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T-762-85
Guy Knockaert (requérant) c.
Commissaire aux services correctionnels, direc- teur de l'Établissement de Stony Mountain et Comité des réductions méritées de peine de l'Éta- blissement de Stony Mountain (intimés)
RÉPERTORIÉ: KNOCKAERT c. COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS
Division de première instance, juge Reed—Winni- peg, 17 mars; Ottawa, 24 mars 1986.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Droit de ne pas être puni deux fois pour une même infraction Détenu reconnu coupable d'une infraction disciplinaire Le tribunal disciplinaire du péniten- cier a retranché un certain nombre de jours à la période de réduction méritée de peine, et le Comité des réductions méri- tées de peine n'a pas accordé au requérant de réduction méritée de peine pour le mois pendant lequel l'infraction avait été commise Les infractions disciplinaires sont-elles visées par l'art. 11 de la Charte? Le requérant a-t-il été puni deux fois pour la même infraction, en contravention de l'art. 11h) de la Charte? Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 11h) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41), 24.1(1) (ajouté, idem), 29(3) Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 39(i) Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 245(1) Loi sur la Gendarme- rie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 25(1) Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10(9) Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 58.
Pénitenciers Infractions disciplinaires Le fait que le tribunal disciplinaire a retranché certains jours de la période de réduction méritée de peine et que le Comité des réductions méritées de peine n'a pas accordé de réduction méritée de peine pour le mois en question, constitue-t-il un double châtiment interdit par l'art. 11h) de la Charte? Loi sur les péniten- ciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41), 24.1(1) (ajouté, idem), 29(3) Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 39(i) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 11h).
Le requérant, un détenu de l'Établissement de Stony Moun tain, a été retenu coupable par le tribunal disciplinaire du pénitencier de l'infraction disciplinaire consistant en la posses sion de contrebande, et le tribunal a retranché 30 jours de la période de réduction méritée de peine. Par la suite, le Comité des réductions méritées de peine a avisé le requérant que, en raison de sa condamnation, on ne lui avait pas accordé de réduction méritée de peine pour le mois au cours duquel l'infraction avait été commise.
Il s'agit d'une demande en bref de certiorari en vue de faire annuler la décision du Comité pour le motif qu'une deuxième punition a été prononcée pour la même infraction en contraven tion de l'alinéa 11h) de la Charte.
Jugement: la requête est rejetée.
Même s'il ne m'est pas absolument nécessaire de trancher cette question, le tribunal se rallierait à la conclusion dégagée dans l'affaire Russell, selon laquelle les infractions disciplinai- res au sens du Règlement sur le service des pénitenciers constituent des infractions au sens de l'article 11 de la Charte.
Il a été soutenu qu'une deuxième punition a été imposée à l'égard de la même infraction, en application des dispositions de la même Loi, sur l'ordre du même poursuivant (le directeur de l'établissement), pour une faute commise contre la même partie (le service des pénitenciers); et, il s'agissait dans les deux cas d'une punition semblable dont l'effet est d'abréger la période de réduction méritée de peine portée à l'actif du détenu.
Il est toutefois possible qu'un acte unique comporte plus d'un aspect et entraîne plus d'une conséquence juridique, sans que cela ne contrevienne à l'alinéa 11h) de la Charte. Les fins pour lesquelles la déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction est utilisée dans les deux instances diffèrent. Le tribunal disci- plinaire punit l'infraction commise par le détenu en lui faisant perdre la réduction méritée de peine déjà portée à son crédit. Le Comité des réductions méritées de peine se demande si la réduction de peine a été méritée pour le mois en cours; il n'a pas pour but de sanctionner la perpétration d'une infraction disciplinaire. L'enquête du Comité a pour but d'examiner tous les aspects de la conduite du détenu durant le mois en cause afin de voir s'il y a lieu de porter à son crédit une période de réduction méritée de peine. La décision du Comité ne contre- vient donc pas à l'alinéa 11h) de la Charte.
On ne peut faire d'analogie avec les Lois dont les dispositions prévoient que le tribunal qui déclare un individu coupable d'une infraction peut, en plus, ordonner la confiscation de certains biens. En l'espèce, deux organismes sont en cause.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Debaie v. The Queen (1983), 6 C.R.R. 204 (C.A.N.-É.); R. v. Wigglesworth (1983), 7 C.C.0 (3d) 170 (B.R. Sask.), confirmé par (1984), 38 C.R. (3d) 388 (C.A. Sask.); Re MacDonald and Marriott et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 697 (C.S.C.-B.); R. v. Belliveau (1984), 55 N.B.R. (2d) 82 (C.A.); Downey c. La Reine (ordonnance en date du 16 mai 1985, Division de première instance de la Cour fédérale, T-937-85, encore inédite).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 383; 12 C.R.R. 1 (1"e inst.); Re Regina and Green (1983), 5 C.C.C. (3d) 95 (H.C. Ont.); R. v. Douglas (1984), 10 C.R.R. 197 (C. cté C.-B.); R. v. Krug (1982), 7 C.C.C. (3d) 324 (C. dist. Ont.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.); Re Howard et le président du tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain (1983), 8 C.C.C. (3d) 557 (C.F. 1" inst.), infirmé par [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.); Russell c. Radley, [1984] 1 C.F. 543; 11 C.C.C. (3d) 289 (l"° inst.); Peltari v. Dir. of Lower Mainland Reg. Correctional Centre (1984), 42 C.R. (3d) 103 (C.S.C.-B.); Macdougall v. Paterson (1851), 11 C.B. 755; 138 E.R. 672 (C.P.); R. v. B & W Agricultural Services Ltd. et al. (1982), 3 C.R.R. 354 (C.P.C.-B.); Regina v. T.R. (No. 2) (1984), 11 C.C.C. (3d) 49 (B.R. Alb.); Re McCutcheon and City of Toronto et al. (1983), 6 C.R.R. 32 (H.C.J. Ont.).
AVOCATS:
Judy Elliott pour le requérant. Ted K. Tax pour les intimés.
PROCUREURS:
Service d'aide juridique du Manitoba pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Le requérant sollicite un bref de certiorari en vue de faire annuler une décision le déclarant inadmissible à la réduction méritée de peine pour le mois d'octobre 1984. Il fonde sa demande sur le fait que cette décision contrevient à l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]:
11. Tout inculpé a le droit
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni ...
Le ler novembre 1984, le requérant a été accusé et reconnu coupable d'une infraction disciplinaire' commise le 17 octobre 1984 et consistant en la possession de contrebande. Dans sa décision, le tribunal disciplinaire du pénitencier a retranché 30 jours à la période de réduction méritée de peine portée à l'actif du requérant. Par la suite, le 21
Alinéa 39(i) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251.
décembre 1984, le Comité des réductions méritées de peine de l'Établissement de Stony Mountain a avisé le requérant que, en raison de sa condamna- tion par le tribunal disciplinaire, on ne lui avait pas accordé de réduction méritée de peine pour le mois d'octobre.
Les parties pertinentes des articles 24 et 24.1 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, modifiées par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41 sont libellées comme suit:
24. (1) ... chaque prisonnier bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque mois ... passé[...] à s'adonner assidûment, comme le prévoient les règles établies à cet effet par le commissaire, au programme du pénitencier il est emprisonné.
24.1 (1) Les détenus bénéficiaires d'une réduction de peine méritée qui sont déclarés coupables par un tribunal discipli- naire d'avoir contrevenu à la discipline sont déchus, en tout ou en partie, de leur droit, acquis après l'entrée en vigueur du présent article, aux réductions de peine méritées inscrites à leur actif...
Le paragraphe 29(3) prévoit que:
29....
(3) Sous réserve de la présente loi, ... le commissaire peut établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com- missaire, concernant ... la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
L'instruction du commissaire qui nous intéresse, à savoir l'instruction numéro 600-2-06.1, prise en application des paragraphes 24(1) et 29(3) et inti- tulée «Réduction méritée de peine», prévoit notamment:
OBJET
4. Énoncer des politiques visant à récompenser le détenu, en lui accordant une réduction méritée de peine pour sa bonne con- duite et son rendement satisfaisant au regard du programme qui lui était assigné.
DÉFINITIONS
5. «Rendement» désigne la mesure dans laquelle un détenu se plie aux règles de l'établissement et témoigne d'efforts à l'égard du programme qui lui était assigné.
6. «Rendement satisfaisant» désigne la mesure dans laquelle un détenu se conforme aux règles de l'établissement et s'applique à fournir des efforts réguliers à la limite maximale de ses capacitiés.
ADMINISTRATION DU PROGRAMME
11. Le président du Comité de réduction méritée de peine doit décider en dernier ressort du nombre de jours à attribuer à un détenu.
12. On doit faire les comptes rendus habituels des réunions de comité, y inscrivant le nombre de jours attribués aux détenus qui n'ont pas mérité le maximum de quinze (15) jours de réduction de peine.
MODALITÉS DE RÉDUCTION DE PEINE
13. Les détenus dont le rendement est satisfaisant doivent bénéficier de quinze (15) jours de réduction de peine pour chaque mois purgé en détention.
On n'a pas fait valoir que, sur le plan de l'inter- prétation législative, le commissaire n'avait pas compétence pour prendre l'instruction numéro 600-2-06.1. Les deux avocats soutiennent que le paragraphe 24(1) habilite le commissaire à définir l'expression «s'adonner assidûment», et que l'ins- truction 600-2-06.1, qui oblige un détenu à se plier aux règles de l'établissement et à témoigner d'ef- forts à l'égard du programme qui lui a été assigné, constitue un exercice valide de ce pouvoir.
On a fait valoir que le procès, la déclaration de culpabilité et la perte de 30 jours de réduction de peine imposée par le tribunal disciplinaire sont des actes qui tombent dans le champ d'application de l'article 11 de la Charte, et que la décision subsé- quente du Comité des réductions méritées de peine de ne pas accorder de réduction méritée pour le mois d'octobre, constitue une punition pour une infraction à l'égard de laquelle le requérant a déjà été puni. Par conséquent, la décision du Comité serait nulle parce que contraire à l'alinéa 11h) de la Charte.
À la lecture de la jurisprudence, on constate une certaine divergence d'opinions quant à la question de savoir si une déclaration de culpabilité relative- ment à une infraction disciplinaire prévue au Règlement sur le service des pénitenciers tombe sous le coup de l'article 11 de la Charte. Dans l'arrêt R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré que ce n'était pas le cas. Ce jugement a été suivi dans la décision Re Howard et le président du tribunal disciplinaire des détenus de l'établis- sement de Stony Mountain (1983), 8 C.C.C. (3d) 557 (C.F. lre inst.) qui a été infirmée mais sur le fondement de l'article 7 de la Charte à [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.).
Par ailleurs, le juge Muldoon a statué, dans l'affaire Russell c. Radley, [1984] 1 C.F. 543; 11 C.C.C. (3d) 289 (l re inst.) que les infractions disciplinaires prévues au Règlement sur le service
des pénitenciers constituent des infractions au sens de l'article 11. La Cour suprême de la Colombie- Britannique est arrivée à une conclusion identique dans l'arrêt Peltari v. Dir. of Lower Mainland Reg. Correctional Centre (1984), 42 C.R. (3d) 103. L'appel formé à l'encontre de cette décision devant la Cour d'appel de la Colombie-Britanni- que n'a pas été entendu pour le motif que la question était devenue purement hypothétique: voir la décision non publiée (prononcée à l'au- dience) de la Cour d'appel de la Colombie-Britan- nique, datée du 4 mars 1985, numéro du greffe CA 003031. Compte tenu de ma position à l'égard de la question en litige, il ne m'est pas absolument nécessaire de trancher cette question. Je tiens tou- tefois à souligner que, si c'était le cas, je me rallierais à la conclusion à laquelle est arrivée mon collègue le juge Muldoon dans l'affaire Russell.
Même si l'infraction disciplinaire commise en l'espèce (possession de contrebande) est une infraction visée par l'article 11, la question cru- ciale qui se pose est de savoir si l'action subsé- quente du Comité des réductions méritées de peine fait que le requérant a été «jugé [et] puni de nouveau pour [l'infraction]».
L'avocate du requérant soutient que la décision du Comité constitue en fait une deuxième punition au sens de l'alinéa 11h) de la Charte parce que: (1) même si le texte anglais du paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers déclare qu'un détenu «may» (peut) bénéficier d'une réduction de peine méritée, il s'agit en fait d'une situation le terme «may» (peut) signifie «shall» (doit) 2 et que, par conséquent, le détenu a droit à la réduction de peine s'il l'a méritée; (2) punition signifie imposi tion d'une sanction légale', et une «perte de récom- pense» constitue une sanction; (3) la seconde peine a été imposée à l'égard de la même infraction en application des dispositions de la même Loi (la Loi sur les pénitenciers), sur l'ordre du même «pour- suivant» (le directeur de l'établissement), pour une
2 Bennion, Statutory Interpretation, (Butterworths, Londres 1984), p. 27; Macdougall v. Paterson (1851), 11 C.B. 755, aux p. 772 et suivantes; 138 E.R. 672 (C.P.), à la p. 679.
3 R. v. B & W Agricultural Services Ltd. et al. (1982), 3 C.R.R. 354 (C.P.C.-B.), à la p. 360; R. v. T.R. (No. 2) (1984), 11 C.C.C. (3d) 49 (B.R. Alb.), à la p. 55; Re McCutcheon and City of Toronto et al. (1983), 6 C.R.R. 32 (H.C.J. Ont.), à la p. 47.
faute commise contre la même partie (le service des pénitenciers); et, il s'agissait dans les deux cas d'une punition semblable dont l'effet est d'abréger la période de réduction méritée de peine portée à l'actif du détenu. On soutient que deux organismes institutionnels ont été créés, ce qui fait qu'un détenu est puni deux fois pour la même infraction.
L'avocat des intimés ne conteste pas vraiment le premier argument cité plus haut, bien qu'il souli- gne que le terme «may) (peut) implique l'attribu- tion d'un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, il sou- tient principalement qu'une infraction commise par un détenu comporte deux aspects et que le tribunal disciplinaire et le Comité des réductions méritées de peine jouent des rôles différents; celui du tribunal est de punir un détenu qui a commis une infraction en annulant des jours de réduction méritée de peine déjà portés à son actif, tandis que le Comité doit décider si un détenu s'est conformé à toutes les règles de l'établissement durant un mois afin de déterminer s'il a droit à une réduction de sa peine pour ce mois.
Ces deux aspects, soutient-il, ressemblent aux distinctions qui ont été faites dans: Debaie v. The Queen (1983), 6 C.R.R. 204 (C.A.N.-E.)—un détenu qui avait commis un vol alors qu'il bénéfi- ciait d'une liberté sous surveillance obligatoire s'est vu imposer des peines après avoir été déclaré coupable d'une infraction criminelle et a été privé de sa liberté sous surveillance obligatoire en plus de perdre sa réduction méritée de peine; R. v. Wigglesworth (1983), 7 C.C.C. (3d) 170 (B.R. Sask.), confirmé par (1984), 38 C.R. (3d) 388 (C.A. Sask.), présentement en appel devant la Cour suprême—un agent de la GRC reconnu cou- pable d'une infraction majeure ressortissant au service en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9 a également été inculpé de voies de fait simples en vertu du paragraphe 245(1) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]; Re MacDo- nald and Marriott et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 697 (C.S.C.-B.)—on a voulu prendre des mesures disciplinaires contre un agent de police reconnu coupable de fraude en vertu des règles de discipline s'appliquant à la police; Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 383; 12 C.R.R. 1 (1te inst.) et R. v. Belliveau (1984), 55 N.B.R. (2d) 82 (C.A.)—un détenu libéré sous surveillance obligatoire et
trouvé coupable d'infractions prévues à la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] a vu sa libération sous surveillance obligatoire révoquée en plus de perdre des jours de réduction méritée de peine; Downey c. La Reine (décision encore inédite du juge Strayer datée du 16 mai 1985, du greffe T-937-85)—deux membres des Forces armées canadiennes qui avaient été trouvés coupables de méfait pour avoir causé des dommages aux véhicu- les-automobiles de quelque 110 personnes, ont été subséquemment poursuivis en vertu de la procé- dure disciplinaire des Forces armées afin que l'on examine si leur conduite justifiait leur libération des Forces armées.
Le principe qui se dégage de ces décisions est en partie énoncé dans le jugement qu'a rendu la Cour d'appel de la Saskatchewan dans la cause Wig- glesworth (précitée), à la page 395:
[TRADUCTION] Il est possible qu'un acte unique comporte plus d'un aspect et entraîne plus d'une conséquence juridique. S'il constitue un manquement à une obligation envers la société, il peut équivaloir à un crime dont l'auteur est responsa- ble envers le public. S'il y a eu blessure et manquement à une obligation envers autrui, le même acte peut donner lieu à une action en dommages-intérêts intentée par la personne à qui l'auteur de l'acte a causé un préjudice. Le même acte peut comporter encore un autre aspect, c'est-à-dire le manquement aux obligations découlant de l'exercice d'une fonction ou d'une profession, auquel cas l'auteur doit s'expliquer devant ses pairs. Ainsi, un médecin qui commet une agression sexuelle contre un patient sera passible, en même temps: d'une condamnation au criminel à l'instigation de l'État; d'une poursuite en dommages- intérêts sur les instances du patient; et, d'une sanction discipli- naire à la demande du conseil d'administration de sa profession. De même, un agent de police qui agresse un prisonnier est responsable du crime qu'il a commis contre l'État, du préjudice qu'il a causé à la victime et de son manquement à la discipline vis-à-vis le corps policier dont il est membre.
Cette règle de droit existe de longue date et, à mon humble avis, l'alinéa 11h) de la Charte ne modifie en rien l'état du droit sur cette question ...
De plus, dans l'arrêt Downey c. La Reine, le juge Strayer a mentionné que le but de la procédure disciplinaire des Forces armées est différent de celui de procédures intentées en vertu du Code criminel, car cette procédure disciplinaire vise à déterminer si les individus en cause sont toujours utiles aux Forces armées canadiennes.
L'avocate du requérant souligne à juste titre que le lien entre les deux instances dans le présent cas est beaucoup plus étroit que celui qui existait dans les affaires R. v. Wigglesworth, Re MacDonald and Marriott et al. ou Downey c. La Reine. En
l'espèce, les parties et les lois sont les mêmes, et il n'y a pas d'aspect privé ou public qui différencie les deux poursuites.
Bien que les décisions rendues dans les affaires Debaie v. The Queen et R. v. Belliveau (précitées) se rapprochent davantage des faits de la présente espèce, ces décisions n'expliquent pas clairement les motifs des conclusions qu'elles renferment. Dans Belliveau c. La Reine (précitée), le juge Dubé a statué que le système en vertu duquel un détenu qui commet une infraction pendant qu'il bénéficie d'une remise en liberté sous surveillance obligatoire et qui voit sa libération sous surveil lance obligatoire annulée, perd sa réduction méri- tée de peine et se voit imposer une sanction pénale, restreint de manière raisonnable les garanties pré- vues par la Charte ainsi que le permet l'article 1 de la Charte. Il me serait difficile d'appliquer ce raisonnement aux faits de l'espèce parce que le détenu ne se trouvait pas à l'extérieur du pénitencier.
Quoi qu'il en soit, j'estime que les fins pour lesquelles la déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction est utilisée dans les deux instances (engagées devant le tribunal disciplinaire et devant le Comité des réductions méritées de peine) diffè- rent d'une manière qui est analogue à celle qui a été évoquée dans les causes Wigglesworth, Downey et MacDonald (précitées). Comme l'a fait valoir l'avocat des intimés, le tribunal disciplinaire punit l'infraction commise par le détenu en lui faisant perdre la réduction méritée de peine déjà portée à son crédit. Le Comité des réductions méritées de peine se demande si la réduction de peine a été méritée pour le mois en cours. Il s'agit de deux considérations différentes.
Si le détenu peut à juste titre considérer que la décision selon laquelle il n'a pas réussi à se mériter une réduction de peine pour le mois d'octobre constitue une punition, son point de vue subjectif sur la question ne peut toutefois pas être détermi- nant. Pour les fins de l'alinéa 11h) je ne crois pas qu'il soit suffisant de démontrer qu'une déclaration de culpabilité relative à une infraction a entraîné une deuxième conséquence défavorable. Employé seul, le terme «peine» a une portée très large. L'avocate du requérant l'a défini comme étant l'«imposition d'une sanction légale». Toutefois, l'alinéa 11h) exige davantage. Il exige que la peine
soit infligée «pour une infraction», c'est-à-dire pour la perpétration de l'infraction. L'enquête menée par le Comité des réductions méritées de peine n'a pas pour but de sanctionner la perpétration d'une infraction disciplinaire. C'est un rôle qui revient au tribunal disciplinaire. L'enquête du Comité a pour but d'examiner tous les aspects de la conduite du détenu durant le mois en cause afin de voir s'il y a lieu de porter à son crédit 15 jours de réduction méritée de peine. (On peut comparer cette situa tion à celle un employeur se demande si le fait qu'une personne a été reconnue coupable d'une infraction criminelle empêche cette personne d'oc- cuper un poste en particulier.) En milieu carcéral, le directeur de l'établissement est nécessairement le même tant à l'égard du tribunal que du Comité, mais cela ne signifie pas que deux peines sont imposées au sens de l'alinéa 11h). Parce que les deux décisions poursuivent des objectifs différents, j'estime qu'il faut conclure que la décision du Comité ne contrevient pas à l'alinéa 11h) de la Charte.
Un dernier argument doit être souligné. L'avo- cat des intimés a soutenu que si la décision du Comité constitue une peine pour l'infraction com- mise au sens ces termes sont employés à l'alinéa 11h), je devrais appliquer à la présente espèce, le raisonnement du juge Linden dans l'affaire Re Regina and Green (1983), 5 C.C.C. (3d) 95 (H.C. Ont.). Dans cette cause, une action était intentée en vertu du paragraphe 10(9) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1 afin d'obtenir la confiscation d'un camion dans lequel de la marijuana avait été saisie. Les procédures de con fiscation avaient commencé après que le proprié- taire du véhicule eut été reconnu coupable de trafic de stupéfiants. Le juge Linden a déclaré à la page 96:
[TRADUCTION] Si je suis d'accord pour dire ... qu'une confiscation est une forme de punition, je ne peux admettre que le paragraphe 10(9) de la Loi sur les stupéfiants contrevient à l'alinéa 11h) de la Charte. L'imposition de sanctions multiples en matière pénale à l'égard de la même infraction n'est jamais tombée dans le champ d'application de la règle de la double incrimination: voir M.L. Friedland, Double Jeopardy (1969), p. 200-1. Les lois canadiennes autorisent l'imposition de sanctions diverses concurremment avec d'autres formes de punition ...
À l'instar des sanctions mentionnées précédemment, la confis cation d'une cargaison est une conséquence d'ordre pénal découlant directement d'une déclaration de culpabilité. Le fait que la confiscation n'est pas automatique et qu'elle peut être demandée après qu'une peine d'emprisonnement a été imposée
ne signifie pas qu'un prévenu est puni de nouveau pour la même infraction. Un prévenu n'est pas définitivement puni tant que toutes les conséquences pénales découlant de son infraction ne se sont pas produites ...
La thèse contraire a été soutenue dans la déci- sion R. v. Douglas (1984), 10 C.R.R. 197 (C. cté C.-B.) relativement à l'article 58 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14. Et l'avocate du requérant souligne que l'extrait suivant de l'ou- vrage du professeur Hogg, Canada Act 1982 Annotated a été cité dans la cause R. v. Krug (1982), 7 C.C.C. (3d) 324, à la page 330 (C. dist. Ont.):
[TRADUCTION] L'emploi du terme «définitivement» à l'alinéa 11h) indique clairement que cette disposition n'empêche pas qu'un nouveau procès puisse être ordonné en raison d'une erreur quelconque qui serait survenue au cours du premier procès.
Quoi qu'il en soit, les procédures engagées devant le tribunal disciplinaire et le Comité des réductions méritées de peine sont à mon sens diffé- rentes de celles qui sont prévues au paragraphe 10(9) de la Loi sur les stupéfiants ou à l'article 58 de la Loi sur les pêcheries. Ces deux dispositions prévoient expressément que le tribunal qui déclare un individu coupable d'une infraction peut ordon- ner la confiscation de certains biens en sus de toute autre sanction déjà imposée pour la perpétration de cette infraction. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une situation un tribunal unique est saisi d'une affaire et peut décider d'imposer au détenu l'une ou l'autre des peines suivantes, ou les deux, c'est-à-dire de lui faire perdre la réduction méritée de peine, et de ne pas porter à son actif la réduc- tion de peine qui s'ajoute actuellement à celle qu'il possède déjà.
Pour ces motifs, la demande sera rejetée.
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