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A-1271-84
Cutter (Canada), Ltd. (appelante) c.
Baxter Travenol Laboratories of Canada, Limited: Travenol Laboratories Inc., et Baxter Travenol Laboratories, Inc. (intimées)
RÉPERTORIÉ: BAXTER TRAVENOL LABORATORIES OF CANADA, LTD. c. CUTTER (CANADA), LTD.
Cour d'appel, juges Urie, Stone et MacGuigan— Ottawa, 17 février et 3 mars 1987.
Pratique Outrage au tribunal Montant d'une amende L'appelante s'est départie de marchandises contrefaites au lieu de les détruire ou de les remettre ainsi que l'ordonnaient les motifs de jugement Elle a agi de cette façon en se fiant à l'opinion de son avocat que les dispositions des motifs de jugement entraient en vigueur seulement une fois prononcé le jugement officiel Poursuite criminelle pour outrage au tribunal Le fait que la conduite de l'appelante ne constitue pas une désobéissance ne peut être soulevé en défense /l s'agit d'un facteur d'atténuation de la peine Jugement modifié L'amende est réduite de 100 000 $ à 50 000.$ Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 355.
L'appel en l'espèce conteste le montant de l'amende imposée à l'appelante Cutter à la suite de la décision d'octobre 1984 du juge Dubé portant qu'elle avait commis un outrage au tribunal. Cutter, se fondant sur l'opinion de son avocat que les disposi tions prévues dans les motifs de jugement n'entraient en vigueur qu'une fois prononcé le jugement officiel, s'est départie de son inventaire de poches contrefaites pour le sang et ses dérivés, contrairement aux prescriptions des motifs de jugement voulant qu'elle les détruise ou les remette à Baxter. Le juge de première instance a imposé une amende de 100 000 $ ou de 10 % de la valeur des marchandises contrefaites, qui s'élevait à un million de dollars. La Cour suprême du Canada, dans une décision rendue en 1983, a conclu que la conduite de Cutter ne contrevenait pas à l'injonction en question mais pouvait consti- tuer un outrage au tribunal puisqu'elle avait agi «de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte ... à la dignité de la Cour». Cutter soutient que, ayant posé les actes reprochés sans intention de désobéir, elle ne méritait pas une peine aussi sévère. La question qui se pose est celle de savoir si le juge de première instance a pris en considération tous les faits devant entrer en ligne de compte dans l'imposition d'une amende pour outrage au tribunal.
Arrêt: le jugement devrait être modifié de façon à réduire l'amende à 50 000 $.
Il s'agit en l'espèce d'une action criminelle pour outrage au tribunal pour avoir entravé la bonne administration de la justice et porté atteinte à la dignité de la Cour, non d'un outrage à caractère civil, contrairement à ce qu'a cru le juge de première instance. Le droit d'une partie d'être indemnisée pour la totalité des dommages subis à la suite de la vente des produits contre- faits n'est pas pertinent. Ce qui importe, c'est la gravité de l'outrage.
Le juge de première instance ne s'est pas trompé en prenant comme mesure de l'amende un pourcentage de la valeur des biens non remis. Dans l'imposition des amendes pour outrage au tribunal à caractère criminel, il est approprié de tenir compte de «la sévérité de la loi et de la clémence de la justice», ainsi que l'établissent les précédents cités par l'appelante.
La question de savoir si Cutter était de bonne foi en se fiant à l'opinion de son avocat n'est pas pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si un outrage a été commis. Cette question ne doit entrer en ligne de compte qu'au moment de l'imposition de la peine, à titre de facteur d'atténuation. En l'espèce, les motifs de jugement indiquent que le juge de première instance savait très bien que l'absence de volonté de désobéir ne constitue pas, par elle-même, une défense opposable à la conclusion qu'un outrage a été commis. Toutefois, il ressort également des motifs qu'il a manqué de considérer que l'absence de volonté de désobéir—le fait pour Cutter de s'être fiée à l'opinion juridique qu'elle a reçue—peut constituer un facteur d'atténuation de la peine. Il a manqué de distinguer ces deux aspects du moyen de défense opposé, si l'on en juge par les extraits de ses motifs qui font état de sa compréhension du mandat confié par la Cour suprême du Canada. La Cour suprême, en renvoyant la question devant la Division de première instance, n'avait à l'esprit que la question de l'existence ou de la non-existence de l'outrage au tribunal et non la question de la pénalité que devrait imposer la Division de première instance. Considérant le fait que l'appelante s'est fiée à une opinion juridique erronée, justice serait faite en réduisant à 50 000 $ le montant de l'amende imposée.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Re Mileage Conference Group of the Tyre Manufactu rers' Conference, Ltd.'s Agreement (1966), 2 All E.R. 349 (R.P.C.).
AVOCATS:
George E. Fisk pour l'appelante.
Personne n'a comparu pour les intimées. Barbara Mclsaac pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appe- lante.
Fasken & Calvin, Toronto, pour les intimées. Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Le litige tranché par le juge- ment de la Division de première instance [[1986] 1 C.F. 497] porté en appel a été complexe et de
longue durée. Un bref examen des étapes de ce litige fera ressortir clairement la seule question soulevée par le présent appel.
L'appelante («Cutter») était défenderesse dans une action en contrefaçon de brevet intentée par les intimées («Baxter») devant la Division de pre- mière instance. Après avoir instruit le procès en novembre 1980, le 11 décembre 1980, le juge Gibson a prononcé des motifs de jugement [(1981), 52 C.P.R. (2d) 163] concluant que le brevet en litige était valide et avait été contrefait par Cutter. Il a également conclu la page 172]: «Baxter obtient gain de cause contre Cutter et le présent jugement déclare et ordonne ce qui suit». Les sept paragraphes précis qui suivaient interdi- saient notamment à Cutter «de fabriquer, d'offrir en vente, de vendre ou de distribuer des poches multiples pour le sang et ses dérivés» la page 172] et ordonnait à Cutter de détruire ou de remettre à Baxter tous les objets contrefaits «en sa possession, sous sa garde ou sous son contrôle» la page 173]. Il a alors ordonné aux avocats des parties de «préparer, dans les deux langues officiel- les, un jugement approprié pour donner effet aux conclusions qui précèdent et déclare que les parties peuvent demander que ce jugement soit prononcé en conformité avec la Règle 337(2)b)». Le juge- ment officiel a été rédigé par le juge Gibson pour être inscrit, après audition des observations des avocats, le 18 décembre 1980.
Son avocat étant d'opinion que, en vertu des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], les dispositions prévues dans les motifs de juge- ment n'entraient en vigueur qu'une fois prononcé le jugement officiel, Cutter s'est appliquée, avec promptitude et efficience, à se départir de son inventaire, de poches contrefaites pour le sang et ses dérivés entre le 11 et le 18 décembre 1980, afin d'éviter de les détruire ou de les remettre ainsi que l'ordonnaient les motifs de jugement du juge Gibson.
En conséquence, le 12 janvier 1981, Baxter a obtenu de la Division de première instance une ordonnance de justification ex parte enjoignant à Cutter de faire valoir les motifs pour lesquels elle ne devrait pas être déclarée coupable d'outrage au tribunal pour avoir (a) défié l'injonction accordée par le juge Gibson et (b) agi de façon à gêner «la bonne administration de la justice, ou à porter
atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour en concluant, après le début du présent procès, une entente hors du cours ordinaire du commerce» pour se départir des poches contrefaites pour le sang et ses dérivés.
Le 3 février 1981, le juge Cattanach [(1981), 54 C.P.R. (2d) 145] a statué que les actes reprochés ne pouvaient enfreindre le jugement du juge Gibson, qui n'était pas encore prononcé le 11 décembre 1980 et ne l'a été que le 18 décembre de cette même année. Ce jugement a été porté en appel devant notre Cour, qui l'a confirmé [(1981), 54 C.P.R. (2d) 152]. La Cour suprême du Canada, le 3 novembre 1983 [[1983] 2 R.C.S. 388], a convenu que les actes reprochés ne contre- venaient pas à l'injonction en question. Elle a toutefois conclu la page 398] que ces actes pouvaient constituer un outrage au tribunal puisque,
... entre le 11 décembre et le 18 décembre 1980 ... on a agi de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour (règle 355). Cela serait visé par l'alinéa b) de l'ordonnance de justification. Puisque la question a été soulevée à titre d'exception prélimi- naire [devant le juge Cattanach], il n'y a jamais eu de constata- tion de fait que Cutter ou Maxwell [président de Baxter], ou les deux, ont, en toute connaissance de leur existence, désobéi aux interdictions contenues dans les motifs de jugement rendus par le juge Gibson le 11 décembre. Il n'appartient pas à cette Cour de se prononcer sur ce point; il faudrait reprendre l'audience de la Division de première instance de la Cour fédérale.
Le 16 juillet 1984, Baxter a obtenu du juge Strayer, de la Division de première instance, une seconde ordonnance de justification, rendue ex parte. Celle-ci, a dit le juge Dubé la page 501], avait pour but «de clarifier le fondement sur lequel les preuves devaient être produites à l'audience relative à la première ordonnance de justification» après que l'affaire eut été déférée à la Division de première instance par la Cour suprême du Canada. Un appel formé à l'encontre de la seconde ordonnance a été rejeté par cette Cour. Ces ordon- nances de justification renvoyaient toutes deux l'appelante devant le juge Dubé, qui, le 26 octobre 1984, a conclu que Cutter connaissait les interdic- tions contenues dans les motifs du jugement du juge Gibson, qu'elle les avait violées en omettant de détruire les biens contrefaits ou de les remettre à Baxter et, de plus, qu'elle s'était débarrassée de ces biens par vente ou autre mode d'aliénation au cours de la période s'étendant du 11 au 18 décem-
bre 1980. Cutter était donc coupable d'outrage au tribunal parce qu'il y avait eu la page 510] «entrave à la bonne administration de la justice et atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour». En conséquence, il a condamné Cutter la page 510] à «une amende de 100 000 $, aux dépens entre parties et aux dépens des demanderesses calculés comme entre avocat et client». L'appel en l'espèce conteste le montant fixé pour l'amende et ne vise pas la conclusion d'outrage au tribunal.
Soulignons que Baxter et Cutter ont réglé leurs différends une fois rendu le jugement du juge Dubé. Cutter a payé à Baxter des dommages-inté- rêts relativement à toutes les ventes effectuées entre le 11 et le 18 décembre 1980 ainsi que ses dépens occasionnés dans le cadre de l'instance relative à l'outrage au tribunal.
Selon le premier argument avancé par l'avocat de Cutter, l'amende imposée par le juge Dubé dans la présente affaire était très excessive puisque, à sa connaissance, il s'agissait, à l'époque, de l'amende la plus élevée jamais imposée par un tribunal canadien, bien que, depuis ce temps, au moins deux amendes supérieures à celle-là aient été imposées, dont l'une par la Division de première instance dans un jugement présentement porté en appel. Cet avocat a cité de nombreuses affaires dans lesquelles ont été imposées des amendes moindres que celle en l'espèce dans des circons- tances différentes de celles en cause. À part leur illustration des facteurs dont, traditionnellement, les tribunaux tiennent compte pour déterminer les peines applicables en matière d'outrage, je conclus que ces décisions me sont d'un intérêt relatif en l'espèce. Il serait plus approprié pour cette Cour de s'appliquer à trancher la question de savoir si le juge de première instance a pris en considération tous les faits devant entrer en ligne de compte dans l'imposition d'une amende pour outrage au tribunal.
Greffé à l'argument qui précède, est celui selon lequel le juge Dubé n'a pas pris en considération que la preuve révélait peu de désobéissance de la part de l'appelante. L'avocat de cette dernière a soutenu que cette erreur a conduit le juge à impo- ser une amende excessive. Au lieu de tenir compte de ce facteur, le juge aurait concentré son atten tion sur le montant en litige dans l'action, mécon- naissant ainsi que Baxter avait le droit, en vertu du
jugement du juge Gibson, d'être indemnisée inté- gralement du préjudice que lui causait la vente des produits contrefaits. Ce facteur, combiné au fait que la désobéissance de Cutter à l'ordonnance de la Cour n'avait pas un caractère volontaire, aurait inciter le juge de première instance à imposer seulement une amende modeste ou symbolique.
Je ne suis pas d'accord avec cette assertion. À mon avis, exciper du droit de Baxter d'être indem- nisée du préjudice résultant de la vente illégale des produits contrefaits, c'est oublier que nous sommes en présence d'une action criminelle pour outrage au tribunal pour avoir entravé la bonne adminis tration de la justice et porté atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. À ce stade, il ne s'agissait pas d'un outrage à caractère civil, contrairement à ce que le juge de première instance a, erronément, selon moi, semblé croire. Le droit d'une partie au recouvrement de dommages-intérêts n'est donc pas pertinent. Ce qui importe, c'est la gravité de l'ou- trage, appréciée en fonction des faits particuliers de l'espèce sur l'administration de la justice. Le juge de première instance a clairement compris ce principe, écrivant aux pages 509 et 510 de ses motifs:
Vu les circonstances de l'espèce, je ne crois pas qu'il con- vienne d'appliquer la loi dans toute sa rigueur et de condamner à l'emprisonnement. Il n'en reste pas moins qu'il y a eu à mon avis entrave à la bonne administration de la justice et atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour. L'intérêt public commande manifestement de sauvegarder l'autorité de la justice, de sorte que le châtiment doit être suffisamment sévère pour correspon- dre à la gravité de l'infraction.
La défenderesse a omis de remettre aux demanderesses ou de détruire les biens contrefaits qui sont évalués à environ 1 million de dollars. Une amende s'élevant à 10 pour cent de cette somme m'apparaît assez élevée pour rendre compte de la sévérité de la loi et suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice.
J'estime que si l'on place le calcul mentionné dans l'extrait précité dans le contexte des phrases et locutions qui le précèdent et le suivent, le fait pour le juge Dubé de prendre comme mesure de l'amende, un pourcentage de la valeur approxima- tive des biens non remis ou détruits ne constitue pas une erreur de droit. Je ne connais aucun jugement statuant qu'un pourcentage particulier doit s'appliquer dans de telles circonstances, et je ne crois pas qu'un pourcentage constitue une méthode de calcul pouvant ou devant être appli- quée de façon constante. Dans les circonstances de
l'espèce, il s'agissait d'un outil permettant de fixer une amende «assez élevée pour rendre compte de la sévérité de la loi et suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice». Ces considé- rations sont de celles qui, selon les décisions citées par l'appelante, doivent entrer en ligne de compte lors de l'imposition des pénalités dans des affaires portant sur l'outrage au tribunal en matière crimi- nelle. Dans cette optique, l'utilisation d'un pour- centage comme guide d'appréciation de la pénalité n'a pas constitué une erreur.
Parmi les arguments présentés par l'avocat de Cutter pour contester le montant de l'amende imposée, le seul qui, selon moi, est quelque peu fondé veut que Cutter n'eût pas être punie ou n'eût pas l'être sévèrement, le cas échéant, parce qu'elle ne croyait pas que sa conduite consti- tuât une désobéissance au moment elle a agi. Elle s'était prudemment fiée à l'opinion de son avocat, qui était compétent et avait l'expérience de la pratique du droit devant la Cour fédérale. Son opinion sur l'état du droit à l'époque avait été confirmée par la Division de première instance, par cette Cour et par la Cour suprême du Canada. Sa seule erreur fut de ne pas prévoir que la Cour suprême puisse conclure que bien que l'injonction en cause n'ait pas été enfreinte, cette dernière n'ayant eu effet qu'au prononcé du jugement offi- ciel, Cutter avait gêné la bonne administration de la justice et avait porté atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour en faisant fi des ordres contenus dans les motifs de jugement du juge Gibson de la manière visée par la Règle 355 des Règles et ordonnances générales de la Cour fédérale du Canada'. En conséquence, selon sa prétention, la
' Règle 355. (1) Est coupable d'outrage au tribunal quicon- que désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d'un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour. En particulier, un officier de la justice qui ne fait pas son devoir, et un shérif ou huissier qui n'exécute pas immédiate- ment un bref ou qui ne dresse pas le procès-verbal d'exécution y afférent ou qui, enfreint une règle dont la violation le rend passible d'une peine, est coupable d'outrage au tribunal.
(2) Sauf disposition contraire, quiconque est coupable d'ou- trage au tribunal est passible d'une amende qui, dans le cas d'un particulier ne doit pas dépasser $5,000 ou d'un emprison- nement d'un an au plus. L'emprisonnement et, dans le cas d'une corporation, une amende, pour refus d'obéissance à un bref ou une ordonnance, peuvent être renouvelés jusqu'à ce que la personne condamnée obéisse.
(3) Quiconque se rend coupable d'outrage au tribunal en présence du juge dans l'exercice de ses fonctions peut être condamné sur-le-champ, pourvu qu'on lui ait demandé de justifier son comportement.
( Voito n In nnoo suivnntal
manière de voir erronée mais non déraisonnable sur laquelle l'avocat représentant alors Cutter avait fondé son opinion, manière de voir qui avait été acceptée par sa cliente, n'impliquait pas une conduite possédant le caractère volontaire et réflé- chi qui est nécessaire à l'imposition d'une amende autre que symbolique. En d'autres termes, le fait que Cutter se soit fiée à l'avis de son avocat ne révélait pas la mauvaise foi qui devrait lui être imputée pour donner à sa conduite le caractère d'une désobéissance grave.
Cela étant dit, l'avocat de Cutter a reconnu, mon avis justement, que la présence ou l'absence de bonne foi de la part de celui qui se serait rendu I coupable d'outrage au tribunal n'est pas pertinente ' lorsqu'il s'agit de déterminer si, oui ou non, un acte constituant un outrage au tribunal a été commis. La bonne foi n'est pertinente qu'à titre de facteur pouvant atténuer la peine à être imposée. Les extraits suivants de la décision rendue par la Restrictive Trade Practices Court anglaise dans l'affaire Re Mileage Conference Group of the Tyre Manufacturers' Conference, Ltd.'s Agree ment 2 sont pertinents en ce qui a trait à cette prétention et exposent correctement l'état du droit à cet égard:
(Suite de la page précédente)
(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au tribunal commis hors de la présence du juge que s'il lui a été signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de com- paraître devant la Cour, au jour et à l'heure fixés pour entendre la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite. Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initia tive, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à personne, à moins qu'un autre mode de signification ne soit autorisé pour des raisons valables. La demande d'ordonnance de justification enjoignant d'exposer les raisons peut être pré- sentée sans qu'il soit nécessaire de la faire signifier.
(5) La procédure prévue à l'alinéa (4) n'exclut pas une demande d'incarcération en vertu du chapitre I de la Partie VII. L'une ou l'autre de ces deux méthodes de procédure peut être appliquée, mais le fait de s'être engagé dans l'une de ces deux voies supprime la possibilité de s'engager dans l'autre. Les autres dispositions de la présente Règle n'excluent pas les pouvoirs inhérents à la Cour; et la présente Règle ainsi que les pouvoirs inhérents à la Cour peuvent être invoqués en toute circonstance appropriée.
2 (1966), 2 All E.R. 349, aux p. 862 et 863.
[TRADUCTION] Dans l'affaire Re Agreement between News paper Proprietors' Association, Ltd., and National Federation of Retail Newsagents, Booksellers and Stationers ([1961] 3 All E.R. 428, à la p. 445; (1961), L.R. 2 R.P. 453, aux p. 499 et 500), la Cour, dans un autre jugement prononcé par le juge DIPLOCK, est allée plus loin. Concernant les faits particuliers de cette affaire, la Cour a dit:
... l'objet visé étant évident, je tiens à ce qu'il soit parfaite- ment clair d'une part, que la Cour ne considérera pas comme une circonstance atténuante le fait pour l'une ou l'autre de ces personnes d'avoir agi en se fondant sur l'avis d'avocats, de solicitors ou de procureurs, et d'autre part, que dans l'éven- tualité cet avis serait erroné et il y aurait effectivement violation de l'injonction, le fait qu'on les ait rassurées sur la légalité de leur tentative de se soustraire à la Loi ne sera pas considéré comme une circonstance atténuante ...
Bien que cette déclaration ne signifie évidemment pas qu'un avis juridique donné de bonne foi ne puisse jamais constituer une circonstance atténuante, elle tend à renforcer notre opinion selon laquelle se fier à un tel avis n'a certainement pas pour effet, en soi, de retirer toute responsabilité.
En conséquence, même si les intimés avaient agi tout au long de la période visée par l'entente sur la notification du taux avec la croyance erronée mais raisonnable, fondée sur un avis juridi- que non modifié par la suite, que leurs engagements ne seraient point violés, cela ne suffirait pas à les dégager de toute respon- sabilité. Tout au plus pourrait-on parler de circonstances atténuantes.
En conséquence, il nous reste encore à examiner, au chef de l'atténuation, dans quelle mesure la croyance des intimés fondée sur cet avis était raisonnable tout au long de cette période.
Se pose donc à présent la question de savoir si le juge de première instance, lorsqu'il a imposé à Cutter l'amende de 100 000 $ visée en l'espèce, a considéré le fait pour celle-ci de s'être fiée à l'opinion juridique de son avocat comme une cir- constance atténuante. Je devrais, avant d'analyser cette question, souligner que c'est dans le cadre de son analyse relative à la question de l'outrage lui-même que le juge Dubé a tout d'abord traité du moyen de défense voulant que les actes posés par l'appelante ne soient pas assimilables à la désobéis-
sance. Aux pages 506 508 de ses motifs, il a déclaré:
Les preuves sont accablantes. Je suis convaincu hors de tout doute raisonnable, d'une part que la défenderesse était au courant de l'existence des interdictions contenues dans les motifs du jugement du juge Gibson et, d'autre part, que la défenderesse a violé ces interdictions en omettant de détruire les biens ou de les remettre à la demanderesse, notamment en se débarrassant des biens par vente ou autre mode d'aliénation pendant la période considérée. Voilà qui tranche les questions que la Cour suprême du Canada a soumises à la présente Cour. Certaines questions de droit importantes ont toutefois été soule- vées et elles méritent un examen attentif.
Dans leur ouvrage intitulé Law of Contempt, 2' éd., Borrie et Lowe examinent les éléments constitutifs de la mens rea au chapitre 13, intitulé Civil Contempt. La réponse est on ne peut plus claire: [TRADUCTION] «il n'est pas nécessaire de démontrer que le défendeur est sciemment récalcitrant ou qu'il a l'inten- tion de gêner l'administration de la justice». Les auteurs citent, à la page 400, le lord juge Sachs qui déclarait dans l'arrêt Knight v. Clifton:
[TRADUCTION] ... lorsqu'une injonction interdit de faire quelque chose, l'interdiction est absolue et ne doit pas être rattachée à l'intention sauf si l'ordonnance déclare expressé- ment le contraire.
Les auteurs citent le juge Warrington qui a déclaré dans Stancomb v. Trowbridge Urban Council que si une personne [TRADUCTION] «a effectivement commis l'acte, il est inutile de dire qu'elle l'a fait sans intention de désobéir aux ordres de la Cour...» Dans la décision Re Agreement of Mileage, la Cour a conclu qu'on avait démontré l'existence de l'outrage et ce, même si les actes avaient été posés [TRADUCTION] «de manière raisonnable et malgré tous les soins et l'attention nécessaires, sur la conviction, fondée sur une consultation juridique, qu'ils ne constituaient pas une contravention.»
Finalement, le mandat donné par la Cour suprême du Canada à la présente Cour est tout à fait clair. Deux faits seulement doivent être établis: premièrement, la défenderesse connaissait-elle les motifs du jugement du juge Gibson --et deuxièmement, il y a-t-il eu désobéisance à ce jugement? Ni la bonne foi de la défenderesse ni sa mauvaise interprétation du droit ne doivent être pris en compte. La Cour suprême était manifestement bien au courant de l'interprétation juridique donnée par la défenderesse à la désobéissance aux motifs du jugement du juge Gibson. Malgré cela, elle n'a pas tenu compte de ces éléments dans ses directives à la présente Cour.
Il ressort clairement des extraits qui précèdent que le juge de première instance savait très bien que l'absence de désobéissance ne constituait pas un moyen de défense opposable à l'accusation d'outrage elle-même. Toutefois, il est possible qu'il n'ait pas tenu compte du fait que l'absence de désobéissance peut constituer un facteur d'atté- nuation en ce qui a trait à la question de la peine. Un extrait de ses motifs cité précédemment semble appuyer ce point de vue. Pour faciliter son examen, je le cite à nouveau:
Vu les circonstances de l'espèce, je ne crois pas qu'il con- vienne d'appliquer la loi dans toute sa rigueur et de condamner à l'emprisonnement. Il n'en reste pas moins qu'il y a eu à mon avis entrave à la bonne administration de la justice et atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour. L'intérêt public commande manifestement de sauvegarder l'autorité de la justice, de sorte que le châtiment doit être suffisamment sévère pour correspon- dre à la gravité de l'infraction.
La défenderesse a omis de remettre aux demanderesses ou de détruire les biens contrefaits qui sont évalués à environ 1 million de dollars. Une amende s'élevant a 10 pour cent de cette
somme m'apparaît assez élevée pour rendre compte de la sévérité de la loi et suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice.
L'appelante étant une société, il est clair que la peine de l'emprisonnement ne pouvait être imposée en l'espèce. En ce qui regarde l'autre membre de la première phrase, il est évident que constituait une des «circonstances de l'espèce» la preuve non con- testée du fait que Cutter s'était fondée sur l'opi- nion de son avocat lorsqu'elle avait pris, au cours de la période s'étendant du 11 au 18 décembre 1980, les mesures reprochées. La question devient donc celle de savoir si le juge a tenu compte de ce facteur d'atténuation lors de l'imposition de la peine. L'on peut, selon moi, en douter, puisque la conclusion catégorique que l'absence de la volonté de désobéir ne constitue pas, par elle-même, une défense opposable à la conclusion qu'un outrage a été commis laisse peu d'espoir que cette circons- tance puisse être considérée comme un facteur d'abaissement de la peine. Il m'apparaît clair que le juge de première instance n'a pas distingué ces deux aspects du moyen de défense opposé, si l'on en juge par les extraits de la citation précédente qui font état de sa compréhension du mandat confié à la Division de première instance par la Cour suprême du Canada. Il ne fait aucun doute que la Cour suprême, en renvoyant la question devant la Division de première instance, n'avait à l'esprit que la question de l'existence ou de la non-existence de l'outrage au tribunal et non la question de la pénalité que devrait imposer la Division de première instance pour outrage au tribunal, le cas échéant.
Donc, jusqu'à quel point ce facteur d'atténua- tion de la peine aurait-il influer sur le montant de l'amende imposée? Il est évident que je ne puis savoir si le juge de première instance en aurait tenu compte ou jusqu'à quel point il en aurait tenu compte eût-il admis cette considération. Toutefois, cette Cour a le droit de rendre la décision qui s'imposait. En conséquence, appréciant au meilleur de ma connaissance ce fait ainsi que les autres circonstances de cette espèce, je suis d'avis que si nous considérons le fait pour l'appelante de s'être fiée à une opinion juridique erronée comme un facteur d'atténuation, justice serait faite en rédui- sant à 50 000 $ le montant de l'amende imposée. J'estime qu'une réduction plus poussée de ce mon- tant ou l'imposition d'une amende symbolique
serait incompatible avec la gravité des infractions reprochées et risquerait d'encourager d'autres per- sonnes à se moquer de la loi s'il y va de leur intérêt pécuniaire. Je maintiendrais le jugement de la Division de première instance à tous autres égards.
Les parties ont convenu qu'aucuns dépens ne seraient adjugés relativement au présent appel.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
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