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T-714-86
Nafareih Mahtab (requérante) c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et Gendarmerie royale du Canada (intimées)
RÉPERTORIÉ: MAHTAB C. COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA
Division de première instance, juge Teitelbaum— Montréal, 28 avril; Ottawa, 26 mai 1986.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouille, perquisition ou saisie Un agent d'immigration a saisi, sans mandat, le passeport de la requérante sur le fondement de l'art. 111(2)b) de la Loi sur l'immigration de 1976 La requérante a remis volontaire- ment son passeport à l'agent d'immigration au cours de l'en- quête sur le statut de réfugié politique La saisie du passeport contrevient à l'article 8 de la Charte Primauté de la Charte L'obtention préalable d'un mandat est une condi tion de la validité d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie La détention continue du passeport constitue une saisie au sens de l'art. 8 Une saisie sans mandat est à première vue abusive La présomption du caractère abusif de la saisie n'a pas été réfutée Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 111(2)b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 23).
Immigration Saisie de passeport Citoyenne iranienne utilisant un passeport espagnol pour entrer au Canada Elle revendique le statut de réfugiée politique Elle a remis volontairement son passeport iranien à l'agent d'immigration au moment de l'enquête L'agent a saisi, sans mandat, le passeport sur le fondement de l'art. 111(2)b) de la Loi sur l'immigration de 1976 La GRC aurait le passeport en sa possession La saisie est valide suivant la Loi sur l'immigra- tion de 1976 car aucun mandat n'est requis La saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte car elle est abusive Ordonnance portant que le passeport doit être remis à la requérante Une saisie sans mandat est justifiée s'il y a des risques que la personne disparaisse avec son passeport Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 111(2)b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 23) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
La requérante est citoyenne iranienne; pour entrer au Canada, elle a utilisé un passeport espagnol qu'elle avait acheté au marché noir. Elle a reconnu avoir agi ainsi pour contourner la loi canadienne qui oblige les citoyens iraniens à obtenir un visa canadien avant d'entrer au Canada. Dès son arrivée au Canada, la requérante a demandé le statut de réfugiée politi- que. À l'enquête spéciale tenue au sujet de sa demande, la requérante a remis volontairement son passeport iranien à
l'agent d'immigration parce qu'elle croyait que c'était la cou- tume. On allègue que l'agent a alors saisi, sans mandat, le passeport sur le fondement de l'alinéa 111(2)b) de la Loi sur l'immigration de 1976. Les intimés soutiennent que la saisie était justifiée parce que la requérante était entrée au Canada en utilisant un faux passeport et que son passeport iranien sem- blait avoir été modifié. La requérante demande une injonction ordonnant aux intimées de lui indiquer se trouve son passe- port et de le lui remettre. Elle cherche également à obtenir des dommages-intérêts. Il s'agit de déterminer si la saisie effectuée sur le fondement de l'alinéa 111(2)b) est abusive et contrevient, par conséquent, à l'article 8 de la Charte.
Jugement: la requête est accueillie en partie. La Cour ordonne aux intimées de remettre le passeport.
L'alinéa 111(2)b) habilite un agent d'immigration à saisir et à détenir à un point d'entrée ou au Canada tous documents lorsqu'il a de bonnes raisons de croire qu'une telle mesure s'impose pour faciliter l'application des dispositions de la Loi. Ledit alinéa n'exige pas l'obtention préalable d'un mandat. Par conséquent, en ce qui concerne la Loi sur l'immigration de 1976,1a saisie a été effectuée suivant les règles.
La Cour ne pouvait cependant tirer la même conclusion pour ce qui est de la Charte. Comme l'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, toute règle de droit incompatible avec la Constitution, qui est la loi suprême du Canada, est inopérante. Il a été établi dans cet arrêt que pour qu'une fouille, une perquisition ou une saisie soient valides sous le régime du droit canadien, une autorisation préalable doit être obtenue lorsque possible; «une telle autorisa- tion ... est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie». Dans l'affaire R. v. Zaharia and Church of Scientology of Toronto (1985), 21 C.C.C. (3d) 118 (H.C. Ont.), le juge Osler a statué que la détention continue constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte. En l'espèce, même si le passeport a été remis volontairement aux intimées, sa «détention» continue constitue une saisie.
Eu égard aux faits de l'espèce, on ne peut affirmer que la saisie sans mandat du passeport était raisonnable et nécessaire. Une saisie sans mandat est à première vue abusive. Les inti- mées n'ont soumis aucune preuve montrant pourquoi il était impossible d'obtenir un mandat.
Il peut y avoir des cas il n'est pas nécessaire pour un agent d'immigration d'obtenir un mandat avant d'effectuer une saisie. Ainsi, on peut imaginer certains cas si la saisie n'est pas effectuée sur-le-champ, la personne disparaîtra avec son passe- port. Ce n'est toutefois pas le cas en l'espèce car il ressort des faits qu'il aurait été possible pour l'agent d'immigration d'obte- nir un mandat avant de saisir le passeport.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Zaharia and Church of Scientology of Toronto (1985), 21 C.C.C. (3d) 118 (H.C. Ont.).
DÉCISION CITÉE:
R. v. Jagodic and Vajagic (1985), 19 C.C.C. (3d) 305 (C.S.N.-E.).
AVOCATS:
Jean-François Bertrand pour la requérante. Suzanne Marcoux-Paquette pour les inti- mées.
PROCUREURS:
Jodoin & Noreau, Montréal, pour la requé- rante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE TEITELBAUM: La requérante Nafareih Mahtab me prie de rendre contre les intimées, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et la Gendarmerie royale du Canada, une injonction destinée à:
Ordonner aux intimés [sic] de faire rapport à la requérante des faits suivants:
est son passeport;
Qui est responsable de son passeport;
Ce qui est envisagé quant à la disposition de ce passeport;
Ordonner aux intimés [sic] de soit déposer des accusations relatives à ce passeport qui permettront à la requérante de défendre son bien, ou soit lui remettre son bien, l'une ou l'autre des activités dans un délai de quinze (15) jours d'un jugement en la présente affaire;
Ordonner aux intimés [sic], dans l'éventualité ni l'une ni l'autre des deux (2) activités mentionnées à la conclusion précédente ne peut être réalisée, de remettre à la requérante des documents de voyages canadiens lui permettant une lattitude [sic] d'action et de mouvement équivalente à son passeport;
Condamner les intimés [sic] conjointement et solidairement et leur ordonner de payer à la requérante la somme de 2,500.00$ en guise de dommages-intérêts liquidés:
1,000.00$ en dédommagements [sic] des efforts entraînés par l'illégalité des intimés [sic];
1,500.00$ en dédommagement de la perte de jouissance de son bien par la requérante, dans la seule éventualité son passeport ne puisse plus lui être remis;
Le tout, avec dépens contre les intimés [sic].
Au moment de l'audience, la requérante a aban- donné sa demande de dommages-intérêts. J'estime qu'elle a agi sagement car une requête en injonc-
tion ne constitue pas la procédure appropriée pour réclamer des dommages-intérêts pécuniaires.
Il est devenu évident, une fois l'audience termi- née, que la requérante cherchait en réalité à obte- nir une ordonnance enjoignant aux intimées de lui remettre le passeport saisi par un agent d'immigra- tion et que la GRC aurait actuellement en sa possession.
Un résumé des faits permettrait de mieux com- prendre pourquoi la présente requête en injonction est devenue nécessaire.
La requérante, Nafareih Mahtab, est citoyenne iranienne; aux environs du 5 février 1981, pendant qu'elle était en Iran, elle a demandé au gouverne- ment iranien de lui délivrer un passeport afin de lui permettre de quitter le pays. La date d'expira- tion du passeport ainsi délivré était le 5 février 1984.
Aux environs du 16 juillet 1983, soit plus de deux ans après la délivrance du passeport, la requérante a quitté l'Iran à destination de l'Alle- magne de l'Ouest afin de rendre visite à son frère qui possédait là-bas le statut de réfugié politique. Elle a ensuite décidé de quitter l'Allemagne de l'Ouest le 16 octobre 1983 à destination de la France. Je présume que la requérante a utilisé son passeport iranien en règle afin de se rendre en France. Dans l'affidavit qu'elle a produit à l'appui de sa requête, la requérante déclare qu'elle avait l'intention de demander le statut de réfugiée politi- que en France.
Au cours de l'audience tenue devant moi, on m'a dit que la requérante était étudiante lorsqu'elle se trouvait en France. On n'a aucunement fait men tion de sa présumée demande de statut de réfugiée ni précisé si elle avait été présentée, refusée ou accueillie.
Étant donné que son passeport (iranien) deve- nait périmé le 5 février 1984, la requérante se serait présentée à l'ambassade d'Iran à Paris (France) afin de demander une prorogation de la date d'expiration dudit passeport.
La requérante prétend s'être rendue à l'ambas- sade d'Iran le 5 février 1984, soit le tout dernier jour de validité de son passeport; elle a remis son passeport et présenté une demande de prorogation et on lui a alors demandé de revenir le 9 février
1984. Le jour dit, elle est revenue à l'ambassade d'Iran, elle a reçu son passeport et, sans vérifier celui-ci, elle a quitté l'ambassade.
La requérante déclare ensuite qu'après avoir quitté l'ambassade et pendant qu'elle marchait, elle a décidé d'examiner son passeport et a alors constaté qu'une erreur s'y était glissée. Son passe- port avait été validement prorogé conformément au calendrier iranien, mais il ne l'avait pas été suivant le «calendrier grégorien», c'est-à-dire qu'il a été prorogé jusqu'au 2/2/85 plutôt que jusqu'au 5/2/87.
Même si cela était vrai, le passeport a été pro- rogé jusqu'au 2 février 1985, sa date d'expiration originale étant le 5 février 1984.
La requérante soutient qu'en raison de cette erreur, c'est-à-dire la prorogation de la date de validité du passeport jusqu'au 2 février 1985 plutôt que jusqu'au 5 février 1987, elle a renvoyé le passeport à l'ambassade d'Iran un employé de l'ambassade a changé la date en écrivant simple- ment par-dessus la date originale. Il a remplacé la date originale, qui était le 2-2-1985, par le 5-2-1987 en écrivant simplement le chiffre 5 par- dessus le premier 2 et le chiffre 7 par-dessus le 5 de 1985. On doit aussi examiner la note qui figure à la page 11 du passeport:
Ce passeport est valable jusqu'au 05.02.1987 Paris, le 09,02,1984.
Il faut remarquer qu'à la page 9 du passeport le premier changement a été effectué, la date est le 2-2-1985 ou le 5-2-1987. Contrairement à la page 11, aucun «0» ne précède les chiffres «2» et «5». De même, la personne qui a effectué le changement n'a pas apposé ses initiales et la signature de celle qui a consenti à la prorogation jusqu'en 1987 ne figure pas à la page 11. On trouve toutefois à la page 11 ce qui semble être le sceau du gouverne- ment iranien.
De toute manière, la requérante a décidé de ne pas demeurer en France. Elle souhaitait venir au Canada et c'est ce qu'elle a fait le 24 novembre 1984. Dès son arrivée au Canada, elle a demandé le statut de réfugiée politique.
La requérante reconnaît qu'elle a utilisé un «faux» passeport pour venir au Canada. Faux, du moins, dans le sens elle a utilisé un passeport
espagnol comme si elle était citoyenne espagnole. Elle affirme qu'elle a agi ainsi afin de ne pas avoir à obtenir un visa canadien pour entrer au Canada comme tous les citoyens iraniens sont obligés de le faire.
L'avocat de la requérante a donné deux motifs pour lesquels celle-ci a utilisé un «faux» passeport:
[TRADUCTION] a) Les détenteurs d'un passeport iranien sont obligés de se procurer un visa canadien pour venir au Canada ce qu'il était impossible d'obtenir
et
b) La compagnie d'aviation refuserait à une personne de monter à bord d'un avion à moins que cette dernière ne prouve prima facie qu'elle possède des documents de voyage en règle.
Par conséquent, la requérante a voulu contour- ner la loi canadienne, selon les dires de son avocat, en achetant au «marché noir» un «faux» passeport espagnol.
L'avocat m'a informé que, dès son arrivée, la requérante a déclaré qu'outre le fait qu'elle souhai- tait demander le statut de réfugiée politique, le passeport qu'elle avait utilisé pour venir au Canada était faux. Cela s'est passé le 24 novembre 1984. Selon la requérante, son passeport iranien était toujours en France.
La requérante affirme qu'elle a été laissée en liberté jusqu'au 26 mars 1985, date à laquelle une enquête spéciale devait être tenue. Ladite enquête a été reportée au 9 avril 1985. C'est au cours d'une telle enquête qu'une personne peut demander offi- ciellement le statut de réfugié politique.
L'avocat de la requérante m'indique que pen dant cette période, c'est-à-dire, je présume, du 24 novembre 1984 au 9 avril 1985, soit une période d'environ quatre mois et demi, celle-ci a écrit en France afin d'obtenir son passeport et elle l'a remis à l'enquêteur présidant l'enquête spéciale le 9 avril 1985.
D'après l'avocat de la requérante, le passeport a alors été saisi en vertu de l'alinéa 111(2)b) de la Loi sur l'immigration de 1976 du Canada [S.C. 1976-77, chap. 52 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 23)].
La question en litige porte sur la légalité de la saisie effectuée le 9 avril 1985 par un agent du ministère de l'Immigration du Canada. Aucun
mandat n'a été obtenu pour effectuer cette saisie. On allègue violation de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
L'article 8 porte:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Le mot le plus important de cet article est «abusives». Il me semble, à la lecture de cet article, que si la fouille, la perquisition et la saisie ne sont pas abusives, l'individu ne bénéficie pas alors de la protection garantie par ledit article de la Charte des droits.
Cet article a fait l'objet de nombreuses contro- verses ce qui a donné lieu à de nombreuses contes- tations devant les tribunaux.
Je crois que la décision la plus importante sur l'interprétation de cet article est celle de la Cour suprême dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Dans cette affaire, la Cour a énoncé les critères permettant de savoir quand une saisie peut être effectuée sans la déli- vrance préalable d'un mandat et elle a déterminé qui devrait autoriser la délivrance d'un mandat pour une telle fouille, perquisition et saisie.
Le jugement du juge Dickson (tel était son titre) a été suivi par le juge MacIntosh dans l'affaire R. v. Jagodic and Vajagic (1985), 19 C.C.C. (3d) 305 (C.S.N.-E.), ainsi que par le juge Osler dans l'affaire R. v. Zaharia and Church of Scientology of Toronto (1985), 21 C.C.C. (3d) 118 (H.C. Ont.).
Les principes énoncés par le juge Dickson (tel était son titre) dans l'arrêt Hunter sont extrême- ment importants. Le premier principe général est le suivant la page 148):
La Constitution du Canada, qui contient la Charte canadienne des droits et libertés, est la loi suprême du Canada. Elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Comme je l'ai déjà dit, le litige consiste à déter- miner si l'alinéa 111(2)b) de la Loi sur l'immigra- tion de 1976 contrevient à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
L'alinéa 111(2)b) de la Loi sur l'immigration de
1976 porte:
iii....
(2) L'agent d'immigration a le pouvoir
b) de saisir et de détenir, à un point d'entrée ou au Canada, tous documents, notamment ceux de voyage, pouvant servir à déterminer si une personne peut obtenir l'admission ou entrer au Canada, au cas il a de bonnes raisons de croire qu'une telle mesure s'impose pour faciliter l'application de la pré- sente loi ou des règlements; ...
Comme on peut le constater, cet article de la Loi sur l'immigration de 1976 n'exige nullement la présentation d'une demande de mandat pour effec- tuer la fouille, la perquisition ou la saisie.
En l'espèce, la saisie a été effectuée au moment de l'enquête spéciale formelle tenue le 9 avril 1985, enquête au cours de laquelle la requérante a demandé son admission au Canada comme réfu- giée politique.
On peut affirmer à première vue que la saisie a été effectuée suivant les règles en ce qui concerne la Loi sur l'immigration de 1976, mais que ce n'est pas le cas en ce qui a trait à l'article 8 de la Charte canadienne des droits qui prime les règles de droit énoncées dans la Loi sur l'immigration de 1976.
Quelles sont donc les conditions pour qu'une fouille, une perquisition et une saisie soient valides en vertu de notre droit?
L'extrait suivant, tiré de la décision du juge Dickson (tel était son titre) dans l'arrêt Hunier et autres c. Southam Inc. (précité), est à mon avis applicable à la question examinée en l'espèce (aux pages 160 et 161):
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle- ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut 'être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie.
Le juge Dickson a ajouté à la page 161 qu'une saisie sans mandat était à première vue «abusive»:
... je suis d'avis d'adopter en l'espèce la formulation du juge Stewart qui s'applique pareillement au concept du «caractère abusif» que l'on trouve à l'art. 8, et j'estime que la partie qui veut justifier une perquisition sans mandat doit réfuter cette présomption du caractère abusif. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, la requérante a remis volontaire- ment son passeport iranien à l'enquêteur spécial Robert Racicot (paragraphe 10 de l'affidavit de la requérante) à l'audience du 9 avril 1985 parce qu'elle croyait que c'était la coutume de confier les pièces d'identité aux autorités canadiennes (para- graphe 11 du même affidavit).
La requérante déclare dans son affidavit (para- graphe 10) que, après qu'elle eut remis son passe- port à M. Racicot, celui-ci l'a saisi, sans mandat, sur le fondement de l'alinéa 111(2)b).
C'est l'immigration canadienne ou la Gendar- merie royale du Canada qui détient le passeport.
Jusqu'à maintenant, les intimées n'ont pas obtenu de mandat de fouille, de perquisition ou de saisie.
Les intimées ont soutenu que le passeport n'a pas été saisi et que, comme l'indique le paragraphe 10 de l'affidavit de la requérante, celle-ci a remis volontairement ledit passeport à M. Racicot et savait pourquoi on le lui retirait.
Les intimées allèguent en outre qu'elles avaient, à première vue, des motifs de croire qu'il y avait lieu de saisir le passeport. Elles ont mentionné deux de ces motifs:
[TRADUCTION] a) La requérante est entrée au Canada avec un passeport qui n'était pas le sien afin de contourner la loi canadienne;
b) Le passeport produit par la requérante le 9 avril 1985 permettait de voir qu'il était possible que la page 9 ait été modifiée.
On ne m'a pas demandé dans la requête dont j'ai été saisi de déterminer s'il faudrait accorder le statut de réfugiée politique à la requérante. J'ai très peu d'estime pour les personnes qui essaient d'entrer au Canada et d'y rester en utilisant des moyens illégaux.
On ne peut fermer les yeux sur cette méthode, c'est-à-dire entrer au Canada en utilisant un faux passeport ou un autre moyen illégal, que lorsque la personne essaie de fuir un pays sa vie peut être sérieusement en danger.
En l'espèce, la requérante aurait pu rester en Allemagne de l'Ouest avec son frère ou en France où, de son propre aveu, elle s'était rendue pour demander le statut de réfugiée politique.
Cela ne change rien au fait qu'on ne s'est pas adressé à une personne indépendante, comme un juge, pour obtenir un mandat autorisant la saisie du passeport de la requérante.
Dans l'affaire R. v. Zaharia and Church of Scientology of Toronto (précitée), le juge Osler dit très clairement que la détention continue constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il affirme à la page 124:
[TRADUCTION] Je suis d'avis qu'il est impossible aux fins de la Charte de distinguer la détention de la saisie.
J'estime que même si le passeport a été remis volontairement aux intimées, sa «détention» conti nue constitue une saisie.
La saisie sans mandat du passeport est-elle rai- sonnable et nécessaire eu égard aux faits de l'espèce?
Je ne le crois pas. La saisie effectuée sous forme de détention continue du passeport contrevient à l'article 8 de la Charte.
Les intimées soutiennent qu'elles n'ont pas mis fin à la saisie parce qu'on leur a remis un rapport indiquant que le passeport a été modifié.
Personne ne nie que le passeport a été modifié. Tout ce qu'on se demande c'est par qui il l'a été. La requérante n'a pas été accusée d'avoir apporté de telles modifications; les seules accusations por- tées consistaient à dire que des modifications avaient été faites. Il se peut que celles-ci aient été faites légalement, mais cette question devra être tranchée à un autre moment.
Dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. (précité), la Cour énonce le principe suivant lequel une saisie sans mandat est à première vue abusive. Les intimées ne m'ont soumis aucune preuve mon- trant qu'il était impossible d'obtenir un tel mandat
avant d'effectuer la saisie (détention du passeport). Cette situation n'a rien à voir avec celle un préposé des douanes saisit des marchandises à la frontière lorsqu'une personne essaie de les faire passer en contrebande au Canada et qu'une saisie doit être effectuée sur-le-champ.
Je crois qu'il ressort des faits de l'espèce qu'il était possible pour M. Racicot d'obtenir un mandat avant de saisir le passeport. Il faudrait donner à la requérante l'occasion de réfuter toute accusation portant qu'elle a commis un acte illégal en ayant un passeport modifié en sa possession.
Il n'est pas toujours nécessaire qu'un agent d'immigration obtienne un mandat avant de saisir un passeport car, dans certains cas, il est possible que si la saisie n'est pas effectuée sur-le-champ, la personne disparaisse avec son passeport.
Ce n'est pas le cas en l'espèce.
Appliquant les principes dégagés par le juge Dickson, je conclus que la saisie du passeport de la requérante est «abusive» et, par conséquent, illé- gale et ce, en vertu de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
La requête est accueillie en partie. J'ordonne aux intimées de remettre à la requérante, dans un délai de 15 jours à compter de la date du présent jugement, le passeport iranien numéro 865238 por- tant le nom de la requérante, le tout avec dépens.
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