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A-433-86
Nasreen Meherally, Lauraine Dube, Richard Anderson, Zebo Hamid, Shehnaz Motani (requé- rants)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: MEHERALLY C. M.R.N.
Cour d'appel, juges Urie, Hugessen et MacGui- gan—Vancouver, 21 janvier; Ottawa, 6 mars 1987.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Adoption de mesures législatives par référence Validité d'un règle- ment sur l'assurance-chômage qui adopte par référence des mesures législatives provinciales concernant des employés pro- vinciaux Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28.
Assurance-chômage Validité de l'art. 8(2) du Règlement sur l'assurance-chômage, qui adopte par référence des mesu- res législatives visant à déterminer si des employés provinciaux occupent un emploi assurable Règlement sur l'assurance- chômage, C.R.C., chap. 1576, art. 8(1),(2) Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 3(1), (2)e), 4(1)d),(5) Regulation Made by the Civil Service Commission on January 1, 1972, Approved by Order in Coun cil 4271 on December 30, 1971, Pursuant to Section 9, Super seding B.C. Reg. 187/58, B.C. Reg. 1/72 Loi relative à la circulation sur les terrains du gouvernement, S.R.C. 1952, chap. 324, art. 2(1).
En janvier 1985, le ministre du Revenu national a, à la demande du ministre de l'Éducation de la province de la Colombie-Britannique, décidé que les requérants n'occupaient pas un emploi assurable lorsqu'ils étaient à l'emploi du minis- tère de l'Éducation de ladite province. Les requérants ont allégué qu'ils étaient des employés et non pas des entrepreneurs indépendants. Ils ont interjeté appel à la Cour canadienne de l'impôt et présenté une requête visant à faire déclarer que le paragraphe 8(2) du Règlement sur l'assurance-chômage dépasse les pouvoirs de réglementation de l'autorité qui l'a édicté. 11 s'agissait de savoir si la Commission d'assurance-chô- mage, à laquelle l'alinéa 4(1)d) de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage a conféré le pouvoir, sous réserve de l'approba- tion du gouverneur en conseil, d'établir des règlements visant «tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province», peut adopter par référence des mesures législatives provinciales concernant les employés d'une pro vince, ou si ce pouvoir doit être exercé seulement par le Parlement lui-même. La présente demande tend à l'examen et à l'annulation du rejet de la requête par la Cour de l'impôt.
Arrêt (juge MacGuigan dissident): la demande devrait être rejetée.
Le juge Urie: Il s'agit en l'espèce d'une affaire similaire à l'affaire Glibbery dans laquelle la Cour d'appel de l'Ontario a étendu le principe de la législation par référence à un cas l'adoption de mesures législatives provinciales s'était faite non pas au moyen d'une loi mais d'un règlement. Le fait que, dans l'affaire Glibbery, le gouverneur en conseil avait le pouvoir de faire des règlements alors qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil est tenu simplement d'approuver les règlements établis par la Commission ne permet pas d'établir une distinction entre la présente affaire et l'affaire Glibbery. Il a également été établi que le Parlement a le droit d'adopter par anticipation les modifications éventuelles qui peuvent être apportées à la légis- lation d'un autre corps législatif.
Ce qui s'est produit ici était une suite logique de la jurispru dence pertinente et était compatible avec elle. Il ne s'agissait pas d'un transfert de compétence mais plutôt de l'insertion dans la législation fédérale de la législation du seul organisme ayant le pouvoir de déterminer quelles personnes ont les qualités pour être les employés d'une province, c'est-à-dire la législature d'une province.
Le juge Hugessen: La demande devrait être rejetée pour les motifs donnés par le juge Urie. Dans l'exercice de leurs préro- gatives et de leurs pouvoirs législatifs, la Couronne et la législature de chaque province constituent non seulement les organismes appropriés mais les seuls organismes qui peuvent définir et déterminer ce qui, à toutes fins, sera réputé être un emploi exercé au service de Sa Majesté du chef de ladite province.
Le juge MacGuigan (dissident): La demande devrait être accueillie.
L'allégation selon laquelle le paragraphe 8(2) du Règlement constitue un manquement à la Loi vu que l'alinéa 4(1)d) de ladite loi contraint la Commission à faire un choix applicable à l'ensemble des employés et non à certains d'entre eux seule- ment, doit être rejetée. En vertu du début du paragraphe 4(1) de la Loi, la Commission est autorisée implicitement à apporter des précisions quant à certains termes dans l'exercice de son pouvoir général d'établir des règlements.
Quant à savoir si le transfert de compétence est valable en tant qu'adoption de mesures législatives par référence ou est inconstitutionnel en tant que délégation de pouvoir, il est à noter d'abord que ce transfert n'a pas été fait par le Parlement mais par la Commission. D'ailleurs, rien dans la Loi ne confère expressément à la Commission le pouvoir de transférer sa compétence à d'autres.
Un tribunal ne peut pas se permettre de déduire, en se fondant sur des notions plutôt que sur le contexte, que la définition d'un emploi exercé au service d'une province devrait se faire par le biais de la législation provinciale. Les questions de la participation des provinces aux programmes fédéraux ont été si contestées dans le passé qu'il faut présumer que le Parlement savait qu'une simple intention implicite ne suffirait pas à effectuer une insertion par référence.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The King v. Walton (1906), 11 C.C.C. 204 (C.A. Ont.); Brinklow, Re, [1953] O.W.N. 325 (C.A.); Prince
Edward Island Potato Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc., [1952] 2 R.C.S. 392; Regina v. Glibbery, [1963] 1 C.C.C. 101 (C.A. Ont.); Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al., [1968] R.C.S. 569; Attorney - General for Ontario v. Scott and Attorney General for Canada, [1956] R.C.S. 137.
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of Canada et al., [1951] R.C.S. 31; [1950] 4 D.L.R. 369; The King v. National Fish Company Ltd., [1931] R.C.E 75; Ulin c. La Reine, [1973] C.F. 319; [1973] 35 D.L.R. (3d) 738 (1" inst.); Ex Parte Brent, [1955] 3 D.L.R. 587 (C.A. Ont.), confirmé par [1956] R.C.S. 318; 2 D.L.R. (2d) 503; Re Clark et al. and Attorney -General of Canada (1978), 17 O.R. (2d) 593 (H.C.); Lord's Day Alliance of Canada v. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497; R. c. Smith, [1972] R.C.S. 359; Attorney -General for Canada v. Attorney - General for Ontario, [1937] A.C. 326; [1937] 1 D.L.R. 673 (P.C.); Massey v. Crown Life Insurance Co., [1978] 2 All E.R. 576 (C.A.); Narich Pty Ltd v Comr of Pay-Roll Tax, [1984] I.C.R. 286 (P.C.); Gilbert c. Ministre du Revenu national, décision en date du 8 août 1981, Cour fédérale, Division de première instance, N.R. 751; non publiée.
AVOCATS:
Allan H. MacLean pour les requérants.
Max J. Weder pour l'intimé.
Derek Final! pour le ministre de l'Éducation
(C.-B.).
PROCUREURS:
Vancouver Community Legal Assistance Society, Vancouver, pour les requérants. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Bureau du procureur général de la Colom- bie-Britannique pour le ministre de l'Éduca- tion (C.-B.).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire une ébauche des motifs du jugement de mon collègue le juge MacGuigan, avec lesquels je suis d'accord en grande partie. Cependant, en toute déférence, je ne puis être d'accord avec sa conclusion selon laquelle «en adoptant la définition du mot emploi qui figure dans les lois provinciales régissant la fonction publique, non seulement la Commission transfère-t-elle aux provinces la qualification d'un
"emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province", mais elle sanc- tionne aussi implicitement les modifications que les provinces peuvent apporter à l'occasion à la détermination des personnes "nommées et rémuné- rées" sous le régime de ces lois». Je puis exposer relativement succinctement les motifs de mon désaccord.
Depuis l'arrêt The King v. Walton (1906), 11 C.C.C. 204 (C.A. Ont.), il est considéré permis d'insérer dans le droit fédéral le texte ou le fond des lois d'une autre instance législative. Dans ce cas, le Code criminel prévoyait que toute personne qui a les qualités voulues et est assignée comme grand juré ou petit juré conformément aux lois alors en vigueur dans une province serait réputée habile à servir de grand ou petit juré dans des affaires criminelles dans ladite province. Dans «The Interaction of Federal and Provincial Laws», (1976), 54 R. du B. can. 695, à la page 708, E. A. Driedger a fait remarquer que:
[TRADUCTION] Il ne s'agit pas d'une délégation. La province a le pouvoir exclusif, en vertu de l'article 92 de l'Acte de l'Améri- que du Nord britannique, d'établir les qualités requises pour être juré dans les affaires civiles. Le Parlement a le pouvoir exclusif d'établir les qualités requises des jurés dans les affaires criminelles. La disposition du Code criminel prévoyait simple- ment, en fait, que dans les affaires criminelles les règles devaient être les mêmes que dans les affaires civiles; elle mentionnait les qualités exigées des jurés dans des affaires criminelles, et pour trouver ces qualités, il faut se reporter à la loi provinciale. Le Parlement aurait pu reproduire textuelle- ment ces mêmes règles dans le Code criminel; au lieu de cela, il les avait insérées par référence. Cela ne peut pas constituer une délégation pour la simple raison que le pouvoir de la législature d'établir ses propres règles découle de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et non pas du Parlement.
M. Driedger a également illustré la technique de la législation par référence en se reférant à l'af- faire Brinklow, Re, [1953] O.W.N. 325 (C.A.), dans laquelle une loi de l'Ontario, qui adoptait par référence les dispositions du Code criminel [S.R.C. 1927, chap. 36], devait par la suite être jugée constitutionnelle. A la page 326, le juge Judson et M. Driedger ont respectivement dit et fait remar- quer ce qui suit:
[TRADUCTION] En réponse à l'allégation selon laquelle cette adoption par référence était inconstitutionnelle, le juge Judson a déclaré:
Le paragraphe 3(1) de la Summary Convictions Act porte que «[s]auf lorsqu'ils sont incompatibles avec la présente Loi, les parties XV et les articles 1028 ... [etc.] ... du Code criminel (Canada) et ses modifications s'appliquent, compte
tenu des adaptations de circonstance, à tout cas auquel la présente Loi s'applique comme si les dispositions de ce Code avaient été édictées dans la présente Loi et en faisaient partie».
Il ne s'agit pas d'une délégation de pouvoirs de la part de la législature provinciale au Parlement. C'est une insertion dans la législation provinciale des travaux d'un autre corps législatif afin d'éviter de les répéter.
Il est à noter que, dans ces deux exemples, les lois qui adoptent des mesures législatives par référence insèrent expressément non seulement les lois existant à l'époque de l'adoption mais aussi leurs modifications subséquentes. On avance souvent l'ar- gument selon lequel l'adoption par référence des modifications subséquentes constitue une délégation; cet argument sera étudié plus loin.
Les affaires déjà citées établissent qu'il est régu- lier pour le Parlement d'adopter par référence des mesures législatives des provinces. Il est également bien établi, naturellement, qu'il ne peut pas délé- guer son pouvoir de légiférer aux provinces'. Cependant, dans l'arrêt Prince Edward Island Potato Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc., [1952] 2 R.C.S. 392, on a jugé valide la délégation par le Parlement, à des commissions de commer cialisation provinciales, du pouvoir de réglementer la commercialisation des produits agricoles (en l'occurrence des pommes de terre) à l'extérieur de la province dans le commerce interprovincial et d'exportation.
Comme l'a signalé le juge MacGuigan, l'étape logique suivante a été franchie lorsque, dans l'arrêt Regina v. Glibbery, [1963] 1 C.C.C. 101, la Cour d'appel de l'Ontario a étendu le principe de la législation par référence à un cas l'adoption de mesures législatives provinciales s'était faite non pas au moyen d'une loi mais d'un règlement. Il s'agissait de la Loi relative à la circulation sur les terrains du gouvernement [S.R.C. 1952, chap. 324] . Le paragraphe 2(1) de cette Loi autorisait le gouverneur en conseil à établir des règlements en vue de la réglementation de la circulation sur les terrains appartenant au gouvernement fédéral. Le règlement en question a été adopté conformément à ce pouvoir et a été jugé valide. Je n'ai pas à répéter d'autres détails de l'affaire étant donné que mon collègue en a donné suffisamment, si ce n'est pour dire que, bien que la loi en question ne traitât pas de mesures législatives à venir, le juge McGil- livray a jugé, au nom de la Cour, que le règlement
' Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of Canada et al., [1951] R.C.S. 31.
visait à insérer, et insérait effectivement, des modi fications éventuelles.
Mon collègue a également signalé avec raison que dans l'arrêt Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al., [1968] R.C.S. 569, la Cour suprême du Canada avait reconnu la validité de l'insertion par référence dite par anticipation des modifications éventuelles de la loi en vigueur. À la page 575 du recueil, le juge Cartwright (tel était alors son titre) a exprimé ce qui suit:
[TRADUCTION] En l'espèce, la commission intimée n'a reçu de la Législature ontarienne aucun pouvoir de réglementation ou de regard sur le transport inter-provincial de marchandises. Ses pouvoirs étendus en la matière lui sont conférés par le Parlement. Le Parlement a jugé bon d'édicter que, dans l'exer- cice de ces pouvoirs, la commission procédera de la manière prescrite de temps à autre par la Législature en ce qui concerne le transport intra-provincial. Le Parlement peut, à tout moment, mettre fin aux pouvoirs de la commission en ce qui concerne le transport inter-provincial, ou modifier la manière dont elle devra exercer ces pouvoirs. Si les circonstances com- mandent une action immédiate, le gouverneur général en con- seil peut agir en vertu de l'article 5 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur.
À mon avis, il ne s'agit pas ici d'une délégation du pouvoir de légiférer, mais plutôt de l'adoption par le Parlement, dans l'exercice de son pouvoir exclusif, de la législation d'un autre corps législatif, telle qu'elle peut exister de temps à autre, et cette façon de procéder a été jugée constitutionnellement valide par cette Cour dans Attorney General for Ontario v. Scott et par la Cour d'appel d'Ontario dans Regina v. Glibbery.
En résumé, la position sur ce point se présente ainsi: premièrement est valide l'adoption par réfé- rence, par le Parlement, de mesures législatives provinciales afin d'éviter leur répétition dans l'exercice d'un pouvoir fédéral. (Attorney -General for Ontario v. Scott and Attorney General for Canada, [ 1956] R.C.S. 137.)
Deuxièmement, le Parlement peut, dans l'exer- cice régulier des pouvoirs qui lui sont conférés sous le régime de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], déléguer à des organismes administratifs provinciaux chargés de la réglementation des industries intra-provincia- les le pouvoir de réglementer les mêmes industries dans la mesure le commerce interprovincial et d'exportation est concerné (l'arrêt P.E.I. Potato Marketing Board, précité).
Troisièmement, le gouverneur en conseil peut, par règlement, adopter valablement par référence des mesures législatives provinciales actuelles visant un domaine à l'égard duquel les provinces sont compétentes sur le plan constitutionnel (Regina v. Glibbery, précité).
Quatrièmement, le Parlement a le droit d'adop- ter, dans l'exercice de son pouvoir exclusif de légiférer, les modifications éventuelles qui peuvent être apportées à la législation d'un autre corps législatif. (Coughlin v. Ontario Highway Trans port Board et al., précité).
La question qu'il faut maintenant aborder en l'espèce est de savoir si la Commission d'assu- rance-chômage à laquelle l'alinéa 4(1)d) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970- 71-72, chap. 48] a conféré le pouvoir (sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil) d'éta- blir des règlements visant «tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province», peut adopter par référence des mesures législatives provinciales concernant les employés d'une province, ou si ce pouvoir doit être exercé seulement par le Parlement lui-même. Je crois qu'elle le peut pour deux raisons. Premièrement, je suis d'avis que l'arrêt Glibbery a été rendu correc- tement par la Cour d'appel de l'Ontario, et qu'il appuie mon opinion. Deuxièmement, je ne vois pas comment il peut exister une distinction entre la présente affaire et l'affaire Glibbery uniquement parce que, dans cette dernière, le gouverneur en conseil avait le pouvoir de faire des règlements alors qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil était tenu simplement d'approuver les règlements établis par la Commission. J'en conclus donc que l'adop- tion par référence, au paragraphe 8(2) du Règle- ment sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap. 1576], de la loi qui régit la fonction publique d'une province pour déterminer quels employés d'une province seront assurés sous le régime de la loi, constitue un exercice valide du pouvoir du Parle- ment et est ainsi constitutionnelle. C'est une suite logique de la jurisprudence à laquelle je me suis reporté. Il ne s'agit pas d'un transfert de compé- tence comme le soutiennent les requérants. Il s'agit de l'insertion dans la législation fédérale de la législation du seul organisme ayant le pouvoir de déterminer quelles personnes ont les qualités requi- ses pour être les employés d'une province, c'est-à- dire la législature de la province.
Pour ces raisons, je rejetterais la demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2` Supp.), chap. 10] dans la mesure elle se rapporte au paragraphe 8(2) du Règle- ment, et, en ce qui concerne les autres moyens d'inconstitutionnalité relatifs à cette disposition, je rejetterais la demande pour les raisons exprimées par le juge MacGuigan.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par mes collègues les juges Urie et MacGuigan. Je suis tout à fait d'accord avec le juge Urie et je désire ajouter seulement une brève remarque.
Il me semble que, dans l'exercice du pouvoir de réglementation qui lui est conféré par l'alinéa 4(1)d) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage, à savoir
4. (1) ... établir des règlements en vue d'inclure dans les emplois assurables
d) tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province ..
la Commission ne pouvait guère faire autrement que d'adopter par référence les diverses définitions provinciales visant la nature d'un tel emploi. À mon avis, dans l'exercice de leurs prérogatives et de leurs pouvoirs législatifs, la Couronne et la législature de chaque province constituent non seu- lement les organismes appropriés mais les seuls organismes qui peuvent définir et déterminer ce qui, à toutes fins, sera réputé être un emploi exercé au service de Sa Majesté du chef de ladite province.
Je conclurais, ainsi que le fait le juge Urie, que la demande fondée sur l'article 28 devrait être rejetée.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUiGAN (dissident): La présente demande fondée sur l'article 28 met en question la validité de la méthode de participation de la pro-
vince de la Colombie-Britannique au programme fédéral d'assurance-chômage.
Les cinq requérants ont interjeté chacun appel à la Cour canadienne de l'impôt des décisions ren- dues par l'intimé le 23 janvier 1985 la demande de l'intervenant, le ministre de l'Éducation de la province de la Colombie-Britannique, décisions selon lesquelles les requérants n'occupaient pas un emploi assurable lorsqu'ils étaient à l'emploi du ministère de l'Éducation de la Colombie-Britanni- que au printemps ou au début de l'été 1984. Les requérants ont allégué qu'ils étaient des employés et non pas des entrepreneurs indépendants, bien que chacun ait signer un contrat par écrit précisant leur qualité d'entrepreneur indépendant. Les parties ont convenu que la décision qui sera rendue dans l'appel interjeté par le premier requé- rant s'appliquera aussi aux autres requérants. Ils ont convenu également que la Cour devrait enten- dre d'abord les plaidoiries à l'appui de la requête de ce requérant visant à faire déclarer que le paragraphe 8(2) du Règlement sur l'assurance- chômage dépasse les pouvoirs de réglementation de l'autorité qui l'a édicté; il a été convenu que, advenant le rejet de cette requête, l'appel serait nécessairement rejeté. Le juge de la Cour de l'im- pôt a rejeté la requête, et la présente demande tend à l'examen et à l'annulation de cette décision en date du 30 mai 1986.
Les passages pertinents de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage («la Loi») sont les suivants:
3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est
(2) Les emplois exclus sont les suivants
e) tout emploi exercé au Canada et relevant de Sa Majesté du chef d'une province;
4. (1) La Commission peut, avec l'approbation du gouver- neur en conseil, établir des règlements en vue d'inclure dans les emplois assurables
d) tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province, si le gouvernement de cette province convient de renoncer à l'exclusion et de faire assurer tous ses employés exerçant un tel emploi;
(5) Un règlement établi en vertu du présent article peut être conditionnel ou inconditionnel, restreint ou absolu; il peut être
général ou limité à une région spécifiée, à une personne, un groupe ou une catégorie de personnes.
L'article pertinent du Règlement sur l'assu- rance-chômage («le Règlement») est libellé comme suit:
8. (1) L'emploi exercé au Canada par les personnes au service de Sa Majesté du chef d'une province, qui, sauf l'exclu- sion prévue à l'alinéa 3(2)e) de la Loi, serait un emploi assurable, est inclus dans les emplois assurables, lorsque le gouvernement de la province conclut avec la Commission un accord par lequel elle convient de renoncer à l'exclusion et de faire assurer toutes les personnes qu'elle emploie.
(2) Pour plus de précision, aux fins du paragraphe (1), les emplois exercés au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province comprennent exclusivement les emplois exercés au Canada par les personnes nommées et rémunérées sous le régime de la loi qui régit la fonction publique d'une province ou qui sont au service d'une société, d'une commission ou d'un autre organisme qui est, à toutes fins, mandataire de Sa Majesté du chef de la province.
Les requérants ont prétendu que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne con- cluant pas que le paragraphe 8(2) du Règlement outrepasse les pouvoirs de la Commission de l'Em- ploi et de l'Immigration du Canada («la Commis sion») car il constitue un manquement défendu à la Loi. Le point essentiel de cette allégation est que, par l'utilisation de l'expression «tous ses employés», l'alinéa 4(1)d) de la Loi contraint la Commission à faire un choix applicable à l'ensemble des employés et non à certains d'entre eux seulement.
Tous s'entendent pour reconnaître qu'un règle- ment ne peut pas modifier une loi et qu'il ne peut aller que dans le sens de la loi: The King v. National Fish Company Ltd., [1931] R.C.É. 75; Ulin c. La Reine, [1973] C.F. 319; [1973] 35 D.L.R. (3d) 738 (1" inst.). Cependant, l'intimé a soutenu que, selon une interprétation correcte, la proposition conditionnelle de l'alinéa 4(1)d), étant donné tout particulièrement que dans la version anglaise elle n'est pas précédée d'une virgule, équi- vaut à une condition requise à laquelle il est entièrement satisfait une fois que la province a donné son consentement initial à l'application de la Loi à tous ses employés, et que ce consentement a été établi par le règlement suivant (B.C. Reg. 1/72, The British Columbia Gazette—Part II, 13 janvier 1972):
[TRADUCTION] LOI SUR LA FONCTION PUBLIQUE
RÈGLEMENT ÉTABLI PAR LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE LE 1" JANVIER 1972, APPROUVÉ PAR LE DÉCRET
4721 LE 30 DÉCEMBRE 1971, CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 9, QUI REMPLACE LE RÈGLEMENT 187/58 DE LA COLOMBIE-BRI- TANNIQUE.
Assurance- chômage
1. Le gouvernement de la province de la Colombie-Britanni- que consent à ce que la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage s'applique, ainsi qu'il est prévu à l'alinéa 4(1)d) de cette Loi, à tous les employés du gouvernement de la province.
2. Les règlements 187/58, 39/60 et 158/61 de la Colombie- Britannique sont abrogés.
La difficulté que soulève cette allégation est illus- trée par le fait que l'avocat de l'intimé n'a pu expliquer pour quelle raison, selon cette hypothèse, la deuxième partie de la proposition conditionnelle («et de faire assurer tous ses employés exerçant un tel emploi») était nécessaire, étant donné que la première partie («si le gouvernement de la province convient de renoncer à l'exclusion») suffirait à écarter l'exclusion par ailleurs prévue à l'alinéa 3(2)e) de la Loi. Il n'existe aucune raison appa- rente pour l'introduction de la notion de totalité («tous ses employés») si c'est pour la fondre ensuite complètement dans la procédure de participation.
Néanmoins, il me semble que les requérants ont exagéré l'importance du mot «tout». Ce n'est pas le seul qualificatif du mot «employés», étant donné que ce terme est suivi immédiatement des mots «exerçant un tel emploi». On peut raisonnablement penser que cette expression et ce qu'il faut enten- dre par «tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province» ont besoin d'être précisés jusqu'à un certain point. Je ne crois pas que le paragraphe 4(5), auquel ont renvoyé les deux parties, permette une telle démarche, mais la Commission est autorisée implicitement à l'accom- plir en vertu du début du paragraphe 4(1) («La Commission peut, avec l'approbation du gouver- neur en conseil, établir des règlements en vue d'inclure dans les emplois assurables») dans l'exer- cice de son pouvoir général d'établir des règle- ments.
J'en conclus donc que cette allégation des requé- rants doit être rejetée, du moins tant que c'est la Commission elle-même qui précise les termes généraux de la loi.
Cela m'amène à la question plus importante soulevée par les requérants, c'est-à-dire la validité du transfert de compétence effectué par la Com-
mission en faveur de la province de la Colombie- Britannique par référence aux dispositions de la loi provinciale au paragraphe 8(2) du Règlement. Selon les requérants, ce transfert rend le paragra- phe 8(2) inconstitutionnel car il constitue une sous-délégation qui n'est pas autorisée par la Loi et qui permettrait à la province de décider du nombre d'employés qui seraient visés par la Loi.
Dans l'arrêt Ex Parte Brent, [1955] 3 D.L.R. 587 (C.A. Ont.), aux pages 592 et 593, en rejetant une ordonnance d'expulsion fondée sur un règle- ment établi par le gouverneur en conseil conformé- ment aux pouvoirs que lui conférait la loi, lequel règlement déléguait à son tour le pouvoir de régle- mentation à des enquêteurs spéciaux, le juge d'ap- pel Laidlaw a déclaré au nom de la Cour d'appel de l'Ontario relativement au règlement en question:
[TRADUCTION] Il n'a pas pour effet ... de constituer un règlement établi par Son Excellence en conseil mais un règle- ment établi individuellement par un certain nombre d'enquê- teurs spéciaux dispersés au quatre coins du pays, chacun selon sa propre «opinion». Si ces «opinions» coïncidaient toujours, ce serait rien de moins que miraculeux; il y aurait lieu de s'étonner si elles coïncidaient jamais, étant donné le caractère très géné- ral des termes employés, leur vaste champ d'application et l'application des mots «temporairement ou autrement» aux conditions ayant cours soit au Canada soit à l'étranger. En résumé, ces pouvoirs limités de légiférer, si vastes que soient les limites du sujet, que le Parlement a délégués à Son Excellence en conseil n'ont pas été exercés du tout par celui à qui ils ont été délégués, mais, au contraire, ils ont été redélégués par lui globalement, en vue d'être exercés non pas simplement par une autre personne, mais, individuellement et indépendamment des autres, par tout enquêteur spécial qui juge bon de les invoquer et selon «l'opinion» de chaque personne à qui ils ont été sous-délégués.
Je ne puis rien trouver dans la Loi qui, expressément (ou implicitement, si c'est permis), indique l'intention de permettre ou d'autoriser une telle procédure. Par contre, il est raisonnable de penser que le Parlement envisageait bel et bien l'adoption des règlements visant les sujets mentionnés, ou certains d'entre eux, qui selon l'opinion de Son Excellence en conseil étaient indiqués et qui s'appliqueraient donc de façon générale aux personnes désirant entrer au Canada indépendamment du point d'entrée concerné. Ce qu'on visait, c'était sûrement l'adoption de mesures législatives par Son Excellence en conseil, qui refléteraient sa sagesse et sa grande expérience et prévoiraient des lignes directrices pour les agents d'immigration et les enquêteurs spéciaux travaillant aux frontières du pays ou près de celles-ci, et non pas une vaste gamme de règles et d'opinions changeant continuellement selon les idées personnelles des fonc- tionnaires en cause. Le règlement n'est pas valide et il en est ainsi de l'ordonnance d'expulsion fondée sur lui, car celui qui est délégué ne peut pas déléguer.
La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel et jugé que [TRADUCTION] «le gouverneur général en conseil n'a pas le pouvoir de déléguer son autorité à de tels fonctionnaires»: Attorney -General of
Canada v. Brent, [1956] R.C.S. 318, la page 321; 2 D.L.R. (2d) 503, la page 505.
La décision de la Haute Cour de l'Ontario rela- tivement à une disposition du Uranium Informa tion Security Regulations [DORS/76-644] va dans le même sens: Re Clark et al. and Attorney - General of Canada (1978), 17 O.R. (2d) 593. Le juge en chef Evans a alors dit, aux pages 608 et 609:
[TRADUCTION] Il y a un aspect du Règlement qui me préoccupe. L'alinéa 2a) interdit de communiquer des renseigne- ments concernant l'uranium mais prévoit deux exceptions. La deuxième exception est ainsi libellée:
ii) il le fait avec le consentement du ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources ...
L'avocat des requérants soutient que cela va à l'encontre de la maxime «celui qui est délégué ne peut pas déléguer.. Après avoir examiné l'article 9 de la Loi et l'article 2 du Règlement, j'en suis venu à la conclusion que l'alinéa 2a)(ii) outrepasse les pouvoirs de la Commission de contrôle de l'énergie atomique. Je suis d'accord avec l'allégation de M. Sopinka selon laquelle le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources établit effectivement les règlements. L'avocat de l'intimé a allégué que cela était assimilable au mandat plutôt qu'à la délégation. Toutefois, il n'existe aucune ligne directrice à l'intention du ministre, et rien n'indique que la Commission entretient avec le ministre des rapports du genre mandant—mandataire. L'exemption a véritablement pour effet de conférer au ministre le pouvoir de la Commission de faire des règlements. Le ministre pourrait accorder une exemption à chacun et pourrait effectivement annuler l'application du Règlement.
Dans son ouvrage Judicial Review of Administrative Action, 3' éd. (1973), S.A. de Smith examine les principes dont il faut tenir compte en appliquant la maxime «celui qui est délégué ne peut pas déléguer., aux pages 268 et 269:
a) Lorsqu'une autorité à qui ont été conférés des pouvoirs discrétionnaires ayant une incidence sur des droits privés permet à l'un de ses comités ou sous-comités, de ses membres ou dirigeants d'exercer ces pouvoirs de façon indépendante sans que l'autorité elle-même n'exerce de surveillance, il est probable que l'exercice des pouvoirs ne sera pas considéré comme valide ... (Madoc Town ship v. Quinlan (1972), 21 D.L.R. (3d) 136; R. V. Sandler, ibid [(1971), 21 D.L.R. (3d) 286].
b) Le niveau de surveillance ... exercé par l'autorité délé- guante sur les actes du délégataire ou du sous-déléga- taire peut constituer un facteur important lorsqu'il s'agit de déterminer la validité de la délégation. En général, le niveau de surveillance conservé ... doit être suffisam- ment étroit pour que la décision puisse être perçue comme celle de l'autorité déléguante. (Osgood v. Nelson (1872) L.R. 5 H.L. 636; Devlin v. Barnett [1958] N.Z.L.R. 828 ... Hall v. Manchester Corporation
(1915) 84 L.J. Ch. 734, la page 741 ... Cohen v. West Ham Corporation [1933] Ch. 814, aux pages 826 et 827 ... R. v. Board of Assessment, etc. (1965) 49 D.L.R. (2d) 156) ...
c) Il ne convient pas qu'une autorité délègue de vastes pouvoirs discrétionnaires à une autre autorité sur laquelle elle ne peut pas exercer une surveillance directe, à moins qu'elle ne soit expressément autorisée à le faire. (Kyle v. Barbor (1888) 58 L.T. 229) ... Une commis sion de commercialisation provinciale du Canada, qui exerçait des pouvoirs délégués, ne pouvait pas sous-délé- guer une partie de ses pouvoirs de réglementation à une autorité interprovinciale. (Prince Edward Island Potato Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc. [1952] 2 R.C.S. 391).
En me fondant sur ces principes, j'en suis venu à la conclusion que le sous-alinéa 2a)(ii) est inconstitutionnel.
L'avocat de l'intimé m'a prié de me reporter à l'arrêt Refe rence re Validity of Regulations as to Chemicals, [1943] R.C.S. 1, [ 1943] 1 D.L.R. 248, 79 C.C.C. 1. Dans cette affaire, le gouverneur général en conseil avait reçu le pouvoir d'établir les règlements que, en raison de la guerre, il pourrait juger nécessaires ou indiqués pour la défense du Canada. La Cour a jugé que ce pouvoir était suffisamment large pour permettre une sous-délégation au contrôleur des produits chimiques ...
L'approche de la Cour suprême du Canada dans le renvoi Chemicals Reference s'explique par les nécessités de la situa tion de guerre. Ce n'est pas le cas dans la présente affaire.
Les requérants prétendent que ces arrêts mon- trent que la Loi devrait être interprétée de façon à écarter la sous-délégation. L'intimé tente d'établir une distinction entre ce genre d'affaires en soute- nant en fait que, lorsque le transfert de compé- tence se fait entre gouvernements, les tribunaux ont régulièrement jugé qu'il s'agissait d'une adop tion par référence plutôt que d'une sous-délégation non permise.
La délégation entre le Parlement et les législatu- res a été jugée inconstitutionnelle dans l'arrêt Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of Canada et al., [1951] R.C.S. 31; [1950] 4 D.L.R. 369, dans lequel la Cour suprême a jugé que la loi envisagée par la Nouvelle-Ecosse intitulée «An Act Respecting the Delegation of Jurisdiction from the Parliament of Canada to the Legislature of Nova Scotia and vice versa» ne serait pas valide sur le plan constitutionnel, si elle était adoptée, étant donné que ni le Parlement ni une législature ne peut déléguer ses pouvoirs à l'autre, ni recevoir les pouvoirs de l'autre. Dans «Delegation of Legislative Power in Canada», (1975) 21 McGill L.J. 131, aux pages 146 et 147, M. Gérald V. LaForest, qui faisait alors partie de la Commission de réforme du droit du Canada,
fait remarquer que [TRADUCTION] «la première réaction des tribunaux tant au pays, que dans d'autres fédérations (par exemple, les Etats-Unis) est d'essayer de protéger la structure générale de la Constitution en trouvant dans celle-ci un empê- chement à la délégation». Cependant, il ajoute que, à la longue, [TRADUCTION] «on a inventé des formules pour permettre un certain transfert d'at- tributions. Cela s'est produit non seulement au Canada mais également dans d'autres fédérations, comme les États-Unis et l'Australie.» Au Canada, la Cour suprême n'a mis qu'un peu plus d'un an à élaborer la première formule de ce genre, c'est-à- dire l'adoption d'une commission ou d'un orga- nisme provincial par les Parlement et gouverne- ment fédéraux comme s'il s'agissait d'un de leurs propres organismes: Prince Edward Island Potato Marketing Board v. Willis (H.B.) Inc., [1952] 2 R.C.S. 392.
Dans un ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, 1977, le professeur Peter Hogg, à la page 237, médite sur le fait que l'arrêt Nova Scotia Inter -delegation a été implicitement annulé au cours des ans. Feu E. A. Driedger, dans «The Interaction of Federal and Provincial Laws» (1976), 54 R. du B. can. 695, la page 710, 54, offre une autre analyse:
[TRADUCTION] Dans un commentaire intitulé Constitutional Law—The Inter -Delegation Doctrine: A Constitutional Paper Tiger? (1969), 47 Can. Bar. Rev. 271, K. Lysyk pose cette question: "Supposons que, au lieu de prévoir la délégation du pouvoir de légiférer (comme le faisait la loi projetée étudiée dans l'affaire Nova Scotia), la législature de la Nouvelle- Écosse ait simplement abrogé toutes les dispositions de sa propre Loi et les aient remplacées par un article qui prétende insérer par référence les dispositions de la loi fédérale, et leurs modifications éventuelles, en les rendant applicables à tous les travaux, industries et entreprises relevant par ailleurs de la compétence exclusive de la législature provinciale. Cette "inser- tion par référence" serait-elle valable sur le plan constitution- nel?» La réponse est, sans aucun doute, affirmative.
Certes, la différence entre législation déléguée et législation adoptée par référence est simple: dans le cas de la législation déléguée, le pouvoir du délégataire vient du délégant, qui peut à tout moment annuler les pouvoirs de son mandataire; dans le cas de l'adoption par référence, le pouvoir d'adopter la loi découle de la Constitution et non de l'autre instance législative. Lorsque le législa- teur prétend adopter la loi d'une autre législature non seulement en ce qui concerne son texte actuel mais également ses modifications éventuelles, ce
qui est évidemment l'intention visée par le para- graphe 8(2), la situation est tout à fait analogue à la délégation car la législature qui adopte les mesures législatives renonce en pratique, en faveur de l'autre législature, à son droit de modifier sa propre loi. Une telle adoption par référence faite à l'avance aurait bien pu être qualifiée de délégation par les tribunaux.
Néanmoins, dans le renvoi Attorney -General for Ontario v. Scott and Attorney General for Canada, [1956] R.C.S. 137, la Cour suprême du Canada a maintenu une loi qui visait les ordonnan- ces alimentaires et qui procédait à la fois du droit britannique et du droit ontarien. Le juge Rand a déclaré, à la page 142, qu'il s'agissait d'un cas d'adoption et non de délégation parce que [TRA- DUCTION] «chaque législature est tout à fait libre et indépendante de l'autre, ce qui n'est pas compa tible avec la délégation». L'intimé a cité les arrêts suivants, qui vont dans le même sens que le précé- dent: Lord's Day Alliance of Canada v. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497; Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al., [1 2 968] R.C.S. 569; R. c. Smith, [1972] R.C.S. 359. 'L'insertion à l'avance par référence dont il était question dans l'affaire Scott a été admise par la Cour suprême mais ne semble pas avoir été considérée comme importante par la Cour dans cette affaire. Néanmoins, dans l'affaire Coughlin, la majorité des juges ont conclu que l'insertion à l'avance par référence était valide en raison de l'arrêt Scott. Dans l'affaire Smith, la Cour est même allée plus loin et a jugé en effet que le Parlement pouvait autoriser, et avait effectivement autorisé, une commission provinciale des trans ports, à laquelle il avait conféré compétence sur le transport extraprovincial, à imposer à des entrepri- ses extraprovinciales des restrictions en matière de permis qu'il n'imposait pas aux entreprises locales. On peut peut-être considérer que l'arrêt Smith écarte l'obligation pour le délégataire d'avoir un pouvoir de légiférer indépendant. De toute façon, à mon avis le transfert par le Parlement à une province de son propre pouvoir de légiférer sur les catégories d'emploi visées par l'assurance-chômage ne pose manifestement aucun problème, pourvu que cela se fasse par insertion par référence et non par une véritable délégation.
Cependant, le problème de l'intimé demeure. Son avocat n'a pu signaler qu'une seule affaire, Regina v. Glibbery, [1963] 1 C.C.C. 101 (C.A. Ont.), l'insertion par référence s'est effectuée, non au moyen d'une loi, mais d'un règlement. Dans l'affaire Glibbery, on a maintenu la condam- nation de l'accusé pour conduite imprudente sur la base militaire de Borden, en contravention d'une disposition de la Highway Traffic Act [R.S.O. 1960, chap. 172] de l'Ontario conjointement avec une disposition du Règlement [fédéral] relatif à la circulation sur les terrains du gouvernement [P.C. 1952-4076]; dans cette affaire, le Règlement fédé- ral avait pour effet d'adopter par référence les dispositions de la loi provinciale dans leur libellé actuel et éventuel. La valeur de ce précédent est de beaucoup amoindrie par le fait que le point dont il est ici question n'a évidemment pas été soutenu devant la Cour d'appel de l'Ontario, qui, à trois reprises (aux pages 104 et 105), mentionne qu'il s'agit d'une question concernant ce que le Parle- ment pouvait ou ne pouvait pas faire. La même erreur a été répétée par la Cour suprême dans l'arrêt Coughlin, précité, à la page 575 (R.C.S.) elle approuve l'arrêt Glibbery.
En adoptant la définition du mot emploi qui figure dans les lois provinciales régissant la fonc- tion publique, non seulement la Commission trans- fère-t-elle aux provinces la qualification d'un «emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province», mais elle sanc- tionne aussi implicitement les modifications que les provinces peuvent apporter à l'occasion à la détermination des personnes «nommées et rémuné- rées» sous le régime de ces lois. Si je reconnais que ce transfert de compétence est correctement quali- fié d'adoption par référence plutôt que de déléga- tion, je ne puis cependant pas conclure que ce transfert a été fait par le Parlement. C'est la Commission qui, par l'article 4 de la Loi, se voit conférer le pouvoir d'établir des règlements (sous réserve seulement de l'approbation du gouverneur en conseil) en vue d'inclure dans les emplois assu- rables les employés provinciaux par ailleurs exclus, et donc, à sa discrétion, le pouvoir de qualifier et de spécifier ce qui doit l'être, mais rien dans la Loi ne confère expressément à la Commission le pou- voir de transférer sa compétence à d'autres.
Le fait que l'on n'a apparemment pas cru que la question soulevait suffisamment de doutes pour être contestée avant aujourd'hui'-, ou que les deux gouvernements semblent appuyer la même inter- prétation, ne peut pas être considéré comme con- cluant. Comme la demande elle-même l'indique, il y a d'autres intérêts que ceux des gouvernements à prendre en considération.
On pourrait soutenir qu'un pouvoir de transfert de compétence devrait être considéré comme sous- entendu dans la Loi, compte tenu notamment des arrêts récents de la Cour suprême, qui révèlent une préférence marquée pour une approche fonction- nelle par opposition au point de vue dit des «com- partiments étanches» adopté par le Conseil privé (par exemple dans l'arrêt Attorney -General for Canada v. Attorney -General for Ontario, [1937] A.C. 326, la page 354; [1937] 1 D.L.R. 673, la page 684). À mon avis, un tribunal peut sans problème admettre que la Loi permet que l'emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province soit davantage défini. Mais je ne vois pas comment un tribunal peut se permettre de déduire, en se fondant sur des notions plutôt que sur le contexte, que toute définition de ce genre devrait se faire par le biais de la législation provinciale. La Loi porte que cela incombe à la Commission, avec l'approbation du gouverneur en conseil. Même si le Parlement voulait favoriser les provinces par rapport aux autres employeurs, il pourrait le faire adéquatement, bien que moins directement il est vrai, si on interprétait la Loi comme permettant à la Commission de modifier son règlement de temps en temps selon les change- ments apportés à la législation provinciale.
Mais le Parlement a peut-être également voulu qu'une province qui renonce à l'exclusion soit liée par la même définition du rapport préposé-com- mettant que celle qui régit les autres employeurs, c'est-à-dire que le genre de contrat que son pouvoir économique lui permet d'imposer à ceux qui tra- vaillent pour elle devrait être susceptible d'examen judiciaire afin de déterminer le véritable lien qui existe entre les parties, comme dans le cas de tous les autres employeurs. Dans ce cas s'appliquerait
2 Sauf dans l'affaire Gilbert v. Minister of National Revenue, dossier 751 du Revenu national, le juge Walsh a rejeté une allégation selon laquelle l'ancienne disposition du Règle- ment outrepassait les pouvoirs de la Commission.
donc le droit tel qu'il a été exposé par lord Den- ning dans Massey v. Crown Lift Insurance Co., [1978] 2 All E.R. 576 (C.A.), à la page 679:
[TRADUCTION] Le droit qui s'applique, ainsi que je le conçois, est le suivant: si le véritable rapport entre les parties est celui qui découle d'un contrat de travail, celles-ci ne peuvent pas modifier la réalité de ce lien en lui apposant une étiquette différente ... Par contre, si leur lien est ambigu et peut aussi bien être l'un que l'autre [contrat de travail ou contrat d'entre- prise], les parties peuvent alors supprimer cette ambiguïté, grâce à l'entente elle-même qu'elles concluent l'une avec l'au- tre. Cette entente devient donc le meilleur guide à l'aide duquel déduire le véritable lien juridique existant entre elles.
En se fondant sur ce principe, le Comité judiciaire du Conseil privé a jugé dans l'arrêt Narich Pty Ltd y Comr of Pay-Roll Tax, [1984] I.C.R. 286, qu'une conférencière qui travaillait pour une com- pagnie qui était le concessionnaire pour toute l'Australie de la société Weight Watchers Interna tional Inc. était une employée, malgré une clause contraire de son contrat.
La présence du mot «tout» à l'alinéa 4(1)d) de la Loi pourrait être considérée comme un indice de la tendance du Parlement à s'en remettre aux tribu- naux pour interpréter les contrats de travail con- clus avec le gouvernement provincial.
La forme que prend la participation des provin ces à l'assurance-chômage est suffisamment importante, et les questions de la participation des provinces aux programmes fédéraux ont été si contestées dans le passé qu'il faut présumer, me semble-t-il, que le Parlement savait qu'une simple intention implicite ne suffirait pas à effectuer une insertion par référence.
J'accueillerais donc la demande, j'annulerais la décision du juge de la Cour de l'impôt et je renverrais l'affaire afin qu'elle soit entendue et jugée en tenant compte du fait que le paragraphe 8(2) du Règlement outrepasse les pouvoirs de la Commission et est inopérant en ce qui concerne la province de la Colombie-Britannique.
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