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T-1807-84
Frank F. Ramey, M.D. (demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: RAMEY c. CANADA
Division de première instance, juge McNair—Fre- dericton, 27, 28, 29 et 30 mai; Ottawa, 27 octobre 1986.
Droit aérien Action en indemnisation pour dévalorisation par suite de la promulgation du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton Établissement d'une servitude de survol Validité de cette servitude La servitude n'est ni vague ni incertaine La restriction en matière de hauteur profite indubitablement à l'aéroport Le droit de propriété du demandeur entraîne le droit accessoire de jouir de l'espace adjacent aux bâtiments et des arbres qui s'y trouvent Dévalorisation du fonds Indemnité accordée Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, art. 6(1)j),(10) Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton, DORSI 81-452, art. 4, 5, 6.
Expropriation Préjudice Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton Propriété dévalorisée par suite de la promulgation du Règlement Témoignages contradictoi- res quant à l'évaluation Indemnité fixée à 22 600 $ Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton, DORS/ 81-452, art. 4, 5, 6.
Biens immeubles Servitudes Servitude de survol et droit de pénétration pour enlèvement d'arbres Y a-t-il nullité pour incertitude? Abandon Le non-usage ne donne pas lieu à une présomption d'abandon L'obtention d'une permission pour couper des arbres et le paiement d'une indemnité ne permettent pas de conclure à un abandon de la servitude.
Le demandeur intente une action en indemnisation pour dévalorisation de sa propriété par suite de la promulgation du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton. Le deman- deur est propriétaire d'une propriété qui occupe 54,3 acres et qui est située à proximité de l'extrémité de la piste 27 de l'aéroport de Fredericton. C'est le frère du demandeur qui a acheté le fonds en 1951 la ville de Fredericton, propriétaire de l'aéroport municipal, et ce fonds a été par la suite cédé au demandeur en 1962. L'acte de vente prévoyait, au profit du concédant, une servitude de survol et le droit de pénétrer dans les bâtiments pour enlever les arbres qui entravent la jouissance de la servitude. Il interdisait également au concessionnaire de construire des bâtiments qui empêcheraient cette jouissance. En 1962, la ville a cédé l'aéroport à la Couronne fédérale. À plusieurs reprises, les préposés de celle-ci ont pénétré sur la propriété pour écimer des arbres. Cet écimage était nécessaire pour se conformer à la pente d'approche de 2 p. 100 dont l'observation était en vigueur depuis la prolongation de la piste en 1957.
L'argument du demandeur porte sur le fait que son terrain pouvait faire l'objet d'un lotissement à usage d'habitation, que cette possibilité a été anéantie par la promulgation du règle-
ment de zonage et que la pente de 2 p. 100 n'a jamais été portée à sa connaissance ni à celle du public avant la publication du règlement de zonage dans le journal en octobre 1982. Le demandeur a également soutenu que la servitude de survol de 1951 était nulle pour cause d'incertitude ou était caduque. La défenderesse prétend que la promulgation du règlement de zonage n'a rien changé. La valeur du terrain n'a pas diminué puisque son usage optimum résidait dans une exploitation agricole. La défenderesse fait valoir en outre que le demandeur n'avait pas un droit de propriété sur l'espace aérien comprenant la pente d'approche de 2 p. 100 au-dessus de son terrain, et, à l'appui de cet argument, elle a cité l'affaire Lacroix, Jean v. The Queen, [1954] R.C.E. 69.
Jugement: il sera rendu un jugement portant que le deman- deur a droit à une indemnité de 22 600 $ et aux dépens.
Il découle de la décision Lacroix v. The Queen que, bien que le demandeur ne puisse prétendre à l'espace aérien, son droit de propriété entraîne le droit accessoire de jouir de l'espace adja cent aux bâtiments et des arbres et qui s'y trouvent, ce qui s'entend également de la hauteur à laquelle ces constructions et ces arbres peuvent s'élever. La question de la validité de la servitude de survol revêt donc une certaine importance.
La servitude ne grève pas l'espace aérien, mais les fonds servants qui ont particulièrement été décrits dans l'acte. Dans le cas de l'octroi ou de la réservation expresse d'une servitude, la nature et l'importance du droit conféré sont affaire d'inter- prétation. En l'espèce, les parties ont voulu créer une servitude légale. La clause restrictive vient identifier l'objet de la servi tude et confirmer que la restriction générale en matière de hauteur devait profiter aux terrains de l'aéroport de Frederic- ton. Examinant la servitude dans son contexte et interprétant les termes de la concession dans leur sens grammatical ordi- naire, on ne saurait dire que la réservation de la servitude était nulle pour cause d'incertitude.
Pour ce qui est de la question d'abandon, le principe est bien établi qu'une servitude créée par une concession explicite n'est frappée de déchéance du fait de non-usage que si ce non-usage donne lieu à une présomption de renonciation, et il appartient à la personne qui allègue l'abandon d'établir une telle présomp- tion de non-usage. La défenderesse n'a nullement renoncé à la servitude de survol.
Il existe une jurisprudence abondante en matière d'indemni- sation pour dévalorisation par suite de la promulgation. „d'un règlement de zonage d'un aéroport. Dans toutes ces décisions, une indemnité a été accordée. Ainsi qu'il a été dit dans l'arrêt Roberts and Bagwell v. The Queen, [1957] R.C.S. 28, «La réglementation de l'espace vertical est nécessaire aux environs des aéroports ... Il se crée tout d'un coup une charge grevant le terrain, et la diminution de valeur qui en découle est susceptible d'indemnisation.» Étant donné que le fonds du demandeur avait subi une dévalorisation et que les témoignages quant à l'évalua- tion étaient contradictoires, la Cour a déterminer le quan tum de l'indemnité à accorder.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Roberts and Bagwell v. The Queen, [1957] R.C.S. 28; Canada Steamship Lines Ltd. v. The Queen, [1956-1960]
R.C.É. 277; C.J.R.T. Developments Ltd. c. La Reine, [1983] 2 C.F. 410; 145 D.L.R. (3d) 416 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Lacroix, Jean v. The Queen, [1954] R.C.É. 69; Liscombe v. Maughan, [1928] 3 D.L.R. 397 (C.S. Ont.); Vyricher- la Narayana Gajapatiraju (Raja) v. Vizagapatam, Reve nue Divisional Officer, [1939] A.C. 302 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ellenborough Park, In re. In re Davies, decd. Powell v. Maddison, [1956] Ch. 131 (C.A.); Ward v. Ward (1852), 7 Ex. 838; 155 E.R. 1189; Crossley & Sons, Limited v. Lightowler (1867), L.R. 2 Ch. 478; Lamb v. Manitoba Hydro-Electric Board, [1966] R.C.S. 229; 55 D.L.R. (2d) 654.
AVOCATS:
David R. Oley pour le demandeur.
A. R. Pringle et Martin Ward pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Mockler, Allen & Dixon, Fredericton, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Le demandeur se fonde sur le paragraphe 6(10) de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3 (la «Loi»), pour intenter une action en indemnisation pour dévalorisation de sa propriété par suite de l'application du Règle- ment de zonage de l'aéroport de Fredericton, DORS/81-452 en date du 8 juin 1981 (le «Règlement»).
Le paragraphe 6(10) de la Loi porte:
6....
(10) Toute personne dont les biens sont lésés par l'application d'un règlement de zone a droit de recouvrer de Sa Majesté, à titre d'indemnité, le montant, s'il en est, qui représente la diminution de valeur causée aux biens par l'établissement du règlement, moins un montant égal à toute augmentation de valeur des biens qui est survenue après que le réclamant en est devenu propriétaire et qui est attribuable à l'aéroport.
Les plans et descriptions des terrains touchés et des copies du Règlement de zonage ont été déposés le 20 septembre 1982 aux bureaux d'enregistre-
ment des comtés de York et de Sunbury. Il est admis que cette date peut être considérée comme la date d'entrée en vigueur du Règlement aux fins de l'espèce.
Le demandeur, le docteur Frank Ramey, est propriétaire de la soi-disante propriété Belmont qui occupe 54,3 acres dans la paroisse de Lincoln, comté de Sunbury (Nouveau-Brunswick). Situé à proximité de l'extrémité de la piste 27 de l'aéro- port de Fredericton, le bien-fonds consiste en deux parcelles de terre enserrant la route provinciale 102 de part et d'autre; la plus grande des deux parcelles, de quelque 48,2 acres, s'étend de la route jusqu'à la rivière Saint-Jean, vers le nord. L'autre, qui affecte la forme d'un triangle de quelque 6,07 acres, se trouve au sud de cette route. Une station de service Irving est installée au coin sud-est de la grande parcelle, dont elle a été séparée il y a quelques années. Tous les bâtiments sont situés dans la parcelle nord, la plus grande du bien-fonds: une maison de deux étages classée monument his- torique, un hangar, un atelier, un entrepôt et un petit chalet. Au moment le demandeur fit l'acquisition du bien-fonds, il y avait quelques pommeraies. Cette exploitation agricole était pour- suivie et développée au fil des ans, et, à l'heure actuelle, on compte 4 pommeraies en exploitation, occupant une superficie totale de 11,9 acres envi- ron sur la parcelle nord.
Les terrains requis pour l'aéroport municipal ont été réunis par la ville de Fredericton par voie d'expropriation au cours de la période allant de
1948 1951. Au printemps de 1951, la ville a autorisé la vente par appel d'offres de la propriété Belmont, sous réserve d'une servitude de survol. Par la suite, par autorisation du conseil municipal, Roy A. Ramey a acheté le bien-fonds Belmont pour lui-même et son frère, Frank F. Ramey, au prix soumissionné de 9 000 $. Seul le nom de Roy figurait sur le titre de propriété. Les deux parcelles de terre Belmont ont fait l'objet d'une description cadastrale dans l'acte translatif de propriété, la parcelle plus grande étant décrite comme lot 2 de la parcelle E et l'autre, plus petite, comme la parcelle D, comme en témoigne un plan de l'aéro- port municipal de Fredericton, établi en mars 1951 par J. Brown Maxwell, N.B.L.S. L'acte en date du 6 juin 1951 prévoyait la servitude de survol comme suit:
[TRADUCTION] Lesdits terrains et bâtiments décrits ci-dessus sont grevés pour toujours et au profit du concédant, de ses successeurs et ayants droit, d'une servitude suffisante et néces- saire pour l'exploitation dudit aéroport, ainsi que du droit d'accès pour ses mandataires, préposés, travailleurs ou entre preneurs qui ont le droit d'y pénétrer pour enlever tous les arbres et buissons qui s'y trouvent et qui peuvent entraver de quelque façon que ce soit la jouissance de ladite servitude.
L'acte prévoyait également une clause restric tive engageant le concessionnaire Roy A. Ramey comme suit:
[TRADUCTION] ET LE CONCESSIONNAIRE, pour lui-même, ses héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs et ayants droit, s'engage à ne pas construire sur les terrains décrits ci-dessus des bâtiments ou édifices ni faire quoi que ce soit qui puisse empêcher la jouissance de la servitude ci-dessus réservée.
À la signature de l'acte Ramey, l'aéroport de Fredericton était déjà en service. La piste 27 était en voie de parachèvement. Une photo aérienne en date du 10 octobre 1951 montre que la piste 27 existait réellement à cette époque.
Par acte en date du 9 juin 1951, Roy A. Ramey a cédé la propriété Belmont à sa soeur Mary Ramey, sous réserve de la même servitude de survol. Il y était également prévu un engagement de la part de l'acquéreur d'observer la clause res trictive prévue dans l'acte de cession par la ville de Fredericton à Roy A. Ramey, et de garantir ce dernier contre toutes demandes et actions en jus tice en la matière.
Par suite d'un accord conclu le 31 mars 1960 avec le ministère des Transports, la ville de Frede- ricton a cédé la propriété de l'aéroport municipal à Sa Majesté la Reine du chef du Canada par acte en date du 11 avril 1962. La propriété Belmont, entre autres, n'était pas comprise dans ce transfert.
Par acte en date du 15 juillet 1963, Mary Ramey a cédé Belmont à son frère, le docteur Frank F. Ramey, sous réserve de la même servi tude de survol et de la clause restrictive stipulée dans l'acte de cession initial de la ville de Frederic- ton à Roy A. Ramey.
En 1952, le docteur Ramey a abandonné l'exer- cice privé pour un poste à l'étranger, au service du ministère de la Santé et du Bien-être social. Il a exercé à l'étranger pendant les vingt années qui suivirent, la plupart du temps à Rome. Le deman- deur est retourné à Fredericton en 1972.
Au cours du séjour du demandeur à l'étranger, la maison d'habitation et le petit chalet se trouvant sur la propriété Belmont ont été loués à divers locataires. La pommeraie a été louée à un pommi- culteur pendant quelques années, puis donnée en gérance pour le compte du demandeur. Ce sont principalement les membres de la famille du demandeur, au début sa soeur Mary Ramey, et par la suite surtout, sa fille Nancy Findlay et son mari, le D r John A. Findlay, qui s'occupaient de la location et de la gérance. Le petit chalet est demeuré inoccupé à plusieurs reprises au fil des ans, étant donné la difficulté de trouver des loca- taires qui toléreraient le bruit des avions décollant de la piste 27 et y atterrissant. En 1960, le deman- deur a vendu la parcelle sur laquelle se trouvait la station de service pour la somme de 11 000 $, ce prix devant servir de mesure de la juste valeur marchande de l'ensemble de la propriété Belmont. Au fil des ans la pommeraie a rapporté des bénéfi- ces considérables.
Le demandeur a acheté la propriété Belmont à titre d'investissement, mais il n'a rien fait en vue d'une promotion immobilière ou d'un lotissement à usage d'habitation. À un moment donné, il a dis- cuté avec son gendre, le Dr Findlay, de la possibi- lité de construire sur la propriété des maisons d'habitation en pierre. Cela, semble-t-il, dépendait principalement de la possibilité d'acheter une car- rière de pierre tout près. L'idée ne s'est jamais réalisée. La raison en est qu'il a servi pendant longtemps à l'étranger, que ses enfants ne s'inté- ressaient pas aux projets de promotion immobilière et que sa santé se détériorait sensiblement à partir de 1976 environ.
En 1957, les préposés de la défenderesse ont pénétré sans autorisation sur la propriété du demandeur et y ont abattu des arbres. Il s'agissait d'une rangée de cèdres ornementaux, qui s'étendait de la route à la maison d'habitation principale et de quelques grands ormes. Le demandeur, fort indigné, a retenu les services d'un avocat et un règlement est intervenu par la suite. Encore en 1967, 1974, 1975 et 1984, la défenderesse a couper ou écimer des arbres sur la propriété du demandeur, avec son autorisation et contre paie- ment d'une indemnité, à la demande pressante de ce dernier. La défenderesse considérait cet éci-
mage comme nécessaire pour se conformer à la pente d'approche de 2 p. 100, dont l'observation était en vigueur avant 1957 même. En 1957, la piste 27 a été prolongée de 1 150 pieds. Cette prolongation a eu pour effet d'abaisser la pente de 2 p. 100 de 26 pieds, au-dessus du terrain du demandeur.
La question de la servitude de survol et de l'indemnisation du demandeur pour la pénétration dans sa propriété et l'écimage des arbres devait, dès 1957 et pendant plusieurs années subséquentes, faire l'objet des discussions et négociations entre le ministère des Transports et l'avocat du deman- deur, H. A. Hanson, c.r. En 1960, la fille du demandeur, Shirley Rayes, faisait son stage à l'étude de M. Hanson. A la demande de son employeur, elle a assisté à une rencontre entre M. Hanson et deux fonctionnaires du ministère des Transports, MM. Cormier et MacLeod, qui, à cette occasion, ont reconnu que la servitude de survol dans l'acte consenti par la ville de Frederic- ton était nulle pour cause d'incertitude. En 1961, le ministère des Transports a acheté au demandeur une servitude de feu d'approche à proximité du petit chalet sur la propriété Belmont. Au moment de la vente par la ville à son frère et à lui-même en 1951, le demandeur était parfaitement au courant de la servitude de survol grevant la propriété.
Le volume du trafic à l'aéroport de Fredericton s'est constamment accru au fil des ans, malgré des fluctuations à court terme, et les avions qui utili- sent l'aéroport sont devenus plus grands et plus bruyants, les avions à réaction y ayant fait leur apparition en 1974. Auparavant, le plus gros avion qu'on y voyait était le Viscount. Les terrains et locaux du demandeur jouxtent l'aéroport de Frede- ricton et se trouvent au-dessous du plan d'appro- che de la piste 27.
En février 1983, le Dr Ramey a autorisé la défenderesse à faire faire une évaluation de sa propriété afin d'en établir la juste valeur mar- chande. La défenderesse a même laissé entendre qu'elle pourrait l'acheter pour assurer la sécurité du fonctionnement de l'aéroport. David F. Hilde- brand, évaluateur accrédité de l'A.A.C.I., a ins pecté la grande parcelle de la propriété Belmont le 10 février 1983 et, peu de temps après, a soumis son évaluation à Travaux publics Canada. La juste valeur marchande de cette parcelle, les bâtiments
compris, a été fixée à 140 000 $, et celle du verger, à 19 000 $. L'affaire n'a pas eu de suite et, lors d'une rencontre des parties, le 22 novembre 1983, la défenderesse a fait savoir que cela ne l'intéres- sait pas d'acheter la propriété du demandeur.
Le 28 août 1984, les avocats du demandeur ont intenté une action en «dommages-intérêts» pour dévalorisation de la propriété de ce dernier par suite de la promulgation et de l'application du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton. «Dommages-intérêts» n'est certainement pas la qualificatif qui convient. La Loi prévoit l'indemni- sation pour le préjudice causé à un bien par l'appli- cation d'un règlement de zonage, et le montant de l'indemnité, à part toute augmentation de valeur, représente la diminution de valeur tenant au règlement.
En juillet 1985, M. Hildebrand a été chargé par Travaux publics Canada de faire une évaluation à part de la parcelle triangulaire située au sud de la route 102 et d'établir un rapport supplémentaire sur l'utilisation optimum de la propriété de Ramey en cas d'aménagement à usage d'habitation, à la suite de quoi il a soumis des rapports séparés le 29 août 1985.
Le demandeur a retenu les services de Clifford W. Lawrence, A.A.C.I., du cabinet deStecher, Miller & Associates Limited, pour faire sa propre évaluation. M. Lawrence a soumis un rapport pro- visoire en date du 23 août 1984, fixant les domma- ges-intérêts pour le préjudice causé au bien-fonds en question à 36 000 $. Le demandeur et sa famille étaient convaincus que le bien-fonds avait été sous- évalué. En novembre 1984, M. Lawrence a reconnu qu'il y avait une petite erreur, en raison en particulier d'un mauvais renseignement sur le prix d'achat de la propriété Breen. Il a augmenté de 60 p. 100 la valeur de ce bien-fonds qui servait de comparaison, pour relever le montant de l'indem- nité à 45 000 $. Dans son rapport final en date du 8 mai 1986, c'est la somme de 45 000 $ qui a été retenue comme le montant des dommages-intérêts pour le préjudice causé.
La disposition d'habilitation du règlement de zonage est l'alinéa 6(1)j) de la Loi sur l'aéronau- tique, qui porte notamment:
6. (1) Sous réserve de l'approbation du gouverneur en con- seil, le Ministre peut établir des règlements ... concernant
, j) la hauteur, l'emploi et l'emplacement de constructions,
bâtiments et objets, y compris les objets de provenance naturelle, situés sur des terrains contigus à des aéroports ou dans leurs environs, pour des fins concernant la navigation des aéronefs ainsi que l'utilisation et la mise en service des aéroports, y compris, à ces fins, des règlements restreignant, réglant ou interdisant l'exécution de toute chose ou la tolé- rance de tout acte à accomplir sur lesdits terrains, ou l'éta- blissement ou usage de quelque construction, bâtiment ou objet de ce genre;
Les dispositions du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton en cause sont les suivantes:
Dispositions générales
4. Il est interdit d'ériger ou de construire, sur un terrain visé par le présent règlement, un bâtiment, un ouvrage ou un objet, ou un rajout à un bâtiment, ouvrage ou objet existant, dont le sommet serait plus élevé que
a) les surfaces d'approche;
b) la surface extérieure; ou que
c) les surfaces de transition.
Végétation
5. Lorsque, sur un terrain visé par le présent règlement, la végétation croît au-delà du niveau des surfaces mentionnées à l'article 4, le Ministre peut établir une directive ordonnant au propriétaire ou à l'occupant du terrain d'enlever l'excédent de végétation.
Dépôts de déchets
6. Il est interdit au propriétaire ou à l'occupant d'un terrain visé par le présent règlement de permettre qu'on y dépose des déchets, matières ou substances comestibles pour les oiseaux ou propres à les attirer.
Il échet d'examiner en l'espèce si et dans quelle mesure les terrains du demandeur ont été dévalori- sés du fait du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton.
L'argument du demandeur porte essentiellement sur le fait que son terrain pouvait faire l'objet d'un lotissement à usage d'habitation dans un avenir prévisible, et que cette possibilité a été complète- ment anéantie par la promulgation du règlement de zonage. L'avocat du demandeur soutient que la pente de 2 p. 100 n'a jamais été portée à la connaissance du demandeur ou du public avant la
promulgation du règlement de zonage et sa publi cation dans le journal local du 25 octobre 1982. Jusque-là, son existence n'était connue que du ministère des Transports. Le seul règlement de zonage qui a dévalorisé les terrains en question était celui du 8 juin 1981. À l'appui, l'avocat du demandeur a avancé l'argument corollaire selon lequel la servitude de survol grevant le terrain du demandeur, stipulée dans l'acte de 1951, était nulle pour cause d'incertitude ou, subsidiairement,
était caduque.
L'argument de la défenderesse se résume en ce que le règlement de zonage n'a rien changé. L'uti- lisation optimum du bien-fonds du demandeur avant la promulgation du règlement était celle qui avait lieu à l'époque, c'est-à-dire l'exploitation agricole, et le règlement de zonage n'y a rien changé. Il n'y a donc pas eu diminution de valeur. L'avocat de la défenderesse fait valoir en outre que le demandeur n'avait pas un droit de propriété sur l'espace aérien comprenant la pente d'approche de 2 p. 100 au-dessus de son bien-fonds; à l'appui de cet argument, il a cité l'affaire Lacroix, Jean v. The Queen, [ 1954] R.C.É. 69.
À mon avis, cet argument n'est pas pertinent en l'espèce, sauf à l'égard peut-être de l'utilisation optimum du bien-fonds du demandeur, donc de sa valeur marchande à l'époque en cause. Le deman- deur n'a jamais prétendu à l'espace aérien au-des- sus de son terrain. Il se plaint simplement de ce que la promulgation du règlement de zonage a entraîné une diminution de la valeur de son fonds.
L'arrêt Lacroix v. The Queen susmentionné a accordé une indemnité pour l'expropriation aux fins de servitude de feu d'approche de la piste 24 de l'aéroport de Dorval et pour la dévalorisation du terrain restant du demandeur, mais a débouté ce dernier de sa demande de dommages-intérêts pour servitude de survol dans l'espace aérien au-dessus de son terrain. Le juge Fournier a implicitement rejeté la règle cujus est solum du Moyen Âge, qui, littéralement traduite, signifie que la propriété du sol emporte la propriété du dessus et à la page 76, il a énoncé la règle applicable suivante:
[TRADUCTION] J'estime qu'on ne saurait s'approprier l'air et l'espace qui tombent dans la catégorie de res omnium commu- nis, ce qui ne veut pas dire que le propriétaire du sol est privé du droit d'utiliser son terrain pour y planter des arbres ou y construire des bâtiments, ou à toute fin qui ne soit pas interdite par la loi ni ne soit contraire à l'intérêt public.
Il me semble que le propriétaire du terrain a un droit limité sur l'espace aérien qui se trouve au-dessus de son fonds; son droit se trouve limité par ce qu'il peut posséder ou occuper pour l'utilisation et la jouissance de son terrain. En érigeant des édifices ou autres constructions, le propriétaire ne prend pas possession de l'air, mais il unit ou incorpore quelque chose à la surface de son terrain. Ce qui est annexé ou incorporé à son terrain fait partie du fonds.
Il s'ensuit que, bien que le demandeur ne puisse prétendre à l'espace aérien au-dessus de son fonds, son droit de propriété entraîne le droit accessoire de jouir de l'espace adjacent aux bâtiments, des arbres et autres qui s'y trouvent, ce qui s'entend également de la hauteur à laquelle ces construc tions ou ces arbres peuvent s'élever. C'est la raison pour laquelle la question de la validité de la servi tude de survol de 1951 revêt une certaine importance.
Il est allégué que la servitude est nulle parce qu'elle est incertaine. En quoi consiste l'incerti- tude? Il est vrai que cette servitude ne porte pas expressément sur une colonne ou segment de l'es- pace aérien se trouvant au-dessus du fonds servant du demandeur, à l'opposé de la pente de 2 p. 100 qui a été définie ou rendue vérifiable par le règle- ment de zonage du 8 juin 1981. Elle ne grève pas l'espace aérien mais le fonds servant de manière «suffisante et nécessaire pour l'exploitation dudit aéroport». La servitude porte également l'autorisa- tion de pénétrer sur le fonds pour enlever les arbres et buissons qui peuvent entraver de quelque façon que ce soit sa jouissance. La clause restrictive dans l'acte de 1951 interdit de construire des bâtiments ou d'exécuter quelque chose «qui puisse empêcher la jouissance de la servitude ci-dessus réservée». Le fonds servant est expressément défini dans cet acte.
Dans Ellenborough Park, In re. In re Davies, decd. Powell v. Maddison, [1956] Ch. 131 (C.A.), il a été statué que l'octroi [TRADUCTION] «d'une jouissance entière du parc d'agrément» compre- nant un parc de jardinage était un droit reconnu en droit et constituait une servitude valide.
Dans le cas de l'octroi ou de la réservation expresse d'une servitude, la nature et l'importance du droit ainsi conféré sont affaire d'interprétation. Il ressort de la concession que les parties ont voulu créer une servitude légale. Le droit a été défini
sous forme de servitude. De plus, la clause restric tive vient corroborer l'établissement de la servitude et confirmer que la restriction générale en matière de hauteur devait profiter aux terrains de l'aéro- port de Fredericton. Examinant la servitude dans son contexte et interprétant les termes de la con cession selon leur sens grammatical ordinaire, je ne trouve rien qui rende nulle pour cause d'incerti- tude la servitude de survol.
Qu'en est-il de la question d'abandon?
Il n'existe aucune présomption d'abandon de la servitude du simple fait de non-usage. Le principe est bien établi qu'une servitude établie par une concession explicite n'est frappée de déchéance du fait de non-usage que si ce non-usage donne lieu à une présomption de renonciation, et il appartient à la personne qui allègue l'abandon d'établir une telle présomption de non-usage: Ward v. Ward (1852), 7 Ex. 838; 155 E.R. 1189; Crossley & Sons, Limited v. Lightowler (1867), L.R. 2 Ch. 478, à la page 482; et Liscombe v. Maughan, [1928] 3 D.L.R. 397 (C.S. Ont.).
Le juge d'appel Grant a énoncé ce principe dans la décision Liscombe, à la page 402:
[TRADUCTION] Il incombe aux défendeurs d'établir la déchéance ou l'extinction du droit de passage du fait de l'aban- don ou du non-usage. Dans Goddard on the Law of Easements, 8e éd., p. 520 et suiv., l'auteur a résumé la jurisprudence en ces termes (p. 520):--1 en découle qu'une servitude ne peut s'éteindre par l'acte des parties intéressées que par voie de reconciation, effective ou présumée, que ce non-usage n'entraî- nera pas cette conséquence à moins qu'une renonciation ne puisse se dégager de ce non-usage et des faits pertinents, et que lorsqu'on parle de la déchéance d'une servitude par abandon, on veut dire par que les circonstances sont telles qu'une renon- ciation doit être présumée.» Le non-usage peut s'expliquer par la preuve que le propriétaire du fonds dominant n'avait pas pour le moment l'occasion d'en faire usage, ayant d'autres moyens plus commodes d'utiliser son terrain que l'usage de la servitude:.. .
À la lumière de cette jurisprudence, je conclus que la défenderesse n'a pas renoncé à la servitude de survol. La seule parcelle de preuve contraire réside dans le fait que la défenderesse a demandé l'autorisation de couper et d'écimer des arbres sur le fonds du demandeur et de payer une indemnité à cet égard, à partir de 1957. J'estime qu'il s'agit d'un argument plus ou moins convaincant, mais
tout à fait explicable par le fait que la servitude elle-même ne prévoyait pas d'indemnisation.
Il existe une jurisprudence abondante en matière d'indemnisation pour dévalorisation par suite de la promulgation d'un règlement de zonage d'un aéro- port: voir Roberts and Bagwell v. The Queen, [1957] R.C.S. 28; Canada Steamship Lines Ltd. v. The Queen, [1956 - 1960] R.C.É. 277; et C.J.R.T. Developments Ltd. c. La Reine, [1983] 2 C.F. 410; 145 D.L.R. (3d) 416 (1" inst.). Dans toutes ces décisions, une indemnité a été accordée pour dévalorisation.
Dans l'arrêt Roberts and Bagwell, le juge Nolan s'est prononcé en ces termes à la page 38:
[TRADUCTION] Le but de la loi est claire. La réglementation de l'espace vertical est nécessaire aux environs des aéroports, et l'octroi des pouvoirs mentionnés influe immédiatement sur l'utilisation et la valeur du terrain. Il se crée tout d'un coup une charge grevant le terrain, et la diminution de valeur qui en découle est susceptible d'indemnisation.
Dans Canada Steamship Lines Ltd. v. The Queen, précité, le président Thorson a tiré cette importante conclusion aux pages 284 et 285:
[TRADUCTION] C'est en raison de la dévalorisation due au règlement de zonage que le propriétaire du fonds dévalorisé a droit à une indemnité en vertu du paragraphe 4(8) de la Loi. Autrement dit, la dévalorisation qui lui donne droit à une indemnité est la différence entre la somme que l'acheteur prudent mentionné eût accepté de payer pour le fonds après la promulgation du règlement et celle qu'il eût accepté de payer avant cette promulgation.
Et il est évident que le demandeur peut faire établir cette valeur et sa diminution en fonction de l'usage optimum, qu'il soit actuel ou éventuel, auquel son fonds aurait pu se prêter immédiatement avant la promulgation du règlement. Il est tout aussi clair que, en définissant cet usage optimum, la Cour ne doit pas se limiter à l'usage que le propriétaire faisait effective- ment de son fonds. C'est l'usage optimum auquel ce dernier aurait pu être destiné qui doit entrer en ligne de compte. A mon avis, le meilleur énoncé de la règle applicable se trouve dans l'ouvrage Nichols on Eminent Domain, 2' édition, à la page 655:
Dans l'établissement de la valeur marchande d'un immeu- ble aux fins d'expropriation, il faut tenir compte non seule- ment de la valeur du fonds en fonction de l'usage qu'en faisait le propriétaire, mais aussi de toutes ses destinations possibles, et sa valeur calculée en fonction de l'usage auquel les gens avisés et ayant des moyens suffisants destineraient ce fonds doit être prise en compte en dernière analyse.
Bien que cet énoncé s'applique expressément à l'établissement de la valeur marchande aux fins d'expropriation, je le considère
comme également applicable à l'établissement de la valeur et de la diminution de valeur prévues au paragraphe 4(8) de la Loi, et telle est ma conclusion en l'espèce.
Lord Romer a tiré cette conclusion qui fait autorité en matière de valeur potentielle dans l'ar- rêt Vyricherla Narayana Gajapatiraju (Raja) v. Vizagapatam, Revenue Divisional Officer, [1939] A.C. 302 (P.C.), page 313, cité favorablement dans Lamb v. Manitoba Hydro-Electric Board, [1966] R.C.S. 229; 55 D.L.R. (2d) 654:
[TRADUCTION] Car une jurisprudence abondante établit qu'un bien-fonds est à évaluer non pas simplement en fonction de son affectation au moment de l'évaluation ... mais aussi en fonc- tion des usages futurs auxquels il peut raisonnablement se prêter. En fait, point n'est besoin de donner à cette proposition un fondement jurisprudentiel. Elle est l'évidence même. Nul ne peut supposer que, dans le cas d'un bien-fonds qui doit certaine- ment, ou même probablement, être utilisé dans un avenir proche ou relativement proche à des fins de construction, mais qui lors de l'évaluation est inculte ou sert à l'agriculture, le propriétaire, si disposé soit-il à vendre, saura se satisfaire d'un prix correspondant à la valeur de son bien-fonds en tant que terre inculte ou terre agricole, selon le cas. Il est clair que l'évaluation doit tenir compte de la possibilité d'un usage à des fins de construction. Il est tout aussi clair toutefois que la valeur ne doit pas être fixée comme s'il y avait déjà eu de la construction sur le bien-fonds. On exprime ... parfois cette proposition en disant que ce qu'il faut prendre en considération c'est les possibilités qu'offre le bien-fonds et non pas la mesure dans laquelle ces possibilités ont été réalisées. [C'est moi qui souligne.]
Dans C.J.R.T. Developments Ltd., susmen- tionné, le juge Marceau, aux pages 422 et 423 C.F.; 425 et 426 D.L.R., a résumé comme suit l'effet de la disposition législative:
Le paragraphe 6(10) de la Loi accorde au titulaire de certains biens le droit de recouvrer à titre d'indemnité le montant qui représente la diminution de valeur causée à sa propriété par l'adoption d'un règlement de zonage d'un aéroport. De toute évidence, on a voulu que le droit créé par cette disposition existe et soit applicable dès l'adoption du règlement visé à ce paragraphe...
Les évaluateurs-conseils des parties sont essen- tiellement tombés d'accord sur la nature et l'em- placement du fonds en question ainsi que sur l'effet des exigences de zonage sur son usage actuel ou éventuel. Il est intéressant de noter que chacun d'eux a utilisé les mêmes ventes-repères. Les deux sont convenus que la valeur du fonds dans son exploitation agricole actuelle était de l'ordre de 45 000 $. Ils avaient la même définition de l'utili- sation optimum, mais non pas les mêmes critères pour ce qui était de la définir. L'expert du deman- deur, M. Lawrence, mettait l'accent sur la destina-
tion raisonnable du fonds dans un avenir prévisible et non sur son usage effectif au moment de l'éva- luation. Il envisageait la question sous l'angle de la destination potentielle. L'expert de la défende- resse, M. Hildebrand, était moins aventureux. Pour lui, la destination devait être quelque chose de probable et non pas purement spéculatif ou conjectural. En outre, il fallait que cette destina tion fasse l'objet d'une demande actuelle. Les deux experts sont, en général, convenus que la proximité de l'aéroport de Fredericton nuisait quelque peu à la possibilité de lotissement du fonds en cause.
La méthode adoptée par M. Lawrence consistait à diviser la propriété Belmont en onze terrains à bâtir à usage d'habitation, avec la superficie requise et en bordure de la route. Il a estimé que ces lots pourraient rapporter un bénéfice net de 88 000 $, soit 8 000 $ par lot, après déduction des frais de lotissement. Dans ce calcul, il s'est fondé sur les ventes-repères les plus élevées, au prix de 1 621 $ l'acre.
Se basant sur les quatre ventes-repères, M. Law- rence a estimé la valeur du terrain à 800 $ l'acre, soit 43 400 $ pour 54,3 acres. Déduire cette valeur de la valeur résidentielle éventuelle de 88 000 $ donne le chiffre arrondi de 45 000 $ qui représente l'indemnité pour le préjudice attribuable au règle- ment de zonage. Au contre-interrogatoire, M. Lawrence a reconnu que l'aéroport avoisinant diminuerait la valeur résidentielle du fonds, mais que celui-ci n'en avait pas moins un certain poten- tiel résidentiel. L'évaluation de Lawrence reposait sur la prémisse de l'invalidité de la servitude de survol de 1951. Il ressort du contre-interrogatoire qu'il tenait cette conviction de l'avocat du demandeur.
Le premier rapport soumis par M. Hildebrand portait sur la juste valeur marchande du terrain, des bâtiments et des vergers de la propriété Bel- mont, à l'exclusion de la parcelle triangulaire au sud de la route. Il a par la suite évalué cette parcelle à 3 500 $. Réflexion faite, il a conclu que la propriété Belmont n'offrait aucune possibilité de lotissement prévisible, parce que l'offre de terrains à bâtir de qualité supérieure pour des fins résiden- tielles dans la région suffisait amplement à répon-
dre à la demande de logements actuelle. L'exploi- tation agricole de Belmont constituait toujours l'utilisation optimum. D'après lui, rien n'a changé. Il a développé cette idée dans son affidavit d'opi- nion en déclarant que la présence de l'aéroport et l'utilisation de la piste 27 pendant plusieurs années, auxquelles s'ajoute l'existence de terrains de qualité supérieure [TRADUCTION] «ont fait que ce fonds ne pourrait se prêter à un lotissement éventuel à usage d'habitation». L'affidavit affirme en outre que le règlement de zonage n'a changé en rien la situation antérieure. En contre-interroga- toire, M. Hildebrand a reconnu qu'il n'avait aucune raison de douter de l'efficacité du plan de Lawrence de diviser le fonds en onze terrains à bâtir, à cette exception près qu'il ne croyait pas à l'existence d'une forte demande de terrains ainsi lotis. Il a également reconnu en contre-interroga- toire qu'un terrain loti pourrait avoir, à l'heure actuelle, une valeur de 12 000 $, s'il n'y avait pas l'aéroport, mais qu'il faudrait réduire de beaucoup cette valeur pour tenir compte de la récession économique à l'époque de l'adoption du règlement de zonage: Au contre-interrogatoire, Hildebrand est resté inébranlable dans sa conviction que, avec ou sans le règlement de zonage, l'exploitation agri- cole constituait l'utilisation optimum du fonds en question.
M. Lawrence a analysé les effets réels du règle- ment de zonage pour ce qui est de la limitation de hauteur. Il a souligné que l'espace aérien disponi- ble pour le propriétaire du fonds variait entre 16 pieds et 120 pieds, ce qui fait que la hauteur des bâtiments éventuels varie entre 17 et 47 pieds au-dessus de la parcelle triangulaire sud, et entre 16 et 70 pieds au-dessus des 24,2 acres de la parcelle nord de Belmont, entre la route et la rivière. Il en a conclu que si la limitation effective de la hauteur des bâtiments n'empêche les cons tructions résidentielles que sur une fraction relati- vement faible du fonds, les limites de hauteur publiées étaient si basses qu'elles décourageaient pareilles constructions dans un avenir prévisible, ce qui l'a amené à conclure que l'utilisation optimum du fonds après l'adoption du règlement de zonage continuait à être l'exploitation agricole. J'accepte son témoignage à cet égard.
Comme c'est souvent le cas en matière d'évalua- tion, nous nous trouvons devant deux conclusions
diamétralement opposées de la part de deux témoins experts compétents. Je dois accueillir l'une ou l'autre ou tenter, dans la mesure du possible, de concilier les différences.
Il me semble que M. Hildebrand a surestimé les facteurs tels que la demande et la conjoncture économique actuelle dans son évaluation du fonds, et n'a pas tenu compte de l'élément essentiel qu'est l'usage avantageux éventuel dans un avenir prévisi- ble. En bref, il a envisagé la question dans un contexte réel et non potentiel. Sauf le respect que je lui dois, j'estime qu'il a eu tort de surestimer le réel pour faire peu de cas du potentiel. Indubita- blement, le fait que le fonds se trouve tout près de l'aéroport devait en diminuer la valeur, ce qui, combiné avec l'existence des lots résidentiels de qualité supérieure, rendrait, pour un promoteur immobilier éventuel, la possibilité de lotissement moins attrayante que cela n'eût été le cas. J'estime toutefois que ces facteurs restrictifs n'étaient pas si accablants avant l'adoption du règlement de zonage qu'ils auraient poussé des gens avisés et disposant de moyens suffisants à écarter toute possibilité de lotissement à usage d'habitation dans un avenir prévisible. En conséquence, je ne saurais accueillir la conclusion de M. Hildebrand selon laquelle le Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton n'a rien changé.
D'autre part, je ne saurais, pour plusieurs rai- sons, accepter la somme de 45 000 $ que M. Law- rence a fixée comme indemnité. Tout d'abord, c'est à tort, et il n'y est pour rien, qu'il a posé, dans son évaluation, en prémisse que la servitude de survol de 1951 était nulle. J'ai conclu à l'inverse, ce qui détruit le fondement de ce postulat. Je suis sûr qu'il serait le premier à admettre que son évalua- tion se trouverait affectée par ce fait. En deuxième lieu, il est arrivé au prix, de 8 000 $ le lot en choisissant le deuxième prix de vente par ordre d'importance des six prix réalisés pour des terrains à bâtir à des fins résidentielles indiqués dans son rapport. Un terrain comparable, chemin Nevers, qui nécessitait des remblais et un puits de 200 pieds a été vendu en septembre 1983 pour 6 000 $. Cette valeur est plus proche de la valeur du fonds en question que celle du terrain de Lincoln Park Gardens, qui a été vendu en mai 1982 pour 8 000 $ et tombait dans la catégorie de terrains à bâtir de type supérieur mentionnée par M. Hildebrand.
Finalement, et cela a moins d'importance, M. Lawrence a cédé aux pressions de son client pour relever ses évaluations.
Par conséquent, je conclus que l'adoption du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton a entraîné une dévalorisation du fonds du deman- deur, et que ce dernier a droit à un dédommage- ment. Pour les raisons exposées plus haut, je ne saurais accueillir les conclusions finales des deux évaluateurs. Il m'incombe donc de déterminer, compte tenu des deux opinions qui sont aux antipo des, le montant raisonnable de l'indemnité à laquelle le demandeur a droit pour le préjudice subi.
J'estime que la méthode la meilleure et la plus simple consiste à réduire le prix de vente de 8 000 $ par terrain loti proposé par M. Lawrence. Je considère qu'une réduction de 25 p. 100 serait appropriée dans les circonstances, ce qui ramène à 6 000 $ le prix du terrain résidentiel. Ceci corres pond au prix de vente-repère de 6 000 $ du chemin Nevers. Multiplier ce chiffre par onze donne la somme de 66 000 $ qui représente la valeur de la propriété Belmont avant l'adoption du règlement de zonage. Si l'on en déduit 43 400 $, qui repré- sente la valeur après évaluation, cela nous donne 22 600 $. Appliquer la réduction de 25 p. 100 la somme de 88 000 $ estimée par M. Lawrence con duit naturellement au même résultat. Si un ajuste- ment s'impose, on peut le trouver dans le témoi- gnage de M. Hildebrand. Compte tenu de la somme de 12 000 $ qui représente la valeur qu'il donnait au terrain loti s'il n'y avait pas l'aéroport, et à supposer que 50 p. 100 soit le juste équivalent de son facteur de réduction très important, le résultat rajusté est de 6 000 $ le terrain.
Par ces motifs, je fixe à 22 600 $ l'indemnité à laquelle le demandeur a droit pour la dévalorisa- tion de son fonds par suite du Règlement de zonage de l'aéroport de Fredericton. Il n'a droit à aucun intérêt sur le montant de l'indemnité vu la règle établie selon laquelle on ne saurait prétendre valablement à un intérêt contre la Couronne à moins qu'il n'existe un contrat stipulant le paie- ment d'un tel intérêt ou une loi prévoyant ce paiement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il sera donc rendu un jugement portant que le demandeur a droit à une indemnité de 22 600 $ et aux dépens après taxation.
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