Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-494-83
Fonds international pour la défense des animaux, Inc., Stephen Best et Brian D. Davies (deman- deurs)
c.
La Reine, le ministre des Pêches et Océans, le ministre de la Justice et le procureur général du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: FONDS INTERNATIONAL POUR LA DÉFENSE DES ANIMAUX, INC. c. CANADA
Division de première instance, juge McNair— Toronto, 24, 25, 26, 27 et 28 février, 3 et 4 mars; Ottawa, 18 septembre 1986.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Liberté d'expression Le demandeur Davies est partisan de l'abolition de la chasse du phoque Il a utilisé des hélicoptères pour transporter les représentants de la presse parlée et écrite sur les lieux de la chasse contrairement au Règlement sur la protection des phoques, qui interdit de survoler en aéronef des phoques à basse altitude Rejet des demandes d'accès à la chasse du phoque Y a-t-il eu restriction de la liberté d'expression? La liberté d'expres- sion inclut la liberté d'accès à toute information pertinente aux idées ou aux croyances que l'on cherche à exprimer, sous réserve des restrictions raisonnables L'objet de la Loi, qui consiste à interdire toute intervention injustifiée dans les acti- vités légales des chasseurs de phoques est valable L'intérêt collectif du gouvernement de protéger les phoques, ainsi que le droit fondamental des chasseurs de phoques de gagner leur vie, l'emportent sur la liberté d'accès à l'information Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2b), 24(1) Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 11976] R.T. Can. 47, art. 19 Règlement sur la protection des phoques, C.R.C., chap. 833, art. 5a),b), 11(2),(3),(6) (mod. par DORS/78-167, art. 3).
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive Le Règlement vise la conservation des phoques et la gestion de la chasse du phoque Empiètement sur la liberté d'expression L'intérêt du gouvernement de protéger les phoques et le droit des chasseurs de phoques de gagner leur vie l'emportent sur cette liberté d'expression Restrictions rai- sonnables, justifiées dans une société démocratique Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. I Règlement de protection des phoques, DORS/64-443, art. 17.
Pêches Le Règlement sur la protection des phoques interdit d'atterrir en aéronef à proximité des phoques ou de survoler en aéronef des phoques à une altitude de moins de 2 000 pieds, à moins d'une permission du Ministre Le demandeur est partisan de l'abolition de la chasse du phoque Il a utilisé des hélicoptères pour transporter les représen- tants de la presse parlée et écrite sur les lieux de la chasse
Il s'agit de déterminer si le Règlement est ultra vires l'art. 34 de la Loi sur les pêcheries Les activités contestées s'inscri- vent dans le cadre de l'objet et des dispositions de la Loi Le mot «pêcherie» comprend les chasseurs de phoques, en qualité de personnes s'adonnant à la chasse du phoque Les pêches comprennent les animaux marins ainsi que la chasse du phoque Droit d'exploiter légitimement les ressources Le Règlement a été édicté pour la gestion et le contrôle des pêches côtières Le pouvoir discrétionnaire ministériel de rejeter les demandes d'accès à la chasse du phoque a, à bon droit, été exercé Rejet de l'action en jugement déclaratoire et en injonction Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 2 (mod. par S.C. 1985, chap. 31, art. 1), 2.1 (édicté, idem, art. 2), 34 Règlement sur la protection des phoques, C.R.C., chap. 833, art. 5a),b), 11(2),(3),(6) (mod. par DORS/78-167, art. 3) Règlement de protection des phoques, DORS/64-443, art. 17.
Le Règlement sur la protection des phoques interdit, sauf avec la permission du Ministre, à quiconque d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins d'un demi-mille marin d'un phoque qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe ou dans la région du Front, ou de survoler dans un tel aéronef, à une altitude de moins de 2 000 pieds, un phoque qui se trouve sur la glace, sauf s'il s'agit d'un vol commercial suivant un plan de vol établi.
Le demandeur Davies est partisan absolu de l'abolition de la chasse du phoque. En 1969, il a élargi son rayon d'action en créant le Fonds international pour la défense des animaux, Inc. (FIDA). Par l'entremise de FIDA, il a cherché à gagner les médias à sa cause. Le FIDA a utilisé des hélicoptères pour transporter les représentants de la presse parlée et écrite sur les lieux de la chasse. Le demandeur a été accusé d'avoir violé le Règlement. Les demandes répétées de permission du FIDA pour que ses représentants aient accès à la chasse du phoque ont été rejetées.
Les demandeurs contestent la constitutionnalité du Règle- ment. Ils prétendent que le Règlement leur refuse la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Ce droit comprendrait «la liberté de rechercher, de recevoir et de répan- dre des informations et des idées de toute espèce» par tout moyen de communication, ainsi qu'il est dit à l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils soutiennent subsidiairement que le Règlement n'est pas autorisé par l'article 34 de la Loi sur les pêcheries.
Jugement: L'action en jugement déclaratoire et en injonction devrait être rejetée.
Un examen détaillé et précis de l'alinéa 2b) de la Charte mène à la conclusion que la liberté d'expression doit inclure la liberté d'accès à toute information pertinente aux idées ou aux croyances que l'on cherche à exprimer, sous réserve des restric tions raisonnables et nécessaires pour la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou les mœurs publics ou les droits et libertés fondamentaux d'autrui.
D'après l'arrêt R. c. Big M Drug Mart, le premier critère de la constitutionnalité est celui de la validité de l'objet de la loi; les effets de la loi ne doivent être pris en considération que lorsque la loi a répondu à ce premier critère.
Le Règlement, ainsi que l'a déclaré le ministre des Pêches, vise à interdire toute intervention injustifiée dans les activités
légales des chasseurs de phoques. Il s'agit d'un but valable. Le Règlement vise la conservation et la protection des phoques ainsi que la gestion et le contrôle adéquats de la chasse du phoque, compte tenu des origines ancestrales et traditionnelles de cette chasse et des droits des personnes dont la subsistance dépend de cette activité. Néanmoins, le véritable effet de ces dispositions réglementaires a été d'empiéter sur la liberté d'ex- pression des demandeurs.
La question se pose alors de savoir si ces dispositions relèvent de la clause limitative de l'article 1 de la Charte. Il n'y a aucune preuve que le Règlement vise à refuser l'accès à la presse. L'interdiction relative à l'atterrissage ou au survol en aéronef près d'un phoque était justifiée par l'intention de mettre fin à la pratique, non réglementée et dangereuse, consis- tant à chasser les phoques par aéronef, d'empêcher de disperser les troupeaux de phoques et de perturber la maman phoque allaitant son bébé. La sécurité justifierait à elle seule l'imposi- tion de certaines restrictions à la liberté d'accès. Il y a une distinction très subtile entre le fait de chercher de l'information afin de mener une campagne efficace de protestation contre une activité commerciale légale et le fait de protester contre cette activité sur les lieux mêmes elle se déroule. L'intérêt collectif du gouvernement de protéger les phoques, ainsi que le droit fondamental des chasseurs de phoques de gagner leur vie, l'emportent sur la liberté d'accès à l'information des deman- deurs. En conséquence, les restrictions prévues par le Règle- ment sur la protection des phoques sont raisonnables dans les circonstances, et leur justification peut se démontrer dans le cadre normal d'une société libre et démocratique.
Il y a lieu de rejeter l'argument subsidiaire des demandeurs selon lequel le Règlement est ultra vires en ce sens qu'il outrepasse l'objet et les dispositions de la Loi sur les pêcheries. Il y a suffisamment de preuve pour démontrer que la gamme entière des activités contestées s'inscrit dans le cadre de l'objet et des dispositions de la loi habilitante. La définition de "pêche- rie" dans la Loi comprend les chasseurs de phoques, en qualité de personnes s'adonnant à la chasse du phoque. La loi reconnaît les pêches comme une ressource naturelle et publique qui comprend non seulement les animaux marins eux-mêmes, mais également la chasse du phoque dans la mesure il s'agit du droit d'exploiter légitimement les ressources à l'endroit on les trouve. Le Règlement a été édicté pour la gestion et le contrôle adéquats des pêches côtières et pour la conservation et la protection des phoques. Il est donc de la compétence du Parlement.
N'est pas non plus fondée la prétention des demandeurs selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du Ministre de ne pas accor- der des permissions a été exercé dans un but non autorisé. La politique du gouvernement était de protéger les chasseurs de phoques contre les interventions des protestataires. Le Ministre a établi la politique selon laquelle les permissions ne seraient pas accordées aux personnes ou aux groupes dont l'intention ouverte est d'interrompre la chasse du phoque. Cette politique vise tous les protestataires militants et ne distingue pas les demandeurs. Le pouvoir discrétionnaire a, à bon droit, été exercé compte tenu des objets de la Loi et de l'objet du litige, c'est-à-dire la gestion et le contrôle de la chasse du phoque.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213; (1981), 113 D.L.R. (3d) 513.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [ 1985] 1 R.C.S. 295; 18 D.L.R. (4th) 321; 58 N.R. 81; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Switzman v. Elbling and A.-G. Que., [1957] R.C.S. 285; Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292; (1981), 113 D.L.R. (3d) 1; Cumings v. Birkenhead Corpn., [1972] Ch. 12 (C.A.); Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; 16 D.L.R. (2d) 689.
DÉCISIONS CITÉES:
Associated Provincial Picture Houses, Ltd. v. Wednes- bury Corpn., [1948] 1 K.B. 223 (C.A.); Thorne's Hard ware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; 143 D.L.R. (3d) 577; The Queen v. Robertson (1882), 6 R.C.S. 52; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
AVOCATS:
P. F. M. Jones et D. V. MacDonald pour les
demandeurs.
P. Evraire et C. Brenzall pour les défendeurs.
PROCUREURS:
McMillan, Binch, Toronto, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Le litige se rapporte à la chasse du phoque de l'Atlantique, qui a soulevé tant de controverse. Le conflit fait fureur depuis le milieu des années 60, mais il s'est calmé en raison de l'affaiblissement du marché. Les images qui viennent à l'esprit sont d'un contraste frappant, allant de la vision attendrissante des bébés blan- chons dans leur habitat naturel au spectacle sinis- tre des chasseurs de phoques poursuivant sans relâche leur travail sur la banquise dans le golfe du Saint-Laurent et dans la région du Front de l'At- lantique nord, au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador.
Il ne s'agit pas en l'espèce de statuer sur la légalité ou sur la moralité de la chasse en elle- même, mais plutôt sur la validité constitutionnelle
de certaines dispositions du Règlement sur la pro tection des phoques [C.R.C., chap. 833], adopté en application de l'article 34 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14.
Les demandeurs désirent obtenir un jugement déclaratoire et une injonction visant à empêcher les défendeurs, leurs préposés et mandataires d'ap- pliquer certaines dispositions contestées du Règle- ment sur la protection des phoques ou d'intenter des poursuites par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou des poursuites au criminel. Les demandeurs cherchent à obtenir une déclaration portant que lesdites dispositions sont sans effet et inconstitutionnelles, en ce sens qu'elles portent atteinte aux libertés de pensée, de croyance, d'opi- nion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication, garanties à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ou, subsidiairement, que le gouverneur en conseil a, dans ces dispositions, outrepassé le pouvoir d'édic- ter des règlements, prévu à l'article 34 de la Loi sur les pêcheries.
Les défendeurs rejettent la prétention des demandeurs selon laquelle leurs droits et libertés garantis par la Charte sont interdits ou restreints par le Règlement sur la protection des phoques mais, au cas ils le seraient, les défendeurs affirment que toute interdiction ou restriction de ce genre respecte les limites raisonnables prévues par la loi dans le cadre de l'exception mentionnée à l'article premier de la Charte. En outre, ils soulè- vent la question de la qualité des demandeurs pour intenter cette action.
Le demandeur, Brian Davies, est un homme remarquable et talentueux. Il quitte le pays de Galles en 1955 pour s'engager dans le fameux régiment Black Watch et servir dans les forces armées, principalement à la Base des Forces cana- diennes de Gagetown. À la fin de son service en 1961, il devient secrétaire administratif de la SPA (Société protectrice des animaux) du Nouveau- Brunswick. Le ministre des Pêches, Hedard J. Robichaud, l'invite à assister à une réunion en mai 1964, Moncton (Nouveau-Brunswick) à laquelle participent des fonctionnaires du Ministère et des représentants de la chasse du phoque au Canada.
La réunion lui laisse un mauvais souvenir et à la suite de ce qu'il voit sur la glace, B. Davies devient partisan absolu de l'abolition totale de la chasse du phoque. Il choisit cette voie en pleine connaissance de cause et rejette la solution préconisée par d'au- tres compatriotes, consistant à pousser le gouver- nement à améliorer les conditions de la chasse du phoque et à sauvegarder les espèces du phoque du Groenland et du phoque à capuchon. Il consacre désormais ses efforts, sans réserve et sans relâche, à défendre sa cause, c'est-à-dire l'abolition totale de la chasse du phoque, auprès de l'opinion publique.
Par ailleurs, le gouvernement considère la chasse du phoque comme une richesse économique pour laquelle il faut imposer un système de contingents adéquats et des conditions moins cruelles de chasse. En 1964, le gouvernement adopte le Règle- ment de protection des phoques [DORS/64-443], qui établit des exigences pour la délivrance de permis et des systèmes de contingents pour la chasse du phoque et qui fixe les méthodes de chasse. L'article 17 du Règlement interdit d'écor- cher un phoque avant qu'il ne soit mort. Avant 1970, l'accès du public à la chasse du phoque était pratiquement illimité.
En 1966, B. Davies prend des dispositions pour que le D r Elizabeth Simpson, vétérinaire prati- quant à Fredericton, assiste comme observatrice à la chasse dans la région du Golfe et pour qu'elle fasse un compte rendu sur la cruauté des méthodes de chasse à la S.P.A.N.-B. Elle présente, à son chef, un rapport détaillé accompagné de photogra- phies. Elle conclut que les méthodes de chasse pratiquées sont très cruelles. La S.P.A.N.-B. ne tarde pas à diffuser les constatations du D r Simp- son. En raison de la controverse soulevée par ce rapport, B. Davies prend des dispositions pour que le Dr Simpson assiste de nouveau à la chasse en 1967. Elle le fait et résume ses observations dans un article qui est publié dans la revue scientifique Nature, sa conclusion est ainsi énoncée:
[TRADUCTION] Ces observations postmortem indiquent qu'un pourcentage élevé des animaux chassés meurent assez cruellement.
L'indignation publique est de plus en plus grande et le gouvernement n'hésite pas à prendre certaines mesures pour se défendre contre les par tisans de l'abolition de la chasse du phoque. En
1971, le gouvernement joue un rôle important dans la création du Comité d'étude des phoques et de leur chasse (CEPC) dont le mandat est d'examiner tous les aspects de la chasse du phoque dans l'Arctique et l'Atlantique nord et de proposer au Ministre des modifications au Règlement en vigueur. Parmi les membres de ce Comité, figurent des personnalités comme le professeur Keith Ronald, doyen du College of Biological Science à l'Université de Guelph, Tom Hughes, directeur de l'Ontario Humane Society, Trevor H. Scott, de la Société internationale pour la protection des ani- maux à Londres (Angleterre), le D` Harry C. Rowsell, vétérinaire pathologiste et directeur administratif du Conseil canadien de protection des animaux, et d'autres personnalités portant de l'intérêt à la cause des phoques.
En 1968, B. Davies fait amener une équipe de journalistes du Daily Mirror de Londres (Angle- terre) sur les lieux de la chasse sur la glace. L'un des photographes de la presse prend une photogra- phie qui devait ensuite faire la première page de ce journal et qui devient en quelque sorte le symbole de l'opposition à la chasse du phoque. Farley Mowat, le célèbre auteur canadien, assiste égale- ment à la chasse de 1968.
En 1969, B. Davies élargit son rayon d'action en faisant constituer en société à but non lucratif le Fonds international pour la défense des animaux, Inc. (FIDA) en vertu de la New Brunswick Com panies Act [R.S. 1952, chap. 33]. La réaction du public est générale et immédiate. Entre-temps, B. Davies suit de près les chasses annuelles de pho- ques. Son énergie et son zèle sont prodigieux. Ne se laissant pas décourager par son échec à convain- cre le comité parlementaire devant lequel il com- parait en 1969, B. Davies redouble d'efforts par l'entremise du FIDA pour gagner les médias à sa cause. Le FIDA aide à maintes reprises les repré- sentants de la presse parlée et écrite à aller obser ver la chasse du phoque sur la glace. Des photogra- phies sont prises et les événements sont rapportés. La chasse du phoque est reprise par les journaux et par les chaînes de télévision.
B. Davies passe l'examen de pilote d'hélicoptère et d'aéronef à voilure fixe en vue de faciliter l'opération «pont aérien» du FIDA pour amener les représentants des médias et les porte-parole des
adversaires de la chasse sur le théâtre des opéra- tions. Il trouve également le temps de publier un livre au titre séduisant de Seal Song.
À partir de 1970, un certain nombre de modifi cations au Règlement sur la protection des pho- ques sont adoptées. Il devient interdit d'utiliser un hélicoptère ou un autre aéronef pour la chasse du phoque sauf pour aller à la recherche des phoques et ce, uniquement avec un permis délivré par le Ministre. En outre, l'évolution du Règlement reflète l'inquiétude croissante du gouvernement à l'égard de la question de l'accès illimité à la chasse du phoque. Selon le Règlement de 1970, il est interdit d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins d'un demi-mille marin d'un troupeau de phoques qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe ou dans la région du Front. Cette inter diction est annulée par le Règlement de 1974 qui remplace l'expression «troupeau de phoques» par «un phoque». Le nouveau Règlement adopté en 1976 interdit, sauf avec la permission du Ministre, à quiconque d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins d'un demi-mille marin d'un phoque qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe ou dans la région du Front ou de survoler en hélicoptère ou dans un autre aéronef, à une alti tude de moins de 2 000 pieds, un phoque qui se trouve sur la glace, sauf s'il s'agit d'un vol com mercial suivant un plan de vol établi.
En 1976, le FIDA choisit comme cible la région du Front et comme base d'opération, le petit vil lage de pêcheurs de St. Anthony à l'extrémité nord-est de Terre-Neuve. Le FIDA utilise ses pro- pres hélicoptères et en affrète cinq autres afin de transporter un groupe de représentants des médias sur les lieux de la chasse. Cinq hôtesses de l'air sont amenées à des fins publicitaires. L'hélicoptère du FIDA est saisi et B. Davies est accusé d'infrac- tion au règlement qui interdit l'atterrissage et le vol à basse altitude. L'affaire est jugée en première instance et en appel, et elle est finalement rejetée au motif que les infractions sont survenues à l'exté- rieur de la limite territoriale de douze milles.
Vers le milieu du mois de mars 1977, St. Anthony est encore une fois le centre de l'attention internationale. Des hordes de journalistes et de photographes de divers pays convergent vers St. Anthony et les villages avoisinants afin d'assister à la chasse du phoque qui se tient à 50 milles environ
au large des côtes. De nouveau, le FIDA se charge des opérations vitales de transport et ce, malgré un télégramme du ministre Roméo LeBlanc avertis- sant B. Davies que l'atterrissage d'un hélicoptère à moins d'un demi-mille d'un phoque qui se trouve sur la glace est interdit par le Règlement. La chasse de 1977 provoque l'hostilité assez forte des habitants de la région et pour la première fois, donne lieu à une opposition organisée chez les partisans de la chasse.
De nouveau, B. Davies est accusé d'infraction au Règlement du fait d'avoir survolé en hélicoptère des phoques qui se trouvent sur la glace à moins de 2 000 pieds d'altitude et d'avoir atterri à moins d'un demi-mille marin d'un phoque sur la glace. Par la suite, B. Davies admet en toute franchise avoir délibérément enfreint le Règlement. Entre- temps, le gouvernement, par voie de proclamation, étend la limite de pêche en haute mer à 200 milles. B. Davies est déclaré coupable: il purge finalement une peine de trois semaines d'emprisonnement et verse une amende de 1 000 $. Il fait également l'objet d'une ordonnance de probation qui lui inter- dit ainsi qu'à tout groupe dont il est membre de survoler en hélicoptère ou autre aéronef la région du Front ou la région du Golfe durant les mois de mars et d'avril 1978, 1979 et 1980.
La chasse de 1977 et ses répercussions ne font que renforcer l'opposition de B. Davies et du FIDA. Ces derniers déclarent à la presse que le gouvernement canadien a délibérément adopté une politique qui refuse aux journalistes la liberté d'ac- cès à la chasse. L'extrait suivant de commentaires faits par B. Davies lors d'une conférence de presse, comme le rapporte le Medicine Hat News, résume bien leur pensée:
[TRADUCTION] Des dizaines de milliers de phoques, la plu- part des bébés phoques, peuvent être frappés à mort pour leurs peaux qui vont servir à fabriquer des objets de parure, mais toute personne qui désire sauver les phoques, les photographier ou écrire à leur sujet ne peut atterrir à moins d'un demi-mille d'un phoque ou les survoler à une altitude de moins de 2 000 pieds.
L'argument du gouvernement dans cette contro- verse est résumé fort adroitement par le premier ministre de l'époque, Le Très Honorable Pierre E. Trudeau, en ces termes:
[TRADUCTION] Les mêmes exagérations sur les méthodes de chasse du phoque se répètent. Ce n'est pas un beau spectacle à voir, il n'y a pas de doute. Cependant, les phoques sont abattus
moins cruellement que la plupart des animaux domestiques. C'est ce que déclarent les experts en pathologie vétérinaire qui ont examiné les phoques et qui ont conclu que la méthode actuelle d'abattage n'inflige aucune souffrance à l'animal. Des experts en pathologie vétérinaire et des représentants de socié- tés protectrices des animaux assistent à la chasse tous les ans pour aider le gouvernement à s'assurer que tout se passe comme prévu.
Ce qu'il faut se rappeler, c'est que le gouvernement a une double responsabilité en ce qui concerne la chasse du phoque. En premier lieu, il nous faut veiller à ce que l'espèce ne disparaisse pas et à ce que les méthodes de chasse ne soient pas cruelles. Nous l'avons fait et nous continuerons à le faire. En deuxième lieu, nous avons des obligations envers les chasseurs. Depuis presque deux siècles, ils chassent le phoque pendant les rudes mois d'hiver pour améliorer un revenu annuel que la plupart d'entre nous considérerait comme très modeste. Ce que tirent 4 000 chasseurs environ de cette chasse constitue une partie importante de leur revenu annuel dans une région qui compte presque entièrement sur les ressources marines pour sa survie. Si nous concluons, comme nous l'avons déjà fait, que cette chasse ne menace pas d'extinction l'espèce animale, et que les méthodes de chasse ne sont pas cruelles, nous n'avons alors aucune raison d'adopter une législation interdisant la chasse du phoque.
Les deux parties ont donc fait connaître leur position respective qui est maintenant claire.
Les demandes répétées de permission du FIDA pour que leurs représentants puissent aller sur la glace sont rejetées. En 1981, le FIDA demande
une permission de vol pour le Eugen Weiss, vétérinaire allemand, afin qu'il fasse une autopsie des cadavres de phoques. Une permission res- treinte lui est accordée afin qu'il puisse suivre la chasse. Pour une raison inconnue, les restrictions sont levées et le Ministère transporte le a Weiss par voie aérienne jusqu'au lieu de la chasse. Le FIDA prétend que le D' Weiss n'agissait pas alors en son nom. La permission accordée au D r Weiss est l'excuse donnée par le \ Ministère pour refuser une permission à Stephen Best d'aller sur la glace en 1981. B. Davies est lui-même observateur à la chasse de 1981. Est-ce le vent ou le courant, mais l'embâcle transporte les phoques jusqu'aux rivages même de l'Île-du-Prince -Edouard et pousse un grand nombre de profanes et d'amateurs de fris- sons à se joindre à la chasse. Par un autre caprice imprévu de la nature, la glace se désintègre très rapidement et nombreux sont les bébés blanchons, du contingent de cette année-là, qui se noient. La chasse tourne au désastre et le Ministère intervient rapidement pour y mettre fin. B. Davies ne revient plus jamais sur les lieux de la chasse, mais il poursuit ses efforts pour y mettre fin de façon permanente.
À la fin de l'année 1981 ou au début de l'année 1982, le FIDA demande au Ministère des permis sions d'accès à la chasse du phoque pour cinq personnes, dont deux, Paul F. Howell et Stanley Johnson, sont membres du Parlement de la Com- munauté économique européenne (CEE). La CEE est sur le point d'adopter une résolution visant à interdire l'importation de peaux de phoques ou d'objets en peaux de phoques, sauf ceux que fabri- quent les autochtones indiens et esquimaux du Canada. Les trois autres personnes sont des repré- sentants du FIDA, à savoir B. Davies, S. Best et Thomas McCollum, photographe chevronné. Les demandes des députés du Parlement européen, P. Howell et S. Johnson, sont acceptées, mais celles des trois représentants du FIDA sont rejetées.
Anticipant l'adoption de la Charte, Stephen Best écrit, le 10 décembre 1981, une lettre à M. Roméo LeBlanc, ministre des Pêches et Océans, pour indiquer que les dispositions du Règlement sur la protection des phoques relatives à l'accès limité semblent porter atteinte à un certain nombre de libertés garanties par la Charte. La lettre se termine par une demande d'explications officielles pour savoir si les dispositions restrictives du Règlement relatives à l'utilisation d'hélicoptè- res et d'autres aéronefs à proximité des phoques seront appliquées. Le 18 février 1982, le Ministre répond par la voie de son secrétariat de la corres- pondance en ces termes:
[TRADUCTION] Monsieur,
Monsieur le ministre m'a demandé de répondre à votre lettre du 10 décembre 1981 concernant la constitutionnalité du Règlement sur la protection des phoques.
Premièrement, le mandat du ministère des Pêches et Océans est de protéger et de préserver toutes nos espèces animales marines comme richesses naturelles dans l'intérêt de tous les Canadiens. Le Règlement sur la protection des phoques, ainsi que tous les autres règlements du Ministère, ont été adoptés pour atteindre ces buts. Le Règlement sur la protection des phoques fournit des directives en matière de gestion efficace de nos ressources en phoques et vise à s'assurer, par des méthodes sérieuses, que nos troupeaux de phoques continuent de s'accroître et restent exploitables sur le plan commercial. C'est seulement grâce à l'application de tels règlements que la chasse annuelle peut bien se dérouler et contribuer à améliorer le revenu des pêcheurs durant une période de l'année il est particulièrement faible. Ces dernières années, certains particuliers se sont efforcés de dénigrer cette chasse traditionnelle et de l'interrompre. En conséquence, le Règlement vise maintenant à protéger la popu lation des phoques des dangers d'une chasse incontrôlée et à protéger les chasseurs, détenant un permis, contre les protesta- taires qui cherchent à les harceler et à gêner leurs activités. Les chasseurs de phoques professionnels ont droit de «gagner leur
vie», libres de toute intervention de ce genre. En outre, les chasseurs de phoques pensent de plus en plus que ces protesta- taires constituent une menace pour leur accès à cette source de revenu. En fait, le Règlement sur la protection des phoques protège plutôt les protestataires contre les menaces physiques des chasseurs de phoques.
Le ministre m'a demandé de vous assurer que, quelles que soient les clauses de notre nouvelle Constitution, son Ministère veillera toujours au respect des «principes de justice fondamen- tale». Le Règlement sur la protection des phoques continuera de protéger les troupeaux de phoques contre les dangers d'une chasse incontrôlée et de protéger les chasseurs de phoques, détenant un permis, des abus excessifs de ceux qui empiéte- raient sur leur droit d'exploiter cette ressource renouvelable.
Veuillez croire à l'assurance de mes sentiments distingués. (signé) Dixi Lambert
Dixi Lambert
Secrétaire à la correspondance
Voici les dispositions du Règlement sur la pro tection des phoques, C.R.C., chap. 833, qui sont contestées en l'espèce:
Paragraphes 11(2) et (3)
11....
(2) Il est interdit d'utiliser un hélicoptère ou un autre aéronef pour aller à la recherche des phoques à moins d'avoir un permis de chasse du phoque à partir d'un aéronef, délivré par le Ministre.
(3) Un permis de chasse du phoque à partir d'un aéronef ne peut être délivré qu'à l'égard d'un aéronef immatriculé au Canada aux termes de la partie II du Règlement de l'Air établi en vertu de la Loi sur l'aéronautique.
Alinéas (5)a) et b) 11. ...
(5) Sauf avec la permission du Ministre, il est interdit
a) d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins de 1/2 mille marin d'un phoque qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe ou dans la région du Front; ou
b) de survoler en hélicoptère ou dans un autre aéronef, à une altitude de moins de 2,000 pieds, un phoque qui se trouve sur la glace, sauf s'il s'agit d'un vol commercial suivant un plan de vol établi.
Paragraphe 11(6) (DORS/78-167, art. 3) 11. ...
(6) A moins d'être titulaire d'un permis, il est interdit d'approcher à moins d'un demi-mille marin de toute région une chasse aux phoques est en cours.
Le premier point en litige se rapporte à la validité constitutionnelle des dispositions susmen- tionnées du Règlement sur la protection des pho- ques, que les demandeurs ont contestées dans leur
action en invoquant l'alinéa 2b) de la Charte. La question qui doit être tranchée est donc de savoir si le Règlement refuse aux demandeurs la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Ils prétendent que cette liberté doit être interprétée comme incluant «la liberté de rechercher, de rece- voir et de répandre des informations et des idées de toute espèce», sous une forme orale ou écrite, sous forme de photographie ou de tout autre moyen de communication. Bien que le FIDA soit incontesta- blement un protestataire redoutable, le point essentiel de l'affaire ne porte pas sur le droit de protestation en soi. Selon la preuve des deman- deurs, ces derniers n'ont jamais gêné délibérément les chasseurs de phoques. Leur objectif avoué est l'accès à l'information plutôt que les altercations et la confrontation.
Il est maintenant établi hors de tout doute que la Charte est un document constitutionnel «vivant» dont l'interprétation doit être vaste et libérale et doit répondre à un objet précis en ce qui concerne les droits qui y sont garantis. Pour savoir si un droit garanti par la Charte a été violé, il faut une enquête judiciaire en deux étapes. À la première étape, il faut établir si la liberté et le droit visés, considérés sous un angle assez large mais dans un but bien précis, ont été enfreints par la loi qui est contestée. Si l'on constate qu'il y a infraction, on passe alors à la deuxième étape qui fait entrer en jeu l'article premier de la Charte, c'est-à-dire qu'il s'agit alors de savoir si la loi contestée comporte «des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». C'est à la partie qui affirme qu'il en est bel et bien ainsi de convaincre la cour, et la norme adéquate de preuve est pondérée par le critère de la prépondérance des probabilités. Voir les affaires Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; 18 D.L.R. (4th) 321; 58 N.R. 81; et R. c. Oakes, [ 1986] 1 R.C.S. 103.
Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, le juge Dickson [tel était alors son titre] a, au nom de la majorité de la Cour, jugé que le premier critère de la constitutionnalité est celui de la validité de l'objet de la loi; les effets de la loi ne
doivent être pris en considération que lorsque la loi contestée a répondu au critère de l'objet. Le critère des effets ne peut jamais servir à confirmer une loi dont l'objet n'est pas valide. Le juge Wilson, fai- sant partie de la minorité de la Cour, a adopté l'opinion contraire selon laquelle la Charte est «un document axé sur les effets», c'est-à-dire qu'une évaluation de l'empiètement d'une loi sur les liber- tés et les droits individuels fondamentaux doit être établie en se demandant si, de la loi contestée, «il
. est résulté une violation d'un droit individuel enchassé». Le savant juge a souscrit à l'opinion majoritaire de ses collègues sur le principe général énoncé à l'article premier, en déclarant aux pages 361 R.C.S.; 373 D.L.R.; 121 N.R. ce qui suit:
... l'analyse exigée en vertu de l'art. 1 de la Charte comporte une évaluation de l'objet fondamental de la loi attaquée. Je suis d'accord avec le juge Dickson lorsqu'il affirme dans ses motifs que l'article premier exige une évaluation de «l'intérêt du gouvernement» ou des «objectifs visés par ses politiques» qui sont en jeu, suivie d'une décision sur la question de savoir si cet intérêt est suffisamment important pour l'emporter sur un droit garanti par la Charte, et sur celle de savoir si les moyens choisis pour atteindre l'objectif en question sont raisonnables.
L'un des critères de justification qui sert à éva- luer toute limitation par le gouvernement des droits et libertés garantis par la Charte est le concept contenu dans l'expression «société libre et démocratique», dont la portée et l'application sont très variées. Le juge en chef Dickson n'en a mis à l'épreuve que quelques applications dans l'affaire précitée R. c. Oakes, en concluant en ces termes à la page 136 R.C.S.:
Les valeurs et les principes sous-jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer.
Toutefois, les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas absolus. Il peut être nécessaire de les restreindre lorsque leur exercice empêcherait d'atteindre des objectifs sociaux fon- damentalement importants. C'est pourquoi l'article premier prévoit des critères de justification des limites imposées aux droits et libertés garantis par la Charte. Ces critères établissent une norme sévère en matière de justification, surtout lorsqu'on les rapproche des deux facteurs contextuels examinés précé- demment, savoir la violation d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution et les principes fondamentaux d'une société libre et démocratique.
Il n'en reste pas moins que la plupart des affai- res la Charte est invoquée portent sur l'équili- bre entre les buts légitimes sociaux et collectifs de l'État et certains droits et libertés garantis de
l'individu. L'objectif de l'intérêt ou de la politique du gouvernement doit être assez important pour justifier la dérogation à un droit garanti par la Charte et les moyens employés pour sa réalisation doivent être raisonnables. Il serait difficile de nier qu'une société libre et démocratique est une société ouverte acceptant la diversité de croyances, ainsi que la liberté d'opinion et d'expression.
Le juge Rand a confirmé cet argument de façon éloquente dans l'affaire Switzman v. Elbling and A.-G. Que., [1957] R.C.S. 285, bien avant l'adop- tion de la Charte, en affirmant ce qui suit à la page 306:
[TRADUCTION] ... le gouvernement du Canada est essentielle- ment l'expression soit directe de la volonté de la majorité, soit indirecte par l'intermédiaire des assemblées populaires. Cela équivaut en fin de compte à un gouvernement par l'opinion publique libre d'une société ouverte dont l'efficacité, ainsi que les événements l'ont démontré souvent, ne fait pas de doute.
Mais en vue d'assumer une telle responsabilité, l'opinion publique exige l'accès quasiment illimité aux idées et la diffu sion de ces dernières.
La liberté elle-même a été définie par le juge Dickson dans l'affaire Big M Drug Mart à la page 337, comme suit:
La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les moeurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.
Les demandeurs invoquent l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
[[1976] R.T. Can. 47] l'appui de leur argu ment selon lequel les termes de l'alinéa 2b) de la Charte doivent être interprétés comme comportant la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations sur la chasse du phoque. L'article 19 garantit la liberté d'expression et prévoit ce qui suit:
1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considéra- tion de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Le principe est bien établi qu'une loi doit être interprétée, dans la mesure cela est possible et ses termes le permettent, conformément aux règles de droit international. Le Canada a adhéré au Pacte susmentionné le 19 mai 1976. Les demandeurs prétendent que les termes de l'article 19 sont pertinents à l'interprétation de l'alinéa 2b) de la Charte, et je souscris à cette prétention. Dans l'affaire R. c. Oakes précitée, le juge en chef a invoqué une autre disposition du Pacte à l'appui de l'interprétation de la présomption d'innocence qui se trouve à l'alinéa 11d) de la Charte.
Voici le paragraphe 24(1) de la Charte:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Le paragraphe vise clairement à accorder répa- ration à toute personne dont les droits et libertés, garantis par la Charte, ont été violés. L'action intentée par les demandeurs en vue d'obtenir un jugement déclaratoire et une injonction s'inscrit dans le cadre de cette disposition. La Charte est entrée en vigueur le 17 avril 1982 et s'applique seulement à partir de cette date. Au départ, je craignais que les événements relatifs aux violations dont les demandeurs se plaignent ne soient surve- nus pour la plupart avant l'adoption de la Charte. Les avocats ont convenu que le Règlement sur la protection des phoques, mise à part la question de sa constitutionnalité, impose une restriction conti nue à l'encontre des demandeurs, et la question de la rétroactivité n'est donc pas pertinente pour tran- cher l'affaire.
En ce qui concerne la question de la constitu- tionnalité, les demandeurs prétendent que les dis positions contestées du Règlement sur la protec tion des phoques empiètent sur leur liberté d'accès à l'information, ce qui contrevient à l'alinéa 2b) de la Charte. En outre, ils affirment que les interdic- tions par le Règlement d'atterrir ou de survoler en hélicoptère ou autre aéronef à proximité d'un phoque qui se trouve sur la glace ont pour effet d'enlever tout sens au permis ou à la permission
d'approcher dans un rayon d'un demi-mille marin d'un endroit a lieu une chasse du phoque. Les demandeurs prétendent également que le FIDA est membre des médias. Je ne puis accepter cette dernière prétention. Les défendeurs, par contre, affirment que la liberté d'expression est limitée à la diffusion des idées et des croyances et n'englobe pas l'aspect plus vaste de l'accès à l'information comme source d'expression de ces idées et croyan- ces. Il est allégué, subsidiairement, que si une telle liberté d'accès à l'information existe, alors les res trictions imposées par le Règlement sont justifia- bles au sens de l'article premier de la Charte.
Voici l'article 1 et l'alinéa 2b) de la Charte:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
Un examen détaillé et précis de l'alinéa 2b) mène, à mon avis, inévitablement à la conclusion que la liberté d'expression doit inclure la liberté d'accès à toute information pertinente aux idées ou aux croyances que l'on cherche à exprimer, sous réserve des restrictions raisonnables et nécessaires pour la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou les moeurs publics ou les droits et libertés fondamentaux d'autrui.
Les arguments des demandeurs reposent en grande partie sur une note envoyée par le sous- ministre, Donald D. Tansley, au ministre Roméo LeBlanc vers la fin de 1978. Cette note portait sur la politique et les objectifs relatifs au contrôle de l'accès à la chasse du phoque en 1979 et énonçait un certain nombre d'options et de conclusions accessoires à cet égard. Les objectifs déclarés que reprochent les demandeurs avec le plus d'insis- tance sont les suivants:
a. la réduction de la publicité défavorable sur la chasse du phoque, sur les plans national et international
b. un mécanisme visible pour réduire les interventions dans la chasse du phoque.
Les demandeurs insistent beaucoup sur le mot «visible». La première page de la note indiquait que la majorité des personnes chargées de veiller au
respect du Règlement sur la protection des pho- ques estimaient qu'un nombre limité de protesta- taires devaient être autorisés, comme observateurs uniquement, à avoir accès à la chasse de 1979. Il est vrai que la note portait sur les avantages et les inconvénients d'un certain nombre de mesures accessoires, mais aucune preuve ne nous oblige à conclure que le but implicite en était la suppres sion de la liberté d'opinion et d'expression. A mon avis, la note de M. Tansley est relativement inof fensive et ne porte guère à conclusion.
Par contre, du point de vue des demandeurs, le communiqué de presse du ministre Roméo LeBlanc en date du 28 février 1978 en dit plus long: le Ministre y indique que le Règlement exige une permission ou un permis pour toute personne désirant visiter les lieux immédiats de la chasse du phoque. Le Ministre explique que les modifications du Règlement visent à interdire toute intervention injustifiée dans les activités légales des chasseurs de phoques, plutôt qu'à empêcher l'observation légitime des troupeaux de phoques. Il poursuit en ces termes, pour ce qui est de la délivrance de permis et de permissions:
[TRADUCTION] [Il a toutefois précisé qu'ion interdira cet accès aux personnes ou aux groupes qui déclarent ouvertement leur intention de gêner le travail des pêcheurs détenteurs de permis et autorisés à chasser.
Dans une circulaire ministérielle du 16 février 1982 concernant les procédures et les lignes direc- trices relatives aux permissions accordées aux visi- teurs, le Ministère déclare de nouveau que les permissions ne seraient pas données [TRADUC- TION] «aux personnes ou aux groupes dont l'inten- tion ouverte est d'interrompre la chasse».
La question ainsi posée est la Suivante: le Règle- ment vise-t-il la conservation et la protection des phoques ainsi que la gestion et le contrôle adéquats de la chasse du phoque, compte tenu des origines ancestrales et traditionnelles de cette chasse et des droits des personnes dont la subsistance dépend de cette activité, ou l'objet principal de ce Règlement est-il de supprimer la liberté d'expression? A mon avis, l'objet du Règlement est parfaitement vala- ble. Néanmoins, son véritable effet a été d'empié- ter sur la liberté d'expression des demandeurs, garantie par la Charte, dans le sens large de liberté d'accès à l'information. À prime abord, leur droit a été violé et il devient nécessaire maintenant d'exa-
miner l'article premier de la Charte afin de déter- miner si les limites imposées sont «raisonnables» et si leur «justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, éd., Hogg fait cette importante décla- ration, en ce qui concerne l'article premier de la Charte, à la page 688:
[TRADUCTION] En fin de compte, les affaires portant sur la Charte ne seront pas tranchées par une analyse des termes et expressions de l'art. 1. Il y a lieu plutôt de tenir compte de trois facteurs : (1) l'importance du droit, garanti par la Charte, qui a été violé; (2) l'étendue de la violation; (3) l'importance de l'intérêt gouvernemental qui justifie la suppression de ce droit. L'expression «dont la justification puisse se démontrer» signifie que la cour doit être convaincue que le facteur (3) l'emporte nettement sur l'effet conjoint des facteurs (1) et (2). I1 s'agit forcément d'un jugement discrétionnaire de la cour qui ne peut se traduire aisément par n'importe quelle formule verbale.
Le fardeau de prouver la justification incombe aux défendeurs en leur qualité de partisans de la législation contestée. Quelle sorte de preuve s'im- pose? La réponse est loin d'être claire. L'opinion prédominante est qu'il faudrait une preuve suffi- samment forte pour convaincre la cour du carac- tère raisonnable des limites, c'est-à-dire de l'équili- bre entre les intérêts légitimes de la société et les droits de l'individu, sauf dans les cas cela est évident (voir la décision du juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Oakes, précité, à la page 138) et alors, des arguments convaincants suffiraient pro- bablement à l'emporter. Dans d'autres affaires, la preuve de la justification pourrait prendre la forme de rapports ou d'études en sciences sociales. La forme de la preuve variera sans doute selon les circonstances de chaque cas.
Dans une déclaration sur la condamnation de Brian Davies en 1977, le Premier Ministre a pré cisé que les interdictions du Règlement, relative- ment à l'atterrissage ou au survol en aéronef près d'un phoque qui se trouve sur la glace, visaient à mettre fin à la pratique, non réglementée et extrê- mement dangereuse, consistant à chasser les pho- ques par aéronef. Désormais, les chasseurs ne pourront s'approcher de l'endroit de la chasse que par navire. Il existe d'autres preuves qui abondent dans le même sens. Aucune preuve ne nous oblige à conclure que le Règlement vise à refuser l'accès à la presse. En fait, tout indique le contraire. En 1982, quarante-neuf demandes de permission d'ob- server la chasse ont été présentées, huit ont été
refusées dont celles des trois représentants du FIDA. Les quarante et une demandes acceptées émanaient pour la plupart des représentants des médias. De même, en 1983, dix-neuf demandes de permission ont été présentées dont quinze ont été acceptées et quatre refusées. Parmi celles qui ont été acceptées, neuf émanaient de représentants des médias.
Quelles autres raisons justifiaient l'interdiction stricte d'atterrir ou de survoler en aéronef près d'un phoque qui se trouve sur la glace? Selon la preuve, je conclus que le survol d'un aéronef à basse altitude disperserait les troupeaux de pho- ques. Le Dr David Lavigne, expert (en phoques) principal des demandeurs, a confirmé ce point au cours de son témoignage. B. Davies lui-même le reconnaît honnêtement. Le fait a été aussi corro- boré clairement par les témoignages de MM. Renaud et Small, capitaines experts en chasse du phoque ayant à leur actif une expérience de nom- breuses années. La preuve a également établi que le bruit d'un aéronef perturberait la maman phoque allaitant son bébé, mais on n'a pu évaluer l'étendue des dommages réels causés par ce genre de perturbation autrement que par la déduction et en se réduisant aux conjectures. Il est concevable qu'il doit y avoir certains dommages.
Les restrictions imposées par le gouvernement aux protestataires militants étaient-elles raisonna- bles dans les circonstances? Il y a une distinction très subtile entre le fait de chercher de l'informa- tion afin de mener une campagne efficace de protestation contre une activité commerciale légale et le fait de protester contre cette activité sur les lieux mêmes elle se déroule. Les chasseurs de phoques devenaient sensibles à toute cette publicité et refusaient de se laisser photographier. Le gou- vernement les considérait comme un important groupe social, économique et politique et il désirait reconnaître leur droit de gagner leur vie, loin de l'intervention des protestataires. La banquise n'était guère un endroit indiqué pour faire des protestations. M. Stanley Dudka en était d'ailleurs fermement convaincu, lui qui était agent supérieur de protection des pêches et qui avait acquis une grande expérience en la matière en assistant à de nombreuses chasses. Il a mentionné cinq occasions il a aller à la rescousse de B. Davies et de ses congénères, notamment en raison des mauvaises conditions atmosphériques.
Le Dr Lavigne a raconté l'étrange aventure qu'il a vécue personnellement en traversant la banquise un matin pour s'en aller à la chasse et en revenant par le même chemin l'après-midi pour découvrir que la trace de ses pas avait disparu parce que la glace s'était complètement retournée dans les eaux du chenal. La sécurité justifierait à elle seule l'imposition de certaines restrictions à la liberté d'accès.
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que l'intérêt collectif du gouvernement de protéger les phoques, ainsi que le droit fondamen- tal des chasseurs de phoques d'exercer leur métier ancestral, l'emportent nettement sur la liberté d'accès à l'information des demandeurs, garantie par la Charte. En conséquence, les restrictions prévues par le Règlement sur la protection des phoques sont raisonnables dans les circonstances et leur justification peut se démontrer dans le cadre normal d'une société libre et démocratique.
Le point litigieux suivant porte sur l'inconstitu- tionnalité.
Les demandeurs affirment que le Règlement sur la protection des phoques n'est pas autorisé par la loi habilitante, en ce sens qu'il outrepasse «l'objet et les dispositions» de la Loi sur les pêcheries en imposant des restrictions qui ne sont pas confor- mes à cette dernière ou qui sont superflues et en prohibant une conduite qui n'est pas liée à des dommages réels ou probables que les pêcheries pourraient subir. Les défendeurs affirment, pour leur part, que le Règlement doit être lu dans le contexte de la Loi dans son ensemble.
Voici un extrait de l'article 2.1 de la Loi sur les pêcheries [édicté par S.C. 1985, chap. 31, art. 2]:
2.1 La présente loi a pour objet d'assurer
a) la conservation et la protection du poisson et des eaux il vit;
b) une gestion, une répartition et un contrôle adéquats des pêches côtières du Canada;
Le phoque, comme espèce animale marine, relève de la définition de «poisson» dans l'article d'interprétation [article 2 de la Loi]. L'article 34 de la Loi porte sur le pouvoir d'édiçter des règle- ments qui, aux fins de l'espèce, sont comme suit:
34. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements concernant la réalisation des objets de la présente loi et l'appli- cation de ses dispositions et, en particulier, peut, sans restrein- dre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches côtières et des pêches de l'intérieur;
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
En vertu de l'article d'interprétation, les pêches côtières inclueraient non seulement les eaux des pêcheries canadiennes ont lieu la pêche et des activités connexes, mais également les pêcheurs ainsi que leurs bateaux, leurs engins et leurs équi- pements [article 2 de la Loi (mod. par S.C. 1985, chap. 31, art. 1)].
Il est maintenant établi dans la jurisprudence que les pêches sont une ressource publique d'im- portance nationale qui relève de la compétence législative du Parlement du Canada et non de la compétence des provinces en matière de «propriété et droits civils». Le pouvoir de surveiller et de réglementer cette ressource doit comprendre le pouvoir de protéger toutes les créatures qui en font partie: voir The Queen v. Robertson (1882)," 6 R.C.S. 52, aux pages 120 et 121 et Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292; (1981), 113 D.L.R. (3d) 1.
Dans l'affaire Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, précitée, il s'agissait de savoir si le paragraphe 33(2) de la Loi sur les pêcheries interdisant à qui que ce soit de déposer toute substance délétère dans les eaux fréquentées par le poisson était inconstitutionnel. La Cour suprême a statué que le paragraphe est de la compétence du Parlement du Canada parce que la définition de «substance nocive» fait en sorte que la portée du paragraphe 33(2) se limite à une interdiction de déposer des substances nuisibles aux poissons, à leur habitat ou à l'utilisation du poisson par l'homme. Le juge Martland, en prononçant la décision de la Cour, a déclaré ce qui suit aux pages 299 et 300 R.C.S.; 6 D.L.R.:
Le sens du mot «pêcheries» a été étudié par le juge New- combe de cette Cour dans le Renvoi relatif à la constitutionna-
lité de certains articles de la Loi des pêcheries, 1914, la p. 472:
[TRADUCTION] Dans Patterson on the Fishery Laws (1863), à la p. 1, on trouve la définition suivante du mot «pêcherie»:
En termes précis, le mot pêcherie désigne le droit de prendre du poisson dans la mer ou dans un cours d'eau
particulier. On l'utilise aussi fréquemment pour désigner le lieu s'exerce un tel droit.
Selon le New English Dictionary de Murray, le premier sens de ce terme est le suivant:
L'entreprise, l'occupation ou l'industrie qui consiste à prendre du poisson ou d'autres produits de la mer ou de rivières.
Ces définitions ont été citées et suivies par le juge en chef Davey dans l'arrêt Mark Fishing Co. v. United Fishermen & Allied Workers Union, aux pp. 591 et 592. Le juge en chef Davey ajoute ce qui suit à la p. 592:
[TRADUCTION] La définition de Patterson insiste sur la ressource naturelle et le droit de l'exploiter, l'endroit elle se trouve et le droit est exercé.
L'avocat des demandeurs s'appuie beaucoup sur le jugement rendu par la Cour suprême dans l'ar- rêt Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213; (1981), 113 D.L.R. (3d) 513. Il s'agissait de sta- tuer sur la question constitutionnelle suivante: le paragraphe 33(3) de la Loi sur les pêcheries rele- vait-il de la compétence législative du Parlement du Canada et créait-il directement un conflit entre la compétence législative fédérale en matière de pêches et la compétence provinciale, y compris les droits de propriété et les droits civils. Le paragra- phe 33(3) interdit à quiconque fait l'abattage de bois de déposer des déchets de bois ou autres débris dans une eau fréquentée par le poisson. L'appelant avait été accusé de deux chefs aux termes de cet article, et il avait été déclaré inno cent en première instance mais coupable en appel. La Cour suprême a accueilli l'appel et a confirmé l'acquittement de première instance. Voici ce qu'a déclaré le juge Martland aux pages 226 R.C.S.; 521 et 522 D.L.R.:
Le paragraphe 33(3) ne cherche pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir. C'est une interdiction générale d'exercer certaines activités de compétence provinciale; ce para- graphe ne fixe pas les éléments de l'infraction de manière à établir un lien entre l'interdiction et les dommages vraisembla- bles aux pêcheries. De plus, aucune preuve produite devant la Cour n'indique que l'ensemble des activités visées par le para- graphe cause effectivement des dommages aux pêcheries. A mon avis, l'interdiction, dans ses termes généraux, n'est pas nécessairement accessoire au pouvoir fédéral de légiférer sur les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur et elle excède les pouvoirs du Parlement fédéral.
Il est intéressant de relever que la Cour a utilisé la même définition du mot «pêcheries» que dans l'arrêt Northwest Falling Contractors.
Dans l'arrêt Northwest Falling Contractors, le juge Martland a fait une distinction par rapport à l'arrêt Fowler en ces termes aux pages 301 R.C.S.; 7 et 8 D.L.R.:
La situation en l'espèce diffère de celle étudiée dans Dan Fowler c. Sa Majesté la Reine, un arrêt récent de cette Cour qui traite de la constitutionnalité du par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries. Cette Cour a conclu que le par. 33(3) excède les pouvoirs du Parlement. A la différence du par. 33(2), le par. 33(3) ne fait pas référence à des substances nocives. Le texte du paragraphe fait en sorte que ce dernier ne se limite pas aux activités nuisibles aux poissons ou à leur habitat.
Le juge a poursuivi en citant le passage de son jugement dans l'affaire Fowler il soulignait le fait que le paragraphe prohibitoire ne cherchait pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir.
L'affaire Fowler comporte un autre élément qui la distingue de l'espèce, en ce sens que dans ce conflit constitutionnel s'opposaient la compétence législative fédérale et la compétence législative provinciale. Ce point n'est pas soulevé en l'espèce, car la véritable question de l'inconstitutionnalité est de savoir si le Règlement a été édicté par le gouverneur en conseil pour appliquer l'objet et les dispositions de la Loi sur les pêcheries pour ce qui est de la gestion et du contrôle adéquats des pêches côtières et intérieures et la conservation et la pro tection des phoques. Contrairement à l'arrêt Fowler, il y a suffisamment de preuve pour démon- trer que la gamme entière des activités contestées s'inscrit en fait dans le cadre de l'objet et des dispositions de la loi habilitante. La définition de «pêcherie» dans la Loi sur les pêcheries comprend les chasseurs de phoques, en qualité de personnes s'adonnant à la chasse du phoque. La loi reconnaît les pêches comme une ressource naturelle et publi- que qui comprend non seulement les animaux marins eux-mêmes, mais également la chasse du phoque dans la mesure il s'agit du droit d'ex- ploiter légitimement les ressources à l'endroit on les trouve et le droit est exercé légalement. À mon avis, le Règlement sur la protection des pho- ques est de la compétence du Parlement, c'est-à- dire qu'il est conforme à l'objet et aux dispositions de la Loi sur les pêcheries du fait qu'il s'agit d'un Règlement édicté pour la gestion et le contrôle adéquats des pêches côtières et pour la conserva tion et la protection des phoques. En conséquence, l'argument des demandeurs en ce qui concerne l'inconstitutionnalité doit être rejeté.
Finalement, les demandeurs prétendent que le refus du Ministre d'accorder des permissions est un abus du pouvoir discrétionnaire ministériel, en ce sens que la raison implicite de ce refus était la réduction de la publicité défavorable à la chasse du phoque. En d'autres termes, le pouvoir discrétion- naire du Ministre a été exercé dans un but non autorisé.
Le principe est bien établi selon lequel les auto- rités administratives ou publiques doivent exercer leurs pouvoirs discrétionnaires de bonne foi et dans un but autorisé par la loi. Le fait de savoir si ces pouvoirs doivent être exercés raisonnablement est un point discutable. En général, le critère de la pertinence doit l'emporter sur celui de la raison, sauf dans les rares cas la décision administra tive est si manifestement déraisonnable qu'aucune personne raisonnable n'aurait pu la prendre. Or, le lien entre la non-pertinence et le caractère non raisonnable est si serré que très fréquemment, ils se confondent. Une chose est certaine: les autorités législatives doivent tenir compte des considérations pertinentes et ne pas se laisser influencer par des facteurs non pertinents. En dernier lieu, le carac- tère non raisonnable peut devenir un critère pour la contestation d'une mesure administrative lors- que l'autorité qui exerce le pouvoir discrétionnaire n'a pas tenu compte de la pertinence en rendant sa décision: 1 Halsbury's Laws of England, 4e éd., par. 20 et 62; deSmith, Judicial Review of Admi nistrative Action, 4e éd., pages 346 348; Reid et David, Administrative Law and Practice, 2e éd., page 315; Associated Provincial Picture Houses, Ltd. v. Wednesbury Corpn., [1948] 1 K.B. 223 (C.A.); Cumings c. Birkenhead Corpn., [1972] Ch. 12 (C.A.); Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; 16 D.L.R. (2d) 689 et Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; 143 D.L.R. (3d) 577.
Le maître des rôles, lord Denning, a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Cumings c. Birkenhead Corpn., précité, à la page 36:
[TRADUCTION] Il est bien établi que lorsqu'un pouvoir public jouit d'une discrétion administrative, il doit l'exercer équitable- ment et se laisser guider par des considérations pertinentes.
Le juge Rand donne son interprétation du prin- cipe énoncé dans l'affaire Roncarelli aux pages 140 R.C.S.; 705 D.L.R.:
[TRADUCTION] ... une loi ne peut, si elle ne l'exprime expres- sément, s'interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n'importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. ... La «discrétion» implique nécessairement la bonne foi dans l'exercice d'un devoir public. Une loi doit toujours s'entendre comme s'appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Roncarelli, la Cour a statué que la révocation permanente du permis (de la Com mission des liqueurs) accordé au restaurateur n'était pas justifiée, parce que cette mesure avait été prise expressément afin de punir le détenteur du permis pour des actes qui n'avaient aucun lien avec la loi relative aux permis.
La question se réduit à ceci : le Ministre a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire dans le cadre précis des questions qu'il devait examiner, en refu- sant d'accorder les permissions aux demandeurs? La politique du gouvernement était de protéger les chasseurs de phoques dont la subsistance dépend de cette chasse, contre les interventions des protes- tataires. Le Ministre a établi la politique selon laquelle les permissions ne seraient pas accordées aux personnes ou aux groupes dont l'intention ouverte est d'interrompre la chasse du phoque. Cette politique vise tous les protestataires militants et ne distingue pas les demandeurs. Dans les cir- constances, je conclus que le Ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire à bon droit, compte tenu des objets de la loi habilitante et de l'objet du litige, c'est-à-dire la gestion et le contrôle de la chasse du phoque. À mon avis, il n'y a pas lieu de contester l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre dans ce cas.
La demande d'injonction présentée par les demandeurs s'effondre sous le poids des questions constitutionnelles soulevées en l'espèce. Par consé- quent, il n'est pas nécessaire de répondre à la question gênante, à savoir si une injonction peut être émise contre un ministre de la Couronne, censé agir en vertu de la loi, d'une manière qui n'est pas conforme à la loi.
Pour les motifs susmentionnés, l'action des demandeurs est rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.