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T-1395-85
Murjani International Limited (appelante)
c.
Universal Impex Co. Ltd. (intimée)
RÉPERTORIÉ: MURJANI INTERNATIONAL LTD. C. UNIVERSAL IMPEX CO.
Division de première instance, juge Dubé— Ottawa, 19 et 28 novembre 1986.
Marques de commerce Enregistrement Opposition Le registraire a décidé que le faible degré de ressemblance entre la marque de l'intimée «Jon Vandervelde» et celle de l'appelante «Gloria Vanderbilt», qui sont toutes deux utilisées en liaison avec des vêtements, n'entraînait pas de confusion Appel La publicité et l'usage peuvent rehausser le caractère distinctif Plus qu'un faible degré de ressemblance Il faut tenir compte de l'imprécision des souvenirs et des effets d'une prononciation négligée La ressemblance quand au son et à la forme est frappante Les lettres «j» et «g» pourraient donner lieu à de la confusion dans un milieu bilingue Le mot «Vanderveldt» constitue une imitation évidente Les tribunaux accordent une protection spéciale aux personnes qui emploient leur nom dans l'exploitation de leur entreprise L'intimée n'a pas réfuté la présomption que, en employant un nom fictif, elle voulait créer de la confusion dans son propre intérêt Appel accueilli Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 6(5), 16(3), 37(8), 56.
Appel est interjeté de la décision par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté l'opposition de l'appelante à la demande de l'intimée visant à faire enregistrer la marque de commerce «Jon Vanderveldt and Design» employée en liaison avec des vêtements. Le registraire a décidé que la marque de commerce de l'intimée ne créait pas de confusion avec les marques de l'appelante «Gloria Vanderbilt», «Gloria Vanderbilt Design» et «GV Design», employées également en liaison avec des vêtements. Selon le registraire, si les marques de commerce sont examinées de façon globale et d'après la première impres sion qu'elles produisent, le degré de ressemblance entre elles est faible. Les traits de dessin respectifs des marques et l'utilisation des différents prénoms tels que «Gloria» et «Jon» faisaient ressortir les différences entre elles.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
Il est bien établi que les lettres et les noms de famille sont des facteurs très secondaires quand il s'agit d'évaluer le caractère distinctif d'une marque et qu'ils ont donc peu besoin d'être protégés. Toutefois, cette Cour a statué que le caractère distinc- tif peut être rehaussé par la publicité et l'usage. En l'espèce, il découle des éléments de preuve non contestés que la signature Vanderbilt et les initiales G.V. ont acquis un très grand carac- tère distinctif sur le marché à la suite de vastes campagnes publicitaires menées au Canada et aux États-Unis. La Cour a statué que, dans l'esprit du public en général, le mot Vanderbilt évoque un nom étranger empreint de distinction et qui est synonyme de prestige et d'élitisme.
À propos du degré de ressemblance entre les marques, la Cour a fait état des remarques bien connues faites par le lord
juge Luxmoore dans la décision anglaise Rysta. Selon Sa Seigneurie, il n'appartient pas à la Cour de «comparer méticu- leusement les deux mots, lettre par lettre et syllabe par syllabe, en les prononçant avec toute la clarté exigée d'un professeur de diction». La Cour doit plutôt «tenir compte de l'imprécision des souvenirs et des effets d'une prononciation ... négligée [ ... chez un client éventuel. Compte tenu de ce principe, les mar- ques litigieuses dénotent plus qu'un faible degré de ressem- blance. La ressemblance phonétique est frappante, car les deux premières syllabes sont identiques et la troisième décline dans chaque cas. L'emploi des lettres «j» et «g» pourrait facilement donner lieu à de la confusion dans un milieu bilingue. Les deux dessins sont présentés sous forme de signatures qui se ressem- blent beaucoup. Le mot «Vanderveldt», un nom de famille fictif, semble une imitation évidente du nom de famille «Vanderbilt».
Les tribunaux accordent aux personnes qui emploient leur propre nom dans l'exploitation de leur entreprise une protection spéciale qui se distingue de celle conférée à une marque de commerce représentant un nom fictif. En l'espèce, Gloria Van- derbilt a prêté son propre nom et, partant, son prestige person nel à l'appelante, tandis que l'intimée a tout simplement inventé un nom pour sa propre marque de commerce, donnant ainsi à présumer qu'en choisissant un nom fictif ressemblant, elle voulait créer de la confusion dans son propre intérêt. Aucun élément de preuve n'a été déposé pour réfuter cette présomp- tion. L'intimée n'a pas non plus tenté de démontrer l'improba- bilité d'une confusion.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
In the matter of an Application by Rysta Ld. to register a Trade Mark (1943), 60 R.P.C. 87 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sarah Coventry Inc. c. Abrahamian et autre (1985), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1" inst.); GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd. (1976), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. 1" inst.); Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital Diversified Industries Ltd. (1977), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.); In the Matter of London Lubricants (1920) Limited.'s Application (1925), 42 R.P.C. 264 (C.A.); Joseph Rodgers & Sons Ld. v. W.N. Rodgers & Co. (1924), 41 R.P.C. 277 (Ch. D.); Marengo v. Daily Sketch and Sunday Graphic Ld. (1948), 65 R.P.C. 242 (H.L.); The American Distilling Company v. Bellows & Company, Inc., 88 USPQ 254 (C.A. Cal. 1951); British American Bank Note Company Limited c. Bank of Ame- rica National Trust and Saving Association, [1983] 2 C.F. 778; 71 C.P.R. (2d) 26 (1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Mani- toba Distillery Ltd. (1976), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1" inst.); Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1; Aristoc Ld. v. Rysta Ld. (1945), 62 R.P.C. 65 (H.L.); Battle Pharmaceuticals v. The British Drug Houses, Limited, [1946] R.C.S. 50; Imperial Tobacco Co. of Canada Ltd. v. Philip Morris Inc. (1976), 27 C.P.R. (2d)
205; Faberge Incorporated and Faberge of Canada Ltd. v. Holiday Magic Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 76; Par- ker-Knoll Limited v. Knoll International Limited, [ 1962] R.P.C. 265 (H.L.); The Hurlbut Company and The Hurlbut Shoe Company, [1925] R.C.S. 141; Burgess v. Burgess, 3 DeG. M. & G. 896 (C.A.).
AVOCAT:
Glen A. Bloom pour l'appelante. Personne n'a comparu pour l'intimée.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l'appelante.
Lapointe Rosenstein, Montréal, pour l'inti- mée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE Dust,: L'appelante («Murjani») inter- jette appel en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce' («la Loi») d'une décision que le registraire des marques de commerce a rendue sous le régime du paragraphe 37(8) de la Loi en vue de rejeter l'opposition de l'appelante à la demande d'enregistrement numéro 456,248 que l'intimée («Universal») avait déposée relativement à la marque de commerce «Jon Vanderveldt & Design».
L'appel est fondé sur deux motifs. En premier lieu, le registraire aurait conclu à tort que la marque de commerce de Universal ne crée aucune confusion avec les trois marques de commerce de Murjani, c'est-à-dire «Gloria Vanderbilt», «Gloria Vanderbilt Design» et «GV Design», et, en second lieu, il aurait décidé à mauvais escient que Univer sal est une personne ayant droit à l'enregistrement de la marque de commerce «ion Vanderveldt & Design».
Depuis 1979, Murjani, société commerciale des 11es Vierges britanniques, emploie au Canada avec le consentement de Mm' Gloria Vanderbilt de New York (États-Unis) la marque de commerce «Gloria Vanderbilt», la marque «Gloria Vanderbilt Design»:
S.R.C. 1970, chap. T-10.
et la marque «GV Design»:
en liaison avec des vêtements.
Le 7 juillet 1980, Universal a déposé au Bureau des marques de commerce du Canada une demande portant le numéro 456,248 en vue de faire enregistrer la marque de commerce projetée suivante:
qui devait être employée en liaison avec des vêtements.
Au cours de l'examen de sa demande, Universal a admis que sa marque de commerce était une invention et qu'à sa connaissance, elle ne représen- tait pas la signature d'une personne vivante ou ayant vécu au cours des trente dernières années. Le 25 mars 1981, Murjani s'est opposée à la demande pour les motifs énoncés plus haut et a déposé quatre affidavits. Le 11 avril 1983, les agents de marques de Universal ont avisé le regis- traire que celle-ci ne présenterait aucune preuve. Le 20 décembre 1983, Murjani a produit une plaidoirie écrite à l'appui de son opposition. Uni versal n'a déposé aucune plaidoirie écrite. Le 30 avril 1985, le registraire a rejeté l'opposition de Murjani en conformité avec le paragraphe 37(8) de la Loi.
Les agents de Universal ont informé la Cour fédérale qu'ils n'assisteraient pas à l'audition de l'appel de la décision rendue par le registraire et ils ont confirmé que leur cliente [TRADUCTION] «n'avait jamais eu l'intention de contester l'appel». Dans des circonstances similaires, le juge Catta- nach a déjà affirmé, dans l'affaire Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba Distillery Ltd. 2 , qu'une telle situation oblige le juge à assumer une tâche «odieuse» qui «en fait presque l'avocat de l'intimée».
Il est bien établi en droit que la décision du registraire relativement aux marques de commerce créant de la confusion revêt une grande impor tance et qu'elle ne doit pas être infirmée sans raison valable, mais l'importance donnée à la déci- sion suivant laquelle le registraire détermine si deux marques de commerce sont semblables au point de créer de la confusion ne doit pas être telle que le juge saisi d'un appel de cette décision soit libéré de son devoir de trancher le litige après avoir examiné avec soin toutes les circonstances perti- nentes (voir Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, aux pages 199 et 200 R.C.S.; 8 et 9 C.P.R.) 3 .
Dans sa décision, le registraire a indiqué à juste titre que la principale question à régler est de savoir si la marque de commerce de la requérante crée de la confusion avec au moins une des mar- ques de commerce de l'opposante (au début du présent appel, l'avocat de Murjani a allégué qu'il y avait confusion avec les marques «Gloria Vander- bilt Design» et «GV Design», mais non avec la marque «Gloria Vanderbilt» écrite en majuscules).
En outre, le registraire a affirmé à bon droit que la date à laquelle il fallait examiner cette question est la date à laquelle Universal a déposé sa demande (le 16 juillet 1980) pour ce qui est du motif d'opposition selon lequel Universal n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement aux termes du paragraphe 16(3) de la Loi, et la date à laquelle a été déposée la déclaration d'opposition (le 25 mars 1981) pour ce qui est du motif d'oppo- sition selon lequel la marque de commerce de la requérante n'a pas de caractère distinctif 4 .
2 (1976), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1`° inst.). ' [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1.
4 (1985), 5 C.P.R. (3d) 115.
De plus, il a signalé avec raison qu'en ce qui concerne le premier motif d'opposition, Murjani a le fardeau initial de prouver qu'elle a employé sa marque de commerce avant la date du dépôt de la demande de Universal et qu'elle n'avait pas aban- donné sa marque à l'époque. À ce propos, il a conclu à bon droit que les éléments de preuve déposés par Murjani lui avaient nettement permis de se décharger de ce fardeau.
Il a également décidé que, [TRADUCTION] «par leur genre, les marchandises et activités commer- ciales des parties sont très semblables». Il a estimé qu'il y avait un [TRADUCTION] «certain degré de ressemblance entre les marques de commerce» et a décrit avec justesse leurs traits communs la page 118]:
[TRADUCTION] Les deux premières syllabes des noms de famille «Vanderbilt» et «Vanderveldt» sont identiques et la troisième syllabe se prononce de façon similaire. Plus spéciale- ment, comme la lettre «g» en français se prononce comme le «j» en anglais et vice versa, il y a une grande ressemblance entre les initiales «jv» et «gv».
Toutefois, il a indiqué plus loin que les noms de famille et les lettres sont des facteurs très secon- daires en ce qui concerne le caractère distinctif d'une marque et, pour ces motifs, il a conclu, comme suit, que la marque de commerce de Uni versal ne créait pas de confusion la page 118]:
[TRADUCTION] Néanmoins, il est bien établi que les noms de famille et les lettres sont des facteurs très secondaires quand il s'agit d'évaluer le caractère distinctif d'une marque. L'homme ordinaire est habitué à faire des distinctions assez subtiles entre des lettres différentes et entre des noms de famille différents. Pour cette raison, les différences existant entre la marque de commerce de la requérante et celles de l'opposante et, en particulier, les divers traits de dessin et l'utilisation du prénom «Jon» au lieu du prénom «Gloria» ont une importance relative- ment plus grande. Si la marque de commerce de la requérante et celles de l'opposante sont examinées de façon globale et d'après la première impression qu'elles produisent, je pense que le degré de ressemblance entre elles est faible. Par conséquent, malgré l'emploi par l'opposante de ses marques de commerce et la publicité qu'elle leur a faite au Canada et même si, par leur genre, les marchandises et activités commerciales des parties sont très semblables, je suis persuadé que la marque de com merce de la requérante ne crée de confusion avec aucune marque de l'opposante au sens de l'art. 6 de la Loi sur les marques de commerce. Par conséquent, je rejette les motifs d'opposition de Murjani selon lesquels la requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement et la marque de com merce de cette dernière n'a pas de caractère distinctif.
Les éléments à examiner pour décider si des marques de commerce créent de la confusion sont
énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, que je me permets de reproduire intégralement pour des rai- sons de facilité:
6....
(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, la cour ou le registraire, selon le cas, doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris
a) le caractère distinctif inhérent des marques de com merce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre des marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce; et
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.
Avant d'examiner séparément chacun des ali- néas de ce paragraphe, il est important d'énoncer de nouveau les principes bien connus établis par le lord juge Luxmoore dans In the Malter of an Application by Rysta Ld. to register a Trade Mark':
[TRADUCTION] C'est la personne qui ne connaît que ce mot et ne s'en souvient peut-être pas parfaitement qui risque de se tromper ou de confondre les marques. Par conséquent, il est presque inutile de comparer méticuleusement les deux mots, lettre par lettre et syllabe par syllabe, en les prononçant avec toute la clarté exigée d'un professeur de diction.
La Cour doit soigneusement tenir compte de l'imprécision des souvenirs et des effets d'une prononciation et d'une élocu- tion négligées tant chez la personne qui cherche à acheter une marchandise d'après sa description commerciale que chez le commis de magasin qui s'occupe de ce client.
a) Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues
Au départ, je dois conclure que les quatre affi davits déposés par Murjani doivent être admis en preuve parce que les déposants n'ont pas été con- tre-interrogés 6 . Selon moi, les preuves non contes-
5 (1943), 60 R.P.C. 87 (C.A.), à la p. 108. Ce principe a été approuvé par la Chambre des lords dans l'affaire Aristoc Ld. v. Rysta Ld. (1945), 62 R.P.C. 65, et par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Battle Pharmaceuticals v. The British Drug Houses, Limited, [1946] R.C.S. 50.
6 Voir Imperia! Tobacco Co. of Canada Ltd. v. Philip Morris Inc. (1976), 27 C.P.R. (2d) 205, la p. 208; Faberge Incorpo rated and Faberge of Canada Ltd. v. Holiday Magic Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 76, la p.78.
tées que Murjani a déposées indiquent que, par suite de vastes campagnes publicitaires menées tant aux États-Unis qu'au Canada, les marques «Gloria Vanderbilt Design» et «GV Design» étaient déjà très connues dans notre pays avant la date de dépôt de la demande de Universal. En consé- quence, le chiffre des ventes réalisées aux États- Unis et au Canada montait en flèche.
Selon Hannah North, directrice générale du service des marchandises de The T. Eaton Co. Ltd., [TRADUCTION] «la marque Gloria Vander- bilt était déjà connue d'une foule de clients cana- diens en juillet 1980» et l'emploi de la marque de commerce projetée Vanderveldt [TRADUCTION] «en liaison avec des vêtements créerait probable- ment de la confusion parmi les consommateurs canadiens relativement à l'origine des vêtements».
D'après l'affidavit de Kaisar Ahmad, premier vice-président de Murjani, celle-ci [TRADUCTION] «était à la recherche d'une marque de commerce de prestige» et elle a choisi le nom Vanderbilt qui, à l'époque, était déjà bien connu aux États-Unis et dans d'autres pays. Gloria Vanderbilt, couturier jouissant d'une certaine renommée, était l'arrière- arrière-petite-fille du Commodore Cornelius Van- derbilt, fondateur d'un vaste empire ferroviaire aux États-Unis. Les vêtements Gloria Vanderbilt [TRADUCTION] «remportèrent un succès immédiat sur le marché américain». Au départ, en 1978, les ventes totales s'élevaient à 6 700 000 $ US et elles ont augmenté au point d'atteindre le chiffre de 168 750 000 $ US en 1981. Les ventes réalisées au Canada au cours de cette même année ont été de 1 000 000 $ US. Les frais de publicité engagés au Canada au cours de la même année s'élevaient à 400 000 $ US.
L'assertion du registraire selon laquelle les let- tres et les noms de famille sont des facteurs très secondaires quand il s'agit d'évaluer le caractère distinctif d'une marque et qu'ils ont donc peu besoin d'être protégés est bien établie. Cependant, le caractère distinctif des marques de commerce peut être rehaussé par la publicité et l'usage.
Dans l'affaire Sarah Coventry Inc. c. Abraha- mian et autre', j'ai conclu que la marque de commerce «Zaréh» ne crée pas de confusion avec la
7 (1985), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1" inst.).
marque de commerce «Sarah». À la lumière de la décision GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd.', j'ai également conclu que «le caractère dis- tinctif attribué à une marque faible peut être rehaussé par un usage étendu».
Dans la cause GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd. (précitée), le juge Cattanach a affirmé ce qui suit (page 167):
Toutefois, une marque «faible« peut acquérir un caractère distinctif par un usage intense et prolongé. Pour les motifs ci-dessus mentionnés, j'estime que l'appelante n'a pas prouvé que sa marque de commerce a acquis un caractère distinctif.
Dans l'affaire Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital Diversified Industries Ltd. 9 , le juge Blair, de la Cour d'appel de l'Ontario, s'est reporté à la décision du juge Cattanach dans la cause précitée et a signalé que dans cette affaire, la marque de commerce «GSW» en lettres majuscules [TRADUCTION] «pratiquement sans ornement» était faible, mais il a conclu la page 183) que [TRADUCTION] «le résultat aurait peut-être été différent si la marque avait compris non seulement des lettres de l'alphabet mais aussi des traits de dessin lui donnant un plus grand caractère distinc- tif». En l'espèce, le nom.Vanderbilt et les initiales sont présentés sous forme de signature et, d'après les éléments de preuve non contestés dont j'ai déjà fait état, la signature Vanderbilt et les initiales G.V. ont acquis un très grand caractère distinctif sur le marché à la suite de campagnes publicitaires intensives menées dans les deux pays. En outre, la preuve indique que la campagne de publicité menée aux Etats-Unis a eu des retombées au Canada.
Dans mon esprit et, à mon avis, dans l'esprit du public en général, le mot Vanderbilt paraît un nom étranger empreint de distinction, vraisemblable- ment d'origine hollandaise, et qui est synonyme de prestige et d'élitisme.
b) La période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage
La marque «Gloria Vanderbilt Design» a été employée au Canada depuis le milieu de 1979 et la marque «GV Design» dès le 19 mars 1980. Aucun
8 (1976), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. inst.). 9 (1977), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.).
élément de preuve n'indique que la marque «Jon Vanderveldt & Design» a jamais été employée. En l'absence de preuve concernant l'emploi de la marque Vanderveldt, Murjani n'est pas tenue de produire des preuves de confusion réelle entre les marques.
c) Le genre des marchandises
Les marchandises des deux parties sont des vêtements.
d) La nature du commerce
Selon la preuve, les marchandises de Murjani sont vendues aux consommateurs canadiens dans les grands magasins à travers le pays. Aucun élément de preuve n'indique et comment Uni versal vendrait ses marchandises.
e) Le degré de ressemblance entre les marques de commerce, dans la présentation, le son ou les idées qu'elles suggèrent
Le registraire a conclu qu'il y avait un «certain degré de ressemblance» entre les marques. Je dirais même plus. A première vue, le mot Vanderveldt m'a semblé une imitation évidente du nom de famille Vanderbilt. Les deux mots s'écrivent et se prononcent d'une façon tellement semblable que le premier, qui n'est le nom de famille de personne, a été manifestement créé dans le but de ressembler étroitement au second sans lui être toutefois identique.
En outre, les deux dessins sont présentés sous forme de signatures qui se ressemblent beaucoup ou en tout cas suffisamment, à mon avis, pour créer de la confusion à première vue. Par ailleurs, il est difficile de trouver des paires de lettres de l'alphabet qui se ressemblent autant que les initia- les «JV» et «GV». Comme le registraire l'a signalé, l'emploi des lettres «J» et «G» pourrait facilement donner lieu à de la confusion dans un milieu bilingue. Certaines personnes bilingues hésitent un moment avant de prononcer le «j» ou le «g» dans l'une ou l'autre langue afin d'éviter toute erreur de prononciation. Je sais que cela m'arrive souvent.
Si nous reprenons l'énoncé bien connu du lord juge Luxmoore, il n'appartient pas au tribunal de
«comparer méticuleusement les deux mots, lettre par lettre et syllabe par syllabe, en les prononçant avec toute la clarté exigée d'un professeur de diction». La Cour doit «tenir compte de l'impréci- sion des souvenirs et des effets d'une prononciation ... négligée [ ... tant chez le client éventuel «que chez le commis de magasin qui s'occupe de ce client».
La ressemblance phonétique des deux marques est encore plus frappante, car leurs deux premières syllabes sont identiques et la troisième décline dans chaque cas. Comme l'a affirmé le lord juge Sar- geant dans l'affaire In the Matter of London Lubricants (1920) Limited.'s Application 10 :
[TRADUCTION] . .. en outre, comme les personnes qui parlent l'anglais ont tendance à mal articuler la terminaison des mots, il s'ensuit nécessairement que le commencement d'un mot est accentué d'autant plus et il me semble que, de façon générale, la première syllabe d'un mot est de loin la plus importante pour les besoins de distinction.
Autres circonstances de l'espèce (paragraphe 6(5))
De nombreux textes législatifs et jurispruden- tiels accordent aux personnes qui emploient leur nom dans l'exploitation de leur entreprise une protection spéciale qui se distingue de celle confé- rée à une marque de commerce représentant un nom fictif. Dans l'affaire Joseph Rodgers & Sons Ld. v. W.N. Rodgers & Co.", le juge Romer, de la Haute Cour de justice d'Angleterre, a traité des règles de droit applicables à l'espèce et a affirmé ce qui suit la page 291):
[TRADUCTION] Après avoir tiré une telle conclusion de fait, il faut se demander quelles règles de droit s'appliquent en l'espèce. Je pense que ces règles peuvent être énoncées très simplement. Les lois de notre pays prévoient que personne n'a le droit d'exploiter une entreprise de manière à faire croire qu'il s'agit de l'entreprise d'autrui ou qu'elle y est liée d'une façon quelconque; telle est la première règle. D'après la seconde règle, personne n'a le droit de décrire ou de marquer ses marchandises de manière à les faire passer pour celles d'autrui. A mon avis, il y a une exception à la première règle: toute personne a, selon moi, le droit d'exploiter une entreprise sous son propre nom tant qu'elle ne fait rien pour créer de la confusion avec l'entreprise d'autrui et tant qu'elle agit d'une façon honnête. Cette excep tion à la règle a été établie par nécessité.
Dans l'affaire Parker - Knoll Limited v. Knoll
° (1925), 42 R.P.C. 264, à la p. 279. '' (1924), 41 R.P.C. 277 (Ch. D.).
International Limited 12 , lord Morris of Borth -y- Gest a énoncé six propositions qui s'appliquent en l'espèce. Dans l'énoncé de sa quatrième proposi tion, il a cité à l'appui les commentaires du juge Romer dans le jugement précité ainsi que les motifs de lord Simonds, qui s'est exprimé comme suit dans la cause Marengo v. Daily Sketch and Sunday Graphic Ld." la page 251):
[TRADUCTION] Comme le veut le principe général tout à fait irréfutable, l'intérêt des commerçants honnêtes et de toute la population exige que les marchandises de A ne soient pas confondues avec celles de B. Toutefois, ce principe est assorti d'une réserve portant que toute personne a le droit de faire commerce sous son propre nom et que, si l'exercice de ce droit a pour inconvénient de causer une certaine confusion, cet incon- vénient est moindre que celui de priver un particulier de ce qui semblerait un droit naturel et inhérent. Néanmoins ... il faut dire que cette réserve bien connue serait remarquablement exagérée si elle permettait à un commerçant d'apposer sur ses marchandises une marque qui, même si elle n'a pour seul objet que de représenter son nom, risque malgré tout d'évoquer le nom d'une autre personne dans l'esprit d'une personne sensée.
Dans l'arrêt The Hurlbut Company and The Hurlbut Shoe Company 14 , la Cour suprême du Canada la page 147] a cité un extrait des motifs du lord juge Turner dans l'affaire Burgess v. Burgess 15 la page 904] et y a vu une règle de droit incontestable:
[TRADUCTION] Si une personne vend des marchandises sous un nom particulier et si une autre personne qui ne porte pas ce nom l'emploie elle aussi, on peut présumer que cette dernière utilise ce nom pour faire croire que les marchandises qu'elle vend sont celles de la personne dont elle emploie le nom; toutefois, si le défendeur vend des marchandises sous son propre nom et s'il se trouve que le demandeur porte lui aussi ce nom, il ne s'ensuit pas que le défendeur vend ses marchandises en les faisant passer pour celles du demandeur.
Enfin, dans l'affaire The American Distilling Company v. Bellows & Company, Inc. 16 , la Cour d'appel de district de la Californie s'est exprimée comme suit la page 259):
[TRADUCTION] La présente cause porte sur l'emprunt du nom de famille d'un particulier qui n'a aucune participation dans le commerce de l'appelante.
Les tribunaux sont prêts à faire certains efforts pour protéger les droits que détient un particulier à son propre nom de famille
12 [1962] R.P.C. 265 (H.L.), à la p. 279.
13 (l948), 65 R.P.C. 242 (H.L.).
14 [1925] R.C.S. 141.
15 3 DeG. M. & G. 896 (C.A.).
16 88 USPQ 254 (C.A. Cal. (1951)).
Par conséquent, il faut se rappeler que si le nom de l'appelante était «Fellows», elle jouirait d'un droit à ce nom que les tribunaux protégeraient de leur mieux. Cependant, dans la présente affaire, l'appelante avait un choix illimité et elle se devait de choisir un nom qui ne soit pas considéré comme une imitation trompeuse d'une autre marque de commerce.
En l'espèce, il faut se rappeler que Gloria Van- derbilt a prêté son propre nom et, partant, son grand prestige personnel à Murjani pour lui per-
mettre de s'en servir dans sa marque de commerce, tandis que Universal a tout simplement inventé un nom pour sa propre marque de commerce, donnant ainsi à présumer qu'en choisissant un nom fictif ressemblant, elle voulait créer de la confusion dans son propre intérêt. Aucun élément de preuve n'a été déposé en vue de réfuter cette présomption. Par ailleurs, les preuves non contredites indiquent que Murjani a agi honnêtement en exploitant son entreprise sous sa marque de commerce bien précise.
Si Universal avait comparu à l'audition, elle aurait peut-être prétendu que, dans les cas une partie s'oppose à l'enregistrement d'une marque de commerce pour des motifs d'usage antérieur, il appartient à celle-ci de prouver qu'elle a acquis une certaine notoriété commerciale liée à une marque distinctive. Le juge Cattanach a examiné cette même prétention dans l'affaire British Ame- rican Bank Note Company Limited c. Bank of America National Trust and Saving Association''. Voici ce qu'il a affirmé (aux pages 792 C.F.; 35 C.P.R.):
À mon avis, cette déclaration simplifie trop les choses.
C'est au requérant de l'enregistrement d'une marque de commerce qu'il appartient de prouver qu'il y a droit et cette obligation qui incombe en tout temps à ce dernier (voir Eno v. Dunn (1890), 15 App. Cas. 252 [H.L.]) comprend également celle de prouver qu'il est peu probable que la marque crée de la confusion.
Une obligation ne passe jamais d'une personne à une autre mais le fardeau de la preuve peut être renversé. Le requérant peut réfuter la preuve présentée par l'opposant.
En l'occurrence, la requérante Universal n'a même pas tenté de démontrer l'improbabilité d'une confusion et elle n'a fait aucun effort pour réfuter la preuve présentée par l'opposante Murjani.
Pour tous ces motifs, l'appel est accueilli avec dépens.
17 [1983] 2 C.F. 778; 71 C.P.R. (2d) 26 (1« inst.).
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