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A-536-85
Dorai Boats Ltd. (appelante)
c.
Bayliner Marine Corporation (intimée)
RÉPERTORIE: BAYLINER MARINE CORP. c. DORAL BOATS LTD. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone— Toronto, 13 mai; Ottawa, 13 juin 1986.
Droit d'auteur Contrefaçon Appel d'un jugement de la Division de première instance concluant qu'il avait été porté atteinte au droit d'auteur de Bayliner sur les plans d'un runabout Dorai a fabriqué ses bateaux en dépouillant de leurs accessoires la superstructure ainsi que la coque des bateaux de Bayliner pour les utiliser comme modèles, ce qui lui a permis d'éviter tout le processus de la conception Les plans ne font pas l'objet d'un droit d'auteur Les dessins sont «susceptibles d'être enregistrés» en vertu de la Loi sur les dessins industriels au sens de l'art. 46 de la Loi sur le droit d'auteur Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2, 3, 4, 5, 46, annexe II, annexe III, art. 2.
Dessins industriels Le dessin des plans ainsi que de la coque d'un bateau peuvent être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels au sens de l'art. 46 de la Loi sur le droit d'auteur et ne sont pas exceptés de l'application de la règle générale prévue à cet article par le jeu de l'art. 11 des Règles régissant les dessins industriels Le critère servant à déterminer si un dessin peut être enregistré est celui qui a été énoncé dans l'affaire Cimon Ltd. et al. v. Bench Made Furni ture Corpn. et al.: le dessin doit être «appliqué» à «l'ornemen- tation» d'un article Les détails de la forme générale, qui servent à distinguer entre eux les différents bateaux, sont ornementaux Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8, art. 14(1) Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964, art. 11(1),(2) Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 46.
Interprétation des lois Règles régissant les dessins indus- triels, art. 11(1)a) Le juge de première instance a suivi la décision rendue dans l'affaire Royal Doulton Tableware Limi ted c. Cassidy's Ltd., selon laquelle le mot «et» figurant à la fin de l'art. I1(1)a) doit être interprété de manière conjonctive Le mot «et» peut être interprété soit de manière conjonctive soit de manière disjonctive Le mot «et» dont il est question en l'espèce vise à relier des éléments conjoints ainsi que des éléments séparés La décision rendue dans l'affaire Royal Doulton est infirmée Appel accueilli Le juge de première instance a commis une erreur en interprétant l'art. 11 comme excluant l'application de l'art. 46 de la Loi sur le droit d'auteur Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964, art. 11.
Il s'agit d'un appel et d'un appel incident interjetés à l'encon- tre d'un jugement de la Division de première instance concluant que Dorai avait porté atteinte au droit d'auteur de Bayliner sur les plans d'un runabout. Dorai a évité le processus coûteux de la conception en utilisant comme modèles des bateaux de Bayliner dépouillés de leurs accessoires. L'article 46 de la Loi sur le
droit d'auteur porte que cette Loi ne s'applique pas aux dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, à l'exception des dessins qui ne sont pas destinés à servir de modèles pour être multipliés par un procédé industriel. Le paragraphe 11(1) des Règles régissant les dessins indus- triels prévoit qu'un dessin est censé servir de modèle destiné à être multiplié par un procédé industriel a) lorsque celui-ci est destiné à être reproduit dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles ne forment ensemble qu'un seul assorti- ment, et b) lorsque le dessin doit être appliqué à des tentures de papier peint, des tapis, des tissus et de la dentelle. Le juge de première instance a suivi la décision rendue dans l'affaire Royal Doulton, selon laquelle le mot «et» figurant à la fin de l'alinéa 11(1)a) doit être interprété comme conjonctif. Il a conclu que le paragraphe 11(1) des Règles excluait l'applica- tion de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur. La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si, compte tenu de l'article 46, les plans de Bayliner bénéficient de la protection du droit d'auteur.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Dans l'affaire Royal Doulton, le juge de première instance a interprété le mot «et» figurant à la fin de l'alinéa 11(1)b) des Règles comme étant disjonctif. Le dénominateur commun des éléments énumérés à l'alinéa 11(1)b) est que chacun de ceux-ci constitue un produit auquel le même dessin est appliqué de façon répétée. La conjonction «et» figurant à la fin de l'alinéa 11(1)a) doit être interprétée dans le même sens afin de réaliser l'intention du législateur. Ainsi qu'il a été indiqué dans l'affaire Jeffrey Rogers Knitwear, si un dessin doit répondre à tous les critères énoncés aux alinéas 11(1)a) et 11(1)b), aucun dessin n'est susceptible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels.
L'intimée avait l'intention de fabriquer beaucoup plus de 50 bateaux. Ceux-ci sont donc fabriqués au moyen d'un procédé industriel. Le juge de première instance a commis une erreur en interprétant le paragraphe 11(1) des Règles comme excluant l'application de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur. Il reste à savoir si les dessins en question sont susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels. L'intimée a soutenu que les dessins visés ne possédaient pas, à un degré suffisant, l'élément de nouveauté requis pour de tels dessins, ajoutant que ceux-ci, même s'ils constituaient des dessins, n'étaient pas enregistrables parce qu'ils avaient avant tout un caractère fonctionnel. Le droit d'auteur allégué ne peut exister si l'objet que ce droit protégerait est un dessin au sens de la Loi sur les dessins industriels puisque, si tel est le cas, cet objet est «susceptible d'être enregistré» en vertu de la Loi sur les dessins industriels et soumis à l'application de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur. Selon la décision rendue dans l'affaire Cimon Ltd. et al. v. Bench Made Furniture Corpn. et al., [TRADUCTION] «le genre de dessin enregistrable est donc celui qui est "appliqué" à "l'ornementation" d'un article». Si la forme générale de la coque et de la superstructure d'un bateau de plaisance peuvent en grande partie être dictées par des exigences fonctionnelles, les détails de cette forme qui servent à distinguer l'aspect extérieur d'un runabout de l'aspect extérieur d'un autre bateau du même genre sont essentiellement orne- mentaux. De tels détails auront pour effet de rendre ce run about plus attrayant qu'un autre. Les dessins divulgués par les plans en cause sont susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels au sens de l'article 46 de la Loi
sur le droit d'auteur et ne sont pas exceptés de l'application de ses dispositions par l'article 11 des Règles régissant les dessins industriels. Les plans eux-mêmes ne sont donc pas protégés par un droit d'auteur.
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Liée, [1986] 1 C.F. 357; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (1fe inst.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Jeffrey Rogers Knitwear Productions Limited c. R.D. International Style Collections Ltd., [1985] 2 C.F. 220; 6 C.P.R. (3d) 409 (1te inst.); Cimon Ltd. et al. v. Bench Made Furniture Corpn. et al., [1965] 1 R.C.É. 811.
DISTINCTION FAITE AVEC:
British Leyland et al. v. Armstrong Patents et al., juge- ment en date du 27 février 1986, Chambre des Lords, non encore publié.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48 C.P.R. 109 (C.A. Ont.); confirmant (1964), 44 C.P.R. 239 (H.C. Ont.); Vidal c. Artro Inc., [1976] C.S. 1155 (Qc).
DÉCISION CITÉE:
Interlego AG et autre c. Irwin Toy Ltd. et autre (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Robert H. Barrigar, c.r. et Kenneth E. Sharpe pour l'appelante.
Roger T. Hughes, c.r. et Kenneth D. McKay pour l'intimée.
PROCUREURS:
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour l'appelante. Sim, Hughes, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il s'agit en l'espèce d'un appel et d'un appel incident interjetés à l'encontre d'un jugement de la Division de première instance, [1986] 3 C.F. 346; (1985), 5 C.P.R. (3d) 289, dans lequel il a été décidé que l'appelante, ci-après appelée «Doral», avait violé le droit d'auteur de l'intimée, ci-après appelée «Bayliner», sur les plans de la coque et du pont en fibre de verre d'un
bateau et n'avait pas violé le droit d'auteur de cette dernière sur les plans d'un autre bateau. Le bateau dont les plans, suivant ce jugement, ont été contrefaits, est un runabout d'environ 16 pieds et demi de longueur. Le bateau dont les plans, sui- vant ce même jugement, n'ont pas été contrefaits, est un bateau de plaisance avec cabine d'environ 24 pieds et demi de long. Le juge de première instance a tiré les conclusions de fait suivantes [aux pages 352, 353 et 373 C.F.; 292, 293 et 317 C.P.R.] sur la conception et l'utilisation des plans de Bayliner ainsi que sur les actes qui, selon les allégations de l'intimée, auraient porté atteinte au droit d'auteur qui les protégeait:
Les concepteurs de Bayliner dessinent d'abord séparément les plans de la coque et du pont ou des parties constituant la superstructure. Les bateaux—particulièrement leur coque— ayant une forme courbe et effilée, les plans comportent des tableaux sur lesquels figurent plusieurs mesures donnant les coordonnées pour chaque intervalle d'environ un pied et demi de l'avant et jusqu'à l'arrière. Ces dessins sont utilisés pour fabriquer ce qu'on appelle un modèle, qui est une représenta- tion en trois dimensions du bateau devant être construit à partir du dessin. On fabrique alors un moule en se servant du modèle. Lors de la fabrication du bateau, on étend d'abord dans le moule une couche de fibre de verre de la couleur désirée. La fibre de verre est ensuite placée mécaniquement ou à la main à l'épaisseur voulue. C'est ainsi qu'on fabrique la coque du bateau. La même chose s'applique au moule de la superstruc ture, qui doit naturellement être ajusté à la coque au moment de l'assemblage du bateau. La demanderesse a déposé quatre dessins représentant la coque et le pont de chacun des bateaux; elle a également produit un cinquième dessin, la coque du Ciera 2450 résultant d'une modification d'un plan antérieur de la demanderesse dont elle a également déposé le dessin.
La défenderesse admet franchement qu'elle fabrique ses bateaux sans procéder à des études techniques et qu'elle n'a pas de division d'ingénierie comme telle. Elle a acheté un Capri 1650 et l'a dépouillé de ses accessoires, séparant la coque et la superstructure et les utilisant comme modèles pour ses propres bateaux. Elle a procédé de la même façon avec le Ciera 2450 de la demanderesse ... Le processus coûteux de la conception est ainsi évité: ni dessins techniques ni modèles n'ont à être prépa- rés, les modèles étant constitués par les bateaux de la demande- resse avec les modifications qui y sont apportées.
Mes conclusions de fait se fondent sur un examen exhaustif de tous les éléments de preuve, y compris les détails des comparaisons qui, pour des raisons de nécessité, ont été omis des présents motifs. Me fondant sur ces éléments de preuve, je conclus que le Citation construit par la défenderesse comporte des différences suffisantes pour ne pas porter atteinte au droit d'auteur de la demanderesse sur le Ciera 2450. Dans le cas du TRX, je suis cependant arrivé à la conclusion contraire. Les différences entre ce dernier et le Capri 1650 sont relativement mineures et négligeables. Bien qu'un expert et peut-être même un vendeur expérimenté puissent les remarquer, un client moyen ne verrait aucune différence importante, si ce n'est dans
la finition et dans l'équipement, qui ne sont pas protégés par le droit d'auteur.
Dorai interjette maintenant appel de la décision portant qu'elle a violé le droit d'auteur sur les dessins du runabout. Bayliner interjette un appel incident de la décision statuant qu'il n'a pas été porté atteinte au droit d'auteur sur les dessins du bateau de plaisance, ainsi que du rejet de certains redressements par le juge de première instance. Elle ne réclame plus de dommages-intérêts exem- plaires ou punitifs. Elle affirme cependant que le juge de première instance a commis une erreur en refusant d'ordonner la remise des runabouts con- trefaits ainsi que des modèles et des moules de ces derniers, en lui refusant des dommages-intérêts fondés sur l'usurpation, en ne lui conférant le droit de réclamer des dommages-intérêts ou une reddi- tion de compte des bénéfices qu'à compter du moment Doral a été avisée de l'existence de ses plans et de sa revendication du droit d'auteur sur ces derniers et, finalement, qu'il s'est trompé en ne lui accordant pas à la fois des dommages-intérêts et une reddition de compte des bénéfices plutôt que de lui laisser le choix.
Ni l'une ni l'autre des parties ne m'ont con- vaincu que le juge de première instance avait tiré des conclusions de fait erronées. Il a pu conclure ainsi à partir d'éléments de preuve qu'il était par- faitement en droit d'accepter. Il s'ensuit que je dois rejeter l'appel interjeté par Dorai qui a pré- tendu que le juge de première instance est arrivé à une conclusion de fait erronée en disant que son runabout contrefaisait les plans du runabout de Bayliner. De la même façon, l'appel incident inter- jeté à l'encontre de la conclusion voulant que le bateau de plaisance de Dorai n'ait pas contrefait les plans du bateau de plaisance de Bayliner doit également être rejeté. Subsistent donc, outre l'ap- pel incident relatif aux redressements, les motifs d'appel suivants: a) l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, ne con- fère aucune protection aux plans de Bayliner et b) en droit, la production d'une copie d'un objet fabriqué suivant un plan ne contrefait pas ce plan.
Le juge de première instance a tranché le pre mier de ces arguments en disant qu'il devait res- pecter la jurisprudence. Il était d'avis qu'il fallait suivre une autre décision récente rendue par la Division de première instance dans l'affaire Royal
Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Ltée, [1986] 1 C.F. 357; (1984), 1 C.P.R. (3d) 214. Pour juger de cet argument, il faut, dans une large mesure, se référer à l'économie de la législation.
L'article 2 de la Convention de Rome sur le droit d'auteur 1928, qui constitue l'annexe III de la Loi sur le droit d'auteur, aux termes de l'article 51 de cette loi, contient deux dispositions pertinentes.
(1) Les termes «oeuvres littéraires et artistiques» compren- nent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que: ... les illustrations, les cartes géographiques; les plans, croquis et ouvrages plastiques, relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences.
(4) Les oeuvres d'art appliquées à l'industrie sont protégées autant que permet de le faire la législation intérieure de chaque pays.
Les dispositions qui précèdent semblent identiques à celles de la Convention de Berne révisée de 1886 qui est l'annexe II de la Loi et à laquelle l'article 47 fait référence. Le Canada a adhéré à ces con ventions et a donné effet à ces dispositions particu- lières en adoptant la loi suivante.
La Loi sur le droit d'auteur porte:
2. Dans la présente loi
«oeuvre littéraire» comprend les cartes géographiques et mari nes, les plans, tableaux et compilations;
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque ...
4. (1) Sous réserve de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artistique
5. À moins de dispositions contraires et formelles contenues dans la présente loi, la durée du droit d'auteur comprend la vie de l'auteur et une période de cinquante ans après sa mort.
46. (1) La présente loi ne s'applique pas aux dessins suscepti- bles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, à l'exception des dessins qui, tout en pouvant être enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas destinés à servir de modèles ou d'échantillons, pour être multi- pliés par un procédé industriel quelconque.
(2) En vertu de la Loi sur les dessins industriels, il peut être édicté un règlement général pour déterminer les conditions sous lesquelles un dessin doit être considéré comme étant utilisé dans le but précité.
La Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8, accorde à l'auteur d'un dessin un mono- pole d'une durée d'au plus dix ans tandis que la Loi sur le droit d'auteur prévoit un monopole d'une durée comprenant la vie de l'auteur et une période de 50 ans après sa mort. Les paragraphes (1) et (2) de l'article 11 des Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964, qui fait référence à l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur, sont pertinents.
11. (1) Un dessin est censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque au sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur,
a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être reproduit, ne forment ensemble •qu'un seul assortiment tel qu'il est défini au paragraphe (2); et
b) lorsque le dessin doit être appliqué à
(i) des tentures de papier peint,
(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce,
(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce, et
(iv) de la dentelle qui n'est pas;faite à la main.
(2) Aux fins du présent paragraphe, «assortiment» signifie un groupe d'articles du même genre généralement mis en vente ensemble, ou destinés à servir ensemble, tous portant le même dessin sans modification ou, si modification il y a, sans que l'article en souffre dans sa nature ou sans que son identité en soit modifiée d'une manière appréciable.
L'affaire Royal Doulton c. Cassidy's portait sur un dessin floral qu'un procédé industriel permet- tait d'appliquer à de la porcelaine. Le juge de première instance a notamment conclu que [aux pages 379 C.F.; 231 C.P.R.]:
Selon l'article 11 du Règlement [Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964] pris en vertu de la Loi sur les dessins industriels, il ressort que pour qu'un dessin soit censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque, il doit avoir été reproduit sur plus de 50 articles différents (ce qu'on admet être le cas en l'espèce) et doit être appliqué à un certain genre de choses mentionnées dans cet article, comme des tentures de papier peint, des tapis, des tissus ou de la dentelle. La faïence ou la porcelaine ne s'y trouve pas. Par conséquent il est évident qu'un dessin devant être appliqué à de la vaisselle de porcelaine n'est pas un dessin censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque et, par conséquent, n'est pas exclu de la protection de la Loi sur le droit d'auteur par le paragraphe 46(1).
Il a poursuivi en disant qu'une des demanderesses possédait un droit d'auteur sur le dessin floral. Le même juge de première instance a réitéré son
interprétation de l'article 11 dans l'affaire Inter- lego AG et autre c. Irwin Toy Ltd. et autre, (1985) 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1ie inst.), à la page 486. Il n'a fait référence dans ni l'un ni l'autre cas à des décisions antérieures qui avaient appliqué l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur et, je le dis avec déférence, il n'a aucunement consigné l'analyse qu'il aurait fait de la règle 11 et qui l'a conduit à un résultat contraire à celui de ces décisions.
Je suis de ceux qui affirment que «et» ne signifie pas «ou» et que «ou» n'équivaut pas à «et». Je ne puis exprimer mon opinion à cet égard mieux que ne l'a fait E. A. Driedger dans son ouvrage Cons truction of Statutes, deuxième édition (Toronto: Butterworths, 1983), aux pages 15 et 16, et je souscris à son analyse. La conjonction «et» est ambiguë sur le plan sémantique. Les notions qu'elle relie peuvent être considérées comme con- jointes ou comme conjointes et séparées.
On notera que, dans l'affaire Royal Doulton, le juge de première instance a interprété la conjonc- tion «et» figurant à la fin du sous-alinéa 11(1)b)(iii) comme reliant des éléments qui devaient être considérés à la fois conjointement et séparément. Il a paraphrasé l'alinéa 11(1)b) [aux pages 379 C.F.; 231 C.P.R.] en faisant l'énuméra- tion suivante: «des tentures de papier peint, des tapis, des tissus ou de la dentelle». [C'est moi qui souligne.] A mon humble avis, le mot «et» situé à la fin de l'alinéa 11(1)a) visait à relier non seule- ment des éléments conjoints mais aussi des élé- ments conjoints et séparés. Le dénominateur commun des éléments énumérés à l'alinéa 11(1)b) est que chacun de ceux-ci constitue un produit auquel le même dessin est ordinairement appliqué de façon répétée. La conjonction «et» figurant à la fin de l'alinéa 11(1)a) doit être interprétée comme reliant aussi bien ces éléments à l'expession «un seul assortiment» qu'à l'expression «plus de 50 articles différents». Quelle que soit la manière dont on envisage cette dernière expression conjointe- ment avec certains des éléments de l'alinéa 11(1)b), il est impensable que la plupart d'entre eux, ou tous, ne forment qu'un seul assortiment.
Dans l'arrêt Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 48 C.P.R. 109, la Cour d'appel de l'Ontario a fait sienne la proposition voulant que le dessin d'un camion jouet ne puisse pas, en raison de l'article 46, faire l'objet d'un
droit d'auteur. Dans l'affaire Vidal c. Artro Inc., [1976] C.S. 1155, la Cour supérieure du Québec est arrivée à la même conclusion relativement au dessin d'»œuvres d'art» en étain fabriquées en série. Ni l'un ni l'autre de ces jugements, ni la décision du juge de première instance dans' l'af- faire Eldon, (1964), 44 C.P.R. 239, n'ont traité de l'article 11 des Règles. La seule autre décision canadienne pertinente est le jugement que la Divi sion de première instance a rendu encore plus récemment dans l'affaire Jeffrey Rogers Knitwear Productions Limited c. R.D. International Style Collections Ltd., [1985] 2 C.F. 220; 6 C.P.R. (3d) 409, dans lequel il était question du dessin d'un chandail; ce jugement a suivi avec réticence la décision faisant l'objet du présent appel et la déci- sion que cette dernière avait elle-même suivie. Cette réticence a été exprimée de la manière sui- vante aux pages 225 et 226 C.F.; 413 C.P.R.:
À la lumière des arguments qui m'ont été soumis, je serais enclin, avec respect, à me dissocier de l'opinion de mes deux collègues quant à l'interprétation de la Règle 11(1). Si un dessin doit répondre à tous les critères énoncés aux alinéas 11(1)a) et 11(1)b) pour être censé servir d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque, il m'appa- raît alors évident qu'aucun dessin ne peut être reconnu comme tel et, par voie de conséquence, qu'aucun dessin n'est suscepti ble d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins indus- triels. En d'autres termes, je ne vois pas comment un dessin peut être reproduit dans plus de cinquante articles et en même temps être appliqué à des tentures de papier, des tapis, des tissus en pièce et de la dentelle qui n'est pas faite à la main. Si on l'interprétait ainsi, la Règle empêcherait dans les faits tout enregistrement sous le régime de la Loi sur les dessins indus- triels. Telle ne pouvait être l'intention du législateur.
Bien sûr, en temps normal, le mot «et» est conjonctif et le mot «ou» est disjonctif, mais pour réaliser l'objectif visé par la loi, il est parfois nécessaire d'interpréter la conjonction «et» comme si elle était disjonctive. (The Interpretation of Statutes, 12» éd., London, Sweet & Maxwell, 1969, pp. 232 et 233.) La Règle 11(1) est une disposition qui crée une présomption. Ace titre, elle énumère toutes les conditions en vertu desquelles un dessin est censé servir d'échantillon qui est susceptible d'être enregis- tré sous le régime de la Loi sur les dessins industriels. Il s'agit de la condition (1)a) et (ou) des conditions (1)b)(i), (ii), (iii) et (ou) (iv). A mon sens, il suffit qu'un dessin satisfasse à l'une ou l'autre de ces conditions pour être enregistrable.
Je suis essentiellement d'accord avec ce raisonne- ment et souscris entièrement à la conclusion exprimée.
Il ressort clairement de la preuve que l'intimée avait l'intention de fabriquer beaucoup plus de cinquante bateaux à l'aide de chacun des plans. Le
juge de première instance est arrivé à la conclusion de fait que les bateaux de l'intimée sont fabriqués au moyen d'un procédé industriel.
À mon avis, il a commis une erreur de droit lorsqu'il a interprété le paragraphe 11(1) des Règles régissant les dessins industriels en disant qu'il exclut l'application de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur en l'espèce. Cela ne tranche toutefois pas la question qui est de savoir si les plans faisant l'objet du litige constituent des «des- sins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels» ainsi que l'exige l'article 46.
L'intimée prétend que l'expression «susceptibles d'être enregistrés» figurant au paragraphe 46(1) doit être interprétée comme signifiant [TRADUC- TION] «enregistrables». Le juge de première ins tance a reproduit [aux pages 362 et 363 C.F.; 300 et 301 C.P.R.] l'argument qu'elle a fait valoir au procès selon lequel:
... ses dessins, moules, modèles et bateaux ne peuvent recevoir la protection prévue pour les dessins industriels au Canada parce qu'ils ne posséderaient pas, à un degré suffisant, l'élément de nouveauté requis pour de tels dessins.
L'intimée a également soutenu que, même s'ils constituent des dessins, ils n'étaient pas enregistra- bles parce qu'ils avaient avant tout un caractère fonctionnel et que, de toute façon, le délai prévu pour leur enregistrement était écoulé. Le paragra- phe 14(1) de la Loi sur les dessins industriels exige que tout dessin soit enregistré dans l'année qui suit sa publication au Canada.
Mis à part l'argument fondé sur la prescription, si l'interprétation de l'intimée est juste, l'exclusion prévue à l'article 46 ne vise que les dessins qui auraient été enregistrés s'ils avaient été présentés à cette fin. Cela exigerait que l'on interprète la pensée du Commissaire des brevets concernant des faits sur lesquels il ne s'est pas prononcé. La partie invoquant l'exclusion se verrait imposer le fardeau de prouver la nouveauté de tous les dessins déjà enregistrés, preuve qui pourrait être impossible à faire. En supposant qu'elle s'acquitte de ce far- deau, cela créerait une situation absurde un dessin suffisamment nouveau pour avoir été enre- gistré ne serait pas protégé par le droit d'auteur tandis qu'un dessin auquel il manquerait ce carac- tère de nouveauté bénéficierait de cette protection. Quant à la nécessité d'enregistrer le dessin dans le
délai prescrit, est-il possible que le législateur ait voulu qu'une personne qui enregistre un dessin avec diligence ait droit à un monopole d'une durée maximale de dix ans tandis qu'une personne qui négligerait ou omettrait délibérément de demander l'enregistrement d'un dessin aurait droit à un monopole comprenant la vie de l'auteur et une période de 50 ans après sa mort? Poser la question, c'est y répondre.
La seule question à être examinée est celle de savoir si l'objet du droit d'auteur revendiqué cons- titue un dessin au sens de la Loi sur les dessins industriels. Si tel est le cas, il constitue un dessin susceptible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels, et tombe dans le champ d'application de l'article 46.
Le terme «dessin» n'est défini dans aucune loi canadienne pertinente. L'arrêt qui fait autorité sur cette question est la décision rendue par le prési- dent Jackett au sujet d'un divan dans l'affaire Cimon Ltd. et al. v. Bench Made Furniture Corpn. et al., [1965] 1 R.C.É. 811, il a décidé aux pages 831 833:
[TRADUCTION] Le genre de dessin enregistrable est donc celui qui est «appliqué» à «l'ornementation» d'un article. Il doit donc se rapporter à l'apparence de l'article ou d'une de ses parties, car l'ornementation concerne l'aspect extérieur. Il doit avoir pour but de rendre l'article plus attrayant, car c'est le but même de tout ornement. Il ne peut s'agir d'un élément détermi- nant de la nature même de l'article (par opposition au simple aspect extérieur) ou de la méthode applicable à sa fabrication. En d'autres termes, le dessin ne peut créer un droit de mono- pole sur «un produit» ou «une méthode» tel que celui qu'un brevet d'invention permet d'acquérir. De plus, rien dans la loi ne limite le genre de dessins qui peuvent être enregistrés (comme on l'a avancé) à ceux qui prévoient la création de quelque chose à appliquer à un article qui existe déjà.
Le fait qu'un dessin se rapporte à la forme ou configuration d'un article n'est pas en soi un obstacle à son enregistrement. Tant qu'il s'agit d'un dessin qui doit être appliqué «à l'ornemen- tation» d'un article, il est admissible à l'enregistrement même si, pour atteindre en totalité ou en partie son objectif «d'orne- mentation», il faut fabriquer l'article ou certaines de ses parties en lui donnant une forme ou des formes particulières.
À mon avis, la coque et la superstructure d'un bateau de plaisance ont pour fonction de fournir une plate-forme flottante à l'intérieur de laquelle et sur laquelle peuvent être installés les instru ments indispensables ou les accessoires requis par le conducteur du bateau. Leur forme générale peut
en grande partie être dictée par des considérations fonctionnelles; toutefois, les détails de cette forme qui servent par exemple à distinguer l'aspect exté- rieur d'un runabout de 16 pieds et demi d'un autre, sont essentiellement ornementaux. De tels détails auront pour effet de rendre ce runabout plus attrayant qu'un autre. Les conclusions de fait qui précèdent n'ont pas été tirées par le juge de pre- mière instance, qui n'a pas eu à traiter de cette question, vu la conclusion à laquelle il est arrivé concernant l'article 46. Toutefois, les témoignages non contredits des témoins de chacune des parties appuient amplement ces conclusions. Voir, dans la transcription: vol. I, 13 e ligne de la page 127 à la 13e ligne de la page 128; page 137, lignes 3 à 16; vol. II, 18e ligne de la page 200 la 10e ligne de la page 201; 25e ligne de la page 318 la 29e ligne de la page 326; vol. IV, 12e ligne de la page 605 la 17e ligne de la page 607.
Il y a lieu, à mon avis, de faire remarquer que l'espèce porte sur le monopole accordé par la Loi sur le droit d'auteur et ne concerne ni la concur rence déloyale ni les questions de moralité commerciale.
Les dessins divulgués dans les plans faisant l'ob- jet du litige sont, à mon avis, des dessins suscepti- bles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels au sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur et ne sont pas exclus du champ d'application de cette disposition par l'arti- cle 11 des Règles régissant les dessins industriels. Ces plans ne peuvent donc pas être protégés par le droit d'auteur.
Étant donné cette conclusion, je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire de trancher l'autre question soulevée dans le cadre du présent appel, qui con- siste à savoir si, en droit, la production d'une copie d'un objet fabriqué suivant un plan protégé par un droit d'auteur porte atteinte à ce droit. Les nom- breuses opinions exprimées par les lords juges à l'occasion de la décision—non encore publiée—qu'ils ont prononcées dans l'affaire British Leyland et al. v. Armstrong Patents et al., en date du 27 février 1986, illustrent bien l'importance de cette ques tion. Cette affaire portait sur l'existence d'un droit d'auteur sur des plans de silencieux d'automobile qui, selon les juges, avaient été copiés à peu près de la même façon que l'ont été les plans de bateau en l'espèce. Le détail des dispositions importantes de
la législation britannique applicable diffère beau- coup de celui de la législation canadienne. Toute- fois, comme les silencieux ne sont pas, de par leur nature, ordinairement exposés à la vue du public, ni la question du caractère ornemental ni l'exclu- sion de la protection du droit d'auteur n'étaient en cause. Je suis convaincu que je serais particulière- ment mal venu d'exprimer une opinion incidente sur cette question. Je crois également inutile de me prononcer sur les redressements demandés dans l'appel incident. En refusant de trancher ces ques tions, je n'approuve ni ne désapprouve les conclu sions du juge de première instance.
J'accueillerais l'appel avec dépens devant cette Cour et devant la Division de première instance et j'annulerais le jugement porté en appel. Je rejette- rais l'appel incident avec dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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