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A-585-86
Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John Henderson, estant en leur nom et au nom de tous les autres membres de la Bande indienne Wewaya- kum, connue aussi sous le nom de Bande indienne de Campbell River (demandeurs) (intimés)
c.
La Reine et Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James D. Wilson, poursuivis en leur nom et au nom de tous les autres membres de la Bande indienne Wewayakai, connue aussi sous le nom de Bande indienne de Cape Mudge (défen- deurs) (appelants)
RÉPERTORIÉ: ROBERTS C. CANADA
Cour d'appel, juges Urie, Hugessen et MacGui- gan—Vancouver, 12 janvier; Ottawa, 2 mars 1987.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Contestation entre des bandes indiennes ayant trait à la possession d'une réserve Compte tenu des critères énoncés dans l'arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, /19821 1 R.C.S. 752, la Cour fédérale a juridiction Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2" Supp.), chap. 10, art. 17(1),(3)c) Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1970, chap. E-11, art. 24 (abrogée par S.R.C. 1970 (2" Supp.), chap. 10, art. 64).
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Le droit de posséder des terres sur une réserve indienne relève de la compétence législative fédérale exclusive que confère l'art. 91(24) de la Loi constitutionnelle La Loi sur les Indiens et la loi régissant le titre ancestral des autochtones sont toutes deux des alois fédérales actuelles., et des «lois du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) /S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(24), 101 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art 17(1),(3)c).
Peuples autochtones Terres Contestation entre des bandes indiennes relativement à la possession d'une réserve La Cour fédérale est régulièrement saisie de l'action La Loi sur les Indiens et la loi régissant le titre ancestral des autoch- tones sont des lois fédérales actuelles applicables et des «lois du Canada. au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle L'action en l'espèce visant à régler une contestation dans laquelle l'obligation de la Couronne fait l'objet de demandes contradictoires relève de la compétence conférée par l'art. 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. 1-6, art. 18 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 17((),(3)c).
La bande indienne intimée allègue que la Couronne fédérale lui a à tort refusé l'usage et l'occupation d'une réserve depuis
1888, pour en donner possession plutôt à la bande appelante. L'intimée demande un jugement déclaratoire, une reddition de comptes et des dommages-intérêts pour ce qui concerne la Couronne, et un jugement déclaratoire et une injonction, pour ce qui concerne la bande appelante. Devant la Division de première instance, la bande défenderesse a demandé le rejet de l'action en ce qui la concerne pour défaut de compétence. Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre du rejet de cette demande par le juge de première instance.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Hugessen: Dans l'arrêt ITO—International Termi nal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, le juge McIntyre, en s'exprimant pour la majorité, a énoncé les critères essentiels à la compétence de la Cour fédérale. A. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution au litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. En l'espèce, le droit fédéral en question est la Loi sur les Indiens, qui prévoit et régit le droit de possession sur les terres des réserves, et la loi régissant le titre ancestral des autochtones. B. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitution- nelle de 1867. La Loi sur les Indiens aussi bien que la loi régissant le titre ancestral des autochtones sont des «lois du Canada». C. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. Il est préférable de remettre à plus tard la question de savoir si la compétence en l'espèce est conférée au paragraphe 170) de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit que la Division de première instance a compétence en première instance dans les cas l'on demande contre la Couronne un redressement. L'alinéa 17(3)c) confère compé- tence, laquelle n'est pas limitée à des questions préjudicielles. La présente affaire répond aux exigences de l'alinéa 17(3)c) puisqu'il s'agit d'une procédure aux fins de juger une contesta- tion dans laquelle la Couronne a une obligation (détenir la réserve à l'usage et au profit de la bande pour laquelle elle a été mise de côté à l'origine) qui est l'objet de demandes contradictoires.
Le juge Urie: La compétence en l'espèce découle clairement de l'alinéa 17(3)c). La question de l'applicabilité du paragraphe 170) devrait être remise à plus tard, lorsqu'elle se présentera directement ou lorsque la compétence contestée ne pourra peut-être pas s'appuyer sur aucun autre fondement.
Le juge MacGuigan: La compétence de la Cour repose aussi bien sur le paragraphe 17(1) que sur l'alinéa 17(3)c). L'analyse du paragraphe 17(1) qu'a faite le juge Reed dans l'arrêt Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1« inst.) devrait être adoptée. Le libellé du paragraphe 170) est suffisamment large pour permettre qu'un codéfendeur soit poursuivi en même temps que la Couronne lorsque l'action contre cette dernière et celle contre le codéfendeur sont si entremêlées que les conclu sions de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Derrick- son c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285.
DÉCISIONS MISES EN DOUTE:
Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1te inst.); Little Chief c. Canada (procureur général), ordonnance en date du 11 juin 1986, Cour fédérale, Division de première instance, T-2102-85, encore inédite.
DÉCISIONS CITÉES:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; Sunday c. Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, [1977] 2 C.F. 3 (1'e inst.); Bande indienne de Lubicon Lake (La) c. R., [1981] 2 C.F. 317 (11e inst.), confirmée par [1981] 13 D.L.R. (4th) 159 (C.A.F.).
AVOCATS:
John D. McAlpine, c.r. et David R. Paterson pour les défendeurs (appelants).
Irwin G. Nathanson, c.r. et Anna K. Fung pour les demandeurs (intimés).
Personne n'a comparu pour Sa Majesté la Reine.
PROCUREURS:
McAlpine & Hordo, Vancouver, pour les défendeurs (appelants).
Davis & Company, Vancouver, pour les demandeurs (intimés).
Le sous-procureur général du Canada pour Sa Majesté la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rendus par mes collègues les juges Hugessen et MacGuigan. Je suis entièrement d'accord avec eux pour dire que la compétence de la Cour fédérale en l'espèce découle clairement de l'alinéa 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]. Je préfère fonder mes motifs concordants uniquement sur ce point de vue, de sorte que j'entends souscrire seule- ment aux motifs du juge Hugessen et laisser à plus tard le soin de me prononcer sur les opinions apparamment divergentes exprimées par la Divi sion de première instance [[1987] 1 C.F. 155] relativement à l'applicabilité du paragraphe 17(1) de la Loi aux circonstances comme celles qui ont
cours en l'espèce. Cela ne signifie pas que je souscris ou pas à l'opinion du juge MacGuigan lorsqu'il voit dans le paragraphe 17(1) une source probable de la compétence de la Cour. Selon ma compréhension des faits de l'espèce, il n'est pas nécessaire de décider cette difficile question et la meilleure solution, me semble-t-il, est d'attendre pour ce faire qu'elle se présente directement ou que la compétence contestée ne puisse peut-être s'appuyer sur aucun autre fondement.
Je souscris également au dispositif proposé par le juge Hugessen.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Cet appel soulève une fois de plus la question des limites de la compétence de cette Cour.
Les demandeurs estent en justice en leur qualité de représentants de la bande indienne de Campbell River. Ils allèguent que depuis 1888, la Couronne fédérale a à tort refusé à la bande de Campbell River l'usage et l'occupation d'une parcelle de terrain appelée Réserve 12. C'est à tort, selon eux, que la Couronne a plutôt donné la Réserve 12 aux seconds défendeurs, qui sont poursuivis en leur qualité de représentants d'une autre bande, connue sous le nom de bande indienne de Cape Mudge. Le terrain litigieux est une réserve indienne dont la propriété est dévolue à la Cou- ronne fédérale mais dont l'usage et le profit devraient revenir à la bande demanderesse plutôt qu'à la bande défenderesse. L'action intentée en justice réclame un jugement déclaratoire, une red- dition de comptes et des dommages-intérêts pour ce qui concerne la Couronne, et un jugement déclaratoire et une injonction, pour ce qui con- cerne la bande défenderesse'. Cette dernière a demandé le rejet de l'action en ce qui la concerne pour défaut de compétence. Le juge Joyal a rejeté cette requête en Division de première instance, motivant ainsi le présent appel.
' J'ai quelque peu simplifié les termes de la demande de redressement sans, je le crois, y changer rien de fondamental.
Bien que la compétence de cette Cour ait fait l'objet de nombreux arrêts, je n'ai pas à en faire l'analyse détaillée étant donné la décision récente qu'a rendue la Cour suprême dans l'affaire ITO— International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752. Dans cet arrêt le juge McIntyre, en s'exprimant pour la majorité, a fait ce que je considère respec- tueusement être une synthèse claire et utile de l'état du droit. Voici ce qu'il a dit la page 766]:
L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Cana- dien Pacifique Liée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes:
1. 1l doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
L'avantage particulier de cette approche, me semble-t-il, est qu'elle sépare les questions afféren- tes à l'attribution légale de compétence sur laquelle doit reposer toute assertion de la compé- tence de cette Cour, des questions relatives à la Loi que la Cour doit appliquer et des questions ayant trait à la compétence constitutionnelle. Une telle séparation, à son tour, permet une analyse plus claire et plus rationnelle des questions soulevées dans chaque cas.
En l'espèce, les second et troisième critères énoncés par le juge McIntyre ne me semblent pas poser de problème. L'affaire vise la possession de terres sur une réserve indienne. Comme l'a dit le juge Chouinard, qui s'exprimait pour la majorité de la Cour dans l'arrêt Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285 la page 296]:
Le droit de posséder des terres sur une réserve indienne relève manifestement de l'essence même de la compétence législative fédérale exclusive que confère le par. 91(24) de la Loi constitu- tionnelle de 1867. Il s'ensuit que la loi provinciale ne peut s'appliquer au droit de possession sur les terres des réserves indiennes.
Non seulement la loi fédérale est-elle indispen sable à la résolution de la question en litige, mais il est difficile de concevoir quelle autre loi pourrait être applicable.
La loi fédérale essentielle à la décision à rendre a deux sources.
La première est évidemment la Loi sur les Indiens'-. Bien que le droit de possession sur les terres des réserves ne soit pas créé par cette Loi, celle-ci le prévoit et en traite, et il ne fait aucun doute que les dispositions de la Loi actuelle et de celles qui l'ont précédées seront des éléments essentiels de la décision finale au fond.
La seconde source du droit fédéral applicable est le titre ancestral sous-jacent lequel, selon les procé- dures écrites, doit être dévolu soit à la bande demanderesse, soit à la bande défenderesse. Dans l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, [ 1984] 2 R.C.S. 335, ce titre est qualifié de droit «unique» ou «sui generis» (par le juge Dickson [tel était alors son titre], à la page 382) et de «réalité historique» (par le juge Wilson, à la page 349). Comme l'a dit en outre le juge Dickson à la page 379, le droit des Indiens sur leurs terres:
est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif.
Étant donné le paragraphe 91(24) de la Loi cons- titutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] et l'arrêt Derrickson, précité, on ne peut sérieusement soutenir que la loi applicable au titre ancestral des autochtones est aujourd'hui autre chose que la loi fédérale actuelle.
Quant au troisième critère, il me semble égale- ment hors de doute que la Loi sur les Indiens et la loi régissant le titre ancestral des autochtones sont toutes deux des «lois du Canada» au sens cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle.
Le vrai problème que soulève le présent appel tient au premier critère énoncé par le juge McIn- tyre, selon lequel il doit y avoir attribution de
2 S.R.C. 1970, chap. 1-6.
compétence à la Cour fédérale par une loi. Est-il besoin de dire que cette Cour, créée par une loi, ne peut avoir aucune autre compétence que celle que lui accorde expressément la loi.
Le juge Joyal, en Division de première instance, a conclu que cette compétence légale nécessaire découlait du paragraphe 17 (1) de la Loi sur la Cour fédérale;, dont la partie pertinente est ainsi libellée:
17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas l'on demande contre la Couronne un redressement ...
À cet égard, il a suivi deux décisions antérieures du juge Reed dans les affaires Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (I re inst.) et Little Chief c. Canada (procureur général) (no du greffe T-2102-85, ordonnance en date du 11 juin 1986). Il a conclu que les actions de la bande demande- resse contre la Couronne et contre la bande défen- deresse respectivement étaient si étroitement «liées» qu'il était logique que la Cour, dès lors qu'elle pouvait connaître de la première, pût aussi connaître de la seconde.
J'avoue que ce point de vue me laisse sceptique. Il est vrai que l'interprétation littérale du paragra- phe 17(1) permet de croire qu'une fois que la Couronne fait l'objet d'une demande de redresse- ment, l'affaire toute entière relève de la Cour fédérale, bien qu'elle puisse comprendre des demandes visant le même redressement ou d'autres encore présentées contre un ou plusieurs autres défendeurs, dont cette Cour ne pourrait par ail- leurs être saisie. Cette interprétation n'est toutefois pas encore acceptée. (Voir les arrêts Sunday c. Administration de la voie maritime du Saint- Laurent, [1977] 2 C.F. 3 (Ife inst.); Bande indienne de Lubicon Lake (La) c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1 re inst.), confirmée par [1981] 13 D.L.R. (4th) 159 (C.A.F.)).
Je veux bien concéder que la décision faisant l'objet du présent appel et les deux décisions anté- rieures du juge Reed, mentionnées plus haut, parce qu'elles exigent que la demande contre le défen- deur autre que la Couronne soit «liée» à la demande contre la Couronne, adoptent une posi tion plus subtile que celle que je viens d'exposer; il reste cependant que le paragraphe 17(1) prétend
3 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
accorder une compétence exclusive. Il me répugne d'accepter une proposition qui asseoirait sur une base aussi incertaine une question aussi fondamen- tale, qui doit être déterminée au moment l'ac- tion est intentée.
Puisqu'en tout état de cause j'ai conclu que la compétence de cette Cour en l'espèce trouve un fondement légal suffisant dans une autre disposi tion législative, je préférerais remettre à plus tard la question du paragraphe 17(1) et n'en plus parler.
C'est l'alinéa 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale qui me semble donner compétence à cette Cour dans les circonstances particulières de l'es- pèce, en lui accordant compétence exclusive en ce qui concerne:
17.(3)...
c) les procédures aux fins de juger les contestations dans lesquelles la Couronne a ou peut avoir une obligation qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires.
Cet alinéa de la Loi sur la Cour fédérale est une nouvelle disposition, qui n'a pas son pendant évi- dent dans la Loi sur la Cour de l'Échiquier 4 . Il est clair qu'il entend viser et qu'il vise effectivement les mêmes matières que l'ancienne compétence conférée par l'article 24 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier relativement aux questions préjudiciel- les:
24. Sur requête du procureur général du Canada, la Cour a compétence pour connaître des poursuites pour redressement par voie de question préjudicielle dans tous les cas la Couronne, ou quelque fonctionnaire ou préposé de la Couronne comme tel, est responsable d'une dette, d'une somme d'argent, d'effets ou biens mobiliers à l'égard desquels le procureur général prévoit que la Couronne, son fonctionnaire ou son préposé sera poursuivi par deux personnes ou plus revendiquant ces choses contradictoirement, et la Haute Cour de Justice de Sa Majesté, en Angleterre, pouvait, le 30 septembre 1891, accorder ce redressement à toute personne qui le réclamait dans les mêmes circonstances.
Le champ d'application de l'alinéa 17(3)c) est cependant beaucoup plus vaste que celui de l'an- cienne compétence en matière préjudicielle. En effet, l'action préjudicielle ne visait que le tiers dépositaire ou une autre personne en possession ou responsable d'un bien sur lequel elle n'avait aucun droit mais à l'égard duquel d'autres personnes faisaient valoir des prétentions opposées. Il était
4 S.R.C. 1970, chap. E-11 (abrogée par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 64).
essentiel que celui qui soulevait la question préju- dicielle ne soit pas partie au différend et qu'il n'ait pas été d'intelligence avec l'une des parties ni n'ait pris fait et cause pour elle. La procédure en matière préjudicielle était bien sûr, comme l'indi- que clairement le libellé de l'article 24 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier, intentée à la demande du tiers dépositaire. Il est évident que la procédure en l'espèce n'est pas une action préjudicielle puisque:
1. La Couronne est beaucoup plus qu'un simple tiers dépositaire. Elle a et conservera, quelle que soit l'issue de la cause, le droit de propriété légal sur les terres des réserves en litige'.
2. La Couronne a pris fait et cause pour l'une des parties et n'est pas neutre. Par son action originale en 1888 et dans sa défense déposée en l'instance, elle a affirmé et répété que le droit de bénéficiaire sur la Réserve 12 doit revenir à la bande défenderesse.
3. L'action n'a pas été prise à la demande de la Couronne mais à l'instance de la bande demande- resse; la Couronne ne comparaît qu'en qualité de défenderesse.
Comme je l'ai dit toutefois, j'estime que l'alinéa 17(3)c) ne vise pas uniquement les questions préju- dicielles. Si tel était le cas, il eût été simple de le dire. Le Parlement a plutôt décidé d'adopter un texte qui, sans doute suffisamment large pour comprendre les questions préjudicielles, vise égale- ment d'autres cas dans lesquels une obligation de la Couronne fait l'objet de demandes contradictoi- res. Bien qu'il soit douteux que ces autres cas se présentent souvent, d'autant plus qu'ils doivent satisfaire au second et au troisième critères sus-
` Si l'on considère la période visée par la revendication de la bande demanderesse, le droit de propriété légal de la Couronne est relativement récent. A l'époque la Réserve 12 aurait été à tort attribuée à la bande défenderesse, sa propriété était dévolue à la Couronne provinciale. Bien que selon l'article 13 des Termes de l'Union de 1871 [Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique, S.R.C. 1970, Appendice I1, 10 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 4)], le droit de propriété sur les terres des réserves devait passer du gouverne- ment provincial au gouvernement fédéral, ce transfert ne s'est effectué, de fait, qu'en 1938. (Voir C.P. 208/1930 (Canada) et O.I.C. 1036/1938 (C.-B.), cités dans Indians and the Law II, The Continuing Legal Education Society of British Columbia, 26 janvier 1985).
mentionnés exposés par le juge McIntyre, j'estime que la présente action est l'un de ces cas.
L'alinéa 17(3)c) exige:
1. Une procédure
2. aux fins de juger une contestation
3. dans laquelle la Couronne a une obligation
4. qui est l'objet de demandes contradictoires.
Il ne fait aucun doute que la présente action constitue une procédure.
Il ne fait également aucun doute qu'il y a con- testation. La bande demanderesse réclame la pos session de la Réserve 12 et le titre ancestral sur celle-ci, réserve que la Couronne a remise à la bande défenderesse.
La Couronne a une obligation dans cette contes- tation. Cette obligation, qui découle du droit propre au titre ancestral des autochtones et qui est reconnue par l'article 18 de la Loi sur les Indiens, consiste à détenir la Réserve 12 l'usage et au profit de la bande pour laquelle elle a été mise de côté à l'origine.
Enfin, l'obligation de la Couronne fait l'objet de demandes contradictoires. L'existence possible de demandes contradictoires était suffisamment claire au moment du dépôt de la déclaration originale. Depuis lors, la bande défenderesse a déposé sa défense qui soutient sans équivoque que la Réserve 12:
[TRADUCTION] est et a été depuis sa création mise de côté pour l'usage et le profit exclusifs de la bande défenderesse.
Je conclus par conséquent que la présente action ressortit régulièrement à cette Cour. Comme c'est le cas pour le juge de première instance, j'avoue que cette conclusion me donne quelque satisfac tion. Il est clair que l'action, comme elle est formu- lée, vise principalement la Couronne, dont le geste préjudiciable, est-il allégué, est à la base même de la demande de la bande demanderesse. Cette action doit être intentée auprès de cette Cour. Il est tout aussi évident, toutefois, que la bande défenderesse a un intérêt primordial dans l'issue de cette affaire. Si la bande demanderesse obtenait gain de cause, la bande défenderesse en serait réduite à la condition de squatter sur des terres sur
lesquelles elle n'aurait ni un droit de bénéficiaire, ni un droit légal. Bien que la Couronne, dans sa défense, ait indiqué clairement qu'elle entend appuyer les prétentions de la bande défenderesse, cette dernière est sûrement l'organisme le plus en mesure d'assurer sa défense et celui à qui cette tâche incombe le mieux.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Je suis entièrement d'accord avec mon collègue le juge Hugessen pour dire que la compétence de la Cour en l'espèce trouve un fondement suffisant dans l'alinéa 17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale.
Toutefois, contrairement à mon collègue, je ne doute pas que ce fondement puisse aussi se trouver au paragraphe 17(1) de la Loi, et, de fait, je ferais mienne l'analyse de ce paragraphe qu'a faite le juge Reed dans l'arrêt Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437, aux pages 447 449:
Il s'agit donc de déterminer si, en raison de la compétence conférée à la Cour fédérale par le paragraphe 17(1), un deman- deur peut poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action contre chacun d'eux sont aussi étroitement liées qu'en l'espèce (par exemple, en ce qui concerne la prétendue collusion). Il semble, à la simple lecture de cet article, qu'on ait voulu conférer une telle compétence puisqu'elle porte sur les «cas l'on demande contre la Couronne un redressement». Cette compétence ne vise pas seulement les «réclamations contre la Couronne» comme semble l'exiger une interprétation plus étroite.
Que le Parlement ait eu l'intention de donner cette portée plus large à l'article est une conclusion qui non seulement semble ressortir de son libellé mais peut en outre être raisonna- blement tirée du fait que certaines actions contre la Couronne fédérale doivent être intentées devant la Cour fédérale exclusi- vement. Il semble peu probable que le Parlement ait eu l'inten- tion de désavantager les personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse en les contraignant à diviser une cause d'action unique et à en faire valoir une partie devant la Cour fédérale et l'autre devant les tribunaux supérieurs des provinces. Si telle était l'intention du Parlement, cela aurait pour conséquence d'exposer un demandeur, se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce, à des conclusions différentes, et même contradictoires, devant les tribunaux différents et de créer des embûches juridictionnel- les et financières à l'endroit de ces personnes si elles décidaient de poursuivre la Couronne fédérale. Je ne crois pas que c'était l'intention du Parlement. Bien qu'il ne fasse aucun doute que la compétence des tribunaux statutaires est interprétée stricte- ment en ce qu'ils ne sont pas des tribunaux possédant une
compétence inhérente, il est bon de se rappeler que l'article 11 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, exige que l'on interprète les lois fédérales de la manière la plus propre à assurer la réalisation de leurs objet. En conséquence, il semble- rait que l'on doive considérer que le paragraphe 17(1) confère à la Cour fédérale compétence sur l'ensemble de l'affaire dans un cas où, comme en l'espèce, l'action de la demanderesse vise à la fois l'employeur (la Couronne) et le syndicat (l'A.F.P.).
Je voudrais en outre souligner que suivant la portée qu'a, à mon avis, le paragraphe 17(1), il n'accorde pas à la Cour fédérale quelque compétence que ce soit sur des affaires entre sujets pour la seule raison qu'une action pourrait éventuelle- ment être intentée à l'encontre du fédéral mais ne l'a pas été. Le paragraphe 17(1) ne peut servir de fondement à la compé- tence exclusive ou concurrente de la Cour fédérale sans qu'une action soit intentée directement contre la Couronne. Toutefois, lorsqu'une telle action est formée contre la Couronne fédérale, j'estime que le libellé du paragraphe 17(1) est suffisamment large pour permettre qu'un codéfendeur, dans un cas comme celui qui nous intéresse, soit poursuivi en même temps que la Couronne.
En l'espèce, l'action contre la Couronne (employeur) et celle contre l'Alliance de la Fonction publique (syndicat) sont si entremêlées que les conclusions de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre.
En l'espèce, pour les motifs que le juge Huges- sen a énoncés dans son analyse des faits relative- ment à l'alinéa 17(3)e), les prétentions opposées des deux bandes à l'égard de la Réserve 12 sont étroitement liées non seulement par rapport l'une à l'autre mais aussi dans chaque cas, par rapport à la Couronne.
Je serais par conséquent d'avis que la compé- tence de la Cour repose aussi bien sur le paragra- phe 17(1) que sur l'alinéa 17(3)c).
À tous autres égards, je souscris aux motifs du juge Hugessen et aussi, naturellement, au disposi- tif qu'il propose.
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