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T-406-86
Paul Thomas Bryntwick (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: BRYNTWICK C. CANADA (COMMISSION NATIO- NALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES)
Division de première instance, juge Dubé—Mont- réal, 12 et 25 novembre; Ottawa, 18 décembre 1986.
Libération conditionnelle Condition de la libération con- ditionnelle interdisant l'association avec des criminels ou avec des personnes qui auraient un casier judiciaire Ni la condition ni l'art. 10(1)a) de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus en vertu de laquelle ladite condition a été imposée ne contreviennent à la Charte Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10(1)a).
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Liberté d'association La condition de la libération conditionnelle interdisant l'association avec des cri- minels restreint la liberté d'association, mais elle constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d), 6(2)a),b), 7, 24(1) Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Droit constitutionnel Charte des droits Droit de circulation et d'établissement La condition de la libération conditionnelle interdisant l'association avec des criminels ne porte pas atteinte au droit de gagner sa vie garanti par la Charte L'art. 6(2)b) de la Charte ne crée pas un droit distinct au travail qui soit indépendant des dispositions relati ves à la liberté de circulation et d'établissement Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d), 6(2)a),b), 7, 24(1) Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité de la personne La condition de la libération condi- tionnelle interdisant l'association avec des criminels ne porte pas atteinte à l'art. 7 de la Charte, car elle ne contrevient pas aux principes de la justice fondamentale et n'est pas manifes- tement déraisonnable La condition n'est pas si imprécise et contradictoire qu'il est impossible de la comprendre ou de la mettre en application Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. I, 2d), 6(2)a),b), 7, 24(1) Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Pendant qu'il était en liberté conditionnelle, le requérant a rencontré par hasard un ancien complice avec lequel il a
partagé un repas. Informée de l'incident, la Commission natio- nale des libérations conditionnelles a ajouté une condition spéciale aux modalités de la libération conditionnelle du requé- rant lui interdisant toute association intentionnelle avec des criminels ou avec des personnes qui, «selon [le requérant], ont un casier judiciaire».
Le requérant conteste cette décision en présentant une demande visant à obtenir un bref de certiorari ou toute autre réparation conformément au paragraphe 24(1) de la Charte. Le requérant allègue pour l'essentiel que la condition elle-même, la décision en vertu de laquelle elle a été imposée et la disposition légale qui a permis de le faire portent atteinte à divers droits garantis par la Charte.
Jugement: la demande doit être rejetée.
L'argument suivant lequel l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus est si arbitraire ou dérai- sonnable qu'il n'est pas visé par l'exception créée par l'article 1 de la Charte ne doit pas être examiné tant qu'il n'a pas été déterminé qu'un article précis de la Charte a été violé, auquel cas le fardeau de la preuve est renversé et l'intimée doit prouver que cette violation pouvait se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Il n'a pas été démontré que cette décision a porté atteinte à l'article 7 de la Charte étant donné qu'il n'y a pas eu violation, quant au fond ou à la procédure, des principes de la justice fondamentale. De plus, la décision de la Commission n'était pas déraisonnable au point de justifier un contrôle judiciaire. La condition ne violait pas non plus cet article parce qu'elle était si imprécise et contradictoire qu'il était impossible de la compren- dre ou de la mettre en application. Elle concerne raisonnable- ment et inévitablement les intérêts de la société et elle constitue une garantie additionnelle pour le libéré conditionnel dans ses progrès vers sa réinsertion sociale.
On ne peut retenir l'argument, fondé sur l'alinéa 6(2)b) de la Charte, suivant lequel cette condition empêcherait le requérant de travailler pour un employeur lorsque l'un ou l'autre des employés de ce dernier possède un casier judiciaire. L'alinéa 6(2)b) ne crée pas un droit distinct au travail qui n'a rien à voir avec les dispositions relatives à la liberté de circulation et d'établissement parmi lesquelles il se trouve.
Bien que la liberté d'association du requérant ait été res- treinte, les cours ont clairement établi que de telles conditions sont manifestement raisonnables et n'imposent pas de restric tions démesurées. La condition spéciale en cause a un fonde- ment logique et sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476; (1985), 55 N.R. 194; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; (1979), 51 A.P.R. 237; 97 D.L.R. (3d) 417; (1979), 26 N.R. 341; 79 CLLC 14,209; Jacmain c. Procureur général (Can.) et autre, [1978] 2 R.C.S. 15; (1978), 18 N.R. 361; Re Conroy and The Queen (1983), 42 O.R. (2d) 342 (H.C.); William
Mac Allister v. Le Directeur du Centre régional de réception et al., jugement en date du 10 février 1986, Cour supérieure du Québec, 700-38-000015-862, 500-36-000067-861, non publié; Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 384; 13 C.C.C. (3d) 138 (1fe inst.); Birzon v. King, 469 F. 2d 1241 (2nd Cir. 1972); U.S. v. Alba- nese, 554 F. 2d 543 (2nd Cir. 1977); Malone v. U.S., 502 F. 2d 554 (9th Cir. 1974); Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 11 C.C.C. (3d) 481.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
R. v. Cadeddu (1982), 146 D.L.R. (3d) 629; 32 C.R. (3d) 355; 3 C.R.R. 312 (C.S. Ont.); Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; (1984), 41 C.R. (3d) 30 (1" inst.); Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 39 C.R. (3d) 78 (1fe inst.); Ford c. La Commission nationale des libérations conditionnelles, [1977] 1 C.F. 359; (1976), 33 C.C.C. (2d) 230 (1'e inst.); Regina v. Oakes (1983), 40 O.R. (2d) 660 (C.A.); Luscher c. Sous-ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise, [1985] 1 C.F. 85; 45 C.R. (3d) 81 (C.A.); R. v. Neale (1985), 46 C.R. (3d) 366 (C. dist. Alb.); Bolling v. Sharpe, 347 U.S. 497; 98 L Ed 884; 74
S. Ct. 693 (1954); Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 45 C.R. (3d) 242 (C.A.); Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Reich v. (Alta.) College of Physicians and Surgeons (1984), 31 Alta. L.R. (2d) 205; 53 A.R. 325; 8 D.L.R. (4th) 696; 9 C.R.R. 90 (B.R.).
AVOCATS:
Daniel Rock pour le requérant. David Lucas pour l'intimée:
PROCUREURS:
Duceppe, Beaudry, Jolicceur, Marquis & Associés, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: La présente demande vise à obtenir un bref de certiorari ou toute autre répara- tion conformément au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Le requérant a été condamné en novembre 1977 et en février 1982 à deux peines d'emprisonnement de cinq ans et à une peine d'emprisonnement de six ans pour possession de biens volés, introduction par
effraction, possession illégale d'instruments et pour d'autres crimes similaires, la dernière peine devant prendre fin le 25 février 1987. Le 6 juin 1984, il a obtenu une libération conditionnelle de jour pour une période de six mois et une libération condition- nelle totale le 7 décembre 1984.
Le requérant a déclaré dans son affidavit que le 7 octobre 1985 il a rencontré par hasard un ancien complice, M. Ronald McCann, et que ce dernier l'a invité à dîner à l'hôtel Shangrila à Montréal. Au début de la soirée, des membres de la police municipale se sont présentés à l'hôtel par suite d'une plainte officielle portée par la direction dudit hôtel. Les deux hommes ont été interrogés et ensuite libérés.
Le requérant a également déclaré dans son affi davit que lors de son entrevue bimensuelle régu- lière qu'il avait eue trois jours plus tard avec son surveillant de liberté conditionnelle, il a informé cette dernière de l'incident survenu à l'hôtel Shan- grila. A la demande de son surveillant, le requé- rant s'est présenté, le 18 octobre 1985, au bureau de libération conditionnelle en compagnie de son avocat. Au cours de l'entrevue, le surveillant de liberté conditionnelle a reconnu que le requérant n'avait pas contrevenu aux modalités de sa libéra- tion conditionnelle, mais elle a ajouté que l'inci- dent justifiait quand même la présentation d'un rapport officiel à la Commission nationale des libérations conditionnelles ainsi que d'une recom- mandation visant à imposer d'autres conditions restrictives au requérant.
L'avocat a par la suite demandé une copie du rapport transmis à la Commission mais on lui a indiqué que le service des libérations conditionnel- les ne pouvait satisfaire à sa demande et qu'il devait plutôt s'adresser au Coordonnateur régional de l'accès à l'information afin d'obtenir ce docu ment. On lui a en outre indiqué que la Commission informerait par écrit le requérant des motifs justi- fiant l'examen de son cas et qu'elle lui donnerait l'occasion de soumettre ses observations.
Le 15 novembre 1985, le requérant a reçu une lettre par laquelle l'administrateur régional de la gestion des cas de la Commission nationale des libérations conditionnelles l'informait que celle-ci avait l'intention d'ajouter aux modalités de sa libération conditionnelle une condition spéciale dont voici le texte:
[TRADUCTION] Interdiction de rencontrer intentionnellement des personnes ayant un casier judiciaire ou qui, selon vous, ont un casier judiciaire, ou de communiquer intentionnellement avec celles-ci.
On lui a donné quinze jours pour répondre à cette lettre.
Dans une deuxième lettre qu'elle a envoyée au requérant le 18 novembre 1985, la Commission lui a fait connaître les motifs pour lesquels elle esti- mait que la condition spéciale était justifiée:
[TRADUCTION]
MOTIFS: —la situation fâcheuse dans laquelle vous vous êtes placé dernièrement, c'est-à-dire qu'on vous a vu en compagnie de M. Ronald McCann, un ancien complice;
—le fait qu'au cours de votre libération condition- nelle antérieure qui a été révoquée en mars 1982, vous avez récidivé en commettant un crime au moment vous étiez en compagnie d'individus possédant un casier judiciaire;
CONDITION Interdiction de rencontrer intentionnellement des
SPÉCIALE personnes ayant un casier judiciaire ou qui, selon vous, ont un casier judiciaire, ou de communiquer intentionnellement avec celles-ci;
N'ayant pas réussi à obtenir un délai addition- nel, l'avocat du requérant a répondu par une lettre incluant essentiellement les quatre mêmes argu ments juridiques produits au soutien de la présente requête et sur lesquels je me pencherai plus loin.
Avant de ce faire, je dois tout d'abord statuer sur le premier argument du requérant suivant lequel le surveillant de liberté conditionnelle ne l'a pas traité équitablement. Le requérant soutient essentiellement que le rapport soumis à la Com mission par le surveillant de liberté conditionnelle était incohérent et injuste à son égard, principale- ment parce qu'il a été rédigé avant que ledit surveillant n'ait reçu le rapport de police sur l'inci- dent survenu à l'hôtel Shangrila et parce qu'il n'exposait pas fidèlement les faits de l'affaire.
À ma demande, le rapport de police a été pro- duit à l'audience. Je n'ai constaté aucune contra diction importante entre celui-ci et le rapport pré- paré par le surveillant de liberté conditionnelle à l'intention de la Commission. Le surveillant a, en fait, rédigé son rapport avant d'avoir reçu le rap port de police écrit parce qu'elle avait déjà obtenu les renseignements dont elle avait besoin au cours de conversations téléphoniques avec des membres de la police.
Il ne faut pas perdre de vue que le surveillant de liberté conditionnelle n'est pas une employée de la Commission et que cette dernière a accès à d'au- tres sources d'information, notamment la police. De plus, la Commission a donné au requérant l'occasion de lui présenter ses arguments. L'avocat de ce dernier a soumis les arguments juridiques mentionnés plus haut principalement en réponse aux motifs justifiant l'imposition de la condition, mais il n'a pas allégué que la Commission n'avait pas rempli son obligation d'agir équitablement. Examinons donc maintenant ces quatre argu ments.
1. L'article 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus va à l'encontre de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés et il est inopérant en raison de l'article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
L'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus' est libellé comme suit:
10. (1) La Commission peut
a) accorder la libération conditionnelle à un détenu, sous réserve des modalités qu'elle juge opportunes, si la Commis sion considère que
L'article 1 de la Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés et qui «ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justifica tion puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle établit la pri- mauté de la Constitution et porte qu'elle «rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit».
Le requérant soutient pour l'essentiel qu'il existe une continuité dans les droits et libertés garantis et protégés dans le cycle défendeur—détenu—libéré conditionnel—citoyen libre, ces libertés et ces droits étant restreints ou étendus suivant le statut de l'individu à tout moment donné pendant ce cycle: ainsi, même lorsqu'il est libéré conditionnel, l'individu conserve les droits qui lui sont garantis dans un tel cas par la Charte. Il jouit encore de tous les droits civils d'une personne à l'exception de ceux qui lui sont retirés.
S.R.C. 1970, chap. P-2.
Ainsi, dans l'affaire R. v. Cadeddu 2 , la cour a statué que [TRADUCTION] «le requérant ne pouvait légalement être privé de sa liberté sans qu'on lui ait donné l'occasion de se faire entendre personnel- lement avant la révocation de sa libération conditionnelle».
Dans Cadieux c. Directeur de l'établissement Mountain 3 , le programme d'absence temporaire sans escorte du détenu a été annulé par suite d'un rapport confidentiel dont la Commission a refusé de lui faire part. La Cour a statué [aux pages 401 C.F.; 52 C.R.] qu'elle «ne [croyait] pas que la non-divulgation de l'essentiel des motifs retenus contre le requérant puisse être justifiée en disant qu'il s'agit de renseignements d'une catégorie privilégiée».
Dans Latham c. Solliciteur général du Cana- da'', un détenu dont la libération conditionnelle de jour avait été révoquée par la Commission a obtenu réparation de la Cour parce que la Com mission ne l'avait pas informé de manière appro- priée des motifs de la révocation de sa libération conditionnelle de jour. La Cour a dit que [aux pages 748 C.F.; 91 C.R.] «Une loi qui prétend opérer même cette privation ne constitue pas une limite raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte des droits garantis par son article 7.»
Le requérant ajoute que la loi lui garantissait, comme à tout détenu, le droit de demander une libération conditionnelle en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et du Règle- ment (voir Ford c. La Commission nationale des libérations conditionnelles 5 ) et, par conséquent, une fois rendue la décision de lui accorder une libération conditionnelle, il a au même moment acquis le droit d'être légalement en liberté dans la société; toute atteinte à ces libertés et droits acquis doit nécessairement être visée par l'exception con- tenue à l'article 1 de la Charte.
Le requérant prétend tout simplement que ce n'est pas l'objet légitime de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus qui est en cause, mais qu'il faut d'abord et avant tout déterminer si telle qu'elle est rédigée, cette disposi-
2 (1982), 146 D.L.R. (3d) 629, aux p. 641 et 642; 32 C.R. (3d) 355, la p. 369; 3 C.R.R. 312, la p. 323 (C.S. Ont.).
3 [1985] 1 C.F. 378; (1984), 41 C.R. (3d) 30 (1" inst.).
° [1984] 2 C.F. 734; 39 C.R. (3d) 78 (1" inst.).
5 [1977] 1 C.F. 359; (1976), 33 C.C.C. (2d) 230 (1" inst.).
tion législative est visée par l'exception prévue à l'article 1. Il soutient qu'une disposition aussi arbi- traire ou déraisonnable que l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, qui est applicable en l'espèce, n'est pas visée par cette exception.
Le requérant se fonde sur l'affaire Regina v. Dakes» pour affirmer que les lois adoptées par le législateur fédéral ainsi que les droits et libertés garantis par la Charte sont tempérés par la dispo sition de l'article 1. Il invoque également la déci- sion du juge Hugessen dans Luscher c. Sous- ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise' pour appuyer le principe suivant lequel [aux pages 89 C.F.; 85 C.R.] «Le seul fait qu'une limite soit vague, ambiguë, incertaine ou assujettie à l'exer- cice d'un pouvoir discrétionnaire suffit à en faire une limite déraisonnable.» Il allègue que l'expres- sion «sous réserve des modalités qu'elle juge oppor- tunes» n'est pas suffisamment claire et qu'elle assujettit les droits et libertés d'un libéré condi- tionnel au pouvoir discrétionnaire et absolu de la Commission.
Selon le requérant, cette expression n'apporte aucune limite au pouvoir que la Commission peut décider d'exercer; elle poserait comme principe que la Commission est habilitée à nier totalement les droits et libertés garantis par la Charte, ce qui aurait pour effet de soustraire la Commission de l'application de l'article 1 de la Charte et le libéré conditionnel de la protection qu'offre cet article. Le requérant prétend que pour cette seule raison, le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 rend inopérante cette disposition incompati ble de l'alinéa 10(1)a).
À mon avis, le premier argument juridique du requérant constitue une pétition de principe. Il soulève deux questions fondamentales: première- ment, l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus va-t-il à l'encontre d'un article précis de la Charte? Deuxièmement, si tel est le cas, le fardeau de la preuve est alors renversé et l'intimée doit prouver conformément à l'article 1 de la Charte que cet alinéa constitue une règle de droit qui impose une limite raisonnable et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une
6 (1983), 40 O.R. (2d) 660 (C.A.).
' [1985] 1 C.F. 85; 45 C.R. (3d) 81 (C.A.).
8 Affaire précitée, note 6.
société libre et démocratique (voir Regina v. Oakes 8 , à la page 114). En d'autres termes, il est nécessaire d'examiner les trois autres arguments juridiques soumis avant de tenter de statuer sur les questions visées par l'article 1 de la Charte.
2. La décision du 8 janvier 1986 d'imposer une condition spéciale au requérant est nulle en raison de l'article 7 de la Charte.
Voici le libellé de l'article 7 de la Charte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Le requérant prétend que toute autre atteinte à son statut de libéré conditionnel ne peut être fondée que sur l'article 7 de la Charte. Invoquant encore une fois l'affaire R. v. Cadeddu°, il fait remarquer qu'il avait lui aussi [TRADUCTION] «la possibilité d'être en liberté conditionnelle ou res- treinte» et que la Commission [TRADUCTION] «ne pouvait révoquer sa libération conditionnelle qu'en conformité avec les principes de justice fondamen- tale».
Invoquant l'affaire R. v. Neale 10 , le requérant laisse entendre que le mot «atteinte» figurant à l'article 7 [TRADUCTION] «vise non seulement la perte totale ou le déni absolu du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne mais égale- ment la violation de ce droit». Il cite l'affaire Bolling v. Sharp&' à l'appui de la proposition suivant laquelle [TRADUCTION] «la liberté confé- rée par la loi s'étend à tout l'éventail de comporte- ments que l'individu est libre d'adopter».
Le requérant est d'avis que la Commission a manifestement accru la menace de châtiment qui pèse sur lui en élargissant la portée des modalités de sa libération conditionnelle pour la violation desquelles il peut être réincarcéré. Il n'appuie pas sa revendication sur la procédure applicable en vertu des principes de justice fondamentale, mais il cherche plutôt à faire appliquer en même temps les règles de fond et les règles de procédure en matière de justice fondamentale. Il prétend que, suivant l'opinion de plus en plus répandue au sein de la
8 Affaire précitée, note 6.
9 Affaire précitée, note 2.
10 (1985), 46 C.R. (3d) 366 (C. dist. Alb.), à la p. 376.
11 347 U.S. 497, la p. 499; 98 L Ed 884, la p. 887; 74 S. Ct. 693 (1954), à la p. 694.
magistrature et de la communauté juridique, l'ex- pression «principes de justice fondamentale» qui figure à l'article 7 de la Charte comprend des règles de fond en plus des règles de procédure reconnues. Il cite un extrait de l'ouvrage du profes- seur David P. Jones intitulé Principles of Admi nistrative Law 12 :
[TRADUCTION] Cette expression (les principes de justice fonda- mentale) a été empruntée à la Déclaration canadienne des droits et visait indubitablement à incorporer dans la Constitu tion les règles de procédure applicables en matière de justice naturelle pour ce qui est des questions relatives à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
En premier lieu, les termes mêmes de l'article 7 ne se limitent pas aux questions de procédure, mais ils peuvent également se rapporter aux circonstances il sera it fondamentalement «injuste» de porter atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité d'une personne.
(En deuxième lieu), les tribunaux américains ont conclu que ces deux modifications exigent non seulement l'équité dans la procédure mais aussi «l'application régulière de la loi quant au fond» (»substantive due process») dans certaines circonstances. [C'est moi qui souligne.]
Suivant le requérant, il ressort des circonstances particulières de l'espèce que, du point de vue juri- dique, la décision de lui imposer une condition spéciale ne peut faire l'objet d'un examen ou d'un appel et est donc finale, exécutoire et définitive.
Il invoque également l'opinion incidente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Howard c. Éta- blissement Stony Mountain 13 , opinion selon laquelle l'expression «en conformité avec les princi- pes de justice fondamentale» peut «viser ou inclure des normes de fond»; il prétend en outre qu'aucun tribunal administratif auquel le législateur fédéral a délégué des pouvoirs ne peut échapper à l'appli- cation de la Charte.
Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. 14 , le juge Lamer s'est prononcé sur le sens de l'expression «principes de justice fondamentale» et il a dit la page 501) que lesdits principes «constituent non pas un intérêt protégé, mais plutôt un modificatif du droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne». Il a
12 Carswell, 1985, aux pp. 192 et 193.
13 [1984] 2 C.F. 642, à la p. 661; (1985), 45 C.R. (3d) 242, à la p. 261 (C.A.).
14 [1985] 2 R.C.S. 486.
conclu plus loin que «À titre de modificatif, cette expression sert à établir les paramètres des inté- rêts.» Il a également ajouté «qu'il serait erroné d'interpréter l'expression "justice fondamentale" comme synonyme de justice naturelle». Il a statué la page 503) que ces principes «se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique».
Je ne peux conclure en l'espèce que la condition imposée au requérant n'était pas en conformité avec les principes de justice fondamentale. Il est vrai que cette condition constituait une nouvelle atteinte à sa liberté mais elle a été imposée en conformité avec les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Le requérant n'a pas prouvé qu'on avait violé les règles de procédure ou de fond. On lui a donné l'occasion de réfuter les éléments de preuve soumis à la Commission et en fait, il a pu par l'intermédiaire de son avocat faire valoir ses arguments qui, je le répète, portaient sur les principes généraux du droit mais n'établissaient pas que la Commission avait, dans son cas, violé de quelque manière que ce soit les principes de justice fondamentale.
Dans l'arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre'', la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur l'étendue du contrôle judiciaire sur les tribunaux administratifs. Le juge Lamer a conclu (aux pages 487 R.C.S.; 207 N.R.) qu'il s'agissait de savoir dans ce cas si la sentence arbitrale était «déraisonnable au point de ne pou- voir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire». Ce critère a d'abord été imposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Syndicat cana- dien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick 16 . Le juge a en outre statué (aux pages 489 R.C.S.; 209 N.R.) que les cours «ne doivent intervenir que si elles trouvent un véritable excès de juridiction de la part de l'arbitre et non simplement si elles se trouvent en désaccord avec ses conclusions». Citant le juge Dickson [tel était alors son titre] dans l'arrêt Jacmain c. Procureur général (Can.) et autre", il a ajouté (aux pages 490 R.C.S.; 211
15 [1984] 2 R.C.S. 476; (1985), 55 N.R. 194.
16 [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; (1979), 51 A.P.R. 237; 97 D.L.R. (3d) 417; (1979), 26 N.R. 341; 79 CLLC 14,209.
17 [1978] 2 R.C.S. 15; (1978), 18 N.R. 361.
N.R.) que «l'erreur doit être manifeste». Le rôle de la Cour consiste à faire un examen de la décision et non un nouveau procès.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, je ne peux conclure que la Commission s'est montrée manifestement déraisonnable en interdisant au requérant de rencontrer des personnes possédant un casier judiciaire. Dans Re Conroy and The Queen 18 , la Cour a statué que si la Commission peut imposer toute condition raisonnable qu'elle estime souhaitable au début de la libération condi- tionnelle, elle peut le faire encore une fois [TRA- DUCTION] «lorsqu'un changement de circonstances [l']exige». A mon avis, la Commission était pleine- ment habilitée par la Loi à prendre la décision en question et la condition imposée n'est pas manifes- tement déraisonnable au point de constituer un excès de juridiction.
3. Ladite condition est, du point de vue du droit, nulle et inopérante en raison de l'article 7 de la Charte parce qu'elle est si imprécise et contradictoire qu'il est impossible de la comprendre ou de la mettre en application.
Le requérant invoque une nouvelle fois l'affaire Luscher' 9 la cour s'est exprimée comme suit en appliquant à une loi le principe de la [TRADUC- TION] «nullité pour cause d'imprécision» (aux pages 89 et 90 C.F.; 85 C.R.);
L'incertitude et l'imprécision sont des vices d'ordre constitu- tionnel lorsqu'elles servent à restreindre des droits et libertés garantis par la Constitution. Bien qu'il ne puisse jamais y avoir de certitude absolue, une limite imposée à un droit garanti doit être telle qu'il sera très facile d'en prévoir les conséquences sur le plan juridique.
Le requérant soutient qu'en imposant les condi tions de la libération conditionnelle, la Commis sion se sert des dispositions législatives habilitantes pour établir des règles de droit et que toute condi tion ainsi imposée est donc assujettie à la Charte. Cette condition doit être suffisamment claire et précise pour que le requérant puisse savoir quels sont les actes ou comportements qui lui sont inter- dits sous peine de châtiment. En outre, cette condi tion doit être libellée dans des termes suffisam- ment précis pour éviter qu'on l'applique d'une manière arbitraire et discriminatoire.
18 (1983), 42 O.R. (2d) 342 (H.C.).
19 Affaire précitée, note 7.
Selon le requérant, il ressort de la condition que s'il devait [TRADUCTION] «rencontrer intentionnel- lement des personnes ayant un casier judiciaire .. ou communiquer intentionnellement avec cel- les-ci», qu'il sache ou non que ces personnes ont été condamnées pour des infractions criminelles dans le passé, il contreviendrait aux modalités de sa libération conditionnelle et pourrait être immédia- tement réincarcéré et perdre sa réduction méritée de peine. Il affirme que l'addition de l'expression [TRADUCTION] «ou qui, selon vous, ont un casier judiciaire» est encore plus irrationnelle, imprécise et arbitraire.
Le requérant reconnaît qu'on lui a expliqué la condition spéciale, mais il affirme que le seul document légal est le certificat de libération condi- tionnelle dans lequel figure la condition mais non son explication. Compte tenu du fait que seule la Commission est habilitée par l'alinéa 10(1)a) de la Loi à imposer des conditions à la libération condi- tionnelle, le requérant se demande quelle impor tance un agent de la paix, une cour de justice ou les organismes de libération conditionnelle eux- mêmes accorderaient à l'explication présumée de la condition.
Le requérant prie donc la Cour de conclure que la condition spéciale est nulle et inopérante en raison de l'article 7 de la Charte parce qu'elle n'est pas suffisamment claire et précise pour que le requérant puisse savoir quels sont les actes ou comportements qui lui sont interdits et qu'on ne pourra non plus éviter qu'elle soit appliquée d'une manière arbitraire et discriminatoire.
Dans l'affaire William Mac Allister v. Le Directeur du Centre régional de réception et al. 20 , la Cour supérieure du Québec a statué sur une condition similaire imposée à un libéré condition- nel. La Cour a dit la page 4) dans le jugement non publié:
[TRADUCTION] Comme je l'ai déjà dit, Mac Allister purge actuellement une peine d'emprisonnement à perpétuité. Sa libération conditionnelle fait suite à une décision administrative prise par la Commission nationale des libérations conditionnel- les en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus et ses règlements. Bien que l'on ait qualifié de "droit» au sens légal ou pratique de ce mot le droit à la libération condition
20 N o 700-38-000015-862, 500-36-000067-861, le juge Fraser Martin, 10 février 1986, non publiée.
pelle, la «liberté» qui découle de ce droit est limitée. Par conséquent, Mac Allister est libre sous réserve de son obligation ou de son devoir de se conformer aux conditions de sa libération.
La Cour supérieure a ensuite examiné certaines des décisions citées plus haut ainsi que ma décision dans l'affaire Belliveau c. La Reine 21 j'ai déclaré, comme cela est rapporté dans l'affaire Mac Allister la page 8):
Il n'est pas contraire au bon sens de présumer qu'une cer- taine forme de contrôle et de réhabilitation est nécessaire pour aider les détenus à faire leur rentrée graduelle au sein de la collectivité et qu'une certaine garantie est nécessaire pour la protection de cette dernière. La surveillance obligatoire consti- tue une méthode pour atteindre ces objectifs et les restrictions qu'elle impose sont raisonnables et justifiables dans une société démocratique.
Pour ce qui est de la clarté de la condition imposée par la Commission, la Cour supérieure a dit la page 10):
[TRADUCTION] Si j'examine la situation actuelle en tenant compte de ces directives, je suis tout d'abord convaincu que «l'avis de manquement» expose suffisamment le manquement reproché à Mac Allister et lui révèle clairement la violation en question. De plus, dans un tel contexte, je ne peux tout simple- ment pas admettre que la condition imposée, et modifiée le 25 novembre 1985, est si imprécise qu'une personne ordinaire ne peut en comprendre le sens et ce, sans tenir compte des éclaircissements donnés ultérieurement aux avocats de Mac Allister par la Commission des libérations conditionnelles quant à la nature et à l'étendue de la restriction apportée.
Dans trois décisions américaines, le point en litige était la validité des conditions de la libération conditionnelle qui interdisaient au libéré condition- nel de fréquenter certaines catégories de person- nes. Dans l'affaire Birzon v. King 22 , la condition portait que le libéré conditionnel ne devait pas fréquenter des personnes s'adonnant à des activités criminelles. La cour a jugé que cette condition n'était pas suffisamment imprécise pour être inconstitutionnelle. La United States Court of Appeals, Deuxième Circuit, a dit la page 1243):
[TRADUCTION] Bien qu'un libéré conditionnel doive bénéfi- cier à de nombreux égards d'une liberté plus grande qu'un détenu, nous ne voyons aucune raison pour laquelle le gouver- nement ne pourrait apporter aux droits du libéré conditionnel des limites raisonnables et inévitablement liées à l'intérêt que le gouvernement continue à porter au détenu après sa libération conditionnelle. La limite imposée en l'espèce est raisonnable et inévitablement liée à l'intérêt légitime du gouvernement dans les activités du libéré conditionnel et elle ne viole donc pas le premier amendement.
21 [1984] 2 C.F. 384, la p. 393; 13 C.C.C. (3d) 138, la p. 145 (1te inst.).
22 469 F. 2d 1241 (2nd Cir. 1972).
Dans l'affaire U.S. v. Albanese 23 , la probation était assortie d'une condition qui exigeait que l'ap- pelant [TRADUCTION] «ne fréquente que des per- sonnes respectueuses des lois». La United States Court of Appeals, Deuxième Circuit, a statué la page 544):
[TRADUCTION] Bien qu'il soit préférable d'éviter des condi tions dont le libellé comporte l'expression «personnes respec- tueuses des lois», une condition de probation portant que le défendeur ne devait fréquenter que des personnes respectueuses des lois n'était pas si imprécise ou si générale qu'elle devenait inconstitutionnelle, la cour ayant jugé que le défendeur avait, pendant des années et de manière continue et régulière et sans que cela soit le fait du hasard, fréquenté un grand nombre de criminels reconnus coupables.
Dans l'affaire Malone v. U.S. 24 , les modalités de la probation qui avait été accordée à un libéré conditionnel lui interdisaient de participer à tout mouvement républicain irlandais aux États-Unis et d'appartenir à toute organisation irlandaise, etc. La United States Court of Appeals, Neuvième Circuit, a jugé qu'on peut raisonnablement appor- ter, dans le cadre de la sentence qui est imposée à un criminel reconnu coupable, des limites à son droit d'association afin de l'empêcher de commet- tre des actes criminels dans le futur. Elle a statué la page 556) qu'il existait un [TRADUCTION] «lien raisonnable entre les conditions de la proba tion et les objectifs de celle-ci».
À mon avis, la condition imposée au requérant est suffisamment claire et précise pour qu'il soit possible d'en comprendre le sens et de l'appliquer. Elle ne dépasse manifestement pas l'entendement de toute personne raisonnable. La restriction impo sée concerne raisonnablement et inévitablement les intérêts de la société et, de plus, elle constitue une garantie additionnelle pour le libéré conditionnel dans ses progrès vers sa réinsertion sociale. La simple prudence dicte qu'il évite la compagnie de personnes qui pourraient le détourner du droit chemin. Si, par malheur, le requérant était victime d'une interprétation ou d'une application arbitraire ou discriminatoire de la condition, il pourra tou- jours s'adresser aux tribunaux pour obtenir réparation.
4. La condition spéciale imposée au requérant et qui devait être en vigueur à compter du 8 janvier 1986 est nulle et inopé- rante parce qu'elle constitue une limite déraisonnable appor- tée aux droits et libertés qui lui sont garantis par les articles
23 554 F. 2d 543 (2nd Cir. 1977).
24 502 F. 2d 554 (9th Cir. 1974).
1, 2d) et 6(2)b) de la Charte.
Les alinéas 2d) et 6(2)b) portent:
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
d) liberté d'association.
6....
(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit:
b) de gagner leur vie dans toute province.
Le requérant prétend qu'il est évident à pre- mière vue que la condition spéciale porte atteinte à ces deux droits garantis par la Constitution qu'il pouvait légalement exercer et dont il pouvait jouir dans la mesure cela n'était pas incompatible avec les modalités de sa libération conditionnelle. Il pouvait donc, jusqu'au moment de l'imposition de cette condition, fréquenter n'importe quel indi- vidu et s'associer ou s'entretenir avec celui-ci, et il pouvait gagner sa vie sans contrainte et sans limite, tant qu'il exerçait ses droits en conformité avec la loi.
Il affirme que l'on a donc porté atteinte à ses droits sans aucun discernement pour la simple et unique raison qu'il a été vu en compagnie de M. Ronald McCann, un individu avec lequel il avait été reconnu coupable d'une infraction criminelle il y a plus de sept ans. Il soutient donc que la condition spéciale ne constitue pas une limite rai- sonnable apportée à ses droits et libertés garantis par la Constitution et qu'elle est par conséquent nulle et inopérante.
Dans l'affaire Reich v. (Alta.) College of Physi cians and Surgeons 25 , la Cour a adopté les princi- pes énoncés dans un article de T. J. Christian, intitulé «The Limitation of Liberty: A Considera tion of Section 1 of the Charter of Rights and Freedoms» [(1982), U.B.C. L. Rev. (Charter ed.) 105, aux pages 108 et 109]:
[TRADUCTION] Toute limite apportée aux droits garantis par la Charte doit être rationnellement liée à la réalisation d'un objectif public légitime ...
25 (1984), 31 Alta. L.R. (2d) 205, la p. 218; 53 A.R. 325, à la p. 335; 8 D.L.R. (4th) 696, aux pp. 708 et 709; 9 C.R.R. 90, à la p. 102 (B.R.).
De plus, toute limite apportée aux droits garantis par la Charte ne doit pas être plus étendue que nécessaire pour atteindre l'objectif public légitime. Toute restriction apportée à un droit garanti par la Charte doit être proportionnée au but légitime recherché ...
Enfin, toute limite apportée aux droits garantis par la Charte ne doit pas se fonder sur des motifs arbitraires ni être motivée par la mauvaise foi.
Le requérant soutient que l'objectif rationnel à la base de toute condition dont est assortie la libération conditionnelle consiste, premièrement, à aider la réinsertion sociale du libéré conditionnel et, deuxièmement, à protéger la société contre la perpétration d'autres infractions. En outre, ce double critère doit être rationnellement lié aux motifs avancés par la Commission pour justifier ses atteintes aux droits du requérant.
Le requérant affirme que cette condition pour- rait l'empêcher de gagner sa vie en travaillant pour un employeur s'il arrivait que l'un ou l'autre des employés de ce dernier ait été condamné dans le passé pour une infraction criminelle. À son avis, un tel lien serait si ténu que la condition spéciale constituerait non seulement une limite excessive mais aussi une limite manifestement déraisonnable et irrationnelle au droit de gagner sa vie qui lui est garanti par la Charte des droits.
À mon avis, il a clairement été établi que c'est ce que signifie précisément le droit de gagner sa vie dans toute province. Il ne s'agit pas d'un droit absolu au travail mais d'un droit de circulation et d'établissement. Cette question a été tranchée dans l'arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker 26 la Cour suprême du Canada a statué que l'alinéa 6(2)b), si on l'interprète correc- tement, ne crée pas un droit distinct au travail qui n'a rien à voir avec les dispositions relatives à la liberté de circulation et d'établissement parmi les- quelles il se trouve. Les deux droits prévus aux alinéas 6(2)a) et b) se rapportent au déplacement dans une autre province, soit pour y établir sa résidence, soit pour y travailler sans y établir sa résidence. L'alinéa 6(2)b) ne confère donc pas à un résident permanent un droit constitutionnel additionnel de pratiquer le droit dans sa province de résidence qui prévaudrait sur la disposition provinciale.
26 [1984] 1 R.C.S. 357; 11 C.C.C. (3d) 481.
Il ne fait cependant aucun doute que la liberté d'association du requérant a été restreinte. Le fardeau de la preuve est par conséquent renversé et il appartient à l'intimée de prouver que, suivant l'article 1 de la Charte, elle a imposé au requérant une limite qui est raisonnable et dont la justifica tion peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
À cet égard, il n'est pas nécessaire d'examiner encore une fois toutes les décisions déjà citées dans le présent jugement et qui établissent clairement que de telles conditions sont manifestement raison- nables et n'imposent pas des restrictions démesu- rées. Il est indubitable que le genre de condition imposée au requérant a un fondement logique et qu'elle fait partie des limites acceptables et accep- tées dans une société démocratique.
Par ces motifs, la demande est rejetée avec dépens.
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