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A-1076-84
Ministre des Pêches et Océans et Wayne Shin- ners, directeur général régional du ministère des Pêches et Océans pour la région du Pacifique (appelants) (intimés)
c.
Gulf Trollers Association (intimée) (requérante)
RÉPERTORIÉ: GULF TROLLERS ASSN. c. CANADA (MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et Hugessen— Vancouver, 16 septembre; Ottawa, 3 novembre 1986.
Pêches Pêche au saumon dans le Golfe de Georgie Variété décroissante Des fonctionnaires des pêcheries ont limité la saison de la pêche commerciale du saumon La pêche sportive n'a pas été restreinte La modification des périodes de fermeture n'est pas une fonction administrative mais législative Ni la Loi ni les Règlements ne limitent expressément les objectifs pouvant être fixés à cet égard Le pouvoir législatif fédéral sur les pêcheries ne se limite pas à la conservation Les considérations socio-économiques sont valides Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 34 (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 17, art. 4) Règlement de pêche commerciale du saumon dans le Pacifi- que, C.R.C., chap. 823, art. 5(1) (mod. par DORS/82-529, art. 3(1)) Règlement de pêche sportive de la Colombie-Britanni- que, DORS/82-645 Loi modifiant la Loi sur les pêcheries, S.C. 1985, chap. 31.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Pêches La modification des périodes de fermeture de la pêche com- merciale du saumon a eu pour effet d'accorder la priorité à la pêche sportive Des objectifs socio-économiques, comme des objectifs de conservation, ont été poursuivis La modifica tion des périodes de fermeture n'est pas une fonction adminis trative mais législative Ni la Loi ni les Règlements ne limitent expressément les objectifs pouvant être fixés à cet égard Le pouvoir législatif fédéral n'est pas limité en ce qui regarde les objectifs guidant son exercice Les tribunaux ne doivent examiner l'objet d'un texte législatif que si une atteinte à un pouvoir provincial est alléguée Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 34 (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 17, art. 4) Règlement de pêche commerciale du saumon dans le Pacifique, C.R.C., chap. 823, art. 5(1) (mod. par DORS/82-529, art. 3(1)) Loi constitu- tionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5/ (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, I ), art. 91(12), 92.
En 1984, des fonctionnaires des pêcheries, par l'émission d'avis publics, ont modifié les périodes de fermeture s'appli- quant à la pêche commerciale du saumon dans diverses régions du Golfe de Georgie, en Colombie-Britannique. Tandis que ces nouvelles restrictions étaient imposées aux pêcheurs pratiquant la pêche commerciale, aucune ne fut imposée aux pêcheurs sportifs.
En Division de première instance, un bref de certiorari a été délivré pour le motif que la modification des périodes de fermeture constituait une fonction administrative et outrepas- sait les pouvoirs constitutionnels permis des appelants de pour- suivre des objectifs socio-économiques dans l'attribution des pêches. L'appel en l'espèce est interjeté de cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Bien que l'ordonnance à l'encontre de laquelle l'appel est formé, ayant été prononcée alors que l'effet des avis publics contestés avait pris fin, n'ait eu aucune conséquence pratique, et bien qu'une modification apportée à la Loi sur les pêcheries permette à présent la prise en considération de facteurs socio- économiques dans l'attribution des ressources des pêcheries, le présent litige doit être tranché puisqu'il soulève la question constitutionnelle de savoir si le paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le Parlement à établir des périodes de fermeture et d'ouverture de la pêche non seulement pour des fins de conservation mais encore en fonction d'objec- tifs de nature socio-économique.
L'émission d'avis publics n'est pas une fonction administra tive mais législative. Elle a eu pour effet de créer et de promulguer une règle de conduite générale, sans aménagement pour des circonstances particulières. Comme il s'agit d'un pouvoir délégué, l'on doit vérifier que son exercice n'ait pas excédé les limites fixées expressément par l'autorité déléguante ou inhérentes à ce pouvoir délégué. Ni la Loi sur les pêcheries, ni les règlements ne limitaient expressément les objectifs pou- vant être fixés. Il reste à savoir si le pouvoir ainsi délégué (le pouvoir conféré par le paragraphe 91(12) de la Loi constitu- tionnelle de 1867) comportait en lui-même cette limite.
Les décisions qui ont défini le pouvoir conféré en matière de pêcheries comme étant celui de «réglementer, protéger et con- server les pêcheries» portaient toutes sur des allégations d'intru- sion du gouvernement central dans des sphères de compétence législative provinciale. Elles ne peuvent être interprétées comme statuant que la compétence du Parlement se limite aux mesures législatives nécessaires à la conservation et à la protection des pêcheries, à l'exclusion de tout autre objectif. En fait, un texte législatif qui, comme celui en l'espèce, ne peut relever que d'une seule catégorie de sujets ne peut faire l'objet d'une contestation fondée sur les objectifs, les motifs ou l'objet qui ont conduit à son adoption.
Comme les objectifs pouvant être poursuivis dans l'exercice du pouvoir conféré en matière de pêcheries ne sont aucunement restreints, rien n'empêche le Parlement de poursuivre des objec- tifs de nature sociale, économique ou autres dans la gestion des pêcheries soit en les associant à des objectifs de conservation soit indépendamment de tels objectifs. A moins que la partie qui attaque un texte législatif en s'appuyant sur la répartition des compétences fasse état d'une atteinte possible à une compé- tence législative expressément attribuée, l'objet visé lors de l'adoption d'un texte législatif ne doit aucunement intéresser les tribunaux.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Queen v. Robertson (1882), 6 Can. R.C.S. 52; Attorney General for the Dominion of Canada v. Attor neys General for the Provinces of Ontario, Quebec and
Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.); Attorney General for British Columbia v. Attorney General for Canada, [1914] A.C. 153 (P.C.); Attorney General for Canada v. Attorney General for Quebec, [1921] 1 A.C. 413 (P.C.); Attorney General for Canada v. Attorney General for British Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.).
AVOCATS:
Gunnar O. Eggertson et D. R. Kier pour les
appelants.
J. K. Lowes et A. Shields pour l'intimée.
S. B. Armstrong et A. W. Carpenter pour
Pacific Trollers Association, intervenante.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants.
Mawhinney & Kellough, Vancouver, pour l'intimée.
Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Van- couver, pour Pacific Trollers Association, intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU; L'appel en l'espèce est formé à l'encontre d'une ordonnance de la Division de première instance [[1984] 2 C.F. 398] annulant certains avis publics émis par des fonctionnaires des pêcheries du ministère des Pêches et Océans pour modifier les «périodes de fermeture» s'appli- quant à une partie de la pêche commerciale à la cuiller dans le Golfe de Georgie, en Colombie-Bri- tannique. La question réellement soulevée est diffi- cile à définir en termes juridiques. Ainsi que nous le verrons, le juge des requêtes a considéré les avis publics attaqués comme constituant des décisions administratives et néanmoins il les déclara illégaux parce que leur objectif outrepassait la page 408] «les pouvoirs constitutionnels permis». Puis, devant notre Cour, toutes les parties s'accordaient pour dire que, peu importe si les avis étaient de nature administrative ou non, une question constitution- nelle cruciale pouvait ultimement se poser qu'il convenait de trancher de toute façon. Mon attitude sera qu'en réalité il n'y a qu'une seule question immédiatement soulevée, et que cette question est d'ordre constitutionnel, mais je m'en tiendrai à cela pour le moment: la difficulté et l'importance essentielle de cerner de façon précise la question à
trancher ressortiront une fois exposés les détails de l'espèce.
La Loi sur les pêcheries (S.R.C. 1970, chap. F-14 et ses modifications) a été édictée par le Parlement dans l'exercice de la compétence que lui confère le paragraphe 91(12) de la Loi constitu- tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] sur «les pêcheries des côtes de la mer et de l'inté- rieur». L'article 34 de cette Loi porte:
34. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements concernant la réalisation des objets de la présente loi et l'appli- cation de ses dispositions et, en particulier, peut, sans restrein- dre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches côtières et des pêches de l'intérieur;
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l'écoulement du poisson;
d) concernant l'exploitation des bateaux de pêche;
e) concernant l'utilisation des appareils et accessoires de pêche;
J) concernant la délivrance, la suspension et l'annulation des permis et baux;
g) concernant les modalités selon lesquelles un bail ou un permis peut être délivré; [S.R.C. 1970 (1r Supp.), chap. 17, art. 4]
h) concernant l'obstruction et la pollution des eaux que fréquente le poisson;
i) concernant la conservation et la protection des frayères;
j) concernant l'exportation, hors du Canada, du poisson ou de toute partie de poisson;
k) concernant la prise ou le transport du poisson ou de toute partie de poisson d'une province du Canada à une autre province;
l) prescrivant les pouvoirs et les fonctions des personnes engagées ou employées à l'administration ou l'application de la présente loi et concernant l'exercice de ces pouvoirs et fonctions; et
in) autorisant une personne engagée ou employée à l'admi- nistration ou l'application de la présente loi à modifier une période de temps prohibé ou la quantité maximum de poisson qu'il est permis de prendre, que les règlements ont fixées.
Plusieurs règlements ont été édictés par le gou- verneur en conseil sous le régime de l'article 34 de la Loi sur les pêcheries. Le Règlement de pêche commerciale du saumon dans le Pacifique [C.R.C., chap. 823 (mod. par DORS/82-529)] est un de ceux-là. Les dispositions de ce Règlement interdisent en principe la pêche du saumon à la
cuiller dans les eaux du Pacifique. Depuis 1982, la «période de fermeture» (période au cours de laquelle la pêche n'est pas permise) pour la pêche à la cuiller, la pêche à la seine à poche et la pêche au filet maillant s'étend du l e ` janvier au 31 décembre (Dossier d'appel, page 41). Une importante res triction figure toutefois au paragraphe 5(1) [mod. idem, art. 3(1)], qui est ainsi libellé:
5. (1) Le directeur régional ou un fonctionnaire des pêcheries peut modifier les périodes de fermeture ou les contingents fixés dans le présent règlement pour un cours d'eau, un secteur ou un sous-secteur donné.
Les avis publics visés dans les procédures en l'espèce ont été émis conformément au paragraphe 5(1) du Règlement de pêche commerciale du saumon dans le Pacifique. Leur objet était de modifier la période de fermeture relative à la pêche à la cuiller de certaines variétés de saumon. Ces avis déclaraient que la prise et la sortie de l'eau du saumon quinnat étaient permises entre 23 h le 30 juin 1984, et 24h le 31 août 1984, dans le [TRADUCTION] «secteur intérieur de pêche au saumon la traîne)», c'est-à-dire principalement dans le Détroit de Georgie ainsi que dans le Détroit de Juan de Fuca entre l'Île de Vancouver et la Colombie-Britannique continentale.
Les propriétaires et exploitants de navires de pêche pratiquant la pêche à la cuiller ne pouvaient que voir leurs attentes complètement contrecarrées par l'émission de ces avis publics. Par le passé, la saison de pêche à la cuiller du saumon quinnat dans le Golfe s'était toujours étendue du 15 avril au 30 septembre et, justement, depuis que la période de fermeture fixée par le Règlement était censée courir en principe tout le long de l'année, des avis de modification avaient été émis chaque année pour permettre le déroulement traditionnel des activités de pêche. Voici que cette façon de faire se trouvait soudainement écartée. Non seule- ment la saison de la pêche au saumon quinnat était-elle raccourcie, elle se trouvait désormais limitée à une période au cours de laquelle la pêche du saumon quinnat avait traditionnellement été secondaire pour les pêcheurs à la cuiller qui, au cours des mois de juillet et d'août, avaient princi- palement pêché le saumon coho, une espèce dont la pêche était alors permise. Ainsi ont-ils décidé de contester la validité des avis publics en question et ont-ils entamé, par l'intermédiaire de leurs associa tions, les présentes procédures visant un redresse-
ment de la nature d'un bref de certiorari, la Gulf Trollers Association se portant requérante et la Pacifie Trollers Association sollicitant l'autorisa- tion d'intervenir (pour des raisons de commodité, je les désignerai ci-après par l'expression [TRA- DUCTION] «les pêcheurs à la cuiller)).
Devant la Division de première instance, les pêcheurs à la cuiller ont fondé leur argumentation sur le fait que les nouvelles restrictions imposées relativement à la pêche du saumon quinnat ne visaient que la pêche commerciale; les autres caté- gories de pêcheurs de cette industrie, particulière- ment les pêcheurs sportifs, n'étaient point soumis à de semblables dispositions. En effet, le Règlement de pêche sportive de la Colombie-Britannique [DORS/82-645], qui a été édicté en 1982 en même temps que le Règlement de pêche commerciale du saumon dans le Pacifique dont il est question en l'espèce, limitait la période de fermeture visant la pêche sportive dans le golfe à une heure par année, et bien que les pêcheurs sportifs fussent soumis à des restrictions individuelles ayant trait à l'utilisa- tion d'un certain matériel ainsi qu'au nombre de poissons que chacun pouvait pêcher quotidienne- ment et annuellement, aucune [TRADUCTION] «entaille» n'avait jamais altéré la continuité de cette période couvrant toute l'année il leur était permis de pêcher. Les pêcheurs à la cuiller recon- naissaient volontiers la forte diminution du nombre de saumons de l'espèce quinnat, particulièrement de sa variété autochtone ou sauvage, et la nécessité d'imposer des mesures de conservation, de protec tion et de reconstitution pour faire en sorte qu'à l'avenir les stocks soient suffisants. Ils ont toutefois soutenu que, si les fonctionnaires du Ministère n'avaient été influencés que par des considérations ayant trait à la préservation et à la conservation, les pêcheurs pratiquant la pêche commerciale n'auraient pas été les seuls à écoper, compté tenu notamment du fait que, historiquement, dans le golfe, les pêcheurs sportifs prennent plus de saumon quinnat au cours d'une année que les pêcheurs commerciaux à la cuiller. Il était évident que les décisions procédaient d'une volonté d'avan- tager, en ce qui concerne cette variété de poisson, la pêche sportive au détriment de la pêche com- merciale. Selon l'argument des pêcheurs à la cuil- ler, cette volonté de favoriser la pêche sportive avait pu procéder, dans la plus parfaite bonne foi, de ce que la pêche sportive est reconnue comme
étant [TRADUCTION] «un atout économique majeur, un élément essentiel et indispensable des industries récréatives et touristiques nationales du Canada» (communiqué du ministère des Pêches et Océans, 1984, page 105 du Dossier d'appel). Néanmoins, une telle préoccupation ne devrait pas fonder une décision des autorités fédérales relati- vement à des périodes d'ouverture et de fermeture de la pêche.
Le juge des requêtes accepta ce point de vue. Dans ses motifs de jugement, après avoir confirmé les faits allégués par les pêcheurs à la cuiller et admis leur argument voulant que les pouvoirs du ministre fédéral des Pêches ainsi que du Parlement ayant trait aux «pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur» soient limités aux questions de protec tion et de conservation des ressources, il résuma comme suit l'essentiel de sa pensée [aux pages 407 et 408]:
Il ressort de la preuve qui m'a été présentée que les modifica tions apportées le 16 avril aux périodes de fermeture totale étaient fondées sur deux motifs: la nécessité d'assurer la conser vation et l'intention de favoriser les pêcheurs sportifs qui utili- sent les ressources. Le motif de la conservation constituait une «ultime pénalité» au détriment de la pêche à la traîne commer- ciale dans le secteur intérieur. La préférence discriminatoire visait la pêche sportive. Les intimés savaient que la réduction des prises et de la saison de pêche des bateaux de pêche à la traîne permettrait à environ 30 000 saumons quinnats de s'échapper à des fins de protection et de conservation mais que, en même temps, elle livrerait environ 60 000 saumons quinnats à la pêche sportive.
Les décisions que les intimés ont prises le 16 avril s'inspirent, à mon avis, de deux motifs disparates et dominants: la conser vation et les attributions en matière de gestion socio-économi- que.
Le second objectif outrepasse, à mon avis, les pouvoirs constitutionnels permis. Les deux considérations sont inextrica- blement liées. Dans ces circonstances, la Cour ne peut trancher. Les décisions doivent être annulées.
Comme s'emploie à l'expliquer le juge par la suite, il s'agissait clairement d'un cas des ordonnances administratives avaient été motivées par des consi- dérations non pertinentes: de telles ordonnances ne pouvaient demeurer en vigueur et devaient être annulées.
J'ai, dans mes remarques introductives, fait état de la difficulté de définir la véritable question que cet appel pose à la Cour. La substance de la décision mise en cause et le contexte dans lequel cette décision a été rendue étant maintenant connus, il faut faire face à ce problème prélimi-
paire de première importance. La difficulté vient de deux circonstances spéciales affectant la cause. La première est simple. Le juge de première ins tance a pris soin de ne pas prononcer son ordon- nance avant le ler septembre 1984, un moment l'effet des avis publics contestés avait pris fin. S'il a choisi de procéder de cette façon, c'est, évidemment, pour le bénéfice des pêcheurs à la cuiller, et parce qu'en annulant les avis, il rendait exécutoire dans son ensemble le Règlement perma nent prohibant entièrement la pêche à la cuiller. Son ordonnance, aussi significative qu'elle ait pu être, n'en avait pas moins aucun effet pratique, et ce fait ne peut être simplement négligé.
La seconde circonstance particulière pouvant influer sur la définition de la question à trancher est la décision de la Cour d'accorder aux parties l'autorisation de lui soumettre la déclaration con- jointe suivante, qui concerne un «projet de loi» [Projet de loi C-32, maintenant S.C. 1985, chap. 31, sanctionnée le 28 juin 1985] déposé devant le Parlement le 6 mars 1985:
[TRADUCTION] La décision de déposer devant la Chambre des communes le Projet de loi C-32 visant à modifier la Loi sur les pêcheries, dont une version passablement modifiée figure à présent au chapitre 31 S.C. 33-34 Elizabeth II, a été précipitée par le jugement rendu par le juge Collier relativement à la demande présentée par la Gulf Trollers Association en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, jugement à l'encontre duquel le présent appel a été formé, ainsi que par la décision du juge Collier relativement à la demande d'injonction interlocu- toire présentée par la Fishing Vessel Owners Association of B.C.
Le projet de loi C-32 a été déposé devant la Chambre des communes pour plusieurs motifs, notamment:
(1) Pour rendre explicites les objectifs que les responsables des pêches considéraient comme implicites au pouvoir fédéral de légiférer relativement aux «pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur» prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi qu'au pouvoir conféré en vertu de l'article 34 de la Loi sur les pêcheries au gouverneur en conseil d'édicter entre autres des règlements:
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches côtières et des pêches de l'intérieur; et
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
savoir, les fins énoncées à l'article 2.1 dudit projet de loi C-32, qui est ainsi libellé:
OBJET
2.1 La présente loi a pour objet d'assurer
a) la conservation et la protection du poisson et des eaux il vit;
b) une gestion, une répartition et un contrôle adéquats des pêches côtières du Canada;
c) la permanence des stocks de poisson, et sous réserve de l'alinéa a), en tenant compte des intérêts des groupes exploitants et après consultation, le maintien et le dévelop- pement des avantages économiques et sociaux qui provien- nent de l'exploitation de ces stocks au profit des pêcheurs et de ceux qui œuvrent dans l'industrie des pêches côtières canadiennes, au profit des autres personnes dont la subsis- tance dépend en tout ou en partie de ces pêches de même qu'au profit de l'ensemble du peuple canadien; et
d) une gestion et un contrôle adéquats des pêches intérieu- res du Canada de même que, sous réserve des compétences constitutionnelles des provinces, la répartition de ces pêches.
À la suite des modifications apportées à ce projet de loi au cours du processus ayant mené à son adoption, les nouvelles dispositions de la Loi sur les pêcheries devant contribuer à la réalisation de ces objectifs deviendront caduques le let janvier 1987 moins d'être elles-mêmes remplacées.
Dans quelle situation tout cela place-t-il la Cour? Quelle question est-elle appelée à trancher? Il est évident que la simple confirmation ou annu- lation d'une ordonnance judiciaire dénuée de tout intérêt pratique au moment elle a été rendue ne servirait aucune fin utile. Les parties ne peuvent s'intéresser qu'aux motifs pouvant conduire à la conclusion, le cas échéant. Cependant, si la Cour convenait que les avis constituaient des décisions administratives, comme l'a pensé le juge de pre- mière instance, sans protestation de la part des avocats, et qu'elle formait ensuite l'opinion, soute- nue initialement par l'intimée, que les fonctionnai- res des pêcheries n'étaient autorisés ni par le Règlement ni par la Loi telle qu'elle existait alors à se fonder, comme ils l'ont fait, sur des considéra- tions socio-économiques, la décision, encore, étant donné les modifications apportées à la Loi, n'aurait aucune portée pratique. Les parties ont bien exprimé le souhait que la Cour forme son opinion en tenant compte de l'intervention du Par- lement en 1985, mais il ne serait pas approprié que cette Cour se prononce sur la validité de disposi tions législatives n'ayant aucune portée directe sur le litige.
Pendant quelque temps, j'ai douté sérieusement qu'il fût nécessaire ou, à tout le moins, opportun que la Cour jugeât la présente affaire. Tant qu'elle ne portait ostensiblement que sur la validité de certains actes administratifs posés par des fonc- tionnaires publics, son examen semblait ou bien sans conséquence, les ordonnances visées étant devenues caduques, ou bien inutile, une nouvelle
loi étant entrée en vigueur. Mais la cause m'appa- raît à présent sous un tout autre jour et je suis d'avis qu'elle soulève une question constitution- nelle qui doit sans doute être tranchée. En effet, j'en suis venu à la conclusion que les avis publics attaqués n'avaient pas été élaborés dans l'exercice d'une fonction administrative mais dans celui d'une fonction réglementaire. Nous sommes en présence d'actes législatifs, c'est-à-dire d'actes ayant pour effet de créer et de promulguer une règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers. La publication d'avis annuels par les fonctionnaires des pêcheries s'inscrit dans le pro- cessus pour établir des périodes d'ouverture et de fermeture de la pêche adopté par le Parlement dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur. (Voir, au sujet de la distinction entre les fonctions administratives et législatives: de Smith's Judicial Review of Administrative Action (4th ed. 1980, J.M. Evans ed.), aux pages 71 et suivantes; H. W. R. Wade, Administrative Law (4th ed. 1977), aux pages 695 et suivantes; R. Reid et H. David, Administrative Law and Practice (2nd ed. 1978), aux pages 142 et 143.) Il est clair que la prétention des pêcheurs à la cuiller n'a de sens que si les avis ne sont pas considérés de façon isolée mais comme formant partie intégrante d'un ensemble englobant tous les règlements, c'est-à-dire aussi bien ceux qui se rap- portent à la pêche sportive que ceux qui ont trait à la pêche commerciale, ainsi que tous les avis de modification émis par les autorités ministérielles compétentes. L'établissement de périodes de fer- meture et d'ouverture de la pêche constitue une fonction législative que le Parlement a, en vertu de l'article 34 de la Loi sur les pêcheries, déléguée au gouverneur en conseil, et, par l'intermédiaire de ce dernier, aux fonctionnaires des pêcheries. Si l'on applique l'analyse qui précède aux circonstances de l'espèce—et en ce qui a trait à ces circons- tances, je souscris aux conclusions de fait du juge de première instance et, en particulier, à la conclu sion que les décisions du Ministère n'ont pas pro- cédé uniquement d'une intention certaine de con servation mais aussi d'un objectif de nature socio-économique, savoir celui de favoriser la pêche sportive dans l'attribution des ressources limitées qui étaient disponibles—la question devient plus claire. Il est bien connu qu'un pouvoir délégué ne s'étend pas au-delà des limites soit fixées expressément par l'autorité déléguante, soit
inhérentes au pouvoir délégué. Comme ni la Loi sur les pêcheries, ni les Règlements ne limitent expressément les objectifs que peuvent avoir les fonctionnaires des pêcheries dans l'exercice de leurs pouvoirs délégués, il faut se demander si le pouvoir ainsi délégué comportait en lui-même des limites à cet égard. La question qu'il faut trancher est donc celle de savoir si le Parlement, dans l'exercice de la compétence législative que lui con- fère le paragraphe 91(12) de la Loi constitution- nelle de 1867', peut établir des périodes d'ouver- ture et de fermeture concernant la prise du poisson non seulement pour des fins de conservation mais encore dans un but de nature socio-économique.
Qu'il me suffise de dire avec déférence que je ne vois pas comment il pourrait être répondu par la négative à la question ainsi posée. L'intimée et l'intervenante appuient toute leur argumentation sur des extraits de jugements rendus par la Cour suprême et le Conseil privé dans des affaires met- tant en jeu le paragraphe 91(12) de la Loi consti- tutionnelle de 1867. Elles soutiennent que dans l'arrêt de principe et tout premier arrêt relatif à cette question, celui rendu dans l'affaire The Queen v. Robertson (1882), 6 Can. R.C.S. 52, le pouvoir conféré en matière de pêcheries a été défini comme étant celui de [TRADUCTION] «régle- menter, protéger et conserver les pêcheries» et que, dans de nombreux jugements subséquents, les termes [TRADUCTION] «réglementation, protection et conservation» ont été repris pour bien faire ressortir les éléments essentiels de la compétence visée par les termes «pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur». Il faut toutefois noter que toutes ces affaires portaient, de façon immédiate, sur des allégations d'intrusion du gouvernement central dans des sphères de compétence législative relevant des législatures provinciales, en particulier dans la sphère relative au pouvoir de légiférer en matière de propriété et de droits civils, ce qui, comme on le sait, a conduit principalement à la reconnaissance d'une distinction entre la législation relative aux pêcheries et la législation concernant les droits de propriété sur les pêcheries (voir, en particulier: Attorney General for the Dominion of Canada v. Attorneys General for the Provinces of Ontario, Quebec and Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.); Attorney General for British Columbia v. Attor-
Je prendrai désormais la liberté de ne faire référence qu'à l'article 91 ou à l'article 92.
ney General for Canada, [1914] A.C. 153 (P.C.); Attorney General for Canada v. Attorney General for Quebec, [1921] 1 A.C. 413 (P.C.) et Attorney General for Canada v. Attorney General for Bri- tish Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.)). Dans aucune de ces affaires n'a été soulevée la question de savoir si le Parlement pouvait, dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries, poursuivre des objectifs de nature socio-économique. Tels que je les comprends, les propos tenus par les juges qui ont tranché ces affaires en vue de qualifier et de mieux définir le pouvoir fédéral, ne visaient pas à affirmer que la compétence du Parlement se limi- tait aux mesures législatives nécessaires à la con servation et à la protection des pêcheries, à l'exclu- sion de tout autre objectif.
En fait, il ne m'est jamais apparu que la distri bution des pouvoirs législatifs entre le Parlement central et les législatures provinciales prévue aux articles 91 et 92 ait été élaborée en considération des motifs pour lesquels ces pouvoirs pourraient être exercés. Cette distribution est établie à partir de catégories de sujets (la déclaration figurant dans le paragraphe introductif de l'article 91 ne donne lieu à aucune équivoque: «il est par les
présentes déclaré que . l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci-dessous») et chaque catégorie de sujets se trouve définie en fonction de personnes, choses ou activités particulières. La distribution ne vise pas des intérêts ou des préoccupations mais des pouvoirs législatifs, et l'expression [TRADUC- TION] «motif constitutionnel fédéral valide» ne m'apparaît receler aucun sens juridique immédiat.
Une loi ne peut, selon moi, être attaquée devant les tribunaux pour des motifs ayant trait à la répartition des pouvoirs que si ses dispositions visent une catégorie de sujets non attribuée à l'autorité législative qui l'a édictée. La difficulté, on le sait bien, tient au fait qu'une loi peut [TRA- DUCTION] «renfermer des dispositions» concernant plus d'une catégorie de sujets, c'est-à-dire pouvant toucher le régime juridique applicable à des per- sonnes, à des choses ou à des activités relevant de plus d'une des catégories de sujets énumérés. Il en est ainsi non seulement parce que les catégories prévues aux articles 91 et 92 ne sont pas mutuelle- ment exclusives; mais aussi, et peut-être encore
davantage, parce que les effets d'un texte législatif sont souvent divers et complexes, certains pouvant être directs d'autres, indirects, certains étant immédiats d'autres plus éloignés, certains étant ouvertement recherchés, d'autres n'étant pas divul- gués, certains ressortant à l'évidence, d'autres n'étant pas immédiatement perceptibles. Afin de relier un texte législatif particulier à une seule des diverses catégories de sujets directement ou indi- rectement visés par ses dispositions, et, ainsi, de déterminer l'autorité habilitée à l'édicter, les tribu- naux ont été conduits à comparer et à apprécier l'importance relative des divers effets du texte législatif contesté, et ils l'ont fait parfois en se référant à ce qui leur apparaissait avoir été l' [TRA- DUCTION] «objet» pour lequel le texte avait été adopté. L'«objet» dont il s'agit est celui qui est celui du texte législatif en question et il n'est considéré qu'aux fins de définir ce qui a été appelé [TRADUCTION] «son essence et sa substance», c'est-à-dire sa signification véritable, son effet majeur ou, à tout le moins, l'effet que lui assi- gnaient ceux qui l'ont adopté. Cependant, selon moi, un texte législatif qui ne peut relever que d'une seule catégorie de sujets ou d'un seul domaine de compétence ne peut faire l'objet d'une contestation fondée sur les objectifs, les motifs ou l'objet qui ont conduit à son adoption. (Ces ques tions sont discutées de façon particulièrement inté- ressante par W. R. Lederman dans «Classification of Laws and the British North American Act», Legal Essays in Honour of Arthur Moxon, (J. Corry, F. Cronkite & E. Whitmore eds. 1953), à la page 183, ainsi que par B. L. Strayer dans The Canadian Constitution and the Courts (2d. ed. 1983), aux pages 213 et suivantes.)
Que ce soit la situation qui existe ici est clair. On ne fait pas référence à l'objet de la Loi, dans le but de creuser sous les apparences pour découvrir son effet véritable et les catégories constitutionnel- les dont elle relève. Je ne crois pas que l'on puisse soutenir sérieusement que la réglementation pré- voyant des périodes d'ouverture et de fermeture de la pêche du saumon quinnat relève d'une catégorie de sujets autre que celle des pêcheries. La pro- priété et les droits civils ont été mentionnés, mais je ne vois pas de quelle manière l'établissement de restrictions relatives aux saisons de pêche règle- mente un droit de propriété ou un autre droit civil (et si, comme l'a suggéré un des avocats, il faut
supposer que chaque citoyen possède un quelcon- que droit de pêcher, pour des fins commerciales ou pour d'autres fins, dans les eaux publiques, ce droit ne tombe certes pas dans le champ d'application du paragraphe 92(13)); et on n'a pas prétendu qu'il avait pu y avoir atteinte à quelque autre domaine de compétence provinciale. Bien sûr, ce à quoi on s'oppose c'est la poursuite d'objectifs rela- tifs à l'attribution des ressources dans la gestion des pêcheries; mais, une telle attribution, même envisagée indépendamment de toute idée de con servation, n'empiète sur aucun pouvoir provincial.
La compétence conférée au Parlement en vertu du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 ne fait, selon mon interprétation, l'objet d'aucune restriction qui lui fixe la poursuite de certains objectifs particuliers à l'exclusion des autres. Le Parlement peut tenir compte de considé- rations sociales, économiques ou autres dans la gestion des pêcheries soit en les associant à ses mesures visant la conservation, la protection et l'exploitation des ressources, soit simplement en les alliant à la poursuite d'objectifs et à la mise en application de politiques de nature sociale, cultu- relle ou économique. En fait, selon mon opinion, à moins que et jusqu'à ce que la partie qui attaque un texte législatif en s'appuyant sur la répartition des compétences fasse état d'une atteinte possible à une compétence législative expressément attri- buée à un autre niveau de gouvernement, l'objet visé lors de l'adoption du texte ne peut aucunement intéresser les tribunaux.
Je dois donc exprimer, avec déférence, mon désaccord avec l'opinion du juge des requêtes. Je ne crois pas que les avis publics des fonctionnaires des pêcheries puissent être déclarés illégaux au motif qu'ils s'inscrivaient dans un cadre législatif ayant pour objet non seulement la conservation mais encore l'attribution des ressources en fonction de facteurs sociaux et économiques. L'ordonnance annulant ces avis pour motif d'inconstitutionnalité doit, à mon point de vue, être infirmée. J'accueille- rais l'appel, j'annulerais l'ordonnance de la Divi sion de première instance et je rejetterais la demande. Rien ne m'apparaît s'opposer à l'adjudi- cation aux appelants de leurs dépens devant cette Cour et devant la Division de première instance.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
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