.), aux pages 114 et 115; et l'arrêt Red- wing, précité, à la page 388. La requérante a bien mentionné des arrêts l'avis avait été donné par d'autres moyens que la signification de l'ordon- nance, par exemple, au moyen d'un télégramme (Glazer, précité) ou par téléphone (Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.), mais au moins, dans ces affaires, les personnes accusées d'outrage au tribunal avaient été informées que des ordonnances avaient été rendues et elles pou- vaient agir en conséquence.
En l'espèce, on n'a aucunement laissé entendre que l'ordonnance du juge en chef adjoint du 15 août avait à quelque moment été signifiée en mains propres aux intimés ou qu'elle avait été de quelque autre façon portée à leur attention avant le 3
septembre. Comme je l'ai mentionné précédem- ment, l'ordonnance a été prononcée en présence des avocats des intimés et une copie de l'ordon- nance a été personnellement signifiée à l'un de ces avocats le 20 août. D'après le dossier de la Cour, cette dernière a expédié par messager, le 15 août, une copie certifiée du jugement à l'avocat, confor- mément à la Règle 337(8). La requérante prétend qu'en vertu des règles de la Cour, la signification au procureur inscrit au dossier suffit pour aviser de l'ordonnance la partie représentée par ce procu- reur. Aucun précédent ne m'a été cité à l'appui de cette proposition en ce qui concerne les procédures d'outrage au tribunal et je crois qu'elle n'est pas fondée en droit. Il est vrai que l'alinéa 311(1)a) des Règles de la Cour fédérale prévoit que la signification d'un document, autre qu'un document pour lequel la signification à personne est requise, peut se faire en laissant une copie du document à l'adresse aux fins de signification de la personne à laquelle il doit être signifié. Selon la définition d'«adresse aux fins de la signification» de la Règle 2(1), cette expression, dans le cas d'une partie qui a un procureur ou un solicitor inscrit au dossier, désigne l'adresse professionnelle de ce solicitor. Même si, apparemment, la règle ne prévoit rien de précis au sujet de la signification à personne d'une ordonnance sur laquelle on fonde ultérieurement une procédure d'outrage au tribunal, je crois que d'après les principes de common law il faut en déduire que, dans de tels cas, l'ordonnance doit être signifiée personnellement à la partie si l'on veut par la suite pouvoir invoquer cette significa tion pour affirmer que la partie avait pris connais- sance de l'ordonnance à laquelle elle est accusée d'avoir contrevenu. Il n'est évidemment pas néces- saire de prouver la signification de l'ordonnance si l'on peut par ailleurs établir que la personne visée en avait été informée. Cependant, je refuse d'ac- cepter que du seul fait que le solicitor ait connais- sance de l'ordonnance, on puisse imputer à son client une connaissance telle de l'ordonnance que ce dernier puisse être trouvé coupable de l'infrac- tion quasi criminelle d'outrage au tribunal. J'es- time qu'il serait injuste de déclarer une partie coupable d'outrage au tribunal parce qu'elle n'a pas été informée par son solicitor qu'une conduite donnée, par ailleurs légale, avait été interdite par le tribunal.
Il ne m'appartient pas de commenter le fait que les intimés n'ont pas été informés de l'ordonnance ni par leurs propres avocats ni par ceux de la requérante. Il semble qu'un télégramme aurait suffi dans les circonstances (voir l'arrêt Glazer, précité). Il n'en reste pas moins que rien ne démontre que les intimés ont, à quelque moment, eu personnellement connaissance de l'ordonnance et, par conséquent, ils ne peuvent être tenus per- sonnellement responsables de ne pas l'avoir exécutée.
(y) Les ministres intimés sont-ils responsables du fait d'autrui des actes de leurs préposés?—Les avocats ont longuement débattu la question de savoir en quelle qualité les ministres intimés sont poursuivis en l'espèce. Les avocats de la requérante ont prétendu que chacun des ministres comparaît dans cette procédure à titre de [TRADUCTION] «personne morale d'un seul membre» [TRADUC- TION] «investie des devoirs et des pouvoirs de la Couronne par le Parlement à l'égard de cette question». S'appuyant sur cet argument, ils ont prétendu que tout comme les sociétés sont respon- sables de l'outrage au tribunal commis par leurs employés, un ministre est donc lui aussi responsa- ble, en sa qualité de personne morale d'un seul membre. L'avocat des intimés a répondu à cet argument en soutenant que si les ministres sont poursuivis en qualité de personnes morales d'un seul membre [TRADUCTION] «investies des devoirs et des pouvoirs de la Couronne», ils comparaissent donc pour la Couronne elle-même et celle-ci ne peut faire l'objet d'un mandamus ni être trouvée coupable d'outrage au tribunal.
Je ne retiens pas l'argument voulant que les intimés soient parties aux présentes procédures à titre de personnes morales d'un seul membre ou comme étant la Couronne elle-même. En l'espèce, les procédures initiales visaient la délivrance d'une ordonnance de mandamus et on doit considérer qu'elles ont été intentées en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] qui confère à la Division de première instance compétence pour accorder une ordonnance de mandamus contre tout «office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral». En l'espèce, chacun des ministres est visé par la définition d'«office, commission ou autre tribunal fédéral» de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédé- rale puisqu'il est une
2....
... personne [...] ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parle- ment du Canada, ou sous le régime d'une telle loi ...
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration a, conformément à la Loi régissant l'emploi et l'im- migration, S.C. 1976-77, chap. 54, plus particuliè- rement son paragraphe 9(2), le pouvoir de donner des directives à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada relativement à l'exécu- tion de ses pouvoirs, devoirs et fonctions. Pour sa part, le secrétaire d'État aux Affaires extérieures assure, en vertu de la Loi sur le ministère des Affaires extérieures, édictée par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 167, et plus particulièrement des paragraphes 3(2) et 11(2), la gestion et la direc tion de ce Ministère, y compris des missions à l'étranger. Ce qui était en litige dans les procédu- res de mandamus, c'était le défaut présumé des agents des visas d'accomplir un acte administratif, c'est-à-dire de prendre les mesures propres à assu- rer qu'une décision soit rendue relativement à la demande de statut de résident permanent présen- tée par l'époux de la requérante. C'était l'acte dont l'accomplissement était exigé dans l'ordon- nance de mandamus que j'ai rendue. La Couronne n'est pas poursuivie dans ces procédures et l'article 18 ne m'accorde pas le pouvoir de prononcer un mandamus contre la Couronne. Au contraire, le litige porte sur l'exercice d'un pouvoir conféré aux intimés par le Parlement en qualité de persona designata (personnes désignées) et un mandamus peut être prononcé contre eux et ce, même s'il ne peut l'être contre la Couronne: voir Hogg, Liabi lity of the Crown (1971), la page 13. Les mots «persona designata» n'ont rien de magique. La situation est simple, la loi autorise les agents des visas à prendre la décision qu'ils estiment indiquée, mais elle ne les autorise pas, par leur inaction, à refuser de rendre quelque décision que ce soit. La loi permet également les ministres de qui ils relè- vent d'ordonner que des décisions soient rendues. Lorsqu'il y a défaut de prendre une telle décision, cette Cour est habilitée à faire respecter la loi adoptée par le Parlement en exigeant qu'une déci- sion soit prise.
On ne m'a soumis aucune disposition législative faisant de ces ministres des corporations d'un seul membre et, pour les motifs énoncés plus haut, je suis convaincu qu'ils ne comparaissent pas à ce
titre dans les présentes procédures. Quel que soit l'état du droit en matière de responsabilité du fait d'autrui des sociétés en cas d'outrage au tribunal commis par leurs employés, cela n'a aucune perti nence quant à la situation des ministres intimés en l'espèce.
La situation qui offre, semble-t-il, une meilleure analogie est le cas d'absence de responsabilité du fait d'autrui des ministres à l'égard des délits commis par les fonctionnaires au sein de leur ministère. Il est évident que ni un fonctionnaire supérieur ni un ministre ne peuvent être tenus responsables de tels délits à moins d'y avoir eux- mêmes participé: voir par exemple Canadian Encyclopedic Digest (Ontario) (3d éd., 1984), Vol. 8, Title 40, section 397; Hogg, précité, à la page 109. La raison en est que tant le ministre que l'agent sont des fonctionnaires de la Couronne et que seule celle-ci est tenue responsable du fait d'autrui. Il va de soi que cela n'empêche pas les fonctionnaires supérieurs ou les ministres d'enga- ger leur responsabilité personnelle s'ils participent directement avec leur subalterne à la perpétration du délit soit en l'ordonnant soit en faisant défaut de prendre les mesures appropriées pour l'éviter. Il n'en découle pas non plus que le ministre n'est pas politiquement responsable devant le Parlement, même en cas d'action ou d'inaction survenues dans son ministère sans qu'il ne le sache. Cela veut dire qu'il ne peut être condamné à des dommages-inté- rêts pour responsabilité du fait d'autrui du seul fait qu'il occupe un poste supérieur, sous la Couronne, à celui du fonctionnaire qui, dans les faits, a commis le délit.
En l'espèce, ce que la requérante cherche à faire en invoquant la responsabilité du fait d'autrui des intimés pour l'outrage reproché, c'est de les rendre responsables, du seul fait de leur poste, du défaut évident de leurs agents de donner ou d'exécuter les directives envisagées dans l'ordonnance du juge en chef adjoint. J'estime que cela est contraire aux principes qui sont appliqués en matière de respon- sabilité délictuelle et qui, à mon avis, doivent à plus forte raison s'appliquer en matière de respon- sabilité quasi criminelle.
Deux des arrêts sur lesquels s'appuie la requé- rante pour alléguer la responsabilité du fait d'au- trui pour l'outrage au tribunal appellent des com- mentaires. Dans l'arrêt Ministry of Housing and
Local Government v. Sharp, [1970] 2 Q.B. 223 (C.A.), certaines conclusions du maître des rôles lord Denning ont été invoquées par l'avocat du requérant au soutien de sa conclusion en domma- ges-intérêts pour la responsabilité du fait d'autrui d'un fonctionnaire supérieur pour les actes d'un fonctionnaire subalterne. Dans cet arrêt, lord Den- ning a statué qu'un registraire local des charges foncières était responsable de l'erreur de son clerc qui, `au terme d'une recherche sur les charges grevant un lopin de terre, avait négligé de men- tionner dans le certificat qu'il avait rédigé l'exis- tence d'une charge particulière. Plusieurs remar- ques s'imposent relativement à la décision de lord Denning. Premièrement, cette action, comme le juge de première instance le dit clairement, ne portait pas sur la responsabilité du fait d'autrui mais sur la responsabilité personnelle du regis- traire. Deuxièmement, de l'avis de lord Denning, le registraire était personnellement responsable de la délivrance du certificat sur lequel il apposait effec- tivement chaque fois sa signature. Troisièmement, fait le plus important, le jugement de lord Denning qui m'a été cité était dissident sur ce point. Les deux autres juges de la Cour d'appel ayant entendu cette affaire ont statué que le registraire n'était pas responsable. Par conséquent, l'arrêt ne constitue pas un précédent établissant la responsa- bilité du fait d'autrui des fonctionnaires supérieurs pour les actes de leurs subordonnés et il n'a évi- demment aucun rapport direct avec la question de la responsabilité pour outrage au tribunal.
L'avocate de la requérante s'est référée à plu- sieurs reprises à l'arrêt Heatons Transport (St Helens) Ltd v Transport and General Workers' Union, [1973] A.C. 15 (H.L.), une affaire il est effectivement question d'un outrage au tribunal. Dans cette affaire, un syndicat a été trouvé coupa- ble d'outrage au tribunal pour avoir désobéi à une injonction lui interdisant de «boycotter» les camions de l'appelante. Ce «boycottage» s'est néan- moins poursuivi, avec l'approbation, semble-t-il, des délégués syndicaux et ce, en dépit des messages de l'administration centrale du syndicat attirant l'attention des délégués sur les modalités de l'in- jonction. Outre le fait que cette affaire mettait en cause la situation particulière d'un syndicat, il m'apparaît que le jugement des lords juges, rendu par lord Wilberforce, considère, dans les faits, les actes répréhensibles des délégués comme étant
autorisés par le syndicat. La constitution du syndi- cat conférait aux délégués le pouvoir de prendre certaines initiatives à l'échelle locale pour assurer l'exécution de la politique syndicale, à moins que ce pouvoir ne leur ait été clairement retiré, ce qui n'avait pas été le cas dans l'espèce. On a jugé que les délégués mettaient à exécution la politique du syndicat. Bien que d'autres interprétations du jugement m'aient été soumises (voir par exemple Miller, Contempt of Court (1976), à la page 173) je ne peux trouver d'indication claire que le syndi- cat a été reconnu coupable uniquement par le biais de la responsabilité du fait d'autrui.
On a référé particulièrement à ce qu'on prétend être un cas établi de responsabilité du fait d'autrui de propriétaires de journaux pour des publications contrevenant à une ordonnance de la Cour. À titre d'exemples, on a cité des arrêts tels que Regina v. Evening Standard Co. Ld., [1954] 1 Q.B. 578 et Steiner v. Toronto Star Ltd. (1955), 1 D.L.R. (2d) 297 (H.C. Ont.). Encore une fois, il semble que la meilleure interprétation serait que, dans ces affai- res, les personnes ont été trouvées coupables d'ou- trage au tribunal en raison de leur responsabilité principale à titre de propriétaire et de rédacteur en chef pour les sujets qui paraissent dans leurs publi cations: ce sont eux les éditeurs, même si quel- qu'un d'autre prépare le matériel qui est publié. Cette responsabilité principale semble avoir davan- tage d'affinités avec le droit concernant le libelle diffamatoire. Voir, de façon générale, Borrie and Lowe's Law of Contempt (2 e éd., 1983), aux pages 252 258.
Je ne trouve donc aucun précédent qui m'oblige- rait à conclure que les deux ministres en l'espèce sont responsables du fait d'autrui pour l'outrage au tribunal découlant des actes de leurs fonctionnai- res, actes auxquels ils n'ont pris part d'aucune façon, soit par une action directe soit par un défaut d'agir délibéré.
Pour ces motifs, je conclus que les accusations d'outrage au tribunal portées contre les deux inti- més n'ont pas été prouvées.
(vi) Dépens—À la demande des avocats je ne formule aucune directive relativement aux dépens à ce moment-ci, mais j'invite plutôt les avocats à présenter leurs arguments sur cette question à la Cour avant que l'ordonnance formelle ne soit
rendue. L'Administrateur de la Cour fixera, de concert avec les avocats, la date et le lieu de l'audition de cette question.
(vii) Remarques d'ordre général—Je suis cons- cient des difficultés que la présente décision est susceptible de créer à l'égard des particuliers qui s'adressent aux tribunaux. Très souvent lorsqu'un particulier sollicite le contrôle judiciaire d'une décision administrative par les tribunaux, il est beaucoup plus pratique de nommer comme intimé le ministre qui en est responsable en dernier res- sort, vu les difficultés que posent l'identification et la localisation des fonctionnaires responsables de l'action ou de l'inaction dont on se plaint. Règle générale, la pratique selon laquelle le ministre est nommé partie à la procédure constitue un moyen satisfaisant d'y amener les fonctionnaires concer nés. La présente espèce révèle que cette pratique n'est pas sans quelques inconvénients lorsque ni la lettre ni l'esprit des ordonnances de la Cour n'ont été respectés. Toutefois, cette décision ne signifie pas qu'il est impossible de rédiger des ordonnances qui engageraient la responsabilité de fonctionnai- res autres que le ministre, ou que les procédures d'outrage au tribunal ne peuvent être intentées contre des fonctionnaires qui entravent sciemment le respect des ordonnances rendues contre le minis- tre ou quelqu'un d'autre dans le ministère. Toute- fois, il ne s'agit pas de questions qui me sont soumises en l'espèce.
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