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A-251-85
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (requé- rant)
c.
Roselyn Courtney (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMI- GRATION) c. COURTNEY
Cour d'appel, juges Urie et Stone et juge suppléant Cowan—Toronto, 30 octobre; Ottawa, 28 novem- bre 1986.
Immigration Demande de résidence permanente présentée de l'intérieur du Canada La Commission d'appel de l'im- migration était-elle compétente à entendre un appel fondé sur l'art. 79(2)b) de la Loi? L'agent d'immigration a, par lettre, refusé d'accorder une dispense de l'obligation d'obtenir un visa d'immigration à l'extérieur du Canada La demande parrai- née de droit d'établissement n'a pas été rejetée Le Conseil n'avait pas la compétence requise Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 9, 79, 115(2).
L'appel en l'espèce est interjeté d'une décision de la Commis sion d'appel de l'immigration accueillant la demande de droit d'établissement présentée par la mère de l'intimée (Mme Smith) pour des motifs d'ordre humanitaire et de compassion confor- mément à l'alinéa 79(2)b) de la Loi. Mme Smith se trouvait au Canada à titre de visiteur. Plusieurs mois avant l'expiration de son statut de visiteur, elle a demandé d'être considérée comme une requérante ayant présenté au Canada une demande de résidence permanente. Un agent d'immigration, dans une lettre, a répondu de la manière suivante à Mme Smith: «Au terme de l'examen attentif et bienveillant de toutes les circonstances de votre affaire effectué par une autorité supérieure au sein de la Commission, il a été décidé que des considérations humanitai- res ou de compassion ne justifient pas, dans votre cas, l'accepta- tion et l'examen de votre demande présentée de l'intérieur du Canada.» L'intimée, conformément au paragraphe 79(2), a déposé auprès de la Commission un avis d'appel concernant cette décision qui se voulait un refus d'une demande parrainée de droit d'établissement. En réponse à une objection prélimi- naire présentée par l'avocate du requérant, la Commission a décidé qu'elle était compétente puisque la lettre refusait la demande de droit d'établissement et rejetait la demande d'exa- men de la demande de résidence permanente présentée à l'inté- rieur du Canada. L'avocate du requérant a soutenu qu'une demande de droit d'établissement ne peut être examinée qu'a- vec l'octroi préalable d'une dispense de l'exigence selon laquelle un visa d'immigration doit être obtenu à l'extérieur du Canada. Le litige porte sur la question de savoir si la Commission se trouvait en présence d'une demande de droit d'établissement pouvant être accueillie.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli et la décision de la Commission devrait être annulée.
Un examen de la lettre révèle que celle-ci ne concernait que la question de la dispense. Bien que la mention d'une «autorité supérieure au sein de la Commission» ne soit pas claire, cette Cour commettrait une erreur si elle présumait que la décision
de ne pas accorder la dispense n'a pas été prise de la manière appropriée par le gouverneur en conseil. Puisqu'il n'avait existé aucune demande de droit d'établissement pouvant être parrai- née, la Commission n'était, à ce stade, nullement autorisée à octroyer, comme elle a voulu le faire, la mesure prévue à l'alinéa 79(2)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et autres c. Jiminez-Perez et autre, [1984] 2 R.C.S. 565.
DÉCISION APPLIQUÉE:
Jiminez-Perez c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, [1983] 1 C.F. 163.
AVOCATS:
U. Kaczmarczyk pour le requérant. Barbara Jackman pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Chiasson, Jackman, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel interjeté d'une décision de la Commission d'appel de l'im- migration (la Commission) en vertu d'une autori- sation accordée par cette Cour.
Les faits peuvent se résumer de la façon sui- vante. Gwendolyn Smith, citoyenne de la Jamaï- que et mère de l'intimée, est entrée au Canada vers le 22 août 1982 titre de visiteur. Son statut de visiteur a été prolongé jusqu'au 30 mai 1983. Le 14 janvier 1983, l'intimée et Mme Smith se sont présentées au Centre d'immigration Canada de Toronto West, Mme Smith a demandé d'être considérée comme une requérante ayant présenté au Canada une demande de résidence permanente. Lors de l'entrevue, qui a été menée par un agent d'immigration le 8 mars 1983, Mme Smith aussi bien que l'intimée ont été questionnées. L'agent d'immigration a reçu de Mme Smith la demande de droit d'établissement qu'elle avait remplie et a reçu de l'intimée son engagement d'aide à un membre de la catégorie de la famille ainsi que les renseignements exigés dans la formule d'évalua- tion de la situation financière du garant. L'agent
d'immigration, dans une lettre en date du 18 avril 1983, a répondu de la manière suivante à Mme Smith:
[TRADUCTION] La présente lettre fait suite à votre demande d'être considérée comme une requérante ayant présenté au Canada une demande de résidence permanente.
Au terme de l'examen attentif et bienveillant de toutes les circonstances de votre affaire effectué par une autorité supé- rieure au sein de la Commission, il a été décidé que des considérations humanitaires ou de compassion ne justifient pas, dans votre cas, l'acceptation et l'examen de votre demande présentée de l'intérieur du Canada. Vous devez faire une telle demande de résidence permanente à un bureau des visas à l'extérieur du Canada conformément à l'article 9 de la Loi sur l'immigration de 1976.
La date d'expiration de votre statut de visiteur a été reportée au 30 mai 1983 et ne sera pas prorogée davantage. Vous devrez donc voir à quitter le Canada au plus tard le 30 mai 1983.
Nous vous demandons de vous présenter à notre Centre au moins trois jours avant votre départ pour nous faire part de vos préparatifs de voyage afin de nous permettre de vérifier votre départ.
La répondante intimée, conformément au para- graphe 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] (la Loi), a déposé auprès de la Commission un avis d'appel concernant cette décision qui se voulait un refus d'une demande parrainée de droit d'établissement. Lors de l'au- dience tenue devant la Commission, l'avocate du requérant a soulevé une objection préliminaire, contestant la compétence de la Commission à entendre l'appel pour le motif que, dans cette affaire, il n'avait été fait, conformément au para- graphe 115(2) de la Loi, aucune demande de dispense de l'obligation d'obtenir un visa préala- blement à l'arrivée au point d'entrée et aucune décision n'avait été rendue par le gouverneur en conseil concernant une telle demande. Ainsi, selon lui, il ne pouvait y avoir eu refus d'une demande parrainée conformément à la Loi et au Règlement puisque l'acceptation de toute demande de droit d'établissement présentée de l'intérieur du pays, le fondement même d'une demande parrainée, ne pouvait avoir lieu sans l'obtention préalable de la dispense. La Commission a décidé que l'appel n'était pas prématuré puisque la lettre en date du 18 avril 1983 non seulement refusait la demande de droit d'établissement mais encore rejetait la demande d'examen de la demande de résidence permanente présentée à l'intérieur du Canada. Ainsi a-t-elle conclu qu'elle était compétente et a-t-elle instruit l'appel.
Dans une décision en date du 7 juin 1984, la Commission a accueilli l'appel, concluant que la demande de droit d'établissement de Mme Smith avait été rejetée, mais que les conditions justifiant l'octroi d'une mesure spéciale pour des motifs d'or- dre humanitaire ou de compassion avaient été établies conformément à l'alinéa 79(2)b) de la Loi. L'appel interjeté en l'espèce concerne cette der- nière décision.
L'avocate du requérant a prétendu que la Com mission avait commis une erreur de droit en déci- dant que la lettre en date du 18 avril 1983 adressée à Mme Smith, dont la teneur, selon la Commission, avait due être communiquée à la répondante, cons- tituait un refus d'une demande de droit d'établisse- ment présentée conformément à l'article 79 de la Loi; selon cette avocate, la Commission, en tirant cette conclusion, a excédé sa compétence puis- qu'elle a pris une décision sous le régime du para- graphe 79(2) de la Loi.
Les paragraphes pertinents sont les suivants:
9. (1) Sous réserve des dispositions réglementaires, tout immigrant et tout visiteur doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.
(2) Toute personne qui fait une demande de visa doit être examinée par un agent des visas qui détermine si elle semble être une personne qui peut obtenir le droit d'établissement ou l'autorisation de séjour.
(3) Toute personne doit répondre sincèrement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'il réclame pour établir que son admission ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements.
(4) L'agent des visas, qui constate que l'établissement ou le séjour au Canada d'une personne visée au paragraphe (1) ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements, peut lui délivrer un visa -attestant qu'à son avis, le titulaire est un immigrant ou un visiteur qui satisfait aux exigences de la présente loi et des règlements.
Le paragraphe 79(2), en 1983, était ainsi libellé:
79. ...
(2) Au cas de rejet, en vertu du paragraphe (1), d'une demande de droit d'établissement parrainée par un citoyen canadien, celui-ci peut interjeter appel à la Commission en invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que des considérations humanitaires ou de compas sion justifient l'octroi d'une mesure spéciale.
115....
(2) Lorsqu'il est convaincu qu'une personne devrait être dispensée de tout règlement établi en vertu du paragraphe (1) ou que son admission devrait être facilitée pour des motifs de politique générale ou des considérations d'ordre humanitaire, le gouverneur en conseil peut, par règlement, dispenser cette personne du règlement en question ou autrement faciliter son admission.
Les avocates des deux parties se sont entendues pour dire que le paragraphe 115(2) impose au requérant l'obligation d'examiner toute demande de dispense de l'application des dispositions de l'article 9 alléguant des motifs d'ordre humanitaire ou de compassion. L'avocate du requérant a toute- fois affirmé qu'une demande doit solliciter claire- ment une dispense pour que le requérant soit tenu de l'examiner. Selon son argument, il ne pouvait être considéré qu'une telle demande découlait implicitement du dépôt, par la partie concernée, d'une demande de droit d'établissement de l'inté- rieur du Canada et de sa présence à une entrevue tenue au Canada par un agent d'immigration. À son avis, une telle demande ne peut être légale- ment accueillie ou même reçue qu'avec l'obtention préalable d'une dispense des exigences de la Loi.
L'avocate de l'intimée, d'autre part, a adopté le point de vue voulant qu'une personne qui se pré- sente à un bureau de l'immigration pour présenter une demande de droit d'établissement de l'inté- rieur du Canada sollicite implicitement, du fait de cette démarche et en raison de la nature même de sa demande, une dispense des exigences posées par l'article 9 conformément au paragraphe 115(2) de la Loi, et qu'elle n'est pas tenue de demander explicitement cette exemption. L'agent d'immigra- tion aurait ainsi une obligation corrélative de s'as- surer qu'une telle demande est présentée au gou- verneur en conseil. En l'espèce, selon cette avocate, le requérant a apparemment refusé la demande de droit d'établissement présentée par Mme Smith de l'intérieur du Canada sans demander de dispense au gouverneur en conseil conformément au para- graphe 115(2).
La décision rendue par cette Cour dans l'affaire Jiminez-Perez c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 1 C.F. 163, portait sur la question de savoir si le ministre appelant et ses agents avaient l'obligation de permettre à l'intimé Jiminez-Perez de présenter une demande de droit
d'établissement de l'intérieur du Canada lorsqu'il a demandé d'être dispensé, pour des considérations humanitaires ou de compassion, de la condition voulant qu'une personne qui sollicite son admission au Canada ait tout d'abord demandé et obtenu un visa d'immigration à l'extérieur du Canada. A la page 170 du recueil, le juge Le Dain a déclaré au nom de la Cour:
Je suis toutefois d'accord avec l'argument que la seconde partie du pouvoir conféré par le paragraphe 115(2) en ces termes: »Lorsqu'il est convaincu ... que [PI admission [d'une personne] devrait être facilitée pour des motifs de politique générale ou des considérations d'ordre humanitaire, le gouvernement en conseil [peut] ... ou autrement faciliter son admission», suffit pour permettre à un immigrant, dans un cas donné, d'être dispensé de l'exigence de l'article 9.
La Loi est muette quant à la procédure à suivre pour demander une dispense de la condition de l'article 9. Rien non plus dans le dossier ne jette de la lumière sur la pratique ministérielle à ce sujet, mais j'estime qu'en pratique, la demande doit être soumise aux agents d'immigration locaux qui normalement devraient la transmettre au Ministre avec leurs recommandations ...
Selon l'avocat de la Couronne, si je le comprends bien, la demande de dispense n'a pas été faite de la façon appropriée; ce qui voudrait dire qu'une telle demande doit être adressée, de quelque autre manière, directement au gouverneur en conseil, et qu'en tout cas, il ne peut y avoir obligation de permettre qu'une demande de droit d'établissement soit faite au Canada, tant et aussi longtemps qu'une telle dispense n'a pas été obte- nue. Comme je l'ai indiqué, j'estime que l'équité administrative exige qu'une demande de dispense de la condition de l'article 9 soit examinée par les agents d'immigration locaux. J'estime en outre qu'il n'est pas bon de séparer la demande de droit d'établissement de la demande de dispense. L'intimé Jiminez- Perez cherche à faire, pendant qu'il se trouve au Canada, une demande de droit d'établissement sur la base de l'obtention, pour des motifs d'ordre humanitaire ou de compassion, d'une dispense de la condition de l'article 9. Puisque la Loi prévoit que cette admission peut être accordée sur cette base dans des cas particuliers, un requérant éventuel a droit à une décision administrative sur la base sur laquelle il présente une demande, et il existe donc une obligation corrélative de lui permettre de faire la demande. La demande, y compris la demande de dispense et le parrainage de la demande, doit être examinée et tranchée au moyen d'une décision et non d'une tentative antici- pée d'éviter une décision en raison de son effet possible sur le droit d'appel du répondant sous le régime de l'article 79 de la Loi.
Il semblerait donc ressortir à première vue de ces extraits que les prétentions de l'avocate de l'intimée sont exactes. Toutefois, un examen de la lettre du 18 avril 1983 révèle clairement que l'agent d'immigration a tenté de satisfaire à l'obli- gation dont cette Cour a affirmé l'existence dans l'affaire Jiminez-Perez. Cette lettre déclare: [TRA- DUCTION] «Au terme de l'examen attentif et bien-
veillant de toutes les circonstances de votre affaire effectué par une autorité supérieure au sein de la Commission, il a été décidé que des considérations humanitaires ou de compassion ne justifient pas, dans votre cas, l'acceptation et l'examen de votre demande présentée de l'intérieur du Canada» (c'est moi qui souligne). Bien que la mention d'une [TRADUCTION] «autorité supérieure au sein de la Commission» nous laisse perplexe, il est clair que quelqu'un a examiné la demande de dispense fondée sur des motifs d'ordre humanitaire ou de compassion. Comme, en vertu du paragraphe 115(2), cette décision ne pouvait être prise que par le gouverneur en conseil sur recommandation de la Commission, cette Cour commettrait une erreur si elle présumait que la décision de ne pas accorder la dispense n'a pas été prise de la manière appropriée par la seule personne autorisée à la prendre.
La décision rendue par cette Cour dans l'affaire Jiminez-Perez a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada. Bien que la conclusion précitée de cette Cour n'ait pas été infirmée, la Cour suprême a modifié le jugement en tirant la conclusion suivante à la page 568 de l'arrêt dont les coordonnées sont [1984] 2 R.C.S. 565:
Mais nous ne voyons pas comment la Commission d'appel de l'immigration peut devenir compétente en vertu de l'al. 79(2)b) de la Loi alors qu'il n'existe encore aucune demande de droit d'établissement qui puisse être accueillie. Il s'ensuit qu'il n'exis- te encore aucune demande de droit d'établissement qui puisse être parrainée. La demande de droit d'établissement présentée de l'intérieur du Canada et la demande de parrainage devront être examinées et tranchées lorsque l'exemption sollicitée dans la première demande sera accordée, si elle l'est, sous réserve des droits d'appel que peut accorder la Loi. [C'est moi qui souligne.]
J'estime donc que la Commission d'appel de l'immigration s'est trompée en concluant qu'elle était compétente en vertu de l'alinéa 79(2)b) de la Loi et en instruisant cet appel puisqu'il n'existait aucune demande de droit d'établissement qui «puisse être accueillie» et aucune demande de droit d'établissement à être parrainée. De plus, considé- rant la seule interprétation raisonnable dont la lettre du 18 avril soit susceptible, il doit, selon moi, être conclu que la demande de dispense avait été présentée, conformément à la remarque incidente du juge Le Dain, à une [TRADUCTION] «autorité supérieure», ce qui doit vouloir dire au gouverneur en conseil, qui est seul habilité à accorder une telle
dispense, et avait été refusée. La Commission n'était donc, à ce stade, nullement autorisée à octroyer, comme elle a voulu le faire, la mesure prévue à l'alinéa 79(2)b).
En conséquence, j'accueillerais l'appel et j'annu- lerais la décision de la Commission d'appel de l'immigration.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je souscris à ces motifs.
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