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A-275-86
Mackintosh Computers Ltd., Compagnie d'Élec- tronique Repco Ltée/Repco Electronics Co. Ltd., Maison des Semiconducteurs Ltée/House of Semiconductors Ltd., Chico Levy et Nat Levy (appelants) (défendeurs)
c.
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (inti- mées) (demanderesses)
A-276-86
115778 Canada Inc., faisant affaire sous la déno- mination sociale de Microcom et James Begg et 131375 Canada Inc. (appelants) (défendeurs)
c.
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (inti- mées) (demanderesses)
RÉPERTORIÉ: APPLE COMPUTER, INC. C. MACKINTOSH COM PUTERS LTD.
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Urie et Stone—Toronto, 19 et 21 mai; Ottawa, 8 juin 1987.
Pratique Outrage au tribunal Des injonctions interdi- sent aux appelants de vendre des programmes informatiques portant atteinte à un droit d'auteur Violation de ces injonc- tions Outrage Les intimées demandent que les appels interjetés des ordonnances d'injonction soient suspendus jus- qu'à ce que l'outrage ait été réparé Une partie ne sera pas entendue si son outrage fait obstacle à l'administration de la justice Le tribunal dispose-t-il d'autres moyens d'exécution de l'ordonnance de la Cour? Conséquences de l'outrage sur la bonne administration de la justice L'outrage en l'espèce n'a pas un caractère continu mais est d'un unique incident Suspension refusée.
Pratique Suspension d'instance Les appelants ont été condamnés pour outrage relativement à la violation d'ordon- nances d'injonction Une requête sollicite la suspension des appels interjetés à l'encontre des injonctions visées jusqu'à la réparation de l'outrage La partie condamnée pour outrage ne doit pas être entendue si son outrage fait obstacle à l'administration de la justice et si le tribunal ne dispose pas d'autres moyens d'assurer le respect de l'ordonnance judiciaire concernée L'outrage en l'espèce n'a pas un caractère continu mais est d'un unique incident Il n'est pas fait obstacle à la bonne administration de la justice Les demandes de suspension sont rejetées.
Dans un jugement rendu le 29 avril 1986 ([1987] 1 C.F. 173), le juge Reed a conclu que les appelants avaient porté atteinte au droit d'auteur des intimées dans certains program mes informatiques. Des ordonnances ont été prononcées pour
interdire aux appelants de vendre sous le nom Mackintosh des ordinateurs ou des composantes d'ordinateur comprenant une copie ou une copie substantielle de l'une des œuvres littéraires «Autostart ROM» ou «Applesoft». Les appelants ont interjeté appel de cette décision. Le 30 janvier 1987 ([1987] 3 C.F. 452), le juge Reed a décidé que Maison des Semiconducteurs Ltée, et 131375 Canada Inc. étaient coupables d'outrage au tribunal pour avoir violé les injonctions en question. Madame le juge Reed a ordonné le dépôt de garanties sans fixer de délai à cet égard. Les intimées demandent maintenant que les appels interjetés des ordonnances d'injonction en question soient sus- pendus jusqu'à ce que les appelants aient réparé leur outrage.
Arrêt: les demandes de suspension des appels devraient être rejetées.
Le juge Urie: La question de savoir si une suspension doit être accordée devrait être tranchée en faisant référence à l'arrêt Hadkinson v. Hadkinson, [1952] P. 285 (C.A.), le précédent moderne faisant autorité en ce qui a trait à l'outrage au tribunal de nature civile. Dans cette affaire, l'outrage consistait en la désobéissance d'une partie à une ordonnance d'une Cour lui prescrivant de ramener un enfant dans son ressort. Le lord juge Romer y déclare que toute personne à l'égard de laquelle une ordonnance est prononcée par une cour doit obtempérer; cette obligation «subsiste même lorsque la personne visée par l'ordonnance croit celle-ci irrégulière ou même nulle». Dans la même affaire, le lord juge Denning a dit que les tribunaux refusent d'entendre une partie si son outrage fait lui-même obstacle à l'administration de la justice et s'il n'existe aucun autre moyen efficace de faire en sorte que leurs prescriptions soient respectées.
La règle applicable peut s'énoncer de la manière suivante: dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de permettre ou de refuser l'instruction d'un appel, le tribunal doit considérer, notamment, les circonstances particulières de l'outrage ainsi que les conséquences qui en découlent relativement à la bonne administration de la justice, c'est-à-dire la question de savoir si l'outrage visé fait obstacle à ce que la justice suive son cours. Dans la présente affaire, l'outrage est d'un unique incident. La situation en l'espèce était donc différente de celle de l'af- faire Hadkinson, l'outrage se poursuivait et où, au contraire de la présente affaire, il n'existait aucun autre redressement permettant l'exécution de l'ordonnance de la Cour. Dans la présente affaire, il ne continue pas d'être fait obstacle à l'admi- nistration de la justice, et, pour ce motif, les demandes de suspension devraient être rejetées.
La règle générale qu'une partie coupable d'outrage ne sera pas entendue fait l'objet de nombreuses exceptions. Une de ces exceptions, exposée par le lord juge Romer dans l'arrêt Had- kinson, veut qu'une partie «puisse interjeter un appel visant l'annulation de l'ordonnance sur laquelle est fondé l'outrage qu'elle aurait commis». Ne peut être acceptée la prétention des appelants que cette exception s'applique à l'espèce parce que l'appel se trouvant interjeté est formé à l'encontre de l'ordon- nance même—l'injonction—sur laquelle est fondé l'outrage qu'elles auraient commis. Une interprétation aussi littérale de la déclaration de lord Romer aurait pour conséquence d'entra- ver complètement l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d'accorder ou de refuser une suspension. De plus, une telle interprétation serait en contradiction avec la jurisprudence antérieure, par exemple l'arrêt Gordon v. Gordon, [1904] P. 163 (C.A.).
Le juge en chef Thurlow: Le défaut des appelants de déposer la garantie n'empêche pas la Division de première instance ou la Cour d'appel de faire exécuter l'injonction dont il est ques tion en l'espèce. Les parties se trouvent dans le ressort de la Cour, et la Division de première instance peut prendre des mesures contre toute violation supplémentaire qui serait portée à son attention et assortir le dépôt de la garantie d'un délai. De plus, il n'est point établi que la violation de l'injonction se poursuive, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Hadkinson. Le principe énoncé dans l'arrêt Hadkinson n'est pas applicable, et il ne doit pas être empêché que l'appel des appelants suive son cours.
Le juge Stone: Le critère formulé par lord Denning dans l'arrêt Hadkinson a été formulé en regard de circonstances différentes mais suffisamment flexibles pour laisser à la Cour un pouvoir discrétionnaire large et ample qui peut être exercé en tenant compte des particularités de chaque affaire. Dans la présente espèce, l'outrage ou le défaut de le réparer ne dénote pas à l'égard des ordonnances de la Cour un mépris ou une indifférence des sociétés appelantes qui rendraient leur exécu- tion difficile.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 2500.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hadkinson v. Hadkinson, [1952] P. 285 (C.A.); R. v. Jetco Manufacturing Ltd. and Alexander (1987), 57 O.R. (2d) 776 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gordon v. Gordon, [1904] P. 163 (C.A.); Small v. Ame- rican Federation of Musicians (1903), 5 O.L.R. 456 (C. div.); Copeland Chatterson Co. v. Business Systems Limited (1907), 14 O.L.R. 337 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Bettinson v. Bettinson, [1965] 1 All E.R. 102 (Ch.D.); Midland Bank Trust Co Ltd v Green (No 3), [ 1979] 2 All ER 193 (Ch.D.); Isaacs v Robertson, [1984] 3 All ER 140 (P.C.); Turner v. Turner and Eaman (1967), 58 W.W.R. 27 (C.S.C.-B.); Whitehead v. Ziegler (1974), 50 D.L.R. (3d) 145 (B.R. Sask.); Thatcher v. Thatcher (1981), 11 Sask. R. 248 (C.A.); Vautour v. New Bruns- wick, Province of (1982), 41 N.B.R. (2d) 304 (C.A.); Kramer v. Kramer (1986), 4 R.F.L. (3d) 455 (C.S.C.-B.); Newfoundland (Treasury Board) v. New- foundland Association of Public Employees (1986), 59 Nfld. & P.E.I.R. 93 (C.A.T: N.); Miluch v. Miluch (1967), 64 D.L.R. (2d) 161 (B.R. Man.).
DOCTRINE CITÉE:
Borrie, G. and Lowe, N., The Law of Contempt, London: Butterworths, 1973.
AVOCATS:
R. H. C. MacFarlane pour les appelants (défendeurs).
A. Schorr et J. Etigson pour les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto, pour les appelants (défendeurs).
Ivan Hughes, Concord (Ontario), pour les intimées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Les présentes instances constituent des appels interjetés de juge- ments de la Division de première instance pronon- cés le ou vers le 29 avril 1986 [[1987] 1 C.F. 173] qui ont accordé des injonctions interdisant aux appelants:
... d'importer, de vendre ou de distribuer des ordinateurs ou des composantes d'ordinateur, sous le nom de Mackintosh ou tout autre nom, qui comprennent une copie ou une copie substantielle de l'une des oeuvres littéraires «AUTOSTART ROM» ou «APPLESOFT», ou de porter atteinte de quelque façon aux droits d'auteur des demanderesses à l'égard de ces œuvres.
et leur ordonnant de
... remettre aux demanderesses toutes les copies ou copies substantielles des œuvres littéraires des demanderesses, «AUTOSTART ROM» Ou «APPLESOFT», sous une forme quelcon- que, qui sont en la possession, sous la garde ou le contrôle de l'un des défendeurs, y compris tout organe ou appareil conte- nant ces copies ou copies substantielles.
Dans des ordonnances additionnelles prononcées le 30 janvier 1987 [[1987] 3 C.F. 452 (i re inst.)], qui ont été réglées le ou vers le 8 avril 1987, dans le cadre de procédures d'outrage au tribunal pour violation des injonctions susmentionnées, chacune des appellantes, 131375 Canada Inc. et Maison des Semiconducteurs Ltée/House of Semiconduc tors Ltd., s'est vu ordonner le dépôt d'une garantie au montant de 100 000 $ à l'égard de toute éven- tuelle violation ainsi que le paiement des dépens des intimées relativement aux procédures d'ou- trage au tribunal. Ces ordonnances n'ont pas fixé de délai pour le dépôt de la garantie exigée. Aucune de ces deux ordonnances n'a encore été exécutée; des appels ont été interjetés à l'encontre de l'une et de l'autre. Entre-temps, les appellants
ont déposé leur exposé des points d'argument et demandé que soit prononcée une ordonnance fixant une date d'audience dans le cadre de chacun des appels formés à l'encontre des ordonnances d'injonction. Dans ces deux affaires, les intimées ont demandé une audition orale de leur demande et ont présenté des requêtes en suspension d'appel.
Il est reconnu que James Begg est le seul action- naire et administrateur à la fois de 115778 Canada Inc. et de 131375 Canada Inc., et il est reconnu que l'appelant Chico Levy est le seul actionnaire et administrateur des appelantes Maison des Semi- conducteurs Ltée et Mackintosh Computers Ltd., et était un administrateur de l'appelante House of Semiconductors Ltd., une entreprise dont l'appe- lant Nat Levy, son frère, est un administrateur et actionnaire. N'ont pas à être tranchées en l'espèce la question de savoir si l'examen de la présente affaire dans son ensemble révèle que Nat Levy et Repco Electronics ont commis ou commettent un outrage au tribunal ainsi que la question de savoir si, dans la négative, leurs appels devraient être suspendus.
À l'appui de leur prétention que la suspension des appels devrait être accordée, les intimées invo- quent la règle suivant laquelle, aux fins d'assurer le respect des injonctions, la Cour doit refuser d'entendre une partie commettant un outrage jus- qu'à ce que cet outrage ait été réparé. Toutefois, ainsi que l'a souligné le lord juge Romer dans l'arrêt Hadkinson v. Hadkinson', sur lequel s'est appuyé l'avocat des intimées, cette règle est sus ceptible de certaines exceptions, dont celle selon laquelle une personne commettant un outrage [TRADUCTION] «peut interjeter un appel visant à annuler l'ordonnance sur laquelle est fondé l'ou- trage qu'il aurait commis».
L'avocat des intimées, à mon sens, n'a pas pré- tendu que la situation des appelants ne serait pas visée par cet énoncé général de l'exception en question. Au contraire, celui-ci a prétendu que l'espèce était visée par une «exception à cette exception» dont l'affaire Hadkinson constituait une excellente illustration. Dans cette espèce, l'ap- pelante, coupable d'outrage pour avoir amené son enfant à l'extérieur du ressort de la Cour contrai- rement à une de ses ordonnances, a demandé que
1 [1952] P. 285 (C.A.).
lui soit reconnu le droit de plaider dans l'appel qu'elle avait interjeté à l'encontre d'une ordon- nance subséquente portant qu'elle devait ramener son enfant au Royaume-Uni. La Cour a refusé d'entendre son appel parce que l'enfant se trouvait encore à l'extérieur de son ressort et, tant que cette situation durait, l'outrage continu de l'appelante empêchait la Cour d'exercer son autorité quasi parentale concernant cet enfant puisqu'aucune ordonnance qu'elle pouvait rendre à son sujet n'était susceptible d'exécution alors qu'il se trou- vait à l'étranger.
Le lord juge Romer a dit la page 292]:
[TRADUCTION] La présente affaire me semble appartenir indubitablement à la catégorie de celles dans lesquelles la règle ordinaire devrait être appliquée dans toute sa rigueur. Le non-respect d'une ordonnance de la cour est une question grave, quelle que soit l'ordonnance concernée. Toutefois, la Cour exige (ou devrait exiger) l'observance absolue des ordonnances con- cernant des enfants (voir l'arrêt récent Corcoran v. Corcoran ([1950] 1 All E.R. 495)). De telles ordonnances visant le bien-être de l'enfant, la Cour ne doit tolérer aucunement qu'il y soit fait obstacle ou qu'elles ne soient pas respectées. La Cour ne doit surtout pas tolérer, pour des raisons évidentes, que l'on désobéisse à une ordonnance portant qu'un enfant ne doit pas être amené à l'extérieur de son ressort. En effet, la Cour ne peut exercer son autorité quasi parentale à l'égard d'un enfant que si ses ordres sont susceptibles d'exécution, ce qui n'est pas le cas lorsque l'enfant est amené à l'étranger. Une fois un enfant sorti du ressort de la Cour, il n'existe pour l'instant aucune mesure permettant d'assurer son retour.
Le lord juge Denning, dans le passage suivant, exprime le même point de vue la page 298]:
[TRADUCTION] La présente espèce illustre bien comment la désobéissance d'une partie peut faire obstacle à la justice. Aussi longtemps que ce garçon demeurera en Australie, cette Cour se trouvera dans l'impossibilité de faire exécuter les ordres qu'elle a donnés à son sujet. On n'a fait valoir aucun motif valable pour lequel il ne devrait pas être ramené dans ce pays et dans le ressort de cette Cour. Il devrait être ramené avant que l'avocat en question ne soit entendu au fond dans la présente espèce afin que, quelle que soit l'ordonnance prononcée, cette Cour soit en mesure de la faire exécuter.
L'avocat des intimées a soutenu que la présente espèce appartenait à la même catégorie que l'es- pèce mentionnée, alléguant que l'ordonnance exi- geant le dépôt d'une garantie avait pour objet l'observance de l'injonction et que le défaut de déposer la garantie requise faisait obstacle à son exécution par la Cour.
Cet argument aurait peut-être plus de poids si l'ordonnance visée avait assorti le dépôt de la garantie d'un délai et si un tel délai était écoulé.
Aucune preuve ne nous a été présentée relative- ment à la question de savoir pourquoi la garantie n'a pas encore été déposée. D'autre part, le dossier ne suggère aucunement que l'on ait désobéi à l'injonction depuis le prononcé de l'ordonnance de dépôt de la garantie.
Considérant ce facteur ainsi que l'absence d'un délai pour le dépôt de la garantie, je ne crois pas que l'on puisse dire que le défaut des appelants de déposer la garantie jusqu'à présent empêche la Division de première instance ou la Cour d'appel de faire exécuter l'injonction en question. Les par ties se trouvent dans le ressort de la Cour et sont assujetties à sa compétence, de sorte que la Divi sion de première instance peut, sur demande, pren- dre des mesures efficaces contre toute violation supplémentaire qui serait portée à son attention et assortir le dépôt de la garantie d'un délai. De plus, il n'est point établi que la violation de l'injonction se poursuive, ce qui était le cas dans l'affaire Hadkinson. Je ne crois donc pas que le principe énoncé dans l'arrêt Hadkinson soit applicable, et il s'ensuit selon moi que nous ne devrions pas empê- cher l'appel des appelants de suivre son cours.
Je rejetterais les demandes de suspension des appels sans dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Les sociétés ayant la qualité de requérantes dans les présents avis de requête, qui agissent comme intimées dans le cadre de chacun des appels et seront ci-après désignées comme telles, sollicitent des ordonnances suspendant ces appels jusqu'à ce que les sociétés appelantes 131375 Canada Inc. et Maison des Semiconduc- teurs Ltée/House of Semiconductors Ltd. aient réparé l'outrage auquel il a été conclu dans l'or- donnance en date du 30 janvier 1987 prononcée par le juge Reed en Division de première instance, en se conformant aux prescriptions de cette ordon- nance. Elles demandent également que de telles suspensions soient imposées aux autres appelants jusqu'à ce qu'elles forcent les sociétés appelantes à réparer leur outrage.
Les fins de la présente demande ne requièrent qu'un bref exposé de l'historique de la question en
litige. Dans un jugement rendu le 29 avril 1986 [[1987] 1 C.F. 173] la suite du long procès tenu dans le cadre d'une action entamée par les inti- mées contre les appelants et un grand nombre de co-défendeurs sur le fondement d'une violation des droits d'auteur existant sur certains programmes informatiques lorsqu'ils se trouvent sur les micro- plaquettes de silicium, le juge Reed a conclu que les droits d'auteur des intimées avaient été violés et, entre autres, elle a interdit aux appelants ainsi qu'à leurs préposés et agents «d'importer, de vendre ou de distribuer des ordinateurs ou des composantes d'ordinateurs, sous le nom de Mac kintosh ou tout autre nom, qui comprennent une copie ou une copie substantielle de l'une des oeuvres littéraires «AUTOSTART ROM» ou «APPLE - SOFT», ou de porter atteinte de quelque façon aux droits d'auteur des demanderesses [des intimées] à l'égard de ces oeuvres». Les appelants ont prompte- ment interjeté appel de ce jugement de la Division de première instance. Aucune demande de suspen sion de cet appel n'a jamais été présentée. Bien que le jugement porté en appel prévît la remise des copies portant atteinte aux droits d'auteur, les parties ont convenu que les appelants pourraient en conserver la possession et en fourniraient un inventaire aux intimées.
Saisie d'une requête présentée conformément à la Règle 2500 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] et sollicitant une condamna- tion pour outrage au tribunal relativement à la violation de l'injonction accordée dans le cadre de l'action susmentionnée, le juge Reed, le 30 janvier 1987, a prononcé une ordonnance assortie de dis positions particulières à chaque cas. La partie pertinente de cette ordonnance est ainsi libellée:
[TRADUCTION] 1. Il est statué que Michael Lee payera de sa propre poche une amende de 500 $ dont le montant ne lui sera remboursé ni directement ni indirectement par son employeur;
2. Et il est statué que Norman Parent payera de sa propre poche une amende de 500 $ dont le montant ne lui sera remboursé ni directement ni indirectement par son employeur;
3. Et il est statué que Maison des Semiconducteurs Ltée/House of Semiconductors Ltd. consignera à la Cour la somme de 100 000 $, en déposant la somme requise ou un acte de caution- nement approuvé par le greffier de cette Cour, à titre de garantie contre toute contravention future;
4. Et il est également statué que la défenderesse 131375 Canada Inc., faisant affaire sous la dénomination sociale de Microcom, consignera à la Cour la somme 100 000 $, déposant la somme requise ou un acte de cautionnement approuvé par le greffier de cette Cour à titre de garantie contre toute contra vention future;
Les appelants ayant présenté, dans le cadre de chacun des appels, une demande visant la fixation d'une date d'audition, les intimées ont demandé à cette Cour de suspendre les appels jusqu'à ce que les appelants aient réparé l'outrage qu'ils ont commis relativement à l'ordonnance du 30 janvier 1987. Les présents motifs et ordonnances concer- nent ces requêtes.
Il a été reconnu, lors de l'audition de ces requê- tes, que Michael Lee et Norman Parent ont payé leur amende conformément à l'ordonnance con- cluant aux outrages. Ni Maison des Semiconduc- teurs Ltée/House of Semiconductors Ltd. ni 131375 Canada Inc. ne s'est conformée aux dispo sitions de l'ordonnance qui les concernaient. Même si seules les deux entités ayant intenté le présent appel ont été trouvées coupables d'outrage, les intimées sollicitent la suspension des appels de tous les appelants, principalement parce qu'ils auraient aidé et incité à la perpétration de l'outrage et parce que leur situation leur permet d'exercer une influence et un contrôle sur les appelantes qui ont été trouvées coupables d'outrage. De plus, les inti- mées prétendent que l'outrage en question n'était pas accidentel ou technique mais était délibéré et volontaire et faisait obstacle à l'administration de la justice.
Au cours de l'audience, l'avocat des appelants a reconnu les faits supplémentaires suivants:
[TRADUCTION] L L'appelant James Begg est le seul action- naire de 115778 Canada Inc. et de 131375 Canada Inc. et il est un administrateur de ces sociétés.
2. Chico Levy, un appelant dans l'affaire portant le numéro de greffe A-275-86, est le seul actionnaire et administrateur de Maison des Semiconducteurs Ltée/House of Semiconductors Ltd. et de Mackintosh Computers Ltd.
3. Nat Levy, qui agit comme appelant dans le cadre de ce dernier appel, est un actionnaire et administrateur de Compa- gnie d'Électronique Repco Ltée/Repco Electronics Co. Ltd., une société dont, jusqu'à une date qui n'est pas précisée, Chico Levy avait été un actionnaire et un administrateur.
4. Le juge de première instance a conclu que les trois appelants étaient conjointement responsables de la violation du droit d'auteur dans l'affaire portant le numéro de greffe A-276-86 et, de la même façon, a conclu dans l'affaire portant le numéro de greffe A-275-86 que tous les appelants étaient conjointement responsables de cette violation.
Interrogé par la Cour, l'avocat des appelants a également reconnu qu'il n'avait ni demandé ni reçu instruction de ne poursuivre que les appels de
ceux des appelants que l'ordonnance du 30 janvier 1987 n'avait pas trouvés coupables d'outrage. Il a également admis que, bien que des appels aient été formés à l'encontre des ordonnances visant l'ou- trage au tribunal, aucune demande de suspension n'avait été présentée relativement à celles-ci.
La décision relative à la question de savoir si la suspension des appels devrait être accordée dépend du principe suivant lequel il est fondamental à la bonne administration de la justice qu'une obliga tion soit faite à
[TRADUCTION] ... toute personne faisant l'objet d'une ordon- nance prononcée par une cour compétente d'obtempérer à moins que et jusqu'à ce que cette ordonnance soit annulée. Le caractère absolu d'une telle obligation ressort clairement du fait qu'elle subsiste même lorsque la personne visée par l'ordon- nance croit celle-ci irrégulière ou même nulle 2 .
La désobéissance à un tel ordre, si elle est considé- rée comme constituant un outrage de nature civile, peut notamment donner lieu à une ordonnance portant que la partie fautive ne pourra être enten- due ou prendre des procédures dans cette même affaire qu'à la condition d'avoir réparé son outrage. Comme nous le verrons, l'application de cette règle est assortie de certaines exceptions. Avant que nous ne traitions de l'arrêt Hadkinson, le précédent moderne faisant autorité en ce qui a trait à l'outrage au tribunal de nature civile, il peut être utile d'examiner brièvement certaines des décisions antérieures relatives à cette question aux- quelles l'avocat des appelants fait référence.
L'extrait suivant du jugement prononcé par le lord juge Vaughan Williams dans l'affaire Gordon v. Gordon, [1904] P. 163 (C.A.), à la page 171, fournit un point de départ utile:
[TRADUCTION] Ce que je veux dire, c'est que, de façon géné- rale, il n'a pas été contesté au cours des débats qui se sont déroulés devant nous que cette règle, suivant laquelle une personne coupable d'outrage ne peut être entendue, s'applique prima facie à toute demande présentée par cette personne volontairement—c'est-à-dire lorsqu'elle présente et sollicite quelque chose—et non aux affaires dans lesquelles elle ne demande qu'à présenter une défense. Je suis loin de suggérer que toute question soulevée en défense donne le droit d'être entendu à la personne ayant commis l'outrage; par exemple, la personne qui est ou qui s'estime lésée par une ordonnance rendue dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour et qui interjette appel en alléguant un abus de pouvoir, ne peut être entendue à cet égard qu'après avoir réparé son outrage. L'affaire Garstin v. Garstin (4 Sw. & Tr. 73) illustre ce que je
z Hadkinson v. Hadkinson, [1952] P. 285 (C.A.), à la p. 288, motifs du lord juge Romer.
viens de dire. Cependant, pour ce qui est des ordonnances dont on objecte qu'elles procèdent d'un abus de compétence et dont l'examen révèle que c'est bien le fondement de l'appel qui leur est opposé, les tribunaux me semblent avoir toujours jugé qu'il y avait lieu d'entendre l'objection bien que leur auteur demeure insoumis. Il a été reconnu, comme il se devait, que si l'opposition visait l'ordonnance même ayant provoqué l'outrage et qu'elle avait le caractère que je viens de décrire, la non-répa- ration de cet outrage par la partie opposante ne la déchoit pas de son droit d'être entendue. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Small v. American Federation of Musicians (1903), 5 O.L.R. 456, un syndicat avait interjeté appel devant la Cour divisionnaire d'une décision concluant qu'il avait commis un outrage en désobéissant à une injonction sur le fondement que cette décision avait été rendue sans compé- tence parce qu'une ordonnance prévoyant une signification indirecte était entachée de défaut. Une requête en suspension de l'appel du syndicat a été présentée. La Cour a conclu que, si le syndicat était incapable d'être poursuivi ou de recevoir signification d'un acte de procédure, il ne pouvait commettre un outrage [TRADUCTION] «et comme l'objet même de son appel est de trancher la question de savoir s'il peut être poursuivi et rece- voir signification d'un bref, nous ne pouvons déci- der si un outrage a été commis sans entendre l'appel». À la page 458, le juge Street a dit:
[TRADUCTION] La règle voulant que les personnes trouvées coupables d'outrage ne puissent prendre aucune procédure dans le cadre de l'action n'a pas un caractère universel: elle est sujette à plusieurs exceptions, dont celle que la partie visée, malgré son outrage, a le droit de prendre les mesures nécessai- res à sa défense. En l'espèce, les défendeurs sont tenus de comparaître dans les dix jours de la signification du bref d'assignation sans quoi un jugement serait prononcé contre eux et, sur le fondement des décisions rendues dans les affaires Fry v. Ernest (1863), 9 Jur. N.S. 1151, et Ferguson v. County of Elgin, 15 P.R. 399, ils paraissent avoir le droit d'établir, s'ils le peuvent, que les règles de pratique ne permettent pas qu'un bref leur soit signifié.
Il est donc clair que l'appel ne sera pas suspendu lorsqu'il vise à déterminer si la Cour ayant pro- noncé l'ordonnance relative à l'outrage avait la compétence requise pour le faire.
Le juge en chef de l'Ontario Moss, dans l'arrêt Copeland Chatterson Co. v. Business Systems Limited (1907), 14 O.L.R. 337 (C.A.), a dit aux pages 337 et 338:
[TRADUCTION] Il n'a pas encore été statué que les défendeurs étaient coupables d'outrage pour avoir désobéi à l'injonction, et ce tribunal n'est pas compétent à trancher à présent cette question. De plus, même s'il était reconnu que les défendeurs
ont été trouvés coupables d'outrage, cela ne les empêcherait pas de façon absolue de prendre des procédures. La règle voulant que les parties à une action qui sont coupables d'outrage ne puissent prendre aucune procédure est assujettie à plusieurs exceptions. Une de celles-ci porte qu'une partie a le droit d'interjeter appel de l'ordonnance ou du jugement qui accorde l'injonction ou qui renferme l'ordonnance à laquelle elle serait coupable d'avoir désobéi.
Le facteur clé, dans cette décision, est que les défendeurs n'avaient pas encore été détenus pour avoir commis un outrage en désobéissant à l'in- jonction. En conséquence, ce qui a été dit relative- ment aux exceptions applicables à la règle de la suspension des appels lorsque l'outrage a été établi constitue purement une remarque incidente et, qui plus est m'apparaît, comme je le montrerai en temps voulu, entrer en contradiction avec les exceptions dont il est fait état dans d'autres décisions.
J'estime que la décision rendue dans l'affaire R. v. Jetco Manufacturing Ltd. and Alexander (1987), 57 O.R. (2d) 776 (C.A.) n'est pas applica ble à l'espèce puisqu'elle se fondait sur le défaut, dans le cadre d'une poursuite criminelle, de prou- ver au-delà de tout doute raisonnable qu'il y avait eu outrage. L'outrage dont il est question en l'es- pèce a un caractère civil. Ce que je viens de dire s'applique aux deux autres décisions auxquelles l'avocat de l'appelante a fait référence.
J'examinerai à présent la décision sur laquelle s'est principalement appuyé l'avocat des intimées, l'arrêt Hadkinson 3 . Dans cette affaire, une femme qui avait obtenu le divorce s'était vu accorder la garde du seul enfant du mariage avec l'ordre de ne pas amener cet enfant à l'extérieur du ressort de la Cour sans son approbation. Cette femme s'est ensuite remariée et est allée vivre en Australie, y emmenant son enfant sans l'approbation de la Cour. Le père de l'enfant a fait parvenir à la mère un bref d'assignation lui ordonnant de ramener l'enfant dans le ressort de la Cour au plus tard à une date donnée. Celle-ci ayant interjeté appel de cette ordonnance, l'avocat du père a présenté une objection préliminaire voulant que l'appel ne doive pas être entendu parce que la mère avait toujours été et était encore coupable d'outrage.
3 Précité, [1952] P. 285 (C.A.).
Les juges de la Cour d'appel ont accordé la suspension à l'unanimité, mais pour des motifs quelque peu différents. Le lord juge Somervell a souscrit aux motifs du lord juge Romer tandis que le lord juge Denning (c'était alors son titre) a prononcé des motifs distincts. Je traiterai tout d'abord de l'opinion du lord juge Romer.
Aux pages 289 et 290, il a traité des exceptions à la règle générale exposées par le lord juge Vaug- han Williams dans l'extrait précité de son juge- ment dans l'affaire Gordon v. Gordon:
[TRADUCTION] La présente affaire constitue-t-elle une exception à la règle générale selon laquelle la mère, parce que coupable d'outrage, ne pourrait être entendue par les tribunaux ayant prononcé l'ordonnance à laquelle elle a désobéi? Une de ces exceptions porte qu'une personne peut présenter une demande ayant pour objet la réparation de son outrage tandis qu'une autre veut qu'une personne puisse interjeter un appel visant l'annulation de l'ordonnance sur laquelle est fondé l'ou- trage qu'elle aurait commis; ni l'une ni l'autre de ces exceptions n'est pertinente à l'espèce. Une personne à l'encontre de laquelle un outrage est allégué pourra également, cela va de soi, être entendue si elle plaide que, considérant la signification et l'objet véritables de l'ordonnance à laquelle elle aurait désobéi, ses actes ne contrevenaient pas à cette ordonnance; cette per- sonne pourrait également être entendue si elle prétendait que, compte tenu de toutes les circonstances, elle ne devait pas être considérée comme étant coupable d'outrage. La seule autre exception qui pourrait de quelque manière être jugée pertinente est l'exception assortie de réserves qui, dans certains cas, con- fère à une personne coupable d'outrage le droit de présenter une défense à l'encontre d'une demande formée contre elle (voir, par exemple, la décision rendue dans l'affaire Parry v. Perryman (M.R., juillet 1938), mentionnée dans les notes de l'arrêt Chuck v. Cremer (Cooper temp. Cott. 205)). Cette Cour a traité du caractère et des limites de cette exception dans Gordon v. Gordon ([1904] P. 163).
La seconde de ces exceptions, selon l'avocat des appelants, s'appliquait à l'espèce parce que le pré- sent appel est interjeté de l'ordonnance même— l'injonction—sur laquelle est fondé l'outrage qu'ils auraient commis. Je ne crois pas que la déclaration précitée du lord juge puisse être interprétée de façon aussi littérale. Plusieurs motifs m'incitent à adopter un tel point de vue. Premièrement, il est clair que la question de savoir si une suspension sera accordée ou non relève de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Si la règle était aussi caté- gorique qu'il semble l'avoir dit, aucun pouvoir discrétionnaire ne pourrait être exercé lorsque l'ap- pel vise l'ordonnance même à l'égard de laquelle l'outrage aurait été commis. L'exercice de ce pou- voir discrétionnaire s'en trouverait complètement entravé. Deuxièmement, une telle interprétation
me semble en contradiction avec la jurisprudence antérieure, par exemple l'arrêt Gordon v. Gordon, précité. Troisièmement, bien que l'existence d'un tel pouvoir discrétionnaire ne fasse aucun doute, il est difficile d'imaginer des circonstances dans les- quelles une suspension pourrait être accordée dans le cadre d'un tel appel. La partie demandant une suspension ne pourrait espérer avoir gain de cause que dans le cadre d'un appel portant sur une question entièrement étrangère à celle faisant l'ob- jet de l'ordonnance à l'égard de laquelle l'outrage serait commis. Il arriverait certes rarement que les mêmes parties, environ au même moment, soient opposées dans le cadre d'un appel visant une ques tion étrangère à la première. Il existe une jurispru dence voulant que, dans cette situation improba ble, une suspension ne serait pas accordée 4 . Quatrièmement, une suspension a évidemment été accordée dans le cadre du présent appel dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour.
Je traiterai à présent du jugement prononcé par le lord juge Denning. L'auteur Borrie dans The Law of Contempt, London: Butterworths, 1973, à la page 367, dit que ce jugement du lord juge Denning constitue [TRADUCTION] «son exposé classique de l'historique et de l'évolution de cette règle». Une fois terminée son analyse de l'aspect historique de la question, le lord juge Denning a dit la page 298]:
[TRADUCTION] Ces décisions me semblent avoir tracé la voie à la règle moderne. Le refus par un tribunal d'entendre une partie à une instance est une question très grave; seules des considérations importantes d'intérêt public peuvent le justifier. Les tribunaux ne recourront à une telle mesure que si l'outrage fait lui-même obstacle à l'administration de la justice et s'il n'existe aucun autre moyen efficace de faire en sorte que leurs prescriptions soient respectées. A cet égard, j'aimerais faire référence à ce qu'a dit le maître des rôles Sir George Jessel relativement à une question similaire dans l'affaire In re Cle- ments v. Erlanger ((1877) 46 L.J.Ch. 375, 383): »Il m'est moi-même arrivé souvent d'avoir à examiner cette compétence, et j'ai toujours cru que, bien que nécessaire, cette mesure ne s'impose que de la manière dont s'imposent parfois les mesures extrêmes visant à protéger les droits des individus, c'est-à-dire lorsqu'aucun autre redressement pertinent n'est applicable. Après examen, l'on découvrira probablement que tel est le critère véritable devant présider à l'exercice de cette compé- tence.» Applicant ce principe, je suis d'avis que la désobéissance
4 Dans l'affaire Bettinson v. Bettinson, [1965] 1 All E.R. 102 (Ch.D.), le juge Plowman a cité le passage suivant de l'ouvrage Oswald on Contempt of Court (3» éd.), à la p. 248: [TRADUC- TION] »Un demandeur coupable d'outrage peut, semble-t-il, intenter des procédures dans le cadre d'autres instances, même si celles-ci opposent les mêmes parties.»
d'une partie à un ordre de la Cour ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'audition de cette partie; cependant, si cette déso- béissance est telle que sa persistance fait entrave à l'administra- tion de la justice dans le cadre de l'affaire en rendant pour la Cour plus difficile la découverte de la vérité ou l'exécution de ses ordonnances, le tribunal est investi du pouvoir discrétion- naire de refuser d'entendre la partie désobéissante jusqu'à ce que l'obstacle soit écarté ou que des motifs valables de ne pas l'écarter soient établis. [C'est moi qui souligne.]
Le lord juge Denning s'est alors employé à démontrer que, dans cette espèce, le fait pour la mère de continuer de ne pas respecter l'ordonnance de la Cour prescrivant le retour de son fils dans son ressort rendait la Cour impuissante à faire exécuter sa propre ordonnance. Le refus d'obéir à l'ordonnance entravait l'administration de la jus tice, permettant au lord juge Denning de conclure que la suspension de l'appel devait être accordée.
Le lord juge Romer, bien qu'au terme d'un cheminement différent, est parvenu à la même conclusion, ainsi qu'il ressort du passage suivant figurant à la page 292 de ses motifs:
[TRADUCTION] La présente affaire me semble appartenir indubitablement à la catégorie de celles dans lesquelles la règle ordinaire devrait être appliquée dans toute sa rigueur. Le non-respect d'une ordonnance de la cour est une question grave, quelle que soit l'ordonnance concernée. Toutefois, la Cour exige (ou devrait exiger) l'observance absolue des ordonnances con- cernant des enfants (voir l'arrêt récent Corcoran v. Corcoran ([1950] 1 All E.R. 495)). De telles ordonnances visant le bien-être de l'enfant, la Cour ne doit tolérer aucunement qu'il y soit fait obstacle ou qu'elles ne soient pas respectées. La Cour ne doit surtout pas tolérer, pour des raisons évidentes, que l'on désobéisse à une ordonnance portant qu'un enfant ne doit pas être amené à l'extérieur de son ressort. En effet, la Cour ne peut exercer son autorité quasi parentale à l'égard d'un enfant que si ses ordres sont susceptibles d'exécution, ce qui n'est pas le cas lorsque l'enfant est amené à l'étranger.
L'arrêt Hadkinson a été examiné, distingué et appliqué dans de nombreuses décisions aussi bien britanniques que canadiennes. Certaines s'ap- puient sur la remarque incidente du lord juge Romer tandis que d'autres ont préféré se fonder sur celle du lord juge Denning. Peu de décisions omettent de faire référence à l'arrêt Hadkinson. Je n'ai pas l'intention de les analyser toutes dans le cadre des présents motifs. Qu'il suffise de dire que j'ai lu et examiné les jugements suivants, dans lesquels référence est faite à l'arrêt Hadkinson, pour former ma propre opinion sur la manière dont il convient de statuer sur la présente demande: Bettinson v. Bettinson, [1965] 1 All E.R. 102
(Ch.D.); Midland Bank Trust Co Ltd y Green (No 3), [1979] 2 All ER 193 (Ch.D.); Isaacs y Robert- son, [1984] 3 All ER 140 (P.C.); Turner v. Turner and Eaman (1967), 58 W.W.R. 27 (C.S.C.-B.); Whitehead v. Ziegler (1974), 50 D.L.R. (3d) 145 (B.R. Sask.); Thatcher v. Thatcher (1981), 11 Sask. R. 248 (C.A.); Vautour v. New Brunswick, Province of (1982), 41 N.B.R. (2d) 304 (C.A.); Kramer v. Kramer (1986), 4 R.F.L. (3d) 455 (C.S.C.-B.); Newfoundland (Treasury Board) v. Newfoundland Association of Public Employees (1986), 59 Nfld. & P.E.I.R. 93 (C.A.T.-N.); Miluch v. Miluch (1967), 64 D.L.R. (2d) 161 (B.R. Man.).
Considérant tout ce qui précède, je crois que je devrais accorder ma préférence à la règle selon laquelle, dans l'exercice de son pouvoir discrétion- naire de permettre ou de refuser l'instruction d'un appel, le tribunal doit considérer, notamment, les circonstances particulières de l'outrage ainsi que les conséquences qui en découlent pour la bonne administration de la justice, c'est-à-dire la question de savoir s'il fait obstacle à ce que la justice suive son cours. Cette question sera évidemment tribu- taire des circonstances dans lesquelles l'outrage a été commis ainsi que de l'opinion de la Cour sur ses conséquences. On doit donc conserver à l'esprit que, en l'espèce, l'outrage est d'un unique inci dent. Nous ne savons si d'autres incidents du même type ont eu lieu. Nous devons présumer qu'il n'y en aura pas d'autres et nous ne devrions pas conjecturer que d'autres outrages seront commis. La situation en l'espèce est donc différente de la situation de fait dans l'affaire Hadkinson et dans d'autres affaires du même type, l'outrage se poursuivait et où, contrairement à la situation visée en l'espèce, il n'existait aucun autre redresse- ment permettant l'exécution de l'ordonnance de la Cour. Pour paraphraser le lord juge Denning, il ne continue pas d'être fait obstacle à l'administration de la justice. En conséquence, je rejetterais la demande de suspension.
Toutefois, alors que le juge Reed n'imposait dans ses ordonnances aucun délai pour le paiement de l'argent comptant ou le dépôt de l'acte de cautionnement devant servir de garantie par les deux sociétés défenderesses, je suis d'avis, pour les motifs justifiant mon refus d'ordonner une suspen sion, que notre Cour ne devrait pas prescrire que
l'on se conforme à cet ordonnance avant l'audition des appels. Toutefois, il y va de l'intérêt de toutes les parties en cause que les appelants démontrent leur respect déclaré à l'égard des ordonnances de la Cour en déposant la garantie en question avant l'audition des appels—à moins que les ordonnances visées soient entre-temps modifiées ou suspendues par la Division de première instance. Que les appelants suivent ou non la suggestion qui précède, il leur est ordonné de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l'audition des appels soit fixée aux dates les plus rapprochées qui conviennent à la Cour.
En conséquence, je rejetterais les demandes sans dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: J'ai eu la chance de lire les motifs de jugement de mes collègues à l'état de projet et j'aimerais simplement faire savoir lequel des critères je préférerais voir appliquer en l'espèce.
Dans l'arrêt Hadkinson v. Hadkinson, [1952] P. 285 (C.A.), le lord juge Denning a démontré que l'ancienne règle applicable au droit d'une personne coupable d'outrage d'être entendue, une règle de droit canon adoptée par la Cour de chancellerie ainsi que par les tribunaux ecclésiastiques, était devenue inutilement complexe et difficile à appli- quer. Cette constatation ressort également de l'analyse de la jurisprudence anglaise et cana- dienne faite par le juge Urie. La remarque inci- dente de lord Bacon selon laquelle [TRADUCTION] «des personnes coupables d'outrage ne doivent être entendues ni dans l'instance visée ni dans aucune autre instance» a donné lieu non seulement à plu- sieurs exceptions mais encore à une exception à une exception. Le lord juge Denning, à la page 298, pose les jalons de «la règle moderne»:
[TRADUCTION] Le refus par un tribunal d'entendre une partie à une instance est une question très grave; seules des considéra- tions importantes d'intérêt public peuvent le justifier. Les tribu- naux ne recourront à une telle mesure que si l'outrage fait lui-même obstacle à l'administration de la justice et s'il n'existe aucun autre moyen efficace de faire en sorte que leurs prescrip tions soient respectées.
Bien qu'il l'ait formulé en regard de circons- tances différentes, je préfère adopter son unique critère en ces matières. Sa flexibilité laisse à la Cour un pouvoir discrétionnaire large et ample qui peut être exercé en tenant compte des particulari- tés de chaque affaire.
Comme l'observent mes deux collègues, les demandes en l'espèce sont fondées sur un unique outrage, pour la réparation duquel aucun délai n'est prescrit. Les jugements concluant à l'outrage sont contestés par voie d'appel, mais on n'a nulle- ment tenté de les suspendre ou de les modifier. Je suis entièrement d'accord pour dire que l'espèce n'est pas de celles dans lesquelles l'outrage ou le défaut de réparation fait obstacle à l'administra- tion de la justice. Rien ici ne suggère que l'outrage ou le défaut de le réparer jusqu'à présent dénote à l'égard des ordonnances de la Cour un mépris ou une indifférence des sociétés appelantes qui ren- drait leur exécution difficile. Appliquant le critère du lord juge Denning comme le propose le juge Urie, je suis d'accord avec mes collègues pour dire que les présentes demandes devraient être rejetées, mais je n'adjugerai aucuns dépens.
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