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A-914-85
Amway of Canada Limited/Amway du Canada Ltée (appelante) (défenderesse)
c.
La Reine (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIÉ: CANADA C. AMWAY OF CANADA LTD.
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone— Montréal, 1, 2, 3, 4 décembre; Ottawa, 18 décem- bre 1986.
Douanes et accise Loi sur les douanes Un défendeur accusé d'une infraction prévue à la Loi sur les douanes peut être contraint à la production de documents Le privilège contre l'auto-incrimination ne s'étend pas à la production de documents Le droit à la non-production de documents dans les actions pénales a été aboli par l'art. 170 de la Loi Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 2(2), 448, 453, 455(2) Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 18, 170, 180, 192(1)b),c),(2) Acte des douanes modifié, 1888, 51 Vict., chap. 14 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 11c) Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents L'obligation pour un défendeur accusé en vertu de la Loi sur les douanes de produire des documents ne porte pas atteinte au privilège contre l'auto-incrimination Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 2(2), 448, 453, 455(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 52b) Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 18, 170, 180, 192(1)b),c),(2) Acte des douanes modifié, 1888, 51 Vict., chap. 14.
L'action, fondée sur la Loi sur les douanes, recherche l'impo- sition d'une peine contre l'appelante en alléguant que celle-ci aurait tenté d'éviter le paiement des droits de douanes relatifs à des marchandises importées au Canada. Appel est interjeté de l'ordonnance interlocutoire de la Division de première instance ordonnant à l'appelante de produire certains documents.
Arrêt: l'appel concernant la question principale devrait être rejeté.
Le juge Mahoney: L'action est une action pénale dans laquelle l'appelante est une personne accusée d'infraction. L'ap- pelante, même si elle ne peut être contrainte à témoigner, peut être contrainte à la production de documents. La production de documents ne peut être considérée comme semblable au fait de rendre témoignage. Les documents parlent par eux-mêmes. Le principe contre l'auto-incrimination ne s'étend pas à la produc tion de documents, et la Charte n'y change rien.
Le juge Stone: La présente action recherche l'imposition d'une peine pour une infraction. Normalement, dans de telles circonstances, une partie défenderesse ne peut être contrainte à la production de documents. Toutefois, l'article 170 de la Loi
sur les douanes a mis fin à ce privilège. Bien que la Loi n'ait pas expressément aboli ce droit issu de la common law, l'obliga- tion de produire les documents a été énoncée en des termes très larges, qui ne laissent place à aucune réserve.
L'alinéa 11c) de la Charte ne s'applique pas à la production de documents. Il a pour objet de protéger un inculpé en lui évitant d'être contraint de «témoigner contre lui-même» dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Marcoux et autre c. La Reine, [ 1976] 1 R.C.S. 763; Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.); Burton v. Young (1867), 17 L. C. Rep. 379 (Sup. Ct.); Hunnings v. Williamson (1883), 10 Q.B.D. 459; Mexborough (Earl of) v. Whitwood Urban District Council, [1897] 2 Q.B. 111 (C.A.); Martin v. Treacher (1886), 16 Q.B.D. 507 (C.A.); Pickerel River Improvement Company v. Moore et al. (1896), 17 P.R. 287 (Ont.); Rose v. Croden (1902), 3 O.L.R. 383 (Div. Ct.); The King v. The Associated Northern Collieries and Others (1910), 11 C.L.R. 738 (H.C. of Adm. Austr.); Colne Valley Water Company v. Watford Gas and St. Albans Gas Company, [1948] 1 All E.R. 104 (C.A.); Pyneboard Pty Ltd. v. Trade Practices Commission and Another (1983), 45 A.L.R. 609 (H.C. of Adm. Austr.); Trade Practices Commission v. TNT Management Pty Ltd. and Others (1984), 53 A.L.R. 213 (F.C. of A.); Triplex Glass Company, Limited v. Lance- gaye Safety Glass (1934), Limited, [1939] 2 K.B. 395 (C.A.); Blunt v. Park Lane Hotel, Limited et al., [1942] 2 K.B. 253 (C.A.),
AVOCATS:
Guy Du Pont et Marc Noël pour l'appelante
(défenderesse).
Edward R. Sojonky, c.r. et Michael F. Cia-
vaglia pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Verchère, Noël et Eddy, Montréal, pour l'ap-
pelante (défenderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il est interjeté appel d'une ordonnance interlocutoire [[1986] 2 C.F. 312 (]re
inst.)] par la seconde des deux parties défenderes- ses à l'action décrite dans les motifs concourants de jugement que j'ai prononcés dans l'appel numéro A-365-86 [[1987] 2 C.F. 131], interjeté par la première de ces défenderesses. Pour les
motifs prononcés dans le cadre de cet appel, j'ac- cepte la proposition voulant que l'action soit une action pénale et que, dans cette action, l'appelante soit un inculpé ou une personne accusée d'infrac- tion. L'ordonnance portée en appel est la suivante:
LA COUR ORDONNE QUE la défenderesse Amway of Canada Limited produise, aux fins de la présente action, les documents énumérés à l'Annexe I, Partie 11, Partie B, de la liste de documents qu'elle a déposée le 12 août 1985.
L'appelante présente à l'encontre de l'ordon- nance une objection irréfragable. Les documents énumérés à l'Annexe I, Partie II, Partie B, sont des documents à la production desquels l'appelante s'est opposée en alléguant qu'elle porterait atteinte à son droit de ne point s'auto-incriminer. Cette objection a été rejetée. L'appelante a par ailleurs invoqué avec succès à l'égard de plusieurs de ces documents le privilège du secret professionnel de l'avocat. L'ordonnance devrait donc être modifiée de façon à radier de la liste des documents à produire ceux faisant l'objet du privilège du secret professionnel de l'avocat.
Une seconde objection confine à la futilité. L'ap- pelante s'oppose à la présence de l'expression «aux fins de la présente action> dans l'ordonnance. La Règle 455(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] parle de «la production et l'examen» des documents et de la possibilité «qu'il en soit pris copie». Je veux bien croire que le rédacteur de l'avis de requête, dont l'ordonnance a adopté la terminologie, n'était animé par aucune mauvaise intention; toutefois, cette objection ayant été soule- vée, il convient de modifier cette ordonnance en radiant les termes incriminés et en les remplaçant par «pour examen et pour qu'il en soit pris copie au bureau de l'avocat de l'appelante, à Montréal».
L'appelante fait valoir comme argument princi pal qu'en sa qualité de personne accusée d'infrac- tion, elle ne peut être contrainte de rendre témoi- gnage et, en conséquence, elle ne peut être contrainte à la production des documents visés. La fausseté de cet argument tient au fait qu'une partie ne rend pas témoignage en se conformant à une prescription visant la production de docu ments. La valeur probante de ces documents, le cas échéant, leur est inhérente: ils parlent par eux- mêmes. La possibilité que ces documents consti tuent une preuve défavorable à la personne tenue de les produire ne dépend aucunement de ce que
cette personne a à dire à leur sujet. Cette dernière, si elle est accusée d'infraction, ne peut être con- trainte à en parler d'aucune manière.
L'argument de l'appelante est semblable à celui qui a été rejeté dans les jugements motivés pronon- cés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763 et par cette Cour dans l'affaire Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.). Dans la pre- mière de ces décisions, le juge Dickson (tel était alors son titre), a résumé à la page 769, le droit applicable à cette question dans les termes suivants:
En résumé, le privilège s'applique à l'accusé en tant que témoin et non pas en tant qu'accusé; il s'applique particulièrement à la contrainte de témoigner et non pas à la contrainte en général
Dans le second arrêt, à la page 639, le juge Hugessen a expliqué la raison d'être de cette règle de droit.
La raison d'être du privilège contre l'auto-incrimination est d'empêcher que des personnes soient interrogées au cours de procédures d'enquête et poursuivies ensuite en raison de leurs réponses. Il constitue la contrepartie logique aux règles relatives à l'admissibilité des aveux. Le but du privilège n'est certaine- ment pas d'empêcher que les témoins soient contraints de produire ce qui, de toute façon, pourrait leur être pris de force. Un accusé ne peut être contraint de témoigner dans sa propre cause et, par conséquent, il a le droit d'être protégé contre les conséquences de son témoignage dans la cause d'une autre personne; il ne bénéficie pas de protection contre l'usage contre lui-même des documents ou objets trouvés en sa possession, et il n'a donc pas le droit de refuser de les produire lorsqu'on le lui demande.
Bien que les faits visés par ces décisions fussent, dans un cas comme dans l'autre, antérieurs à l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], je ne vois rien dans cette dernière qui appuie le moyen de l'appelante.
Je modifierais l'ordonnance de la Division de première instance de la manière prémentionnée conformément à l'alinéa 52b) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], et je rejetterais l'appel à tous autres égards. Les deux parties ayant partiellement gain de cause, je n'adjugerais point de dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté de la déci- sion de la Division de première instance en date du 29 novembre 1985 par laquelle le juge Reed a accueilli la requête de l'intimée enjoignant à l'ap- pelante de produire quelque trente-trois documents énumérés à l'Annexe I, Partie II, Partie B de la liste de documents qu'elle a déposée le 6 août 1985 en vertu de la Règle 448.
Je souscris aux deux propositions du juge Maho- ney visant la modification de l'ordonnance de la Division de première instance. En ce qui a trait à la production des documents visés, l'appelante fait trois assertions au sujet desquelles je désire me prononcer. Celles-ci sont les suivantes:
a) Un principe de droit reconnu veut que le demandeur dans une action recherchant l'imposi- tion d'une peine pour une infraction n'ait pas le droit d'exiger du défendeur la communication de documents;
b) Un autre principe de droit reconnu veut qu'un défendeur puisse refuser de produire pour fins d'examen tout document susceptible de le rendre passible d'une sanction, d'une amende ou d'une confiscation;
c) Ni l'un ni l'autre de ces principes n'a été aboli par une loi en vigueur au Canada, et si une loi prétendait le faire, elle devrait être considérée comme incompatible avec l'alinéa 11c) de la Charte canadienne des droits et libertés et, en conséquence, dénuée de force de loi et sans effet dans la mesure de cette incompatibilité.
Je discuterai de ces assertions tour à tour.
Le premier principe ne s'applique à l'espèce que si l'action recherche l'imposition d'une peine pour une infraction. J'estime que c'est le cas. Cette action est fondée sur la violation alléguée des articles 18 et 180 ainsi que des alinéas 192(1)b) et c) de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40. Il ressort à l'évidence des termes «en sus de tout autre peine dont elle est passible pour une infraction de cette nature» (c'est moi qui souligne),
qui figurent au paragraphe 192(2)', qu'une peine a été prévue. L'intimée, en fait, affirme que des infractions ont été commises et s'appuie sur la loi pour réclamer l'imposition d'une peine. Celle-ci est une sanction infligée en raison de la conduite de l'appelante. Il ne s'agit pas simplement d'un redressement civil permettant le recouvrement de quelques droits et taxes de douane impayés. La sanction peut également être imposée sur déclara- tion sommaire de culpabilité.
La question qui se pose devient donc celle de savoir si le privilège juridique invoqué dans la proposition énoncée sous la cote a) existe toujours, de façon à priver l'intimée du droit à la communi cation préalable des documents. Un tel privilège ne doit pas être confondu avec le privilège contre l'auto-incrimination issu de la common law qui a été invoqué et figure plus haut sous la cote b). Même si ces deux privilèges se trouvent habituelle- ment réunis sous la rubrique [TRADUCTION] «auto-incrimination», ils diffèrent essentiellement et sont d'origines distinctes 2 . Le premier est reconnu au Canada depuis de nombreuses années (Burton v. Young (1867), 17 L. C. Rep. 379 (Sup. Ct.)).
Dans l'affaire Hunnings v. Williamson
(1883), 10 Q.B.D. 459, aux pages 462 464, la Division du Banc de la Reine a annulé une ordon- nance d'un protonotaire exigeant la communica tion préalable de documents de la partie défende- resse dans une action visant le recouvrement d'amendes conformément à une loi. Il semble qu'aient alors existé [TRADUCTION] «deux règles de droit» ayant fait partie de la common law anglaise [TRADUCTION] «depuis des temps immé- moriaux», selon les termes utilisés par lord Esher, Maître des rôles, dans l'affaire Mexborough (Earl of) v. Whitwood Urban District Council, [1897] 2
' 192. .. .
(2) En sus de toute autre peine- dont elle est passible pour
une infraction de cette nature, cette personne,
a) doit remettre une somme égale à la valeur de ces mar- chandises, laquelle somme peut être recouvrée devant tout tribunal compétent; et
b) sur déclaration sommaire de culpabilité devant deux juges de paix, est de plus passible d'une amende d'au plus deux cents dollars et d'au moins cinquante dollars, ou d'un empri- sonnement d'au plus un an et d'au moins un mois, ou à la fois de l'amende et de l'emprisonnement.
2 Voir, par exemple, Cross on Evidence, 6th ed., (London: Butterworths, 1985) aux p. 380 et 381.
Q.B. 111 (C.A.), aux pages 114 et 115. À cette dernière page, lord Esher décrit ces règles de la façon suivante:
[TRADUCTION] Suivant la première règle, lorsqu'un indicateur [common informer] intente une action en vue de faire rentrer une amende, les procédures judiciaires ne lui seront d'aucune utilité; je crois qu'une règle semblable a été établie et suivie depuis le tout début en ce qui a trait aux actions intentées pour obtenir la déchéance d'un droit foncier. Il ne fait aucun doute que ce sont des règles de procédure, mais il s'agit de beaucoup plus que cela: ce sont des règles destinées à protéger les biens des personnes et à protéger celles-ci contre les indicateurs.
En Angleterre, à une époque plus reculée, les actions visant le recouvrement d'amendes étaient parfois intentées par des [TRADUCTION] «indica- teurs» (common informer). L'indicateur était un membre du grand public habilité à intenter une poursuite par la loi imposant l'amende. Il pouvait soit conserver le montant entier recouvré, soit, si le recouvrement avait lieu au profit du Souverain, des pauvres, etc., partager ce montant. Dans ce dernier cas, il s'agissait d'une action qui tam ou d'une action à caractère purement pénal'. Les tribunaux était si méfiants envers l'indicateur qu'ils refusaient de l'aider dans sa cause. Le défen- deur n'était point obligé de produire ses documents ou de se soumettre à des interrogatoires, et pouvait demeurer muet lors de son procès. Commentant la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Martin v. Treacher (1886), 16 Q.B.D. 507, qui avait refusé la communication préalable de docu ments dans le cadre d'une action visant le recou- vrement d'une amende, lord Esher, Maître des rôles, a dit à la page 115 de l'arrêt Mexborough:
[TRADUCTION] Dans cette affaire, il a été décidé qu'il existe une règle de droit qui soustrait les actions en recouvrement d'amendes intentées par un indicateur à la procédure applicable à l'interrogatoire préalable et à la communication de docu ments. Cette règle ne repose pas sur un fondement reconnu uniquement en equity mais sur une règle de droit à caractère général applicable à la fois par les cours de common law et les cours d'equity. Le principe établi par cette règle est également applicable à la communication préalable de documents par affidavit et à l'interrogatoire préalable. Il a été décidé qu'il ne pouvait être fait appel aux procédures visant l'interrogatoire préalable et la communication préalable dans le cadre d'une action intentée par un indicateur.
Voir, de façon générale, 3 Black. Comm. 4th Eng. ed. (Kerr), à la p. 149. Les indicateurs étaient régis par une loi adoptée en 1576: «An act to redress disorders in common informers», 18 Eliz., chap. 5.
La même opinion a été exprimée par lord juge A. L. Smith à la page 118. Ainsi le principe invoqué a-t-il été bien établi à la fois en common law et en equity.
L'action en l'espèce vise l'imposition d'une amende. De nos jours, le fait qu'elle ne soit pas intentée par un indicateur ne change rien à la question. Ce qui importe est la nature de l'ins- tance. Si celle-ci a pour seul objet le recôuvrement d'une amende, le défendeur, sauf si une loi le prescrit, n'est pas tenu à une communication préa- lable de ses documents (voir, par exemple, Pickerel River Improvement Company v. Moore et al. (1896), 17 P.R. 287 (Ont.); Rose v. Croden (1902), 3 O.L.R. 383 (Div. Ct.), à la page 387; The King v. The Associated Northern Collieries and Others (1910), 11 C.L.R. 738 (H.C. of Adm. Austr.); Colne Valley Water Company v. Watford Gas and St. Albans Gas Company, [1948] 1 All E.R. 104 (C.A.) motifs de lord Goddard, juge en chef, à la page 106; Pyneboard Pty Ltd. v. Trade Practices Commission and Another (1983), 45 A.L.R. 609 (H.C. of Adm. Austr.), opinion du juge en chef adjoint Mason ainsi que des juges Wilson et Dawson, aux pages 613 et 614, opinion du juge Murphy à la page 621 et opinion du juge Brennan aux pages 624 et 625; Trade Practices Commission v. TNT Management Pty Ltd. and Others (1984), 53 A.L.R. 214 (F.C. of A.), aux pages 217 et 218).
Quant au principe invoqué dans la proposition exposée sous la cote b) précitée, il constitue en somme un aspect de l'ancien privilège contre l'auto-incrimination issu de la common law (voir, par exemple, Triplex Glass Company, Limited v. Lancegaye Safety Glass (1934), Limited, [1939] 2 K.B. 395 (C.A.), opinion de lord juge Du Parcq, à la page 403; Blunt v. Park Lane Hotel, Limited et al., [1942] 2 K.B. 253 (C.A.), opinion de lord juge Goddard, à la page 257). Au Canada, ce privilège a été amenuisé par le droit écrit. Dans les disposi tions législatives qui l'énoncent (l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] ainsi que les dispositions législatives provin- ciales équivalentes), il a une portée moindre que celle qu'il a déjà eue selon la common law (voir Marcoux et autre c. La Reine, [ 1976] 1 R.C.S. 763, le juge Dickson [tel était alors son titre], aux pages 768 et 769; Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F.
608 (C.A.); voir également Ratushny, Self-Incri mination in the Canadian Criminal Process
(Toronto: Carswell, 1979) la page 92). Je suis entièrement d'accord avec le juge Mahoney pour dire que l'appelante ne peut invoquer ce privilège pour refuser de produire les documents visés.
J'examinerai donc à présent la question sui- vante, qui consiste à savoir si le privilège exposé sous la cote a) a été aboli au Canada. L'article 170 de la Loi sur les douanes est pertinent à cet égard. Cet article, qui a été ajouté à la Loi en 1888 (51 Vict., chap. 14), est ainsi libellé:
170. Lorsqu'une poursuite est intentée sous le régime de la présente loi, ou qu'un ordre de la cour est obtenu, tous les comptes, factures, livres et documents concernant quelque mar- chandise importée à laquelle se rapporte cette poursuite ou cet ordre, doivent être produits en cour, ou devant toute personne que la cour désigne, et s'ils ne sont pas ainsi produits dans le délai que la cour prescrit, les allégations faites de la part de la Couronne sont réputées prouvées, et jugement est rendu comme dans une cause par défaut; mais la présente disposition ne met pas la personne qui a désobéi à cet ordre à l'abri de toute autre amende ou punition qu'elle a pu encourir par sa désobéissance à cet ordre.
L'appelante prétend que cet article offre tout simplement une solution de rechange permettant d'obtenir la production de documents dans toute poursuite intentée par la Couronne en vertu de la loi, solution dont l'application serait tributaire de l'obtention par la Couronne d'un ordre de la cour. L'appelante soutient que vu l'absence d'un tel ordre en l'espèce, le privilège visé par la proposi tion a) demeure intact et est invoqué à bon droit. Je ne puis accepter cette prétention. L'article en question exige que tous les comptes, factures, livres et documents concernant quelque marchandise importée soient produits en cour". Aucun ordre de la cour n'est nécessaire. Les termes utilisés dans la loi sont suffisants à cet égard. L'obligation de produire les documents tient au fait qu'une pour- suite est intentée. La Cour peut également ordon- ner la production des documents devant «toute personne». Cependant, la Couronne n'a le droit d'obtenir qu'un jugement soit rendu comme dans une cause par défaut que si elle a au préalable
Cet article prévoit la production de tels documents et ne traite pas de leur admissibilité en preuve. Les Règles de la Cour visent «à faire apparaître le droit et en assurer la sanctions (Règle 2(2)). Il appert que l'examen de quelqu'un des docu ments ainsi produits pouvait être effectué conformément aux règles traitant de cette question.
obtenu de la cour un ordre stipulant la production des documents dans un délai prescrit, et démontré que la personne concernée ne s'y est pas conformée.
L'appelante prétend avec raison qu'aucune dis position de l'article visé n'abolit expressément ce privilège et que, de façon générale, une loi ne devra s'interpréter comme retirant un droit issu de la common law que si l'intention de ce faire ressort clairement des termes exprès de la loi ou s'impose par voie d'interprétation nécessaire. L'obligation de produire les documents est cependant énoncée en des termes très larges, qui ne laissent place à aucune réserve. Cet article s'inscrit dans un ensemble législatif visant l'imposition et la percep tion des droits et impôts de douane. Vu sa nature et son objet, il convient d'éviter de lui donner une interprétation qui en empêcherait l'application (voir, par exemple, Pyneboard Pty Ltd. v. Trade Practices Commission and Another, précitée, aux pages 617 et 618). Je dois donc conclure que cet article a le pas sur le privilège invoqué et que, en conséquence, l'appelante ne peut invoquer ce der- nier dans le cadre de la présente action.
Il me semble que les termes «tous ... documents concernant quelque marchandise importée» sont bien assez larges pour comprendre les trente-trois documents dont il est question en l'espèce. Je ne puis accepter la prétention de l'appelante selon laquelle ces termes, en fait, doivent recevoir une interprétation limitant leur portée aux seuls docu ments de douane officiels qui sont requis aux fins de l'importation de marchandises.
Je dois enfin traiter du dernier argument pré- senté par l'appelante. Celle-ci prétend que l'article 170 est incompatible avec l'alinéa 11 e) de la Char- tes et que, en conséquence, le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] empêche, dans la mesure de cette incompatibilité, que l'article 170 n'ait force de loi et ne prenne effet. L'appelante n'invoque la Charte qu'en
5 11. Tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;
regard de ce seul contexte. Avec déférence, je ne puis déceler aucune incompatibilité. L'alinéa 1 lc) de la Charte a pour objet de protéger un inculpé en lui évitant d'être contraint de «témoigner contre lui-même» dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche. Cet alinéa ne s'applique pas à la production de documents, y compris ceux dont la liste doit être établie confor- mément à la Règle 448 et ceux qui doivent être produits pour examen conformément à la Règle 453.
Je déciderais du présent appel ainsi que le pro pose le juge Mahoney.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
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