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T-2557-86
Syndicat international des débardeurs et magasi- niers—Région du Canada, sections locales 500, 502, 503, 504, 505, 506, 508, 515 et 519 et toute personne s'occupant habituellement de débardage ou d'opérations connexes à un port de la côte Ouest du Canada et qui est assujettie aux disposi tions de la Loi de 1986 sur les opérations portuai- res (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: S.LD.IM. c. CANADA
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Vancouver, 21 janvier; Ottawa, 13 mars 1987.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Loi de 1986 sur les opérations portuaires est inconstitutionnelle, car elle interdit aux demandeurs de négocier collectivement et de refuser légalement de fournir leurs services La demande révèle une cause d'action La requête en radiation de la Couronne repose sur l'état actuel du droit Il est allégué que les points litigieux ont été tranchés de manière définitive par les affaires Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine et Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada La défense de la chose jugée ne s'applique pas, car le litige antérieur ne mettait pas en cause les parties en l'espèce Distinction faite avec les décisions précitées Le fait que les demandeurs comprennent à la fois des particuliers et des syndicats constitue l'élément distinctif le plus important L'enjeu est plus important que de simples intérêts économiques La loi en cause obligerait des employés à travailler à des conditions et pour des salaires inacceptables Demande rejetée Loi de 1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986, chap. 46 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 419(1), 474.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Liberté d'association Action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Loi de 1986 sur les opérations portuaires est inconstitutionnelle parce qu'elle porte atteinte à la liberté d'association et au droit à la liberté garantis par la Charte Demande présentée par la Couronne afin d'obtenir la radiation de la déclaration pour le motif que les décisions rendues dans les affaires Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine et Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada ont tranché les points litigieux de manière définitive La Cour a statué dans l'affaire A.F.P.C. que la liberté d'association exclut le droit de négocier collectivement L'affaire Smith, Kline a établi le principe que l'art. 7 de la Charte concerne le bien-être physique d'une personne physique et non ses intérêts économiques Distinction faite avec ces décisions Les demandeurs comprennent des particuliers et des syndicats L'enjeu est plus important que de simples intérêts économiques
Il est allégué que les employés sont contraints par la loi, sous peine d'amendes, de se rendre à leur lieu de travail et d'effectuer leurs tâches Demande rejetée Loi de 1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986, chap. 46 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2d), 7.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 562 (1' inst.), confirmée par [1984] 2 C.F. 889 (C.A.); Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (1" inst.), confirmée par [1987] 2 C.F. 359 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sylvestre c. R., [1986] 3 C.F. 51; Novopharm Ltd. v. Wyeth Ltd., [1986] 26 D.L.R. (4th) 80 (C.A.F.).
AVOCATS:
N. Glass pour les demandeurs.
E. A. Bowie, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Swinton & Company, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré- sente demande introduite par la Couronne en vue de faire radier la déclaration a été entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 21 janvier 1987. Dès le début de l'audience, j'ai été saisi par les demandeurs d'une requête qui a été réglée sur consentement. À la suite de cette requête, j'ai ordonné:
(i) que la présente action soit reprise au nom des demandeurs nommés en deuxième lieu et que ceux-ci soient constitués parties;
(ii) que certains représentants syndicaux nommés continuent à représenter leurs sections locales respectives;
(iii) qu'on modifie la déclaration en y ajoutant des particuliers comme demandeurs et en y allé- guant que la Loi contestée porte atteinte au droit à la liberté des employés demandeurs, en
violation de l'article 7 de la Charte des droits [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, chap. 11 (R.-U.)]. Les demandeurs ont retiré une demande subsidiaire visant à obtenir, sur le fondement de la Règle 474 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], une décision sur un point de droit.
La présente action vise à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Loi de 1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986, chap. 46, est incompatible avec les dispositions de la Constitu tion et est nulle et inopérante. Il est allégué que cette Loi interdit aux demandeurs de négocier collectivement et de refuser légalement de fournir leurs services ou qu'elle restreint ce droit. Les demandeurs soutiennent qu'une telle restriction porte atteinte à la liberté d'association et au droit à la liberté qui leur sont garantis par l'alinéa 2d) et l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Se fondant sur la Règle 419(1) des Règles de la Cour fédérale, la Couronne présente une requête en radiation pour le motif que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action. L'avocat de la requérante admet qu'il s'agit d'un cas limite d'application de la Règle. Il reconnaît que la demande révèle une cause d'action. Mais il allègue que, vu l'état actuel du droit, il est impossible pour les demandeurs d'avoir gain de cause.
L'avocat de la Couronne soutient que les points litigieux en l'espèce ont déjà été tranchés de manière définitive par des décisions qui lient la Cour. Il cite en particulier l'affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [ 1984] 2 C.F. 562, confirmée par [1984] 2 C.F. 889, dans laquelle ma collègue le juge Reed a statué que la liberté d'association ne comporte pas le droit de négocier collectivement et que le terme «liberté» qui figure à l'article 7 ne comprend pas la liberté de conclure des contrats. La Cour d'appel fédérale a souscrit à ces deux points de vue. Dans le même ordre d'idées, la Cour d'appel a confirmé dans l'arrêt Smith, Kline & French Laboratories Limi ted c. Procureur général du Canada, [ 1986] 1 C.F. 274 (confirmé à [1987] 2 C.F. 359) la décision du juge Strayer suivant laquelle les droits protégés par l'article 7 se rapportent au bien-être physique
d'une personne physique et non pas à ses intérêts économiques.
L'argument suivant lequel ces décisions empê- chent les demandeurs de contester la constitution- nalité de la Loi en question fait appel à plusieurs des principes de la défense de la chose jugée (res judicata). D'après Jowitt dans son ouvrage intitulé Dictionary of English Law, cette défense repose sur la prémisse suivante:
[TRADUCTION] Un jugement final déjà rendu entre les mêmes parties ... sur la même question ... est définitif à l'égard des parties et cette question ne peut être soulevée une autre fois.
La défense de la chose jugée ne s'applique évi- demment pas en l'espèce, car le litige antérieur ne mettait pas en cause les mêmes parties. Néan- moins, ce n'est pas la première fois qu'on demande la radiation d'une déclaration en invoquant l'état du droit. Dans l'arrêt Sylvestre c. R., [1986] 3 C.F. 51, la Cour d'appel a rejeté une demande de certiorari présentée par un membre des Forces armées qui avait été licencié pour homosexualité. Cette décision reposait sur la jurisprudence anté- rieure à 1982 qui avait établi que la Couronne n'était pas engagée contractuellement avec un membre des Forces armées et que les rapports existant entre ces deux parties ne donnaient pas lieu à un recours devant les tribunaux civils. La Cour a conclu que la Charte canadienne des droits et libertés n'avait pas modifié l'état du droit et que la déclaration ne révélait, par conséquent, aucune cause d'action.
Il est essentiel de n'accorder une ordonnance privant une partie du droit de se faire entendre que dans les cas les plus clairs et de le faire avec une extrême prudence, à plus forte raison lorsqu'il est admis que les plaidoiries révèlent une cause d'action.
En dernière analyse, le fait que les demandeurs comprennent à la fois des particuliers et des syndi- cats constitue l'élément le plus important. La demande vise à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Loi en cause contrevient à la Charte parce qu'elle oblige ces personnes à travailler à des conditions et pour des salaires qu'elles n'acceptent pas. L'enjeu de la présente action est donc plus important que celui des décisions invoquées par la Couronne. Dans l'affaire A.F.P.C., le juge Reed a précisé à la page 575 que la Loi contestée dans cette affaire, la Loi sur les restrictions salariales
du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, «ne s'appliqu[ait] pas aux salariés qui n'étaient pas auparavant couverts par une convention collec tive». Les affaires A.F.P.C. et Smith, Kline trai- taient toutes deux d'un intérêt qui pouvait être qualifié de purement économique. Contrairement à l'espèce, il n'y était nullement question d'employés contraints sous peine d'amendes de se rendre à leur lieu de travail et d'effectuer leurs tâches. Ces distinctions préservent la cause d'action.
Les deux avocats ont eu raison de se pencher pendant les plaidoiries sur l'applicabilité de la Règle 474 en ce qui a trait à la solution du présent problème. L'avocat des demandeurs a avancé un dernier argument subsidiaire (qu'il a plus tard retiré) suivant lequel je devrais ordonner que la question soit tranchée conformément à la Règle 474 plutôt que d'admettre la prémisse de la Cou- ronne et de rejeter l'action à ce stade-ci. L'avocat de la Couronne reconnaît en toute justice qu'une telle décision préliminaire sur un point de droit pourrait permettre de trancher le litige d'une manière plus précise et plus complète. Il est cepen- dant évident que les parties ne s'entendent pas sur le fondement factuel ou légal d'une telle demande et, compte tenu du raisonnement suivi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Novopharm Ltd. v. Wyeth Ltd., [1986] 26 D.L.R. (4th) 80, il semble impossible de recourir pour l'instant à la Règle 474. De toute façon, aucune demande formelle de ce genre ne m'ayant été soumise, rien n'empêche les parties de le faire si elles le jugent approprié plus tard au cours des procédures.
La demande est, par conséquent, rejetée avec dépens. La défenderesse devra produire une défense dans un délai de trente jours à compter de la date des présents motifs. Les avocats peuvent préparer un projet d'ordonnance pour signature.
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