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T-1232-84
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (demanderesses)
c. '
Mackintosh Computers Ltd., Compagnie d'élec- tronique Repco Ltée/Repco Electronics Co. Ltd., Maison des semiconducteurs Ltée/House of Semiconductors Ltd., Chico Levy, Joseph Levy, Nat Levy, Micro Computer Syncotech Systems Ltd., Roman Melnyk, Gary Grecco, Richard Wic- hlacz, Robert Pelland faisant affaires sous la dénomination sociale de Centre du Hobbie Enr., Eric-Pierre Durez et Serge Pelletier faisant affai- res sous la dénomination sociale de Pro-Micro Enr., Claude Denise Bérubé Villeneuve faisant affaires sous la dénomination sociale de Ville- neuve Électronique Enr., Daniel Renaud faisant affaires sous la dénomination sociale de Microbit Enr., Hastings Leasing (Belleville) Limited, Wil- liam George Knight, Evelyn Gwendelyn Knight, Glen Martin Sargent, Mohamed Nathoo Gulam- husein faisant affaires sous la dénomination sociale de Compu-Sys, Tempo Audivision Incorpo rated, Leslie David Graham Newton, Unitron Computer Corporation, Robert A. Hubbell, Ace Computer Supplies Inc., George Yin Kit Poon, Simon Yin On Poon, Mang Chi Ly, Nu Mini Yung, Sabtronic Systems Ltd., Bernard Allan Sabiston et Madeleine Irene Sabiston (défen- deurs)
et
T-1235-84
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (demanderesses)
c.
115778 Canada Inc., faisant affaires sous la déno- mination sociale de Microcom et James Begg (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: APPLE COMPUTER, INC. C. MACKINTOSH COM PUTERS LTD.
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 6, 7 et 8 janvier; Ottawa, 30 janvier 1987.
Pratique Outrage au tribunal La Cour avait interdit aux défendeurs de vendre des ordinateurs comprenant une copie des oeuvres littéraires Autostart ROM ou Applesoft Des détectives privés des demanderesses achètent un ordina-
teur Apple 11e de même qu'une microplaquette vierge d'une défenderesse Une autre défenderesse «a gravé» le pro gramme des demanderesses sur la microplaquette vierge La Cour condamne pour outrage au tribunal l'employé qui a copié la microplaquette et l'employeur Même si l'employeur a donné à ses employés la directive de ne pas copier des pro grammes protégés par un droit d'auteur, le comportement de l'employeur indique une tolérance à l'égard de l'inobservation discrète de l'interdiction La facilité d'accès aux micropla- quettes pour fins de copie montre une attitude négligente à l'égard de l'ordonnance L'avis affiché ne retire pas claire- ment l'autorisation de copier des microplaquettes Règles de la Cour fédérale, C.R.C., c. 663, R. 2500.
Commettant et préposé Employé qui «grave» un pro gramme sur une microplaquette vierge en contravention d'une ordonnance de la Cour interdisant pareil geste et en dépit d'instructions verbales et écrites de s'abstenir d'un tel geste Responsabilité de la société d'assurer le respect de l'ordon- nance Facilité d'accès aux microplaquettes pour des fins de copie et imprécision des directives écrites démontrant une attitude négligente de l'employeur à l'égard de l'ordonnance Le comportement de l'employeur indique une tolérance à l'égard de l'inobservation discrète de l'ordonnance L'em- ployeur est coupable d'outrage au tribunal.
Pratique Preuve La Cour avait ordonné aux défen- deurs de ne pas porter atteinte au droit d'auteur des demande- resses visant du logiciel informatique Des détectives privés, engagés par les demanderesses, se font passer pour des clients
Achat d'un ordinateur avec des microplaquettes vierges d'une défenderesse Une autre défenderesse grave le pro gramme protégé par un droit d'auteur sur la microplaquette
Il ne s'agit pas d'une provocation policière La provoca tion policière s'applique dans le cadre d'enquêtes policières et non lorsqu'il s'agit d'un moyen employé par des particuliers pour faire respecter les injonctions prononcées par suite de procédures civiles.
Il s'agit d'une requête visant à faire condamner pour outrage au tribunal Michael Lee, la Maison des semiconducteurs, Norman Parent et Microcom. La Cour avait rendu une ordon- nance interdisant aux défendeurs, à leurs préposés et à leurs agents de vendre des ordinateurs qui comprennent une copie des oeuvres littéraires Autostart ROM ou Applesoft, et exigeant qu'ils remettent toutes les copies de ces oeuvres littéraires. Des détectives privés, engagés par les demanderesses, se sont fait passer pour des acheteurs éventuels d'un ordinateur. M. Parent, de Microcom, a offert de leur vendre un ordinateur Apple 11e avec une microplaquette vierge et leur a donné les noms de deux entreprises qui pouvaient graver le programme nécessaire sur la microplaquette, même s'il a refusé de le faire lui-même. À la Maison des semiconducteurs, Michael Lee a, dans un premier temps, refusé de graver le programme sur la micropla- quette parce que les détectives ne pouvaient fournir la micro- plaquette à reproduire. Toutefois, lorsque le détective a feint d'être contrarié en prétendant que l'ordinateur devait être un cadeau d'anniversaire pour son fils, M. Lee a copié la micropla- quette en contrepartie de 5 $, après avoir demandé au détective de ne dire à personne il avait obtenu la copie. Lee avait facilement accès aux copies des microplaquettes rassemblées parce que la Maison des semiconducteurs avait rassemblé toutes les copies des microplaquettes contenant les programmes Autostart ROM ou Applesoft qu'elle détenait et les avait ran-
gées dans une boîte à l'arrière du magasin. Les détectives sont retournés chez Microcom M. Parent a placé la micropla- quette gravée dans l'ordinateur afin d'en faire la vérification. Au cours de ce processus, une disquette contenant le pro gramme Applesoft s'est retrouvée en la possession des détectives.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Michael Lee a contrevenu à l'ordonnance lorsqu'il a copié la microplaquette. Son employeur prétend que celui-ci a outre- passé ses pouvoirs puisqu'on lui avait retiré expressément le pouvoir de copier de telles microplaquettes. L'employé avait reçu la directive de ne pas copier des microplaquettes d'Apple- soft ou d'Autostart ROM, un avis à cet effet avait été affiché dans le magasin à l'intention des employés, et Lee a enregistré zéro sur la caisse enregistreuse et empoché le 5 $. La loi est claire : lorsqu'une ordonnance est rendue contre une société, il incombe à celle-ci d'en assurer le respect. Bhatnager c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 3; (1985), 24 D.L.R. (4th) 111 (1« inst.) ne s'écarte pas de ce principe. La Cour a jugé que le ministre n'était pas tenu personnellement responsable des délits commis par les employés parce que le ministre comme l'employé étaient des fonctionnai- res de la Couronne et que seule celle-ci est tenue responsable du fait d'autrui. Même si l'on avait dit à M. Lee de ne pas copier les programmes Apple protégés par un droit d'auteur, le com- portement de l'employeur indiquait que l'inobservation discrète de l'interdiction serait tolérée. Selon la preuve, l'activité de copie faisait partie du mandat des employés. La facilité d'accès aux microplaquettes à reproduire montrait une attitude négli- gente à l'égard de l'ordonnance du 29 avril. L'avis affiché n'indique nullement que les employés ne sont pas autorisés à copier les programmes Autostart ROM ou Applesoft. Le pouvoir autorisant Lee à agir comme il l'a fait ne lui avait pas été clairement et fermement retiré. L'atmosphère régnant dans son milieu de travail indiquait exactement le contraire. La Maison des semiconducteurs a également contrevenu à l'ordonnance.
Même si les détectives ont utilisé la ruse, il ne s'agit pas de provocation policière. Cette expression vise un crime perpétré par suite d'une incitation de la police qui dépasse la seule sollicitation. La ruse utilisée par ces détectives n'est pas un comportement justifiant la suspension des procédures pour outrage au tribunal ou l'imposition d'une amende symbolique seulement.
Les demanderesses allèguent que la vente par Microcom de l'ordinateur avec la microplaquette vierge était une invitation expresse à faire copier des œuvres d'Apple, ce qui contrevenait à l'ordonnance de la Cour. L'indemnisation et l'accord com mercial systématique ne constituent que des exemples d'incita- tion. Leur absence ne signifie pas qu'il n'y a pas eu quelque incitation que ce soit. L'ordinateur vendu par les défendeurs ne pouvait être utilisé qu'à une seule fin, c'est-à-dire comme un ordinateur Apple, une fois que la microplaquette requise a été gravée et insérée dans la carte mère. Les faits de l'espèce sont visés par les affaires American Arch, Proctor & Gamble -Bris- tol Myers et Windsurfing. Même si ces faits peuvent constituer une incitation, il est peut-être préférable de dire que, par suite des actes de Parent et de Microcom, le détective s'est trouvé à agir en leur nom. Les défendeurs ont invité l'acheteur à agir en leur nom, à faire ce que l'ordonnance leur interdisait de faire. Le détective a été invité à trouver quelqu'un qui copierait la
microplaquette, acte dont ont profité Parent et Microcom. L'ordinateur a manifestement été vendu à la condition que l'on obtienne une microplaquette contrefaite. Parent et Microcom ont contrevenu à l'ordonnance du 29 avril.
Accepter l'argument des défendeurs selon lequel c'est un étranger qui, de sa propre initiative et indépendamment des actes des défendeurs, a copié les programmes des demanderes- ses protégés par des droits d'auteur, équivaudrait à reconnaître qu'il leur était loisible d'adopter un comportement leur permet- tant de faire échec totalement à l'injonction. Se soumettre à une ordonnance de la Cour, ce n'est pas une guerre d'intelligen- ces : Dubiner v. Cheerio Toys and Games Ltd., [1965] 2 R.C.E. 488.
Les défendeurs contestent la validité d'un des affidavits des détectives en alléguant que l'auteur a consulté un rapport préparé avec l'autre détective avant de signer l'affidavit. Il n'y a aucune raison de croire qu'il contient des informations dont le détective n'était pas personnellement au courant, contrairement aux faits de l'affaire Peake's Limited v. Higgins (1930), 2 M.P.R. 80 (C.S.N.-B.).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
American Arch Co. v. Canuck Supply Co. Ltd. et al., [1924] 3 D.L.R. 567 (C.S. Qc); Proctor & Gamble Co. c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. l" inst.); décision confirmée par (1979), 42 C.P.R. (2d) 33 (C.A.F.); Windsurfing International Inc. et autre c. Trilantic Corporation (Now Bic Sports Inc.) (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.); Dubiner v. Cheerio Toys and Games Ltd., [1965] 2 R.C.E. 488; Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada) Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; 2 D.L.R. (4th) 621.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bhatnager c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), [1986] 2 C.F. 3; (1985), 24 D.L.R. (4th) 1I1 (1« inst.); Peake's Limited v. Higgins (1930), 2 M.P.R. 80 (C.S.N.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canadian General Electric Co. Ltd. v. Toronto Electric Supply Co., Ltd., [1935] R.C.E. 16; Heaton Transport (St Helens) Ltd v Transport and General Workers Union, [1972] 3 All ER 101 (H.L.); Kirzner c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487; (1977), 38 C.C.C. (2d) 131; Copeland- Chatterson Co. v. Hatton et al. (1906), 10 R.C.E. 224; Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418; 69 C.C.C. (2d) 31; R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; 21 C.C.C. (3d) 7; Slater Steel Industries Ltd. et al. v. R. Payer Co. Ltd. et al. (1968), 38 Fox Pat. C. 139 (C. de l'E.); Dyckerhoff & Widmann Aktiengesellschaft et autre c. Advanced Cons-
truction Enterprise Inc. et autres, [1986] 1 C.F. 526; (1985), 11 C.P.R. (3d) 371 (1"° inst.); Reading & Bates Construction Co. et autre c. Baker Energy Resources Corp. et autre (1986), 9 C.P.R. (3d) 158 (C.F. 1"° inst.); Yehuda Ohana et al. v. Yecheskel Zahavy et al., juge- ment en date du 12 juillet 1985, Cour suprême de l'Onta- rio, 21879-84, non publié; Beloit Canada Ltée/Ltd. et autre c. Valmet Oy (1986), 11 C.P.R. (3d) 470 (C.F. I" inst.); Re R. and Monette (1975), 64 D.L.R. (3d) 470 (H.C. Ont.); Sandwich West (Twp. of) v. Bubu Estates Ltd. et al. (1986), 56 O.R. (2d) 147 (C.A.); Preformed Line Products Co. et al. v. Payer Electrical Fitting Co. Ltd. et al., [1965] 1 R.C.É. 371; (1964), 42 C.P.R. 199.
AVOCATS:
Alfred S. Schorr, Ivor M. Hughes et Joseph I. Etigson pour les demanderesses.
Robert H. C. MacFarlane pour les défen- deurs.
PROCUREURS:
Alfred S. Schorr, Toronto et Ivor M. Hughes, Concord, Ontario, pour les demanderesses. Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La Cour est saisie, en vertu de la Règle 2500 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], d'une requête visant à faire condamner pour outrage au tribunal Michael Lee, la Maison des semiconducteurs, Norman Parent et 131375 Canada Inc. faisant affaire sous la déno- mination sociale de Microcom. L'outrage allégué concerne la violation des ordonnances rendues le 29 avril 1986 dans les deux actions décrites dans l'intitulé de la cause. Ces ordonnances interdisent aux défendeurs, à leurs préposés et à leurs agents:
... d'importer, de vendre ou de distribuer des ordinateurs ou des composantes d'ordinateur, sous le nom de Mackintosh ou tout autre nom, qui comprennent une copie ou une copie substantielle de l'une des oeuvres littéraires «AUTOSTART ROM» ou aAPPLESOFT», ou de porter atteinte de quelque façon au droit d'auteur des demanderesses à l'égard de ces oeuvres.
Et elles exigent que:
Les défendeurs ... remett[ent] aux défenderesses toutes les copies ou copies substantielles des oeuvres littéraires des deman- deresses, «AUTOSTART ROM» ou «APPLESOFT», SOUS une forme quelconque, qui sont en la possession, sous la garde ou le contrôle de l'un des défendeurs, y compris tout organe ou appareil contenant ces copies ou copies substantielles.
Les demanderesses ont engagé deux détectives privés, MM. Keymer et Nowell, pour vérifier si les défendeurs se conformaient à la première partie de l'ordonnance susmentionnée. L'avocat des deman- deresses a informé les défendeurs qu'une telle véri- fication aurait lieu. MM. Keymer et Nowell se sont rendus à Montréal à cette fin, le 8 juillet 1986. Ils ont décidé que M. Keymer se ferait passer pour un père désireux d'acheter un ordina- teur pour son fils, mais en donnant l'impression qu'il ne connaissait rien ou presque dans ce domaine. Les deux détectives ne savaient effective- ment pas grand-chose au sujet des ordinateurs.
LES FAITS
MM. Keymer et Nowell se sont tout d'abord rendus au magasin de Microcom situé au 2060, autoroute Trans -Canada à Dorval (Québec). M. Keymer est entré seul dans le magasin la réceptionniste lui a indiqué qu'il était possible d'acheter des clones d'ordinateurs Apple; il a ensuite remarqué les réclames parues dans les journaux, qui étaient affichées dans la salle des ventes et indiquaient qu'il était possible d'acheter dans ce magasin des ordinateurs compatibles avec les ordinateurs IBM ou Apple ainsi que des clones d'Apple. M. Keymer a expliqué au vendeur, M. Parent, qu'il désirait acheter un ordinateur pour son fils, un ordinateur Apple parce que son fils utilisait un ordinateur de cette marque à l'école. M. Parent a indiqué à M. Keymer que son fils utilisait probablement un Apple IIe. Il lui a égale- ment dit que Microcom vendait des ordinateurs compatibles avec le Apple IIe, mais avec des microplaquettes principales vierges. Voici un extrait de l'affidavit de M. Keymer:
[TRADUCTION] M. Parent a ajouté qu'il était possible à cer- tains endroits dans les environs de faire «graver» le programme nécessaire sur la microplaquette. Il m'a ensuite expliqué qu'ils ne pouvaient pas me fournir la vraie microplaquette program mée en raison de poursuites judiciaires récentes ...
J'estime qu'il s'agit d'une description exacte des faits.
M. Keymer a ensuite demandé à M. Parent il pourrait faire graver une microplaquette et ce dernier lui a suggéré la compagnie Active Electro nics. M. Parent ignorait le numéro de téléphone d'Active ainsi que le nom de la personne à laquelle M. Keymer devrait s'adresser. Il savait seulement qu'Active était une importante compagnie qui ven-
dait des composantes d'ordinateur et pouvait copier des microplaquettes. Keymer a quitté le magasin de Microcom en indiquant qu'il avait l'intention de comparer les prix. Il a ensuite télé- phoné au magasin et après avoir essayé de négocier un meilleur prix, il a demandé à Parent s'il accep- terait de graver la microplaquette dans l'hypothèse il (Keymer) achèterait le système au complet. Parent a refusé, mais il a toutefois répondu à M. Keymer que c'est une microplaquette de type REPROM #27128 qu'il fallait faire graver.
Keymer a ensuite téléphoné à la compagnie Active on lui a dit que la personne chargée de cette question était absente mais que, de toute façon, il faudrait un certain temps pour effectuer le travail car la microplaquette devrait être envoyée à l'extérieur. Ce genre de demandes étaient transmises à M. Kosira de Future Electro nics et on a suggéré à M. Keymer de communiquer directement avec celui-ci. Si je comprends bien, Active Electronics et Future Electronics sont en fait une seule et même compagnie. Un coup de fil a été donné à M. Kosira qui a confirmé qu'il pouvait copier une microplaquette pour une somme de 10 $.
M. Keymer est ensuite retourné en compagnie de M. Nowell au magasin de Microcom il a dit à M. Parent qu'il avait réussi à prendre les disposi tions nécessaires pour faire graver une micropla- quette. Il a acheté l'ordinateur au magasin de M. Parent. Ce dernier a alors ouvert la boîte dans laquelle l'ordinateur était emballé, il a montré à M. Keymer la microplaquette REPROM vierge était collée à l'intérieur de la boîte, il a retiré le couvercle du boîtier de l'ordinateur et a indiqué l'endroit de la carte mère la microplaquette devrait être placée une fois gravée.
MM. Keymer et Nowell sont ensuite allés au magasin Future Electronics ils ont rencontré M. Kosira. Ce dernier a retiré la microplaquette REPROM vierge de la boîte et leur a demandé de lui remettre la microplaquette qu'il devait copier. MM. Nowell et Keymer n'en avaient manifeste- ment aucune. Kosira leur a alors expliqué qu'il ne pouvait faire la microplaquette demandée parce qu'il n'avait pas en sa possession une micropla- quette Apple originale ni une microplaquette com patible qu'il pourrait copier. Il avait présumé que les deux hommes voulaient qu'il copie une micro-
plaquette qu'ils lui auraient fournie. Il va sans dire que si Keymer et Nowell avaient été des acheteurs plus perspicaces (de véritables acheteurs et non de prétendus acheteurs), il leur aurait été facile de trouver un ami ou un voisin qui possédait un ordinateur Apple et qui leur aurait volontiers prêté la microplaquette nécessaire pour leur permettre de la faire copier. Ce fait est à l'origine des préoccupations des demanderesses, car, en invitant d'autres personnes à copier la microplaquette de mémoire morte, la défenderesse Microcom se com- portait de manière à causer aux demanderesses le même préjudice économique que celui qu'elles avaient subi avant l'ordonnance du 29 avril. Microcom vendait ses ordinateurs au même prix que lorsqu'ils contenaient les microplaquettes ren- fermant des copies de l'Autostart ROM et de l'Ap- plesoft qu'elle y avait elle-même placées. Micro- com vendait ses ordinateurs avec une garantie d'un an.
De toute manière, n'ayant pas réussi. à faire graver la microplaquette, Keymer et Nowell sont retournés au magasin de Microcom. Je cite un autre extrait de l'affidavit de M. Keymer, car j'estime qu'il indique exactement ce qui s'est passé:
[TRADUCTION] J'ai indiqué à M. Parent que j'étais plutôt fâché parce que je n'avais pas réussi à faire graver la micropla- quette essentielle. M. Parent m'a dit qu'il ne pouvait pas graver la microplaquette. Je lui ai alors demandé ce qu'il avait fait dans le passé pour les autres acheteurs de l'ordinateur «Micro- com IIe»; il a répondu: «Je n'ai pas vendu beaucoup de ces ordinateurs dernièrement, les gens hésitant à l'acheter en raison de la poursuite judiciaire engagée». M. Parent a ensuite discuté avec une femme que j'avais vue auparavant répondre au télé- phone et utiliser la caisse enregistreuse derrière le comptoir des ventes. M. Parent m'a dit: «Essayez la Maison des semiconduc- teurs sur Brunswick». Il parlait encore une fois à voix très basse comme s'il voulait que personne ne l'entende dans le magasin. Il a dit: «Ce sont des concurrents et je crois que leur magasin est situé au 84 boulevard Brunswick, juste après le coin». Je lui ai demandé si je pourrais revenir une fois la microplaquette gravée et s'il accepterait de l'insérer dans l'appareil et de vérifier son fonctionnement, ce à quoi il a répondu, «Oui» ...
Les deux détectives se sont ensuite rendus à la Maison des semiconducteurs située sur le boule vard Brunswick. Keymer a expliqué au vendeur qu'il voulait faire programmer la microplaquette REPROM de manière à faire fonctionner l'ordina- teur (IIe). Le vendeur est allé à l'arrière du maga- sin et est revenu en compagnie d'un technicien, Michael Lee. Keymer lui a expliqué ce qu'il vou- lait. Lee lui a demandé de lui remettre la micro- plaquette qu'il devrait utiliser pour faire la copie.
Keymer n'en avait pas. Lee a répondu qu'il ne pouvait donc pas graver la microplaquette REPROM vierge. Keymer lui a expliqué qu'il avait été envoyé à la Maison des semiconducteurs par Microcom, qu'il avait des difficultés à faire graver la microplaquette, qu'il voulait l'ordinateur et qu'il désirait qu'il fonctionne parce qu'il s'agissait d'un cadeau d'anniversaire pour son fils.
Voici un autre extrait de l'affidavit de M. Keymer:
[TRADUCTION] M. Lee a alors dit: «Je peux le faire pour vous; cela vous coûtera 5 $, mais vous devrez oublier que vous êtes déjà venu ici». J'ai alors remis la microplaquette REPROM vierge à M. Lee qui a quitté la pièce. Environ cinq ou dix minutes plus tard, M. Lee est revenu à l'avant du magasin et m'a remis la microplaquette REPROM. J'ai remarqué que M. Lee avait écrit «IIe» à l'encre noire sur une vignette Silver Mitsubishi qu'il avait collée sur la fenêtre ronde placée sur le dessus de la microplaquette REPROM. Il m'a immédiatement dit: «Je veux que vous oubliiez notre rencontre et que vous me promettiez que vous ne direz à personne cela a été fait». J'ai alors remis 5 $ à M. Lee pour ses services. Ce dernier a pris l'argent, a enregistré zéro sur la caisse enregistreuse et a placé le billet dans le tiroir. Je lui ai ensuite demandé un reçu, ce à quoi il a répondu: «Je ne peux pas vous donner de reçu pour cela».
Je constate qu'il existe des témoignages contra- dictoires quant à cette série d'événements. Le ven- deur, M. Del Greco, ainsi que le technicien, M. Michael Lee, ont tous les deux déposé des affida vits attestant que lorsque Keymer s'est adressé au vendeur Del Greco pour lui demander de faire copier la microplaquette, la réponse immédiate de ce dernier a été négative. Ils affirment que Del Greco n'est pas allé à l'arrière du magasin pour chercher Lee mais pour d'autres raisons; ils préten- dent que Lee est venu de lui-même à l'avant du magasin et que c'est alors que les détectives l'ont abordé; et finalement, que Keymer a cherché à s'attirer la sympathie de Lee en se montrant très contrarié et en disant combien son fils serait désappointé s'il n'obtenait pas un ordinateur en état de marche le jour de son anniversaire.
J'accepte la version des faits des détectives pour les motifs suivants: si Del Greco avait immédiate- ment répondu par la négative, les deux détectives n'auraient eu aucune raison de rester plus long- temps dans le magasin; de plus, s'ils ont cherché si intensément à obtenir la sympathie de Lee en insistant sur l'histoire de l'anniversaire du jeune garçon, pourquoi n'ont-ils pas agi de même avec Del Greco. Ce dernier affirme qu'après avoir
donné une réponse négative aux détectives, il leur a dit que [TRADUCTION] «S'ils voulaient flâner dans le magasin et acheter des disquettes ou quoi que ce soit pour leur Apple, ils étaient bienvenus, mais pour ce qui était de la mémoire morte, je ne pouvais rien faire». Il n'est tout simplement pas possible de croire que Del Greco aurait parlé de cette manière aux détectives, les invitant à parcou- rir le magasin. Ils étaient venus au magasin dans un but précis. Ils ne flânaient pas et il leur aurait été inutile d'acheter «des disquettes ou quoi que ce soit pour leur Apple» sans la mémoire morte. La version des faits de Keymer et de Nowell est beaucoup plus vraisemblable. Voici la description des faits donnée par Nowell, description qui, à mon avis, est exacte:
[TRADUCTION] Une fois que M. Lee eut demandé s'il pouvait nous aider, nous lui avons raconté la même histoire qu'au premier vendeur au sujet de l'achat de l'ordinateur de Micro- com, du renvoi par Microcom à Active, du renvoi d'Active à Future, le retour à Microcom et le renvoi à la Maison des semiconducteurs. Lee nous a alors demandé si nous possédions ou non une microplaquette originale ou une autre micropla- quette à copier, ce à quoi Niven a répondu: «Si je possédais une microplaquette originale, je ne serais pas venu ici». Lee a dit: «Je ne peux pas le faire». Je ne me souviens pas qu'il ait parlé d'une ordonnance de la Cour. Je me souviens cependant que Niven a alors réagi comme s'il était contrarié et qu'il a expliqué à Lee qu'il s'agissait d'un cadeau d'anniversaire pour son fils et qu'il ne pouvait attendre environ deux semaines pour qu'Active lui fournisse la microplaquette. Il n'y a pas eu de «longue tirade» et bien que Niven ait exercé quelques pressions, il n'a pas insisté beaucoup. Lee s'est montré peu réticent même si je dois admettre qu'il a tout d'abord répondu «Je ne peux pas le faire», lorsque nous lui avons appris que nous ne possédions pas de microplaquette originale à copier.
De toute manière, Lee est ensuite allé à l'arrière du magasin, il a trouvé une copie de la micropla- quette pertinente, il a gravé la microplaquette REPROM vierge et l'a remise à Keymer.
Il faut souligner la raison pour laquelle Lee a eu si peu de difficultés à trouver la microplaquette nécessaire. Au lieu d'exiger la remise de toutes les copies de l'Autostart ROM et de l'Applesoft (sous forme de microplaquette, de disquette ou de texte écrit) comme le prévoyait l'ordonnance du 29 avril, les demanderesses ont accepté que les défendeurs rassemblent toutes ces copies et les gardent en lieu sûr du moins temporairement, parce que lesdits défendeurs avaient indiqué leur intention de demander la suspension de l'exécution des ordon- nances du 29 avril en attendant le résultat de l'appel formé contre celles-ci en Cour d'appel fédé-
rale. La défenderesse Maison des semiconducteurs avait rassemblé toutes les copies qu'elle possédait des microplaquettes renfermant les programmes Autostart ROM et Applesoft et elle les a placées dans des tubes qui ont été remis au technicien Styrczula dans le magasin situé sur la rue Bruns- wick. Il est évident que des instructions imprécises ont été données à celui-ci, que ce soit à dessein ou par suite de négligence. Quoi qu'il en soit, au lieu de garder les microplaquettes en lieu sûr avant qu'elles ne soient remises en conformité de l'ordon- nance du 29 avril (si la suspension d'exécution n'était pas accordée), M. Styrczula a gardé les microplaquettes dans une boîte à l'arrière du magasin et il les a utilisées de temps à autre même si, suivant son témoignage, il ne l'a fait qu'après avoir effacé les programmes Autostart et Apple- soft. De toute manière, Michael Lee pouvait faci- lement avoir accès aux microplaquettes contenant les programmes pertinents; il connaissait leur con- tenu et l'endroit elles se trouvaient.
J'aimerais faire quelques commentaires géné- raux sur les versions contradictoires des faits et indiquer les motifs pour lesquels j'ai accepté la version exposée dans le présent jugement. L'avocat des défendeurs a allégué qu'on ne pouvait se fier à la mémoire des détectives parce que ceux-ci ne se souviennent franchement pas de certains éléments et qu'ils ne s'entendent pas sur certains autres. Je ne crois pas que ces divergences prouvent de façon convaincante qu'ils ont dissimulé des faits ou qu'ils ont une mauvaise mémoire. Il est fort probable que les détectives se rappelleront certains détails avec assez de précision, leur attention ayant été centrée sur ceux-ci. Par contre, il existe d'autres éléments auxquels ils prêteront moins attention, comme par exemple, les circonstances précises dans lesquelles ils ont reçu leurs instructions au sujet de l'enquête. Les contradictions qui peuvent exister sur certains points, en particulier les points qui à ce moment-là semblaient sans importance aux détectives, tendent à prouver qu'ils ont tous deux essayé de raconter exactement ce qui s'est passé plutôt que le con- traire. C'est une version identique toute prête qui est plus susceptible d'être fabriquée. En outre, la version des faits du 8 juillet 1986 a fait l'objet d'un rapport rédigé le lendemain par les détectives. Du point de vue des défendeurs Parent et Lee, les témoignages de ces détectives constituent une interprétation après le fait de ce qui aurait été
pour eux des événements sans importance, au moment ils se sont produits.
Après avoir obtenu la copie de la microplaquette gravée, Keymer et Nowell sont retournés au maga- sin de Microcom avec l'ordinateur et la micropla- guette. M. Parent a déballé l'ordinateur, il a placé la microplaquette REPROM gravée dans la prise appropriée de la carte mère et il a commencé à essayer l'ordinateur. Il a branché ce dernier au mécanisme d'entraînement de disques acheté par les détectives afin de le tester en même temps. Il était nécessaire à cette fin d'insérer une disquette dans le mécanisme d'entraînement de disques. M. Parent en a pris une derrière le comptoir; il s'agis- sait d'un SED 3.3 (système d'exploitation sur disque), contenant le programme Applesoft. Cette disquette était étiquetée R & R SOFTWARE CLUB. Microcom exploite à son magasin un service appelé «évaluation des logiciels», l'étiquette figu- rant sur la disquette indiquant donc qu'elle appar- tenait à cette branche de l'entreprise.
Les témoignages sont contradictoires quant aux faits subséquents. Suivant MM. Nowell et Keymer, lorsqu'il a retiré la disquette de derrière le comptoir, M. Parent a déclaré qu'elle faisait partie de l'ensemble qui leur avait été vendu et qu'elle aurait être incluse plus tôt. Il a fait de même pour une carte à 80 colonnes. M. Parent est d'accord avec le témoignage des détectives en ce qui a trait à la carte à 80 colonnes, mais il prétend qu'il n'a fait aucune déclaration de ce genre en ce qui concerne la disquette. Il affirme qu'il a utilisé cette disquette pour tester l'ordinateur et le méca- nisme d'entraînement de disques, mais il n'a pas dit qu'elle faisait partie de l'ensemble du système.
Les événements qui se sont produits par la suite sont obscurs. M. Keymer prétend qu'on lui a remis la disquette ainsi que le guide de l'utilisateur et qu'il a quitté le magasin en les emportant séparé- ment de l'ordinateur. M. Nowell est d'avis que M. Parent a placé la disquette dans la boîte de l'ordi- nateur lorsqu'il a remballé celui-ci. Il reconnaît toutefois qu'il ne se souvient pas vraiment si Parent a placé la disquette dans la boîte de l'ordi- nateur ou s'il l'a remise à Keymer. Les deux détectives ignoraient que la disquette pouvait avoir une certaine importance. De toute manière, la disquette accompagnait l'appareil acheté lorsqu'il a finalement été déballé pour être essayé par le
technicien des demanderesses. C'est à ce moment-là que les détectives ont compris qu'elle était importante. Si la disquette a effectivement été vendue avec l'ensemble, il y a alors eu une violation évidente et directe de l'ordonnance du 29 avril.
À mon avis, il est possible de tirer deux conclu sions à partir de la preuve concernant la disquette SED 3.3. M. Parent prétend que les détectives ont volé la disquette. Je rejette cette prétention. La première possibilité est que la disquette faisait partie du système vendu, comme le croyaient les détectives en se fondant sur les propos de M. Parent. La deuxième possibilité est que la dis- quette s'est trouvée accidentellement en la posses sion des détectives, soit que Parent l'ait placée par inadvertance dans la boîte de l'ordinateur, soit que Keymer l'ait emportée avec le manuel de l'utilisa- teur en présumant qu'elle faisait partie du système vendu. Je doute que Parent ait vendu la disquette avec l'appareil, car l'inscription R & R SOFTWARE CLUB figurait clairement sur celle-ci. Puisque Parent a pris toutes les précautions nécessaires et qu'il a insisté pour dire qu'il ne copierait pas la microplaquette de mémoire morte, il est difficile de croire qu'il aurait volontairement et ouverte- ment accompli un acte qui aurait eu le même effet. Je le répète, les détectives ne connaissaient rien aux ordinateurs. Ils ignoraient que la disquette était importante. Il est tout à fait possible qu'ils aient cru que les remarques de Parent au sujet de la carte à 80 colonnes concernaient la disquette. Il est même possible qu'ils aient pensé que la dis- quette était en fait la carte à 80 colonnes. Je conclus que, d'une manière ou d'une autre, la disquette s'est retrouvée accidentellement entre les mains des détectives et que Parent ne l'a pas vendue avec l'ordinateur.
OUTRAGE AU TRIBUNAL: MICHAEL LEE et LA MAISON DES SEMICONDUCTEURS
Il est évident que Michael Lee a contrevenu à l'ordonnance lorsqu'il a copié la microplaquette REPROM. Il l'a d'ailleurs admis. L'employeur de Lee, la Maison des semiconducteurs (Chico Levy), prétend que celui-ci a outrepassé ses pouvoirs en copiant la microplaquette, car le pouvoir de copier de telles microplaquettes lui avait été retiré expressément.
La loi est claire: lorsqu'une ordonnance est rendue contre une compagnie ou société, il incombe à celle-ci ses dirigeants) de faire en sorte que ses préposés, ses mandataires ou les personnes agissant pour elle s'y conforment. La compagnie ne peut, pour se défendre, faire la preuve que ses dirigeants ou ses mandataires igno- raient les conditions de l'ordonnance ou qu'ils ne se sont pas rendu compte que leurs actes violaient celles-ci, ou encore, qu'ils ont agi avec imprudence ou négligence ou qu'ils ont manqué à leur devoir.
On a invoqué l'affaire Canadian General Elec tric Co. Ltd. v. Toronto Electric Supply Co., Ltd.,
[1935] R.C.É. 16, à la page 17:
[TRADUCTION] Dans le cas d'une société, la violation de l'injonction ne peut être faite par la société elle-même, car elle ne peut agir que par l'intermédiaire de ses dirigeants, de ses mandataires ou de ses préposés; mais lorsqu'il y a contraven tion, il ne suffit pas de répondre qu'elle a résulté, comme il se doit, d'un acte d'un dirigeant ou d'un préposé de la société et que celle-ci n'en est pas responsable, même si cette contraven tion a pu découler de l'imprudence, de la négligence ou du manquement à un devoir de la part d'un de ses, préposés. Voir Stancomb v. Trowbridge Urban Council (1): Halsbury (Hail- sham Edition), vol. 7, p. 31. Si une injonction est prononcée contre une société qui, par la suite, agit ou permet que l'on agisse en contravention de celle-ci, à son établissement, j'estime qu'il incombe à ladite société de prouver l'existence de faits qui la déchargeraient de toute responsabilité à cet égard .: .
On a également invoqué l'affaire Heatons Transport (St Helens) Ltd v Transport and Gene ral Workers Union, [ 1972] 3 All ER 101 (H.L.) pour prétendre que si une compagnie, un employeur ou un mandant retire expressément à son employé ou à son mandataire le pouvoir de faire l'acte prohibé et que l'employé agit quand même, il faut traiter cet acte comme s'il était le seul fait de l'employé. Dans l'affaire Heatons, certains éléments de preuve montrent que même si les mandants (les dirigeants du syndicat) ont avisé les délégués syndicaux de cesser l'activité interdite, ceux-ci n'y ont pas mis fin. La Cour a tenu le syndicat responsable. A part l'avis donné, le syndi- cat n'a pris aucune autre mesure plus précise pour faire en sorte que les actes interdits ne se produi- sent, plus, et la Cour a statué que les délégués syndicaux avaient agi en vertu de leur pouvoir général de défendre les membres du syndicat pour que ceux-ci obtiennent de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
Je ne crois pas que la décision récente de mon collègue le juge Strayer dans l'affaire Bhatnager c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [ 1986] 2 C.F. 3; (1985), 24 D.L.R. (4th) 111 (1" inst.), s'écarte des règles de droit qui régissent les responsabilités des sociétés, ou des mandants, en ce qui a trait aux actes de leurs préposés ou mandataires enfreignant une ordon- nance de la Cour. Le juge Strayer était saisi du cas particulier d'un ministre du gouvernement, minis- tre qui, dans les circonstances de l'espèce, n'était pas au courant de l'ordonnance de la Cour en question. Malgré le principe général suivant lequel un ministre est responsable devant le Parlement de tous les actes des employés de son ministère, il ne peut être tenu personnellement responsable, en vertu des règles régissant la responsabilité du fait d'autrui, des délits commis par ces employés. Le gouvernement, ou la Couronne, peut être tenu responsable mais un ministre ne peut pas engager sa responsabilité personnelle. Comme le souligne le juge Strayer aux pages 23 C.F.; 125 D.L.R., «La raison en est que tant le ministre que l'agent sont des fonctionnaires de la Couronne et que seule celle-ci est tenue responsable du fait d'autrui.» Il est donc évident que la présente décision ne vise pas à soulever de doutes sur les principes généraux de la responsabilité du fait d'autrui qui s'appli- quent dans le cas d'une société ou d'autres man- dants en ce qui concerne leurs préposés et leurs mandataires.
En l'espèce, l'employeur, la Maison des semi- conducteurs (Chico Levy), prétend que Lee a agi de sa propre initiative et a outrepassé le pouvoir qui lui avait été attribué à titre d'employé de la Maison des semiconducteurs en copiant la micro- plaquette. Cette prétention repose sur les faits suivants: (1) Chico Levy ainsi que quatre employés (Lee, Del Greco, Stryczula et Alex Levy) affir- ment qu'il avait été expressément interdit à Lee de faire ce qu'il a fait (c'est-à-dire de copier l'Autos - tart ROM ou l'Applesoft); (2) un avis a été affiché dans le magasin enjoignant aux employés de ne pas faire de copies; (3) Lee a enregistré la vente comme si elle équivalait à zéro et a plus tard empoché le 5 $ lui-même.
Il a été prouvé qu'il ne faut absolument pas croire M. Chico Levy. Il ne faut accorder aucune valeur probante à son témoignage. Pour ce qui est
du témoignage des quatre employés, il est peut- être vrai que l'on a dit à Lee de ne pas copier les programmes d'Apple protégés par un droit d'au- teur, mais il est possible que, tout en faisant de telles déclarations, l'employeur adopte un compor- tement qui indique clairement qu'il s'agit tout au plus de directives pour la forme et que l'inobserva- tion discrète de l'interdiction sera tolérée. C'est le cas en l'espèce. Étant donné que Del Greco est allé chercher Lee lorsque les détectives lui ont demandé de faire graver la microplaquette, il est évident que la copie de programmes faisait généra- lement partie du mandat de Del Greco et de Lee en leur qualité d'employés de la Maison des semi- conducteurs. Cette conclusion ressort aussi du fait que Lee a demandé aux deux détectives de lui remettre la microplaquette qu'ils voulaient faire copier. S'ils avaient remis à Lee une micropla- quette renfermant les programmes Autostart ou Applesoft, celui-ci l'aurait copiée sans se demander si cela aurait violé l'ordonnance du 29 avril. La facilité d'accès aux microplaquettes de mémoire morte qui servaient à effectuer des copies et la manière dont elles étaient traitées par Stryczula montrent l'attitude négligente et désinvolte dont a fait preuve Chico Levy à l'égard de l'ordonnance du 29 avril. L'avis dont il est fait mention et qui a été affiché dans le magasin n'indique nullement que les employés ne sont pas autorisés à copier les programmes Autostart ou Applesoft. Il porte simplement:
[TRADUCTION] EN AUCUN CAS, LES EMPLOYÉS NE DEVRONT VENDRE DE MÉMOIRES MORTES AVEC DES LOGICIELS D'AP- PLE, EN PARTICULIER L'AUTOSTART OU L'APPLESOFT. VOUS POUVEZ TOUTEFOIS CONTINUER À VENDRE DU MATERIEL ET DES PÉRIPHÉRIQUES. POUR PLUS DE DÉTAILS, N'HÉSITEZ PAS À ME CONSULTER.
À mon avis, l'attitude de Chico Levy dénote un mépris total pour les droits des personnes qui possèdent un droit d'auteur sur des programmes informatiques. Ce mépris des droits des autres s'est traduit par une attitude négligente et désinvolte face à l'ordonnance rendue par la Cour le 29 avril. J'estime que c'est en raison de l'atmosphère exis- tant dans son milieu de travail que Lee a copié les microplaquettes pour Keymer. Il m'est impossible de conclure que le pouvoir d'agir comme Lee l'a fait lui a été clairement et fermement retiré. J'es- time que l'atmosphère régnant dans son milieu de travail indiquait exactement le contraire. Par con-
séquent, la Maison des semiconducteurs contre- vient elle aussi à l'ordonnance du 29 avril.
L'avocat des défendeurs Lee et la Maison des semiconducteurs a allégué que même si, en prin- cipe, il y avait eu une violation de l'ordonnance, le comportement des détectives ressemblait à une provocation policière et, par conséquent, l'audition de la requête pour outrage au tribunal devrait être ajournée ou suspendue, ou l'amende infligée devrait être symbolique. Je ne souscris pas à cet argument. Il ne fait aucun doute qu'on a utilisé la ruse, mais il ne s'agit pas de provocation.
Comme l'avocat des demanderesses le souligne, la provocation est un concept qui s'applique dans le cadre d'enquêtes policières et la police dispose de nombreux moyens légaux lui permettant d'en- quêter, comme les mandats de perquisition, la possibilité d'exiger la production des registres de compagnies et de les examiner, le pouvoir d'inter- roger des personnes et de les arrêter pour fins d'enquête. Les particuliers n'ont pas accès à de tels outils lorsqu'ils essaient de faire respecter les injonctions prononcées en leur faveur par suite d'une procédure civile; ils ne disposent pas de moyens d'enquête privilégiés. Je précise que, de toute façon, les activités des détectives ne devraient nullement être considérées comme de la provocation.
Dans l'arrêt Kirzner c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487; (1977), 38 C.C.C. (2d) 131, le juge en chef Laskin a écrit aux pages 489 R.C.S.; 133 C.C.C.:
L'exposé du juge au jury montre qu'il a adopté une concep tion large de la provocation policière, en y incluant l'utilisation d'un agent provocateur ou d'un indicateur, tout comme l'incita- tion par la police.
Il a ajouté aux pages 492 et 493 R.C.S.; 135 C.C.C.:
Bien entendu, il faut trouver l'équilibre entre une latitude raisonnable accordée à la police dans l'utilisation de stratagè- mes pour juguler la criminalité, ... et la répression des actes qui outrepassent toute latitude raisonnable.
Lorsqu'il s'agit de crimes «consensuels», c'est-à-dire de crimes impliquant des personnes consentantes, comme dans le cas de la prostitution, des paris illégaux et de la drogue, les méthodes ordinaires ne suffisent plus. [C'est moi qui souligne.]
Et aux pages 494 R.C.S.; 136 C.C.C.:
Le problème qui a suscité l'inquiétude du corps judiciaire est celui du crime commis à l'instigation de la police, lorsqu'elle est allée plus loin que la simple incitation ou l'utilisation d'impos- teurs et qu'elle a d'elle-même organisé un piège ... [C'est moi qui souligne.]
Je ne peux conclure que les détectives sont allés plus loin que ce qui est appelé dans les arrêts cités' «la simple incitation ou l'utilisation d'imposteurs». Ils ont personnifié deux individus qui ne connais- saient rien aux ordinateurs et dont l'un voulait acheter un ordinateur comme cadeau d'anniver- saire pour son fils. Je ne crois pas qu'il s'agisse de provocation ou d'un comportement justifiant la suspension des procédures pour outrage au tribu nal ou l'imposition d'une amende symbolique seulement.
OUTRAGE AU TRIBUNAL: NORMAN PARENT et MICROCOM
Les demanderesses allèguent que Microcom a vendu l'ordinateur, dont la microplaquette était collée à l'intérieur de la boîte, dans le but exprès d'inviter l'acheteur à faire copier les oeuvres d'Ap- ple et à les faire insérer dans l'ordinateur, ce qui contrevenait à l'ordonnance du 29 avril. Elles sou- tiennent (1) que l'activité de Microcom est con- traire à l'esprit de l'ordonnance du 29 avril; (2) qu'elle constitue une incitation à violer l'ordon- nance; (3) qu'elle aide et incite à violer l'ordonnance.
Je ne suis pas convaincue que les concepts d'aide et d'incitation à violer une ordonnance soient perti- nents en l'espèce. Ces règles s'appliquent pour tenir un tiers étranger à une ordonnance responsa- ble des violations de cette ordonnance s'il y contri- bue (et s'il est au courant de l'existence de l'ordon- nance). En l'espèce, ce sont les personnes mêmes contre lesquelles l'ordonnance a été rendue (Microcom et son employé Parent) qui seraient coupables d'outrage. Il faut donc examiner les règles relatives à l'incitation ainsi que celles qui prévoient la nécessité de respecter à la fois l'esprit et la lettre d'une ordonnance.
Je reconnais que dans des procédures pour outrage au tribunal, il faut interpréter strictement l'ordonnance qui aurait été violée, car une question
Kirzner c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487; (1977), 38 C.C.C. (2d) 131; Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418; 69 C.C.C. (2d) 31; R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; 21 C.C.C. (3d) 7.
de culpabilité ou d'innocence est en jeu. De même, il est évident qu'il faut prouver hors de tout doute raisonnable qu'il y a eu violation et que les tiers ne commettront pas un outrage au tribunal s'ils font la même chose que la personne contre laquelle ladite ordonnance a été rendue, mais sans être de connivence avec celle-ci. L'avocat des demanderes- ses invoque les règles de droit relatives à l'incita- tion, en particulier celles qui concernent la contre- façon de brevets: Copeland-Chatterson Co. v. Hatton et al. (1906), 10 R.C.É. 224; American Arch Co. v. Canuck Supply Co. Ltd. et al., [ 1924] 3 D.L.R. 567 (C.S. Qc); Slater Steel Industries Ltd. et al. v. R. Payer Co. Ltd. et al. (1968), 38 Fox Pat. C. 139 (C. de l'É.); Procter & Gamble Co. c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. l ie inst.), décision confirmée par (1979), 42 C.P.R. (2d) 33 (C.A.F.); Dycker- hoff & Widmann Aktiengesellschaft et autre c. Advanced Construction Enterprise Inc. et autres, [1986] 1 C.F. 526; (1985), 11 C.P.R. (3d) 371 (1 re inst.); Windsurfing International Inc. et autre c. Trilantic Corporation (Now Bic Sports Inc.) (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.); Reading & Bates Construction Co. et autre c. Baker Energy Resources Corp. et autre (1986), 9 C.P.R. (3d) 158 (C.F. 1 r inst.).
L'avocat des défendeurs allègue que les faits n'indiquent pas que Microcom a encouragé la violation du droit d'auteur des demanderesses car: (1) aucune offre d'indemnisation n'a été faite à Keymer ou à qui que ce soit d'autre comme ce fut le cas dans l'affaire Copeland-Chatterson; (2) rien dans la preuve n'indique l'existence d'un accord commercial systématique en vertu duquel Micro- com agissait de concert avec d'autres pour porter atteinte au droit d'auteur; (3) aucun élément de preuve ne satisfait au critère de l'incitation, que l'on applique un critère objectif ou un critère subjectif.
Il est facile de répondre aux deux premiers points soulevés. L'indemnisation et l'accord com mercial systématique permettant à ses auteurs d'agir de concert ne constituent que des exemples de ce qui sera considéré comme une preuve de l'incitation. Leur absence ne signifie toutefois pas qu'il n'y a pas eu quelque incitation que ce soit. Pour ce qui est du troisième point énoncé plus haut, l'avocat des défendeurs affirme qu'il ne suffit
pas, pour prouver qu'il y a eu incitation de la part de Microcom, qu'elle sache que l'acheteur portera atteinte au droit d'auteur des demanderesses. Il allègue que, même si Parent et Microcom savaient que Keymer avait l'intention d'aller ailleurs pour faire copier la microplaquette, rien dans la preuve n'indique qu'ils l'ont incité à le faire. Il prétend que, même si l'ordonnance interdisait à Microcom de porter atteinte au droit d'auteur d'Apple, les acheteurs éventuels de l'ordinateur et de la micro- plaquette vierge n'étaient pas visés par ladite ordonnance. Il soutient que la connaissance par Microcom de l'usage auquel étaient destinés l'ordi- nateur et la microplaquette par leurs acheteurs ne constitue pas de l'incitation et que, de toute manière, il ne peut (subjectivement) y avoir eu incitation en l'espèce parce que Keymer était le mandataire des demanderesses et qu'il a en réalité acheté l'ordinateur en suivant les instructions de l'avocat de celles-ci et non après y avoir été incité par Microcom ou Parent.
À la page 247 de l'affaire Copeland-Chatterson, la Cour a statué que la personne qui, sciemment et pour son propre bénéfice et au détriment du bre- veté, incite une autre personne à contrefaire un brevet ou obtient qu'elle le fasse est elle-même responsable de la contrefaçon du brevet. L'affaire American Arch concernait un dessin breveté relatif à l'utilisation de briques réfractaires dans un foyer de locomotive. La Cour a statué qu'une personne qui fabriquait ces briques afin qu'elles soient utili sées par quelqu'un d'autre en violation du brevet de la demanderesse était un contrefacteur. Elle a dit à la page 576:
[TRADUCTION] Il ne suffit pas de dire que les briques Security Sectional Arch ne sont pas protégées par un brevet et que, par conséquent, les défendeurs sont libres de les fabriquer et de les vendre.
En l'espèce, ces briques ont été fabriquées sciemment et à dessein car elles ne peuvent servir qu'à un seul usage, c'est-à- dire à faire partie de la combinaison créée par la demanderesse pour son invention. Agissant de concert, l'un à titre de fabricant et l'autre à titre de représentant des ventes, les défendeurs ont adopté, dans ses moindres détails, la méthode employée par la demanderesse pour installer son foyer ... Il s'agissait d'un procédé intentionnel et prémédité destiné à contrefaire ledit brevet de la demanderesse et à priver celle-ci de sa juste rétribution. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Procter & Gamble—Bristol- Myers, la Cour a examiné un brevet concernant un assouplissant employé par le public (les acheteurs)
dans les sécheuses pour éviter la formation de plis sur les vêtements et la création d'électricité sta- tique. Il a été allégué que l'article fabriqué par la défenderesse ne contrefaisait pas les méthodes revendiquées dans le brevet. En réponse à ces arguments, le juge Addy a déclaré aux pages 166 et 167:
À mon avis, il est clair que la loi n'interdit pas le simple fait de fabriquer, d'utiliser ou de vendre des éléments qui font, par la suite, partie d'une combinaison dans le cas le brevet se limite à la combinaison, comme dans l'affaire Slater Steel précitée ou encore dans l'arrêt Dunlop Pneumatic Tyre Co. Ltd. v. David Moseley & Sons Ltd. (1904) 21 R.P.C. 272, de la Cour d'appel d'Angleterre, qui fait jurisprudence et qui a été longuement cité par le président Jackett. Il me paraît égale- ment assez manifeste que le simple fait de vendre, à l'exclusion de toute autre activité, des articles destinés à une contrefaçon ne constitue pas une contrefaçon. Il peut toutefois y avoir contrefaçon si celui qui la commet effectivement est le manda- taire du défendeur (Sykes v. Haworth (1879), 12 Ch. D. 826), s'il s'agit de poursuivre l'exécution d'un accord commercial systématique entre le fournisseur et l'acquéreur-contrefacteur (Incandescent Gas Light Co. Ltd. v. New Incandescent Mantle Co. et al. (1898), 15 R.P.C. 83) ou si, en plus de la vente, il y a une invitation ou une requête faite par le défendeur à l'acqué- reur de l'article tendant à utiliser cet article dans une contrefa- çon en violation d'un brevet détenu par le demandeur (Innes v. Short & Beal (1898), 15 R.P.C. 449).
En l'espèce, la défenderesse, non seulement par le mode d'em- ploi qui figure sur les emballages de Fleecy, mais encore par sa publicité télévisée, invite et encourage le public à violer les revendications de méthode contenues dans le brevet.
Il est difficile de nier que la présente défenderesse a, pour son propre profit et de façon systématique, aidé et incité le public à violer les revendications de méthode détenues par la demande- resse et, en conséquence, qu'elle est une partie à chacune des violations commises par les usagers. Si la défenderesse a encou- ragé ou provoqué une contrefaçon, je pense qu'il n'est pas nécessaire dans ce cas que le fournisseur ait été en rapport direct avec le consommateur en état de contrefaçon, ni même qu'il connaisse l'identité de ce dernier ou qu'il lui ait vendu directement l'article. Il suffit d'établir que l'article a été en fait vendu par la défenderesse aux fins de distribution au dernier contrefacteur...
Il a été allégué dans l'affaire Windsurfing que la vente d'un ensemble contenant les pièces requises pour monter une planche à voile ne constituait pas une contrefaçon du brevet. La Cour a statué aux pages 265 et 266:
Il est clair que l'intimée ne vend pas des pièces. Elle vend des pièces dans le but de constituer une planche à voile. Sans l'assemblage, il ne peut y avoir de planche à voile. Sans assemblage, l'achat des pièces disjointes n'a aucun sens puis- que, disjointes, elles ne peuvent être utilisées à la fin pour laquelle elles sont achetées, à savoir faire de la voile. A mon
avis, la proposition voulant qu'on puisse éviter une action en contrefaçon de brevet en vendant des pièces formant un ensem ble plutôt qu'en vendant ces pièces assemblées est absurde et erronée ...
La seconde partie de l'argument découle de la première. Elle s'appuie sur la théorie voulant qu'il ne puisse y avoir contrefa- çon de la part d'un fabricant vendant des pièces disjointes. Il ne pourrait, en conséquence, y avoir contrefaçon qu'après l'assem- blage complet de la planche à voile puisque l'invention brevetée consiste en une planche à voile complète et assemblée, c'est-à- dire que le brevet s'applique à la somme des pièces constituant l'invention plutôt qu'à ces pièces prises séparément.
Cet argument, selon moi, doit être qualifié de spécieux. À mon sens, prétendre que l'acheteur de parties composantes dont la seule utilisation connue consiste dans leur assemblage pour donner ce que l'acheteur souhaite obtenir de toute évidence, à savoir une planche à voile, n'a pas été poussé à cet achat par la représentation que lui font à la fois le fabricant et le vendeur du résultat qu'il recherche, dépasse les limites tolérables de la crédulité. J'estime qu'il y a incitation même si les directives imprimées sont aussi restreintes que celles qui ont été mises en preuve en l'espèce. Je crois qu'il ne fait aucun doute que la seule conclusion qui puisse être tirée de la preuve volumineuse présentée en l'espèce est que l'intimée a su et entendu que l'acheteur ultime utiliserait les pièces de la planche à voile pour en faire une planche à voile utilisable qui, une fois assemblée, violerait le brevet des appelantes. À mon avis, elle a ainsi participé à cette contrefaçon.
Même si ces affaires concernent la contrefaçon de brevets, les demanderesses prétendent qu'elles s'appliquent également dans le cas de droits d'auteur.
Je souligne qu'il ne fait aucun doute que l'ordi- nateur vendu par les défendeurs ne pouvait être utilisé qu'à une seule fin, c'est-à-dire comme un ordinateur Apple, une fois que la microplaquette requise a été gravée et insérée dans la carte mère. La défenderesse Microcom affirme qu'elle vendait les ordinateurs assemblés avec une microplaquette REPROM vierge parce qu'ils pouvaient être achetés sous cette forme par des personnes qui désiraient un ordinateur spécialisé. Elle allègue que ces per- sonnes programmaient ensuite les ordinateurs à l'aide d'un programme spécialisé. Elle prétend qu'elle a vendu des ordinateurs de ce genre dans le passé mais il n'y a aucune preuve à cet effet. Les ventes auxquelles les défendeurs font allusion con- cernaient des composantes de l'ordinateur et non de l'appareil assemblé. Microcom aurait pu démonter les ordinateurs et en vendre les compo- santes. Mais ce ne fut pas le cas. Les ordinateurs vendus ne pouvaient être utilisés qu'à une seule et unique fin.
À mon avis, les faits de l'espèce sont visés par les affaires citées plus haut, American Arch, Procter & Gamble—Bristol-Myers et Windsurfing. Même si j'estime que ces faits peuvent constituer une incitation selon les termes utilisés dans ces déci- sions, il est peut-être préférable de dire que, par suite des actes de Parent et de Microcom, Keymer s'est trouvé à agir en leur nom. Autrement dit, il s'agit en l'espèce d'une situation les défendeurs Parent et Microcom ont invité l'acheteur à agir en leur nom, à faire ce que l'ordonnance leur interdi- sait de faire. Keymer n'était pas leur mandataire au sens légal de ce mot prévu par le droit relatif au mandat, mais il a néanmoins été invité et encou- ragé à trouver quelqu'un qui copierait la micropla- quette, acte dont ont bénéficié Parent et Micro- com. L'ordinateur a manifestement été vendu à la condition que l'on obtienne une microplaquette contrefaite. L'ordinateur n'aurait pu être vendu à aucune autre condition.
À mon avis, la conduite de Parent et de Micro- com contrevient à l'ordonnance du 29 avril. Voici les faits sur lesquels je me fonde pour tirer une telle conclusion: (1) l'ordinateur a été vendu avec une microplaquette REPROM vierge, collée à l'inté- rieur de la boîte; (2) l'ordinateur a été vendu au même prix qu'à l'époque Microcom fournissait elle-même la microplaquette REPROM contrefaite; (3) l'ordinateur a été vendu avec une garantie d'un an; (4) l'ordinateur est inutilisable sous la forme sous laquelle il a été vendu sans une micropla- quette REPROM contrefaite; (5) Parent a informé Keymer qu'il existait dans les environs des endroits il pourrait faire graver le microplaquette et il lui a finalement indiqué un endroit le travail a été fait; (6) à la demande de Keymer, Parent a inséré la microplaquette contrefaite dans l'ordina- teur. Il ne s'agit pas du cas un parfait étranger, de sa propre initiative et indépendamment des actes des défendeurs, a copié les programmes des demanderesses protégés par un droit d'auteur, ce à quoi l'avocat des défendeurs aimerait me voir con- clure. Ceux-ci ont donné à l'acheteur, en l'y encou- rageant, la possibilité de faire ce qu'ils ne pou- vaient faire eux-mêmes. Et ils en ont tiré bénéfice.
L'avocat des demanderesses a également cité les affaires Dubiner v. Cheerio Toys and Games Ltd.,
[1965] 2 R.C.É. 488; Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.); Yehuda Ohana et al. v. Yecheskel Zahavy et al. (Cour suprême de l'Ontario, no 21879-84, 12 juillet 1985); la décision récente du juge Teitelbaum dans Beloit Canada Ltée/Ltd. et autre c. Valmet Oy (1986), 11 C.P.R. (3d) 470 (C.F. 1" inst.) et Baxter Travenol Labo ratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; 2 D.L.R. (4th) 621. Ces décisions sont citées à l'appui de la proposition suivant laquelle il faut obéir à la fois à l'esprit et à la lettre des ordonnances rendues par la Cour. Exprimé ainsi, ce principe est manifeste- ment trop général. Il faut l'interpréter en tenant compte du fait qu'étant donné que l'outrage au tribunal est de nature quasi criminelle, il ne faut pas conclure à son existence à la légère: Re R. and Monette (1975), 64 D.L.R. (3d) 470 (H.C. Ont.); Sandwich West (Twp. of) v. Bubu Estates Ltd. et al. (1986), 56 O.R. (2d) 147 (C.A.); Preformed Line Products Co. et al. v. Payer Electrical Fitting Co. Ltd. et al., [1965] 1 R.C.E. 371; (1964), 42 C.P.R. 199.
Les décisions citées sont également pertinentes. Dans l'affaire Dubiner, le juge Noël a dit de la défenderesse aux pages 498 et 499:
[TRADUCTION] Son comportement me donne l'impression, c'est le moins que je puisse dire, qu'il a choisi de s'acquitter de ses fonctions à cet égard avec une attitude si désinvolte, insou- ciante et négligente que cela frise le manquement au devoir; outre la violation évidente de l'injonction, ce comportement dénote, à mon avis, une certaine désobéissance.
... se soumettre à une ordonnance de la Cour, ce n'est pas une guerre d'intelligences, mais [...] une ordonnance de la sorte doit toujours être respectée tant suivant l'esprit que suivant la lettre. Voir Kerr on Injunctions, éd., p. 688:
Il faut obéir sans réserve à une injonction et faire preuve de toute la diligence possible pour s'y conformer à la lettre.
Dans l'affaire Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.), le juge O'Leary a écrit à la page 603:
[TRADUCTION] Il faut tenir compte des principes généraux suivants en ce qui concerne les injonctions:
I) «Il faut obéir sans réserve à une injonction et faire preuve de toute la diligence possible pour s'y conformer à la lettre»: Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 21, p. 433, par. 915.
2) Les intimés étaient obligés d'obéir non seulement à la lettre de l'injonction mais également à son esprit: Grand
Junction Canal Co. v. Dimes (1849), 17 Sim. 38, 60 E.R. 1041; Halsbury's Laws of England, ibid, p. 434, par. 919; Attorney -General v. Great Northern R. Co. (1850), 4 De G. & Sm. 75, 64 E.R. 741.
On peut trouver des commentaires du même genre dans les affaires Yehuda Ohana et Beloit, précitées.
J'estime toutefois que l'arrêt Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; 2 D.L.R. (4th) 621, est plus important. Dans cette affaire, le juge de première instance a prononcé ses motifs de jugement, mais il a demandé aux avocats de prépa- rer un projet d'ordonnance. La défenderesse a continué à vendre le produit contrefait entre le moment les motifs ont été prononcés et celui l'ordonnance a été réglée. La Cour suprême a conclu à l'outrage au tribunal. Elle a dit aux pages 396 et 397 R.C.S.; 627 D.L.R.:
... Cutter et la Cour fédérale ont eu tort de tenir pour acquis que la date à laquelle l'injonction prend effet est déterminante dans des procédures d'outrage. L'enquête ne se limite pas à savoir s'il y a eu violation de l'injonction comme telle.
Les pouvoirs de la cour en matière d'outrage ont pour but général d'assurer le fonctionnement harmonieux du système judiciaire.
L'outrage relatif à des injonctions a toujours été de portée plus générale que la violation réelle d'une injonction. Le juge Cattanach le reconnaît en l'espèce. Thomas Maxwell est dési- gné dans l'ordonnance de justification comme auteur d'un outrage au tribunal à titre personnel bien qu'il ne soit pas partie à l'action. Il n'est pas personnellement lié par l'injonction et il ne pouvait donc pas être personnellement coupable de violation. Néanmoins, le juge Cattanach a reconnu qu'il pouvait quand même être déclaré coupable d'outrage, si en toute connaissance de l'existence de l'injonction, il a contrevenu à ses conditions. Bien qu'il ne s'agisse pas formellement de la violation d'une injonction, une telle conduite constitue un outrage au tribunal parce qu'elle tend à entraver le cours de la justice; Kerr on Injunctions, 6 0 éd., 1927, la p. 675; Poje v. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516.
Le même type d'analyse s'applique à la période comprise entre les motifs de jugement et le prononcé du jugement. Cutter soutient, en réalité, qu'il s'agit d'une période de grâce pendant laquelle le défendeur peut désobéir impunément aux interdic- tions énoncées dans les motifs de jugement. Accepter un tel argument équivaudrait à reconnaître qu'il est loisible à une partie de faire échec totalement à une injonction. Cela minerait tout le processus de recours aux tribunaux pour régler des différends. C'est précisément ce que les pouvoirs relatifs à l'outrage au tribunal visent à éviter. [C'est moi qui souligne.]
Accepter en l'espèce l'argument des défendeurs équivaudrait de même à reconnaître qu'il leur était
loisible d'adopter un comportement leur permet- tant de faire échec totalement à l'injonction. Je répète les propos du juge Noël dans l'affaire Dubi- ner, se soumettre à une ordonnance de la Cour, ce n'est pas une guerre d'intelligences.
Il reste deux points litigieux à examiner. La défenderesse Microcom affirme qu'elle a expressé- ment retiré à Parent son pouvoir d'agir en violation de l'ordonnance de la Cour. Elle appuie sa préten- tion sur le fait que tous les employés ont été avisés oralement de se conformer à l'ordonnance et que ceux-ci ont signé un avis en date du 25 juin 1986 qu'avait fait circuler la direction et qui leur inter- disait [TRADUCTION] «de fournir de quelque façon que ce soit des mémoires mortes Apple IIe ou II Plus, ou tout autre logiciel s'y rapportant». Il est extrêmement étrange que cet avis, daté du 25 juin 1986, ait été rédigé deux mois après l'ordonnance de la Cour, mais presqu'en même temps que la visite au magasin des détectives Newell et Keymer le 8 juillet 1986. L'interprétation la plus plausible des événements est que l'avis a été antidaté, mais qu'il a été distribué aux employés une fois que Microcom a été mise au courant de la visite de Keymer et de Nowell. De toute manière, Parent a clairement agi dans les limites de son pouvoir.
Le second point à examiner concerne la contes- tation par l'avocat des défendeurs de la validité des affidavits des détectives. L'avocat fonde sa contes- tation sur l'affaire Peake's Limited v. Higgins (1930), 2 M.P.R. 80 (C.S.N.-B.), en particulier à la page 92. Dans cette affaire, un témoin qui avait présenté une évaluation des dommages causés par une explosion a avoir recours à des notes qu'il avait préparées à partir de renseignements obtenus de deux autres personnes ainsi que de renseigne- ments dont il était lui-même au courant. La Cour a statué que dans la mesure le témoin invoquait des renseignements qu'il avait obtenus de deux autres personnes, son témoignage constituait du ouï-dire. En l'espèce, MM. Nowell et Keymer ont rédigé un rapport dès le lendemain de leur enquête du 8 juillet. Ils l'ont préparé ensemble. Ce rapport a ultérieurement servi à préparer les affidavits signés par les détectives (en particulier celui de Keymer). Ce dernier a consulté le dossier pour se rafraîchir la mémoire avant de signer l'affidavit. La contestation de la validité de cet affidavit n'est pas fondée. Il n'y a aucune raison de croire qu'il contient des informations dont M. Keymer n'était pas personnellement au courant. Il est possible que
le rapport ait contenu des renseignements obtenus de M. Nowell et dont M. Keymer n'était pas au courant personnellement, mais il n'y a aucune raison de croire que ces renseignements ont été repris dans l'affidavit de Keymer.
CONCLUSIONS
Pour ces motifs, j'estime que Michael Lee, la Maison des semiconducteurs, Norman Parent et Microcom ont contrevenu à l'ordonnance de la Cour prononcée le 29 avril 1986. En déterminant le montant des amendes, j'ai tenu compte de la jurisprudence citée par l'avocat des défendeurs, jurisprudence qui indique que l'objectif principal des sanctions imposées dans une situation telle que l'espèce est de faire en sorte que les ordonnances de la Cour soient respectées et non d'infliger une peine aux parties. J'ai également tenu compte des arguments de l'avocat des demanderesses qui, lors du contre-interrogatoire au sujet des affidavits, a été beaucoup plus en mesure que moi d'observer le comportement et d'évaluer le caractère de MM. Lee et Parent. Je souligne qu'avant d'avoir exa- miné ces observations, j'étais prête à imposer une amende beaucoup plus élevée à ces deux individus que ce n'est maintenant le cas. Enfin, en détermi- nant quelles étaient les sanctions appropriées, j'ai tenu compte des circonstances particulières de l'af- faire et du rôle joué par les détectives.
Je rendrai donc une ordonnance imposant à Michael Lee une amende de 500 $ qu'il devra lui-même acquitter, sans qu'il puisse être directe- ment ou indirectement remboursé par son employeur, et une amende de 500 $ à Norman Parent qu'il devra lui-même acquitter, sans qu'il puisse être directement ou indirectement rem- boursé par son employeur. La Maison des semi- conducteurs et Microcom devront consigner à la Cour une somme de 100 000 $ chacune, en dépo- sant la somme requise ou un acte de cautionne- ment, à titre de garantie contre toute contraven tion future. Les défenderesses Microcom et la Maison des semiconducteurs devront payer aux demanderesses leurs dépens taxés ainsi que tous les débours découlant de l'enquête faite par MM. Nowell et Keymer. L'avocat des demanderesses est prié de préparer un projet d'ordonnance pour ma signature, qui respectera les conditions énoncées plus haut et sera approuvé, quant à la forme, par l'avocat des défendeurs.
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