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A-476-85
Navire Mercury Bell (appelant) (défendeur) c.
N. Amosin, S. Badayos, E. Baulita, A. Billones, Jr., C. Diloy, M. Espe, R. Fernandez, H. Gatdula, F. Malong, A. Trangia (intimés) (demandeurs)
RÉPERTORIÉ: FERNANDEZ c. «MERCURY BELL» (LE) (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom- be—Montréal, 22 avril; Ottawa, 22 mai 1986.
Conflit de lois Choix de loi Contrats Relations du travail Les membres de l'équipage philippin d'un navire libérien ont signé des contrats individuels de travail à Manille
L'accord collectif a été précédemment conclu en Australie
L'action en vue d'obtenir le paiement de la différence entre les salaires a été engagée au pays La loi du Libéria est celle qui s'applique Cette loi n'a pas été établie Règle de common law prévoyant l'application de la loi nationale du tribunal saisi La loi du tribunal saisi comprend la common law et le droit écrit ayant un certain caractère d'universalité Les dispositions du Code canadien du travail qui ont trait au rôle du Conseil canadien des relations du travail et au recours obligatoire à l'arbitrage ne s'appliquent pas car elles sont de nature locale L'accord collectif est valide en vertu du Code du travail Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474 Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 274 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49(2)), 107 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 108 (mod., idem), 154 (mod., idem), 155(1) (mod., idem).
Relations du travail Les membres de l'équipage d'un navire libérien sont incapables, selon la common law, de réclamer la différence entre les salaires prévus au contrat et ceux prévus dans l'accord collectif étant donné qu'il n'y a pas de rapport contractuel direct La situation est différente selon le droit écrit Le navire qui sert au commerce interna tional est une «entreprise fédérale» relevant de la Partie V du Code canadien du travail L'accord collectif est valide en vertu du Code, bien qu'il ne contienne aucune disposition prévoyant l'arbitrage obligatoire et aucune clause interdisant le recours à la grève comme l'exige l'art. 155(1) Ces dispositions sont liées à des circonstances et à des fins cana- diennes La loi du tribunal saisi comprend la common law et le droit écrit d'un caractère général L'accord collectif est considéré comme valide en vertu de la loi libérienne Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49(2)), 107 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 108 (mod., idem), 154 (mod., idem), 155(1) (mod., idem).
Droit maritime Contrats Les membres philippins de l'équipage d'un navire libérien ont signé des contrats indivi- duels de travail à Manille Un accord collectif a été conclu en Australie L'art. 274 de la Loi prévoit que la loi du port le navire est immatriculé s'applique Aucune preuve de la loi étrangère La loi du tribunal saisi s'applique L'accord collectif est valide en vertu du Code canadien du travail Loi
sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 274.
Appel est interjeté de la décision rendue sur un point de droit par la Division de première instance. Les demandeurs (intimés) sont membres de l'équipage d'un navire libérien. Ils ont signé des contrats individuels de ,travail à Manille, ignorant que précédemment un accord collectif avait été signé en Australie, établissant des taux de rémunération supérieurs à ceux que prévoyaient leurs contrats respectifs. Les demandeurs ont intenté ces procédures en vue d'obtenir le paiement de la différence entre les salaires. Le juge des requêtes a conclu qu'une convention collective l'emporte toujours sur les contrats individuels des employés.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
La loi du port d'immatriculation du navire doit être exami née conformément à l'article 274 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il faut donc décider de l'action en l'espèce conformément à la loi du Libéria. Toutefois, cette loi n'a pas été établie. Un tribunal ne prendra pas connaissance d'office de la loi étrangère. Si les parties omettent de présenter des témoignages d'experts sur la loi étrangère, la Cour agira comme si celle-ci était identique à sa propre loi. Cette règle est particulière au droit anglais. Toutefois, il reste à éclaircinsi la common law devrait être la seule loi du tribunal saisi ou si le droit écrit devrait également entrer en jeu.
En vertu de la common law, l'action ne pourrait être accueil- lie. L'accord collectif ne pourrait créer entre les propriétaires du navire et les marins pris individuellement des obligations exécutoires devant une cour de justice parce qu'il n'existait aucun lien contractuel direct. L'agent négociateur n'était pas leur agent parce qu'ils n'étaient alors même pas membres de l'équipage. La signature de l'accord n'a pas eu pour effet de créer une obligation dont ils sont devenus bénéficiaires.
En vertu du droit écrit canadien, un navire qui sert au commerce international est une «entreprise fédérale» relevant de la Partie V du Code canadien du travail. L'agent négocia- teur en question est régulier au sens de la loi et l'accord est conforme à la définition générale d'une convention collective. Toutefois, l'accord collectif ne contient aucune disposition pré- voyant l'arbitrage obligatoire et aucune clause interdisant le recours à la grève comme l'exige le paragraphe 155(1) du Code canadien du travail.
Il ne paraît pas y avoir de jugement qui ait résolu ce problème en s'appuyant sur une distinction claire entre la common law et la loi parlementaire. Les juges ont été réticents à trancher des litiges mettant en cause des étrangers et le droit d'un autre pays en se fondant sur la législation interne à caractère local ou réglementaire. La règle de common law anglaise selon laquelle, en l'absence d'une preuve de la loi étrangère applicable, le juge appliquera la loi du tribunal saisi, doit se limiter à des dispositions de la loi susceptible d'une certaine universalité.
Les dispositions du Code canadien du travail reconnaissant le rôle des syndicats, donnant effet aux conventions collectives et reconnaissant le droit des employés individuels à l'action en réclamation du salaire prévu par la convention sont fondamen- tales et peuvent avoir un certain caractère d'universalité, alors que celles, qui ont trait au rôle du Conseil canadien des relations du travail et au recours obligatoire à l'arbitrage pour
le règlement des conflits sont liées à des circonstances et à des fins canadiennes. L'accord collectif est pleinement valable et doit recevoir son plein effet en vertu de la loi du Libéria tout comme ce serait le cas sous le régime des dispositions fonda- mentales du Code du travail et ce, nonobstant l'absence de dispositions prévoyant l'arbitrage.
Le juge Hugessen: La règle de common law en question a été élaborée quand l'expansion coloniale disséminait le droit anglais à l'étranger. Les juristes anglais considéraient leur système supérieur aux autres ce qui a donné lieu à une «pré- somption». Toutefois, la Cour applique la loi nationale du tribunal saisi parce que celle-ci est la seule loi qu'elle est compétente à appliquer.
La suggestion de certains auteurs selon laquelle la loi du tribunal saisi vise uniquement la common law établie dans les décisions judiciaires à l'exclusion du droit écrit remonte à l'époque le droit anglais était en très grande partie d'origine jurisprudentielle et les lois parlementaires constituaient des exceptions. Cette règle, formulée comme elle doit l'être, porte que la Cour appliquera uniquement les éléments de la loi du tribunal saisi qui font partie du droit général du pays.
En appliquant la loi du tribunal saisi faute d'une preuve de la loi étrangère, la loi doit être lue compte tenu des adaptations de circonstance.
En l'absence de preuve de la loi du Libéria, ne s'applique du Code canadien du travail que ce qui est nécessaire pour répon- dre à la question de savoir si «l'accord collectif» intervenu entre les propriétaires du navire et un syndicat crée en faveur des demandeurs des droits exécutoires.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
McCulloch v. Sociedad Nacional de Marineros de Hon- duras, 372 U.S. 10 (1963).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Manalaysay c. Le «Oriental Victory», [1978] 1 C.F. 440 (1"° inst.); Purdom v. Pavey & Co. (1896), 26 R.C.S. 412; Hellens v. Densmore, [1957] R.C.S. 768; Gray v. Kers- lake, [1958] R.C.S. 3.
DÉCISIONS CITÉES:
Syndicat Catholique des Employés de Magasins de Québec Inc. v. Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206; C.P.R. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609; McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [ 1976] 1 R.C.S. 718; Bisbal c/ dame Bisbal (1959), Cass. Civ. I, p. 199, 236, 12 mai 1959, note H.M., J.C.P. 1960; Compagnie algérienne de crédit et de banque c/ Chemouny (1960), Cass. Civ. I, p. 114, 143, 2 mars 1960, note B.G., J.C.P. 1961; Young v. Canadian Northern Ry. Co., [1931] A.C. 83 (P.C.); Bradburn c. Wentworth Arms Hotel Ltd. et autres, [1979] 1 R.C.S. 846; Canadien Pacifique Liée c. Travailleurs unis des transports, [1979] 1 C.F. 609 (C.A.); Bédard v. Bou- chard, [1954] B.R. 290 (Qc); Diva Shoe Co. Ltd. v. Gagnon et Procureur général du Québec (1937), 70 B.R. 411 (Qc); Hamilton Street Railway Co. v. Northcott, [1967] R.C.S. 3.
AVOCATS:
Gérald P. Barry pour l'appelant (défendeur). J. Brian Riordan pour les intimés (deman- deurs).
PROCUREURS:
Barry & Associates, Montréal, pour l'appe- lant (défendeur).
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour les intimés (demandeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Dans le cadre d'une action en recouvrement de salaires intentée par des marins, il a été demandé à la Division de première instance [sub nom. Fernandez et autres c. Le navire «M/V Mercury Bell» (1984), 85 CLLC 14,039] de statuer sur un point de droit conformé- ment à la Règle 474 des Règles et ordonnances générales de la Cour fédérale du Canada [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Appel est interjeté de la décision rendue sur ce point de droit par le juge des requêtes.
Les faits sur lesquels s'entendent les parties, qui ont tous une incidence sur la question en litige, peuvent être résumés brièvement. Les demandeurs, qui sont tous citoyens des Philippines, ont été membres de l'équipage du M/V Mercury Bell, un cargo servant au commerce international immatri- culé en vertu des lois du Libéria. Ils ont été engagés à Manille par l'agent de recrutement d'équipage des propriétaires à différentes dates au cours des années 1977, 1978 et 1979, et ils ont tous signé des contrats individuels de travail dûment approuvés par le National Seamen Board philip- pin, une entité gouvernementale chargée de la supervision du recrutement des marins philippins. Après avoir rejoint le bord, les demandeurs ont appris qu'en mai 1976 un soi-disant «Accord spé- cial» et un «Accord collectif» étaient intervenus entre les propriétaires du Mercury Bell et la [TRA- DUCTION] «Section professionnelle des gens de mer» («S'pecial Seafarers Section») de la Fédéra- tion internationale des ouvriers du transport («ITF») dans lesquels étaient établis, pour les marins à bord du bateau, des taux de rémunéra- tion supérieurs à ceux que prévoyaient leurs con-
trats respectifs. Ils avaient néanmoins continué d'accepter le salaire convenu par contrat jusqu'en 1981, lorsqu'ils ont quitté le navire, qui mouillait dans le port de Montréal, pour intenter conjointe- ment les présentes procédures in rem en vue d'ob- tenir le paiement de la différence entre les salaires qu'ils ont réellement reçus et les salaires prévus à l'accord d'ITF.
La question de droit soulevée par l'action en l'espèce ressort à présent de façon assez évidente. L'ordonnance accordant la demande fondée sur la Règle 474 l'a énoncée de la manière suivante:
[TRADUCTION] D'après les écritures, les demandeurs ont-ils droit de faire exécuter les conditions de «l'Accord spécial» et/ou de «l'Accord collectif» mentionnés dans l'exposé conjoint des faits ci-joint et, en conséquence, de recouvrer du défendeur la différence entre la rémunération qui y est stipulée et celle versée en vertu de leurs contrats individuels de travail'?
Le juge des requêtes a donné une réponse affir mative à cette question. Il a dit, en fait, qu'il ne pouvait que souscrire à la conclusion à laquelle en était arrivée la Division de première instance dans une affaire semblable, celle de Manalaysay c. Le «Oriental Victory», [1978] 1 C.F. 440, une conclu sion qui, selon son opinion, découlait d'un principe énoncé dans de nombreuses décisions de la Cour suprême (particulièrement dans les arrêts Syndicat Catholique des Employés de Magasins de Québec Inc. v. Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206; C.P.R. v. Zambri, [ 1962] R.C.S. 609 et McGavin Toast master Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718), principe suivant lequel une convention collective de travail doit toujours prévaloir sur les contrats indi- viduels des employés. L'on doit réaliser qu'un tel raisonnement, comme celui qui a été tenu dans l'affaire Oriental Victory, passe malheureusement à côté du vrai problème qui se pose en l'espèce. Le principe voulant que, dans un contexte canadien, une convention collective au sens du Code cana- dien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 l'emporte sur les contrats individuels est désormais trop bien établi pour être remis en question. En l'espèce, le problème provient évidemment du fait que le con
' En fait, à l'origine, une seconde question se posait, qui avait trait au droit des demandeurs de recouvrer un salaire tenant lieu de congé et une indemnité de subsistance sur le fondement des articles 12 et 21 de l'Accord spécial. Les parties ont toutefois signé un document qu'elles ont intitulé [TRADUC- TION] «consentement au jugement», document dans lequel elles indiquaient que la réponse donnée à la première question résoudrait nécessairement la seconde.
texte n'est pas canadien: le navire visé bat pavillon libérien, l'équipage est philippin, les contrats de travail ont été signés à Manille et l'accord dont les demandeurs sollicitent l'exécution a été conclu en Australie. Le navire ayant été saisi au Canada, les tribunaux canadiens ont compétence; il est cepen- dant évident que ce seul fait ne suffit pas à rendre la loi canadienne applicable à l'espèce. Il est évi- dent qu'un bateau libérien servant au commerce international ne devient pas, simplement parce qu'il mouille dans un port canadien, une entreprise fédérale, pas plus que son équipage ne devient une unité de négociation collective régie par le Code canadien du travail.
Il ne fait aucun doute que, pour décider des droits que possèdent les marins contre les proprié- taires du navire dont ils forment l'équipage—ques- tion sur laquelle porte l'action en l'espèce—il faut examiner la loi du port d'immatriculation du navire. Cela découle de [TRADUCTION] «la règle de droit international bien établie suivant laquelle les questions d'ordre international qui se posent à bord d'un navire ressortissent normalement au droit de l'État dont le navire bat pavillon» (McCulloch v. Sociedad Nacional de Marineros de Honduras, 372 U.S. 10 (1963), la page 21). C'est une règle que l'article 274 de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, et ses modifications, a entériné de façon for- melle. Cet article est ainsi libellé:
274. Lorsque, dans une question relative à un navire ou à une personne appartenant à un navire, il semble y avoir conflit de lois, alors si la présente Partie renferme une disposition sur ce point qui y soit expressément déclarée applicable audit navire, l'affaire est régie par cette disposition; sinon, elle est régie par la loi du port le navire est immatriculé.
Il est donc indubitable qu'il faut décider de l'action en l'espèce conformément à la loi du Libéria 2 . Les parties ont toutefois omis d'établir la loi du Libéria devant cette Cour, d'où les problèmes en l'espèce.
2 L'avocat des intimés a prétendu, au cours de sa plaidoirie, que le Code canadien du travail devrait s'appliquer même si la règle sur les conflits de lois porte que le litige doit être tranché selon la loi étrangère. Il fondait cet argument sur la nouvelle interprétation donnée en doctrine aux [TRADUCTION] «lois
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Il est bien connu que dans les pays de droit anglais, le tribunal n'a pas le droit de s'enquérir de son propre chef de la loi étrangère selon laquelle doit être jugée une action soumise à son apprécia- tion. En principe, la cour ne prendra pas connais- sance d'office de la loi étrangère; elle ne traitera même pas la loi étrangère comme un fait ordinaire (ce que, de toute façon, elle n'est pas) dont elle peut réclamer aux parties une preuve satisfaisante. Si les parties, volontairement ou par inadvertance, omettent de présenter des témoignages d'experts sur la loi étrangère, la cour agira comme si celle-ci était identique à sa propre loi, elle appliquera la loi nationale du tribunal saisi. Cette règle est particu- lière au droit anglais. Elle est contraire à la règle suivie dans des pays comme la France, un juge est non seulement autorisé à prendre connaissance d'office de la loi étrangère mais, à tout le moins selon la doctrine qui prévaut actuellement, est même obligé de le faire en raison du caractère d'ordre public des règles concernant les conflits de lois (voir H. Batiffol, et P. Lagarde, Droit interna tional privé, 7e éd., t.1, p. 383, 329; Y. Lous- souarn et P. Bourel, Droit international privé, 2e éd., p. 318, 239; voir les décisions rendues par la Cour de Cassation dans les affaires Bisbal c/ dame Bisbal (1959), Cass. Civ. I, p. 199, 236, 12 mai 1959, note H.M., J.C.P. 1960. II. 11733 et Com- pagnie algérienne de crédit et de banque c/ Che-
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d'application immédiate», interprétation qui, ainsi que je la conçois, étendrait en fait aux questions de droit international privé les règles déjà reconnues ressortissant à la catégorie des règles internes fondamentales d'ordre public que les cours doivent suivre (voir Ph. Francescakis, Quelques précisions sur les »lois d'application immédiate» et leurs rapports avec les règles de conflits de lois, (1966), 55 Rev. cr. dr. int. pr. 1 à 18, aux pp. 2 à 4, 8, 13 (y compris la note 2 en bas de page), 14, 16 à 18; F. Gamillscheg, Rules of Public Order in Private Inter national Labour Law (1983), 181 Recueil des cours de l'Aca- démie de droit international de La Haye, 285 à 347, à la p. 312; J.A. Talpis, Legal rules which determine their own sphere of application: a proposal for their recognition in Quebec private international law, (1982-83) 17 R.J.T. 201, aux pp. 203, 204, 206, 209, 220 et 221). L'avocat des intimés, avec raison, n'a cependant pas insisté sur cet argument. L'interpréta- tion ainsi présentée par les auteurs de doctrine est si novatrice et donne lieu à tant d'incertitude que je doute qu'un autre tribunal que la Cour suprême puisse être compétent à l'exami- ner. Il semble également que l'article 274 de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui vient d'être cité, écarte carrément son application en l'espèce.
mouny (1960), Cass. Civ. I, p. 114, 143, 2 mars 1960, note B.G., J.C.P. 1961. II. 408). Mais il s'agit d'une règle traditionnellement suivie par les juges de common law 3 . Le problème que soulève cette règle jurisprudentielle est que, si ancienne, fondamentale et simple soit-elle, sa signification véritable et son champ d'application n'ont jamais été clairement précisés. Il reste à éclaircir si la common law devrait être la seule loi du tribunal saisi ou si le droit écrit devrait également entrer en jeu. Même s'il ne fait aucun doute que cette question revêt une importance majeure sur le plan théorique, nous ne devons nous en préoccuper en l'espèce que s'il est nécessaire de la trancher pour décider de l'action. Examinons donc, pour le moment, la question de savoir si la situation juridi- que des intimés serait différente en vertu du droit écrit de ce qu'elle est selon notre common law.
En vertu de la common law, il ne semble y avoir aucun doute que l'action ne peut, telle qu'elle a été intentée, être accueillie. L'accord conclu par ITF ne pouvait créer entre les propriétaires du navire et les marins pris individuellement des obligations exécutoires devant une cour de justice. Il est à présent bien établi qu'une convention collective de travail ne peut lier juridiquement un employeur et un employé que dans la mesure permise par une loi (voir Young v. Canadian Northern Ry. Co., [1931] A.C. 83 (P.C.); Bradburn c. Wentworth Arms Hotel Ltd. et autres, [1979] 1 R.C.S. 846; Cana- dien Pacifique Ltée c. Travailleurs unis des trans ports, [1979] 1 C.F. 609 (C.A.), à la page 619). Les demandeurs ne peuvent prétendre que la [TRA- DUCTION] «section professionnelle des gens de mer» («Special Seafarers Section») de l'ITF les représentait en Australie, ne serait-ce que pour l'unique motif qu'ils n'étaient alors même pas membres de l'équipage, pas plus qu'ils ne peuvent soutenir que la signature de l'accord a eu l'effet de créer une obligation dont ils sont devenus bénéfi- ciaires. Ils sont donc étrangers à cet accord et ne - peuvent fonder sur celui-ci aucune réclamation 4 .
3 Bien qu'au Canada, différentes législations provinciales lui font plus ou moins obstacle. (Voir J.-G. Castel, Proof of Foreign Law (1972), 22 U. of T.L.J. 33.)
° Il va sans dire que la loi québécoise ne s'applique pas du tout à la présente affaire, qui ressortit au droit maritime (Bédard v. Bouchard, [1954] B.R. 290 (Qc)), et que, de toute façon, elle conduirait à la même conclusion puisqu'une conven tion collective n'est pas sujette aux dispositions de l'art. 1029 du Code civil du Bas Canada portant sur la stipulation pour autrui (voir: Diva Shoe Co. Ltd. v. Gagnon et Procureur général du Québec (1937), 70 B.R. 411 (Qc), aux pp. 422 et 423).
Le droit écrit situe toutefois l'action des deman- deurs dans un contexte juridique radicalement dif- férent. Il semble clair qu'un navire qui sert au commerce international est une «entreprise fédé- rale» relevant de la Partie V du Code canadien du travail (voir l'alinéa 2a) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49(2)] et l'article 108 [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1]) 5 . Il semble également clair que l'ITF, que tous reconnaissent être un syndicat, est un agent négociateur régulier au sens du Code canadien du travail et que l'accord intervenu entre celui-ci et les propriétaires du navire est conforme à la définition générale d'une convention collective (paragraphe 107(1) [mod., idem] 6 ) à laquelle devrait normalement s'appliquer l'article 154 [mod., idem], ainsi libellé:
5 Ces articles sont ainsi libellés:
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale», ou «entreprise fédérale», signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation et des expéditions par eau (inter- nes ou maritimes), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisa tions patronales groupant ces patrons et aux syndicats grou- pant ces employés.
6 107. (1) Dans la présente Partie,
«agent négociateur» désigne
a) un syndicat qui a été accrédité par le Conseil à titre d'agent négociateur des travailleurs d'une unité de négocia- tion et dont l'accréditation n'a pas été révoquée, ou
b) tout autre syndicat qui a conclu, pour le compte des travailleurs d'une unité de négociation, une convention collective
(i) dont la durée n'est pas expirée, ou
(ii) à l'égard de laquelle le syndicat a mis l'employeur en demeure, en application du paragraphe 147(1), d'entamer des négociations collectives;
«convention collective» désigne une convention écrite intervenue entre un employeur et un agent négociateur et contenant des dispositions relatives aux conditions d'emploi et questions connexes;
154. Une convention collective conclue par un agent négo- ciateur et un employeur pour une unité de négociation lie, aux fins de la présente Partie et sous réserve de celle-ci,
a) l'agent négociateur;
b) tout employé de l'unité de négociation; et e) l'employeur.
Une difficulté surgit cependant lorsque les faits de l'espèce sont examinés en regard de notre droit écrit. L'accord auquel l'ITF est partie ne contient aucune disposition prévoyant l'arbitrage obliga- toire et aucune clause interdisant le recours à la grève, deux éléments importants de la convention collective visée au Code canadien du travail comme en atteste le paragraphe 155(1) [mod., idem] de ce Code'. L'application stricte de notre droit écrit nous ferait conclure qu'en raison de tels défauts l'accord d'ITF n'est pas une convention collective régulière à laquelle devraient s'appliquer les dispositions de mise en vigueur du Code du travail ou, à tout le moins (compte tenu du para- graphe 155(2)), que les demandeurs devraient être obligés de se présenter devant le Conseil canadien des relations du travail et se soumettre à l'arbi- trage avant de saisir la Cour du litige. Mais cette objection ne peut devenir sérieuse que dans le cas toute la loi écrite—en l'espèce, le Code cana- dien du travail—doit être appliquée intégrale- ment. La question de savoir quels éléments de la loi du tribunal saisi doivent s'appliquer en l'ab- sence de preuve de la loi étrangère, qui peut sans aucun doute contribuer à déterminer le sort de l'action, doit donc, pour le moment, être examinée plus avant.
Ainsi que je l'ai déjà dit, il est généralement considéré que la question de savoir lesquels des éléments de la loi du tribunal saisi doivent s'appli- quer en l'absence d'une preuve de la loi étrangère se résume en un simple choix à faire entre la common law et le droit écrit. Tel est du moins la façon dont les auteurs de doctrine énoncent ce problème et, bien que quelques-uns prétendent que seule la common law doit être pris en compte, la plupart ne considèrent pas que le droit écrit puisse être exclu. Quelques citations nous aideront à cla- rifier l'opinion de chacun de ces groupes. W. S. Johnson, dans son ouvrage Conflict of Laws, 2e éd., 1962, dit à la page 54:
' Ce paragraphe est ainsi libellé:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une clause de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage ou autrement, de tous les conflits surgissant, à propos de l'interprétation, du champ d'application, de l'appli- cation ou de la présumée violation de la convention collective, entre les parties à la convention ou les employés liés par elle.
[TRADUCTION] Mais la règle anglaise, qui est également suivie aux États-Unis et dans les provinces de droit anglais, porte aussi qu'en l'absence de preuve de la loi étrangère, celle-ci ne sera pas présumée être semblable au droit écrit du tribunal saisi. Comme la règle, l'exception, qui est de même source que la règle, est suivie au Québec.
Cette question a été tranchée par la Cour suprême du Canada qui siégeait en appel de la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Purdom v. Pavey.
Dans l'ouvrage de A. V. Dicey et J. H. C. Morris intitulé The Conflict of Laws, 10® éd., 1980, vol. 2, le passage suivant apparaît à la page 1216:
[TRADUCTION] C'est à la partie qui fonde sa demande ou sa défense sur la loi étrangère qu'incombe le fardeau d'en faire la preuve. Si cette partie ne présente aucune preuve ou présente une preuve insuffisante de la loi étrangère, la Cour applique la loi anglaise. Ce principe se base parfois sur la présomption selon laquelle la loi étrangère est présumée semblable à la loi anglaise jusqu'à preuve du contraire. Cette supposition a cepen- dant, dans certains cas, entraîné des difficultés. Ainsi la Cour a-t-elle refusé dans une affaire d'appliquer la présomption d'identité lorsque la loi étrangère n'était pas fondée sur la common law et, dans d'autres affaires, il a été mis en doute qu'elle avait le droit de présumer qu'il y avait identité entre la loi étrangère et le droit écrit du tribunal saisi. Devant ces difficultés, il est préférable de ne plus parler de présomption et de dire tout simplement que la Cour applique la loi anglaise lorsque la loi étrangère n'est pas établie.
Dans Canadian Conflict of Laws, 2 e éd., 1986, J.-G. Castel dit aux pages 145 et 146:
[TRADUCTION] 85. Absence de preuve
En l'absence de preuve de la loi étrangère, celle-ci est présumée semblable à la loi nationale du tribunal saisi. Cette règle semble s'appliquer tant au droit écrit qu'au droit jurisprudentiel.
Lorsque la preuve d'une loi étrangère s'est faite par recon naissance, la Cour, en l'absence de preuve du contraire, présu- mera que les règles d'interprétation suivies dans l'État étranger sont les mêmes que celles du tribunal saisi.
Certains tribunaux canadiens se sont interrogés s'ils ont bien le droit de présumer que la loi étrangère est pareille au droit écrit du tribunal saisi. Ainsi, on a parfois établi une distinction entre la loi étrangère générale, qui, en l'absence de preuve, est présumée identique à la loi du tribunal saisi, et la loi du for modifiée récemment par une loi parlementaire. Dans ce dernier cas, la common law est appliquée à moins que la personne qui prétend que ses dispositions ne prévalent pas en fasse la preuve.
La présomption d'identité, qui n'est rien de plus qu'une règle établie pour des fins de commodité, devrait être rejetée. Il serait
préférable de dire que, dans tous les cas, lorsque la loi étrangère n'est pas prouvée, la loi nationale du tribunal saisi prévaudra puisqu'elle est la seule loi disponible'.
L'examen de la jurisprudence pertinente porte toutefois à douter que les juges canadiens aient jamais estimé, à l'instar des commentateurs, que la solution du problème implique un choix net entre la common law et le droit écrit. Ce problème n'a certainement pas été énoncé ou réglé de manière aussi simple dans les trois décisions de la Cour suprême qui l'ont étudié et auxquelles il est régu- lièrement fait référence. Ainsi, dans l'arrêt Purdom v. Pavey & Co. (1896), 26 R.C.S. 412, le litige portait sur un terrain situé dans l'État de l'Orégon et, plus précisément, sur l'effet d'une hypothèque grevant celui-ci, la Cour a choisi de se désaissir de l'affaire parce qu'elle était d'avis que la loi étrangère applicable devrait être prouvée ou que la question devait être tranchée par un tribu nal plus approprié, savoir celui de l'Orégon. Dans l'affaire Hellens v. Densmore, [1957] R.C.S. 768, il s'agissait de déterminer si l'appelante était libre de se remarier avant l'expiration du délai accordé pour interjeter appel du décret de divorce qu'elle avait obtenu d'une autre instance, les trois seuls juges qui ont traité du problème du contenu de la loi du tribunal saisi applicable en l'absence d'une preuve de la loi étrangère régissant un tel cas ont tranché sur le fondement de la proposition suivante, énoncée par le juge Cartwright la page 780):
[TRADUCTION] En l'absence de semblable preuve [quant à la loi de l'Alberta], la cour de la Colombie-Britannique aurait prendre pour acquis qu'en Alberta le droit ordinaire, par oppo sition à des dispositions statutaires spéciales, est le même que celui de la Colombie-Britannique. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Gray v. Kerslake, [1958] R.C.S. 3, était en jeu le droit de bénéficiaires d'une police d'assurance émise à New York, seulement deux juges (dont l'opinion est encore exprimée par le juge Cartwright) ont considéré approprié de traiter brièvement de l'argument selon lequel la loi de
8 Les auteurs suivants tirent ces mêmes conclusions: J.D. Falconbridge, Essays on the Conflict of Laws, 2' éd., 1954, pp. 824 et s.; J.G. McLeod, The Conflict of Laws, 1983, pp. 39 et s.; E. Groffier, Précis de droit international privé québécois, 1980, p. 103, 195.
l'État de New York devait être considérée comme identique à celle de l'Ontario. Ils ont dit la page 10):
[TRADUCTION] On a allégué que la Cour d'appel avait à bon droit présumé que la loi de l'État de New York était la même que celle de l'Ontario, mais cette présomption se rapporte au droit en général et ne s'applique pas aux dispositions spéciales de certaines lois qui modifient la common law. [C'est moi qui souligne.]
En fait, je n'ai pas été capable de trouver de jugement important qui ait résolu ce problème en s'appuyant sur une distinction claire entre la common law et la loi parlementaire.
Une constante se dégage toutefois de la lecture des différents jugements, soit la réticence des juges à trancher des litiges mettant en cause des étran- gers et le droit d'un autre pays en se fondant sur des dispositions de notre législation particulières à des situations locales, liées à des conditions locales ou établissant des exigences réglementaires. Cette réticence procède d'une distinction entre les dispo sitions de fond à caractère général, et les autres dispositions, qui sont à caractère interne ou régle- mentaire; cette distinction, que je considère entéri- née de façon formelle par le juge Cartwright dans les deux passages que je viens de citer, est, contrai- rement à la simple division opérée entre la common law et le droit écrit, tout à fait raisonna- ble. Cette règle jurisprudentielle anglaise, selon laquelle, en l'absence d'une preuve de la loi étran- gère applicable, le juge appliquera la loi du tribu nal saisi, ne devrait pas et ne doit pas, selon moi, être interprétée comme l'abandon pur et simple de la règle des conflits de lois comme si son impor tance était si minime que son application pouvait être laissée à la fantaisie des parties. En fait, il ne s'agit pas d'une authentique règle des conflits de lois; cette situation n'est aucunement comparable à celle qui se présente lorsque, par renvoi, la loi étrangère porte que la loi du tribunal saisi doit s'appliquer. Il s'agit d'une règle strictement reliée à l'incidence de la preuve. La Cour n'écarte pas le principe voulant que l'affaire soit régie par la loi étrangère et que la décision qui la concerne doive être prise sur le fondement de cette loi; elle dit simplement que la loi étrangère, selon les informa- tions qui lui ont été régulièrement présentées, est semblable à sa propre loi. Il s'agit, ainsi que le note Castel, d'une règle établie à seule fin de commo- dité qui, à ce qu'il me semble, ne peut être raison-
nablement acceptable que lorsqu'elle se limite à des dispositions de la loi susceptibles d'une cer- taine universalité. Tel est, à mon avis, le critère en fonction duquel doit être tranché le présent litige.
La loi du Libéria est celle qui s'applique en l'espèce. Comme aucune preuve ne nous a été présentée à son sujet, nous devons présumer qu'elle est semblable à la nôtre; cette présomption ne doit cependant s'étendre qu'aux dispositions de fond de cette dernière. À l'examen du Code canadien du travail, il m'apparaît que les dispositions recon- naissant le rôle des syndicats, donnant effet aux conventions collectives et reconnaissant, selon l'in- terprétation que leur donnent les tribunaux, le droit des employés individuels à l'action en récla- mation du salaire prévu par la convention (Hamil- ton Street Railway Co. v. Northcott, [1967] R.C.S. 3) sont fondamentales et peuvent avoir un certain caractère d'universalité, alors que les autres, notamment celles qui ont trait au rôle du Conseil canadien des relations du travail et au recours obligatoire à l'arbitrage pour le règlement des conflits, sont liées à des circonstances et à des fins canadiennes. Je suis donc d'avis que l'accord d'ITF est pleinement valable et doit recevoir son plein effet en vertu de la loi du Libéria tout comme ce serait le cas sous le régime des dispositions fondamentales de notre Code du travail et ce, nonobstant l'absence de dispositions prévoyant l'arbitrage.
En définitive, j'en arrive donc à la même conclu sion que celle à laquelle est parvenu le juge des requêtes. À mon avis, son ordonnance doit, par conséquent, être confirmée.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris aux motifs énoncés par le juge.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris au dispositif proposé en l'espèce par mon collègue le juge Mar- ceau. Je désire toutefois ajouter à ses motifs quel- ques brefs commentaires sur la règle de droit anglais en vertu de laquelle la cour, en l'absence de preuve du contenu de la loi étrangère applicable, applique la loi du tribunal saisi.
En premier lieu, je noterais qu'il est évident que les formulations de la règle qui datent du siècle dernier sont empreintes de l'esprit de leur temps. L'expansion coloniale disséminait la coutume et le droit anglais aux quatre coins du globe. Les avo- cats et les juges anglais, ce qui était naturel, considéraient leur système de beaucoup supérieur à tout autre. Kipling a exprimé le sentiment qui prévalait à l'époque lorsqu'il a parlé de «lesser breeds without the Law» (races moindres sans la Loi); il ne fait aucun doute que la loi qu'il évoquait était la common law d'Angleterre.
Dans ces circonstances, il est peut-être compré- hensible que la règle, telle que formulée, ait sou- vent parlé de [TRADUCTION] «présomption» vou- lant que la loi étrangère soit identique à la loi anglaise puisque c'était à l'aune de cette dernière que toutes les autres devaient être mesurées. Dans le contexte moderne, toutefois, une telle présomp- tion a peu de raison d'être ou n'en a aucune. Elle n'est certainement pas nécessaire pour justifier la règle. À mon avis, la cour applique la loi nationale du tribunal saisi simplement parce que celle-ci est la seule loi qu'elle est compétente à appliquer. Lorsque la cour [TRADUCTION] «connaît» (au sens juridique plutôt qu'au sens strictement factuel) la loi étrangère, elle l'appliquera—comme le fait la Cour suprême du Canada en présence d'un problè- me de conflit de lois entre deux ou plus de deux autorités canadiennes; ainsi, peut-on présumer, agira également notre Cour.
Ma seconde remarque concerne la suggestion de certains auteurs selon laquelle la loi du tribunal saisi vise uniquement la common law établie dans les décisions judiciaires, à l'exclusion du droit écrit. encore, je crois que les formulations qui ont été faites de la règle sont empreintes du con- texte historique et remontent à l'époque le droit anglais était en très grande partie d'origine juris- prudentielle; les lois parlementaires constituaient des exceptions et ne faisaient pas partie du droit ordinaire. Toutefois, je doute que, même à cette époque, il aurait été soutenu qu'une loi d'applica- tion générale telle, par exemple, le Bills of Exchange Act (Loi sur les lettres de change) n'était pas applicable et que la cour devait débus- quer dans les recoins de l'histoire l'état du droit précédant son adoption. À mon avis, cette règle,
formulée comme elle doit l'être, porte que la cour appliquera uniquement les éléments de la loi du tribunal saisi qui font partie du droit général du pays.
Finalement, j'ajouterais qu'il m'apparaît évident que la cour, lorsqu'elle applique la loi du tribunal saisi faute d'une preuve de la loi étrangère, doit faire les ajustements qui s'imposent; pour employer le jargon juridique, la loi doit être lue compte tenu des adaptations de circonstance. Cette proposition est aussi vraie en ce qui a trait à la common law et au droit jurisprudentiel qu'elle l'est en ce qui regarde les lois parlementaires. Je m'attendrais à ce que le tribunal auquel il est demandé d'appliquer le droit relatif au trésor trouvé («Treasure Trove))) dans une situation de conflit de lois décide que le trésor appartient au souverain du lieu dans lequel il a été trouvé plutôt qu'à la Couronne d'Angleterre.
Si nous appliquons ces considérations aux faits de l'espèce, la question en litige consiste à savoir si «l'accord collectif» intervenu entre les propriétaires du Mercury Bell et un syndicat crée en faveur des demandeurs des droits exécutoires. Comme le défendeur est un navire battant pavillon libérien utilisé dans le cadre du commerce international, c'est en se référant à la loi du Libéria qu'il faut répondre à cette question. En l'absence de preuve de la loi du Libéria, nous devons nous demander quelle loi s'appliquerait si le navire battait pavillon canadien. La loi applicable serait le Code canadien du travail 9 . Il s'agit d'une loi d'application géné- rale soumise aux seules limites qu'impose la Cons titution au Parlement qui l'a adoptée. Ces limites n'auraient aucun effet sur l'application de cette loi si le défendeur était un navire battant pavillon canadien utilisé dans le cadre du commerce inter national. Le Code répond de façon claire et affir mative à la question soumise à notre appréciation. Il n'est aucunement pertinent de prétendre, ainsi que l'a fait l'avocat de l'appelant, que de nombreu- ses dispositions du Code canadien du travail ne pourraient être appliquées au Mercury Bell et à son équipage. C'est bien évident. Il n'est pas un navire canadien. En appliquant la loi canadienne en l'absence d'une preuve de la loi libérienne, nous n'en faisons pas un navire canadien ni ne soumet-
9 S.R.C. 1970, chap. L-1, et ses modifications.
tons celui-ci ou son équipage à la compétence du Conseil canadien des relations du travail ou à la multitude des dispositions du Code. Nous n'appli- quons de la loi canadienne que ce qui est néces- saire pour répondre à la question en jeu.
Pour ces motifs, comme mon collègue le juge Marceau, je rejetterais l'appel.
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