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T-2725-84
Lennox Industries (Canada) Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LENNOX INDUSTRIES (CANADA) LTD. c. CANADA
Division de première instance, juge Reed—Cal- gary, 16 décembre 1986; Ottawa, 5 janvier 1987.
Equity Droit de suite Demande de recouvrement de l'argent volé par un employé La Couronne réclame l'impôt sur les fonds volés Priorités Les fonds volés qui se trouvent entre les mains du voleur demeurent la propriété de la victime L'argent volé est grevé d'une fiducie Le véritable propriétaire peut exercer un droit de suite et recouvrer cet argent, â moins qu'un acheteur ne l'ait acquis de bonne foi et à titre onéreux sans être avisé du vol On peut également recouvrer les fruits» du bien volé Lorsque les fonds détournés se mêlent aux fonds de l'auteur d'un dommage, et qu'une somme d'argent est retirée de ces fonds mélangés, l'auteur du dommage est censé avoir d'abord retiré ses propres fonds La théorie du droit de suite s'applique en l'espèce Jugement déclarant que la demanderesse a droit aux fonds et aux bénéfices provenant de l'argent qu'on lui avait volé.
Couronne Prérogatives Priorité Action intentée par la demanderesse pour recouvrer l'argent qu'on lui avait volé et action intentée par la Couronne pour recouvrer l'impôt sur les fonds volés Application de la théorie du droit de suite
La demanderesse a droit aux bénéfices provenant des fonds volés Le droit de prérogative de la Couronne lui accorde la priorité de paiement à l'égard des autres biens Dettes de rang égal Les réclamations respectives sont non garanties
Les deux parties sont des créanciers saisissants La créance de la Couronne ne résulte pas d'une opération com- merciale ordinaire.
Impôt sur le revenu Recouvrement Priorité parmi les créanciers Recouvrement des fonds du voleur réclamé par la demanderesse pour l'argent volé et par la Couronne pour l'impôt sur lesdits fonds Application de la théorie du droit de suite La demanderesse a droit aux bénéfices provenant des fonds volés, mais non à une quote-part des autres biens Dettes de rang égal Les réclamations respectives découlent du statut de créanciers saisissants des parties Réclamations non garanties.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Action intentée par la demanderesse pour recou- vrer l'argent volé et action intentée par la Couronne pour recouvrer l'impôt impayé sur cet argent La réclamation de priorité de la Couronne ne va pas â l'encontre des droits prévus à l'art. 15 Quoi qu'il en soit, l'art. 15 ne s'applique pas, puisque les événéments en cause sont survenus avant l'entrée en vigueur de cette disposition Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15, 32(1).
La demanderesse réclame le recouvrement de l'argent qu'un ancien employé lui avait volé. La Couronne cherche à recouvrer
l'impôt sur les fonds volés, à titre de revenu entre les mains de l'employé. Les fonds déposés dans le compte d'épargne de l'employé ont été saisis pour payer une partie de l'impôt. La résidence de l'employé et deux automobiles ont en fin de compte été vendues, et le produit de la vente a été placé dans un compte de fiducie portant intérêt en attendant l'issue du présent litige.
La demanderesse conclut à un jugement déclarant qu'elle a droit aux fonds et aux bénéfices provenant de l'argent volé, et à une quote-part, égale à celle de la Couronne, sur les autres biens. À l'appui de sa position, elle soutient que, en tant que prérogative, le droit de la Couronne à la priorité va à l'encontre de l'article 15 de la Charte, qu'une partie de l'actif en question lui appartient en vertu de la théorie du droit de suite et que les sommes dues à la demanderesse et à la Couronne ne sont pas «de rang égal».
Jugement: La réclamation de la demanderesse relative aux sommes à recouvrer en vertu de la théorie du droit de suite devrait être accueillie. Sa prétention à une quote-part des autres biens devrait être rejetée.
L'article 15 de la Charte vise à faire en sorte que la loi traite les personnes égales de façon égale. Dans une action en recou- vrement d'impôt, la Couronne représente tous les contribuables, tous les citoyens qui tirent avantage de la dépense des recettes fiscales ainsi perçues. En tant que créancière, la Couronne est dans une situation différente de celle d'un particulier. L'argu- ment de la demanderesse selon lequel la réclamation de priorité de la Couronne constitue une distinction équivalant à une discrimination, échoue. Quoi qu'il en soit, l'article 15 ne s'appli- que pas, puisque les événements qui ont donné lieu aux deman- des sont survenus avant l'entrée en vigueur de cette disposition, qui n'a pas d'effet rétroactif.
Le second argument de la demanderesse repose sur le prin- cipe que les marchandises volées qui se trouvent entre les mains d'un voleur, ou les fonds qu'un fiduciaire a détournés, demeu- rent la propriété de la personne victime du vol. L'argent volé est grevé d'une fiducie, et le véritable propriétaire peut recouvrer cet argent, à moins qu'un acheteur ne l'ait acquis de bonne foi et à titre onéreux, sans être avisé du vol ou de la fraude. Les bénéfices découlant du bien volé peuvent également être recou- vrés. Lorsque les fonds détournés ou les bénéfices qui en découlent se mêlent aux fonds de l'auteur d'un dommage, et qu'une somme d'argent est retirée de ces fonds mélangés, l'auteur du dommage est censé avoir d'abord retiré ses propres fonds (c'est le principe selon lequel ce qui est entré le premier est censé être sorti le premier). Appliquant ces principes, il y a lieu de rendre un jugement déclarant que la demanderesse a droit, en tant que propriétaire, aux sommes provenant de l'argent qu'on lui avait volé.
L'argument de la demanderesse selon lequel sa réclamation et celle de la Couronne ne sont pas des créances de même rang, et qu'elle devrait avoir droit à une quote-part, égale à celle de la Couronne, sur les autres biens a été rejeté. La réclamation de la demanderesse (pour la remise des fonds ou l'octroi de domma- ges-intérêts pour détournement) et celle de la Couronne (pour l'impôt impayé) étaient toutes deux non garanties—excepté l'argent appartenant à la demanderesse en vertu de la théorie du droit de suite. Toutes les deux réclamations découlent du statut de créanciers saisissants des parties. De plus, la créance de la Couronne n'est pas une créance qui résulte d'une opéra-
tion commerciale ou industrielle ordinaire. Puisque les deux réclamations sont de même rang, la prérogative de la Couronne entre en jeu, ce qui lui accorde la priorité aux fins du paiement.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Household Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 423; (1979), 29 N.R. 174 (sub nom. MacCulloch & Co. Ltd. et autres c. Procureur général du Canada); Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; 7 C.P.R. (3d) 145 (1"° inst.); confirmé [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Banque Belge v Hambrouck, [1921] 1 K.B. 321 (C.A.); B.C. Teachers' Credit Union v. Betterly (1975), 61 D.L.R. (3d) 755 (C.S.C.-B); Nelson v. Larholt, [1947] 2 All E.R. 751 (K.B.D.); Re Kolari (1981), 36 O.R. (2d) 473 (C. dist.).
DÉCISIONS CITÉES:
Minister of National Revenue v. Eldridge, Olva Diana, [1965] 1 R.C.E. 758; (1964), 64 DTC 5338; The Queen v. Poynton (1972), 72 DTC 6329 (C.A. Ont.); The Queen v. Bank of Nova Scotia (1885), I 1 R.C.S. 1; Re Marten; Re Royal Bank of Canada and The Queen in right of Canada (1981), 130 D.L.R. (3d) 607 (C. div. Ont.); Wright v. Canada (Attorney General), C. dist. Ont. juge- ment en date du 6 octobre 1986, dossier 3356, non encore publié; Surrey Credit Union v. Mendonca et al. (1985), 19 C.R.R. 230 (C.S.C.-B.); Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; (1984), 53 N.R. 169; Hunter et autres c. Southam Inc.,_ [1984] 2 R.C.S. 145; (1985), 55 N.R. 241; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 58 N.R. 81; Re Blackhawk Downs, Inc. and Arnold et al., [1973] 3 O.R. 729 (H.C.); In re Hallett's Estate (1878), 13 Ch. D. 696 (C.A.); In re Oatway, [1903] 2 Ch. 356; Re Henley & Co. (1878), 9 Ch. D. 469 (C.A.); City of Toronto, and Toronto Electric Commissioners v. Wade, [1931] O.R. 470 (C.S.); The Queen v. Workmen's Compensation Board and City of Edmonton (1962), 36 D.L.R. (2d) 166 (C.S. Alb.); confirmé (1963), 42 W.W.R. 226 (C.A. Alb.).
AVOCATS:
James Lebo et Allan Fradsham pour la
demanderesse.
Larry Huculak pour la défenderesse.
PROCUREURS:
MacKimmie Matthews, Calgary, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED: En l'espèce, il s'agit d'une action intentée par une personne pour recouvrer l'argent qu'on lui avait volé, et d'une action inten- tée par la Couronne pour recouvrer l'impôt sur les fonds volés, à titre de revenu entre les mains du voleur. Les deux actions visent l'actif de Mathew N. Hasiuk, la personne qui a été déclarée coupable du vol en question. L'argent provenant de la réali- sation de son actif ne suffit pas pour acquitter ces deux réclamations.
Mathew N. Hasiuk a travaillé pour la demande- resse de 1956 à 1982. Au cours de son emploi, il a volé à la demanderesse la somme de 1 064 386,79 $ pour laquelle celle-ci a obtenu un jugement en date du 27 juin 1983. Un jugement portant intérêt sur l'argent volé auquel s'ajoutaient les dépens a été rendu le 6 septembre 1985 pour la somme de 1 107 999,83 $. Ces deux jugements accordaient ainsi à la demanderesse une somme totale de 2 172 386,62 $.
Le 14 janvier 1983, le ministre du Revenu natio nal avait établi des cotisations contre Mathew N. Hasiuk pour les années 1976 à 1981 inclusivement. Le montant total de ces cotisations, y compris les pénalités et l'intérêt, s'élevait à 702 183,25 $. Les cotisations portaient sur un revenu d'entreprise non déclaré de M. Hasiuk (c.-à-d. l'argent volé à la demanderesse) et sur un gain en capital non déclaré en 1981 découlant de la vente d'un bien immeuble. Le montant de la cotisation prélevé au titre de revenu d'entreprise non déclaré s'élevait à 676 827,22 $ et celui imposable au titre de gain en capital non déclaré, à 25 356,03 $.
Le 18 janvier 1983, le ministère du Revenu national a obtenu à l'encontre de Mathew Hasiuk un bref ordonnant le paiement de la somme de 509 667,10 $. En conséquence une somme de 354 096,35 $ inscrite dans le compte d'épargne de Hasiuk à la Banque de Commerce Canadienne Impériale (58e Avenue, S.E., Calgary) a été payée au ministère du Revenu national le 25 janvier 1983 en réponse à une demande formelle à des tiers qui avait été signifiée à cette banque. En outre, des versements effectués en vertu de ce qu'on appelle l'hypothèque Mosco, que M. Hasiuk détenait à titre de créancier hypothécaire, ont été faits à
l'ordre du Ministère, en réponse à une demande formelle à des tiers signifiée aux débiteurs hypo- thécaires. Bien que les sommes prélevées dan$ le compte d'épargne et sur les paiements hypothécai- res Mosco aient servi à régler les impôts dûs, Hasiuk devait encore au Ministère, en date du 30 juin 1986, la somme de 115 914,78 $ à titre d'im- pôt, plus 303 481,54 $ à titre d'intérêt et de pénali- tés. L'intérêt sur les impôts impayés continue de courir. La résidence de Hasiuk à Calgary, ainsi que ses deux voitures, ont subséquemment été vendues en 1985, et le produit de ces ventes a été placé dans un compte de fiducie portant intérêt en attendant l'issue du présent litige.
La demanderesse sollicite un jugement déclarant qu'elle a droit: à une grande partie de l'argent saisi dans le compte d'épargne de Hasiuk, qui lui appar- tient à elle seule, et à une quote-part du reste de l'argent saisi dans ce compte; aux versements échus et à échoir en vertu de l'hypothèque Mosco; à 50 % du produit de la vente des deux voitures et à une quote-part du reste de ce produit; et à une quote-part du produit de la vente de la résidence de Calgary.
L'argument de la Couronne est simple. Les fonds volés à la demanderesse par M. Hasiuk constituent un revenu entre les mains de ce dernier et sont donc imposables. Il est bien établi que les bénéfices obtenus ou acquis frauduleusement par suite d'une opération illicite ou d'une entreprise illégale sont assujettis à l'impôt: Minister of National Revenue v. Eldridge, Olva Diana, [1965] 1 R.C.É. 758; (1964), 64 DTC 5338; The Queen v. Poynton (1972), 72 DTC 6329 (C.A. Ont.). Il est également établi que, en raison de son droit de prérogative, la Couronne a priorité en ce qui con- cerne les sommes qui lui sont dûes: The Queen v. Bank of Nova Scotia (1885), 11 R.C.S. 1; Re Marten; Re Royal Bank of Canada and The Queen in right of Canada (1981), 130 D.L.R. (3d) 607 (C. div. Ont.); Household Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 423; (1979), 29 N.R. 174 [sub nom. MacCulloch & Co. Ltd. et autres c. Procu- reur général du Canada]. La Couronne est en droit de recouvrer intégralement ses créances, s'il en est, et elle a priorité sur les créances détenues par des particuliers. Je cite le passage suivant de la décision rendue au nom de la Cour suprême par le
juge Ritchie dans l'affaire Household Realty aux pages 426 et 427 R.C.S.; 178 N.R.:
Je suis persuadé que lorsqu'une dette ou une réclamation due à Sa Majesté vient en concurrence avec la dette ou la réclama- tion d'un sujet et qu'elles sont «de rang égal», celle de Sa Majesté prévaut ...
La demanderesse invoque les motifs suivants: (1) quels qu'aient pu être les droits de prérogative de la Couronne en common law, la promulgation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] a fait perdre à la Couronne la priorité énoncée ci-dessus concernant le paiement des dettes; (2) quoi qu'il en soit, une partie de l'actif en question lui appartient en vertu de la théorie du droit de suite (doctrine of tracing) sans que la Couronne puisse y prétendre; et (3) en l'espèce, les sommes dues à la demande- resse et à la Couronne ne sont pas de «rang égal».
L'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés
Pour ce qui est du premier argument, on a cité la décision rendue par la Cour de district de l'Ontario dans l'affaire Wright v. Canada (Attor- ney General) (décision non publiée en date du 6 octobre 1986, dossier numéro 3356), la Cour a indiqué que, en tant que prérogative, le droit de la Couronne à la priorité était nul de prime abord. Le paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi rédigé:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
La Cour ontarienne a statué que la Charte devait évidemment s'appliquer au champ d'activité du gouvernement:
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;
b) à la législature et au gouverment de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
Et, à la page 14 de sa décision, la Cour ontarienne a jugé que le droit de la Couronne à la priorité revêtait un caractère nettement discriminatoire:
[TRADUCTION] La priorité de la Couronne touche inéluctable- ment et de façon radicalement discriminatoire les droits de la requérante ...
La demanderesse reconnaît tout d'abord qu'elle rencontre des difficultés en voulant invoquer l'article 15. Elle est une société, et il ressort de la jurisprudence dominante que seules les personnes physiques peuvent profiter des garanties accordées par l'article 15: Smith, Kline & French Laborato ries Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274, à la page 316; 7 C.P.R. (3d) 145 (ire inst.), à la page 192; Surrey Credit Union v. Mendonca et al. (1985), 19 C.R.R. 230 (C.S.C.-B.), à la page 232. L'avocat de la deman- deresse soutient que si on veut interpréter l'article 15 libéralement et de façon à atteindre une fin, le mot «personne» doit inclure les sociétés qui sont des personnes aux yeux de la loi. À l'appui de cet argument, la demanderesse cite les passages habi- tuels exigeant que l'on interprète la Charte libéra- lement et de façon à atteindre une fin: Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, à la page 366; (1984), 53 N.R. 169, à la page 180; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, aux pages 155 et 156; (1985), 55 N.R. 241, aux pages 247 et 248; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, aux pages 343 et 344; (1985), 58 N.R. 81, la page 112. J'estime qu'il n'est pas nécessaire de trancher ce point parce que, de toute façon, je ne pense pas que l'argument fondé sur l'article 15 soit valable.
L'article 15 vise à faire en sorte que la loi s'applique aux particuliers et aux groupes de parti- culiers (comprenant ou excluant les sociétés selon ce que la jurisprudence finira par décider) indé- pendamment de toutes distinctions arbitraires. Les distinctions ou différences établies par la loi ne constituent pas toutes des cas de discrimination. Les priorités prévues pour le paiement de dettes peuvent être établies selon plusieurs critères, p. ex. le temps (une dette contractée la première crée un privilège de premier rang); le salaire (prend rang avant les autres types de dettes). Ces distinctions ne constituent pas de la discrimination, bien qu'el- les désavantagent manifestement les personnes occupant un rang inférieur. Mais en quoi consiste la discrimination alléguée en l'espèce? C'est que la Couronne, en tant que créancière, bénéficie d'un traitement de faveur aux dépens de particuliers. Je ne saurais conclure qu'il s'agit de discrimina-
tion. L'article 15 vise à faire en sorte que la loi traite les personnes égales de façon égale. Dans une action en recouvrement d'impôt, la Couronne représente tous les contribuables, ou, dans les faits, tous les citoyens qui tirent avantage de la dépense des recettes fiscales ainsi perçues. En tant que créancière, la Couronne est dans une situation différente de celle d'un particulier. Ainsi que l'a fait remarquer la Cour d'appel dans la récente affaire Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359, à la page 366:
Au niveau le plus fondamental, le droit à l'égalité que garantit l'article 15 ne peut être que le droit de ceux qui sont dans une situation analogue de recevoir un traitement analogue.
Je ne saurais placer la Couronne dans la même situation que celle de la demanderesse. Je ne pense pas que la priorité de la Couronne en l'espèce constitue une distinction ou une inégalité à laquelle l'article 15 devait s'appliquer. Il pourrait en être autrement si la Couronne avait exercé des activités commerciales et contracté des dettes comme le ferait un citoyen ordinaire. Mais lors- qu'elle recouvre des sommes au titre d'impôt sur le revenu, la Couronne n'agit pas comme le ferait un particulier, elle agit en tant que gouvernement.
La question de savoir si la priorité accordée à titre de prérogative relève d'une politique sociale bonne ou «juste» est une question différente. Je note, par exemple, que plusieurs études ont recom- mandé l'abolition de cette priorité: Insolvency Law and Practice, Report of the Review Committee (Cmnd. 8558, 1982); Report on The Crown as Creditor: Priorities and Privileges (1982), rédigé par la Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique; Faillite et Insolvabilité: Rapport du comité d'étude sur la législation en matière de faillite et d'insolvabilité (Canada 1970) l'on peut lire la page 124]:
On pourrait même soutenir que le gouvernement devrait pren- dre rang après les créanciers ordinaires, vu que le trésor public est, en fait, mieux placé que quiconque pour assumer les inévitables pertes.
En même temps, d'autres prétendent que la Cou- ronne devrait au moins bénéficier d'une priorité limitée: Report on The Enforcement of Judgment Debts and Related Matters [Partie 5] (1983), aux pages 59 et suiv., rédigé par la Commission de réforme du droit de l'Ontario.
Quoi qu'il en soit, je doute que l'article 15 s'applique en l'espèce. Le bref d'exécution sur lequel la Couronne fonde sa demande a été décerné le 18 janvier 1983. Les brefs d'exécution qui servent de base à la réclamation de la deman- deresse ont été décernés le 12 juillet 1983 (pour le capital volé) et le 9 septembre 1985 (pour l'intérêt et les dépens). L'argent déposé dans le compte d'épargne a été saisi par la Couronne le 24 janvier 1983. Les versements hypothécaires ont été saisis à la même date au moyen d'un avis de mise en cause. Les voitures et la résidence ont été vendues en 1985 (bien qu'il soit probable qu'elles aient également fait l'objet d'une saisie effectuée par la Couronne à la première des dates précitées). En l'espèce, le dépôt de la déclaration a eu lieu le 16 novembre 1984. L'article 15 est entré en vigueur le 17 avril 1985. Il est bien établi que l'article 15 n'a pas et n'était pas censé avoir un effet rétroactif. Les événements qui ont donné lieu aux demandes concurrentes de la demanderesse et de la défende- resse (sauf pour ce qui est du jugement que la demanderesse a obtenu en septembre 1985 concer- nant l'intérêt et les dépens) sont tous survenus avant l'entrée en vigueur de l'article 15. J'estime donc que cet article ne s'applique pas, mais je fais remarquer que ce point n'a pas été débattu devant moi.
La théorie du droit de suite (doctrine of tracing)
J'aborde maintenant le second argument de la demanderesse: certains avoirs appartiennent, en tout cas, à la demanderesse en vertu de la théorie du droit de suite. Le principe de base est que les marchandises volées qui se trouvent entre les mains d'un voleur, ou les fonds qu'un fiduciaire a détournés, ne leur appartiennent pas; ils demeurent la propriété de la personne victime du vol. Ce principe est énoncé dans Underhill's Law Relating to Trusts and Trustees, 12° éd. (1970), la page 243: [TRADUCTION] «une cour d'equity fait d'une partie qui a obtenu des biens par fraude un fidu- ciaire de la partie victime de la fraude». Voir l'affaire Re Blackhawk Downs, Inc. and Arnold et al., [1973] 3 O.R. 729 (H.C.), qui discute ce principe.
L'argent volé ou le bien acquis par fraude est donc grevé d'une fiducie, et le véritable proprié- taire peut exercer un droit de suite et recouvrer cet argent ou ce bien, à moins qu'un acheteur ne l'ait
acquis de bonne foi et à titre onéreux sans être avisé du vol ou de la fraude. Dans l'affaire Banque Belge v. Hambrouck, [1921] 1 K.B. 321 (C.A.), aux pages 335 et 336, le principe est énoncé dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Si, selon les principes posés dans In re Hallett's Estate, on peut affirmer que l'argent déposé à la banque ou la denrée achetée avec cet argent, est «le produit ou le substitut de la chose initiale», cet argent ou cette denrée est alors «de même nature que la chose elle-même». Il découle de ces principes que, comme l'argent versé à la banque peut être considéré comme provenant de l'argent original, les demandeurs ont le droit, en vertu de la common law, d'intenter une action en recouvrement de l'argent reçu.
Et il est dit dans l'affaire B.C. Teachers' Credit Union v. Betterly (1975), 61 D.L.R. (3d) 755 (C.S.C.-B.), à la page 758:
[TRADUCTION] Au moment Smith a volé la somme de 45 000 $ à la demanderesse, il est devenu, par détermination de la loi, fiduciaire de cet argent pour le compte de la demanderesse.
Le principe relatif au droit de suite reconnu en equity est exposé dans l'affaire Nelson et al. v. Larholt, [1947] 2 All E.R. 751, le juge Denning a statué à la page 752 que si un bien est soustrait à son propriétaire légitime, ce dernier peut le recouvrer en quelque main qu'il se trouve, à moins que le possesseur ne soit de bonne foi et ne l'ait reçu à titre onéreux sans être avisé de l'absence d'autorisation.
Voici le passage mentionné figurent les propos tenus par le juge Denning dans l'affaire Nelson v. Larholt, [1947] 2 All E.R. 751 (K.B.D.) la page 752]:
[TRADUCTION] Les principes juridiques pertinents ont beau- coup évolué ces trente-cinq dernières années. L'argent qui appartient à une personne est protégé par la loi. Il peut prendre diverses formes, et consister, par exemple, en des pièces de monnaie, bons du Trésor, liquidités à la banque, chèques ou lettres de change; mais quelle que soit sa forme, il est protégé par un principe uniforme. Si l'argent est soustrait à son proprié- taire légitime, ou en fait, à son véritable propriétaire, sans son autorisation, ce dernier peut le recouvrer en quelque main qu'il se trouve, à moins qu'il ne se trouve en la possession d'une personne qui le reçoit de bonne foi, moyennant contrepartie et sans être avisée de l'absence d'autorisation. Mais la personne qui a reçu un préavis, c'est-à-dire qui était ou aurait être au courant de l'absence d'autorisation, est tenue de rembourser l'argent même si elle l'a obtenu de bonne foi. Ce principe régit toutes les causes publiées, par exemple les cas de fiduciaires ou de mandataires qui ont tiré des chèques sur le compte en fiducie ou le compte du mandant pour leurs fins personnelles, ou les cas d'administrateurs qui ont versé les chèques de la société dans leur propre compte. Le propriétaire légitime peut réclamer le montant à quiconque reçoit le chèque avec préavis, mais ne peut, bien sûr, recouvrer ce montant plus d'une fois. Ce prin- cipe a été élaboré tant par les cours de justice que par les cours d'equity. En equity, il se traduisait par une action visant à suivre l'argent grevé d'une fiducie expresse ou d'une fiducie par
détermination de la loi fondée sur un lien fiduciaire. En droit, il se traduisait par une action en recouvrement de l'argent reçu ou en dommages-intérêts lorsqu'il y avait appropriation illicite d'un chèque. Toutefois, il n'y a plus lieu de faire une distinction entre la loi et l'equity. Les principes doivent maintenant être énoncés à la lumière de leur effet combiné. Il n'est pas non plus nécessaire d'examiner à fond les subtilités de ces anciennes formes d'action. Les recours dépendent maintenant du fonde- ment du droit et non de la question de savoir s'ils peuvent s'inscrire dans un cadre particulier. Le droit en l'espèce ne relève ni de l'equity, ni d'un contrat, ni d'un délit; il s'applique plutôt à la catégorie importante de cas la Cour ordonne la restitution d'un bien lorsque la justice l'exige.
On peut recouvrer non seulement le bien volé mais aussi les «fruits» qui en découlent: D. W. M. Waters, Law of Trusts in Canada (Toronto, 1974), pages 339 et 340; affaire de la Banque Belge précitée. Il en est clairement ainsi pour ce qui est des bénéfices découlant des fonds en fiducie détournés et des bénéfices provenant de l'utilisa- tion de l'argent volé. Conclure autrement revien- drait à exiger d'un voleur qu'il remette le capital des fonds volés, mais à l'autoriser à garder les bénéfices découlant de l'utilisation de ces fonds. Il est également clair que lorsque les fonds détournés ou les bénéfices qui en découlent se mêlent aux fonds de l'auteur d'un dommage, et qu'une somme d'argent est retirée de ces fonds mélangés, l'auteur du dommage est censé avoir d'abord retiré ses propres fonds (c'est le principe selon lequel ce qui est entré le premier est censé être sorti le premier): In re Hallett's Estate (1878), 13 Ch. D. 696 (C.A.), surtout à la page 727; In re Oatway, [1903] 2 Ch. 356, surtout à la page 360. En l'espèce, l'action de la demanderesse repose sur ces principes.
Appliquant ces principes, j'estime que la deman- deresse a démontré qu'elle a droit à une partie de la somme de 354 096,35 $ saisie dans le compte d'épargne de Hasiuk, sans que la Couronne puisse y prétendre, pour la simple raison qu'elle en est la propriétaire. Cette somme comprend: 8 000 $ pro- venant de la vente d'une roulotte motorisée qui avait été achetée au début avec l'argent volé à la demanderesse; 34 522,80 $, produit découlant du remboursement du prêt hypothécaire Mosco (j'ai rejeté l'argument selon lequel la mensualité de 700 $, au lieu de 531,12 $, était versée sur ce compte)—le prêt hypothécaire avait initialement été consenti grâce à l'argent volé à la demande- resse; 148 936,74 $, qui constitue le produit de la vente d'un bien-fonds à Fairmont (Colombie-Bri-
tannique), l'argent volé à la demanderesse ayant permis d'acheter ce bien-fonds et d'y construire une maison; et 17 100 $, qui représente l'intérêt versé à Hasiuk sur son investissement de 300 000 $ dans un magasin de vêtements (Sir Mens' Wear), cette dernière somme ayant d'abord été volée à la demanderesse. Les sommes dont on a ainsi établi l'origine sont toutes des produits découlant de l'argent volé à la demanderesse. Elles totalisent 208 559,54 $. La demanderesse a également droit à un jugement déclarant qu'on devrait lui accorder les versements échus et à échoir pour ce qui est du remboursement de l'hypothèque Mosco, 50 % du produit de la vente des deux voitures, ainsi qu'une quote-part de l'intérêt sur ces produits puisqu'ils ont été déposés dans un compte en fiducie. Il ressort de la preuve qu'environ la moitié des sommes versées par Hasiuk pour l'achat de ces deux voitures pouvaient provenir de l'argent volé à la demanderesse.
Bien que des sommes autres que l'argent volé aient été déposées dans le compte d'épargne, et que des retraits y aient été effectués pour diverses fins au cours de la période en question, l'application du principe du premier entré, premier sorti permet à la demanderesse de réclamer la première somme de 208 559,54 $, ainsi qu'une somme additionnelle qui représente l'intérêt produit par celle-ci dans le compte d'épargne. L'avocat de la défenderesse ne prétend pas sérieusement que l'origine des actifs décrits ci-dessus n'a pas été prouvée, bien qu'il conteste effectivement la méthode utilisée par la demanderesse pour calculer cette portion de l'inté- rêt produit dans le compte d'épargne qui provient véritablement de l'argent volé. Pour ce qui est de la part de l'intérêt dans le compte d'épargne qui revient de plein droit à la demanderesse, je con- viens avec la défenderesse qu'on devrait calculer cette part en se rapportant aux dates et aux mon- tants des différents dépôts. On devrait alors calcu- ler l'intérêt provenant de ces sommes en se réfé- rant au taux d'intérêt applicable, compte tenu de ses fluctuations à compter du dépôt, et non au pourcentage global réclamé par la demanderesse.
Créances «de rang égal"
Néanmoins, la demanderesse sollicite un juge- ment déclarant qu'elle a droit non seulement aux fonds et aux bénéfices découlant de ces derniers,
qui peuvent lui avoir été volés, mais aussi à une quote-part, égale à celle de la Couronne, sur les autres biens de Hasiuk, soit le reliquat des fonds dans le compte d'épargne (39 500,78 $), la seconde moitié du produit de la vente des deux voitures et le produit de la vente de la résidence de Hasiuk. La demanderesse prétend y avoir droit parce que la réclamation de la Couronne et la sienne ne sont pas des créances «de même rang»'. Je note tout d'abord un problème soulevé par l'avocat de la défenderesse: si la somme due à la Couronne et celle due à la demanderesse ne sont pas de même rang, la créance de la demanderesse ayant priorité, celle-ci devrait alors prétendre que cette priorité vaut pour la somme totale qui lui a été adjugée et non simplement pour une quote-part des fonds restants. Le fait de prétendre à une quote-part des sommes implique que les deux réclamations sont de même rang et, si tel est le cas, la prérogative de la Couronne entre en jeu, comme il a été souligné, ce qui lui accorde la priorité aux fins du paiement.
Il existe certainement une jurisprudence peu abondante qui traite des réclamations «de même rang». L'avocat de la demanderesse a cité l'arrêt Household Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 423; (1979), 29 N.R. 174, il a été statué qu'une réclamation de la Couronne agissant à titre de créancière saisissante, n'était pas du même rang que les deuxièmes hypothèques d'un créancier hypothécaire enregistrées antérieurement. La Cour s'est prononcée en ces termes aux pages 429 R.C.S.; 180 N.R.:
A mon avis ... les deuxièmes hypothèques en cause, constituant un droit partiel au titre de propriété, ont acquis préséance sur des jugements en faveur de Sa Majesté obtenus et enregistrés subséquemment contre le bien-fonds du débiteur hypothécaire, titulaire du droit de rachat ... je conclus que la réclamation du créancier hypothécaire est de rang plus élevé et non de rang égal à celle de Sa Majesté .. .
L'avocat de la défenderesse soutient que, en l'espèce, les deux réclamations sont de rang égal en raison du statut de créanciers chirographaires de la défenderesse et de la demanderesse: la réclamation de la demanderesse repose sur des jugements de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta ordonnant
' La réclamation de la demanderesse fondée sur l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés a été examinée ci-dessus, aux pp. 343 et suivantes.
la remise de l'argent volé ou lui accordant des dommages-intérêts par suite du détournement, et celle de la défenderesse découle d'un jugement de la Cour fédérale lui octroyant une somme d'argent par suite du non-paiement de l'impôt sur le revenu. (Je fais remarquer que les jugements en question du Banc de la Reine de l'Alberta n'ont pas été déposés en preuve, ce qui fait que la Cour ne dispose pas du texte exact de ces ordonnances.) L'avocat de la demanderesse répond que la défen- deresse s'en tient trop à la nature des jugements respectifs et particulièrement au fait que leurs créances sont toutes deux non garanties. Il soutient que la question «de rang égal» doit être examinée par rapport aux circonstances qui ont donné nais- sance aux deux créances. Il cite une décision récente de la Cour de district de l'Ontario Re Kolari (1981), 36 O.R. (2d) 473. Dans cette affaire, le juge Stortini a statué que, lorsque la victime d'un vol (Canada Permanent Trust Co.), commis par une employée (Mme Kolari), et le ministre du Revenu national (réclamant l'impôt impayé), prétendent tous deux avoir un droit sur le bien du voleur, c'est la victime du vol qui a prio- rité. Il est dit à la page 477:
[TRADUCTION] En l'espèce, la Couronne n'est pas un ache- teur de bonne foi moyennant contrepartie et sans avoir été informée de l'absence d'autorisation. Elle ne rivalise pas avec des créanciers généraux, auquel cas sa prérogative prévaudrait bien sûr. Elle rivalise avec la victime d'une escroquerie. Ses droits ne sont pas plus étendus que ceux du contribuable faisant l'objet d'une cotisation et qui, en l'espèce, a été déclaré coupa- ble d'avoir volé l'argent qui est assujetti à l'impôt sur le revenu.
Malgré la portée de cette déclaration, le juge Stortini a toutefois précisé que son jugement repo- sait sur la théorie du droit de suite. On a invoqué cette théorie pour statuer que le droit de la victime du vol de réclamer le produit en question a priorité sur celui de la Couronne. Ainsi qu'il a été souligné ci-dessus, je suis du même avis. C'est pour cette raison que la demanderesse à l'instance a droit à la somme de 208 559,54 $ saisie dans le compte d'épargne, aux produits de l'hypothèque Mosco et à la moitié du produit de la vente des deux voitu- res, ainsi qu'à l'intérêt qui se rapporte à chacune de ces sommes.
Si je comprends bien, l'avocat de la demande- resse prétend que les deux dettes en question ne sont pas de rang égal car, lorsqu'un voleur mélange ses fonds avec ceux qu'il a détournés, on présume que c'est à lui de prouver la propriété de
cette partie des biens qu'il prétend ne pas avoir détournée. Sans cela, la victime est en droit de prétendre que les fonds mélangés sont ceux qui ont été volés (jusqu'à concurrence de ce qui a en fait été volé plus les bénéfices qui en découlent). Je ne vois pas comment ce principe s'applique en l'es- pèce. En l'espèce, il n'y a pas de confusion quant à la question de savoir quelle partie de l'argent déposé dans le compte d'épargne ou des autres avoirs était de l'argent volé ou le produit de l'ar- gent volé et quelle partie ne l'était pas. Les sommes respectives ont été précisément détermi- nées: il a été prouvé que certaines factures de service public concernant la résidence de Hasiuk peuvent avoir été payées sur le produit de l'argent volé, mais cette preuve n'est pas suffisamment claire pour établir qu'il y a effectivement eu un mélange de fonds relativement au paiement des factures de service public. En fait, même s'il y a eu mélange à cet égard, il n'est pas certain qu'il s'agisse d'un mélange concernant la résidence elle- même de manière à permettre à la demanderesse de réclamer le produit de la vente de cette résidence.
Pour ce qui est de l'argument de la demande- resse selon lequel les réclamations respectives (celle de la Couronne pour l'impôt impayé et celle de la demanderesse exigeant la remise des fonds ou des dommages-intérêts pour détournement) ne sont pas de rang égal, en raison de leur nature, je note certains arrêts selon lesquels la prérogative de la Couronne ne lui confère pas une priorité seule- ment dans les cas de réclamations de rang égal: Voir C. R. B. Dunlop, Creditor-Debtor Law in Canada (1981), il est dit à la page 450:
[TRADUCTION] ... il existe une jurisprudence affirmant caté- goriquement que la prérogative de la Couronne lui accorde «la préséance dans tous les cas, pour tout type de droits, lorsque le droit de la Couronne et celui d'un sujet sont de rang égal et viennent en concurrence».
Cela étant, je ne connais aucune jurisprudence, et les avocats ne m'en ont cité aucune, qui fasse une distinction entre les réclamations de la Cou- ronne et celles de particuliers et qui déclare qu'el- les ne sont pas de rang égal, selon l'argument qu'invoque maintenant l'avocat de la demanderes-
set. Certains arrêts de jurisprudence portent que des réclamations ne sont pas de rang égal si l'une est garantie et l'autre ne l'est pas: Household Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 423; (1979), 29 N.R. 174; City of Toronto, and Toronto Elec tric Commissioners v. Wade, [1931] O.R. 470 (C.S.). D'autres disposent que lorsque les créances de la Couronne résultent d'opérations commercia- les ou industrielles ordinaires, elles ne peuvent avoir priorité parce qu'il ne s'agit pas d'un type de créance qui, historiquement, bénéficie de la préro- gative de la Couronne: The Queen v. Workmen's Compensation Board and City of Edmonton (1962), 36 D.L.R. (2d) 166 (C.S. Alb.), confirmée par (1963), 42 W.W.R. 226 (C.A. Alb.). Mais aucune de ces exceptions ne se rapporte à l'espèce. rapporte à l'espèce.
La créance de la demanderesse et celle de la Couronne sont toutes deux non garanties (excepté les parties de l'actif en espèces auxquelles la demanderesse peut prétendre en vertu de la théorie du droit de suite). Les deux réclamations ont été produites par les parties en tant que créancières saisissantes. La créance de la Couronne n'est pas une créance qui résulte d'une opération commer- ciale ou industrielle ordinaire. J'estime donc qu'il n'y a pas lieu de déroger aux règles ordinaires, et la prétention de la demanderesse à une quote-part égale à celle de la Couronne est rejetée.
Bien que la demanderesse ait obtenu gain de cause en partie, elle a droit à ses dépens de l'ac- tion. Un jugement sera rendu dans ce sens.
Z C'est la Commission de réforme du droit de la Colombie- Britannique qui a le mieux examiné cette distinction dans son rapport intitulé Report on the Crown as Creditor: Priorities and Privileges (1982), aux pp. 7 à 9, on souligne que la distinction semble avoir figuré pour la première fois dans l'affaire Re Henley & Co. (1878), 9 Ch. D. 469 (C.A.), à la p. 481 concernant une distinction possible entre des créances créées en vertu d'un contrat sous seing privé et celles résultant d'un contrat ordinaire.
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